SEANCE DU 22 MAI 2001


SÉCURITÉ QUOTIDIENNE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 296, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la sécurité quotidienne. [Rapport n° 329 (2000-2001) et avis n° 333 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, enrichi des amendements adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement a fait le choix d'une démarche pragmatique, au plus près des préoccupations de nos concitoyens, tournée vers l'opérationnel et le concret.
Le 30 janvier, le conseil de sécurité intérieure, sous la présidence du Premier ministre, a pris un certain nombre de décisions : accentuation de la présence sur le terrain de la police de proximité, approfondissement du partenariat permis par les contrats locaux de sécurité, lutte contre la diffusion incontrôlée des armes à feu et mesures destinées à freiner l'augmentation des fraudes aux moyens de paiement.
Dès le 30 janvier, j'ai eu l'occasion de dire que les décisions qui nécessitaient une évolution de notre législation feraient l'objet d'un projet de loi à bref délai.
Ce projet est donc un texte aux ambitions bien définies, aux effets immédiats, et non la loi d'orientation que d'aucuns réclament, avec d'autant plus d'insistance qu'ils n'ont pas cru devoir donner à la précédente loi d'orientation - qu'ils ont pourtant votée en 1995 - les moyens nécessaires à son application.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous n'en avons pas eu le temps !
M. Alain Joyandet. Voilà des propos consensuels dès le début !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Dans sa version initiale, ce texte s'organisait autour des décisions du conseil de sécurité intérieure : l'encadrement du commerce des armes, l'extension des compétences de police judiciaire des personnels de la police nationale, la lutte contre la fraude aux moyens de paiement, des dispositions sur les animaux dangereux et sur la liaison ferroviaire transmanche.
L'Assemblée nationale a enrichi ce texte par des amendements qui améliorent la sécurité des transports, la sécurité routière, la tranquillité des parties communes des immeubles, pour ne citer que quelques aspects du projet soumis à votre approbation.
Soyons clairs : ce texte a pour ambition d'améliorer la sécurité quotidienne de nos concitoyens. Il n'a pas pour vocation de remettre en cause l'équilibre des textes applicables aux mineurs.
Je sais avec quelle facilité on brandit aujourd'hui l'ordonnance du 2 février 1945 en la rendant responsable de tous les maux qui affligent notre société. C'est un slogan facile. Mais il faudrait alors que ceux qui l'assènent nous disent ouvertement qu'ils contestent le principe d'une responsabilité pénale atténuée pour les mineurs, principe que peu de pays européens ont posé. Il faudrait aussi qu'ils reconnaissent qu'ils veulent remettre en cause la primauté de l'éducatif dans les réponses à apporter à la délinquance des mineurs.
Pourquoi vouloir modifier l'ordonnance de 1945 ? Pour mettre en prison des mineurs de plus en plus jeunes, en abdiquant par avance tout espoir de les voir s'amender dans un environnement approprié ? Quel projet pour notre société !
Ne cédons pas à cette facilité qui consiste à jouer sur les peurs de nos concitoyens, sans proposer de véritable solution. Et la solution, j'en suis convaincu, ce n'est pas la modification de l'ordonnance de 1945, c'est son application effective, c'est la construction de réponses appropriées et adaptées en nombre à l'importance du problème ; c'est faire que les sanctions prononcées soient exécutées sans délai ; c'est augmenter le nombre de places en centres de placement immédiat ou en centres d'éducation renforcée. Sur tous ces points, le Gouvernement agit, et entend continuer à agir, en améliorant encore l'efficacité des réponses dans le cadre fixé par l'ordonnance de 1945.
Il est un autre point que ce texte a résolument écarté : la modification de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales. En invoquant le principe de proximité, certains ont cru en effet pouvoir réclamer la municipalisation de la police nationale et disposer d'informations sur les procédures judiciaires.
Encore une fois, gardons-nous des fausses solutions. Placer les policiers sous l'autorité des maires ne résoudrait rien. Au contraire, cela créerait la pagaille en aggravant les inégalités entre les communes au regard de leur potentiel fiscal.
M. Christian Bonnet. Oui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il y aurait des communes riches dotées d'une police nombreuse, des communes pauvres disposant de moyens limités, alors même que ces dernières sont le plus durement touchées par la délinquance. Est-ce cela que nous proposerions ?
M. Jean-Paul Hugot. Non !
M. Gérard Larcher. Ce n'est pas cela que nous proposons !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Franchement, quelle serait l'efficacité de cette police face à des phénomènes de violence dont les auteurs sont de plus en plus mobiles et ignorent évidemment les frontières administratives ?
Ne faisons pas de la police nationale un enjeu de pouvoir ; elle mérite mieux que cela.
Ne donnons pas aux maires une compétence qu'ils auraient le plus grand mal à exercer et que, d'ailleurs, beaucoup ne réclament pas.

Mieux vaut établir des relations fréquentes, directes et suivies entre le maire, le commissaire de police, le procureur et le préfet pour coordonner les actions à conduire.
L'Assemblée nationale a précisé les conditions de l'association des maires à la politique de sécurité,...
M. Gérard Larcher. C'est timide !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... conditions qu'elle a complétées en introduisant dans le droit la notion de « coproduction » de sécurité car, pour faire reculer l'insécurité, l'apport des municipalités et, plus généralement, des collectivités locales est indispensable, chacune opérant dans ses compétences propres.
Les polices municipales peuvent jouer un rôle utile dès lors que, depuis la loi de 1999, leur régime juridique est défini et leur action encadrée par des conventions avec l'Etat.
Les maires doivent être encore plus associés à la lutte contre la délinquance et l'insécurité. Les informer systématiquement et régulièrement sur les objectifs recherchés et sur les résultats obtenus par les services de police et de la gendarmerie nationale, recueillir leurs attentes, engager des actions avec des services municipaux, ce sont autant de modes de travail qu'il importe désormais d'organiser, de généraliser et de consacrer par la loi. Pour ma part, j'y suis prêt.
J'entends mobiliser les préfets sur cette question et préciser avec eux les modalités selon lesquelles les services de l'Etat - préfets, police, gendarmerie - doivent associer les maires à la mise en oeuvre de toutes les politiques touchant à la sécurité de proximité.
J'attends des maires, en contrepartie, qu'ils contribuent à cette politique en prenant les mesures qui relèvent de leur compétence, qu'ils s'associent à l'amélioration du cadre de vie par l'enlèvement des épaves, la réhabilitation ou la construction de logements sociaux, le soutien aux associations.
Il ne s'agit pas en effet de modifier les compétences des uns ou des autres ; il s'agit, c'est essentiel, de mieux travailler ensemble. Je suis ouvert à toute proposition qui viserait à enrichir ce texte ; j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant la commission des lois de votre assemblée. Mais l'ordonnance de 1945 et les compétences des maires sont les deux points sur lesquels je ne pourrais pas suivre la majorité du Sénat si celui-ci choisissait de s'engager dans cette voie.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est dommage !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Revenons au texte lui-même, tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale.
Tout ce qui contribue à la diffusion incontrôlée des armes contribue à la violence. Avec près de 4 000 morts par arme à feu en 2000, nous atteignons un niveau intolérable pour une société qui se veut civilisée. Permettez-moi à cette occasion, en tant que ministre de l'intérieur, d'avoir une pensée particulière pour les policiers victimes de cette violence.
Est-il admissible qu'un commerce puisse s'ouvrir n'importe où, que soient exposées à la vue d'un public déjà trop sollicité par des images violentes des armes à feu, qui constituent souvent le symbole même de cette violence, que des personnes perdent la vie faute de mesures destinées à mettre simplement les armes à l'abri d'une utilisation intempestive ?
Il est urgent de remédier à cela. C'est pourquoi le projet de loi prévoit un contrôle plus strict des ouvertures de locaux destinés au commerce de détail d'armes en créant un régime d'autorisation délivrée par le préfet au regard de la localisation du commerce et des mesures de sécurité prévues pour assurer sa protection.
La loi donnera aussi au préfet la possibilité de prendre une mesure de fermeture des magasins déjà installés, s'il apparaît que leur exploitation a été à l'origine de troubles répétés à l'ordre et à la sécurité publics ou que la protection contre les risques de vols ou d'intrusion est insuffisante.
La loi imposera que les transactions portant sur des armes ne puissent se faire que dans des magasins autorisés, ce qui conférera aux professionnels l'exclusivité du commerce d'armes neuves ou d'occasion. Les armuriers constitueront donc un relais incontournable entre vendeurs et acquéreurs et favoriseront, par leur expérience et leur compétence, le respect de règles de sécurité élémentaires.
L'Assemblée nationale a assoupli les dispositions relatives à la vente par correspondance des armes. Je souscris pleinement à cette proposition, qui permettra à des personnes à revenus parfois modestes, habitant souvent en milieu rural, de choisir et d'acquérir sur catalogue des armes qu'elles devront ensuite retirer dans un commerce autorisé.
M. Ladislas Poniatowski. A 100 kilomètres de chez elles, comme cela peut arriver !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur Poniatowski, vous êtes élu d'un département où s'est produit un drame, voilà peu.
M. Ladislas Poniatowski. Je le sais bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cela devrait nous engager, les uns et les autres, à la retenue. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Ladislas Poniatowski. Cela n'a rien à voir, monsieur le ministre ! Soyez sérieux !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je souscris également à la mesure adoptée par l'Assemblée nationale de saisie des armes de particuliers qui présentent un comportement dangereux.
Enfin, des mesures de sécurité, qui seront précisées par décret, accompagneront la détention des armes, afin de prévenir vols, accidents ou suicides : tout drame évité améliore la sécurité générale.
Le deuxième volet du projet de loi vise à rationaliser l'action de la police nationale en étendant les prérogatives de police judiciaire de ses agents, au moment même où leur présence sur le terrain est renforcée par la généralisation de la police de proximité.
L'attribution de la qualité d'agent de police judiciaire aux agents du corps de maîtrise et d'application, dès titularisation, procède du simple bon sens. Il s'agit de leur donner les moyens de mettre en application, sans délai, les connaissances qu'ils ont acquises durant leur formation. C'est la raison pour laquelle je souhaite que soit modifié l'article 20 du code de procédure pénale pour permettre à la police de disposer immédiatement de 9 500 agents de police judiciaire supplémentaires.
Dans le même esprit, le Gouvernement a, en outre, souhaité donner la qualité d'agent de police judiciaire aux adjoints de sécurité, en les mentionnant à l'article 21 du code de procédure pénale, comme le sont les gendarmes adjoints et les agents de police municipale. C'est, pour le Gouvernement, une façon de rendre hommage à la contribution essentielle qu'ils apportent au déploiement de la police de proximité et au renforcement du lien entre les citoyens et la police. C'est aussi une façon de renforcer les effectifs de police sur le terrain par l'apport de 16 000 adjoints de sécurité dotés de pouvoirs, certes limités, mais qui leur permettront d'accomplir des actes simples.
Je tiens à rassurer par avance ceux qui pourraient s'émouvoir de l'inexpérience de ces recrues. Bien évidemment, leur formation sera approfondie afin qu'ils soient en mesure d'assurer les missions, simples, je le répète, de police judiciaire qui pourront désormais leur être confiées, tout en étant toujours encadrés par un fonctionnaire titulaire.
C'est aussi pour rendre hommage au courage et au dévouement des adjoints de sécurité que je proposerai au Sénat de titulariser ceux qui seraient tués ou grièvement blessés en service, de façon à permettre à leur famille de bénéficier d'une prise en charge et d'un accompagnement adaptés. N'ajoutons pas un drame social à un drame familial !
Des amendements ont modifié plusieurs dispositions du code de la route. La liste des personnes habilitées à procéder au retrait du permis de conduire pour les grands excès de vitesse a été élargie.
La possibilité de procéder à des contrôles de l'usage de produits psychotropes dans le cas d'accidents de la circulation a été retenue ; je souhaite que votre assemblée donne à cet article un champ plus limité, faute de quoi il ne pourra s'appliquer.
Les conditions d'accès au fichier national des immatriculations pour les fonctionnaires des ministères de l'intérieur et de la défense ont été précisées.
Enfin, une procédure simplifiée d'enlèvement des épaves, sur la voie publique comme sur le domaine privé, a été adoptée. La présence d'épaves de véhicules contribue fortement à l'aspect dégradé de certains sites et avive le sentiment d'insécurité ; il n'est donc pas inutile de donner aux acteurs locaux, publics ou privés, les moyens d'y remédier.
