SEANCE DU 10 MAI 2001


M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 39 est présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission.
L'amendement n° 73 est déposé par MM. Charasse, Mahéas et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à insérer, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le 11° de l'article L. 195 du code électoral, après les mots : "agents et comptables de tout ordre", sont insérés les mots : "agissant en qualité de fonctionnaire". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 39.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Au travers de cet amendement, nous proposons d'insérer dans le projet l'article 10 de la proposition de loi, qui vise à ne rendre inéligibles au conseil général que les seuls comptables agissant en qualité de fonctionnaire.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 73.
M. Michel Charasse. Cet amendement étant identique à celui de la commission, il ne me paraît pas utile de le maintenir. Il en va d'ailleurs de même des amendements n°s 74 à 77 du groupe socialiste.
Je veux toutefois appeler l'attention de Mme le secrétaire d'Etat sur le fait que se pose, en l'espèce, un problème un peu particulier. Il s'agit en effet de décisions des chambres régionales des comptes qui entraînent automatiquement une incapacité électorale. Or le Conseil constitutionnel a déclaré dans une décision récente concernant le droit des sociétés en Nouvelle-Calédonie que ce type de peine ne pouvait pas être automatique, que la peine devait chaque fois être prononcée par un tribunal de l'ordre judiciaire.
Sans doute Mme le secrétaire d'Etat adoptera-t-elle sur cet amendement et sur les suivants la même position que celle qu'elle a prise jusqu'à présent s'agissant des amendements tendant à insérer des articles additionnels. Et c'est bien pourquoi je veux insister sur le fait qu'il s'agit, là, de mettre notre droit électoral en conformité avec la Constitution, conformément à la décision du Conseil constitutionnel.
Si je peux comprendre, à la rigueur, que Mme le secrétaire d'Etat prenne une position de principe, qui n'est pas la mienne - je note d'ailleurs que nous ne sommes pas responsables du temps très long qu'il a fallu pour soumettre au Sénat ce texte, qui aurait pu venir en discussion plus tôt, tant semble être grande l'impatience dans les chambres régionales des comptes ! - je comprendrais mal qu'elle s'oppose à l'application de la Constitution. En effet, tant que ces textes ne sont pas abrogés, les décisions s'appliquent automatiquement, et c'est parfaitement injuste et inconstitutionnel.
Je tenais à faire cette déclaration liminaire car, si l'on peut estimer que certains autres amendements sont d'opportunité, ceux-là concernent l'application de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 73 est retiré, ainsi que, par avance, les amendements n°s 74 à 77.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 39 ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je suis défavorable à cet amendement pour les raisons que M. Charasse a indiquées lui-même. Mais j'ai bien écouté ce qu'il vient de dire.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 39.
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. La position du groupe socialiste a été clairement définie. Le 11 mai 2000, nous avions adopté tous ces amendements. Donc, nous ne changeons pas de position, bien évidemment.
Mais nous entendons aussi le Gouvernement, qui annonce un autre texte, soucieux qu'il est de ne pas retarder l'application de celui-ci.
Par conséquent, nous maintenons notre position, mais nous souhaitons que tout cela soit repris à la suite de la navette, de façon que le texte présenté aujourd'hui par le Gouvernement ne prenne pas de retard.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Madame le secrétaire d'Etat, vous restez sur votre position, alors que j'ai pourtant essayé de démontrer que l'on n'est pas, là, dans le même cas de figure que pour les amendements précédents.
Vous avez dit ce matin - on me l'a rapporté - que vous vous efforceriez de déposer un texte le plus rapidement possible. Il n'empêche qu'avant la mise en application de ce texte des décisions d'inéligibilité vont intervenir.
Si donc vous vous engagez devant nous à envoyer des instructions aux préfets pour qu'ils ne prononcent pas les démissions d'office, qui sont maintenant inconstitutionnelles, c'est-à-dire qu'on n'applique plus les dispositions automatiques qui figurent actuellement dans le code des juridictions financières et dans le code électoral, nous serons tout à fait rassurés.
En effet, si, dans l'attente d'un texte hypothétique, des élus locaux surtout, voire des fonctionnaires, continuent à être frappés d'inéligibilité par application automatique d'un texte inconstitutionnel et que les préfets sont fondés à ne plus appliquer, cela ne va plus !
