4

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour un rappel au règlement.

M. Claude Estier. Mon rappel au règlement a pour objet de protester contre l'ostracisme dont l'opposition est de plus en plus victime dans cette assemblée. M. le Premier ministre nous en a offert tout à l'heure encore un exemple : il a répondu aux questions de la majorité, mais jamais à celles de l'opposition, en particulier à celles du groupe socialiste.

Hier après-midi a été mise en place la mission d'information sur les conséquences de la canicule, qui comporte un président et trois rapporteurs. Comme c'est logique, nous avions demandé que l'opposition puisse être représentée par au moins un des rapporteurs, ce qui a été refusé. Cette mission d'information est donc uniquement dirigée par des membres de la majorité, contrairement à l'Assemblée nationale, où la commission d'enquête parlementaire est présidée par un membre de l'opposition, Claude Evin, le rapporteur étant membre de la majorité. Ici, au Sénat, tous les postes sont pris par les membres de la majorité !

J'en profite pour rappeler à ce sujet que le Sénat a refusé jusqu'à présent la constitution d'une commission d'enquête parlementaire que le groupe socialiste a demandée dès le 5 septembre dernier.

Nous avons également l'exemple du groupe de travail constitué il y a quelques mois sur les problèmes de la fonction publique, au sein duquel l'opposition a même été écartée.

Il y a là un certain nombre de faits qui sont totalement contraires à la démocratie, dont se flatte souvent M. Poncelet. Je vous prie de lui transmettre notre protestation, monsieur le président, car cette situation ne peut plus durer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. le président. Monsieur Estier, je vous donne acte de votre déclaration et je ferai part à M. le président du Sénat de vos observations.

La parole est à M. le président de la commission de lois.

M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Estier, je comprends votre peine. Mais je vous signale que, grâce à mon collègue M. Courtois et à la commission de lois, M. Dreyfus-Schmidt sera rapporteur du texte sur la parité en Corse. Par conséquent, le sectarisme n'est pas aussi prononcé que vous le dites, tout du moins en ce qui concerne notre commission !

M. Claude Estier. C'est bien le seul exemple !

M. Robert Bret. C'est l'exception qui confirme la règle !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Mahéas. Nous avons assisté à une séance de questions au Gouvernement qui nous interpelle.

Lorsque le groupe socialiste pose des questions, nous aimerions que, de temps en temps, les plus hauts responsables de ce Gouvernement nous répondent, surtout lorsque le groupe socialiste pose une question ayant un sujet bien défini, comme celle de notre collègue Mme Yolande-Boyer sur la situation des associations qui se trouvent en grande difficulté. J'en veux pour preuve celles de ma ville.

Il serait quand même intéressant que ce soit le ministre compétent qui réponde ou, s'il ne peut le faire, qu'il fournisse au moins à celui qui le supplée une réponse cohérente sur la question. Nous avons assisté aujourd'hui, je n'ai pas peur de le dire, à une véritable mascarade, au point que Mme Yolande Boyer s'interroge sur l'utilité de préparer avec intelligence une question pour obtenir une réponse aussi nulle !

Le ministre de l'intérieur n'est pas là cet après-midi et nous savons pourquoi. Il va de soi que le groupe socialiste s'associe à l'hommage que M. Sarkozy rend en Corse au préfet Erignac. (Applaudissements.)

M. Emmanuel Hamel. Très bien !

M. le président. Monsieur Mahéas, je vous donne acte de votre rappel au règlement.

5

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport présentant l'impact financier de l'indemnisation des victimes de l'amiante pour l'année en cours et les vingt années suivantes, établi en application de l'article 6 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

6

MAÎTRISE DE L'IMMIGRATION

Suite de la discussion et adoption

d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 42.