Face à la forte augmentation des usages frauduleux de cartes de crédit et des infractions liées au commerce électronique, les textes en vigueur sont inadaptés : on peut réprimer la fraude, mais non les actes qui concourent à sa réalisation ; je pense notamment à la fabrication, la détention ou la mise à disposition de matériels destinés à la contrefaçon ou à la falsification.
Le projet de loi améliore sensiblement la sécurité des cartes de paiement. L'Assemblée nationale s'est, elle aussi, attachée à renforcer la protection des consommateurs.
Il arrive que le porteur légitime soit en possession de sa carte mais que les éléments nécessaires au paiement qui figurent sur celle-ci aient été dérobés et utilisés frauduleusement, voire largement diffusés. Il est donc nécessaire de compléter le code monétaire et financier pour que le porteur de la carte puisse faire opposition en cas d'utilisation frauduleuse de celle-ci.
Le texte donne à la Banque de France compétence pour s'assurer de la sécurité des instruments de paiement, adresser des recommandations et, le cas échéant, formuler un avis négatif.
Sur le plan répressif, la loi crée une nouvelle incrimination dans le code monétaire et financier de façon que toutes les fraudes répertoriées par les services répressifs soient susceptibles d'être poursuivies.
Le projet de loi améliore, par ailleurs, le dispositif qui concerne les animaux dangereux.
Le code rural prévoit déjà que, lorsqu'un animal est susceptible de constituer un danger, le maire peut adresser des prescriptions de sécurité à son maître, prendre une mesure de placement de l'animal et, au terme d'un délai de huit jours, ordonner son euthanasie.
Compte tenu des 21 232 infractions constatées durant l'année 2000, sachant que 682 personnes, dont 79 policiers, ont été victimes de morsures, il devenait urgent de permettre au maire, ou à défaut au préfet, de prendre, en cas de danger grave ou immédiat, des mesures d'urgence efficaces : placement immédiat et euthanasie à bref délai.
Là encore, c'est la sécurité de nos concitoyens qui est en jeu. On sait à quel point, dans certaines cités, les animaux dangereux peuvent constituer une menace ; on sait aussi que ces animaux sont souvent utilisés pour couvrir des trafics en tous genres. Je n'accepte ni cette menace, ni cette utilisation. Il ne saurait y avoir de zone de non-droit. Nous avons un devoir vis-à-vis de nos concitoyens.
Soucieux de tenir les engagements internationaux pris à Cahors, en présence du Président de la République, le Gouvernement a, par ailleurs, ajouté à ce projet de loi une disposition permettant de lutter contre l'immigration irrégulière en Grande-Bretagne, pour éviter qu'une filière d'immigration clandestine ne se constitue en utilisant les trains Eurostar. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : près de 7 000 personnes, représentant 25 % des entrées irrégulières en Grande-Bretagne, ont emprunté cette voie.
Le protocole additionnel au protocole de Sangatte, signé à Bruxelles le 30 mai 2000, ne résout pas à lui seul la question des passagers qui, munis d'un billet pour une gare française, notamment Calais, se rendent en fait en Grande-Bretagne.
Le projet de loi prévoit, en conséquence, la possibilité d'un contrôle frontalier, à l'embarquement en France, de tout passager empruntant un train à destination du Royaume-Uni. C'est une mesure simple, efficace et qui était souhaitée. De plus, cette mesure est conforme aux engagements pris au plus haut niveau, en présence de M. Tony Blair.
L'Assemblée nationale a ajouté à ces dispositions une mesure plus générale pour assurer la sécurité dans les transports publics en prévoyant l'encadrement des services de sécurité de la SNCF et de la RATP, mais aussi la possibilité de faire descendre du train des personnes dont le comportement porte atteinte à la sécurité des voyageurs.
Les députés ont également adopté un amendement permettant à la police municipale de pénétrer dans les parties communes des immeubles, à la demande du bailleur, à l'instar de ce qui existe déjà pour la police et la gendarmerie nationales. Cet article pourrait être complété, dans l'esprit de ce qui a été fait par votre commission des lois, par des dispositions donnant plus d'efficacité à l'intervention de la police.
Cette possibilité de faire appel aux services de police ne doit pas, toutefois, avoir pour conséquence de faire reposer sur les seules forces de l'ordre la charge d'assurer la tranquillité des parties communes des immeubles. C'est pourquoi il vous sera proposé que les bailleurs se voient imposer, en contrepartie, une obligation de réaliser les travaux qui contribuent à assurer la sécurité et la tranquillité de ces espaces.
L'Assemblée nationale a aussi adopté des dispositions permettant de lutter contre les risques résultant de l'organisation des rave-parties ; elles ont un caractère trop général...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... et je suis convaincu qu'ensemble nous pourrons trouver une rédaction satisfaisante, qui n'interdise pas cette forme d'expression musicale à laquelle les jeunes sont attachés, mais qui organise la sécurité des personnes, sur le plan sanitaire notamment, et qui assure le respect de la tranquillité publique et des propriétés.
J'ajoute que tout ce qui permet d'instaurer un dialogue entre les organisateurs et les autorités - et la procédure de déclaration fait partie de ces outils - favorise le bon déroulement des manifestations. Là aussi, la coproduction de sécurité est indispensable.
Le fichier des empreintes génétiques a été étendu à d'autres crimes que les crimes sexuels.
Parallèlement, un institut national de la police scientifique est créé, sous forme d'établissement public administratif, pour répondre à des observations de la Cour des comptes.
Afin de donner plus d'efficacité à l'action des services d'enquête, un amendement a modifié le livre des procédures fiscales pour permettre aux agents des services fiscaux de participer à des investigations dans les domaines de l'économie souterraine et des trafics locaux.
L'Assemblée nationale a, enfin, souhaité alourdir les sanctions frappant le proxénétisme. Parce que l'esclavage moderne et la traite des êtres humains contredisent toutes les valeurs de dignité et de liberté qui sont les nôtres et qu'en luttant contre cette forme de criminalité nous faisons progresser des droits essentiels, je suis particulièrement favorable à cette disposition.
Cette loi est nécessaire. Sans elle, la sécurité de nos concitoyens continuerait d'être menacée dans ce qui touche le plus à leur vie quotidienne : les cartes de paiement, les animaux dangereux, les armes, la circulation routière, les transports publics, les parties communes des immeubles, les épaves qui encombrent certains sites.
Mais la sécurité ne relève pas, pour l'essentiel, du domaine législatif. Elle requiert une mobilisation de l'ensemble de la société pour lutter, le plus en amont possible, contre les inégalités sociales, promouvoir le rôle et l'autorité des parents, de l'école, des élus, des organisations syndicales et professionnelles, des associations. Elle exige aussi des services de l'Etat qu'ils coordonnent mieux leur action, pour garantir la continuité et l'efficacité de la chaîne pénale.
Je compte sur les travaux accomplis par votre assemblée pour que nous puissions dire, à l'issue de cette discussion, qu'elle aura contribué à améliorer la qualité de vie de nos concitoyens, que la loi qui en résultera permettra de réduire, fût-ce un peu, l'injustice sociale parce qu'elle aura satisfait à l'exigence de sécurité et de tranquillité publiques.
L'insécurité constituant une injustice sociale, elle fragilise le pacte républicain, et la lutte contre ce fléau doit s'affirmer comme une priorité essentielle pour tous les responsables publics.
Le Gouvernement, sous l'autorité de Lionel Jospin, a pris et prendra ses responsabilités ; mais il faut aussi une mobilisation collective de toutes les forces de la nation pour assurer partout la sécurité. C'est le gage de la tranquillité pour tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne devons pas nous épuiser dans des discussions stériles où les arrière-pensées prennent le pas sur l'intérêt général. Il y va de la liberté, qui ne peut s'épanouir là où règne la loi du plus fort ; il y va de la cohésion nationale.
Un pacte comme notre pacte républicain ne peut être bâti que sur la confiance. C'est cette confiance des citoyens dans leur société, dans leurs institutions, dans la capacité de leurs responsables politiques à apporter des réponses concrètes aux difficultés concrètes qu'il nous faut, ensemble, restaurer. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la sécurité est un droit fondamental et l'une des conditions de l'exercice des libertés individuelles et collectives ». Vous aurez reconnu la première phrase de l'article 1er de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité qui a été votée en 1995.
Je constate d'ailleurs avec plaisir, monsieur le ministre, que le Gouvernement se réfère aujourd'hui volontiers à cette loi qui, pourtant, n'avait pas recueilli, lors de son adoption, un franc succès dans vos rangs.
M. Josselin de Rohan. A l'époque, ils taxaient notre démarche d'obsession sécuritaire !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. De fait, la sécurité est un droit fondamental. Or nos concitoyens n'en bénéficient pas tous aujourd'hui, malgré les affirmations de la loi.
En effet, le nombre de crimes et de délits progresse dans notre pays.
Ainsi, l'année 2000 a vu ce nombre augmenter de 5,72 %, soit la plus forte hausse depuis 1991. Après plusieurs années consécutives de baisse, entre 1994 et 1997, la délinquance est donc repartie à la hausse.
Le plus préoccupant, c'est que les infractions pénales sont de plus en plus violentes : les vols à main armée ont connu une recrudescence de plus de 15 % en 2000, tandis que les coups et blessures volontaires ou les vols avec violence sont en constante progression.
Face à cette situation, il faut bien le reconnaître, les moyens mis en oeuvre sont tout à fait insuffisants.
La politique de proximité, dont les principes sont directement issus de la loi d'orientation et de programmation de 1995, est une nécessité. Cependant, le Gouvernement n'a pas été en mesure de placer sur le terrain les moyens matériels et humains nécessaires à la réussite d'une telle politique. Pourtant, voilà maintenant quatre ans que la majorité actuelle est en place : il devient difficile d'invoquer l'héritage pour justifier l'insuffisance des moyens consacrés à la lutte contre l'insécurité.
Le constat est donc inquiétant. Il est temps d'agir. Le Gouvernement ne le nie d'ailleurs pas puisqu'il a jugé bon de déposer ce projet de loi sur la sécurité quotidienne.
Venons-en, précisément, à ce projet.
Au départ, le Gouvernement a choisi de traiter quatre thèmes : le contrôle du commerce des armes, les pouvoirs de police judiciaire, la lutte contre les fraudes aux cartes bancaires et le renforcement de la lutte contre les animaux dangereux, à quoi il faut ajouter ce qu'on peut appeler une « bizarrerie juridique », c'est-à-dire, en application du protocole de Sangatte, la possibilité donnée aux policiers britanniques d'effectuer des contrôles sur les trains au départ de la gare du Nord, à Paris.
C'est là un assemblage quelque peu disparate. Et l'Assemblée nationale a cru bon d'y ajouter, jugeant sans doute qu'il était très incomplet, quelque trente nouveaux articles, alors que le projet de loi initial en comportait seize. Les ajouts auxquels a procédé l'Assemblée nationale portent eux-mêmes sur les sujets les plus divers : sécurité routière, fichier d'empreintes génétiques, rave-parties, etc. Tout cela n'est évidemment pas de nature à conférer au texte une cohérence globale.
La commission des lois a examiné attentivement les différentes mesures proposées. Elle en a jugé beaucoup utiles ou nécessaires et les a donc approuvées.
Pour autant, nous devons vous faire part de notre perplexité, monsieur le ministre. Croyez-vous sincèrement que la sécurité progressera de manière sensible dans notre pays si l'on se contente de prévoir l'euthanasie des chiens méchants ou le contrôle de la vente des fusils de chasse ? Je vous le dis franchement, ce texte n'est pas à la mesure de son titre.
En vérité, votre projet de loi est critiquable non pas tant pour ce qu'il contient que pour ce qu'il ne contient pas. Car enfin, il occulte deux questions qui sont pourtant au coeur des préoccupations de nos concitoyens en matière de sécurité : je veux parler du rôle des collectivités locales et des pouvoirs du maire, d'une part, de la délinquance des mineurs, d'autre part.
D'ailleurs, le Gouvernement n'est pas parfaitement à l'aise sur ces questions puisque, tout en refusant de les aborder dans le projet de loi, curieusement, il vient d'adresser aux préfets et aux procureurs des circulaires qui portent précisément sur ces thèmes-là.
Le 3 mai, c'est vous-même, monsieur le ministre, qui écriviez aux préfets sur la nécessaire association des maires aux actions de sécurité. Le 9 mai - les dates sont intéressantes - c'est le ministre de la justice qui écrivait aux procureurs sur la mise en oeuvre de l'action publique. Ces circulaires portaient donc exactement, ou à peu de choses près, sur les sujets à propos desquels nous avions observé que le texte était muet.
Voilà cependant quatre ans que le Gouvernement envoie des circulaires aux procureurs sur les questions de sécurité sans que l'on ait constaté un effet significatif de ces recommandations sur le terrain.
