COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉPÔT DU RAPPORT

D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. M. le président a reçu de M. Jean-Marc Juilhard un rapport fait au nom de la commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir, créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 12 décembre 2002.

Ce dépôt a été publié au Journal officiel - édition des lois et décrets du vendredi 6 juin 2003. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l'instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité sercret peut être formulée.

Ce rapport sera imprimé sous le n° 339 et distribué après-demain, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

3

RÉMUNÉRATION AU TITRE

DU PRÊT EN BIBLIOTHÈQUE

Adoption définitive d'un projet de loi

en deuxième lecture

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 240, 2002-2003), modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. [Rapport n° 337 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je me présente ce matin devant vous pour vous proposer d'adopter définitivement le projet de loi relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs.

Le vote unanime du Sénat, en première lecture, puis celui de l'Assemblée nationale ont confirmé l'adhésion du législateur aux principes qui inspirent et structurent ce projet de loi, et je tiens à vous en remercier.

Le droit d'auteur est comme la clé de voûte de l'édifice de la création. Contrairement à ce que l'on entend parfois, le droit d'auteur ne fait pas obstacle à la diffusion des oeuvres : au contraire, il la nourrit.

C'est dans cet esprit qu'a été bâti le présent texte et c'est également dans cet esprit que le Gouvernement a élaboré le projet de loi de transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur dans la société de l'information, qui sera soumis à votre examen dans les prochains mois.

La poursuite du développement des bibliothèques est le deuxième principe sur lequel repose ce texte. Le Gouvernement a, en effet, voulu que l'instauration d'un droit de prêt n'entrave en rien ce développement. Vous le savez, l'essor de la lecture publique a été tout à fait remarquable dans notre pays au cours des dernières décennies, au point de faire des bibliothèques les équipements culturels les plus fréquentés par les Français.

La bibliothèque, lieu de diffusion culturelle par excellence, est également devenue un espace de sociabilité absolument indispensable à l'équilibre de nos villes et de nos territoires.

C'est pourquoi le Gouvernement entend donner une nouvelle impulsion à la politique que mène l'Etat - en partenariat, je le souligne, avec les collectivités locales - en faveur du développement de la lecture publique. C'est dans cette optique que j'ai engagé cette année un programme national de construction de médiathèques de proximité. Cette nouvelle génération d'équipements viendra, dans les zones rurales et dans les quartiers périphériques des villes, combler les lacunes de l'aménagement culturel du territoire.

J'observe que, à peine lancé, ce nouveau programme national a suscité une très large adhésion des collectivités locales, notamment des communes, puisque, à ce jour, ce sont déjà près de soixante-dix projets qui ont été engagés.

L'élargissement de la diffusion du livre repose également sur le développement du réseau des librairies et sur leur capacité à travailler étroitement avec les bibliothèques, en ce qui concerne tant l'acquisition des ouvrages que les actions d'animation. Il s'agit bien là d'un autre des objectifs majeurs de ce projet de loi qui, renforçant l'esprit de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, placera nos librairies en réelle situation de compétitivité par rapport aux grossistes.

Nous devons soutenir le développement des librairies, car elles sont un rempart contre l'uniformisation de l'offre culturelle. Le métier de libraire est un engagement quotidien en faveur du maintien de la diversité culturelle.

C'est la raison pour laquelle j'ai, dès mon arrivée rue de Valois, souligné ma préoccupation quant à la situation de la librairie et à sa place dans la chaîne de diffusion du livre. Je m'apprête d'ailleurs à mettre en place une médiation permamente de l'économie du livre, qui aura notamment pour tâche de mieux faire connaître la place de la librairie dans les relations commerciales avec ses fournisseurs et dans l'application des règles de droit, qu'il s'agisse de la loi du 10 août 1981 ou du droit de la concurrence et du commerce.

Ces principes se concrétisent dans les dispositions du présent projet de loi, dont je vous rappellerai brièvement l'économie.

En premier lieu, ce texte assure aux auteurs une rémunération et garantit aux bibliothèques leur droit de prêter.

En second lieu, ayant exclu le prêt payant pour l'usager à chaque emprunt, il instaure un système de paiement d'avance, en amont de l'emprunt.

A cette fin, deux sources de financement sont mobilisées.

La première est le budget de l'Etat, qui assumera la moitié du montant total du droit de prêt, à raison du versement d'un forfait d'un euro et demi par inscrit en bibliothèque publique et d'un euro par inscrit dans les bibliothèques de l'enseignement supérieur.

La seconde source consistera en un prélèvement sur le montant des achats des bibliothèques pratiquant le prêt au public : 6 % du prix public des ouvrages seront versés par les fournisseurs des bibliothèques à l'organisme chargé de la gestion collective du droit de prêt. Ce nouveau système serait mis en oeuvre en deux temps en 2003 et en 2004, afin que l'effort des collectivités publiques soit progressif.

En même temps qu'il institue un prélèvement de 6 % sur le prix public des ouvrages, le projet de loi vise à consolider les librairies en élargissant le champ de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre par un plafonnement des rabais à hauteur de 9 % pour les ventes de livres aux bibliothèques. Pendant les douze premiers mois d'application de la loi, un rabais maximal de 12 % sera cependant autorisé.

Enfin, les ressources dégagées - environ 22 millions d'euros - pour une part, seront versées aux ayants droit et, pour l'autre, financeront un régime de retraite complémentaire pour ceux des écrivains et des traducteurs professionnels qui en sont actuellement dépourvus.

Je tiens à saluer le travail remarquable qui a été effectué sur ce projet de loi par le Sénat, grâce à la commission des affaires culturelles et à son rapporteur, M. Eckenspieller. Il en est résulté un texte profondément amélioré. L'Assemblé nationale a elle-même, en pleine cohérence avec le travail accompli par le Sénat, apporté de précieux enrichissements, notamment sur quatre points.

Le premier concerne la façon dont le texte s'appliquera aux marchés publics, la préoccupation étant que la loi ne rende pas caducs, du jour au lendemain, les marchés en cours. Un délai maximal d'un an est institué avant que l'ensemble des marchés des bibliothèques soient mis en conformité avec les nouvelles dispositions.

L'Assemblée nationale a, en outre, retenu la proposition d'élargir aux fournisseurs l'obligation d'adresser à la société ou aux sociétés chargées de percevoir et de répartir les droits les informations nécessaires à la gestion du droit de prêt. Dans les faits, il apparaît en effet que la base de cette information devra être la facture émise par le fournisseur et validée par la bibliothèque.

L'Assemblée nationale a également voulu tenir compte de la vive préoccupation qui s'est exprimée face aux charges administratives qui découleraient de l'exclusion des livres offerts seulement à la consultation de l'assiette servant de base à la rémunération du droit de prêt. En effet, la distinction entre consultation et prêt obligerait les bibliothèques à codifier chaque exemplaire acheté, soit un total d'environ 10 millions de volumes chaque année. De surcroît, dans un très grand nombre de bibliothèques, le même livre peut passer successivement du statut d'ouvrage de consultation au statut d'ouvrage destiné au prêt.

Quoi qu'il en soit, cette charge de travail a semblé aux députés disproportionnée au regard de la faible part que représentent les livres destinés exclusivement à la consultation dans les fonds des bibliothèques : entre 5 % et 10 % de l'ensemble des collections. De ce fait, on distinguera simplement entre les bibliothèques de prêt - et tous les ouvrages qu'elles acquièrent relèveront de ce droit - et les bibliothèques qui ne se livrent pas au prêt, qui en seront entièrement exemptées. Je tiens à souligner qu'elles sont très peu nombreuses dans notre pays.

