SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2002


M. le président. « Art. 10. - Il est inséré au titre XII de la Constitution un article 74-1 ainsi rédigé :
« Art. 74-1 . - Dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 ainsi que par le titre XIII et pour les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat, le Gouvernement peut, après avis de l'assemblée délibérante de ces collectivités, étendre par ordonnance, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sauf si elles en disposent autrement.
« Les règles du deuxième alinéa de l'article 38 sont applicables. Toutefois, les ordonnances deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement dans les six mois suivant leur publication. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 162, présenté par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 35, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour insérer un article 74-1 dans la Constitution :
« Art. 74-1. - Dans les collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement peut, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat, étendre par ordonnances, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.
« Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai d'un an suivant cette publication. »
L'amendement n° 163, présenté par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée, est ainsi libellé :
« Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 74-1 de la Constitution, remplacer les mots : "si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement dans les six mois suivant leur publication" par les mots : "si le projet de loi de ratification n'est pas ratifié par le Parlement dans le délai d'un an". »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour présenter l'amendement n° 162.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s'agit purement et simplement de supprimer l'article 10, qui pose un problème au regard des principes de la Constitution. La loi est votée par le seul Parlement, son domaine est limité et les conditions dans lesquelles elle peut habiliter le Gouvernement à agir dans le domaine législatif sont très encadrées. En l'occurrence, ces conditions ne me semblent pas assurées. C'est pourquoi le présent amendement vise à supprimer l'habilitation permanente donnée par cet article au Gouvernement pour lui permettre, par ordonnance, d'actualiser le droit applicable aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 35.
M. René Garrec, rapporteur. L'article 74-1 vise à instaurer une délégation permanente en faveur du Gouvernement pour procéder, par ordonnances, à l'actualisation du droit applicable outre-mer.
Si une telle procédure peut permettre d'accélérer opportunément l'actualisation du droit applicable outre-mer, elle opère cependant un dessaisissement du législateur en amont, privant les collectivités d'outre-mer d'une tribune pour contester, le cas échéant, le périmètre de l'habilitation.
En outre, en l'absence de ratification expresse des ordonnances ainsi prises - et je m'adresse surtout à notre collègue Michel Charasse - les dispositions rendues applicables conservent une valeur simplement réglementaire et leur régularité peut être mise en cause devant le juge de l'excès de pouvoir.
Cela présente l'inconvénient d'introduire la confusion dans la hiérarchie des normes localement applicables et c'est préjudiciable à la sécurité juridique. Ce risque contentieux est d'ailleurs susceptible d'affecter, par ricochet, la loi métropolitaine que l'ordonnance a précisément pour objet d'étendre à l'outre-mer.
Il apparaît donc primordial, pour assurer non seulement l'actualisation mais également la sécurité juridique du droit applicable outre-mer, de prévoir une ratification expresse des ordonnances en cause.
Notons, par ailleurs, que la rédaction du projet de loi présente l'inconvénient de qualifier indirectement la Nouvelle-Calédonie de « collectivité d'outre-mer ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 163.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s'agit d'un amendement de repli, aux termes duquel les ordonnances deviendront caduques si le projet de loi de ratification n'est pas ratifié par le Parlement dans un délai d'un an.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 162 et 163.
M. René Garrec, rapporteur. L'amendement n° 162 est contraire à l'amendement n° 35. On ne peut à la fois déplorer l'existence d'un ordonnancement juridique à deux vitesses en métropole et outre-mer et refuser toute procédure susceptible de le rendre homogène.
La commission émet donc un avis défavorable.
Quant à l'amendement n° 163, il est satisfait par l'amendemement n° 35 qui exige, à peine de caducité, une ratification expresse des ordonnances dans un délai d'un an.
M. Michel Charasse. Ça c'est bien !
M. René Garrec, rapporteur. Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les trois amendements ?
Mme Brigitte Girardin, ministre. Contrairement à ce que prétendent les auteurs de l'amendement n° 162, l'article 74-1 de la Constitution n'organise pas un dessaisissement du Parlement, qui pourra toujours étendre lui-même les dispositions législatives aux collectivités d'outre-mer ou s'opposer à l'utilisation de la procédure des ordonnances. En outre, les ordonnances ne peuvent porter que sur l'extension de dispositions déjà votées par le Parlement. Cette procédure ne pourra donc pas être utilisée pour procéder à l'adoption des dispositions législatives innovantes.
Il faut rappeler que cette nouvelle procédure tend à mettre fin, comme l'a dit la commission des lois, à une situation de droit à double vitesse préjudiciable à nos concitoyens d'outre-mer et à renforcer ainsi la capacité de l'Etat à exercer ses propres compétences. Elles ne s'appliquera qu'aux collectivités soumises au principe de spécialité législative. Elle favorisera, en outre, une meilleure prise en compte des avis des assemblées locales, qui pourront être consultées, non seulement sur les dispositions d'extension d'un projet de loi, mais également sur des dispositions d'extension d'une loi définitivement votée, ce qui leur permettra d'émettre un avis en toute connaissance de cause.
