Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo et Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des retraites (n° 378, 2002-2003). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si je défends, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, la motion tendant à opposer la question préalable et donc à rejeter le projet de loi, c'est que celui-ci ne correspond pas aux objectifs affichés, à savoir la répartition et la solidarité.

Messieurs les ministres, il est encore temps de prendre la mesure de la critique de nos concitoyens à l'égard d'un projet de loi qui fait peser sur les salariés, et sur eux seuls, l'effort nécessaire au financement des retraites en leur imposant de cotiser davantage et plus longtemps pour des retraites dont le montant sera en diminution programmée.

Il est encore temps, messieurs les ministres, de prendre en compte le rejet par les salariés de votre conception de la solidarité nationale ; il est encore temps de rouvrir les négociations avec les organisations syndicales majoritaires et de consulter notre peuple sur la base d'un réel débat, démocratique et sincère, portant sur les solutions envisageables, débat qui jusqu'ici n'a pas eu lieu.

Vous avez refusé de nous entendre à l'Assemblée nationale. Hier, monsieur le ministre des affaires sociales, vous avez tourné en dérision nos propositions. Soit ! Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire et pour adopter une position plus modeste. Le résultat du référendum en Corse nous montre qu'il est dangereux de s'enfermer dans des certitudes. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Cela n'a rien à voir !

Mme Nicole Borvo. Vos certitudes, ce sont celles de l'Europe libérale, de la Banque centrale européenne, de la Banque mondiale ; ce sont celles des institutions économiques et financières, qui se sont emparées depuis belle lurette de la question des retraites et, plus généralement, de celle de la protection sociale. Avec quels objectifs ?

Le premier est de limiter les dépenses publiques, par lesquelles il faut entendre les dépenses sociales, dont les retraites constituent un poste majeur : 45 % en Europe. Il s'agit donc de modifier la répartition des richesses produites pour qu'elle se fasse toujours plus au bénéfice des plus riches, toujours plus au détriment du travail.

Le second objectif est d'ouvrir largement aux institutions financières la manne des énormes masses d'argent de la protection sociale.

On sait très bien en effet qu'en réduisant le champ de l'intervention publique on ouvre largement l'espace à des réponses individuelles, c'est-à-dire aux retraites privées financées par capitalisation.

Bruno Palier, chargé de recherche au CNRS, auteur du « Que sais-je ? » La réforme des retraites, s'est très justement attaché à démontrer que l'évolution de la démographie, principale accusée dans les débats publics, ne constitue pas la seule explication, même si elle est réelle. Le nouvel environnement économique créé par l'ouverture des économies et par la construction européenne pèse, lui aussi, sur la situation financière des systèmes de retraite, comme sur le type de solution proposée. Bruno Palier considère à juste titre que, pour certains, « la réforme des retraites doit donc être l'occasion de reconfigurer les systèmes existants de façon à tirer profit des nouvelles opportunités offertes par l'intégration croissante des marchés financiers ». Voilà le réel objectif !

M. Raffarin invite les Français à « vivre la réforme comme une chance », mais pour qui est-elle une chance ? Pour les investisseurs et les assureurs, certainement, mais sûrement pas pour les actifs d'aujourd'hui et les retraités de demain, qui devront travailler plus longtemps sans pour autant avoir la garantie d'un revenu de remplacement décent.

Les assureurs s'étaient fixé comme priorité en 2003 la retraite et la santé. André Renaudin, délégué général de la FSSA, la fédération française des sociétés d'assurances, attendait ainsi du Gouvernement « qu'il permette à tous les Français d'accéder à des contrats individuels de type Préfon » et demandait pour les sociétés d'assurances « un élargissement de leur champ d'intervention sur la santé, avec un éventuel panier de soins défini par les pouvoirs publics ainsi que la participation directe à la gestion de certains risques ».

Si le présent projet est adopté, le premier objectif sera atteint. L'allongement nécessaire de la durée des cotisations pour obtenir une retraite à taux plein - combiné aux mécanismes de décote notamment et aux ajustements initiés par la funeste réforme Balladur de 1993 qui ont pour effet d'abaisser le niveau des retraites - fait en effet le lit de la capitalisation.

Quant au second objectif - l'introduction de la privatisation de la sécurité sociale -, les compagnies d'assurances sont en passe d'obtenir ce qu'elles souhaitent puisque le Gouvernement a décidé de lancer dès septembre le chantier de la réforme de l'assurance maladie sur ces bases.

Bien entendu, vous tenez un discours qui se veut rassurant. Nous l'avons entendu ici comme à l'Assemblée nationale ou à la télévision. Permettez-moi de dire que « vous mettez le paquet » pour faire passer l'équation : sauvegarde de la répartition égale réforme du Gouvernement.

M. Henri Torre. C'est vrai !

Mme Nicole Borvo. Le projet de loi réaffirme d'ailleurs les « fondamentaux », à savoir le principe de la répartition et celui de la solidarité, mais, messieurs les ministres, cela n'a pas empêché les Français de saisir que le projet du Gouvernement était tout autre (M. Roger Karoutchi fait un signe de dénégation), d'autant que M. le Premier ministre a fait un lapsus révélateur au cours d'un journal télévisé : il s'agit de « sauvegarder la capitalisation », a-t-il dit...

Votre discours se veut réaliste : toute solution - et vous avez visé à maintes reprises les propositions communistes - tendant à accroître les prélèvements obligatoires est à proscrire du fait de la concurrence et de la menace sur l'emploi que vous n'avez, bien entendu, pas manquée de brandir.

C'est, monsieur le ministre des affaires sociales, un bon sujet de débat. Aujourd'hui, l'Europe consacre en moyenne 10,5 % du PIB aux retraites alors que les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, le Japon, la Corée du Sud n'y consacrent en moyenne que 5,5 %. La Banque mondiale « gronde » les Européens et les encourage vivement à prendre exemple sur ces pays !

L'Espagne, l'Autriche, la France s'empressent de se montrer bons élèves, et la France plus encore que les autres. Mais la Grande-Bretagne, qui, sous la houlette de la Dame de fer, a naguère largement aligné sa protection sociale sur le « moins-disant social », a-t-elle une économie plus saine, des entreprises plus concurrentielles ?