L'Assemblée nationale s'est enfin montrée tout à fait sensible au souhait du Sénat de réaffirmer la place centrale de l'auteur dans ce dispositif. Le projet de loi affirme donc d'emblée la place centrale de l'auteur, comme cela avait été proposé par M. le rapporteur.

Ce faisant, l'Assemblée nationale propose de reconnaître, s'agissant des modalités de répartition de la rémunération, la place des éditeurs. Ceux-ci permettent en effet la réalisation des livres, leur diffusion et leur disponibilité sur le long terme par l'inscription à leurs catalogues. Ils en assument, enfin, le risque financier.

Le projet de loi actuel vise donc, selon les traditions en vigueur dans la profession, l'accord des parties concernées, conformément à la possibilité qu'offrait le texte adopté par le Sénat, de répartir à parts égales la rémunération du droit de prêt entre les auteurs et les éditeurs.

Par ailleurs, j'ai été très sensible aux préoccupations exprimées par le Parlement quant au renchérissement relatif du coût des ouvrages qu'entraînera le plafonnement des rabais aux collectivités. Je vous rappelle que cette préoccupation a d'emblée été prise en compte, puisqu'il est proposé que la charge supplémentaire du droit de prêt soit prise en charge de façon très substantielle par le budget de l'Etat.

Mais je voudrais aller plus loin encore en accompagnant les collectivités dans leur effort d'augmentation réelle du budget des bibliothèques pour leur permettre de maintenir leur capacité d'acquisition des ouvrages. A cette fin, j'ai demandé au Centre national du livre d'étudier la mise en place d'un nouveau plan d'aide aux bibliothèques. J'ai réservé au Sénat la primeur de cette annonce.

Ce dispositif mettra en oeuvre un principe simple : toute collectivité qui maintiendrait ou accroîtrait la capacité d'acquisition de livres de sa bibliothèque en augmentant son budget se verrait verser par le Centre national du livre un concours identique à celui qu'elle abonderait.

MM. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, Daniel Eckenspieller, rapporteur, et Ivan Renar. Très bien !

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Au cours des prochains jours, un groupe de travail sera chargé d'affiner ce mécanisme pour qu'il soit porté à la connaissance des collectivités et des bibliothèques d'ici à la fin de l'été.

Enfin, je soumets à votre vote trois amendements introduits par le Gouvernement à l'Assemblée nationale. Vous avez bien voulu les adopter en commission après l'entretien que j'ai eu avec votre rapporteur, M. Eckenspieller : je tiens à vous en remercier.

Le premier de ces amendements concerne la réforme de la taxe sur le chiffre d'affaires des éditeurs de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public. Le Gouvernement a proposé de faire porter cette taxe sur le prix public des vidéogrammes et non plus sur le chiffre d'affaires des éditeurs, ce qui permettra, sans en changer le taux, d'en accroître le montant et, ainsi, de mieux soutenir l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel ainsi que l'édition en vidéo de films français. Aujourd'hui, quand on considère le catalogue général de DVD disponibles, on constate une forte dépression des titres français : l'offre est en effet essentiellement d'origine étrangère.

Cette taxe sera recouvrée non plus par le Centre national de la cinématographie, le CNC, mais, selon les mêmes modalités que la TVA, par la direction générale des impôts, qui est mieux armée juridiquement et matériellement pour le faire.

Le second amendement vise à donner à l'Ecole nationale de la photographie d'Arles un statut équivalent à celui des autres écoles nationales supérieures d'art, c'est-à-dire celui d'un établissement public administratif. Les personnels actuels de l'école d'Arles pourront conserver, à titre personnel, les dispositions de leurs contrats actuels.

Enfin, le troisième amendement du Gouvernement vise à créer l'établissement public industriel et commercial de la Cité de l'architecture et du patrimoine. Cet établissement sera, vous le savez, constitué par la fusion du Musée des monuments français, du Centre des hautes études de Chaillot et de l'Institut français d'architecture. La Cité de l'architecture et du patrimoine deviendra le lieu fédérateur et moteur de l'action de l'Etat en matière de connaissance, de diffusion et de valorisation de l'architecture et du patrimoine.

Tels sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments d'appréciation que je souhaitais vous confier en guise de préambule à notre débat. Je compte naturellement sur toute votre diligence et sur votre vigilance pour que nous fassions aujourd'hui aboutir le processus législatif engagé voilà déjà plusieurs mois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Eckenspieller, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a examiné le 2 avril dernier le projet de loi relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs, que le Sénat avait adopté le 8 octobre 2002.

Si seuls trois des six articles que comptait le texte qui lui a été transmis ont été adoptés conformes par l'Assemblé nationale, celle-ci a repris pour l'essentil les modifications que nous avons apportées au projet de loi déposé par le précédent gouvernement.

En approuvant un texte présenté comme un acte de pacification venant clore des débats passionnés, l'Assemblée nationale a apporté des modifications qui témoignent moins de sa volonté de remettre en cause la rédaction du Sénat que de respecter au plus près l'accord intervenu entre les différents acteurs de la chaîne du livre : les auteurs, les éditeurs et les bibliothécaires.

J'évoquerai brièvement l'économie du projet de loi, qui présente le mérite de concilier deux objectifs, également légitimes : l'affirmation de la mission de service public des bibliothèques et le respect des droits des auteurs.

Recourant à la possibilité ouverte par la directive communautaire du 19 novembre 1992, le projet de loi crée un régime de licence légale : l'auteur ne peut s'opposer au prêt de son oeuvre, mais il reçoit en contrepartie une rémunération.

Le souci du Gouvernement de ne pas remettre en cause l'accès du plus grand nombre au livre conduit à faire assumer à l'Etat et aux collectivités territoriales, et non à l'usager, la charge de cette rémunération. A cet égard, je me félicite de l'annonce que vient de faire M. le ministre relative au soutien que l'Etat apportera aux bibliothèques des collectivités territoriales au titre de l'effort supplémentaire que celles-ci consentiront pour les acquisitions.

La rémunération est donc financée par l'Etat, sur la base d'une contribution forfaitaire annuelle versée à raison du nombre d'inscrits dans les bibliothèques accueillant du public pour le prêt, quel que soit leur statut - à l'exception des bibliothèques scolaires -, et par un prélèvement de 6 % à la charge des fournisseurs sur le prix public des livres achetés par ces bibliothèques.

S'inspirant plus des règles en vigueur chez nos voisins européens que de la conception française du droit d'auteur, le projet de loi prévoit que les sommes ainsi collectées sont affectées à la fois au financement d'un régime de retraite complémentaire dont ne bénéficiaient pas jusqu'à présent les auteurs et les traducteurs et, pour au moins la moitié, à la rémunération des auteurs et de leurs éditeurs.

Au-delà de ce dispositif, le projet de loi vise à réformer la loi du 10 août 1981 quant au prix unique du livre afin de plafonner les rabais consentis par le fournisseurs pour les achats réalisés par certaines collectivités.

Il était en effet apparu, au fil des ans, que la libre négociation de ces rabais pénalisait les libraires les plus modestes, ceux qu'il convient précisément d'aider au regard des objectifs de la loi de 1981.

Le Sénat avait approuvé les orientations de ce texte, qui apporte enfin une solution acceptable - à défaut d'être totalement satisfaisante - à une question demeurée en suspens depuis trop longtemps.

Le Sénat, sur proposition de notre commission, avait apporté au projet de loi des améliorations rédactionnelles destinées principalement à en faciliter l'application.

Par ailleurs, considérant que le projet comportait une ambiguïté en reconnaissant à égalité à l'auteur et à l'éditeur un droit à rémunération, le Sénat avait précisé que seul l'auteur détenait un tel droit. La rédaction adoptée, conforme aux principes de la propriété intellectuelle, renvoyait à des conventions le partage de la rémunération entre l'auteur et l'éditeur, partage dont il n'avait pas nié, au demeurant, la légitimité économique.