En fait, madame le secrétaire d'Etat, c'est, à la limite, ce qui va conditionner mon vote et celui de mes amis. Si vous nous dites que les préfets recevront des instructions pour ne plus appliquer de telles dispositions, nous pourrons alors attendre le prochain texte. Mais s'il doit encore y avoir des victimes de dispositions qui sont inconstitutionnelles, et dont nous savons qu'elles le sont, nous serons obligés de voter les amendements de la commission, puisque nous avons retiré les nôtres.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 39, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 40, M. Hoeffel, au nom de la commission, propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le second alinéa de l'article L. 205 du code électoral est supprimé. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. En l'occurrence, il s'agit de l'insertion des dispositions de l'article 11 de la proposition de loi, qui opèrent une coordination avec l'article 10 de la même proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 41, M. Hoeffel, au nom de la commission, propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le 6° de l'article L. 231 du code électoral, après les mots : "Les comptables des deniers communaux", sont insérés les mots "agissant en qualité de fonctionnaire". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Il s'agit de l'insertion des dispositions de l'article 12 de la proposition de loi, qui a le même objet que l'article 10, mais applicable cette fois aux conseillers municipaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 41, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 42, M. Hoeffel, au nom de la commission, propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article L. 236 du code électoral est supprimé. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Il s'agit de l'insertion des dispositions de l'article 13 de la proposition de loi, qui a le même objet que l'article 11, mais concernant les conseillers municipaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 42, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé, est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 43, M. Hoeffel, au nom de la commission, propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article L. 341 du code électoral est supprimé. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Il s'agit de l'insertion, cette fois, des dispositions de l'article 14 de la proposition de loi, qui ont le même objet que l'article 11, mais qui concernent les conseillers régionaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 43, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 44, M. Hoeffel, au nom de la commission, propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Quand un ordonnateur déclaré comptable de fait, dans le cadre de l'opération de reddition de ses comptes, a obtenu de la part de l'organe délibérant de la collectivité la reconnaissance du caractère d'utilité publique sur les comptes présentés, cet ordonnateur ne pourra être mis en débet à titre personnel à due concurrence par la juridiction financière ayant jugé les comptes si aucune malversation, détournement ou enrichissement personnel n'a été relevé à son encontre. Aucune amende ne pourra être infligée à l'ordonnateur de bonne foi ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et ayant mis fin à la situation qui l'a amené à être déclaré comptable de fait.
« Cet apurement de la gestion de fait vaut quitus à hauteur des sommes auxquelles l'utilité publique a été conférée. »
Par amendement n° 69, MM. Charasse, Mahéas et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du même code, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Quand un ordonnateur déclaré comptable de fait, dans le cadre de l'opération de reddition de ses comptes, a obtenu de la part de l'organe délibérant de la collectivité la reconnaissance du caractère d'utilité publique sur les comptes présentés, cet ordonnateur ne pourra être mis en débet à titre personnel à due concurrence par la juridiction financière ayant jugé les comptes, si aucune malversation, détournement ou enrichissement personnel n'a été relevé à son encontre, aucune amende ne pourra être infligée à l'ordonnateur de bonne foi, ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et ayant mis fin à la situation qui l'a amené à être déclaré comptable de fait.
« Cet apurement de la gestion de fait vaut quitus à hauteur des sommes auxquelles l'utilité publique a été conférée ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 44.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Il s'agit d'insérer les dispositions de l'article 15 de la proposition de loi du Sénat, qui tend à dispenser de l'amende l'ordonnateur déclaré comptable de fait mais ayant obtenu la reconnaissance de l'utilité publique sur les comptes présentés et n'ayant commis aucune malversation, détournement ou enrichissement personnel.
Toutefois, je dois dire, par anticipation, que l'amendement n° 69, dont nous entendrons la présentation, paraît à certains égards préférable à celui de la commission.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 69.
M. Michel Charasse. Je pensais réserver à cet amendement n° 69 le même sort qu'aux amendements précédents, puisqu'il y a la même démarche de la commission des lois. J'ai cependant la faiblesse de penser que la rédaction de M. Mahéas et de mes collègues est un peu meilleure que celle de l'amendement de la commission, comme d'ailleurs M. le rapporteur vient de le dire.
C'est la raison pour laquelle je maintiens l'amendement n° 69, non pas par vanité d'auteur, croyez-le bien, mais simplement par souci du travail de la meilleure qualité.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. La commission, s'inclinant devant la qualité du travail de M. Charasse et de ses collègues du groupe socialiste et apparentés, retire son amendement au profit du leur.
M. le président. Bel hommage aux auteurs de l'amendement n° 69 !
L'amendement n° 44 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 69 ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 69, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.
Par amendement n° 78, M. Charasse propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les rapports de la Cour des comptes ne peuvent être rendus publics qu'après avoir été remis au Président de la République et déposés sur le bureau de chacune des assemblées parlementaires. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, nous lisons toujours avec beaucoup d'attention les rapports de la Cour des comptes ; c'est une mine d'informations et de renseignements. C'est aussi un élément important pour le contrôle parlementaire, puisque la Cour des comptes, aux termes de la Constitution, assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances.
Or il est fréquent que les informations contenues dans les rapports de la Cour des comptes, qui sont destinées au Président de la République et au Parlement, soient diffusées par la presse avant que lesdits rapports ne soient distribués dans nos assemblées. Je ne cherche pas querelle à la presse, mais c'est parfaitement désagréable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la faute de la Cour des comptes !
M. Michel Charasse. Non ! Voilà quinze jours, pour une raison de nature technique que le Premier président de la Cour des comptes a eu la gentillesse et la courtoisie de m'expliquer, le rapport sur la fonction publique de l'Etat a été diffusé dans la presse. Diverses organisations professionnelles de mon département m'ont interrogé sur ce rapport, mais je ne l'avais pas. C'est parfaitement désagréable s'agissant d'un rapport qui nous est destiné, d'autant plus que je n'ai pas l'habitude de prendre mes informations de contrôle parlementaire dans la presse en général.