Dans ces conditions, mes chers collègues, et malgré le temps dérisoire qui lui a été laissé, malgré la déclaration d'urgence qui, encore une fois, appauvrira le dialogue entre les assemblées et ne permettra pas d'affiner le texte, la commission des lois a souhaité faire quelques propositions fortes pour agir, enfin, avec efficacité contre l'insécurité dans notre pays.
Elle vous propose ainsi de compléter le projet de loi pour renforcer le rôle des maires, d'améliorer les réponses à la délinquance des mineurs, enfin, de compléter les moyens d'enquête à la disposition des forces de sécurité et de la justice.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, s'était inspiré, a-t-on pu lire dans l'exposé des motifs, du colloque de Villepinte. Nous nous sommes, nous, parallèlement, si je puis dire, inspirés des travaux approfondis qui ont été conduits en janvier dans le cadre des ateliers parlementaires pour l'alternance, travaux soutenus par l'ensemble des groupes parlementaires de l'opposition nationale, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Evoquons tout d'abord le rôle des maires.
Nous savons tous que le maire est l'interlocuteur privilégié sinon unique de la population lorsque celle-ci est confrontée à des problèmes de sécurité.
M. Gérard Larcher. Ah oui !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Pourtant, le maire est le plus souvent dépourvu de tout moyen d'action. Pis : il apprend, parfois par la presse, les crimes ou les délits commis sur le territoire de sa commune. Cette situation, chacun en conviendra, ne peut pas durer. Une véritable politique de sécurité et de proximité se doit de placer le maire au coeur des actions quotidiennes de prévention de la délinquance et de lutte contre l'insécurité.
Il ne suffit pas de proclamer que les maires doivent être associés à la politique de sécurité dans le cadre d'une « coproduction ». Voilà encore un terme à la mode, mais le festival de Cannes est terminé et il faut maintenant passer aux choses sérieuses !
Le renforcement nécessaire du rôle du maire passe à la fois par une meilleure information sur la délinquance dans sa commune et par un accroissement tant de ses pouvoirs que de ses moyens.
La commission des lois propose donc de renforcer l'information des maires en prévoyant l'obligation, pour le procureur de la République, de l'informer des crimes et délits commis sur le territoire de sa commune.
Elle souhaite également que le procureur indique au maire, sur la demande de ce dernier, les résultats auxquels ont abouti les plaintes formulées pour des infractions commises sur le territoire de sa commune et, le cas échéant, les raisons de leur classement sans suite.
Est-ce vraiment scandaleux, monsieur le ministre, de prévoir une telle information du maire ? Réfléchissez bien avant de vous opposer à ces amendements, qui ne portent en aucun cas atteinte au secret de l'enquête et de l'instruction puisque le procureur n'aura pas à envoyer les procès-verbaux ou les mains courantes.
La commission des lois propose également de renforcer les pouvoirs du maire, en premier lieu en lui permettant de se constituer partie civile pour les infractions intervenues sur la voie publique dans sa commune. Un nombre incalculable d'associations peuvent mettre en mouvement l'action publique, mais un maire ne le peut pas, même lorsque des faits graves surviennent dans sa commune. Cela n'est pas normal.
La commission souhaite en second lieu que le maire puisse prendre un arrêté réglementant la circulation, entre minuit et six heures du matin, des mineurs de moins de treize ans non accompagnés d'une personne responsable. Nous avons entendu voilà quelque temps d'étranges commentaires sur cette idée. Portons-nous pourtant vraiment atteinte aux libertés en prévoyant que des enfants de moins de treize ans doivent être raccompagnés chez eux lorsqu'ils circulent seuls entre minuit et six heures du matin ?
M. Serge Vinçon. Bravo !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Soyons sérieux : ce sont ces enfants eux-mêmes qui doivent être protégés.
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Enfin, nous estimons que les moyens donnés aux maires en matière de sécurité doivent être renforcés. Le maire devrait se voir reconnaître le pouvoir de faire appel aux forces de police étatisées dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de police.
La commission des lois vous invite donc, mes chers collègues, à renforcer l'information et les pouvoirs du maire, qui doit à tout prix être mieux associé à la politique de sécurité.
J'en viens à la délinquance des mineurs.
Là encore, le Gouvernement explique qu'il ne faut pas modifier la loi. M. le Premier ministre a pourtant livré cette réflexion à propos de la réforme de l'ordonnance de 1945 : « C'est un très grand texte, hérité de la Résistance, avec une philosophie particulière ; peut-être faudra-t-il le faire évoluer. Nous avons fait beaucoup de réformes ; nous verrons si celle-ci pourra être examinée plus tard. Je ne pense pas qu'elle le sera dans le cadre de cette législature. »
Le moins que l'on puisse dire, c'est que de tels propos peuvent susciter l'étonnement. S'il faut modifier l'ordonnance, pourquoi attendre une autre législature ?
On nous dit également qu'il ne s'agit plus d'une affaire de texte. Soit. Mais nous constatons que la délinquance des mineurs augmente et, surtout, qu'elle est de plus en plus violente. La semaine dernière se tenaient les états généraux des lycéens. On a appris à cette occasion que 45 % des lycéens seraient victimes de violences et que 77 % d'entre eux auraient été témoins d'actes de violence. Convenons tous ensemble que l'on ne peut accepter cette situation.
L'ordonnance de 1945 repose sur la primauté des mesures éducatives sur les mesures répressives. Nous ne souhaitons pas remettre cette primauté en cause. Néanmoins, nous sommes quelques-uns à souscrire à ces forts propos d'un membre éminent de la majorité - de votre majorité, monsieur le ministre - qui déclarait en 1999, alors qu'il était ministre de l'intérieur : « La prévention de la délinquance ne suffit pas à garantir la sécurité de tous. Celle-ci requiert aussi la dissuasion, qui est une forme particulière de la prévention - ce qu'on appelle traditionnellement la peur du gendarme - ; elle ne peut non plus se passer toujours de la sanction, c'est-à-dire de la répression. Il est absurde d'opposer la prévention et la sanction. Ce sont deux moments indispensables de la sécurité. »
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission des lois a donc voulu proposer quelques mesures propres à renforcer la sécurité sans remettre en cause l'équilibre de l'ordonnance de 1945.
Nous voulons punir plus sévèrement ceux qui utilisent des mineurs, parfois très jeunes, pour commettre leurs forfaits. Nous proposons donc de sanctionner la provocation d'un mineur à commettre un crime ou un délit et d'aggraver les peines encourues pour certaines infractions lorsqu'un majeur utilise un mineur pour agir.
Nous voulons aussi davantage responsabiliser les parents. Nous proposons donc, entre autres choses, que les juges des enfants puissent condamner à une amende les parents qui ne répondent pas à une convocation. Cette mesure, monsieur le ministre, je voudrais vous y rendre attentif, avait été proposée en 1998 par deux députés de la majorité dite « plurielle », Mme Lazerges et M. Balduyck. Je ne doute pas par conséquent que vous l'approuviez chaleureusement lorsque nous examinerons les amendements correspondants.
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Enfin, la commission suggère quelques aménagements à l'ordonnance de 1945.
D'abord, elle propose qu'une peine puisse être prononcée contre un mineur de dix à treize ans, à l'exclusion - j'y insiste, car, apparemment, certains n'avaient pas compris - de la détention.
Certains mineurs très jeunes sont déjà des récidivistes et les mesures éducatives sont sans effet aucun. Ces enfants ne rencontrent aucune résistance, que ce soit dans leur famille ou à l'école. Le passage devant le tribunal des enfants et le prononcé d'une peine - par exemple l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général ou toute autre peine qui reste à imaginer - peuvent être salutaires.
Vous ne pouvez pas ignorer, monsieur le ministre, que des enfants de moins de treize ans sont aujourd'hui utilisés pour commettre des infractions précisément parce qu'aucune sanction pénale ne peut leur être infligée. Et je répète que la mesure que nous préconisons ne conduira pas à jeter ces enfants en prison, comme certains voudraient le faire croire, puisque nous avons explicitement exclu les peines d'emprisonnement.
Nous proposons par ailleurs d'autoriser la détention provisoire pour les mineurs de treize à seize ans en matière correctionnelle, dans des cas très précis. Nous visons notamment ici le non-respect du contrôle judiciaire, mesure qui pourrait être très adaptée à la situation de certains mineurs, mais que les juges ne peuvent plus utiliser car ils n'ont aucun moyen de sanctionner son non-respect.
Nous souhaitons aussi que la victime soit mentionnée parmi les personnes pouvant assister aux audiences du tribunal pour enfants.
Il serait aussi utile que, dans certains cas, le procureur puisse renvoyer un mineur devant le tribunal pour enfants en suivant une procédure de rendez-vous judiciaire, c'est-à-dire une procédure plus rapide.
Telles sont quelques-unes des mesures que, parmi beaucoup d'autres, nous proposons.
Pour que la politique de prévention soit comprise par nos concitoyens, il faut aussi disposer d'instruments de sanction adaptés. Si nous laissons les choses en l'état, monsieur le ministre, la primauté des mesures éducatives sur les mesures répressives sera immanquablement remise en cause parce que nos concitoyens n'accepteront plus de voir des délinquants revenir immédiatement près de chez eux, ou chez eux, après leur arrestation.
La réflexion doit être poursuivie et je salue à cet égard la proposition de création d'une commission d'enquête formulée par les quatre présidents de groupes de la majorité sénatoriale. Une telle commission nous permettrait d'avoir une vision globale du sujet. C'est indispensable car les mesures que nous proposons doivent nécessairement s'accompagner d'un élargissement de la gamme des structures d'accueil des mineurs en difficultés, des mineurs en danger et des mineurs délinquants.
Nous proposerons aussi, monsieur le ministre, quelques dispositions pour renforcer l'efficacité de la procédure pénale.
Nous avions, chacun s'en souvient, fortement accru les droits des personnes mises en cause dans le cadre de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Nous devons, dans un même mouvement, veiller à ne pas affaiblir la répression des crimes et des délits dans notre pays.
La commission des lois propose ainsi de permettre à un témoin dont la sécurité est menacée de garder l'anonymat au cours d'une procédure pénale. Trop souvent, les auteurs d'infractions sont connus, mais ne peuvent être confondus, les témoins refusant de déposer par crainte de représailles. Nous voulons changer cette situation, et nous espérons l'appui du Gouvernement sur cet point.
Nous proposons aussi d'étendre le fichier des empreintes génétiques. Il apparaît clairement en effet que nous sommes en retard en matière de police scientifique.
Concernant les dispositions qui figurent déjà dans le projet de loi, la commission proposera quelques améliorations. Elle estime en particulier inutile l'interdiction d'acheter des armes par correspondance ou à distance. En outre, elle ne souhaite pas imposer de prescription de conservation pour les armes blanches. A vrai dire, on ne voit pas très bien ce qu'elle pourrait être.
Elle propose en revanche que la saisie administrative des armes pour danger immédiat soit automatiquement assortie d'une interdiction d'acquérir tout autre arme. Cela semble logique et nous ne comprenons pas que cette précision ait été omise.
La commission souhaite aussi que l'extension à de nouvelles personnes des missions de police judiciaire s'accompagne - vous l'avez dit, je le souligne - d'une formation appropriée explicitement mentionnée dans la loi.
Concernant la sécurité routière, la commission propose la suppression du retrait immédiat du permis de conduire en cas d'excès de vitesse de plus de 40 kilomètres à l'heure. Nous n'avons en effet aucun bilan du délit de grand excès de vitesse créé il y a deux ans et on nous demande déjà d'adopter une nouvelle mesure. En outre, on prévoit cette fois un seuil de 40 kilomètres à l'heure alors que, pour le délit, le seuil est de 50 kilomètres à l'heure. Comment voulez-vous que les automobilistes, voire les policiers et les gendarmes, s'y retrouvent ?
Nous proposons également un dispositif alternatif à celui qui a été voté par l'Assemblée nationale en matière de dépistage des stupéfiants, notamment pour permettre de sanctionner spécifiquement la conduite sous l'emprise de stupéfiants.
Concernant les cartes bancaires, la commission des lois souhaite que la nécessaire protection des titulaires de carte contre les fraudes ne tende pas à les déresponsabiliser et à nier que ceux-ci doivent prendre des précautions s'agissant de la garde de leur carte. La commission propose en conséquence de ne pas exonérer de leur responsabilité financière, en cas de vol, les personnes coupables de négligence fautive, non plus que celles qui auraient effectué une opposition apparaissant comme tardive compte tenu de leur habitude d'utilisation de la carte.