L'Assemblée nationale n'a modifié qu'à la marge l'équilibre d'un texte dont elle a approuvé les orientations.

Dans un souci de simplification, elle a précisé que le prélèvement de 6 % porterait sur l'ensemble des livres achetés par les bibliothèques pratiquant le prêt et non sur les seuls ouvrages destinés à être prêtés.

Par ailleurs, sur la question du partage de la rémunération perçue au titre du droit de prêt, l'Assemblée nationale est revenue au texte initial du Gouvernement qui prévoyait que le partage s'effectue à parts égales entre l'auteur et l'éditeur.

Si je regrette que l'Assemblée nationale ne nous ait pas suivis sur ce point, je me félicite néanmoins qu'ait été maintenue la disposition qui accorde au seul auteur le droit à rémunération. L'ambiguïté du texte initial, qui mentionnait l'éditeur comme ayant droit de l'auteur, est ainsi levée de manière très claire.

Enfin, en dépit du souhait exprimé par le ministre lors des débats au Sénat que ne soient pas introduits dans le texte des amendements qui éloigneraient celui-ci de sa cohérence et de son objet, il nous faut constater que cette rigueur n'a pas trouvé à s'appliquer à l'occasion de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale.

En effet, sur l'initiative du Gouvernement, ont été introduits trois articles qui méritent incontestablement le qualificatif de « cavaliers ». A la décharge du Gouvernement, j'indique que ces dispositifs permettent de réaliser des réformes légitimes et, pour certaines, attendues depuis longtemps.

A défaut d'approuver la méthode qui a présidé à leur adoption, notre commission n'a pas contesté leur objet.

L'article 6 procède ainsi à la réforme de la taxe sur les vidéogrammes destinée à alimenter le compte de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle, réforme qui avait été annoncée dès le mois de janvier dernier et qui devrait permettre de rapporter 20 millions d'euros supplémentaires.

S'inscrivant dans l'effort engagé par le Gouvernement pour relancer l'intérêt des Français pour la création architecturale, l'article 7 confère le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial à la Cité de l'architecture et du patrimoine.

Cette nouvelle institution a vocation à regrouper trois entités aux missions différentes : l'Ecole de Chaillot, le Musée des monuments français et l'Institut français d'architecture.

A cet égard, monsieur le ministre, je souhaiterais obtenir des précisions sur les conditions de rénovation et de réouverture au public du Musée des monuments français, dont les collections sont très riches et qui, pour certaines pièces, constituent le dernier souvenir de monuments aujourd'hui disparus.

Quel sera le projet scientifique du musée ? Quels seront les liens entre cette institution muséographique et les autres entités constituant le nouvel établissement public ? Est-il prévu qu'il conserve son appellation ? Autant de questions auxquelles nous aimerions que vous puissiez apporter une réponse, monsieur le ministre.

Enfin, l'article 8, en prévoyant les conditions de mise en place de l'Ecole nationale de la photographie d'Arles sous forme d'établissement public, parachève la réforme du réseau des écoles d'art et du Centre national des arts plastiques, le CNAP.

En conclusion, j'indiquerai que, si sa rédaction comporte encore quelques imperfections, ce projet de loi, attendu depuis longtemps, présente l'avantage de donner une portée concrète à un droit des auteurs, tout en préservant les équilibres de la chaîne du livre.

C'est pourquoi, consciente de la nécessité de ne pas retarder plus longtemps l'adoption de dispositions consensuelles, la commission vous proposera, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi dans le texte de l'Assemblé nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel plaisir, en cette journée de tumulte, d'examiner dans la confidentialité un texte qui se révèle largement consensuel ! (Sourires.)

Avec l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs, nous discutons aujourd'hui d'un dispositif qui ne donne guère matière à de nouveaux développements, le rapporteur, M. Eckenspieller, nous ayant très exactement rendu compte, à la suite de M. le ministre, de ce qui s'était passé entre les deux assemblées. S'y sont ajoutées trois mesures qui, elles non plus, n'appellent pas de grandes modifications ; en tout cas, je ne le souhaite pas.

Je n'évoquerai que l'une d'entre elles, qui, à mon sens, est très importante. Il s'agit de la modification du régime de la taxe sur les vidéogrammes, mesure attendue depuis longtemps, ce qui justifie en quelque sorte notre indulgence pour le caractère cavalier, si je puis dire, de son insertion dans ce projet de loi : on a cherché un véhicule législatif, on en a trouvé un, tant mieux !

Préparant avec notre collègue Paul Loridant, au nom de la commission des finances - vous voyez que le consensus était déjà très grand au sein de la commission ! -, un rapport sur les aides publiques au cinéma, j'avais d'ailleurs pris l'initiative d'évoquer la question lors de l'examen de la loi de finances rectificative à la fin de l'année, et j'avais obtenu une réponse d'attente positive de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget.

Remarquons tout d'abord qu'il est rare qu'un changement de législation fiscale qui doit se traduire par un prélèvement accru fasse l'objet d'une quasi-unanimité au sein des professionnels appelés à la supporter.

Il s'agit en effet de tirer les conséquences dans notre code général des impôts de la croissance explosive du marché du DVD, qui a été de 25 % en valeur en 2001, représentant 825 millions d'euros, et d'augmenter ainsi la contribution de ce secteur à la promotion du cinéma français et, par là même, à la préservation de notre identité culturelle.

Les aides publiques au cinéma français, qu'elles soient automatiques, c'est-à-dire distribuées au prorata des entrées en salle, ou sélectives, c'est-à-dire accordées sur des critères discrétionnaires, sont, comme on le sait, financées par les fonds inscrits sur un compte spécial du Trésor, lui-même alimenté par une taxe spéciale de 11 % sur les billets et par une contribution des diffuseurs audiovisuels sur leur chiffre d'affaires publicitaire, au taux de 5,5 %, ainsi que par une taxe de 2 % sur le chiffre d'affaires des éditeurs de vidéogrammes, de cassettes et de DVD.

Très sagement, le Gouvernement a résisté aux demandes de tous ceux qui voulaient que l'on augmente ce dernier taux pour l'aligner sur celui qui est applicable à la publicité télévisée. Il s'est contenté de maintenir le taux actuel, mais en l'asseyant non plus sur le prix perçu par les éditeurs, mais sur celui que paie le public. Corrélativement, la taxe serait perçue non pas à l'échelon des éditeurs, par le CNC, mais à celui du détail et suivant les mêmes modalités que la taxe sur la valeur ajoutée, moyennant des frais de prélèvement égaux à 2 %.

Le gain attendu est non négligeable, sans toutefois être considérable à l'échelle du compte de soutien. Dans son rapport, M. Jean-Pierre Leclerc estime le supplément de recettes à 6 millions d'euros la première année et à un peu moins de 15 millions d'euros en 2006, étant entendu qu'à cette augmentation viendrait s'ajouter celle qui résulte mécaniquement de la croissance attendue du marché du DVD, qui est de l'ordre de 20 % par an. Nous rejoignons ainsi, en ordre de grandeur, l'évaluation avancée par M. le rapporteur, soit 20 millions d'euros.

Sur le plan technique, je voudrais faire deux observations.

Premièrement, le choix du Gouvernement a le mérite de la simplicité : percevoir la taxe sur le modèle de la TVA et la faire recouvrer par les services fiscaux devrait permettre de mieux appréhender les opérations imposables et d'éviter les déperditions que l'on constatait dans l'ancien système, du fait notamment d'importations plus ou moins bien contrôlées.

En revanche, les formes parallèles de distribution des DVD que constituent notamment les ventes par Internet, voire les distributions à prix bradés dans les stations d'essence ou même la distribution de films dans les circuits de presse - qui, en outre, bénéficie du taux super-réduit de TVA - ne sont pas suffisamment mises à contribution.