Du fait d'une difficulté technique, qui me conduit à rendre hommage à la Cour des comptes, qui a rectifié le tir - il y avait à l'imprimerie des pages qui manquaient - il a fallu réimprimer et on n'a pas pu distribuer le document simultanément.
Mais je dois dire que, d'une façon générale, il me paraîtrait préférable que, désormais, la publication, c'est-à-dire la distribution à la presse, n'intervienne qu'après la mise en distribution dans les assemblées.
Je veux seulement appeler l'attention de Mme le secrétaire d'Etat et, éventuellement, de la Cour des comptes, sur ce point.
Si l'on me dit qu'on veillera à l'avenir à ce qu'il en soit bien ainsi, je n'insisterai pas sur l'amendement n° 78. Mais cela nécessite, me semble-t-il, un minimum de coordination entre la présidence de nos assemblées, que ce soit l'Assemblée nationale ou le Sénat, et la Cour des comptes, de manière que ce genre d'inconvénient ne se reproduise pas.
Je ne veux pas dire par là qu'il faut faire de la rétention vis-à-vis de la presse : l'un des formidables avantages, précisément, de la publication par la presse, c'est que les informations contenues dans les rapports de la Cour des comptes peuvent ainsi parvenir jusqu'au citoyen, qui est aussi chargé de nous contrôler et de contrôler les pouvoirs publics. Donc, ce n'est pas ce que je veux dire.
Ce que je demande, c'est que l'on ne nous oblige pas, par exemple, à aller faire faire des photocopies dans la salle voisine de la salle des séances d'extraits d'articles de journaux pour savoir ce qu'il y a dans un rapport qui nous est destiné !
Si le Gouvernement et vous, peut-être, monsieur le président, qui représentez ici M. le président du Sénat, m'assurez que des dispositions seront prises pour veiller à ce qu'une meilleure coordination intervienne, je n'insisterai pas sur l'amendement n° 78. Sinon, je le maintiendrai.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De toute façon, il n'y a pas de sanction dans votre amendement, mon cher collègue !
M. Michel Charasse. Non, en effet.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Je répondrai par une interrogation. Si j'ai bien compris, le destin de l'amendement n° 78 est lié à certaines assurances qui pourraient être données à son auteur. La commission serait évidemment particulièrement intéressée de les connaître.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je partage tout à fait les préoccupations de M. Charasse. Je crois qu'en droit elles sont d'ores et déjà satisfaites par l'article 136-1 du code des juridictions financières. Mais, ce qui importe, c'est que la pratique soit en conformité avec le droit.
M. Michel Charasse. Bien sûr !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. J'ai bien entendu son appel et, pour ce qui me concerne, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cette disposition du code soit respectée.
M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 78 est retiré mais je crois comprendre, monsieur Charasse, que la Cour des comptes vous a déjà entendu.
M. Emmanuel Hamel. Elle a de grandes oreilles !
M. le président. Par amendement n° 79, M. Charasse propose d'ajouter, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sauf dans le cas d'enrichissement personnel, les faits qualifiés de faux notamment par l'article 441-2 du code pénal ou les faits, délictueux ou non, de violation des lois et des règlements, y compris en matière de comptabilité publique, commis avant le 31 mars 2001 par des élus, par des fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers ou par des agents des services et organismes publics soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ne pourront donner lieu à aucune poursuite devant quelque juridiction que ce soit tant que des poursuites n'auront pas été engagées à l'encontre des magistrats de l'ordre judiciaire qui se sont rendus coupables des délits visés dans le rapport particulier de la Cour des comptes, tome 2, d'avril 2001, consacré à la gestion du ministère de la justice, notamment les chefs de cour cités à la page 319 dudit rapport.
« Si les poursuites éventuellement engagées à l'encontre desdits magistrats de l'ordre judiciaire n'aboutissent pas ou se concluent par une absence de condamnation, aucune condamnation ne pourra être prononcée à l'encontre des élus, des fonctionnaires ou des agents publics visés à l'alinéa précédent. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement m'a été justement inspiré par le dernier rapport de la Cour des comptes dont je parlais à l'instant et dont j'ai pu prendre connaissance dès la semaine dernière.
Il s'agit du tome 2 du rapport particulier paru en avril 2001 et concernant la fonction publique de l'Etat. Dans ce document, la Cour des comptes a procédé à un examen sans complaisance de la gestion du ministère de la justice, qui n'est pas, de ce point de vue, un modèle.
Il ressort de ce rapport que ce ministère s'affranchit couramment des règles relatives à la gestion des emplois publics, y compris sur les plans budgétaire et comptable, au point même, dit la Cour des comptes à la page 319 du rapport, que des chefs de cour - j'appelle votre attention sur cette citation - sont « parfois conduits à attester d'une situation d'affectation et d'un service fait fictifs ».