Ce qui est certain, c'est que les grands groupes britanniques font d'énormes profits mais que les retraités britanniques ont vu leurs petites économies placées en bourse fondre comme neige au soleil !

M. Roland Muzeau. C'est la vérité !

Mme Nicole Borvo. Et jusqu'où s'aligner, monsieur le ministre, sur le « moins-disant » des autres ? On pourrait prendre pour modèle les pays qui n'ont aucun système de protection sociale. Ce serait encore plus net !

M. Robert Bret. C'est le « progrès » !

M. Francis Giraud. Comme en Corée du Nord, par exemple !

M. Roland Muzeau. C'est ce qu'ils veulent : c'est dans leur programme !

Mme Nicole Borvo. La compétitivité de l'économie de notre pays a toujours été assise sur les capacités de ses salariés, capacités dont formation et protection sociale sont les piliers.

Monsieur le ministre, contrairement à ce que vous aimez à nous dire, nous ne contestons pas les réalités démographiques, mais nous constatons que les données économiques, dont l'évolution de la productivité du travail, ont, elles, été étrangement passées sous silence ou tronquées. Il est vrai qu'en acceptant de mettre en débat l'ensemble de ces données, notamment l'évolution des richesses produites, vous risquiez d'avoir beaucoup plus de mal à convaincre nos concitoyens !

Pourtant, des solutions alternatives sont possibles. Pourquoi refuser d'admettre ce qu'ont établi des rapports officiels comme le rapport Chadelat, que vous avez cité, ou celui du Conseil d'orientation des retraites, à savoir que notre économie peut absorber les besoins de financement du système de retraite à l'horizon de 2040 ? C'est parce que, avant toute chose, vous souhaitez ne pas toucher aux règles qui font qu'aujourd'hui la répartition du surplus de richesses engendré par les gains de productivité sert à augmenter la rémunération du capital au détriment des salaires.

Ce discours me fait penser à celui de ces économistes du xixe siècle qui, analysant scientifiquement l'augmentation de la circulation à Paris en 1850, avaient estimé qu'en 1950 il faudrait consacrer tous les rez-de-chaussée aux écuries et les premiers étages au fourrage ! (Rires sur les travées du groupe CRC.)

Les parlementaires communistes n'ont pas été les seuls à regretter que la question, pourtant centrale, du financement des retraites ait été oubliée.

Des syndicats et des économistes ont proposé des pistes de nature à augmenter les ressources de l'assurance vieillesse, qu'il s'agisse du retour à l'équilibre initial entre la part patronale des cotisations vieillesse et la part payée par les salariés, la part patronale étant figée depuis 1979, qu'il s'agisse de changer l'assiette de calcul des cotisations patronales en l'élargissant à l'ensemble des richesses créées ou qu'il s'agisse de moduler ces cotisations pour favoriser les entreprises qui privilégient l'emploi et les salaires, solution que ma collègue, Michelle Demessine, a défendue hier, que nous avons défendue à l'Assemblée nationale et que nous avons défendue lors des débats sur tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale, y compris - les comptes rendus des débats en font foi - sous le précédent gouvernement.

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme Nicole Borvo. Parmi les pistes, citons encore l'institution d'une contribution sociale des entreprises sur leurs revenus financiers, sans oublier bien sûr la nécessité de mener une politique active et volontariste en matière d'emploi et de formation professionnelle.

Monsieur le ministre, vous aimez à dire que ni les jeunes ni les vieux Français ne travaillent. Il faut le dire autrement : trop de jeunes ne trouvent pas de travail et trop de salariés de 50 à 60 ans sont au chômage alors qu'ils veulent travailler.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Bien sûr, et c'est grâce aux politiques de l'emploi menées depuis des années !

Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre des affaires sociales, c'est la prospérité du plus grand nombre qui crée des emplois, et non pas les énormes profits de quelques-uns.

M. Roland Muzeau. Voilà !

Mme Nicole Borvo. Nous vous reprochons, monsieur le ministre, d'avoir joué du catastrophisme et du fatalisme, d'avoir en quelque sorte, et en conséquence, falsifié les termes du débat sur les solutions en présence ; nous vous reprochons de tout avoir orchestré pour confisquer autant que possible ce débat qui porte pourtant sur de véritables choix de société.

Tout avait pourtant a priori bien commencé : la méthode « du renouveau de la démocratie sociale » fixée par le Premier ministre, le lancement de la réforme en ce lieu symbolique qu'est le Conseil économique et social...

Mais, très rapidement, les partenaires sociaux ont compris à leurs dépens que la volonté du Gouvernement de les associer à cette réforme était seulement de la poudre aux yeux. Vous étiez certes prêts à consulter - vous avez d'ailleurs reçu les partis politiques -, à écouter et à discuter, mais pas à négocier !

D'un côté, le Président de la République appelait de ses voeux un consensus sur un sujet au coeur du contrat social ; de l'autre, hélas ! il n'y avait pas de consensus et le Gouvernement a montré ce qu'il en était en réalité. Il s'est employé à diviser, à opposer les uns aux autres, et notamment les salariés du secteur du privé aux fonctionnaires. Il est resté sourd aux appels de la rue, déterminée elle a protéger le droit à la retraite à 60 ans et la garantie collective d'un revenu de remplacement.

Vous avez utilisé toutes les ficelles : intimidation, menace, violence même contre les militants syndicaux.

C'est, hélas ! du déjà vu, et c'est un fait historique bien connu : la régression sociale s'accompagne toujours d'une régression démocratique.

Mais, messieurs les ministres, aucun gouvernement, aucune majorité n'y échappe : quand le peuple entre en lice, il modifie toujours la donne.

Le conflit que nous avons connu laissera, à n'en pas douter, des traces dans notre société. Le Gouvernement est le premier responsable de sa radicalisation. Et, comme le disait la sociologue Danièle Lenhart, dans la mesure où « dans ce conflit, c'est la nature même des relations entre les citoyens et les politiques qui se joue, quand on n'écoute pas la rue, on aggrave la coupure entre ces deux mondes ».

Les parlementaires communistes n'ont eu de cesse de demander au Gouvernement d'accepter de rouvrir des négociations afin de parvenir à la signature d'un accord majoritaire pour ensuite mieux visiter la démocratie parlementaire, voire - pourquoi pas ? - lorsque les options offertes aux Français seraient fixées, pour appeler ces derniers à se prononcer.