Telle est la raison pour laquelle la commission des finances avait un moment envisagé, avant que le ministère des finances ne l'en dissuade pour des raisons pratiques, de proposer une taxe fixe à l'unité, voisine dans son esprit du prélèvement rémunérant la copie privée. Cette taxe aurait présenté l'avantage de peser plus lourdement sur les DVD de films américains, souvent déjà amortis et distribués à des conditions de dumping, puisqu'ils ne coûtent parfois guère plus de 1 euro l'unité !

Deuxièmement, toujours sur le plan technique, je voudrais signaler qu'une application trop brutale du nouveau régime pourrait être préjudiciable aux professionnels ayant des stocks importants. En effet, ceux-ci se verraient doublement taxés puisque le nouveau régime s'appliquerait à eux au 1er juillet prochain alors qu'ils auront déjà supporté la taxe perçue par l'éditeur. L'injustice serait d'autant plus flagrante que la taxe ad valorem pèse déjà naturellement plus lourdement sur les distributeurs spécialisés qui commercialisent les films français, dont les prix sont plus élevés que ceux des produits américains, et qui font en quelque sorte un effort de catalogue. Nous avons reçu à cet égard des correspondances d'un certain nombre de grands distributeurs spécialisés, tels Virgin Megastore ou la FNAC.

Il me semble, dans ces conditions, que le report de quelques semaines de l'entrée en vigueur du nouveau régime serait de nature à limiter cet effet pervers de la réforme, une telle mesure pouvant être prise à l'échelon administratif.

Je voudrais terminer mon propos en signalant - et c'est l'une des conclusions essentielles du rapport que j'ai fait approuver, avec notre collègue Paul Loridant, par la commission des finances - que l'augmentation de la contribution des DVD à la défense du cinéma français était un ajustement nécessaire, mais qu'elle ne sera pas forcément suffisante pour prolonger l'embellie que connaît ce secteur depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

Sans doute le système actuel du compte de soutien peut-il continuer à fonctionner, mais ce n'est pas une poignée de millions d'euros supplémentaires qui suffira à lui permettre de faire face aux chocs externes - ils restent possibles, même si le pire n'est pas toujours sûr - que constitueraient la révision à la baisse des obligations de Canal Plus ou la remise en cause du système par les autorités de Bruxelles, à laquelle on peut s'attendre à en juger par le mauvais vouloir des hauts fonctionnaires de la direction de la concurrence. Il est vrai que, probablement, rien ne se passera avant 2005, date de la mise en place de la nouvelle Commission. Cette question mérite toutefois qu'on y réfléchisse sérieusement, et je regrette que certains rapports, notamment celui de mon ami Jean-Pierre Leclerc, n'aient pas suffisamment insisté sur cet aspect.

Cette intervention est aussi pour moi l'occasion de rappeler, sur un plan plus général, que l'on ne peut pas espérer éviter les crises ni dynamiser un secteur par le recours à des prélèvements supplémentaires. Mais, puisque ce point a fait l'objet de votre plan de mesures d'aide au cinéma, nous savons, monsieur le ministre, que telle n'est pas votre orientation !

On ne peut augmenter les prélèvements sans se poser en même temps la question de la dépense : telle est l'attitude que doivent nous dicter aussi bien le respect de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, que la conjoncture bugétaire difficile que nous traversons actuellement.

S'il faut sans doute aménager les modalités du soutien pour mieux aider certains acteurs de la filière cinématographique, notamment les industries techniques, il convient en premier lieu, pour respecter l'esprit de la LOLF, de faire évoluer notre système d'aides afin de le rendre « auditable » en dégageant, comme cela est proposé dans le rapport de la commission des finances, des indicateurs de performance.

Comment ne pas relever le fait que, sur les quelque deux cents films qui sont produits tous les ans, plus de la moitié n'atteignent pas 25 000 entrées, tandis que 60 % d'entre eux ne sont jamais diffusés sur une chaîne en clair ? Même s'il s'agit d'un résultat assez prévisible, s'agissant d'une activité de « recherche et de développement » culturels, on ne peut manquer d'être frappé par cette forme de gaspillage des talents, et il nous faut trouver les moyens de mieux exposer au public tout ce que le génie français est en mesure de créer.

Certes, mes chers collègues, je m'écarte quelque peu de l'objet du projet de loi, mais il s'agit d'une affaire qui mérite toute notre attention, même si, comme aurait dit le grand Rudyard Kipling, « c'est une autre histoire ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est sympathique que le débat portant sur un projet de loi relevant de la commission des affaires culturelles soit ouvert par deux membres de la commission des finances, à savoir M. Gaillard et moi-même. Cela me remémore un propos de Yehudi Menuhin, qui a vécu dans la ville dont je suis le maire, Ville-d'Avray, et qui évoquait très souvent les rapports entre le comptable et le violoniste : une ville qui serait gouvernée par les seuls comptables, disait-il, serait perdue d'avance ; mais une ville que gouverneraient uniquement les violonistes courrait à l'asphyxie et à la mort. Il faut donc des comptables et des violonistes : Yann Gaillard fut le comptable ; j'essaierai d'être le violoniste en rendant hommage au texte, enrichi par la navette, qu'examine aujourd'hui la Haute Assemblée en deuxième lecture.

Je constate avec plaisir - vous y avez insisté, monsieur le ministre, tout comme notre excellent rapporteur - que l'Assemblée nationale a accepté une partie des amendements que nous avions adoptés. Ce texte est donc bien consensuel, cela aussi a été rappelé.

Notre travail, qui me paraît tout à fait satisfaisant, devrait durablement marquer l'action en matière de lecture publique, domaine dont vous avez salué l'essor, monsieur le ministre. Je m'y arrêterai quelques instants.

Un élu local sait ce qu'apportent les bibliothèques dans une ville et il mesure les efforts qu'elles ont consentis pour se moderniser. Elles jouent toujours mieux leur rôle d'accueil du public, notamment, bien souvent, auprès des petits. Je voudrais insister sur ce point, car l'accueil des enfants dès la maternelle, qui peut paraître incongru, leur permet de prendre l'habitude d'aller à la bibliothèque, et, des années plus tard, d'être familiarisés avec la culture, de savoir ce qu'est un livre et de savoir s'en servir ; cela mérite d'être rappelé.

Le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, tend à définir les modalités de la prise en charge de la modernisation des bibliothèques, modernisation grâce à laquelle le ratio est passé en trente ans, si je ne me trompe, d'un prêt de livre pour dix achats à un prêt pour un achat. Comme vous l'avez souligné, une telle évolution pose des problèmes, car des équilibres très divers doivent être préservés.

Le premier équilibre à respecter - il n'a pas encore été réellement abordé - est celui qui doit s'établir entre le lecteur et le contribuable local. Tous les élus sont confrontés à ces questions : l'accès à la bibliothèque doit-il être payant ou non ? S'il est payant, doit-on mettre en place une carte d'abonnement ou un paiement au livre prêté ? Quelles que soient les ressources de la collectivité, la plupart des élus s'accordent à penser que le prêt ne doit pas être complètement gratuit, sans quoi les ouvrages ne sont pas respectés et ne sont plus rendus. Il faut donc concevoir un système qui permette d'intéresser, au sens le plus fort du terme, le lecteur à l'ouvrage prêté.

Le deuxième équilibre qu'il nous faut préserver concerne les relations entre les bibliothèques et les librairies. Vous y avez insisté, monsieur le ministre, et vous avez eu raison : comme les autres commerces de base, les librairies rendent un service au public, et elles doivent se développer, parce que les habitants de la ville n'iront pas chercher ce service ailleurs le jour où la librairie fermera. Une ville dans laquelle une librairie ferme est une ville qui régresse, une ville qui vit des jours bien tristes.