Article 42

La carte de séjour temporaire visée à l'article 12 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée est délivrée de plein droit, à sa demande, à l'étranger qui, au 30 avril 2003, justifie par tous moyens résider en France et qui :

1° Résidait en France habituellement depuis au plus l'âge de treize ans à la date du prononcé de son expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire français ;

2° Résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans à la date du prononcé de son expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire français ;

3° Résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de son expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire français et est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française ou avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé ;

4° Résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de son expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, et ce depuis la naissance de l'enfant ou depuis un an en cas de reconnaissance postérieure à la naissance de l'enfant.

La demande doit être formée dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi.

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque la mesure d'expulsion ou la peine d'interdiction du territoire sont fondées sur les comportements ou les infractions mentionnés respectivement au I de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée ou au dernier alinéa de l'article 131-30-2 du code pénal, dans leur rédaction issue de la présente loi. Elles ne s'appliquent pas non plus lorsque l'étranger a commis, postérieurement au prononcé de la mesure d'expulsion ou de la peine d'interdiction du territoire, des faits de même nature ou a été condamné pour de tels faits, postérieurement au prononcé de la peine d'interdiction du territoire.

La délivrance de la carte de séjour temporaire prévue au premier alinéa emporte relèvement de plein droit de la peine d'interdiction du territoire lorsque celle-ci a été prononcée. Le préfet en informe le parquet de la juridiction de condamnation ainsi que le casier judiciaire national automatisé, afin qu'il soit procédé à la mention de ce relèvement en marge du jugement ou de l'arrêt de condamnation ainsi qu'au casier judiciaire. Le préfet procède également s'il y a lieu à l'effacement de la mention de cette peine au fichier des personnes recherchées. Toute difficulté concernant l'application des dispositions du présent alinéa est portée, à l'initiative du procureur de la République ou de la personne intéressée, devant le président de la juridiction qui a rendu la décision de condamnation ou, si celle-ci a été rendue par une cour d'assises, devant le président de la chambre de l'instruction, dans les conditions prévues à l'article 778 du code de procédure pénale.

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 215 rectifié bis , présenté par M. Zocchetto et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :

« Rédiger comme suit cet article :

« I. - Par dérogation aux dispositions de l'article 28 quater de la présente ordonnance et sans préjudice de l'article 702-1 du code de procédure pénale, s'il en fait la demande avant le 31 décembre 2004, tout étranger justifiant qu'il résidait habituellement en France avant le 30 avril 2003 et ayant été condamné postérieurement au 1er mars 1994, par décision devenue définitive, à la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, est relevé de plein droit de cette peine, s'il entre dans l'une des catégories suivantes :

« 1° Il résidait habituellement en France depuis au plus l'âge de treize ans à la date du prononcé de la peine ;

« 2° Il résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans à la date du prononcé de la peine ;

« 3° Il résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de la peine, et, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française ou avec un ressortissant étranger qui réside habituellement en France depuis au plus l'âge de treize ans, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé ;

« 4° Il résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de la peine et, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, cette condition devant être remplie, en cas de reconnaissance postérieure à la naissance de l'enfant, depuis la naissance de ce dernier ou depuis un an.

« Il n'y a pas de relèvement lorsque les faits à l'origine de la condamnation sont ceux qui sont visés au dernier alinéa de l'article 131-30-2 du code pénal. Il en est de même lorsque l'étranger relève des catégories 3° ou 4° ci-dessus et que les faits en cause ont été commis à l'encontre du conjoint ou des enfants de l'étranger.

« La demande ne peut davantage être admise si la peine d'interdiction du territoire français est réputée non avenue.

« La demande est portée, suivant le cas, devant le procureur de la République ou le procureur général de la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, de la dernière juridiction qui a statué.

« Si le représentant du ministère public estime que la demande répond aux conditions fixées par le présent article, il fait procéder à la mention du relèvement en marge du jugement ou de l'arrêt de condamnation et en informe le casier judiciaire national automatisé. Il fait également procéder, s'il y a lieu, à l'effacement de la mention de cette peine au fichier des personnes recherchées. Il informe le demandeur, par lettre recommandée avec avis de réception, à l'adresse qu'il a fournie lors du dépôt de la demande, du sens de la décision prise.