S'agissant de l'amendement n° 35, le Gouvernement partage la préoccupation de la commission des lois de voir aboutir aussi rapidement que possible la ratification des ordonnances afin que ne perdure pas trop longtemps une situation d'insécurité juridique. Il est, en outre, sensible à la bonne volonté de la commission des lois qui a bien voulu approuver l'institution d'une procédure aussi nouvelle. Il craint, cependant, que le délai d'un an imposé pour une ratification qui sera désormais obligatoire ne soit trop bref, compte tenu de l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement, bien connu de nous tous. C'est pourquoi, à titre principal, il s'oppose à l'amendement et souhaite le maintien de son texte. Toutefois, dans le souci de répondre aux préoccupations de la commission des lois et parce qu'il pourra s'appuyer sur elle et sur l'intérêt constant de ses membres pour la modernisation du droit de l'outre-mer, il se rallierait volontiers à l'amendement de la commission sous réserve que le délai d'un an soit remplacé par un délai de deux ans.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Brigitte Girardin, ministre. En ce qui concerne l'amendement n° 163, le Gouvernement souhaite le maintien du texte du projet de loi et la simple obligation de dépôt d'un projet de loi de ratification des ordonnances, et, comme je viens de l'indiquer, il se rallierait à un délai de ratification obligatoire de deux ans.
M. le président. Monsieur le rapporteur, acceptez-vous de rectifier l'amendement n° 35 dans le sens souhaité par Mme la ministre ?
M. René Garrec, rapporteur. Je remercie le Gouvernement de reprendre l'esprit de notre proposition.
Madame le ministre, un an, c'est peut-être trop court, deux ans, c'est trop long ! Ne pourrait-on pas transiger à dix-huit mois ?
M. Hilaire Flandre. Il faut couper la poire en deux !
M. René Garrec, rapporteur. Couper la poire en deux, c'est raisonnable.
M. Michel Charasse. On a ratifié des directives européennes par paquet en cinq minutes !
M. le président. Madame la ministre, le Gouvernement accède-t-il à la demande de M. le rapporteur ?
Mme Brigitte Girardin, ministre. Dans un souci de compromis, j'y accède.
Un sénateur du RPR. Très bien !
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 35 rectifié, présenté par M. Garrec, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour insérer un article 74-1 dans la Constitution :
« Art. 74-1 . - Dans les collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement peut, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat, étendre par ordonnances, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.
« Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l'absence de ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication. »
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote sur l'amendement n° 162.
Mme Nicole Borvo. J'interviendrai très brièvement, mais pour soutenir cet amendement. En effet, madame la ministre, la distinction que vous faites entre légiférer, légiférer de façon innovante et prolonger la législation ne me semble pas pertinente ; c'est légiférer, quel que soit l'objet de la loi ! Or, selon moi, il est contraire aux principes constitutionnels d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance ad vitam aeternam .
C'est pourquoi je soutiens l'amendement n° 162 ou, à défaut, l'amendement n° 163, car je ne crois pas que l'on puisse faire une distinction dans l'acte de légiférer.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 162.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 35 rectifié.
M. Michel Charasse. Je ne veux pas prolonger le débat, mais je souhaiterais que, à la faveur de la navette, on puisse répondre à la question précise que je vais poser, à moins que l'on puisse y répondre tout de suite.
Il s'agit, par ce texte - je dois d'ailleurs dire que le texte de la commission des lois rectifié est bien meilleur que le texte du projet de loi, et le groupe socialiste avait déjà fait une démarche en ce sens sur la question de la ratification, mais passons -, d'accorder une délégation permanente au pouvoir exécutif d'agir dans le domaine législatif dans toutes les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat, sauf dans le cas où une loi dirait le contraire. Cela veut dire que, une fois ces nouvelles dispositions adoptées, la délégation sera générale.
Or, mes chers collègues, je rappelle que, en application de l'article 41 de la Constitution, une proposition ou un amendement formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables s'ils portent sur une matière ayant fait l'objet d'une délégation en matière d'ordonnance. Certes, à l'article 41, on vise la délégation opérée en vertu de l'article 38, mais c'est une délégation quasi analogue. Cela veut-il dire que cette interdiction pour le Parlement d'intervenir dans le domaine qui fait l'objet de la délégation continue à ne s'appliquer qu'aux ordonnances de l'article 38 ou s'appliquera aussi aux ordonnances résultant de la délégation nouvelle ?
Je demande une réponse non pas tout de suite, mais d'ici à la fin de la navette, car c'est quand même tout un pan de l'exercice du pouvoir législatif et de l'initiative législative parlementaire qui ne pourrait plus s'exercer dans un nombre infini de matières. Donc, s'il est entendu que l'exclusion de l'article 41 ne concerne que les ordonnances de l'article 38, pas de problème. En revanche, si on doit l'étendre à tout le reste, cela signifie que la compétence parlementaire est quasiment supprimée pour l'outre-mer dans un nombre incalculable de matières, ce qui n'est pas acceptable.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Je rappelle simplement à notre ami Michel Charasse que l'article 41 est très clair : le dispositif n'est applicable qu'aux seules délégations accordées en vertu de l'article 38 de la Constitution, et donc pas aux délégations qui sont attribuées dans le cadre de ce que nous sommes en train de discuter.
M. Michel Charasse. Je préfère que ce soit précisé !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35 rectifié.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 163 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 10, modifié.

(L'article 10 est adopté.)

Article additionnel après l'article 10