Séance du 3 juin 1998







M. le président. « Art. 10. _ L'article L. 441-1 du code des communes est ainsi rédigé :
« Art. L. 441-1 . _ Les dispositions du présent livre sont applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sous réserve des dispositions prévues au présent chapitre. »
Par amendement n° 72, MM. Hoeffel, Bohl, Haenel, Grignon, Ostermann et Richert proposent de rédiger comme suit la fin du texte présenté par l'article 10 pour l'article L. 441-1 du code des communes : « ... et de la Moselle à l'exception des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 412-49 et sous réserve des dispositionsci-après ».
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. S'agissant de l'agrément des policiers municipaux, les communes d'Alsace et de Moselle sont soumises à un droit local spécifique, d'ailleurs repris par le code des communes.
L'amendement se fonde à la fois sur des considérations d'ordre pratique et sur des considérations de principe.
S'agissant, tout d'abord, de ces considérations d'ordre pratique, dans les trois départements, les polices municipales existent depuis très longtemps.
Dans une ville comme Strasbourg, cela existe depuis plus de deux siècles. Et, depuis toujours, les policiers municipaux sont nommés par le maire. Ils sont assermentés sans aucun agrément, et cette situation n'a jusqu'à présent jamais soulevé de problèmes dans la pratique...
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. ... parce que ces polices municipales ont toujours agi dans l'intérêt général et avec un très grand souci du respect de nos institutions.
J'en viens maintenant aux raisons de principe. Les nouvelles dispositions ajoutent à la nomination des policiers municipaux par le maire et à l'assermentation, l'agrément délivré par le préfet et le procureur de la République. Sur le plan du principe même de la décentralisation et de la libre administration des collectivités locales, ces mesures apparaissent plutôt comme un recul. Or, nous sommes nombreux à être profondément attachés à la décentralisation...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. ... et à souhaiter des avancées nouvelles plutôt qu'un recul.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles, au nom de mes collègues d'Alsace et de Moselle, en particulier de MM. Haenel et Eckenspieller, je défends cet amendement n° 72.
Pour conclure ce plaidoyer, je rappelle qu'il est des circonstances dans lesquelles ce droit local, souvent surprenant pour nos collègues des autres régions, apparaît non pas comme une survivance du passé - vous le savez, monsieur le ministre - mais souvent comme une législation d'avant-garde et un élément précurseur...
M. Hubert Haenel. Voyez le Concordat !
M. Daniel Hoeffel. ... dont nous souhaitons qu'il puisse dans l'avenir inspirer notre législation nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et indépendants.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Il suffit d'entendre M. Hoeffel plaider pour se convaincre de la différence très positive qui existe entre l'Est et le reste de la France. (Sourires.)
M. Georges Othily. Sans oublier l'outre-mer !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. En effet, monsieur le sénateur !
Nous estimons néanmoins qu'il convient de ne pas suivre la proposition de M. Hoeffel.
Selon lui, l'agrément constitue un recul par rapport à la décentralisation. Mais le Sénat vient de voter la suppression de l'agrément par le préfet.
Notre Haute Assemblée a certes conservé l'agrément par le procureur de la République. Mais cela n'a rien de choquant, puisque ce projet de loi accorde aux policiers municipaux des pouvoirs supplémentaires en matière de police judiciaire. En leur qualité d'agents de police judiciaire adjoints, ils doivent être soumis à un certain pouvoir hiérarchique.
Si les élus de la Moselle...
M. Hubert Haenel. Et de l'Alsace !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. ... acceptent l'augmentation des compétences des policiers municipaux en matière judiciaire, ils refusent l'agrément qui serait appliqué sur le reste du territoire.
Il s'agira certes d'un alignement par le bas pour ces trois départements... Il n'en demeure pas moins que nous souhaitons en rester au projet initial du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai entendu M. Hoeffel évoquer une vieille tradition. Je ne suis pas contre la tradition. La République a néanmoins dépassé le raisonnement fondé sur la seule tradition et préfère l'échange raisonné des arguments.