Messieurs les ministres, ni la méthode choisie ni les choix politiques retenus ne nous conviennent.

Le pilier central de votre réforme, monsieur le ministre des affaires sociales, à savoir l'allongement de la durée de cotisation, qui selon vous relève de l'équité, est au contraire une mesure « hypocrite et injuste », selon la formule empruntée aux syndicats non signataires.

Dans le contexte économique que nous connaissons, parier sur la diminution du chômage des jeunes et des « quinquas » est risqué, surtout si l'on tient compte des décisions prises en matière de politique de l'emploi - fin des emplois-jeunes, remise en cause des 35 heures, facilitation des licenciements et du temps partiel, massification des exonération de charge,... - qui viennent contrarier vos ambitions puisqu'elles tendent à augmenter le nombre de chômeurs.

Dans ces conditions et en l'absence de dispositions incitant de manière effective les entreprises à changer de comportement à l'égard des salariés de plus de 50 ans - et également à repenser le travail, comme nous y invite à le faire le Conseil économique et social, notamment en ce qui concerne les conditions de travail -, plus nombreux seront les salariés qui partiront demain sans pouvoir bénéficier du taux plein.

Les femmes ne sont que 39 % à pouvoir accéder à l'âge de la retraite à une pension complète. Combien seront-elles demain ? Monsieur le ministre, vous aviez l'air étonné hier lorsque cette question a été abordée. C'est pourtant simple : même si les femmes travaillent davantage, elles s'arrêtent souvent pour élever leurs enfants. Voyez-vous dans votre réforme le moyen de recruter les infirmières et les aides-soignantes dont les hôpitaux ont tant besoin ? Elles sont seulement 22 % à faire une carrière complète aujourd'hui. Combien seront-elles demain ? Pour les institutrices, dont nous avons tout aussi besoin, le problème se pose dans les mêmes termes.

Un professeur d'université, un sénateur conçoivent fort bien d'exercer leur activité à 70 ans. Une infirmière, une institutrice, un professeur de collège, non. C'est bizarre, n'est-ce pas ?

M. François Fillon, ministre. Ce n'est pas ce que nous leur demandons.

Mme Nicole Borvo. Nous n'avons décidément pas la même conception de l'équité...

M. Roger Karoutchi. Ça, c'est sûr !

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Certainement !

Mme Nicole Borvo. Augmentation pour tous de la durée de cotisation, diminution importante du taux de remplacement, dites-vous. Pour vous, l'équité est synonyme de « moins-disant » social. Pour nous, elle signifie retour aux 37,5 annuités pour tous, prise en compte des réalités en matière d'inégalité d'espérance de vie, garantie d'un niveau de vie à parité entre les retraités et les actifs.

Il faudrait assurer une véritable possibilité de choix, mais le choix n'est possible que si les droits sont ouverts à égalité pour tous.

Je ne vois pas dans le présent texte le « sursaut de solidarité » qu'exige, selon les termes de M. Raffarin, cette réforme, si ce n'est dans la « mesurette » destinée aux salariés ayant commencé à travailler jeunes et dans une référence aux salariés assujettis à des travaux pénibles. Mais quant à trouver la trace de la solidarité de tous, non : seuls les salariés payent !

Dernier pilier : la liberté et la souplesse qu'apporteraient les nouvelles dispositions. Là encore, nos appréciations divergent.

Les salariés seront contraints de travailler plus longtemps et seront victimes de l'érosion des pensions. Vous parvenez à imposer, à ceux qui pourront y cotiser, les fonds de pensions : c'est la réalité, que vous le vouliez ou non.

Nous considérons que, contrairement à ce que prétendent le Gouvernement et sa majorité, le projet de loi fait la part belle à la capitalisation - c'est d'ailleurs ce que vient de reconnaître, tardivement, la CGC - et qu'il met donc en péril les principes d'égalité et de solidarité.

Telles sont les raisons qui motivent notre demande de rejet du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Excellent !

M. Alain Gournac. Vous avez oublié de parler du MEDEF !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Franchement, il y a des logiques difficiles à suivre !

Mme Borvo, qui nous demande de ne pas débattre du projet de loi au prétexte qu'il ne répond ni aux enjeux présents et à venir ni aux aspirations des Français, nous invite ce matin à suivre les partenaires sociaux afin que la négociation dont, paradoxe, elle déplorait hier l'absence reprenne !

Cela m'amène à revenir sur la méthode. Au cours des derniers mois, la commission des affaires sociales, qui a d'ailleurs ouvert à plusieurs reprises ses auditions à l'ensemble de nos collègues, a bien évidemment reçu les partenaires sociaux - elle l'a fait à trois reprises - ainsi que des personnalités qualifiées et elle a pu entendre ces différentes personnes se féliciter d'avoir tout au long de l'année pu dialoguer avec le Gouvernement, en particulier, bien sûr, avec les ministres chargés du dossier des retraites et leurs collaborateurs. Certains ont même comptabilisé plus de vingt séances de quatre heures au cours de la phase préalable de concertation avec les partenaires sociaux et les personnes qualifiées, phase pendant laquelle la concertation s'est de surcroît conjuguée avec une information adressée à l'ensemble des Françaises et des Français.

Je crois donc qu'il n'y a pas lieu aujourd'hui d'arrêter la phase parlementaire, car c'est la suite logique de la phase d'information, de concertation et de négociation qui vient de se dérouler. Il nous appartient maintenant, après l'Assemblée nationale, de prendre notre place dans le débat.

J'ai relevé un deuxième illogisme.

Selon Mme Borvo, le projet de loi ne serait pas à la hauteur des enjeux auxquels est confrontée la France et ses objectifs ne seraient pas les bons. Pourtant, et on l'a dit à de nombreuses reprises, la réflexion du Gouvernement et le projet de loi qui en résulte se sont fondés sur des rapports qui avaient suscité l'adhésion de tous, à commencer par le premier et le plus significatif d'entre eux, celui de Michel Rocard en 1991.

Mme Nicole Borvo. Il y en a eu d'autres depuis !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Certes, madame Borvo, et, en outre, depuis 1991, vous et votre parti avez participé à l'action gouvernementale, vous l'avez soutenue...

