SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2002


RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour un rappel au règlement.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois vous faire part, au nom de mon groupe, de notre stupéfaction à la lecture d'un journal - Le Parisien, pour ne pas le nommer - du matin.
Chacun a pu y lire que M. Barrot, président du groupe de l'UMP, avait annoncé la venue de M. Raffarin devant son groupe, le mercredi 13 novembre, pour « "donner des précisions maximales" sur la loi organique qui sera discutée au Parlement après l'adoption de la réforme de la Constitution », réforme dont nous débattons aujourd'hui.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, c'est la crédibilité même de notre assemblée qui est en cause.
A maintes reprises, l'information sur les lois organiques ou ordinaires a été demandée depuis le début de l'examen au Sénat du projet de loi constitutionnelle. En commission, ce sont des sénateurs de tous bords qui ont souligné le flou du texte dont nous débattons du fait de l'imprécision sur les choix à venir. En séance publique, plusieurs orateurs, MM. Peyronnet et Sueur, Mme Borvo ou moi-même, lorsque j'ai défendu une motion tendant au renvoi en commission, ont solennellement demandé au Gouvernemnt d'informer le Sénat sur ses intentions.
Nous avons tous en mémoire la réponse de M. Devedjian écartant d'un revers de main cette demande. Son refus était catégorique : il n'y avait pas lieu d'informer la représentation nationale - le Sénat en l'occurrence - avant que les principes ne soient posés et, surtout, avant que les assises locales et nationales de la décentralisation aient eu lieu.
Or, les propos de M. Barrot rapportés ce matin soulignent qu'en fait tout était joué d'avance : le projet global est prêt !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mais non !
M. Robert Bret. Mes chers collègues, cette façon d'annoncer publiquement le privilège qui est ainsi fait aux élus du parti du Gouvernement paraît relever d'un mépris total à l'égard de l'opposition parlementaire. C'est l'ensemble du Parlement qui doit être informé, à commencer par notre assemblée.
Cette attitude n'est pas digne de ceux qui se targuent d'un respect scrupuleux des droits du Parlement en général et donc de notre assemblée en particulier.
Nous demandons donc, monsieur le président, que les « précisions maximales » évoquées par M. Barrot soient apportées en premier lieu et immédiatement à l'assemblée qui débat actuellement de la révision constitutionnelle, le Sénat.
Il serait inconcevable de procéder au vote du projet de loi constitutionnelle alors même que nous savons que nous avons été écartés d'informations essentielles pour la compréhension du texte.
Au nom du groupe CRC, je demande donc solennellement une suspension de séance d'une heure, afin de permettre à la commission des lois d'entendre les explications du Gouvernement sur ce fait nouveau et « les précisions maximales » évoquées par M. Barrot (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et indépendants.)
Plusieurs sénateurs du RPR. Cela n'a rien à voir avec un rappel au règlement !
M. Jean-Claude Carle. Le Premier ministre a dit ce que l'on attendait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour un rappel au règlement.
Mon cher collègue, si vous demandez vous aussi une suspension de séance, réduisez-en un peu la durée, je vous en prie !
Plusieurs sénateurs socialistes. Cinquante-neuf minutes !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, j'ai envie de dire que la docilité n'est pas récompensée : cela pourrait être la leçon de la petite chronique politique que nous avons lue dans la presse de ce matin et de cet après-midi, en particulier dans Le Monde.
Vous êtes parti au combat, monsieur le président, suivi par votre majorité, avec une grande ambition, puisque vous souhaitiez une compensation intégrale et permanente des charges qui seraient transférées. Vous avez également souhaité, au travers de la majorité de la commission des lois, instaurer un véritable droit de veto du Sénat sur les lois de finances pour ce qui concerne les collectivités territoriales.
Finalement, la majorité, qui semblait s'engager dans une espèce de combat entre amis, a dû se contenter du gadget prévu à l'article 3, dont le dispositif lui donne une satisfaction de pure forme mais qui sera contourné par tout gouvernement qui le voudra et qui, c'est d'ailleurs heureux, ne corrige en rien la prééminence de l'Assemblée nationale sur le Sénat.
En définitive, la majorité sénatoriale a tout accepté et a voté dans le brouillard des dispositions vagues, sans savoir quelle en serait la traduction dans les lois à venir : rien n'est précisé en ce qui concerne la tutelle, le chef de file, l'encadrement du droit de pétition ou le référendum local (Protestations sur les travées du RPR)... Cette nuit et hier soir encore, le Gouvernement a refusé de nous fournir des indications, fût-ce quelques simples lignes de force, sur les cinq lois auxquelles renvoie désormais l'article 6 après sa réécriture par le Gouvernement.
Pourtant, le Sénat examinait en premier lieu cet important projet de loi constitutionnelle ! Cela montre d'ailleurs, par anticipation, la vanité de l'article 3, avant même qu'il soit entré en vigueur.