Quelles que soient, mes chers collègues, les contraintes qui pèsent sur les magistrats ainsi mis en cause par la Cour des comptes, il n'en demeure pas moins que ces faits sont particulièrement graves, car non seulement il s'agit d'une violation caractérisée des règles de la comptabilité publique et des statuts des personnels - des magistrats, en l'espèce - mais il s'agit également de délits que l'article 441-2 du code pénal punit, lorsqu'ils sont commis par « une personne dépositaire de l'autorité publique », ce qui est le cas des chefs de cour, « agissant dans l'exercice de ses fonctions », de sept ans de prison et de 700 000 francs d'amende.
Lorsque des faits de cette nature sont relevés par la Cour des comptes ou par les chambres régionales des comptes à l'égard d'autres agents publics, élus ou non, les parquets compétents, comme c'est normal, sont automatiquement saisis, au moins dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale, et des poursuites sont engagées, qui se concluent généralement par de sévères condamnations. Un faux en écriture publique, c'est grave !
Il arrive, en outre, que la cour de discipline budgétaire soit également saisie, pas pour des élus locaux, puisqu'ils n'en relèvent pas, mais pour des fonctionnaires. Quant aux comptables publics, s'ils ne sont pas eux-mêmes les auteurs des faits délictueux, ils sont automatiquement mis en débet, avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter pour leur responsabilité financière personnelle.
Mes chers collègues, j'ai la faiblesse de penser que, dans notre République, la loi et la justice doivent être les mêmes pour tous les citoyens sans distinction. On comprendrait mal que, pour des délits analogues, même commis dans des circonstances différentes, seuls soient poursuivis et condamnés ceux qui n'ont pas la qualité de magistrat de l'ordre judiciaire. Au reste, je crois savoir que la dénonciation de la Cour des comptes, à la page 319 de son rapport, n'a pas donné lieu à l'application de l'article 40 du code de procédure pénale et à avis aux parquets concernés.
En outre, pour les délits signalés par la Cour des comptes dans son rapport précité, les ordonnateurs et les comptables qui ont procédé à des paiements illégaux vont être automatiquement mis en débet, s'ils ne le sont pas déjà - c'est la loi, c'est automatique - alors que les magistrats auteurs des délits peuvent ne pas être poursuivis.
C'est pourquoi il est proposé que des poursuites judiciaires ou financières ne soient pas engagées, ni des condamnations prononcées, contre les agents publics, élus ou non, coupables, avant le 31 mars 2001, des mêmes faits et délits que ceux qui sont dénoncés dans le rapport précité de la Cour des comptes, sauf si les magistrats de l'ordre judiciaire mis en cause dans l'ensemble dudit rapport sont poursuivis et condamnés.
Franchement, il ne serait pas normal que, pour une affaire mineure, le maire d'une commune de 100 habitants se retrouve traîné devant le tribunal correctionnel parce qu'il aurait fauté et soit condamné, alors que des magistrats de l'ordre judiciaire qui auraient commis la même faute continueraient tranquillement à présider leurs cours et tribunaux !
J'ajoute que, dans mon département, voilà peu, un maire d'une commune de 300 habitants a été condamné pour faux à une peine de prison avec sursis et à une très grosse amende parce que, au cours de l'été, la secrétaire de mairie, intérimaire, s'était trompée et avait placé, dans le registre des délibérations, une délibération du conseil à la séance du mois de juillet alors qu'elle se rattachait à celle du mois d'août !
Par conséquent, à partir du moment où l'on ferait preuve de rigueur - et je suis, monsieur le président, pour la rigueur - la même rigueur doit s'appliquer à tout le monde : il n'y a pas, en France, les torchons et les serviettes !
Les choses étant claires, je suggère au Sénat de voter cet amendement n° 79, qui aura pour effet, vraisemblablement, d'amnistier tout le monde ! (Sourires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Après avoir entendu ce plaidoyer, la commission s'interroge.
Elle reconnaît l'intérêt de la démarche, qui est incontestable ; mais elle se demande si, dans l'application pratique, les principes ainsi énoncés ne risquent pas de soulever un certain nombre de difficultés.
Voilà pourquoi, en pesant le pour et le compte, je suis amené à prendre le risque de m'en remettre à la sagesse du Sénat !
M. Jean Chérioux. Heureusement, il est sage !
M. Emmanuel Hamel. Il n'y a pas de risque !
M. Pierre Fauchon. Quel courage !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Par coordination, défavorable.
M. Jean Chérioux. Seulement par coordination ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 79.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole, contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne pourrai pas voter cet amendement pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, s'il y a des accusations, il faut savoir si les faits ont été commis ou pas.
Ensuite, il faut connaître le dossier. Ainsi, dans l'exemple que vous avez donné, il n'y avait visiblement pas d'intention et, si cette employée de mairie a été condamnée, il faut qu'elle fasse appel très rapidement, car elle devrait obtenir un autre résultat.