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Où est la cohérence dans vos critiques, alors que le projet de loi reprend, dans la majeure partie de sa trame, les conclusions de différents rapports dont je ne rappelle que les plus importants, celui de Michel Rocard évidemment, mais aussi ceux de Jean-Michel Charpin et de Raoul Briet ?

Tous se félicitent de la pertinence du rapport Charpin. Or je relisais récemment la lettre de mission que le Premier ministre d'alors, M. Lionel Jospin - vous souteniez son gouvernement, madame Borvo -, avait adressée à M. Charpin. Il était demandé à ce dernier d'apporter, en se fondant sur les très bonnes bases du Livre blanc de M. Rocard mais aussi - paradoxe ! - sur la réforme pertinente menée en 1993 par Edouard Balladur, ses réflexions personnelles afin de permettre au Gouvernement d'agir en la matière.

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas un argument ! Vous fuyez vos responsabilités !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Autre incohérence, vous nous reprochez depuis hier de ne pas avoir pris de dispositions pour mettre en place, en corollaire de la réforme des retraites, une véritable politique de l'emploi. Je vous rappelle que, lors de l'élaboration, dans les conditions que vous connaissez, de la loi sur les 35 heures - la plus grande loi de l'après-guerre, selon Mme Aubry -...

M. Pierre Fauchon. La plus désastreuse !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... nous avions déploré qu'une réflexion sur le travail n'ait pas été menée dans ce pays.

Ne nous reprochez donc pas de ne pas faire ce que vous-mêmes n'avez pas fait !

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je laisse maintenant à M. le président de la commission des affaires sociales le soin d'évoquer les problèmes de fond et les objectifs de cette réforme, qui sont, je le rappelle, en grande partie fondés sur les conclusions des principaux rapports rédigés ces dernières années. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

MM. Marcel Debarge et Guy Fischer. Merci de nous regarder en face !

Mme Hélène Luc. Regardez-nous droit dans les yeux !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je vous regarde droit dans les yeux, mais je dois dire que je ne comprends pas très bien les intentions du groupe communiste républicain et citoyen. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo. Allons bon !

M. Guy Fischer. On va vous les expliquer !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je n'en doute pas, monsieur Fischer !

Votre intention est-elle véritablement de retarder la discussion de ce projet de loi ?

M. Alain Gournac. Voilà !

M. Marcel Debarge. Et après ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je n'en suis pas très sûr, mes chers collègues ! En effet, lorsque l'on pousse la critique d'un texte jusqu'à la caricature, à la démagogie, voire à la provocation à l'égard du Gouvernement, et ce d'une façon presque insultante, l'objectif est-il vraiment de faire de l'obstruction ? Ne serait-il pas plutôt d'amener le Sénat à adopter la motion tendant à opposer la question préalable, pour hâter le débat et se diriger plus vite vers la constitution d'une commission mixte paritaire ? (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

MM. Claude Domeizel et Guy Fischer. Chiche !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Ça, c'est une bonne idée !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je me demande si telle n'est pas l'intention réelle du groupe CRC ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

En effet, celui-ci fait preuve, d'habitude, d'un plus grand sens de la mesure. Ses membres savent bien que, après la gabegie et le temps perdu à l'Assemblée nationale, il faut accélérer nos débats pour sauvegarder notre système de retraite par répartition.

Mme Hélène Luc. Retirez ces mots, monsieur le président de la commission !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour y parvenir, vous savez que nous devons agir vite et qu'il n'y a plus de temps à perdre, au regard des situations tragiques qu'affrontent les travailleurs de notre pays.

Mme Hélène Luc. Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale est le reflet de ce qui s'est passé dans le pays ! Retirez vos propos, le débat à l'Assemblée nationale ne relève pas de la gabegie !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Conscients comme vous du temps déjà perdu tout en étant respectueux de l'obligation qui s'impose au Sénat de débattre au fond d'un tel sujet, nous ne voterons pas votre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Guy Fischer. Nous voilà rassurés !

Mme Hélène Luc. C'est honteux de parler de gabegie à propos d'un débat parlementaire !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Regardez ce qui s'est passé au cours de la première semaine de débat à l'Assemblée nationale !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Fillon, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à l'Assemblée nationale, je tiens à saluer l'effort consenti par le parti communiste pour rédiger un projet de rechange.

Son contenu est à l'image d'une politique économique et sociale qui n'a désormais plus cours dans aucun pays d'Europe. (Rires au banc des commissions.) Dans le monde de concurrence qui est le nôtre et dans une Europe ouverte, cette politique serait, selon moi, source de déclin économique et de chômage. (Oui ! sur les travées de l'UMP.)

Nous estimons que prospérité sociale et développement économique doivent être accordés et équilibrés ; vous estimez, pour votre part, mesdames, messieurs les membres du groupe CRC, qu'il existe un « trésor caché » que l'on saura bien solliciter au titre des prélèvements obligatoires et des taxes.

Mme Nicole Borvo. Toujours la caricature !

M. François Fillon, ministre. Finalement, la réforme des retraites ne serait, pour le parti communiste, que le moyen de contester l'économie libérale, qu'il continue de combattre.

Cette hostilité viscérale à l'égard du marché...

Mme Nicole Borvo. La création de la sécurité sociale a été votée par les gaullistes !

M. François Fillon, ministre. ... est cohérente avec son idéologie. Il est dommage qu'elle le soit un peu moins avec sa pratique, puisque, durant cinq ans, le PCF a soutenu une politique qui a « surfé » sur une augmentation, entre 1998 et 2000, de près de 100 % de la plupart des valeurs boursières ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis, et M. Roland du Luart. Eh oui !

M. François Fillon, ministre. Mais je laisse l'opposition à ses contradictions...

En ce qui le concerne, le Gouvernement a fait le choix de l'exigence et du courage pour assurer le maintien de la répartition et en garantir le financement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Le reste n'est que contrevérités, notamment lorsque vous essayez de faire croire aux Français que certaines dispositions du texte, telles que l'élargissement du champ de l'épargne-retraite, font le lit de la capitalisation. La Préfon a-t-elle fait le lit de la capitalisation ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Jacques Peyrat. Très bien !

Mme Nicole Borvo. C'est ridicule de dire cela !