« Tous incidents relatifs à la mise en oeuvre des dispositions prévues aux alinéas précédents sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence qui statue dans les conditions prévues par l'article 711 du code de procédure pénale. A peine d'irrecevabilité, le demandeur doit saisir le tribunal ou la cour dans un délai de dix jours à compter de la notification de la lettre visée à l'alinéa précédent.

« II. - Par dérogation aux dispositions de l'article 28 quater de la présente ordonnance, et s'il en fait la demande avant le 31 décembre 2004, tout étranger justifiant qu'il résidait habituellement en France avant le 30 avril 2003 et ayant fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, peut obtenir l'abrogation de cette décision s'il entre dans l'une des catégories visées aux 1° à 4° du I.

« Il n'y a pas d'abrogation lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion sont ceux qui sont visés au premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Il en est de même lorsque l'étranger relève des catégories 3° et 4° ci-dessus et que les faits en cause ont été commis à l'encontre du conjoint ou des enfants de l'étranger.

« La demande doit être formée auprès de l'auteur de l'acte. Si ce dernier constate que la demande répond aux conditions fixées par le présent article, il fait procéder à la suppression de la mention de cette mesure au fichier des personnes recherchées. Il informe l'intéressé du sens de sa décision par lettre recommandée avec avis de réception à l'adresse qu'il a fournie lors du dépôt de la demande.

« Lorsqu'il est prévu, dans le 1° à 4° du I ci-dessus, qu'une condition s'apprécie à la date du prononcé de la peine, cette condition s'apprécie à la date du prononcé de la mesure d'expulsion pour l'application des dispositions de ce II.

« III. - La carte de séjour temporaire visée à l'article 12 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 est délivrée de plein droit, à sa demande, à l'étranger qui a été relevé de l'interdiction du territoire français dont il faisait l'objet ou dont la mesure d'expulsion a été abrogée dans les conditions prévues par le I ou le II du présent article.

« Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas lorsque, postérieurement au prononcé de la mesure d'expulsion, l'étranger a commis des faits visés au deuxième alinéa du II, et, s'il y a lieu, dans les conditions prévues par le deuxième alinéa du II. Elles ne s'appliquent pas davantage si ces mêmes faits ont été commis avant le prononcé de la mesure d'expulsion, mais n'ont pas été pris en compte pour motiver celle-ci. En cas de pluralité des peines d'interdiction du territoire français, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'en cas de relevé de l'ensemble des peines d'interdiction du territoire. »

Le sous amendement n° 325, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :

« I. - Dans le premier alinéa du I de l'amendement 215 rectifié bis , supprimer les mots : "justifiant qu'il résidait habituellement en France avant le 30 avril 2003 et".

« II. - Dans le premier alinéa du II du même texte, supprimer les mots : "justifiant qu'il résidait habituellement en France avant le 30 avril 2003 et". »

L'amendement n° 207, présenté par Mme M. André, MM. Dreyfus-Schmidt, Mahéas et Sueur, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Dans le troisième alinéa (2°) de cet article, remplacer le mot : "régulièrement" par le mot : "habituellement". »

L'amendement n° 208, présenté par Mme M. André, MM. Dreyfus-Schmidt, Mahéas et Sueur, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Dans le quatrième alinéa (3°) de cet article, remplacer le mot : "régulièrement" par le mot : "habituellement". »

L'amendement n° 209, présenté par Mme M. André, MM. Dreyfus-Schmidt, Mahéas et Sueur, Mme Blandin et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Dans le cinquième alinéa (4°) de cet article, remplacer le mot : "régulièrement" par le mot : "habituellement". »

L'amendement n° 295, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« Après le cinquième alinéa (4°) de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ... ° Résidait habituellement en France et dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement dans le pays dont il est originaire. »

La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l'amendement n° 215 rectifié bis .

Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement tend à réécrire l'article 42.

Afin de régler la situation des personnes présentes clandestinement sur le territoire bien qu'elles aient fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une interdiction du territoire français, le Gouvernement a prévu, pour certaines catégories précisément identifiées, un mécanisme de relèvement automatique de la peine ou de la mesure administrative par la délivrance d'un titre de séjour.

Il nous paraît préférable de prévoir que, en matière d'interdiction du territoire français, seuls les parquets peuvent constater que les personnes entrent dans le champ d'application du dispositif prévu par le législateur, comme c'est le cas par exemple pour les lois d'amnistie. Cela paraît plus conforme à notre tradition juridique et à nos principes constitutionnels.

Il s'agit donc de substituer l'autorité judiciaire à l'autorité administrative pour prononcer le relèvement de la peine complémentaire d'interdiction du territoire.

Par ailleurs, nous proposons un dispositif de recours en cas de litige sur l'application de ce dispositif.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter le sous-amendement n° 325 puis les amendements n°s 207, 208 et 209.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans son rapport, M. Courtois, rapporteur du texte que nous examinons, s'exprime ainsi :

« En première lecture, les députés ont adopté un amendement présenté par M Thierry Mariani au nom de la commission des lois, ayant pour objet de prévoir que l'étranger devrait justifier par tous moyens résider en France au 30 avril 2003. « En effet, le projet de loi initial avait retenu la date de la promulgation de la loi, mais il est apparu nécessaire d'éviter tout " effet d'opportunité " de la part de certains étrangers. »

Plus loin, il ajoute : « Toutefois, il pourrait paraître regrettable que le projet de loi ne prévoit aucune disposition pour les étrangers qui devraient désormais bénéficier d'une protection absolue, qui ont déjà fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire et qui ont déjà quitté la France. Le texte actuel revient à " amnistier " uniquement les étrangers n'ayant pas exécuté la mesure d'expulsion ou la peine d'interdiction du territoire et qui sont restés irrégulièrement sur le territoire français.

« C'est pourquoi votre rapporteur insiste sur la nécessité que soit facilitée la délivrance de visas pour ces étrangers entrant dans la catégorie de ceux qui bénéficient désormais d'une protection absolue et qui ont déjà quitté le territoire français, laissant bien souvent derrière eux une famille et ayant eu de grandes difficultés pour vivre dans un pays dont ils ne connaissaient bien souvent plus ni la culture ni les traditions à leur arrivée et dans lequel ils n'avaient plus d'attaches. Il est favorable à ce que, comme l'a annoncé M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, une circulaire du ministre des affaires étrangères invite les consulats à délivrer facilement les visas à ces catégories d'étrangers. »

Nous prétendons qu'il y a mieux à faire : c'est de supprimer la date butoir ajoutée par l'Assemblée nationale et qui ne figurait pas dans le projet de loi d'origine : tous les étrangers remplissant les conditions pour bénéficier d'une protection absolue méritent également de pouvoir demander le relèvement de l'interdiction du territoire français, l'ITF, a fortiori lorsqu'ils ont respecté cette mesure, alors que l'ajout de l'Assemblée nationale les pénaliserait plus que ceux qui se seraient maintenus irrégulièrement sur le territoire !

Les amendements n°s 207, 208 et 209 ont été défendus préalablement, mais je n'ai pas été suivi.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 295.

M. Robert Bret. Il s'agit d'un amendement de coordination avec nos amendements précédents qui a déjà été défendu et qui tend à protéger les malades en leur accordant une carte de séjour temporaire afin de les sécuriser pour la durée de leurs soins.