Par ailleurs, je ne saurais rejoindre M. Hoeffel sur sa conception des éléments précurseurs, le non-agrément étant un régime d'avant-garde auquel il faudrait promettre la France tout entière !
Ayant été longtemps député d'une partie de l'Alsace restée française après 1871, je préfère, si vous le permettez, que les choses évoluent en sens inverse et que l'on se rapproche à pas menus du régime de bon sens que semble être celui de l'agrément, tacite il est vrai, par le procureur de la République et explicite, selon moi, du préfet.
La République n'a pas voulu remettre en cause le Concordat.
M. Hubert Haenel. C'est exact, et vous avez récemment intronisé l'archevêque de Strasbourg !
M. Philippe Marini. Cela vous permet d'être ministre des cultes !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je ne veux pas entrer dans le détail de ces affaires complexes, mais le bon sens voudrait que l'on aille vers une harmonisation sur un certain nombre de plans.
Je sais que M. Haenel comprend mon argumentation. Parce qu'il est un homme d'ordre, comme le sont souvent les gens de l'Est - ce qui explique peut-être que l'on ait pu se passer aussi longtemps d'agrément dans cette région ! - il comprendra ce que je veux dire : il faut qu'ordre et progrès aillent de pair. Telle est ma devise, c'était d'ailleurs celle d'Auguste Comte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 72.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le ministre, je me demande si, à l'avenir, lorsqu'une modification du droit général peut avoir des conséquences sur notre droit local, vous ne pourriez pas en confier l'examen à vos services. Auparavant, au ministère de la justice et au ministère de l'intérieur ainsi qu'au Conseil d'Etat, on veillait à signaler tout problème à l'égard du droit local d'Alsace et de Moselle.
En tant que président de la commission d'harmonisation du droit local d'Alsace-Moselle, je vous demande par ailleurs de ne pas oublier que de nombreuses dispositions nationales s'inspirent du droit local.
Monsieur le ministre, vous avez fait allusion au Concordat. Je me souviens que l'un de vos prédécesseurs, M. Joxe, était venu nous dire : « Non seulement on n'y touchera pas - comme vous l'avez d'ailleurs vous-même déclaré lorsque vous avez intronisé le nouvel archevêque de Strasbourg, monseigneur Doré, au début du mois de décembre dernier - mais on pourrait s'en inspirer, notamment vis-à-vis des musulmans. »
Je demande donc à M. le ministre et à M. le rapporteur de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement, la navette nous laissant le temps de la réflexion.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, je ne suis ni Alsacien ni Mosellan, mais je voudrais néanmoins évoquer brièvement cette question.
D'après ce que nous comprenons, tout se passe bien dans les communes du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle qui ont des polices municipales, et ce depuis des lustres, des générations ! De mémoire d'Alsacien ou de Mosellan, toujours d'après ce que l'on nous explique, dans ces départements où, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, on trouve beaucoup de gens sérieux et d'hommes d'ordre, aucun incident ne se produit et la police municipale n'abuse pas de ses pouvoirs. Le fait que le procureur ne délivre pas d'agrément ne gêne pas le fonctionnement des services publics.
M. Hubert Haenel. D'autant qu'il y a la prestation de serment !
M. Philippe Marini. Prestation de serment, mais pas d'agrément. Cette situation semble donc donner satisfaction à la fois aux maires, aux usagers et aux partenaires du service public.
Monsieur le ministre, je voudrais vous poser une simple question : si la situation est satisfaisante, pourquoi faudrait-il la modifier ? Qu'est-ce qui impose la modification de cet état de chose, sinon une vision quelque peu abstraite, centralisatrice et plaquée de Paris sur une réalité diverse ? C'est un peu le sentiment que j'ai de l'extérieur en vous entendant les uns et les autres.
C'est pourquoi, tout en étant moi-même attaché aux principes de la République, je voterai tout à fait sincèrement l'amendement de notre collègue M. Hoeffel.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 72, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, ainsi modifié.

(L'article 10 est adopté.)

Article 11