A cet égard, je salue le plafonnement à 9 % du taux des rabais accordés aux bibliothèques par les fournisseurs de livres, rabais qui, ces dernières années, pouvaient atteindre 30 % du prix de vente au public. Grâce à la fixation d'un taux maximal, les libraires cesseront de souffrir de la concurrence des grossistes et pourront rivaliser avec eux sur d'autres critères tels que la qualité du service, la rapidité ou la proximité.

Une librairie, comme une bibliothèque, apporte un supplément de vie dans une ville, et je salue, monsieur le ministre, votre souci d'intégrer cette préoccupation dans le projet de loi.

Enfin, un troisième équilibre doit être respecté, celui qui préserve, d'une part, l'ensemble des acteurs de la chaîne, qui va de l'écrivain au lecteur en passant, le cas échéant, par le traducteur et l'éditeur, et, d'autre part, toutes les structures qui mettent l'ouvrage à la disposition du lecteur - il s'agit essentiellement des bibliothèques. Mettre le prêt payé à la charge de la collectivité en général est un bon système, et vous êtes parvenu à un juste équilibre entre la part relevant de la collectivité locale et celle qui incombe à la collectivité nationale : l'Etat assume seul la part forfaitaire, l'Etat, les collectivités locales ainsi que les établissements d'enseignement et de recherche supportant ensemble le prélèvement de 6 % du prix public de vente effectué sur les achats de livres.

Votre souci de verser des droits d'auteurs également lorsque le livre est prêté et de financer ainsi un régime de retraite complémentaire pour les écrivains et les traducteurs est une bonne chose.

Je m'arrêterai, enfin, sur l'article 7 que les députés ont introduit dans le projet de loi. Il s'agit incontestablement d'un cavalier, mais il était nécessaire, et il a recueilli un avis très favorable de la part de tous ceux qui se préoccupent du devenir des établissements que réunira la future Cité de l'architecture et du patrimoine. Je salue à cette occasion le sens des responsabilités et le souci de l'avenir, indispensables à toute conservation du patrimoine, dont ont fait preuve les responsables du Musée des monuments français. Malgré plusieurs années difficiles, ils ont su garder le cap et conserver à ce musée tout son acquis et tout son rôle.

Demeure une question que M. le rapporteur a soulevée il y a quelques instants : comment dénommer ce musée ? Sa vocation, très précise, consiste à accueillir des visiteurs et à leur faire comprendre ce que la France a apporté au patrimoine, architectural notamment. Le nom proposé dans le projet de loi réunit le patrimoine et l'architecture. Qui dit patrimoine sous-entend que celui-ci doit être vivant, car il nourrit et enracine l'art de l'architecte ; mais l'architecte, à son tour, nourrit et enrichit le patrimoine : l'un et l'autre sont inséparables, et il importe que le nom du musée indique bien au visiteur qu'il s'agit d'abord de lui présenter nos monuments et notre patrimoine bâti.

Cette question du nom est une vraie question. Il faudrait trouver une formulation qui permette à la fois de rendre à la cité sa réalité et son unité et de faire apparaître le rôle du musée en son sein.

J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez répondre aux interrogations de M. le rapporteur, que je reprends à mon compte.

Compte tenu du consensus important qui entoure le projet de loi et des travaux que nous allons poursuivre ce matin, je vous confirme, monsieur le ministre, que le groupe auquel j'appartiens, le groupe de l'Union centriste, votera ce projet de loi tel qu'il sera modifié par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Danièle Pourtaud.

Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le violoniste de Denis Badré, permettez-moi de vous proposer cette réflexion d'Albert Camus : « Inutile de me dire que le sable est chaud, je veux que mes pieds nus le sentent. »

Par la force de leur imagination et de leur esprit, les auteurs, les écrivains, les romanciers, les poètes, suscitent le rêve et la réflexion. Les Français aiment lire, ils sont de plus en plus nombreux à se plonger dans les livres, à prendre du recul grâce à l'écrit, dans un monde dominé par l'image et les médias.

En 1970, pour dix livres achetés, un livre était emprunté ; aujourd'hui, à deux achats correspond un prêt. Le nombre de lecteurs, grâce aux bibliothèques, s'est considérablement accru. La proportion d'inscrits dans les bibliothèques municipales a plus que doublé entre 1973 et 1997. En vingt ans, le nombre de bibliothèques a été multiplié par quatre et leurs achats ont plus que doublé entre 1980 et 1998, passant de 3 millions à 8 millions de volumes.

C'est pour la démocratisation de la culture un pas en avant dont nous ne pouvons que nous féliciter. Mais la conséquence de cet engouement est sinon la chute brutale, du moins la stagnation des ventes totales de livres : 321 millions d'ouvrages vendus en 1996, contre 329 millions en 1986.

Il était donc plus qu'urgent de procéder à la transposition en droit interne, très attendue dans le milieu de l'édition, d'une directive européenne qui remonte déjà à dix ans et qui vise à octroyer aux auteurs et à leurs ayants droit une compensation financière au titre du prêt en bibliothèque. Tel est l'objet du présent projet de loi.

Ce texte, dont l'initiative revient à Catherine Tasca, a d'ailleurs été voté à l'unamité en première lecture au Sénat puis à l'Assemblée nationale, après quelques modifications et ajouts sur lesquels je reviendrai tout à l'heure.

C'est dire l'excellent travail de concertation que le précédent gouvernement, dès la remise, en juillet 1998, du rapport Borzeix à Catherine Trautmann, a mené pour appréhender tant la situation sociale des auteurs que l'ensemble des problèmes liés aux circuits d'approvisionnement des bibliothèques.

Dans le cadre de cette deuxième lecture, je m'en tiendrai à l'essentiel.

En faisant supporter, à la différence d'autres Etats européens, la rémunération pour prêt en bibliothèque par l'ensemble des acteurs institutionnels concernés, la France a choisi une voie réaliste. Nous avons échappé au pire pour les usagers et les bibliothèques : le prêt payant, à l'acte !

Issue d'un très large consensus, c'est la solution du prêt payé « forfaitaire » et « à l'achat », retenue par Catherine Tasca, qui prévaut dans ce texte, et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Vous le savez, mes chers collègues, le « prêt payé forfaitaire » prend la forme d'un versement par l'Etat d'un forfait annuel de 1,5 euro par inscrit dans les bibliothèques publiques et de 1 euro par étudiant inscrit dans les bibliothèques universitaires.

Le « prêt payé à l'achat » est acquitté par les personnes morales ou organisations visées par la loi du 10 août 1981, dont dépendent les bibliothèques : Etat, collectivités locales, établissements d'enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, syndicats représentatifs, comités d'entreprise et associations. Fixé à 6 % du prix public des ouvrages, ce pourcentage sera reversé par les fournisseurs aux sociétés de gestion collective chargées de percevoir et de répartir le droit de prêt.

J'ajouterai qu'à la demande des conservateurs des bibliothèques l'Assemblée nationale est revenue au texte initial qui traitait globalement les achats des bibliothèques pour le calcul de la rémunération versée par les fournisseurs. Ne comptabiliser que les ouvrages pour le prêt, comme l'avait décidé le Sénat, et décompter ceux qui sont destinés à la « consultation sur place », comme l'avait souhaité la majorité sénatoriale, était source de nombreuses difficultés comptables. C'est donc un point positif.

Une partie des sommes collectées au titre du droit de prêt - évaluées à 22,6 millions d'euros la deuxième année d'application de la réforme - permettra de rémunérer non seulement les auteurs, mais aussi les éditeurs qui, fort de la tradition française, ont souhaité un partage équitable de la rémunération entre eux. Et je me réjouis que mes collègues députés aient réintroduit la répartition « à parts égales » entre les auteurs et les éditeurs, disposition qui avait été supprimée par la majorité sénatoriale.