Nous aurons tout loisir d'examiner les autres propositions de la commission lors de la discussion des amendements. Telles sont, mes chers collègues, pour l'essentiel, ses conclusions.
Alors que s'ouvre l'examen du projet de loi, je veux croire, comme M. le ministre, que nous pourrons avoir un dialogue constructif, ouvert et approfondi avec le Gouvernement sur les propositions que nous formulons. La commission a elle-même fait preuve d'ouverture d'esprit en acceptant la plupart des dispositions du projet de loi. J'ose espérer aussi que nos propositions mesurées ne seront caricaturées par personne au cours du débat.
Monsieur le ministre, le projet de loi qui nous est soumis pourrait, si la contribution du Sénat était prise en compte, revêtir une incontestable utilité pour nos concitoyens. Acceptez donc que nous vous aidions à l'améliorer, conformément au principe - que je condamnais tout à l'heure seulement quant à son nom - de « coproduction » que vous évoquiez. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vallet, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'agissant du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, que nous examinions en nouvelle lecture, notre collègue Yann Gaillard avait employé le mot - qui nous avait fait particulièrement sourire - « tératologie », c'est-à-dire la science des monstres et des hybrides. Le présent projet de loi en constitue une nouvelle application.
Si le Gouvernement ne cède pas, pour une fois, au vertige des sigles et acronymes, le texte sobrement consacré à la « sécurité quotidienne » est bien - il faut le déplorer - un nouveau « fourre-tout législatif », qui nous conduit, sous couvert de cette « sécurité quotidienne », à embrasser d'un seul regard la lutte contre le développement des armes à feu, le renforcement nécessaire des prérogatives de police judiciaire de la police nationale, l'euthanasie des animaux dangereux et les responsabilités nouvelles des maires en ce domaine, la vérification des titres de circulation dans les trains internationaux ainsi que l'amélioration de la sécurité des cartes de paiement.
Ce sont ces dernières dispositions, qui ne sont pas les moins importantes, que j'ai l'honneur de rapporter, pour avis, au nom de la commission des finances, et sur lesquelles j'ai travaillé en très étroite concertation avec notre collègue ; Jean-Pierre Schosteck, dont nous venons d'entendre l'excellent rapport.
S'agissant de la fraude liée à l'utilisation des cartes bancaires, et en vous renvoyant pour le détail à mon rapport écrit, je dirai que la réponse apportée par le Gouvernement à ce phénomène en expansion réelle, quoique limitée, ne me semble pas à la hauteur de l'enjeu.
Il convient en effet de rappeler que la fraude sur les cartes bancaires, quelle qu'en soit la forme, lors du paiement dit « en face à face », lors de retraits aux distributeurs ou à l'occasion de paiements à distance, reste, quoi qu'on en dise, un phénomène très marginal. Selon les renseignements qui nous ont été fournis, il n'est tenu compte que des actes frauduleux commis après que les banques en sont informées. Ce qui s'est passé avant n'entre pas dans les statistiques.
Le taux global de fraude pour les cartes du groupement des cartes bancaires « CB » s'élève en 2000 à 0,023 %, soit 49 millions d'euros pour un total de 209,7 milliards d'euros. A ce titre, et malgré les inévitables problèmes méthodologiques de mesure, le taux de fraude constaté en France est faible par rapport à celui qui est enregistré à l'étranger : le rapport est en effet de un à vingt-deux, en raison du haut degré de sécurité des cartes bancaires françaises, grâce au système de la puce, et ce malgré quelques péripéties médiatiques récentes.
En tout état de cause, l'effort en faveur de la sécurité ne doit pas se relâcher et les émetteurs de cartes bancaires doivent y consacrer les moyens financiers nécessaires, notamment pour procéder à l'allongement des clés de codage, mais aussi et surtout pour sécuriser les terminaux de paiement et les distributeurs automatiques de billets. Monsieur le ministre, ce sont en effet ces distributeurs automatiques qui font l'objet du plus grand nombre d'actes de malveillance.
La commission mise en place par Mme Lebranchu a formulé un certain nombre de recommandations pour mieux sécuriser ces distributeurs. La participation financière qui serait demandée aux banques ne me semble pas excessive. Je souhaite vivement que vous puissiez étudier ces propositions et demander leur mise en place, en concertation avec le système bancaire.
Sur l'initiative de Mme Lebranchu, alors secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, un groupe de travail ad hoc avait été mis en place en avril 2000, regroupant l'ensemble des parties concernées : les émetteurs de cartes, les pouvoirs publics et les associations d'utilisateurs.
Ses conclusions ont été rendues dix mois après sa constitution et font preuve, selon nous, d'un grand pragmatisme. La quarantaine de recommandations ainsi formulées sont en effet classées par destinataire et par degré d'urgence, ce qui renforce d'autant leur caractère didactique.
Or, monsieur le ministre, dans votre projet de loi initial, celui que vous avez déposé à l'Assemblée nationale, vous n'avez défini que trois priorités. Nous avons été surpris que vous ne vouliez pas, une fois n'est pas coutume, vous immiscer dans les relations contractuelles entre les émetteurs de cartes et les titulaires de celles-ci.
Votre prudence, qui confine au minimalisme, a été battue en brèche par l'activité forcenée déployée par le député Jean-Pierre Brard, qui avait été chargé, en octobre 2000, par la commission des finances de l'Assemblée nationale, d'une mission d'information sur le sujet. C'est sur la base de ses travaux que le texte initial du projet de loi a été très largement modifié, pour ne pas dire dénaturé, par rapport à la pensée originelle du Gouvernement, par exemple en protégeant, parfois de façon excessive à nos yeux, les titulaires de carte.
Aussi, la commission des finances du Sénat, saisie pour avis de huit articles du présent projet de loi, n'a pas voulu s'immiscer dans les relations complexes qui unissent le Gouvernement à sa majorité. Elle a approuvé le renforcement des pouvoirs de la Banque de France en matière de sécurité des moyens de paiement. En revanche, elle a milité pour une approche plus équilibrée des relations entre les émetteurs et les porteurs de carte. Il convient ainsi de ne pas déresponsabiliser excessivement ces derniers au risque d'accroître, paradoxalement, les tentations de fraude. En outre, il faut éviter de remettre en cause le principe d'irrévocabilité de l'ordre de paiement.
De même, il nous a semblé indispensable de clarifier certaines rédactions ambiguës adoptées par l'Assemblée nationale et de faire figurer, par cohérence et dans un souci de logique, ces dispositions non pas dans le code de la consommation, mais dans le code monétaire et financier qui est entré en vigueur récemment.
Telles sont, mes chers collègues, les principales préconisations que j'ai l'honneur de vous présenter au nom de la commission des finances et sur lesquelles nous reviendrons lors de la discussion des articles.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler un regret : les conclusions de la commission qui a été mise en place par Mme Lebranchu n'ont pas été reprises dans le présent projet de loi. C'est pourquoi ce dernier nous semble incomplet et constitue un texte de circonstance visant à répondre à la va-vite à des préoccupations qui, pourtant, sont de plus en plus fortes chez nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, je débuterai mon intervention par une comparaison qui n'est en aucune manière désobligeante. Votre discours m'a fait penser à ce propos que l'on prête à Saint-Just et selon lequel le bonheur est une idée neuve en Europe.
Toute proportion gardée, j'ai un peu l'impression que la sécurité de nos concitoyens s'apparente, pour vous, à une préoccupation qui mériterait la même qualification. La sécurité n'est peut-être pas une idée neuve mais elle est, à tout le moins, un souci qui désormais vous préoccupe. Fini, disait votre estimé prédécesseur M. Jean-Pierre Chevènement, le temps de l'angélisme. Vous savez mieux que quiconque ce que le bon sens populaire dit de celui qui veut faire l'ange...
Vous avez, vous ou d'autres, fêté l'anniversaire de la venue de la gauche au pouvoir, voilà vingt ans. Au cours de ces vingt ans, la volonté démocratique du peuple français vous aura permis, pendant quatorze ans, d'exercer les plus hautes responsabilités de l'Etat.
Pendant ces vingt années ou ces quatorze années, qu'avez-vous fait pour protéger la sécurité de nos concitoyens. Dans le droit-fil de ce que vous avez fait ou de ce que vous n'avez pas fait, que voulez-vous faire aujourd'hui ?
En examinant les vingt années qui s'achèvent et les quatorze années pendant lequelles vous avez eu le pouvoir, je pense que l'on peut qualifier votre action et, par là même, votre conception de la sécurité.
Lorsque nous nous inquiétions d'une certaine inaction de votre part et quand nous faisions des propositions, nous avions droit, nous nous en souvenons, aux réserves, publiquement exprimées, du président de la République d'alors. Nous avions droit aussi, s'agissant des textes que nous présentions, à des motions tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, fortement argumentées, déposées par le président Estier et défendues avec talent par les membres de son groupe. Nous avions droit, enfin, et M. Jean-Pierre Schosteck l'a rappelé dans son excellent propos, aux protestations les plus véhémentes jamais entendues. Certains maires avaient décidé de faire raccompagner chez eux les petits garçons ou les petites filles de douze ans si on les trouvait seuls dans la rue. Cette mesure fut qualifiée de « démarche épouvantable »,...
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... par quelqu'un qui a maintenant la responsabilité de la famille et qui se révoltait que l'on étende « aux enfants la réglementation concernant les ramassages des chiens errants dans la rue ».
M. Josselin de Rohan. C'était il y a quatre ans !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. L'insécurité n'a fait, hélas ! que croître depuis.
Certes, un gouvernement, quel qu'il soit, n'est jamais seul totalement responsable, mais votre prise de conscience est à tout le moins tardive, et le vote de nombre de nos concitoyens lors des récentes élections municipales vous aura peut-être aidés.
Madame la garde des sceaux se déclare contre les bandes et vous appelle, monsieur le ministre, à une mobilisation collective. Et vous dites que la gauche - vous en apportez sans doute la preuve - est la mieux à même d'apporter une réponse globale qui soit à la fois policière, judiciaire et morale.
M. François Marc. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Ils sont modestes !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. J'ai dit : « sociale », et non morale !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. En effet. Vous n'êtes pas moral, vous êtes social. (Sourires.) Soit !
M. Ladislas Poniatowski. Mais vous n'êtes pas amoral !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il m'arrive aussi de respecter la morale !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je ne suis pas asocial et vous n'êtes pas amoral. (Nouveaux sourires.) Aussi, restons-en là !
Qu'est-ce que la sécurité ? Ce sont des choses simples. C'est ne pas craindre, lorsqu'on est collégien ou lycéen, de se faire systématiquement racketter à l'entrée du collège ou du lycée.
M. Jean-Jacques Hyest. Quand ce n'est pas au sein même de l'établissement !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. C'est ne pas craindre, quand on est une jeune fille de banlieue, d'être entraînée dans ce que l'on appelle - le mot est affreux - une « tournante » et qui n'est qu'un viol collectif.
C'est ne pas craindre, lorsqu'on est âgé, de prendre un train ou un métro à une heure tardive.
C'est ne pas se contenter de changer de vocabulaire pour gommer la gravité des actes commis en appelant « incivilité » ce qui n'est qu'un vulgaire délit...
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... relevant du code pénal, et que l'on se permet ainsi de retirer des statistiques déjà suffisamment préoccupantes.
Je ne reprendrai pas - il me faudrait tout redire - la formulation percutante qui a permis à notre ami Jean-Pierre Schosteck de qualifier votre texte. Au regard des problèmes posés, des voitures qui brûlent, des bandes qui envahissent le parvis de la Défense, de la véritable criminalité qui est, hélas ! le fait de délinquants de plus en plus jeunes, vous nous proposez des mesures relatives aux cartes de crédit, aux chiens méchants et aux fusils de chasse. (M. de Rohan sourit.) Vous comprendrez que nous puissions les juger insuffisantes et ne pas nous contenter de les adopter sans essayer de les étoffer pour appréhender plus globalement la réponse attendue par nos concitoyens.
Peut-être nous direz-vous, une fois de plus, qu'il faut attendre, attendre un autre projet de loi, attendre une autre échéance électorale.
Certaines de vos propositions ont été acceptées, et d'autres, non.
A cet égard, je voudrais indiquer que, ce matin, j'ai donné connaissance à la commission des lois - il me paraissait en effet nécessaire de le faire - de la lettre personnelle que m'avait adressée M. Gayssot, lettre dans laquelle M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement plaidait en faveur d'un assouplissement des retraits de permis de conduire en cas de délit de grande vitesse.