Cet amendement n'est pas précis. Vous vous en prenez au ministère de la justice et au fait que « des chefs de cour » sont « parfois conduits à attester d'une situation d'affectation ou de services fictifs ». Or, pour poursuivre, il faut savoir quand, comment et pourquoi ; bref, il faut connaître le dossier.
Avec cet amendement, vous proposez enfin qu'on ne poursuive personne tant que ceux qui devraient l'être ne l'auront pas été. Or, dans les deux cas, on ne sait pas pourquoi ils devraient être poursuivis. Il peut s'agir de faits totalement différents, de faits très graves d'un côté, et qu'on ne poursuivrait pas, et de faits formels, comme ceux que vous avez cités, de l'autre côté, et qui seraient poursuivis.
A cela s'ajoute le fait que, actuellement, ce que je déplore pour ma part, puisque nous n'avons pas les moyens de poursuivre automatiquement tous les délits, toutes les contraventions, nous vivons sous le principe de l'opportunité. Il n'est donc pas exact de prétendre que tout le monde est poursuivi, sauf les magistrats.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certains sont poursuivis et d'autres pas !
M. Michel Charasse. Je voudrais bien en trouver un exemple !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'intéressé peut exercer un recours s'il est condamné, mais nous vivons sous le principe de l'opportunité ! Je voterai donc contre l'amendement n° 79.
En expliquant mon vote, je ne peux que relever l'adresse et la modération de M. le rapporteur ! Pourtant, je ne doute pas qu'il partage mon point de vue.
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Malgré la brillante explication de Michel Charasse, en aucun cas les membres du groupe socialiste ne voteront l'amnistie pour les faux en écriture ! Imaginez le retentissement d'une telle attitude !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai certes parlé d'amnistie, mais c'est un bien grand mot !
Je répondrai par ailleurs à mon ami Michel Dreyfus-Schmidt que je n'ai jamais prétendu qu'il fallait poursuivre ces magistrats. J'ai simplement dit que, s'ils ne sont pas poursuivis - et nous savons tous qu'ils ne le seront pas !...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut voir les dossiers !
M. Michel Charasse. Mais non ! Il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes. Je ne pense pas que la Cour des comptes ait menti et se soit trompée. Cette accusation plutôt grave, elle l'a certainement pesée en long, en large et en travers !
A partir du moment où une juridiction financière fait ce type de constatation, elle doit saisir le parquet. Or la Cour, à ma connaissance, ne l'a pas fait. Pourtant, dans un cas analogue, même s'il est beaucoup moins grave et moins répétitif - cela dit, je ne pense pas que ces magistrats soient horriblement coupables, c'est le ministère de la justice qui leur fait commettre de tels actes - si, demain, un maire dit que c'est le préfet qui l'a obligé à faire cela, il passera tout de même au tourniquet !
Je ne vois pas comment les maires, dont nous sommes ici les élus, pourraient demain subir des poursuites pour des faits beaucoup moins graves, alors que ces magistrats ne seraient pas poursuivis.
Je ne prétends pas qu'il faille condamner ces magistrats, je dis simplement, monsieur Dreyfus-Schmidt, que cela heurte mes sentiments républicains et mon sens de l'égalité des citoyens...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai les mêmes !
M. Michel Charasse. Vous avez les mêmes ! J'aurais donc été content de vous entendre dire qu'il fallait les poursuivre, ce qui ne veut pas dire les condamner, je le répète.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas vu le dossier !
M. Michel Charasse. Dans ce cas, on instaure une procédure automatique, on fait un article 40, et c'est tout !
Comment pourrions-nous accepter, nous, Parlement, que, dans un rapport de contrôle budgétaire, la Cour des comptes nous signale des faits aussi graves sans nous inquiéter de la suite qui leur est donnée ?
Et je suis un peu déçu de la réponse de Mme la secrétaire d'Etat. En effet, si elle avait dit : « On va étudier le dossier et, s'il y a lieu, on poursuivra », cela aurait été autre chose. Mais Mme le secrétaire d'Etat s'en tient à sa position de principe. Je ne vois donc pas pourquoi je retirerais mon amendement.
Demain, après-demain, une chambre régionale des comptes pourra renvoyer en correctionnelle un élu local - et elle aura raison, s'il a commis une faute - mais d'autres, parce qu'ils sont magistrats de l'ordre judiciaire, seront considérés comme intouchables !
Je voudrais ajouter à l'intention de mon collègue M. Dreyfus-Schmidt que, dans cette affaire, les magistrats n'agissent pas en toute indépendance et en tant que magistrats - il ne s'agit pas de décisions juridictionnelles - ils agissent comme fonctionnaires ordonnateurs des dépenses de leur juridiction. Ils sont dès lors dans la même situation que n'importe quel élu local ou n'importe quel fonctionnaire. Voilà pourquoi je suis véritablement indigné !
Je voudrais savoir si les comptables des juridictions ont été mis en débet ou vont l'être. Ce serait incroyable ! Le comptable de la juridiction serait mis en débet et l'ordonnateur qui est dans le bureau d'à côté ne serait pas poursuivi !