M. Robert Bret. Tout à fait !
M. Jean-Claude Peyronnet. En effet, alors que le Sénat se contente de satisfactions formelles en renonçant, après une reculade humiliante, à ses critiques sévères, exprimées initialement par des amendements de grande portée, le président de l'Assemblée nationale, dont l'institution n'a pas encore été saisie mais qui a choisi une tribune médiatique, quoique frontalière, pour formuler publiquement de fortes réserves, est l'objet de toutes les attentions du Gouvernement, singulièrement de celles du Premier ministre.
Par conséquent, tout bouge, et M. Raffarin se précipite chez M. Jean-Louis Debré pour lui promettre, selon la presse, de l'informer, ainsi que l'UMP - mais pas la gauche, apparemment -, et de lui donner des « précisions maximales » sur les lois à venir, ce que nous n'avons cessé de réclamer, nous et nos amis du groupe CRC.
Non, décidément, ni la discipline, ni la docilité, ni l'apathie, ni le renoncement ne sont récompensés ! Cela pourrait ne concerner que vous, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, mais, compte tenu de la tournure que prennent les choses, cela nous intéresse directement nous aussi.
Etant donné l'importance de l'article 6, compte tenu du nombre des dispositions qui seront prises ultérieurement par loi simple ou par loi organique, nous considérons que nous n'avons pas délibéré dans des conditions normales. Ce serait très discutable, mais acceptable, si l'architecture principale des textes de loi à venir n'était pas connue, mais ce serait absolument intolérable si, comme la presse semblait l'indiquer ce matin, le travail se révélait être beaucoup plus avancé.
Après le « camouflage » de l'avis du Conseil d'Etat, on nous dissimule, pour les réserver à la seule majorité, des informations sur le contenu des lois à venir. Cela n'est pas acceptable !
Par conséquent, je me rallie à la proposition du groupe communiste républicain et citoyen, présentée par mon ami Robert Bret, et je demande une suspension de séance de cinquante-neuf minutes, monsieur le président. (Rires.)
Mme Hélène Luc. C'est le rôle du Parlement !
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour un rappel au règlement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, la suspension de séance pourrait être écourtée par l'arrivée rapide de M. le Premier ministre !
Cela étant dit, mon rappel au règlement ne porte pas sur ce point.
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner hier soir, un certain nombre de nos collègues, en particulier membres de la commission des lois, sont obligés d'étudier le projet de loi pour la sécurité intérieure alors que l'on débat en séance publique du projet de loi constitutionnelle.
Nous avons donc travaillé dans de très mauvaises conditions - nous aurons l'occasion d'y revenir - et nous avons appris en outre que, ce matin, le Gouvernement a demandé que l'urgence soit déclarée sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, lequel comprend cinquante-sept articles, dont certains sont très longs et beaucoup sont délicats. De surcroît, nombre de ces articles tendent à modifier le code pénal ou le code de procédure pénale ! Hormis le cas d'un projet de loi qui comportait un très petit nombre d'articles, on n'a jamais vu, me semble-t-il, que l'urgence soit déclarée sur un texte comme celui-là, qui nécessite, plus que d'autres, une étude approfondie et sérieuse. (Murmures sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
J'ai entendu à de multiples reprises, il n'y a pas si longtemps, l'ensemble de mes collègues, en particulier vous-même, monsieur le président, protester contre le recours, par les différents gouvernements, à la procédure d'urgence. En l'occurrence, ce recours est tout à fait inadmissible, et nous demandons au Gouvernement d'y renoncer. S'il ne le fait pas, nous protesterons avec véhémence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur celles du groupe CRC.)
M. Alain Gournac. Protestez, protestez !
M. le président. Je donne acte à MM. Robert Bret, Jean-Claude Peyronnet et Michel Dreyfus-Schmidt de leurs rappels au règlement. Je ferai part de leurs observations à M. le Premier ministre.
Je vous accorde la suspension de séance que vous avez sollicitée, mes chers collègues. Cela étant, je vous rappellerai que, en d'autres temps, alors que j'avais demandé au Premier ministre de l'époque de venir s'exprimer devant le Sénat, on m'avait objecté qu'il avait de nombreuses occupations, que son emploi du temps était particulièrement chargé et qu'il ne pourrait pas déférer à mon invitation.
M. Alain Gournac. On s'en souvient ! Il avait autre chose à faire !
M. le président. Quoi qu'il en soit, nous allons demander à M. le Premier ministre de venir, mais je ne suis pas certain qu'il le puisse.
Conformément aux prérogatives qui sont les miennes, je vous accorde la suspension de séance que vous avez demandée, mes chers collègues, mais acceptez qu'elle ne dure que dix minutes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel et d'administration générale. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons demandé une réunion de la commission des lois !
M. le président. La commission des lois ne m'a pas fait savoir qu'elle souhaitait se réunir. Le désirez-vous, monsieur le vice-président ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Non, monsieur le président !
M. le président. En conséquence, j'accepte de suspendre la séance, mais je vous demande de ne pas exagérer, mes chers collègues. L'excès est mauvais en tout !
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures trente.)