M. François Fillon, ministre. Dès lors, pourquoi réserver celle-ci uniquement au secteur public et rejeter son extension au secteur privé ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jacques Peyrat. Parfait !

M. François Fillon, ministre. Ce serait faire preuve d'injustice, et ce au nom même de l'équité que nous souhaitons consacrer par ce projet de loi.

Le parti communiste a toujours fait montre de beaucoup de talent pour s'octroyer le monopole de la défense des oubliés,...

M. Alain Gournac. Toujours !

M. François Fillon, ministre. ... mais la vérité est que, grâce à l'effort collectif que nous demandons, c'est nous et notre majorité qui allons réussir à faire évoluer enfin la situation de salariés qui, jusqu'à présent, étaient laissés pour compte ! (Mme Nicole Borvo s'exclame.)

MM. Alain Gournac et Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Eh oui !

M. François Fillon, ministre. Ce sont d'abord ceux qui ont toujours travaillé au SMIC : le montant de leur retraite s'élèvera, pour une carrière complète, à un minimum de 85 % du SMIC net en 2008,...

M. Alain Gournac. C'est vrai !

M. François Fillon, ministre. ... contre, je le rappelle, 81 % aujourd'hui ! (Protestations sur les travées du groupe CRC. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Hilaire Flandre. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Cela sera rendu possible par la revalorisation du minimum contributif, à laquelle vous n'avez pas procédé pendant cinq ans.

M. Jacques Peyrat. Très bien !

M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Ils sont contre !

M. François Fillon, ministre. Vous contestez l'indexation sur les prix, et souhaitez une indexation sur les salaires. Or, indexer les pensions sur les salaires, outre le fait que, depuis 1987, cette idée ne vous était jusqu'à présent jamais venue à l'esprit (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP),...

Mme Nicole Borvo. Vous ne vous tenez pas au courant !

M. François Fillon, ministre. ... c'est 2,5 % de PIB en plus à l'horizon 2040. Ce n'est donc plus quatre points de PIB qu'il faut trouver pour financer notre régime de retraite par répartition, mais six et demi ! (M. Alain Gournac rit.)

Mme Marie-France Beaufils. Et alors ?

M. François Fillon, ministre. Par ailleurs, les départs anticipés en cas de longue carrière constituent la deuxième avancée sociale, considérable et unique en Europe. Grâce à l'accord que nous avons signé, les personnes ayant commencé à travailler à l'âge de 14, de 15 ou de 16 ans et justifiant d'une durée d'assurance et de cotisation définie par le relevé de décision du 15 mai 2003 pourront partir à la retraite entre 56 et 59 ans.

Mme Nicole Borvo. Vous n'avez pas convaincu les Français !

M. François Fillon, ministre. Madame la sénatrice, quand on a obtenu 5,6 % des voix aux élections législatives, on ne peut pas non plus prétendre avoir convaincu tous les Français ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. M. Chirac a fait 19 % !

M. Marcel Debarge. Un peu de modestie !

M. François Fillon, ministre. Les départs anticipés constituaient une vieille revendication des partenaires sociaux, relayée par certains parlementaires, notamment communistes, en novembre 2000, mais le gouvernement socialiste avait alors opposé une fin de non-recevoir à cette demande pourtant juste et humaine.

La troisième avancée sociale de ce texte tient à la suppression de la condition d'âge pour les pensions de réversion. Le système de l'assurance veuvage, qui profite aujourd'hui aux veuves âgées de moins de 55 ans, est contesté par les associations de conjoints survivants. Cela concerne 16 % des veuves : supprimer, dans le mécanisme de la réversion, la condition d'âge représente un effort supplémentaire de 300 millions d'euros à l'horizon 2008.

Enfin, pour la première fois dans l'histoire de notre système de retraite, la notion de pénibilité entre dans la loi. Les partenaires sociaux seront en effet invités à conclure une négociation sur la pénibilité afin de la prendre en compte et de définir les moyens de la réduire. Ils ont trois ans pour y parvenir.

Tel est notre projet. Toutes ces avancées démontrent que c'est bien la réforme par l'effort partagé et demandé à tous qui permet de faire progresser la justice sociale.

Cela étant, madame Borvo, projet contre projet : passons au vôtre !

M. Alain Gournac. Ah !

M. François Fillon, ministre. Vous nous présentez un certain nombre de mesures, qui sont au demeurant intéressantes, mais dont la seule lacune est l'absence de chiffrage. Je vais donc apporter ma pierre à la construction de votre projet (Rires au banc des commissions) en chiffrant le coût de quelques dispositions, afin qu'ensuite l'on puisse débattre des moyens de les financer.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Vous proposez d'abord une augmentation immédiate des retraites et pensions, incluant une première étape de rattrapage du pouvoir d'achat, ce qui représenterait un effort de près de 2 milliards d'euros en faveur des retraités du seul régimegénéral.

Vous proposez ensuite une réindexation des retraites sur l'évolution moyenne des salaires bruts - j'ai d'ailleurs dit tout à l'heure que telle n'était plus la règle depuis 1987 -, ce qui engendrerait une dépense de 16 milliards d'euros en 2020.

Vous proposez en outre la prise en compte, pour établir le montant des pensions de retraite, de la totalité des rémunérations pour les fonctionnaires, avec intégration des primes dans les traitements indiciaires du secteur public, soit 5 milliards d'euros supplémentaires.

Vous proposez également la revalorisation du minimum contributif au niveau de 1983 - je rappelle que cela n'a pas été fait ces cinq dernières années -, soit 95% du SMIC, ce qui coûterait 2,1 milliards d'euros à l'horizon 2020.

M. Alain Gournac. Et on continue !

M. François Fillon, ministre. Vous proposez 37,5 annuités de cotisation pour tous, soit plus de 10 milliards d'euros de dépenses supplémentaires.

Vous proposez enfin le départ avant 60 ans pour ceux qui ont cotisé quarante ans, ce qui représente, pour l'ensemble de cette catégorie, je l'ai dit tout à l'heure, 8 milliards d'euros pour les régimes de base.

Le mérite du projet du parti communiste est qu'il prévoit le financement des mesures présentées, ce qui est assez rare dans les projets de l'opposition...