Mais nos amendements précédents n'ayant pas été votés, je me doute du sort de celui-ci.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. L'amendement n° 215 rectifié bis tend à réécrire complètement l'article 42 du projet de loi relatif à l'amnistie prévue pour les étrangers ayant déjà fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire français qui devraient aujourd'hui bénéficier d'une protection absolue contre ces mesures et qui résidaient en France au 30 avril 2003.

La procédure est clarifiée, tant en matière d'interdiction du territoire français qu'en matière d'expulsion. De plus, il est prévu, contrairement au texte initial, que l'arrêté d'expulsion sera désormais abrogé.

Le dispositif paraît meilleur, plus cohérent et plus complet que le texte initial. La commission y est donc favorable.

J'en viens au sous-amendement n° 325. Afin de tenir compte des situations passées, il est prévu à l'article 42 du projet de loi un dispositif, nettement amélioré par l'amendement n° 215 rectifié bis de M. Zocchetto, permettant d'ouvrir la possibilité aux étrangers qui entretiennent des liens étroits avec la France, du fait notamment qu'ils y résident encore, même en situation irrégulière, et qui auraient dû bénéficier de la protection absolue, d'obtenir une carte de séjour temporaire s'ils en font la demande.

Contrairement à ce qui a été dit précédemment, je tiens à préciser que l'exigence de résidence en France pour bénéficier de cette amnistie était déjà prévue dans le projet de loi initial. L'Assemblée nationale n'a fait qu'ajouter la date butoir du 30 avril 2003.

S'il est vrai que j'ai regretté que la situation de ceux qui vivaient aujourd'hui hors de France ne soit pas prise en compte dans le présent article, j'ai également rappelé qu'une circulaire du ministère des affaires étrangères devait permettre de résoudre le problème. Ces étrangers devraient donc pouvoir désormais obtenir des visas beaucoup plus facilement.

Je serais tenté de proposer le retrait de cet amendement, car la solution proposée n'est pas adaptée à la situation de ces étrangers qui, pour la plupart, vivent dans leur pays d'origine depuis de nombreuses années et ne peuvent donc pas effectuer les mêmes démarches que ceux qui résident toujours en France.

Mais, si les auteurs de cet amendement ne souhaitent pas le retirer, je demanderai l'avis du Gouvernement à ce sujet, afin qu'il nous rassure sur la prise en compte de la situation particulière de ces étrangers lors de la délivrance des visas.

La commission est défavorable aux amendements n°s 207, 208 et 209.

Enfin, elle se ralliera à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 295 ; qui est un amendement de coordination avec l'amendement n° 267.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord d'excuser M. Nicolas Sarkozy, qui se trouve en ce moment même en Corse pour rendre un hommage particulier au préfet Claude Erignac, hommage auquel la représentation nationale s'associe, j'en suis persuadé.

L'article 42 dont nous débattons est certainement l'un des articles dont la rédaction s'est révélée des plus délicate, puisqu'il s'agit de tirer les conséquences de la réforme de la « double peine » pour les situations passées. L'application des principes généraux du droit ne permettant pas, à elle seule, de procéder à cette adaptation, il est nécessaire de légiférer.

Dans le même temps, il est hors de question de prévoir une amnistie générale pour tous ceux qui, dans le passé, ont fait l'objet d'une interdiction du territoire français ou d'une mesure d'expulsion. Tout d'abord, il est tout à fait possible que certaines de ces personnes ayant été frappées ; voilà très longtemps, de telles mesures fassent désormais partie des catégories protégées. Pour autant, rien ne dit qu'elles aient l'intention de revenir en France. Elles ont peut-être fondé une famille à l'étranger. En l'absence de données précises de recensement, nous n'avons aucune idée du nombre de gens concernés ; ni des implications sur leur situation familiale, que ce soit à l'étranger ou en France. C'est pourquoi il a été décidé de ne résoudre que la situation des personnes qui séjournent actuellement en France. Tel est l'esprit de l'article qui vous est proposé.