Votre projet de loi n'est pas inutile ; nous pensons qu'il est insuffisant, et nous l'avons en quelque sorte nourri : nous nous sommes inspirés largement des travaux - vous en connaissez l'origine - qui permettront de faire connaître à l'opinion publique ce qu'est notre conception de la sécurité et des projets qu'en tout état de cause nous souhaiterions le jour venu mettre en application.
C'est dans cette ligne de pensée que nous avons voulu donner aux maires les moyens de devenir des agents essentiels, par la responsabilité qui est la leur, de la sécurité de leurs concitoyens.
Nous avons voulu aussi, par les mesures proposées, montrer que la délinquance de mineurs de plus en plus jeunes devait aussi être combattue, et qu'il fallait souligner et rappeler le rôle des parents dans la lutte à engager.
Monsieur le ministre, à notre tour, nous n'allons pas sacrifier à un angélisme qui, en la matière, n'a jamais inspiré notre comportement. Nous savons la difficulté de la tâche à accomplir.
Vous aurez notre soutien si vous savez notamment donner à l'administration, à la justice, les directives nécessaires pour qu'à tout le moins les lois déjà en vigueur - et j'ai cru que vous aviez découvert que l'ordonnance de 1945 devait être mieux appliquée qu'elle ne l'est de nos jours... - soient appliquées et que les moyens matériels soient enfin réunis.
Nous voudrions que la lutte pour la sécurité soit une cause qui nous serait commune, car c'est un problème de société.
Je vous demande en conclusion de vous livrer à une sorte d'introspection, non pas pour vous interroger sur le passé, mais pour parvenir à apporter à nos concitoyens une réponse efficace et réelle à ce qui est devenu leur préoccupation essentielle. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents de ce matin, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 69 minutes ;
Groupe socialiste, 57 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 43 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 40 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 28 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 24 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la tension monte dans les cités », « l'inacceptable engrenage des mortels affrontements de bandes », « violée à douze ans sur ordre de trois collégiennes », « 45 % des lycéens victimes de violences », voilà quelques-uns des titres de la presse de ces trois derniers jours.
Il ne s'agit donc nullement de fantasmes liées aux divagations de quelques élus de droite sombrant dans la démagogie ou la volonté délibérée de faire peur par tentation sécuritaire.
Il est vrai que, depuis quelques années, la gauche semble essayer de faire sa révolution culturelle, en admettant que l'insécurité était une vraie préoccupation quotidienne pour tous nos concitoyens.
Encore faut-il passer du discours à l'acte et ne pas décevoir toutes celles et tous ceux qui, dans notre pays, veulent pouvoir vivre et circuler en paix.
Chacun le sait et le ressent, monsieur le ministre, il y a, d'une part, les chiffres de la délinquance et, d'autre part, le sentiment d'insécurité qui va souvent indépendamment des courbes statistiques.
Mais cette sûreté, cette sécurité physique des personnes et des biens est la première obligation de l'Etat dans le cadre régalien, car il ne s'agit ni plus ni moins que d'assurer la paix intérieure. Le Petit Larousse illustré définit ainsi la sécurité : « situation dans laquelle quelqu'un, quelque chose n'est exposé à aucun danger, à aucun risque d'agression physique, d'accident, de vol, de détérioration ». Franchement, Le Petit Larousse illustré va avoir du mal à circuler dans la République française, tellement nous sommes loin de cette situation !
Nous pouvions donc légitimement espérer que le Gouvernement allait agir contre la délinquance et les violences qui n'ont cessé de croître depuis plusieurs années, au point de se banaliser et de polluer quotidiennement la vie de nos concitoyens.
Nous pouvions légitimement imaginer qu'une réponse ferme serait apportée aux phénomènes de bandes armées en milieu urbain. Nous pouvions légitimement penser que le Gouvernement allait tout mettre en oeuvre pour lutter efficacement contre les trafics des économies souterraines, contre les agressions de voyageurs dans les transports en commun ou contre les rackets et les actes de délinquance dans les établissements scolaires. Bref, nous pouvions attendre, à gauche comme à droite, les premières mesures, les premiers signes forts de la fameuse « tolérance zéro », seule véritable réponse à l'incivilité qui s'accroît, aux « sauvageons » qui se multiplient et aux agressions en forte augmentation.
Malheureusement, en lieu et place de ce grand projet que nous attendions, nous n'avons aujourd'hui qu'un catalogue de mesures, certes utiles, mais sans grande ligne directrice.
La semaine prochaine, le Sénat aura l'immense bonheur d'étudier un projet de loi portant DDOSEC, ou diverses propositions d'ordre social, éducatif et culturel.
Monsieur le ministre, le texte que nous examinons aujourd'hui pourrait aussi être qualifié de « projet de loi portant DDOSEC », tant les diverses dispositions relatives à la sécurité qu'il comporte n'ont pas de cohérence entre elles !
Ainsi, le chapitre Ier traite du commerce des armes, les chapitres suivants abordent les questions de la qualification d'agent de police judiciaire des gardiens de la paix et des adjoints de sécurité, de la sécurité des cartes de paiement, des animaux dangereux et de la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni ! De nouveaux articles ont d'ailleurs été greffés par l'Assemblée nationale, notamment l'article 17, qui est en lui-même très poétique dans la mesure où il rappelle que le devoir de l'Etat est de veiller, « sur l'ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leurs biens... » Heureux article qui en dit long sur le fait que l'on n'en était plus très sûr !
Il est aussi question, dans cet inventaire à la Prévert, de la place du maire dans le dispositif local de sécurité, de dispositions relatives au code de la route, de l'immatriculation des deux roues, d'un fichier national des empreintes génétiques, de la création d'un institut national de police scientifique, des forces de sécurité interne, du « règlement intérieur » des entreprises de transports collectifs, sans compter les mesures concernant les rave-parties .
Bref, mes chers collègues, ce projet permet certes d'actualiser certaines dispositions, mais il apparaît d'abord - permettez-moi de l'indiquer - comme une réponse à de nombreux reportages télévisés de ces derniers mois. Est-ce réellement là le texte qu'attendaient l'ensemble des Français sur le développement de la sécurité ? Est-ce vraiment là l'amorce d'une vraie politique permettant de restaurer la confiance des Français ?
Monsieur le ministre, je vous ai écouté vous exprimer à plusieurs reprises ailleurs que dans cette enceinte, et les déclarations que vous avez alors faites me paraissaient beaucoup plus conformes que ce texte-là aux attentes des Français.
Je suis de ceux - et nous sommes nombreux ici - qui considèrent depuis des années qu'il ne peut y avoir de fracture politique dans les propositions concernant le quotidien de chacun d'entre nous. Nous pouvons, chacun de notre côté, proposer des projets de sociétés différents. Mais nos compatriotes veulent choisir dans la sérénité et non dans l'inquiétude ou la crainte.
Pourtant, force est de constater que la législation actuelle en matière de sécurité souffre de nombreuses carences et de lourdes insuffisances. Il suffit pour cela d'observer la situation actuelle, qui est la meilleure démonstration de l'échec de la politique conduite.
Depuis de nombreuses années, en période de récession comme en période de croissance, que le Gouvernement soit de droite ou de gauche, l'insécurité n'a cessé de croître dans notre pays : de 1963 à 1993, le nombre de crimes et de délits constatés a été multiplié par sept.
Deux exceptions dans cet ensemble sont tout de même apportées à ce préoccupant constat. A deux reprises seulement, de 1985 à 1988 et de 1994 à 1997, le trend ascendant du nombre de faits délictueux enregistrés s'est inversé : moins 6,5 % en 1995, moins 2,9 % en 1996 et moins 1,9 % en 1997. Sans établir de corrélation hasardeuse, vous me permettrez de dire que cela correspond à peu près aux périodes où la droite était au pouvoir et où la majorité plurielle siégeait sur les travées de l'opposition.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La pire année a été 1994 !
M. Roger Karoutchi. Depuis 1997, la progression des crimes et délits s'est engagée à nouveau dans un cycle inquiétant de croissance : comme le disait tout à l'heure le rapporteur Jean-Pierre Schosteck, l'augmentation a été de 5,72 % en 2000, soit près de 3,8 millions de faits délictueux enregistrés par les forces de l'ordre.
Ce sont là des chiffres globaux, me direz-vous. Mais un examen en détail n'est pas très rassurant non plus : pour la seule année 2000, la progression a été de 14 % pour les vols à main armée, de 15,7 % pour les vols avec violence, de 10,7 % pour les homicides, de 11,8 % pour les coups et blessures volontaires ; cela signifie que les agressions les plus dures, les plus brutales et les plus terribles pour nos concitoyens sont celles qui connaissent la croissance la plus rapide.
J'évoquerai un dernier chiffre - j'arrêterai ensuite, car je sais bien que citer des statistiques ne suffit pas : il faut ensuite les moyens de les analyser -, à savoir le nombre de voitures brûlées, soit 15 000 au cours de l'année 2000 : reconnaissez, monsieur le ministre, que c'est beaucoup ! Je sais que, ici ou là, on peut toujours trouver des explications. J'ai même entendu l'un de vos amis politiques déclarer qu'il était miraculeux que, à Strasbourg, le phénomène ait été moins important à Noël 2000 qu'au Noël précédent. Mais à ce niveau-là, quand 80 ou 100 véhicules sont brûlés au lieu de 120, peut-on vraiment dire que la situation s'améliore ? Je ne le crois pas !
M. François Autain. Cela va changer, maintenant que la droite est à Strasbourg !
M. Roger Karoutchi. Maintenant, oui !
J'ajoute que ces chiffres ne tiennent pas compte de l'écart considérable que tous les experts s'accordent à reconnaître entre les statistiques et la réalité des phénomènes délictueux, et ce pour plusieurs raisons : elles ne tiennent compte en effet ni des contraventions, infractions les moins sanctionnées et, par conséquent, les plus fréquentes, ni des relevés de mains courantes.
Par ailleurs - vous le savez bien, monsieur le ministre - le faible taux d'élucidation d'un certain type de délits décourage des victimes, qui craignent par ailleurs d'éventuelles représailles, de porter plainte. Par conséquent, ces victimes ne sont naturellement pas décomptées dans les statistiques.
Monsieur le ministre, comme vous en convenez vous-même, le bilan statistique en matière de sécurité est alarmant et constitue une interpellation. Derrière ces simples chiffres se cachent des phénomènes nouveaux.
Tout d'abord, les actes de violences ne sont plus, aujourd'hui, cantonnés au seul milieu urbain ; l'ensemble du territoire est touché, y compris le milieu rural, qui, jusqu'à ces dernières années, était relativement épargné. Les équipements scolaires ou sportifs sont de plus en plus concernés et sont devenus, au fil du temps, le théâtre de violences, de rackets et de trafics en tous genres. On a beaucoup voulu que l'école s'inspire de la rue : c'est finalement la rue, dans le pire sens du terme, qui envahit l'école. Les élèves et les enseignants de nombreux établissements ont dû se résoudre à vivre les insultes, les agressions, les menaces de mort. Est-ce tolérable ?
Même chose dans les transports en commun - notamment en Ile-de-France, j'aurai l'occasion d'y revenir - où l'on ne peut que constater, année après année, la dégradation : outre la forte progression des agressions de voyageurs et de conducteurs, chacun a pu noter la multiplication, ces dernières années, des actes d'incivilité et de vandalisme - graffitis, tags, lacérations de sièges - qui rend la vie quotidienne des citoyens de plus en plus difficile.
Dans nos villes s'érigent aujourd'hui de véritables cités interdites, où tout ce qui s'apparente, de près ou de loin, à de l'institutionnel - pompiers, professionnels de santé, entreprises publiques de service et même forces de police - hésite à pénétrer, comme en témoignent encore les incidents du week-end dernier à Sartrouville, où des véhicules de La Poste ont été incendiés, sans raison.
Ces quartiers sont devenus le lieu d'affrontements de bandes rivales composées de jeunes sans repère, pour la plupart mineurs, qui, au premier incident, aussi anodin soit-il, s'arment de barres de fer, de battes de base-ball, de couteaux ou autres pour tomber dans une violence aveugle.
Dans cette guerre des bandes - on estime leur nombre à quatre-vingts rien que pour la région d'Ile-de-France - l'élément déclencheur est bien souvent inconnu. L'objectif est simplement la défense ou l'extension du territoire contrôlé par la bande en question. C'est ce qui s'est passé le 27 janvier dernier, à la Défense, avec les jeunes du Val-Fourré et ceux de Chanteloup-les-Vignes.
Je note, d'ailleurs, monsieur le ministre, que les critères retenus dans votre texte pour autoriser ou refuser l'ouverture d'un commerce d'armes vous conduisent, sinon réellement du moins pratiquement, à reconnaître qu'il y a dans notre pays, dans certains quartiers, des zones de non-droit et qu'elles se développent.