Dans quelle république vivons-nous ? Cela ne se passe pas autrement dans les républiques bananières ! Ce n'est pas supportable !
Si le Gouvernement annonçait son intention de poursuivre ou d'examiner s'il y a lieu à poursuite, à la limite, je pourrais adoucir ma position.
Après tout, c'est aussi au Gouvernement de donner au rapport de la Cour des comptes les suites qu'il mérite !
Mais si le Gouvernement ne dit rien et si, de surcroît, les comptables publics doivent être mis eux-mêmes en débet - ils ne peuvent pas être poursuivis, ce ne sont pas eux qui ont commis la faute ! - c'est-à-dire condamnés à rembourser les sommes irrégulièrement ordonnancées par le chef de cour, alors là, c'est la fin des fins et je ne sais plus dans quelle République nous vivons !
L'amendement n° 79, monsieur le président, est un amendement de principe : j'y pose le principe de l'égalité entre les citoyens, particulièrement devant la justice.
Si le Gouvernement entrebâillait la porte et disait : « si les magistrats ne sont pas poursuivis, les comptables ne seront pas mis en débet », à la limite, je retirerai volontiers mon amendement n° 79. Mais si ce n'est pas le cas, ce n'est pas supportable !
Nous sommes ici les représentants des collectivités territoriales, qui sont elles-mêmes, avec leurs élus, soumises au contrôle des chambres régionales des comptes ; et c'est tant mieux, car c'est la contrepartie nécessaire, indispensable, de la décentralisation. Si, demain, ceux que nous représentons sont poursuivis, alors, je ne comprends plus rien à la République et il est temps que nous prenions notre retraite ! (Sourires.)
M. le président. Mais si, monsieur Charasse, vous comprenez tout à la République.
M. Michel Charasse. Je ne voudrais pas être le seul !
M. Paul Girod. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Je ressens un certain embarras, parce que la question que soulève notre collègue M. Charasse pose un vrai problème et fait scandale dans l'opinion publique.
Tous les ans, la presse donne un certain écho à la publication du rapport de la Cour des comptes, et nous avons le sentiment que, malgré tout, rien ne change.
Ce rapport est très souvent renouvelé, récurrent. Un certain nombre de pratiques sont dénoncées régulièrement ; pourtant, elles perdurent. Cela montre bien qu'il n'y a pas eu de sanction.
Et tout citoyen qui examine un peu la chose publique est amené bien souvent à se poser des questions sur l'utilité même de la Cour des comptes, dans la mesure où ses dénonciations fortement motivées des errances de l'administration centrale contrôlée par le Gouvernement, quel qu'il soit, semblent rester lettre morte.
Il s'agit là d'un vrai problème, surtout lorsque l'on fait la comparaison avec les conclusions des chambres régionales des comptes et leurs conséquences. Les chambres régionales, elles, engagent des poursuites, à l'encontre des élus locaux qui sont des personnalités connues de leurs concitoyens et directement contrôlables par le peuple, puisqu'ils sont rééligibles tous les six ans. Certes, les mises en examen ne sont pas toujours suivies de condamnations, mais la simple mise en examen vaut condamnation aux yeux de l'opinion publique.
J'approuve donc cet amendement, mais je suis quelque peu gêné par le fait que le texte adresse une injonction au pouvoir judiciaire.
M. Michel Charasse. Mais non !
M. Paul Girod. Mais si, puisque l'amendement précise qu'aucune condamnation ne pourra être prononcée à l'encontre d'élus s'il n'y a pas eu de poursuite à l'encontre de certains magistrats. Voilà qui me paraît constituer une certaine intrusion du législatif dans le judiciaire !
Il est cependant un point sur lequel je partage totalement le point de vue de notre collègue : on ne peut pas ne pas attendre les mêmes conséquences des rapports de la Cour des comptes et des rapports des chambres régionales des comptes.
J'aurais donc préféré ne voter que le premier alinéa de cet amendement. Si l'on procédait à un vote par division, je serais plus tranquille. M. Michel Charasse. Je n'y suis pas défavorable.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je comprends les scrupules d'avocat de Michel Dreyfus-Schmidt, mais il me semble que l'amendement de notre collègue Michel Charasse repose sur un document public, un document qui a pour objet d'éclairer à la fois l'exécutif et le législatif et dont les conséquences doivent être tirées.
Or, il semblerait qu'aucune conséquence n'en soit tirée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'avez lu ?
M. Jean Chérioux. Comme mon collègue M. Charasse, j'aurais bien aimé que Mme la secrétaire d'Etat nous fasse part des intentions du Gouvernement.
Il est évident que, si le Gouvernement disait qu'il tirerait toutes les conséquences du rapport, la position de notre assemblée serait très différente.
Mais Mme la secrétaire d'Etat nous a opposé une fin de non-recevoir. Nous ne devons pas nous contenter de cette réponse et rester les bras croisés en laissant perdurer des pratiques qui ne sont pas convenables.
On pourrait aussi remplacer l'amendement de Michel Charasse par un amendement tendant à supprimer la Cour des comptes ! Ce serait plus rapide, mais ce serait un peu expéditif, et ce n'est pas ce que je propose.