Comme dans tout régime d'amnistie - le Gouvernement en a parfaitement conscience - cela peut créer des situations inéquitables. Nous avons donc essayé de retenir la solution qui semblait concilier au mieux la nécessité de régler certaines situations passées particulièrement dramatiques et l'intérêt général, l'ordre public, dont nous avons la charge.

J'en viens aux amendements proprement dits.

Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 215 rectifié bis , qui vise à garantir le respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Pour l'ensemble des autres amendements, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Je répondrai notamment à M. Dreyfus-Schmidt, qui propose d'étendre l'amnistie à tous les étrangers, qu'ils résident ou non en France.

Nous avons fixé une date-butoir, qui est celle de la présentation de la loi en conseil des ministres. En effet, encore une fois, nous ne savons pas quelle est la population concernée. Des milliers de peines d'interdiction du territoire français ont été prononcées depuis 1970 : par exemple, quinze mille en 1995, onze mille en 1997. Des gens sont repartis, ont refait leur vie ailleurs. Il y a également de nombreuses personnes dont on ne connaît pas le comportement. Il est bien évident que ceux pour lesquels la peine est la plus insupportable sont précisément ceux qui ont choisi de rester en France dans la clandestinité. C'est le sujet qui est évoqué, par exemple, dans les films très émouvants de Bertrand Tavernier ou de Jean-Pierre Thorn.

Nous avons donc choisi, je le répète, la date de présentation du texte en conseil des ministres. Il s'agissait aussi d'éviter les effets d'aubaine : certains reviendraient maintenant en France de manière clandestine uniquement pour bénéficier de cette disposition. C'est tout à fait courant avec les lois d'amnistie. Cela peut aboutir, c'est vrai, à des situations d'injustice.

Vous avez évoqué le caractère erroné, selon vous, d'une circulaire. Le Gouvernement a abouti à la conclusion que vous aviez raison. C'est pourquoi je vous présenterai tout à l'heure, au nom du Gouvernement, un amendement qui prévoit que, pour ceux qui ont exécuté leur peine, qui ont de la famille en France, et qui ne parviendraient pas à obtenir un visa pour revenir en France, le visa serait de droit.

M. Jacques Mahéas. C'est mieux !

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Je vous exposerai ultérieurement le contenu précis de l'amendement proposé par le Gouvernement.

Je terminerai en évoquant l'amendement n° 295 du groupe communiste républicain et citoyen visant à étendre l'amnistie aux étrangers malades. Il s'agit évidemment d'un sujet très douloureux. Vous avez voté précédemment une protection absolue pour les étrangers malades afin d'éviter les mesures d'expulsion, sur l'initiative, d'ailleurs, du Parlement, et je crois que c'est pleinement justifié.

Au stade de l'amnistie, la question se pose en des termes très différents, car, par définition, une maladie est évolutive. Par conséquent, créer une catégorie générale des étrangers malades n'aurait pas une grande pertinence, à moins de donner une qualification beaucoup plus précise à cette catégorie, qui n'a pas de valeur juridique.

Il est donc préférable pour les étrangers concernés d'utiliser l'assignation à résidence en France pour se faire soigner, ainsi que l'a prévu l'Assemblée nationale dans l'article 26 du projet de loi.

Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 295.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 325.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'aurais préféré, bien évidemment, avoir sous les yeux l'amendement qui vient de nous être annoncé par M. le secrétaire d'Etat. Je pourrais demander que l'on réserve, jusque-là, le vote de l'amendement n° 215 rectifié bis de notre collègue François Zocchetto, mais nous devons faire confiance à M. le secrétaire d'État. La formule qui est envisagée démontre que nous avons été entendus. En effet, il n'y a pas de raison de mieux traiter ceux qui sont restés sur le territoire français irrégulièrement par rapport à ceux qui ont obtempéré.