Mes chers collègues, l'enjeu de ce texte est essentiel. L'Etat doit mettre en oeuvre une politique audacieuse et cohérente pour restaurer l'ordre public et la sécurité dans chaque région, chaque commune, chaque quartier de France.
L'Etat doit répondre - vous avez raison sur ce point, monsieur le ministre - à cette injustice sociale qu'est l'insécurité et rétablir notre principe fondamental d'égalité des chances, bafoué par le caractère inégalitaire de l'insécurité, qui frappe d'abord les plus démunis de nos concitoyens.
Je ne conteste pas que certaines mesures proposées vont dans le bon sens, M. le rapporteur l'a dit tout à l'heure. Mais cela reste très insuffisant par rapport aux attentes.
A nouvelles formes de délinquance, réponses nouvelles. Cela passe tout d'abord, chacun le sait, chacun le dit, par une meilleure coordination entre les différents acteurs de la sécurité et de la cohésion sociale.
Comment peut-on sérieusement lutter contre la délinquance lorsque nos forces sont aussi dispersées et cloisonnées ? Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer notre organisation administrative au sommet de l'Etat : la gendarmerie dépend du ministère de la défense, les douanes du budget et la police de l'intérieur. S'ajoutent à cela les services de la politique éducative et judiciaire, qui dépendent naturellement d'autres ministères.
Cette coordination passe également - la majorité sénatoriale y tient beaucoup - par un renforcement du rôle des maires, qui doivent impérativement devenir des acteurs de l'élaboration, de la mise en oeuvre et du contrôle de la politique de sécurité. Ils doivent être informés régulièrement, associés et consultés par l'intermédiaire, notamment, d'un conseil de sécurité au niveau communal ou intercommunal.
Monsieur le ministre, on l'a rappelé tout à l'heure, vous avez adressé une circulaire aux préfets leur demandant de mettre en place des mesures pour « mieux associer les maires » à la lutte contre l'insécurité. Reconnaissez que, si c'est un premier pas, cela reste très insuffisant.
En effet, cela revient à réduire la place du maire à celle d'un partenaire de l'amont, quand vous parlez « de définition des actions de prévention » et d'un partenaire de l'aval, lorsqu'« il sera informé régulièrement des résultats obtenus ».
En réalité, le souhait d'un grand nombre de maires est de devenir non pas des shérifs, mais des partenaires à part entière, des éléments centraux dans l'action quotidienne contre la délinquance.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il y a les contrats locaux de sécurité !
M. Roger Karoutchi. Vous avez raison de me faire remarquer l'existence des contrats locaux de sécurité. Mais ceux-ci, s'ils ont une action directe sur ce que peut être la sécurité dans les communes, renforcent relativement peu la coordination autour du maire.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. La possibilité de créer, à titre expérimental, une police territoriale de proximité sous le contrôle de l'Etat et du procureur de la République doit être donnée au maire.
Cette police de proximité traiterait exclusivement de la petite délinquance et permettrait un recentrage de la police nationale sur ses véritables tâches : maintien de l'ordre public et lutte contre la grande délinquance.
En effet, la police nationale, pour faire face à l'évolution de la société et à l'apparition de phénomènes nouveaux, doit voir ses effectifs et ses moyens très nettement renforcés.
On me permettra de faire deux citations, l'une émanant de votre camp, monsieur le ministre, une autre plus littéraire pour montrer que je ne lis tout de même pas que les auteurs de gauche ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. C'est dommage !
M. Roger Karoutchi. Certes !
Je cite donc d'abord l'un de vos amis, monsieur le ministre : « Aujourd'hui, en matière de sécurité, tout le monde a tendance à se refiler la patate chaude. Le débat philosophique droite-gauche ou répression-prévention, je m'en fous ! Ce qui compte, ce sont les moyens humains et matériels qu'on y met. » Je vous rassure, monsieur le ministre, cette belle phrase n'est pas de moi, je ne me permettrais pas de parler sur ce ton. Elle est de Julien Dray, député socialiste de l'Essonne.
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas très littéraire !
M. Roger Karoutchi. Pour faire plus littéraire, je vais citer, avec la permission de mon président de groupe, Alexandre Dumas père. Vous y serez sensible, monsieur le ministre, car c'était dans Les Mohicans de Paris. Il affirmait : « Un pays sans police est un grand navire sans boussole et sans gouvernail. » Voilà qui pousse à en créer une, ou du moins à la développer !
Les objectifs que vous vous fixez en matière de recrutement, s'ils sont louables, sont très insuffisants. Ainsi, sur la période 2000-2005, sont prévus vingt mille départs à la retraite dans la police nationale. S'ajoutent à cela les effets des trente-cinq heures et le sort réservé aux vingt mille adjoints de sécurité.
Il nous faut donc recruter massivement des policiers, qui devront suivre une formation de départ soutenue, exhaustive et concrète, accompagnée d'une formation continue plus fouillée, en adéquation avec les nouvelles formes de délinquance.
Les moyens matériels - Julien Dray a raison - devront être accrus : achèvement du réseau ACROPOL d'ici à 2003, modernisation et construction de commissariats, renouvellement accéléré du parc automobile, amélioration de l'équipement informatique, tous domaines, monsieur le ministre, dans lesquels les collectivités locales pourraient être sollicitées, mais aussi, en parallèle, revalorisation du corps des officiers, attribution de primes ou bonus, qui remplaceraient les primes actuelles de fidélisation pour ceux qui exercent leur activité dans les quartiers difficiles.
L'efficacité opérationnelle et l'optimisation des affectations devront également être recherchées, ce qui suppose notamment - tout le monde le dit, vous le premier - la suppression des tâches indues, la réduction du nombre de gardes statiques et le recrutement d'agents administratifs.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce que permet la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, la LOPS.
M. Roger Karoutchi. Ces mesures permettront aux policiers de revenir massivement sur le terrain et d'accomplir ainsi leur première mission, celle d'assurer l'ordre public.
Cet ordre public est également remis en cause, vous le savez, monsieur le ministre, par le profil de plus en plus jeune des délinquants et leur caractère multirécidiviste.
Je rappellerai simplement deux chiffres : 50 % des violences urbaines et 25 % de l'ensemble des crimes et délits sont aujourd'hui commis par des mineurs. Cette délinquance juvénile est d'autant plus préoccupante qu'elle s'accompagne d'une extrême violence.
Pour cette raison, il importe de punir toute infraction, quelle qu'elle soit, proportionnellement à sa gravité.
M. Schosteck a bien fait de répondre tout à l'heure à ceux qui nous reprochent de vouloir envoyer quasiment des gamins en prison. Jamais la majorité sénatoriale n'a dit cela ! Jamais les élus de notre camp n'ont tenu de tels propos !
Nous proposons simplement de remplacer la procédure de comparution à délai rapproché, procédure très lourde et donc peu utilisée, par une saisine directe du tribunal pour mineurs par le parquet lorsque le mineur a déjà commis d'autres infractions.
La réponse doit donc être systématique et prompte dès la première infraction, ce qui revient à appliquer le principe de la « tolérance zéro ». Il s'agit non pas de mener une politique du tout répressif, une politique ultra-sécuritaire, mais simplement de traiter le mal à la racine en alliant prévention et répression.
Pour y parvenir, il faudra mettre à la disposition du pouvoir judiciaire un large éventail de sanctions, allant de l'éducatif au répressif, de manière à apporter la réponse la plus adaptée à l'infraction commise.
Pour ce faire, il est souhaitable naturellement, on l'a dit, d'accroître le recours aux travaux d'intérêt général, qui responsabilise le mineur et évite l'incarcération.
Dans le même temps, il est opportun de généraliser et d'améliorer le principe des classes-relais, mis en place par les conseils généraux et qui permet d'apporter une solution aux mineurs en rupture avec le système scolaire.
Pour les plus violents - nous savons tous que, dans nos banlieues, dans nos cités, nous avons malheureusement des mineurs très violents dont plus personne, la police la première, ne sait que faire - le concept d'internat combinant enseignement et encadrement renforcé doit voir le jour. Nous avons soutenu la création - vous y avez fait allusion tout à l'heure, monsieur le ministre - des centres de placement immédiat, les CPI, et des centres à encadrement renforcé, les CER, mais 35 CPI et 26 CER, vous le savez, c'est aujourd'hui très insuffisant pour accueillir les mineurs multirécidivistes.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Nous en avons créé huit !
M. Roger Karoutchi. Les chiffres annoncés pour 2001 - vous voyez que je vous réponds immédiatement - sont encore nettement insuffisants. Il convient donc de lancer dès aujourd'hui un grand plan de construction visant au minimum à doubler le nombre d'établissements.
Au sein de ces établissements, il convient d'assurer la réinsertion des délinquants par un accès plus large à la formation, par de l'instruction civique - expression que l'on pourrait considérer comme ne devant plus être bannie de cette République - au besoin en y associant les parents.
En parallèle, il paraît incontournable d'alourdir les peines prononcées à l'encontre des majeurs qui profitent de l'impunité pénale des mineurs et les utilisent pour se livrer à toutes sortes de trafics et violences.
Pour conclure, monsieur le ministre, je dois vous exprimer mon regret concernant les mesures relatives aux transports publics proposées par l'Assemblée nationale et qui ne figuraient d'ailleurs pas dans le projet gouvernemental. Si ces mesures vont dans le bon sens - je le reconnais - elles doivent être transitoires et permettre dès maintenant le lancement d'une vaste réflexion sur la mise en place de services de sécurité propres aux transports en commun.
On m'objecte régulièrement que les transports publics d'Ile-de-France sont très spécifiques, qu'ils sont d'une densité telle que ce n'est pas transférable ailleurs. Je n'en suis pas certain. Je ne suis pas certain qu'il ne faudra pas, à terme, arriver à une vraie force de sécurité dans les transports publics, compte tenu du déplacement des bandes et de la constante augmentation du nombre d'agressions de voyageurs.
Je citerai deux chiffres : en Ile-de-France, région pour laquelle nous avons le plus de statistiques, sur le seul réseau SNCF, le nombre d'agressions contre les voyageurs entre 1990 et 2000 - en dix ans ! - a augmenté de 400 %, tandis que le nombre d'agressions contre les agents de la SNCF s'accroissait, dans le même temps, de 100 %.
Très franchement, combien de temps allons-nous continuer ainsi ? Combien de temps allons-nous dire aux douze millions de Franciliens de prendre le métro, le RER ou le train de banlieue à leurs risques et périls parce que les forces de sécurité sont dispersées ?
Il y a les forces de sécurité de la RATP, celles de la SNCF, les effectifs qui dépendent du préfet de police, ceux qui relèvent du ministère de l'intérieur, la gendarmerie, la police de l'air et des frontières, les douanes : tout le monde peut faire de la sécurité dans les transports publics ; il n'y a pas de force unique de coordination.
Le résultat, c'est que l'efficacité est restreinte. Le système, trop dispersé, ne permet pas d'assurer une sécurité totale et cohérente. A cet égard, je n'insiste pas sur les incidents de la Défense, que j'évoquais tout à l'heure et qui sont révélateurs de ces dysfonctionnements.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi manque incontestablement d'ambition à un moment où il serait primordial d'en avoir. C'est pourquoi notre groupe votera tous les amendements proposés par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois.
Aujourd'hui, la délinquance est de plus en plus précoce, de plus en plus violente ; elle impose, monsieur le ministre, une prise en compte immédiate des légitimes et vitales aspirations de nos concitoyens en matière de qualité de vie et de sécurité.
Au cours de la campagne qui a précédé les dernières élections cantonales et municipales, vous avez vous-même tenu à Paris, où vous êtes élu, monsieur le ministre, des propos qui allaient dans ce sens. Alors, très franchement, pour faire plaisir non pas à la majorité sénatoriale mais à tous nos concitoyens, traduisez dans les textes ce que parfois vous affirmez être l'inquiétude de tous les Français, (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis toujours inquiet quand je lis désormais les intitulés des propositions de loi ou des projets de loi, car les titres semblent toujours plus importants que leur contenu, et l'enflure du verbe est en proportion inverse de la modestie de la question réellement traitée : hier, la « modernisation sociale », demain, paraît-il, la « démocratie de proximité » ; aujourd'hui la « sécurité quotidienne » !
De surcroît, quand un texte finit par comporter plusieurs dizaines d'articles, il devient forcément important, même s'il ne s'agit, en fait, que de mesures ponctuelles venant se greffer parfois sur des textes récents dont on n'a pas encore eu l'occasion d'évaluer la pertinence et l'efficacité.
