M. le président. Par amendement n° II-125, M. Régnault et les membre du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 61 septies, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 1599 J du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art... - Pour les véhicules de location, le tarif de la taxe différentielle est fixé chaque année à la moyenne des tarifs fixés par les conseils généraux. Son produit est distribué entre les départements en fonction du nombre de véhicules immatriculés et de la longueur de la voirie départementale. »
La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Il est un peu dommage que nous n'ayons pas traité de cet amendement tout à l'heure, lorsque nous avons consacré beaucoup de notre temps à la taxe différentielle d'un département que personne ne veut plus citer, mais que chacun a bien en tête ! (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris un certain nombre d'engagements. Permettez-moi de prolonger votre réflexion en défendant cet amendement.
Tout d'abord, lorsqu'une situation du type de celle dont nous avons débattu se présente, même si elle concerne des collectivités territoriales, l'Etat ne peut s'en désintéresser, ne serait-ce qu'au nom du pouvoir régalien qui est le sien.
Ensuite, dans la mesure où l'article 72 de la Constitution reconnaît leur autonomie et en précise l'étendue, les collectivités territoriales sont autorisées à lever l'impôt, en conséquence de quoi elles ont certaines dépenses à assumer. Donc, entre l'impôt et les dépenses, il y a effectivement une relation.
Pour revenir une dernière fois sur ce problème de vignette trop facilement octroyée ou facilement octroyée par un département - mais la situation est telle que rien ne s'y oppose - je ferai trois constats.
Premièrement, personne ne peut en douter - le débat de ce matin a été éclairant à cet égard - nous sommes devant un dérapage que l'on pourrait presque qualifier de perversion, faisant que certains départements s'enrichissent facilement, mais sans raison.
Deuxièmement, les véhicules ainsi immatriculés dans un seul département circulent sur tout le réseau routier national, sollicitent donc à ce titre l'ensemble des services de l'équipement et génèrent, comme les autres, certaines dépenses d'entretien. Aux uns la recette, aux autres la dépense, en somme !
Troisièmement, je constate que la vignette, qui fut, à sa création, une ressource affectée aux collectivités territoriales aux termes des lois de décentralisation, est devenue une recette non affectée.
Partant de ces différents constats, je réfléchis au moyen raisonnable d'éviter la perversion tout en étant plus juste avec chacun.
Compte tenu de la nature et de la vocation de ces véhicules, sachant qu'ils circulent sur l'ensemble du territoire national, il me paraîtrait justifié de leur appliquer une vignette à taux unique. D'où cet amendement, par lequel je propose que ce taux unique corresponde à la moyenne des taux de vignette pratiqués dans l'Hexagone. Je suggère, en outre, que le produit de ces taxes soit constitué en un fonds et réparti entre les départements qui, de par la loi, en sont de toute manière les destinataires, au double prorata, d'une part, du nombre d'immatriculations dans chacun d'entre eux et, d'autre part, de la longueur du réseau routier départemental.
Vous le voyez, mes chers collègues, un tel système aurait le mérite d'une certaine péréquation et, au-delà, d'une certaine justice.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cet amendement ouvre une brèche considérable dans l'autonomie fiscale des départements, autonomie déjà bien faible. Il s'agit, en fait, de nationaliser le taux de la vignette sur les véhicules de location pour en redistribuer le produit aux départements.
Un tel schéma constituerait un précédent d'une grande portée ; peut-être annoncerait-il la recentralisation d'un certain nombre d'autres ressources naguère décentralisées. Souvenez-vous, lorsque nous avons voulu réduire les droits de mutation sur les logements, par exemple, les difficultés étaient telles que nous avons dû inventer des mécanismes de compensation compliqués au bénéfice des collectivités locales.
Un précédent de cette portée mériterait sans doute que les collectivités locales débattent au préalable de ses conséquences ou, à tout le moins, en prennent conscience.
Aussi, j'en appelle à notre collègue René Régnault, dont nous connaissons le sens aigu des responsabilités, lui qui siège au comité des finances locales et qui donc ne peut pas méconnaître la portée du dispositif qu'il propose. Or il s'agit de revenir sur le principe même de la décentralisation de cette ressource. Si le Parlement en décide ainsi, après débat, soit ! Mais ce précédent, encore une fois, ouvre sans doute la porte à la rediscussion de l'ensemble des ressources qui ont été décentralisées.
Telles sont les raisons qui ont conduit la commission des finances à émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous continuons donc le débat sur les véhicules de location de la Marne ! (Sourires.) M. Régnault nous propose un tarif moyen national appliqué aux véhicules de location en fonction du nombre de véhicules immatriculés et de la longueur de la voirie départementale. Il y a là une entorse forte aux lois de décentralisation et aux critères de répartition de cet impôt collecté à l'échelon national.
A mon avis, cette mesure risque de poser des problèmes techniques considérables.
Depuis notre débat de ce matin, j'ai cherché à creuser l'idée selon laquelle ces véhicules pourraient être soumis à la taxe professionnelle en tant que biens d'équipement. Mes services, avec leur efficacité habituelle, rappellent que le lieu d'imposition des véhicules à la taxe professionnelle est régi par trois critères : le lieu de stationnement habituel ; à défaut, le lieu d'entretien ou de réparation ; à défaut, le lieu de situation du principal établissement.