Ainsi, pour ce qui est du financement, vous nous proposez notamment de nous en remettre à l'augmentation de la productivité, qui assurera, comme ce fut le cas dans le passé, prétendez-vous, le financement des retraites. (M. Alain Gournac s'esclaffe.)

Le Conseil d'orientation des retraites répond très clairement à cette suggestion. Il a chiffré quelle serait l'incidence d'une haute productivité, la plus haute imaginable. Le besoin de financement serait alors réduit de 1,1 point par rapport aux 4 points de PIB prévus en 2040. Mais c'est un scénario qui repose sur l'idée que la totalité des gains de productivité sont affectés aux seules entreprises, au seul financement des retraites. Si l'on partage - ce qui est naturel - les gains de productivité entre les salariés et les retraités, il n'y a alors plus d'effet sur le solde des régimes de retraite.

Vous nous proposez également la suppression des exonérations de cotisations. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le démontrer à plusieurs reprises, de telles exonérations sont nécessaires pour alléger le coût de l'emploi, notamment le coût de l'emploi peu qualifié. Si on les supprimait aujourd'hui, il y aurait un choc en retour immédiat sur l'emploi, et donc sur les recettes de la sécurité sociale.

Vous nous dites qu'il suffit d'augmenter les cotisations patronales, qui sont à la charge des entreprises.

M. Roland Muzeau. Nous n'avons jamais dit : « il suffit » !

M. François Fillon, ministre. Cela montre bien, incidemment, que, quand vous prétendez par ailleurs que la totalité de l'effort en matière de financement est demandé aux salariés, vous oubliez au passage que les cotisations vieillesse sont acquittées, pour les deux tiers, par les entreprises !

M. Roland Muzeau. Les entreprises, ce sont les salariés !

M. Jean-Louis Lorrain. Ecoutez !

M. François Fillon, ministre. Le rapport du COR indique, à la page 234, que toutes les études économiques menées dans le passé montrent qu'une hausse des cotisations pour les employeurs et les salariés finit toujours par peser sur le salarié.

M. Roland Muzeau. Cela fait trente ans que ça n'a pas bougé !

M. François Fillon, ministre. La hausse des cotisations n'est naturellement pas à écarter, puisque nous la retenons pour les deux tiers du besoin de financement, mais cela ne peut constituer la seule réponse au problème.

Un sénateur de l'UMP. Bien sûr !

M. François Fillon, ministre. Par ailleurs, le Fonds de réserve des retraites, dont le principe a été approuvé en 1999 puis en 2001, sous le gouvernement précédent, ne trouve pas grâce aux yeux des parlementaires communistes. Il en est de même pour le Fonds de solidarité vieillesse, créé par la loi de 1993 pour financer les avantages non contributifs.

Ces propositions, mesdames, messieurs les sénateurs, si elles étaient mises en oeuvre, auraient un effet massif dès la première année d'application, compte tenu des demandes de revalorisation générale.

La seule remise en cause de la réforme de 1993 et le rétablissement de l'indexation des pensions sur les salaires, qui n'est plus pratiquée depuis 1987, représenteraient un coût minimal de l'ordre de 30 milliards d'euros à l'horizon 2010.

On le voit bien, l'ensemble des demandes que vous formulez constituent une remise en question complète de notre système, avec un besoin de financement supplémentaire de l'ordre de 50 milliards d'euros (Exclamations sur les travées de l'UMP), montant final qui, d'ailleurs, n'a pas été contesté à l'Assemblée nationale. Les retenir rendrait impossible le maintien de notre régime de retraite par répartition. Ce n'est pas le choix qu'a fait le Gouvernement,...

M. Roger Karoutchi. Ni le nôtre !

Mme Nicole Borvo. Vous n'avez pas tout chiffré !

M. François Fillon, ministre. ... et même si la majorité peut avoir la tentation d'abréger les débats, je lui demande de ne pas adopter la motion tendant à opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, vous vous trompez. Il y a belle lurette que nous n'avons plus de modèle. (M. Alain Gournac rit.) Cela étant, vous venez d'exposer le vôtre.

Votre modèle,...

M. Henri de Raincourt. Libéral !

M. Roland Muzeau. ... c'est celui que subissent des millions de salariés qui, pendant quarante ans, restent payés au SMIC, et ce dans le meilleur des cas, puisque nombre d'entre eux travaillent à temps partiel ou passent des mois, voire des années, au chômage.

Votre modèle, celui du libéralisme et de l'ultralibéralisme, consiste à maintenir, dans notre pays, des rémunérations minimales pour une majorité de salariés qui mènent une vie impossible. Tel n'est pas notre modèle !

Devant la commission des affaires sociales, vous aviez commencé votre intervention, monsieur le ministre, en affirmant de manière péremptoire et tout à fait significative votre volonté farouche de faire passer en force ce projet de loi, qui serait, selon vos dires, le « fruit du dialogue social ».

M. Henri de Raincourt. C'est vrai !

M. Roland Muzeau. Comment pouvez-vous, sur le plan intellectuel, soutenir une telle chose ?

Vous prétendez que vous avez reçu à maintes reprises les organisations syndicales. Mais les recevoir et discuter ne veut absolument pas dire négocier ! Pour vous, la réforme nécessaire, c'était la vôtre ! Elle s'inscrivait dans votre logique et ne pouvait s'ouvrir à des contre-propositions. Vous venez de nous donner de nouveau votre version des faits.

La vérité n'a pas été dite aux Françaises et aux Français, à tous les salariés de notre pays. Vous parlez de dialogue social alors que le gouvernement auquel vous appartenez érige la surdité en vertu politique. La grande majorité de la population - 58 % de nos concitoyens, selon un sondage réalisé voilà quelques jours - rejette votre réforme, mais vous persévérez contre vents et marées...

Le régime des retraites relève d'un choix de société. La France, quatrième puissance économique mondiale, a retenu, dans ce domaine, des options différentes de celles de ses voisins.

Nous n'acceptons pas, monsieur le ministre, la multiplication des contrevérités.

Un vrai débat doit par exemple avoir lieu sur la question de la démographie.