Certes, monsieur le ministre, le modeste projet de loi initial, en ses seize articles, était essentiellement la traduction législative nécessaire des conclusions du conseil de sécurité intérieure, le reste étant constitué de mesures d'ordre organisationnel. Mais cela n'a nullement empêché le Gouvernement de proposer, en cours de débat, des mesures concernant notamment la répression de l'insécurité routière. D'ailleurs, je crois me souvenir qu'à peu près chaque texte que l'on nous propose comprend une aggravation des sanctions en la matière, ce qui ne veut pas dire du tout, bien sûr, qu'il ne faille pas lutter contre l'insécurité routière.
Avant d'en venir aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et aux travaux de la commission des lois, qu'il me soit permis de regretter que seuls des événements, souvent en raison de leur ampleur médiatique, soient les déclencheurs de notre législation. Je ne suis pas sûr que la formule « gouverner, c'est prévoir » soit encore d'actualité ni que les modifications incessantes des textes soient un gage de leur bonne mise en oeuvre. Notre droit pénal, notamment, n'a cessé de connaître une inflation exponentielle sans que la lutte contre l'insécurité s'en trouve, hélas ! plus efficace. Et, chaque année, nous créons une centaine de délits nouveaux, et je ne parle pas de l'aggravation des peines pour les délits existants, sans vérifier, bien sûr, si ces peines sont même appliquées. Je suis certain que, dans le fouillis des textes répressifs, certaines dispositions n'ont jamais été mises en oeuvre par quelque juridiction que ce soit.
Il est vrai, monsieur le ministre, que la sécurité demeure la préoccupation prioritaire de nos concitoyens et qu'ils attendent de l'Etat, dont c'est une mission essentielle, qu'il leur assure cette « sûreté », droit imprescriptible de l'homme selon l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, que le Premier ministre aime rappeler. Sûreté d'hier, sécurité d'aujourd'hui : c'est la même chose !
Le principe, rappelé par l'article 1er de la loi du 21 janvier 1995, que certains jugeaient alors « sécuritaire » - je me souviens des débats sur cette fameuse loi d'orientation présentée à l'époque par Charles Pasqua - avec notamment le principe de la place des maires, a été « enrichi » d'un troisième alinéa par l'Assemblée nationale, sans doute écho des dernières élections municipales qui vivent la sécurité faire abondamment débat dans les cités.
Encore faut-il qu'une prise de conscience se traduise concrètement. Est-on bien sûr que c'est le cas avec la complication du régime des armes et munitions ? Heureusement, ou malheureusement peut-être, le catalogue de la Manufacture d'armes et de cycles de Saint-Etienne, particulièrement lu dans les campagnes, a disparu, car c'est là que l'on achetait son fusil de chasse, et non aux Tarterets.
Est-on bien sûr que le renforcement des prérogatives judiciaires de la police nationale, que la lutte contre la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces - sujet important - sans parler des modifications des dispositions du code rural concernant les animaux dangereux et errants - nous les attendons avec impatience et nous espérons que certains défenseurs des animaux ne s'y opposeront pas - ou encore de la sécurité de la liaison transmanche, constituent ce que l'on attend d'une vraie politique de sécurité fondée sur la proximité ?
Monsieur le ministre, pour avoir été tout à l'heure extrêmement attentif à vos propos, j'ai noté qu'à la suite du conseil de sécurité intérieure vous alliez « accentuer la présence sur le terrain de la police de proximité ». J'en déduis qu'une partie de la police de proximité n'est pas sur le terrain.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Pas encore !
M. Jean-Jacques Hyest. Si l'on « accentue la présence sur le terrain de la police de proximité », cela veut dire que, d'une certaine manière, la police de proximité n'est pas toute déployée sur le terrain, ce qui, pour moi, constitue un paradoxe absolu.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le dispositif se renforce !
M. Jean-Jacques Hyest. Si vous entendez par là que la présence sur le terrain est la vocation de la police de proximité, là, je suis d'accord.
Nombre des mesures que vous avez proposées sont utiles, à quelques exceptions près, monsieur le ministre. Je vous rends attentif au fait que l'extension permanente à des agents de moins en moins qualifiés de prérogatives de police judiciaire peut constituer une dérive dangereuse si elle ne s'accompagne pas de mesures concrètes de formation initiale et continue. On a abaissé hier le niveau des OPJ, aujourd'hui, ce sont les APJ et les APJA. Attention, sinon, c'est la catastrophe !
Monsieur le ministre, il y aurait beaucoup à dire sur la gestion des effectifs de la police de proximité. J'aurais tendance à vous renvoyer à un certain rapport (Sourires.) dont hélas ! les conclusions restent d'actualité : la panacée ne saurait être la multiplication des adjoints de sécurité.
L'Assemblée nationale, de son côté, a voulu lutter plus efficacement contre les rave-parties - il est vrai qu'elles nous empoisonnent parfois dans nos départements s'est intéressée aux empreintes génétiques, aux services de sécurité des entreprises de transport public - sans parler de la sécurité routière, que j'ai déjà évoquée - et a tenté de permettre aux élus locaux d'être mieux associés à la politique de sécurité : c'est l'article 18 - l'article 19 pour Paris - qui constitue un progrès minime par rapport au texte actuel du code général des collectivités territoriales qui ne prévoyait d'associer les maires qu'à la prévention de la délinquance et non à la lutte contre l'insécurité.
Suprême audace du texte de l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, le préfet sera tenu d'informer régulièrement les maires des résultats obtenus. C'est formidable ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. Bravo !
M. Jean-Jacques Hyest. Décidément, l'Assemblée nationale est bien audacieuse.
M. Josselin de Rohan. C'est bouleversant !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est presque bouleverser complètement les habitudes, semble-t-il !
Comme le note notre rapporteur, et on l'a bien vu à l'occasion des élections municipales, le maire est en effet tenu pour responsable de la sécurité dans sa commune. C'est une mission traditionnelle que déjà la loi de 1884 lui confiait, mais c'est une mission impossible dans la mesure où il n'a aucun moyen de l'exercer, sauf par l'intermédiaire du garde-champêtre, et encore, dans les villages !
Le développement des polices municipales, et même pour certains, dont je ne suis pas, le souhait de voir instituer une police territoriale témoignent de cette volonté pour les maires d'être de véritables acteurs de la sécurité.
En effet, face à l'ampleur du problème posé par la croissance de la délinquance, l'action des forces de police et de gendarmerie ne saurait à elle seule enrayer cette évolution.
Si, au cours des vingt dernières années, on a multiplié les structures à tous les niveaux sur une série de sujets connexes, il en est résulté une lourdeur des circuits et des montages, la superposition des actions, la lassitude des professionnels et le retrait relatif des administrations.
Simplifions donc d'abord les instances qui font souvent double emploi les unes avec les autres et qui ont parfois les mêmes membres. J'ai compté treize textes, depuis les comités départementaux ou locaux touchant à la politique de la ville à la lutte contre la toxicomanie, en passant par la prévention de la délinquance et la sécurité publique !
Avec notre regretté collègue Roland Carraz, dans le rapport que j'évoquais tout à l'heure, nous avions préconisé les contrats locaux de sécurité ; après tout, on pourrait parler de « conseil communal de sécurité » dans ce cas-là. Ces CLS, pour avoir une chance de succès, dans notre esprit - nous l'avions écrit - devaient être ordonnés autour des maires, qui ont la vision à la fois la plus précise et la plus opérationnelle des solutions à apporter aux problèmes rencontrés dans leurs communes.
Mais, bien évidemment, et l'autre volet important abordé par la commission des lois le confirme, la clé de la lutte contre l'insécurité et la délinquance demeure l'efficacité de la justice.
Le respect du principe de la séparation des pouvoirs empêche-t-il d'exiger, notamment des parquets, une information sur les résultats de l'action publique ? Peut-être faudra-t-il instaurer une véritable justice de proximité pour faire le pendant de la police de proximité, si à la mode ? D'autres pays le font avec un certain succès.
Ajoutons sur ce sujet qu'il me paraîtrait dangereux pour les maires de devenir les responsables uniques de la police,...
M. Christian Bonnet. Ah oui !
M. Jean-Jacques Hyest. ... car, outre le fait, comme vous l'avez dit, que la délinquance n'est bien souvent pas enfermée dans les limites d'une seule commune, tous les citoyens où qu'ils soient ont droit à un même niveau de sécurité, et seul l'Etat est capable d'assumer cette responsabilité.
M. Christian Bonnet. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est pourquoi certaines propositions, si séduisantes soient-elles, conduiraient rapidement à des impasses.
M. Roland du Luart. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Venons-en à un débat important ouvert par la commission des lois en vue d'améliorer les réponses apportées à la délinquance des mineurs.
S'il est un sujet délicat et passionné, c'est bien celui de la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante.
Si la plupart d'entre nous semblent attachés au principe fondamental de la priorité des mesures éducatives à titre de sanction - nous sommes bien dans le cadre de la répression et non dans celui de la prévention - sur des mesures répressives dont l'efficacité n'est pas prouvée, l'observation de l'augmentation de la délinquance des mineurs, de plus en plus jeunes par ailleurs, dont sont d'abord victimes des mineurs, amène nécessairement à une réflexion sur la modification de la législation en ce domaine.
Les dispositions de l'ordonnance de 1945 ne sont certainement pas les Tables de la loi, pour la bonne et simple raison qu'en dehors du principe directeur que je viens de rappeler ce texte a été modifié tant de fois, et sur des points substantiels, qu'il n'en reste bien souvent que la trame. Simplement, je rends attentifs nos collègues au fait que le juge des enfants - il serait plus cohérent de parler de « juge des mineurs », comme on parle de « cour d'assises des mineurs » - doit rester au centre du dispositif car, sous prétexte de simplification des procédures, il serait dangereux de traiter sans précaution des situations souvent plus complexes que ne le laissent apparaître les faits dans leur brutalité.
On a déjà fait appel aux anges ici, mais ne cédons ni à l'« archangélisme » ni à l'angélisme, et n'allons pas non plus, par des mesures ponctuelles et n'entrant pas dans le cadre d'une politique globale, développer, comme certains le souhaitent, une forme de rejet d'une jeunesse sans repères, quand elle n'est pas soumise à la délinquance d'adultes qui se servent d'elle.
C'est pourquoi, si j'approuve les dispositions concernant l'aggravation des peines en vue de lutter contre l'utilisation des mineurs pour commettre les infractions, sans être défavorable à l'élargissement de la gamme d'établissements d'accueil des mineurs, je ne pense pas, pas plus que mon groupe, que les ajouts de la commission des lois contribuent efficacement à une meilleure justice pour les mineurs.
Nous avons d'ores et déjà les moyens légaux de poursuivre les personnes qui incitent des mineurs à la délinquance. Sait-on, par exemple, qu'inciter un mineur à la mendicité est un délit ? C'est une question dont on s'est beaucoup préoccupé dans les années quatre-vingt, lorsque, sous les arcades de la rue Rivoli, des bandes amenaient des petits enfants qu'ils louaient pour les faire mendier.
Des textes existent, mais, que je sache, c'est toujours pareil sous les arcades et dans le métro : on n'applique pas les textes répressifs qui existent, alors on en fait d'autres, et l'on pense avoir ainsi réglé le problème. Mais non !
M. Josselin de Rohan. Cela donne bonne conscience !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela donne bonne conscience, comme dit M. de Rohan.
Et nous n'inventons rien, nous ne faisons que reprendre des solutions anciennes. Prenez les internats, par exemple. On sait, sur le sujet, tout ce qu'il conviendrait de faire !
S'il s'agit d'un signal, pourquoi pas, mais je crois que la justice des mineurs connaît une crise grave et qu'elle mérite mieux que des mesures ponctuelles. Je préférerais de loin un examen approfondi de la situation de la Protection judiciaire de la jeunesse et de la justice des mineurs, tel que souhaitent le proposer notre éminent colègue de Raincourt et les présidents des groupes de la majorité. C'est une bonne méthode que d'évaluer avant d'agir, et ce, bien entendu, avec les moyens d'une commission d'enquête, parce qu'il est quelquefois très difficile d'obtenir des informations précises de la part de certaines administrations, à supposer qu'elles se connaissent elles-mêmes.
Lors de l'examen de la réforme du code pénal - dont le président Jacques Larché se souvient, ô combien ! - la réforme de l'ordonnance de 1945, et d'ailleurs du code de procédure pénale, avait été demandée, et le gouvernement de l'époque, dit de gauche, s'y était engagé. Nous, nous étions dans l'opposition.
Le code de procédure pénale a été modifié fondamentalement, c'est vrai, notamment avec la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence. Le Sénat a alors joué un rôle tout à fait éminent, même si certains regrettent encore les textes que nous avons votés, parce qu'ils ont l'impression qu'à l'inverse ils tendent à diminuer l'efficacité de la répression. Ne recommençons pas pour les mineurs !