L'autre partie abondera les fonds d'une caisse de retraite complémentaire pour les auteurs. Cela constitue un progrès social considérable. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, pour bénéficier d'une maigre retraite de 900 euros, un auteur doit avoir cotisé auprès de l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs, l'AGESSA, pendant quarante ans, à raison d'une perception d'environ 2 300 euros de droits mensuels,... ce qui, par ailleurs, est impossible de nos jours, puisque la caisse n'existe que depuis une vingtaine d'années !

Dans un contexte où tous les Français craignent de travailler plus pour une retraite diminuée, la création de ce complément de retraite est une excellente initiative et je me réjouis que le Gouvernement l'ait reprise à son compte.

En ce qui concerne l'approvisionnement des bibliothèques, le gouvernement de Lionel Jospin avait souhaité procéder à l'extension du texte emblématique sur le prix unique du livre, présenté par François Mitterrand et Jack Lang. Or, actuellement, les ventes réalisées au profit des bibliothèques échappent au plafond de 5 % de réduction pratiquée par les librairies ou les grossistes.

Cette dérogation fait du tort aux libraires détaillants, exclus du marché des bibliothèques, du fait d'une surenchère des libraires grossistes, qui offrent des rabais pouvant aller de 18 % à 30 %, et même atteindre 40 % à Paris !

Ce projet de loi prévoit donc de plafonner à 9 % la réduction maximale qui pourra être consentie aux bibliothèques pour l'achat de leurs livres. Le marché des bibliothèques devient ainsi accessible à l'ensemble des fournisseurs, en particulier aux petits libraires indépendants, qui animent nos villes et nos quartiers. Là encore, on ne peut que se réjouir de cette démarche.

Je souhaite maintenant vous faire part de quelques réserves sur ce texte, en particulier sur la viabilité économique du système.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des garanties en termes de délais quant à l'engagement effectif de l'Etat à payer sa part forfaitaire ? Nous connaissons actuellement une période de rigueur budgétaire et je doute que le ministère de la culture soit épargné !

Le ministère de l'éducation nationale risque également de voir ses crédits continuer de diminuer. Le problème se posera donc de la même manière pour les bibliothèques universitaires. Il serait politiquement inacceptable que la part de l'Etat incombe aux étudiants via les frais d'inscription.

Par ailleurs, une dernière incertitude financière subsiste : quelles seront les conséquences de cette réforme sur les finances des collectivités locales ou sur les capacités d'achat des bibliothèques municipales ou départementales ? C'est pourquoi, tout en saluant la promesse que vous venez de faire, monsieur le ministre, de garantir, en quelque sorte, le pouvoir d'achat des bibliothèques locales, je continue de penser que nous aurons besoin d'un bilan très précis. A cet égard, je suis particulièrement attachée au dispositif qui a été adopté par le Sénat mais vidé de toute sa substance par l'Assemblée nationale : un rapport de bilan très pointu serait présenté dans deux ans, afin de bien cerner les conséquences financières de ce projet de loi, notamment pour les collectivités territoriales.

Il est regrettable que, dans un souci de simplification, l'Assemblée nationale ait supprimé totalement l'énumération du champ d'investigation de ce rapport. Je crois que nous pouvons aujourd'hui douter de son efficacité. Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de rétablir le texte voté en première lecture par le Sénat.

Enfin, comme l'a fait mon collègue Patrick Bloche à l'Assemblée nationale, je tiens à soulever un problème de forme. Ce texte comporte trois cavaliers, ce qui n'est jamais - il faut bien le reconnaître, monsieur le ministre - une bonne bonne manière de légiférer, même si, sur le fond, les mesures proposées étaient nécessaires. Examinons-les rapidement et successivement.

Vous proposez de remplacer la taxe sur le chiffre d'affaires des éditeurs de vidéogrammes par une taxe, qui reste fixée à 2 %, sur les ventes et les locations de vidéogrammes. Si l'industrie cinématographique se félicite de cette mesure qui permettra de dégager 20 millions d'euros supplémentaires, je crains que le produit de cette taxe perçu par la direction générale des impôts et reversé au CNC ne vienne compenser les réductions budgétaires auxquelles votre gouvernement nous a habitués. En tout état de cause, soyez assuré que nous serons très attentifs à ce qu'un tel tour de passe-passe ne se produise pas lors de la prochaine loi de finances.

Le deuxième cavalier donne le statut d'établissement public administratif à l'Ecole nationale supérieure de la photographie.

Le troisième cavalier donne le statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial à la Cité de l'architecture et du patrimoine.

Je formulerai plusieurs remarques à cet égard.

Tout d'abord, le choix d'un EPIC ne me semble pas la solution la mieux adaptée à cette structure, dont les ressources commerciales sont faibles. Aucun établissement ayant ce type d'activités et assurant des missions de service public n'a le statut d'EPIC ; j'y reviendrai dans la discussion des articles.

Par ailleurs, il semble indispensable de garantir les droits des salariés de l'association de préfiguration, qui ont bien sûr vocation à intégrer le nouvel établissement public.

Enfin, je défendrai un dernier amendement visant à inscrire clairement dans la loi la mission muséographique de la Cité de l'architecture et du patrimoine. Ce n'est sans doute qu'un oubli, mais il est important que notre assemblée le répare.

Pour conclure, je tiens à saluer cette sorte d'exception que constitue ce texte dans l'ensemble de nos débats. Vous avez su, monsieur le ministre, reconnaître la qualité du travail de votre prédécesseur : c'est tout à votre honneur. De son côté, le Parlement a pleinement rempli son rôle en proposant, jusqu'à présent, des ajustements indispensables.

Le groupe socialiste que je représente votera ce projet de loi avec d'autant plus de plaisir que les réserves que j'ai soulevées pourront être levées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque chaque orateur y va de sa citation, par ces temps d'incertitude ferroviaire et de lutte, je reprendrai une réflexion de Woody Allen : « Je ne sais pas s'il existe un autre monde, mais, pour plus de sûreté, j'emmène un caleçon de rechange. » (Sourires.)

Nous pouvons nous féliciter, pour ce qui concerne la rémunération du prêt en bibliothèque et la protection sociale des auteurs, du terrain d'entente que constitue ce texte. Il a été qualifié de projet d'équilibre assurant la « paix culturelle », pour reprendre l'expression de M. le rapporteur.

On peut néanmoins se poser la question du rattachement de trois articles du rayon « cavalerie et confusion des genres », qui font écran au bon esprit du projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Sans contester la légitimité des mesures proposées, cette « charge de la brigade légère » appelle naturellement la présentation d'amendements. Mais je trouve regrettable de devoir voter des lois qui deviennent, en quelque sorte, des lois à tout faire. L'objet des trois cavaliers - un de plus et c'était l'Apocalypse au Sénat ! (Sourires) - méritait mieux.

Cela étant dit, les auteurs et les éditeurs se sont finalement ralliés au régime de licence légale instituant une rémunération au titre du prêt. Ce dispositif présente l'avantage de renforcer la protection sociale des écrivains et des traducteurs, créant un financement partiel pour un régime de retraite complémentaire.

La création de la caisse de retraite complémentaire pour les écrivains et les traducteurs traduit un véritable progrès social : ceux-ci étaient les seules catégories d'auteurs à en être écartées.

Il faut étudier la question de la situation précaire du plus grand nombre de nos écrivains et de nos divers auteurs, qui ne réussissent pas à vivre de leur plume et qui doivent sacrifier beaucoup d'énergie à une autre fonction rémunératrice. Près de la moitié des deux mille trois cents auteurs recensés et des traducteurs ont un revenu inférieur au SMIC et leur retraite s'élève au maximum à 900 euros par mois.