En adoptant le présent amendement, notre assemblée manifesterait une prise de position qui, dans les circonstances actuelles, me semble nécessaire. Par conséquent, je voterai cet amendement.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Cet amendement pose des problèmes beaucoup plus graves encore.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous allez répéter ce que j'ai dit tout à l'heure !
M. Pierre Fauchon. Mais non, mon cher collègue, d'autant plus qu'il s'agit d'un remake d'un amendement dont nous aurions dû débattre la semaine dernière, lors de l'examen du projet de loi organique modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats.
Aujourd'hui, la commission a émis un avis défavorable. La semaine dernière, la commission des lois n'avait pas eu à donner son avis, puisque l'amendement n'avait pas été soutenu. Vous n'avez pas assisté à ce débat, monsieur Charasse, parce que vous étiez apparemment mal renseigné, ou parce que vous ne prenez peut-être pas les dispositions nécessaires pour être convenablement informé du déroulement des débats. Ce contretemps, il est peut-être plus de votre fait que celui des institutions de la République, je le souligne parce que votre intervention en fin de matinée m'a quelque peu étonné.
Mais venons-en à l'amendement proprement dit. Ce texte défend une idée juste, je suis d'accord avec mes collègues sur ce point. Nous sommes las de constater que les conclusions de la Cour des comptes restent sans effet. C'est un vrai problème, auquel il faudrait remédier.
Mais ce n'est pas une raison, mon cher ami, avec la subtilité diabolique qui vous caractérise, pour créer un système visant à arrêter toutes poursuites tant que les magistrats de l'ordre judiciaire qui ont commis ces irrégularités ne seront pas poursuivis !
Je reconnais que des irrégularités ont été commises. Mais elles sont purement formelles : certains magistrats seraient affectés dans une cour, alors qu'en réalité ils sont à la Chancellerie !
M. Michel Charasse. Ce sont des faux !
M. Pierre Fauchon. Il y a faux et faux !
M. Michel Charasse. Ce sont des faux !
M. Pierre Fauchon. Soyons sérieux, il y a faux et faux. (M. Charasse s'exclame.) Parfaitement, je l'affirme et je le maintiens ! Et si vous voulez des détails, je vous en donnerai.
Si nous ne sommes pas capables d'opérer la distinction entre des faux formels, certes regrettables et sans doute condamnables, et des faux beaucoup plus graves, cela prouve que nous manquons de discernement. Et il serait fâcheux que le Sénat manque de discernement.
Sous le signe du discernement, je demande que soit reconnu le fait que des écritures sont regrettables. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'entre nous n'aient jamais revêtu de leur signature des textes contenant des informations qui, formellement, ne correspondaient pas tout à fait la réalité, et cela en tout bien tout honneur, en toute conscience, car les systèmes administratifs sont tels qu'il est parfois difficile de résister et qu'il n'est pas possible de remettre en cause ! Combien de fois signe-t-on un papier en se disant qu'il faut malheureusement le faire, mais qu'on ne devrait pas !
Michel Charasse. Un faux est passible de la correctionnelle !
M. Pierre Fauchon. Dans le cas présent, il s'agit d'une irrégularité formelle, nous l'avons examinée de près. Elle est regrettable et il faut la corriger. Mais pouvons-nous décemment le faire ? Le Sénat, avec les scrupules qui ne sont pas des scrupules d'avocat - je ne sais pas ce que vous avez contre les scrupules d'avocats, monsieur Chérioux -...
M. Jean Chérioux. J'ai rendu hommage aux avocats !
M. Pierre Fauchon. Lisez Molière, mon cher confrère, en particulier Le Malade imaginaire ! Vous saurez ce qu'il faut penser des scrupules d'avocats...
M. Jean Chérioux. Vous avez interprété mes propos !
M. Pierre Fauchon ... qui sont très respectables.
Pourtant, vous avez parlé d'arguties ou de quelque chose de semblable.
M. Jean Chérioux. Non, jamais !
M. Pierre Fauchon. Je ne crois pas que l'on puisse, dans cette intention louable, bloquer toutes les procédures pour faux, et il y en a un grand nombre en France ! Ce serait totalement disproportionné et tout à fait déraisonnable.
Je sais bien que l'on estime ainsi donner un signal. Puis l'Assemblée nationale corrigera. Personnellement, je n'ai pas envie, n'ayant aucun goût à cela, d'être « corrigé » par l'Assemblée nationale ! Je crois donc qu'il ne faut pas voter cet amendement.
En outre - oserais-je le dire ? - la rédaction : « sauf dans le cas d'enrichissement personnel » est totalement floue, car il y a l'enrichissement direct, l'enrichissement indirect, l'enrichissement par personne interposée. Vous ouvrez donc, là aussi, un contentieux extrêmement délicat dans un texte d'effet pénal pour lequel il faut être précis.
Je crois véritablement qu'il n'est pas possible de voter un tel amendement, bien que votre préoccupation soit certainement fondée : les rapports de la Cour des comptes devraient être mieux respectés. Ce n'est cependant pas une raison pour voter un texte qui, vraiment, ne tient pas debout ! (M. Nogrix applaudit.)