L'évolution de celle-ci constitue, selon vous, un argument massue : dans les années à venir, les enfants du baby-boom parviendront à l'âge de la retraite et ne seront pas remplacés par un nombre suffisant d'actifs. Et pour cause, serais-je tenté de dire : il n'est qu'à voir les effets dévastateurs de la croissance du nombre de sans-emploi, indemnisés ou pas, et des vagues de licenciements.

A vous en croire, monsieur le ministre, une seule voie existerait pour sauver le régime de retraite par répartition : faire travailler les Français plus longtemps et, surtout - ce sera le résultat inévitable - abaisser le niveau des retraites et pensions. Mais cela, vous ne le dites pas !

L'argument massue de la démographie ne résiste pas à l'analyse et au débat. Bien entendu, l'évolution de la population a des conséquences, mais vous niez l'existence d'autres leviers macroéconomiques permettant de faire face au vieillissement de la population.

Tout d'abord, toute réforme des retraites est irrecevable sans lancement d'une lutte efficace et d'envergure contre le chômage et la précarité. Ce qui « plombe » le système, c'est avant tout le fait que des milliers de personnes ne peuvent y contribuer.

A cet égard, la question de la jeunesse est cruciale. Quelles dispositions envisage-t-on de prendre pour permettre à la jeunesse de trouver sa place dans la vie active, dès les études finies ?

Par ailleurs, il s'agit de permettre aux salariés de travailler effectivement, s'ils le souhaitent et si les entreprises ne les rejettent pas vers l'ANPE, jusqu'à l'âge de 60 ans. Que pensez-vous du fait que notre taux d'activité des salariés âgés de plus de 55 ans soit le plus bas d'Europe ? En effet, ce taux est de 31 % en France, contre 66 % en Suède, 52 % au Royaume-Uni, 50 % au Portugal, 45 % en Finlande, 37 % en Allemagne et 38 % en Espagne et en Grèce. C'est là un problème pour l'Europe tout entière, mais qui est particulièrement sensible en France.

Quel dispositif réellement coercitif entend-on mettre en place à l'encontre des entreprises qui licencient par seul souci de rentabilité financière, comme vient de le réaffirmer le baron Seillière ?

De même, la question de l'emploi des femmes est centrale. Quelles conditions veut-on créer pour qu'elles ne soient pas les premières victimes du sous-emploi et des sous-rémunérations ?

En France, 56,1 % d'entre elles ont un emploi, contre 70 % en Suède, 65 % au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas et 61 % au Portugal.

Enfin - ce sera mon troisième et dernier argument pour justifier le rejet d'emblée du texte que vous nous présentez aujourd'hui et exiger, en synergie avec le mouvement social, l'ouverture de véritables négociations, comme le feront ceux qui manifesteront demain devant le Sénat et que vous pourrez rencontrer, chers collègues de la majorité, si vous sortez de cette enceinte (Exclamations sur les travées de l'UMP) -, le projet de loi relève d'un choix dogmatique, celui de la mondialisation libérale.

Mon amie Nicole Borvo a cité tout à l'heure un ouvrage très instructif de la collection « Que sais-je ? ». Je vais donner moi aussi au Sénat lecture d'un passage de ce livre, pour que chacun comprenne bien les données du problème :

« Ce n'est pas seulement la situation démographique qui pousse à la réforme des retraites. (...) Les processus d'intégration économiques et mondiaux ont contribué à pousser les réformes vers une limitation des dépenses publiques des retraites. »

L'auteur, M. Bruno Palier, dévoile très sérieusement le « pot aux roses » que vous dissimulez, monsieur Fillon :

« Ces politiques d'inspiration monétariste et néoclassique reposent sur l'orthodoxie budgétaire (dette et déficits réduits, taux d'intérêt bas, taux d'inflation réduits) et limitation des dépenses publiques. Les mesures de réduction future des retraites sont donc tout autant imposées par les choix économiques partagés au niveau européen que par la démographie. »

Messieurs les ministres, je vous demande solennellement de répondre à cette démonstration, ce que vous avez refusé de faire jusqu'à présent.

Je vous demande également de répondre à l'argument suivant : la production de richesse par habitant devant doubler d'ici à 2040, la part de PIB supplémentaire exigible pour financer les retraites dans l'avenir ne peut-elle être puisée à cette source ? Ce qui a été possible ces quarante dernières années le sera forcément aisément au cours des quarante prochaines ! C'est bien la question de la répartition du surplus de richesse engendré par les gains futurs de productivité entre salaires nets, cotisations sociales pour les retraites et revenus du capital qui est posée. Les gains de productivité dus aux nouvelles technologies doivent profiter à l'homme et non plus aux circuits financiers.

Monsieur le ministre, un choix de société existe : le nôtre, qui place l'épanouissement humain en son coeur, n'est pas le vôtre ou celui de vos amis, qui place le marché comme seul horizon pour l'humanité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen en feront la démonstration et agiront en ce sens. Un autre monde et une autre logique sont possibles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Muzeau n'a pas le monopole du coeur !

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.

M. Pierre Fauchon. Les arguments produits, en particulier par Mme Borvo, à l'appui de cette motion tendant à opposer la question préalable nous paraissent élever la pratique des contrevérités au rang des beaux-arts. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Si je comprends, la motion tend non à l'amélioration du projet de loi par voie d'amendements, ce qui aurait été concevable, mais à son retrait pur et simple, c'est-à-dire au renvoi de celui-ci aux calendes grecques.

Les auteurs de cette motion pensent sans doute qu'il n'y a aucune urgence. On a beau leur montrer de la manière la plus claire que les échéances qui ruineront le système des retraites par répartition sont maintenant proches, ils préfèrent l'ignorer adhérent sans doute à la politique des Shadocks : « à quoi bon chercher à savoir où on va, il sera bien temps de voir quand on y sera ». (M. Alain Gournac rit.)

Une autre explication - puisque j'écarte celle qui a été avancée, non sans finesse, par M. le président de la commission des affaires sociales, mais qui, apparemment, a été refusée - serait qu'ils préfèrent conserver le mérite de résoudre le problème quand ils seront de retour au pouvoir.

M. Alain Gournac. Voilà !

M. Pierre Fauchon. Ce calcul repose sur l'idée qu'ils ont d'autres solutions et que leur retour aux affaires est proche, ce qui est tout de même un raisonnement un peu faible et résulte d'une vue excessivement optimiste des choses.