Je suis convaincu que la déclaration du Premier ministre repoussant la réforme de la justice des mineurs aux calendes grecques - c'est à peu près ce qu'il a dit - ne correspond pas à l'urgence de la question, et, chose plus scandaleuse, le personnel du ministère de la justice n'est pas d'accord. Depuis quand décide-t-il de ce qu'il faut faire pour résoudre les questions majeures de notre société ? N'est-ce pas notre rôle ? Sinon, nous ne ferions plus rien !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Par conséquent, s'il ne faut pas se précipiter, sur un sujet aussi délicat et aussi grave, il ne me paraît pas de très bonne méthode législative de prendre des mesures ponctuelles.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rôle du Sénat est de faire progresser l'Etat de droit et la réforme de l'Etat - et cela d'autant plus qu'il est moins soumis aux aléas du quotidien et, je l'espère, des médias, dont a parlé notre excellent collègue M. Karoutchi - sur la justice des mineurs, comme il l'a fait pour d'autres questions majeures de notre société. Il nous faut tous y travailler.
Ces mineurs de dix, treize ou seize ans, nous devons savoir d'où ils viennent, ce qu'ils peuvent devenir, et faire en sorte qu'ils puissent retrouver leur place dans la société, car il n'est pas question - nous le savons fort bien, nous qui avons visité les prisons - de les laisser dans les quartiers des mineurs qui sont plus des foyers de délinquance et de récidive que de réinsertion !
Certes, il est nécessaire de régler préalablement des problèmes ; je pense à l'instauration d'une meilleure police, une police présente sur le terrain, en particulier dans les transports, comme les attendent nos concitoyens. Mais s'agissant de la réforme de la justice des mineurs, ne nous précipitons pas. Effectuons plutôt un travail de fond. Six mois seraient nécessaires pour aboutir à des conclusions qui, j'en suis sûr, obtiendraient l'accord de tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera exclusivement sur le chapitre Ier du projet de loi, consacré au régime juridique des armes. L'appréciation générale que je puis formuler à son égard est que la méthode législative employée ne correspond pas à l'importance du sujet. Cette méthode, malheureusement, est plutôt celle de l'affichage, du bricolage et du rafistolage. Un sujet aussi délicat, qui a fait l'objet de trois réformes d'importance, en 1993, 1995 et 1998, méritait assurément un meilleur traitement législatif.
J'observe, en outre, que cette réglementation est déjà si complexe que nombre de fonctionnaires chargés de l'appliquer sont incapables de le faire sans hésitation ni erreur. Je citerai l'exemple des carabines ou des fusils à pompe, respectivement soumis à déclaration ou interdites, sauf exceptions.
Il aura fallu des années avant que les formulaires soient disponibles et, une fois disponibles, les fonctionnaires ne savent pas toujours les remplir convenablement. Or, mes chers collègues, si nous votons ce texte en l'état, un citoyen qui n'a pas déclaré telle carabine ou qui s'est trompé de bonne foi sur ses spécifications sera passible de dix ans de prison et d'un million de francs d'amende. C'est difficilement compréhensible ! Pensons au citoyen qui aura procédé à cette formalité après avoir recueilli l'avis du gendarme territorialement compétent et qui se sera trompé...
De plus, alors qu'il s'agit d'un texte relatif à l'ordre public, les contraintes sur les ventes d'armes par correspondance ou les ventes entre particuliers porteront uniquement sur des armuriers qui ne sont pas parties à la vente.
Il aurait été tout de même plus logique de confier également ces tâches aux commissariats ou aux gendarmeries, si tant est qu'il fallait réglementer encore. Mais, ou bien c'est un oubli, ou bien cela résulte de la pression des fonctionnaires d'ordre qui n'ont pas voulu être encombrés davantage de formalités accessoires et se transformer en « souks ».
D'une manière plus générale, et cela me met mal à l'aise, je constate que l'Etat semble de plus en plus incapable d'assumer ses missions régaliennes de police et qu'il s'en décharge sur les agents économiques.
Les lacunes, les contradictions et les imprécisions de ce texte s'expliquent assez largement par un souci d'affichage. Au vu des résultats des élections municipales, le Gouvernement semble avoir improvisé à la hâte un texte fourre-tout portant diverses dispositions relatives à la sécurité. Ce bricolage sur le régime juridique des armes et des armureries a vite montré ses limites lors de la première lecture à l'assemblée nationale. Il en est résulté un rafistolage qui, permettez-moi l'expression, ne tiendra pas la route.
Le premier article sur les armureries est né d'un vrai faux événement : l'ouverture d'un centre dans l'Essonne, près d'une zone sensible, qui a engendré des pseudo-troubles soigneusement entretenus par une poignée d'agitateurs locaux soucieux d'interférer dans le cours des élections municipales. J'observe que, dans le même temps, une grande armurerie a été ouverte dans une banlieue de Lille, sans susciter aucune émotion particulière. Au total, il ne s'est rien produit, sinon une « bulle » médiatique, vite dégonflée !
Faut-il légiférer dans ces circonstances et de cette manière ? Pour moi, la réponse est négative. Car cela revient à stigmatiser certains quartiers, à assimiler pauvreté, immigration et délinquance, à soupçonner les services de police d'être incapables d'éviter l'émergence de zones de non-droit. Dans cette logique, faudra-t-il un jour envisager d'interdire, à proximité de certains quartiers, les distributeurs de billets et les commerces de luxe, comme les parfumeries, au motif qu'ils constitueraient autant de « provocations » et de menaces à l'ordre public ?
Je ne suis pas hostile, et personne d'ailleurs ne saurait l'être, à une autorisation administrative préalable à l'ouverture d'une armurerie, même si le nombre et l'activité de ces artisans ont considérablement décru depuis 1993. Mais le contexte se prête-t-il à une instruction sereine des demandes ? Les préfets n'auront-ils pas la tentation de faire durer la procédure et de s'entourer d'un luxe de précautions techniques nécessairement coûteuses pour l'exploitant ? Plus encore, l'autorisation peut être refusée « si le local présente, notamment du fait de sa localisation, un risque particulier pour l'ordre ou la sécurité publics ». Il suffirait ainsi à une poignée de militants antichasse de médiatiser trois manifestations pour obtenir un refus d'autorisation.
Le principe constitutionnel de liberté du commerce et de l'industrie me paraît substantiellement mis en cause. Et, en toute logique, faudra-t-il appliquer le même dispositif juridique aux pharmacies, aux banques... voire aux magasins Lacoste ?
Les articles suivants, relatifs plus particulièrement aux armes et munitions, me semblent marqués du même sceau de l'improvisation. Initialement, la proposition de loi Leroux nous le rappelle, l'objectif était simple : interdire purement et simplement les ventes par correspondances et les ventes entre particuliers. Comme cela est apparu assez rapidement inenvisageable, les rafistolages se sont succédé.
Pour les munitions, l'article 2 pose le principe de la vente ou de la livraison par correspondance dans les seules armureries. Mais il est devenu incohérent. Le dernier alinéa ajouté par les députés semble permettre la vente par correspondance au domicile, mais le premier alinéa pose le principe de la vente exclusive en armurerie.
Au-delà de cette incohérence, peut-être rattrapable, on aboutit quand même à un système absurde : comme il y a très peu d'armureries en France - moins de 800 aujourd'hui - les chasseurs ou les tireurs sportifs devront parcourir des dizaines de kilomètres pour se procurer les munitions qu'ils devront donc transporter ou stocker en grande quantité ou encore charger un ami de remplir son coffre pour plusieurs chasseurs, puisque les ventes de munitions entre particuliers sont libres. Veut-on créer une espèce de marché noir de la munition ? Veut-on empêcher, une fois de plus, les chasseurs de pratiquer librement leur activité ? Les gendarmes vont-ils faire la tournée des bistrots de campagne pour y interdire la vente des plombs de chasse ?
Pour parachever cet édifice juridique instable, l'article 3 dispose que les munitions « doivent être conservées hors d'état de fonctionner immédiatement ». Je ne connais qu'un seul moyen d'y parvenir, c'est de contraindre les chasseurs et les tireurs sportifs à fabriquer leurs munitions la veille de la compétition ou d'une battue. C'est Marcel Pagnol ressuscité par l'Assemblée nationale !
Poursuivons l'analyse de ce texte. Tel qu'il a été voté, il dispose que toutes les ventes par correspondance ou entre particuliers devront être effectuées dans une armurerie. C'est déjà un peu « fort de café », car tous les chasseurs et tireurs sportifs sont inscrits sur des fichiers rendus obligatoires par la législation et doivent posséder qui un permis de chasser, qui une carte de tireur sportif. La possession d'une carabine par un chasseur donne lieu à déclaration obligatoire auprès de l'autorité administrative. Les munitions de chasse ne peuvent être achetées en magasin que sur présentation du permis de chasser ou de la carte de tireur sportif. L'acquisition de fusils de chasse est soumise à la même formalité.
Il était donc inutile de légiférer davantage, à la condition que l'administration soit en état de remplir convenablement ses missions. Comme elle ne l'est pas - je pense notamment au renouvellement des autorisations de détention d'armes de tir sportif - la réglementation est encore modifiée et rendue plus stricte, sans apporter la moindre garantie supplémentaire.
Pour vendre son fusil de chasse, il faudra donc se rendre dans une armurerie avec l'acheteur. Mais, là, que va-t-il se passer ? Y aura-t-il un contrôle ? Non pas. Est-il prévu une attestation de vente en armurerie ? Non pas. Est-il prévu une intervention de l'armurier qui, comme c'est la loi en Espagne, devra vérifier le bon fonctionnement de l'arme ? Non pas. C'est surréaliste, et cela d'autant plus qu'il suffira de camoufler la vente en un troc pour échapper à cette obligation.
Mais on voit bien ce qui peut aussi advenir : c'est de contraindre l'armurier à procéder à terme à tous ces contrôles et attestations et, bien sûr, gratuitement. Si c'est exact, il faut le dire, monsieur le ministre, et, si c'est erroné, il faut retirer cette disposition absurde.
C'est la même chose pour la vente par correspondance. Alors qu'il suffirait de joindre à la demande la copie du permis de chasser ou de permettre aux armuriers l'accès au fichier des chasseurs, il est prévu que la livraison se fasse obligatoirement chez l'armurier, transformé en boîte postale.
Tous cela n'est pas très sérieux, convenons-en.
Quant à la conservation des armes à domicile, la même improvisation règne, alors qu'il serait si simple de prévoir soit un démontage, soit un verrou de pontet. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce texte improvisé, notamment en ce qui concerne les armes blanches. Les couteaux de chasse devront être mis sous coffre - on ne voit pas comment, en effet, ils peuvent être conservés « hors d'état de fonctionner immédiatement » - alors que les couteaux de cuisine à découper pourront rester accrochés au mur ...
M. Henri de Raincourt. Heureusement !
M. Roland du Luart. ... et les couteaux à cran d'arrêt dans la poche des sauvageons !
En conclusion, mes chers collègues, j'observe que ce texte a été élaboré à la hâte, ...
M. Jean-Pierre Raffarin. Toujours dans l'improvisation !
M. Roland du Luart. ... sans même que soient consultés les représentants des chasseurs, des armuriers ou des tireurs sportifs ! C'est une méthode de travail regrettable.
J'observe ensuite que le dispositif voté par l'Assemblée nationale montre une grave méconnaissance et du droit en vigueur et des pratiques et, surtout, du bon sens le plus élémentaire.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Trois mille morts !
M. Roland du Luart. Monsieur le ministre, ce n'est pas là que sont les trois mille morts, et ce n'est pas par ces dispositions que vous changerez grand-chose à ce chiffre, car les honnêtes gens savent ce qu'ils faut faire : lorsqu'ils ont des armes, ils prennent des précautions !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Roland du Luart. J'observe enfin qu'il participe d'une volonté constante, explicite ou implicite, de multiplier les contraintes et les mesures vexatoires à l'encontre des chasseurs.
A l'exception des articles relatifs au fichier des personnes interdites de détention d'armes de chasse ou de tir et à la saisie préventive de ces armes, je vous proposerai donc des amendements de suppression, mais assortis d'un engagement ferme pris au nom du groupe Chasse-Pêche du Sénat, celui de proposer, d'ici à un an, une réforme législative soigneusement étudiée, et en collaboration, s'il le souhaite, avec le député Bruno Leroux. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ecoutez le porte-parole des honnêtes gens, monsieur le ministre !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heure quarante-cinq.)