M. Jacques Oudin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Nous sommes nombreux ici à penser que cet amendement connaîtra peu de suites, mais nous pensons également qu'il a le mérite de poser deux vrais problèmes dont nos collègues ont longuement débattu.
Le premier réside dans les suites à donner aux rapports de la Cour des comptes, et on sait qu'ils sont préparés avec soin, attention, et délibérés de façon attentive.
Dans l'exposé des motifs de cet amendement, notre collègue Michel Charasse a bien pris le soin non pas d'émettre un avis personnel, mais de citer le deuxième rapport public particulier de la Cour des comptes, La fonction publique de l'Etat , dans lequel il est écrit à la page 319, s'agissant des chefs de cour, que ces derniers sont « parfois conduits à attester d'une situation d'affectation et d'un service fait fictifs ». Les faits sont suffisamment marqués pour que le Parlement se saisisse de ce dossier.
Le second problème, que j'ai moi-même posé, concerne l'emploi de personnes qui, théoriquement affectées à un organisme - quel qu'il soit - n'y font pas le travail pour lequel elles sont rémunérées, car elles vont ailleurs. Cela s'appelle des emplois fictifs.
J'ai déposé une proposition de loi ayant pour objet d'interdire la procédure des emplois fictifs que je qualifie de « légaux ». J'ai défendu ce dossier lors du dernier débat budgétaire, mais il n'a reçu aucune suite. Le ministère des finances ne s'est pas soucié d'aller plus avant. En qualité de rapporteur spécial du budget du ministère des affaires sociales à six-cent mille emplois de cette nature, répartis entre les services centraux et les services déconcentrés de ce ministère. Ces agents, qui proviennent essentiellement des hôpitaux et des organismes de sécurité sociale, ne travaillent donc pas pour les organismes qui les paient !
M. Pierre Fauchon. C'est une belle pagaille !
M. Jacques Oudin. Même si ces pratiques sont couvertes par des dispositions législatives, elles n'en sont pas moins parfaitement inacceptables. Des conventions sont en cours de préparation pour régulariser ces situations.
Au-delà de ces problèmes, M. Charasse pose une vraie question : il est désolant que le Gouvernement n'ait pas apporté de solution à ce problème. Si cet amendement soulève quelque polémique au sein de cette assemblée, c'est qu'il n'est pas anodin. Pour ma part, je serais enclin à le voter, simplement pour faire progresser le débat sur cette question.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Les sujets qui viennent d'être abordés sont complexes. Toutefois, je ne voudrais pas que le Sénat passe à côté d'une innovation qui, pour être récente, n'en est pas moins importante à mon sens et qui consiste depuis cette année - c'est le cas du deuxième rapport public particulier de la Cour des comptes consacré à la fonction publique de l'Etat - à joindre les réponses des différents ministères aux observations formulées dans le premier tome publié en 2000.
J'en parle d'autant plus aisément que les critiques qui avaient été émises l'an dernier portaient notamment sur la gestion des agents du ministère des finances.
Je n'imagine pas un seul instant que les critiques qui ont été émises par la Cour des comptes sur la gestion de la Chancellerie ne trouvent pas une réponse dans le rapport de l'année prochaine !
M. Jean Chérioux. Est-ce un engagement ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 79.
M. Paul Girod. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Je demande un vote par division.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Pour éviter un vote par division, non pas que je sois d'accord avec l'argumentation développée par M. Paul Girod, je rectifie l'amendement n° 79 pour supprimer le second alinéa.
M. Pierre Fauchon. C'est ce qui s'appelle faire coin du même bois !
M. Michel Charasse. Cela étant, s'il ne se passe rien, je ferai moi-même un article 40 puisque, comme sénateur, je suis destinataire du rapport de la Cour des comptes et, comme fonctionnaire, ayant connaissance de faits susceptibles d'être qualifiés de crimes ou de délits, je saisirai les procureurs compétents.
Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le dire plutôt !
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 79 rectifié, présenté par M. Charasse et tendant à insérer, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sauf dans le cas d'enrichissement personnel, les faits qualifiés de faux notamment par l'article 441-2 du code pénal ou les faits, délictueux ou non, de violation des lois et des règlements, y compris en matière de comptabilité publique, commis avant le 31 mars 2001 par des élus, par des fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers ou par des agents des services et organismes publics soumis au contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ne pourront donner lieu à aucune poursuite devant quelque juridiction que ce soit tant que des poursuites n'auront pas été engagées à l'encontre des magistrats de l'ordre judiciaire qui se sont rendus coupables des délits visés dans le rapport particulier de la Cour des comptes, tome 2, d'avril 2001, consacré à la gestion du ministère de la justice, notamment les chefs de cour cités à la page 319 dudit rapport. »
Le second alinéa étant supprimé, il n y a plus lieu de voter par division et M. Paul Girod a satisfaction.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 79 rectifié, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.

Intitulé du projet de loi