M. Roland Muzeau. C'est la Corse qui vous le fait penser ?

M. Pierre Fauchon. Qui peut croire, mes chers collègues du groupe CRC, contre toute logique de répartition, à laquelle vous êtes si attachés, et contre toute équité, que l'on pourra faire payer aux entreprises les charges des retraites à venir ? Le Conseil d'orientation des retraites - on a déjà cité ces chiffres, mais il faut les rappeler sans cesse - évalue le financement des compléments de retraite à deux point du PIB en 2020 et à quatre points en 2040. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo. Et alors ? On a déjà payé bien plus !

M. Robert Bret. Et une meilleure répartition des richesses ?

M. Pierre Fauchon. Faut-il rappeler qu'actuellement le prélèvement sur les entreprises représente trois points du PIB ? Qui peut croire sérieusement qu'on pourra doubler, voire tripler ce prélèvement dans le monde à venir ?

Tout à l'heure, monsieur Muzeau, vous avez dit : pourquoi ne pourrait-on pas faire dans les quarante années à venir ce que l'on a fait au cours des quarante années qui viennent de s'écouler ? Il faut tout de même que vous vous rendiez compte que le monde a changé. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo. Il a beaucoup plus changé entre 1800 et 1900, monsieur Fauchon !

M. Pierre Fauchon. Le monde a complètement changé. Vous qui aimez chanter l'Internationale, dites-vous bien que le monde est effectivement devenu international ! Dans ce monde internationalisé, on ne peut plus gérer l'économie comme on la gérait au lendemain de la dernière guerre ! Il serait grand temps de s'en rendre compte ! (Protestations sur les mêmes travées.) Il est donc parfaitement irresponsable, et il sera de votre part irresponsable, de voter une telle motion. Irresponsabilité d'autant plus grave que les seules victimes de cette parade dérisoire - car ce n'est qu'une parade ! - sont ceux-là mêmes que l'on feint de protéger ! (Mme Nicole Borvo s'exclame.)

Les seuls qui soient à plaindre, madame Borvo, ce sont effectivement ces travailleurs - que vous feignez de tant aimer - qui voient s'éloigner l'âge de leur retraite, et ce moins du fait même de cet éloignement car il y aurait beaucoup à dire sur la perspective d'un troisième âge si long et si désoeuvré (Protestations sur les travées du groupe CRC) - je souhaiterais d'ailleurs que l'on ouvre une réflexion sur ce point, et j'espère que nous en reparlerons -...

M. Roland Muzeau. Regardez dans les aéroports et vous verrez s'il est désoeuvré !

M. Pierre Fauchon. Ces travailleurs sont à plaindre moins du fait qu'ils voient s'éloigner l'âge de leur retraite, disais-je, que du fait - et c'est plus grave - qu'on les a entretenus dans l'idée selon laquelle la retraite était une terre promise qui ne cesserait de se rapprocher. On les a coupablement entretenus dans cette illusion et, à cet égard, je comprends ceux qui défilent dans la rue,...

M. Roland Muzeau. Vous les prenez pour des imbéciles !

M. Pierre Fauchon. ... pas ceux qui sont au premier rang mais ceux qui sont derrière, car ceux-là, on les a trompés. En effet, les dirigeants économiques et les dirigeants sociaux savaient déjà et depuis longtemps que c'était faux. Coupablement, car on s'est employé soit à ignorer cette réalité, soit à la dissimuler derrière des paravents, comme celui qui a été complaisamment dressé il n'y a pas si longtemps par un certain rapport du Conseil économique et social, signé par M. Teulade, et selon lequel la croissance résoudrait tous les problèmes.

Mme Nicole Borvo. Allez voir ce que font les femmes qui travaillent dans les hôpitaux !

M. Pierre Fauchon. En effet, quand ce rapport a été publié, tout le monde savait que la croissance nécessaire n'était aucunement garantie...

Mme Nicole Borvo. Allez voir les travailleurs dans les usines, monsieur Fauchon !

M. Pierre Fauchon. ... et qu'elle était tout ce qu'il y a de plus aléatoire. Or on s'est abrité derrière ce rapport pour ne rien faire pendant des années et des années.

Politique de l'autruche, refus de voir les réalités en face,...

M. Alain Gournac. Effectivement !

M. Christian Demuynck. Très bien !

M. Pierre Fauchon. ... consolidation dans l'esprit du public d'un modèle de vie hérité du xixe siècle (Marques d'approbation sur plusieurs travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC) et qui ne correspond en rien aux données de la vie moderne, qu'il s'agisse du social, de la santé, du travail ou du domaine économique.

Telles sont les responsabilités des auteurs de cette motion qui, en réalité, n'est qu'un simulacre, le simulacre de ceux qui, au fond d'eux-mêmes, ne sont pas si mécontents de voir que d'autres prennent le risque d'affronter les réalités. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC.)

La seule question préalable qui mérite d'être posée et que nous vous posons, c'est celle de la responsabilité de ceux qui ont laissé les choses en venir au point où elles sont. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

Il n'appartient pas à ceux-là, à ceux qui n'ont rien fait, de donner des leçons à ceux qui ont le mérite et le courage de faire quelque chose.

Mme Nicole Borvo. Grâce à qui les retraites existent-elles, monsieur Fauchon ?

M. Pierre Fauchon. Telles sont les raisons qui nous conduisent à repousser cette motion présentée par le groupe communiste républicain et citoyen (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 178 :

Nombre de votants318
Nombre de suffrages exprimés311
Pour106
Contre205

Nous allons examiner maintenant la motion n° 29, tendant au renvoi à la commission.

M. Claude Estier. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Claude Estier.

M. Claude Estier. Il est douze heures cinquante. A cette heure, il n'est pas raisonnable d'examiner la troisième motion. Aussi, je souhaite que nous interrompions maintenant nos travaux. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Monsieur Estier, la séance reprendra à seize heures. Nous pouvons donc examiner maintenant la motion tendant au renvoi à la commission, car M. Chabroux ne va pas parler trois heures, et il n'y a pas d'explication de vote.

M. Christian Demuynck. Très bien !

M. Claude Estier. Dans ces conditions, je demande une suspension de séance.

M. le président. Nous allons interrompre nos travaux pendant cinq minutes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à douze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.