La portée de ces nouvelles dispositions portant création d'une rémunération aux auteurs et à leurs éditeurs est loin d'être négligeable, mais elle ne résout pas la question du statut de l'écrivain dans notre société.

En étant assuré du reversement direct de sa rémunération, sans compensation de droits, l'auteur est préservé sans que les intérêts de l'éditeur ne soient entamés, puisque la première répartition se fait finalement à parts égales, comme le veut l'usage.

J'ai bien noté que l'application de la loi comportera un volet de décrets devant fixer chaque année les montants de la contribution forfaitaire inscrits en loi de finances aux budgets des ministères de la culture et de l'éducation nationale : ils détermineront la part de cotisation affectée et, surtout, ils désigneront la ou les sociétés qui seront en charge de la gestion de ce droit.

Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, « une seule société de perception et de répartition, la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit, la SOFIA, correspond, à l'heure actuelle, aux critères d'agrément posés par le projet de loi ».

Paradoxalement, le livre devient un support simple, précieux et démocratique à une époque où se développe la révolution de l'ère informationnelle avec, d'une part, le développement de technologies comme l'informatique, la robotique, les télécommunications numérisées, les biotechnologies et, d'autre part, l'extension de la numérisation avec l'essor prodigieux des « réseaux » de toutes sortes.

Décidément, l'écrit est loin d'être dépassé et sa fonction est irremplaçable pour la conceptualisation de la pensée et sa transmission.

Les professionnels de la bibliothèque sont les guides éclairés de cet univers et le réseau des bibliothèques joue un rôle de conservation et de diffusion de la pensée humaine dans toute sa diversité : l'auteur dont le livre n'est plus édité voit son ouvrage poursuivre sa vie dans ces temples de la lecture.

Dans un souci d'allègement des mécanismes de gestion, l'Assemblée nationale est revenue au texte initial du projet de loi, qui prévoit désormais que le prélèvement de 6 % du prix public s'effectuera sur les livres achetés par les bibliothèques.

Certaines dispositions transitoires ont été adoptées pour mettre en oeuvre progressivement le dispositif dès la première année : il est ainsi prévu de limiter à 3 % au lieu de 6 % la rémunération versée par les libraires sur les livres achetés par les bibliothèques et de plafonner à 12 % au lieu de 9 % les rabais autorisés sur les ventes de livres aux bibliothèques.

Mais une inquiétude subsiste en ce qui concerne les budgets des bibliothèques et leurs capacités d'acquisition : moins d'argent, moins d'achats, donc moins de livres, moins de choix, moins d'animations autour de la lecture et, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, moins de sociabilité.

Une politique de la lecture et de lutte contre l'illettrisme devrait se développer à l'échelle nationale dans une réelle complicité des différents partenaires de la chaîne du livre. Elle ne peut ni reposer ni peser sur les seules collectivités locales et il ne faut pas revenir sur la loi du 10 août 1981 qui, en excluant les collectivités de son champ d'application, a permis de rattraper les retards importants en matière de diffusion du livre et de la lecture.

Les collectivités locales ont rendu possible une implantation riche et diversifiée des réseaux de bibliothèques dans les zones urbaines et rurales, mais elles ne sauraient travailler à cet enjeu national sans l'intervention volontariste de l'Etat.

Je prends acte, pour m'en féliciter, monsieur le ministre, de l'annonce que vous venez de nous faire : le Centre national du livre accompagnera l'effort consenti par les communes pour renforcer les budgets d'acquisition de leurs bibliothèques. Cela étant, mon inquiétude persiste, car le réseau des bibliothèques publiques reste fragile, surtout si l'on y ajoute les bibliothèques scolaires et universitaires.

Par ailleurs, même si le système qui sera mis en place conduira à un rééquilibrage de la chaîne économique du livre, apportant un soutien accru à la librairie face aux grossistes, il ne saurait suffire à enrayer la crise que vit le libraire indépendant aux prises avec la grande distribution et la concentration horizontale et verticale.

Le livre n'est pas assimilable à une simple marchandise : c'est un bien culturel essentiel pour l'accès à la connaissance.

Au passage, et comme je l'avais déjà fait en première lecture, je souhaite vous faire part de ma préoccupation à la suite de la cession de la branche édition du groupe Vivendi Universal : des conséquences économiques, sociales et culturelle ne manqueront pas de résulter de la brutale concentration en France du secteur de l'édition et de celui de la distribution. Le Gouvernement ne peut rester silencieux sur cette question : le pluralisme et la diversité sont en cause.

Allez-vous donner suite, monsieur le ministre, à la proposition formulée dans le rapport Borzeix tendant à créer un fonds spécial destiné à soutenir les secteurs de l'édition en difficulté ?

L'exception culturelle intègre le livre, et c'est tout le sens de la loi de 1981.

La bibliothèque devient une institution qui participe à la diversité culturelle hors du champ concurrentiel qui, lui, ne profite qu'aux éditeurs dominants et aux formatages du marketing ambiant.

Pour paraphraser Victor Hugo, je dirai ceci : ouvrons des bibliothèques, et nous fermerons des ghettos.

Dans les bibliothèques médiévales, l'expression libri communes désignait les fonds de manuscrits qui devaient demeurer en permanence à la disposition de toute la communauté, « les livres communs », et c'est aujourd'hui, dans nos bibliothèques, le statut du livre acquis et conservé sans considération de son destin économique défini par le « marché ».

Je crois profondément que l'accès gratuit au livre dans le cadre du service public de la lecture induit l'acquisition du livre par son lecteur : le livre rencontré en bibliothèque devient un objet intime de dialogue avec le penser d'autrui ; l'auteur, et très souvent le lecteur, a besoin de conserver l'objet-livre pour prolonger ce dialogue.

En outre, il ne faut pas oublier que le marché des bibliothèques représente 10 % du chiffre d'affaires de l'édition. Le prêt et la vente se complètent et on n'améliorera pas la situation de l'un au détriment de l'autre.

La philosophie d'équilibre recherchée dans la loi a su préserver les intérêts des auteurs et de leurs éditeurs, tout en confortant le réseau des libraires indépendants et en préservant les efforts accomplis depuis vingt ans en faveur de la lecture publique et gratuite. Nos concitoyens sont légitimement attachés à cet exemple d'exception culturelle.

La bonne santé de la lecture publique conditionne la bonne santé du livre en général. Plus il y aura de livres lus, plus il y aura de livres vendus.

Pour ce petit murmure culturel dans le vacarme marchand, le groupe communiste républicain et citoyen devrait donc pouvoir voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Jacques Valade, président de la commission. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Je répondrai brièvement en évoquant les seules questions qui ne rebondiront pas à l'occasion de l'examen des articles.

Tout d'abord, monsieur le rapporteur, je tiens à vous rassurer, ainsi que votre collègue Denis Badré, sur l'avenir du Musée des monuments français : il conservera son identité. Le modèle auquel nous pouvons faire référence pour l'organisation de la Cité de l'architecture et du patrimoine, c'est le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, composé de départements distincts ayant chacun leur personnalité : le Musée national d'art moderne, la Bibliothèque publique d'information, l'Institut de recherche et de coordination acoustique-musique, l'IRCAM, et, au moment de la constitution du centre, le Centre de création industrielle, devenu maintenant le Département du développement culturel.

C'est de ce modèle-là que nous nous inspirons, de façon à préserver notamment l'identité propre de ce grand musée qu'est le Musée des monuments français.

S'agissant maintenant du traitement matériel de l'aile Paris du palais de Chaillot, je tiens également à vous rassurer : les travaux ont commencé très exactement le 22 février dernier, selon le projet d'aménagement conçu par l'architecte Jean-François Bodin.