Il est clair que les véhicules immatriculés dans la Marne ne paient pas la taxe professionnelle dans la Marne.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La difficulté vient de ce que l'un des grands loueurs de voitures, mais ce n'est qu'un cas parmi d'autres, acquitte la taxe professionnelle afférente à l'ensemble de ces véhicules de location au siège social, au lieu de son principal établissement, c'est-à-dire dans les Hauts-de-Seine.
Vous voyez donc que nous devons poursuivre la réflexion ensemble. Il n'est pas normal, en effet, qu'un département draine, soit volontairement, soit involontairement, les recettes de vignette de l'ensemble des sociétés de location de véhicules. Il faut trouver une solution non seulement équitable mais aussi pratique, qui respecte la liberté des collectivités territoriales, telle que l'ont proclamée les lois de décentralisation, tout en étant conforme à l'utilisation de ces véhicules dans les départements.
C'est ce à quoi nous allons nous atteler, avec les services de l'équipement, afin qu'un dispositif satisfaisant soit applicable pour la vignette de 1999.
En attendant, j'invite M. Régnault, qui a fait preuve d'imagination fiscale (Sourires) , à bien vouloir retirer son amendement, en souhaitant qu'il soit associé, avec ceux de ses collègues qui le souhaiteraient, à la réflexion sur un système plus juste mais aussi plus simple à gérer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-125.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, cela fait un certain temps déjà que le Sénat se penche sur le problème de la vignette, mais, pour des personnes extérieures à cette assemblée, ce débat doit paraître bien surréaliste...
Les lois de décentralisation ont accordé aux assemblées départementales la liberté de fixer le taux d'une taxe bien déterminée. L'une de ces assemblées prend une décision, mais, tout à coup, on se rend compte qu'elle a des effets pervers. Et M. Régnault de nous proposer ce qu'il faut bien appeler une véritable usine à gaz ! (Sourires.)
Je suis assez étonné. En effet, je l'ai toujours connu grand défenseur des libertés locales. Or, il nous propose précisément d'ôter aux collectivités territoriales, par des moyens assez alambiqués, la liberté de fixer le taux de la taxe différentielle que leur avaient accordée les lois de décentralisation. Cela démontre que, lorsque l'on fait une grande réforme comme la décentralisation, il faut réfléchir à deux fois sur la nature des différents impôts dont on transfère la responsabilité aux collectivités territoriales. A l'évidence, on n'a pas suffisamment pensé que la France était un tout et que les automobiles immatriculées dans un département pouvaient emprunter l'ensemble du réseau routier national.
Encore une fois, tout cela a quelque chose d'assez surréaliste. En tout cas, pour ma part, je voterai contre l'amendement de M. Régnault.
M. René Régnault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Que M. Chérioux se tranquillise : avant d'avoir à voter contre l'amendement, qu'il attende que je prenne la décision à laquelle on m'invite, en quelque sorte.
Je n'ai pas souvenir, et pourtant j'étais présent, que l'on ait même imaginé qu'une telle dérive puisse se produire au moment de la discussion des lois de décentralisation...
M. Jean Chérioux. C'est le tort que l'on a eu !
M. René Régnault. ... en particulier quand on a transféré les compétences et les ressources correspondantes.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Voilà pourquoi il ne faut légiférer que « d'une main tremblante » !
M. René Régnault. Cela étant, mes chers collègues, vous ne seriez là ni les uns ni les autres - moi non plus, d'ailleurs - si tout était parfait et s'il n'y avait parfois à modifier la loi. Combien de fois légiférons-nous de toutes pièces et combien de fois légiférons-nous pour corriger une loi existante ? Quand vous aurez fait le compte, vous vous apercevrez que nous sommes là au coeur de notre mission.
Personne ne peut nier que nous devons nous attacher à l'équité. Quand elle est mal assurée, nous avons le devoir de la rechercher.
Monsieur Chérioux, la liberté, oui ! Mais la liberté du renard libre dans le poulailler libre, moi je ne suis pas pour !
Quant à votre argumentation, monsieur le rapporteur général, elle ne tient pas vraiment, car vous savez bien que déjà un certain nombre de produits des collectivités territoriales font en quelque sorte l'objet de la constitution d'enveloppes. Ainsi, la DSU, la dotation de solidarité urbaine, comment est-elle alimentée ? On prend bien à des collectivités pour constituer un fonds qu'on redistribue, étant entendu qu'il y a des collectivités qui donnent et d'autres qui reçoivent !
Cela avait quelque peu choqué certains, et je sais pourquoi. Mais, sur le principe et sur le fond du mécanisme, on ne peut qu'être d'accord, surtout si l'on a un souci d'équité.
Si donc votre argument a sa valeur, monsieur le rapporteur général, il a aussi ses limites. Disons qu'il est à verser au dossier.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous souhaitez trouver une solution. Je suis tout disposé à travailler avec d'autres pour la rechercher. Mais je sais aussi - je le dis à ceux qui se sont écriés, voilà un instant, sur la machine à gaz -...
M. Jean Chérioux. L'usine à gaz !
M. René Régnault. ... que ma machine artisanale pourrait bien se transformer en une machine industrielle, plus sophistiquée, mais, pour autant, pas nécessairement moins compliquée.
Cela étant dit, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-125 est retiré.

Article 61 octies