Monsieur Gaillard, vous avez raison de souligner le développement considérable du marché du DVD. Devenu aujourd'hui l'un des principaux vecteurs de la consommation domestique de cinéma, le DVD n'est pas étranger à la crise relative que connaissent un certain nombre de chaînes de télévision qui se sont spécialisées dans la diffusion de films. L'extension de l'assiette de la taxe qui s'applique aux vidéogrammes - en l'occurrence, essentiellement aux DVD - est l'une des recommandations de l'excellent rapport de M. Jean-Pierre Leclerc.

Je précise simplement que cette extension d'assiette n'est que l'un des éléments d'un plan plus large de redynamisation du financement du cinéma dans notre pays. Ainsi, j'ai récemment annoncé la mise en place de fonds régionaux de soutien à la production cinématographique qui permettront au Centre national de la cinématographie de concourir, sur la base d'un euro pour deux euros, au dispositif de soutien budgétaire mis en place par les régions. Un certain nombre de régions - l'Ile-de-France, Provence - Alpes - Côte-d'Azur et Rhône-Alpes, notamment - contribuent déjà au développement de la production cinématographique, afin, en particulier, de favoriser la relocalisation des tournages sur le territoire de notre pays. Ce point est essentiel à mes yeux, sachant qu'aujourd'hui l'une des grandes crises qui menacent le cinéma tient, précisément, à l'exode des tournages vers l'étranger.

Je ne reviens pas sur le dispositif d'ensemble, mais je souhaite que le prochain débat budgétaire, à la fin de l'année, donne l'occasion au Sénat de délibérer sur quelques propositions nouvelles.

Monsieur Badré, vous avez raison de faire l'apologie des bibliothèques et des librairies. On a longtemps voulu présenter les intérêts de ces deux espaces de diffusion de la culture comme étant contradictoires, concurrents, antagonistes. Bien au contraire : dans une ville moyenne bien équilibrée, le bonheur culturel des citoyens repose sur l'existence à la fois d'une bonne bibliothèque et d'une bonne librairie. Le Gouvernement a le devoir de prendre soin des librairies !

C'est la raison pour laquelle j'annoncerai très prochainement, avec Renaud Dutreil, un ensemble de mesures visant notamment à la mobilisation du Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC, pour permettre la réinstallation ou le rédéploiement de librairies dans des villes moyennes.

Aujourd'hui, les commerces culturels dans leur ensemble sont extrêmement fragilisés, et cette observation qui vaut pour les librairies vaut pour les disquaires - ils ont, hélas ! presque totalement disparu du territoire - ou même pour les diffuseurs de presse ; s'agissant de ces derniers, en effet, on constate qu'en quelques années deux cents ou trois cents kiosques à journaux parisiens ont disparu. Et l'on s'étonnera de l'affaiblissement de la lecture de la presse quotidienne !

Vous avez raison de le souligner, le texte que le Gouvernement a proposé à votre délibération est équilibré en ce qu'il vise à prendre en compte les intérêts de chacune des parties concernées par la chaîne de la lecture en général, et de la lecture publique en particulier.

Madame Pourtaud, je vous rassure : le Gouvernement est responsable et a pris soin de prévoir, dans le budget 2003, au titre IV, de quoi financer la mise en oeuvre de la mesure que je propose. Le Gouvernement ne se laisse donc pas prendre de court et il veillera naturellement à ce que le budget pour 2004 prévoie des dispositions de même nature. Cessez donc d'invoquer les mauvaises perspectives budgétaires, madame la sénatrice, vous finirez par nous porter malheur ! (Sourires.).

Mme Danièle Pourtaud. Je parle d'expérience !

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Soyons à la fois vigilants et optimistes, mais, en tout cas, pas pessimistes !

J'ai pris mes responsabilités, j'ai pris mes dispositions et, pas plus en 2003 qu'en 2004, nous ne mettrons les collectivités locales, les bibliothèques, les lecteurs, les auteurs ou les éditeurs dans la difficulté. Le Gouvernement assume ses responsabilités, comme il en a d'ailleurs la réputation. Pour ma part, je le ferai avec conviction et avec vigilance.

Quant aux cavaliers, madame Pourtaud, monsieur Renar, que celui qui n'a jamais péché me jette la première pierre ! (Sourires.)

M. Adrien Gouteyron. Excellente citation !

M. Jacques Valade, président de la commission. Très bien !

M. Ivan Renar. J'en reste muet !

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Mais je constate que je ne suis la cible d'aucun projectile, preuve que chacun d'entre vous a dû, un jour ou l'autre, être complice d'une initiative de ce type ! (Nouveaux sourires.)

Les cavaliers en question sont nécessaires, et il ne faut pas non plus - autre référence - être toujours comme Blanche de Castille qui, dit-on, préférait voir son fils mort à ses pieds plutôt que coupable d'un péché mortel. D'ailleurs, ici, il ne s'agit que d'un péché véniel !

Quoi qu'il en soit, madame Pourtaud, vous avez eu raison de rappeler que ce texte s'inscrit dans l'histoire du développement du livre et de la lecture, en particulier de la lecture publique, dans notre pays. Vous avez également eu raison de rappeler à quel point la loi de 1981 dite « loi Lang » a joué un rôle important. Néanmoins, j'observe que cette loi avait la faiblesse de ne pas plafonner les rabais, ce qui a placé les libraires, notamment dans les villes moyennes, dans une situation difficile ou d'impossible concurrence avec les grossistes.

C'est donc une mesure importante que je vous propose aujourd'hui, en l'occurrence l'amélioration de la loi de 1981 sur ce point.

Monsieur Renar, j'ai, comme vous, le souci de faire en sorte que les maillons de la chaîne du livre vivent en pleine harmonie et qu'aucun n'écrase l'autre. C'est la raison pour laquelle j'ai pris soin, dès l'annonce du rachat de VUP, Vivendi Universal Publishing, par Hachette, d'organiser une table ronde de la diversité culturelle dans le domaine de la librairie. J'ai réuni au ministère les représentants des éditeurs, des distributeurs, des libraires, non seulement les grands réseaux comme la FNAC ou Leclerc - ce dernier joue un rôle de plus en plus important dans la distribution du livre - mais également les petits et moyens libraires. C'est à l'issue de ces travaux que j'ai pris l'initiative d'instaurer une instance de médiation permanente.

S'agissant de préserver la capacité de développement de l'édition française, le ministère de la culture est toujours très vigilant. Ainsi, quand, il y a quelques mois, l'ensemble du stock de la maison d'édition Les Belles Lettres a été dévasté par un incendie, le ministère de la culture s'est aussitôt mobilisé. Il a fait appel à toutes ses ressources, à tous ses moyens techniques et budgétaires pour aider Les Belles Lettres à surmonter cette épreuve très difficile qui, de surcroît, représentait un véritable désastre culturel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous le souci de préserver et de développer la capacité d'acquérir de nos bibliothèques. C'est en effet une chose de consacrer la reconnaisance d'un droit, mais c'est bien autre chose de faire en sorte que la reconnaissance de ce droit n'impose pas à nos bibliothèques une réduction de leur capacité d'acquérir et, de ce fait, une diminution de la qualité du service public. C'est dans cette perspective que je vous annonçais la mise en place d'un programme nouveau du Centre national du livre qui permettra de corriger les effets de la prise en compte du droit des auteurs, et donc de maintenir intacte, voire de développer la capacité d'acquisition de nos bibliothèques.

Encore une fois, il s'agit ici vraiment d'un texte d'équilibre qui constitue l'aboutissement d'un long processus. Pour ma part, je me réjouis d'avoir eu l'honneur de vous présenter cet aboutissement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.