Vous nous dites, monsieur le secrétaire d'Etat, que ceux qui ont été interdits de territoire et qui ont de la famille en France pourront bénéficier de plein droit de l'autorisation de revenir. Nous remercions le Gouvernement de ce pas vers plus d'équité.

Par conséquent, nous retirons le sous-amendement n° 325.

M. le président. Le sous-amendement n° 325 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 215 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence l'article 42 est ainsi rédigé et les amendements n°s 207, 208, 209 et 295 n'ont plus d'objet.

Article additionnel après l'article 42

M. le président. L'amendement n° 332, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« Après l'article 42, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Sauf en cas de menace pour l'ordre public dûment motivée, les étrangers qui résident hors de France et qui ont obtenu l'abrogation de la mesure d'expulsion dont ils faisaient l'objet ou ont été relevés de leurs peines d'interdiction du territoire français ou encore dont les peines d'interdiction du territoire français ont été entièrement exécutées ou ont acquis un caractère non avenu, bénéficient, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, d'un visa pour rentrer en France, lorsque, à la date de la mesure, ils relevaient, sous les réserves mentionnées par ces articles, des catégories 1° à 4° des articles 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ou 131-30-2 du code pénal, et qu'ils entrent dans le champ d'application des 4° ou 6° de l'article 12 bis ou dans celui de l'article 29 de l'ordonnance susmentionnée.

« Ces dispositions ne sont applicables qu'aux étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une interdiction du territoire français devenue définitive avant l'entrée en vigueur de la loi n° du relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France. »

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Je souhaite tout d'abord présenter mes excuses au Sénat, qui découvre cet amendement en séance...

M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas grave !

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. ..., mais il a précisément pour objet de répondre aux voeux de votre assemblée.

L'objet en est très simple : il s'agit de régler le problème des étrangers qui ont exécuté leur peine et qui ont de la famille en France, mais qui n'obtiennent pas de visa. Il vous est proposé de prévoir que ceux qui se trouvent dans cette situation, qui ont exécuté leur peine d'interdiction du territoire français ou qui en ont été relevés, et qui font partie des catégories protégées, c'est-à-dire ceux qui ont vécu, plus de vingt ans en France, qui y sont depuis l'âge de treize ans ; qui sont conjoints de Français ou parents d'enfants français - ces catégories protégées ont été créées par les articles 24 et 38 - bénéficieront de plein droit d'un visa. Ce visa ne pourra leur être refusé que s'ils posent de sérieux problèmes d'ordre public : nous pensons, notamment, à la prévention du terrorisme.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Naturellement, je ne peux m'exprimer qu'à titre personnel, puisque cet amendement n'a pas été soumis à la commission. A l'évidence, j'y suis tout à fait favorable, monsieur le ministre. Toutefois, je souhaite présenter un sous-amendement à votre amendement tendant à insérer les mots : « si leur famille résidant en France en fait la demande ». En effet, on pourrait imaginer que la famille ne souhaite pas voir l'étranger revenir en France, parce qu'il a commis des actes qui sont tout à fait préjudiciables à l'intérêt même de la famille.

M. Jacques Mahéas. Et si la famille est partagée ! Que fait-on entre ceux qui veulent et ceux qui ne veulent pas ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Imaginez qu'il y ait eu, par exemple, des coups et blessures et que l'intéressé purge une peine à l'extérieur. Il ne faudrait tout de même pas qu'il puisse revenir en France, alors que la famille ne le souhaite pas. On aboutirait au contraire de ce que l'on veut faire.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement, n° 333, présenté par M. Courtois, au nom de la commission, qui est ainsi libellé :

« Au premier alinéa de cet article, après les mots : "Conseil d'Etat", insérer les mots : "et si leur famille résidant en France en fait la demande". »

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est favorable à cette sage précision du rapporteur.

En effet, l'une des difficultés en ce qui concerne les étrangers qui bénéficient de l'amnistie, c'est précisément de se prémunir contre les contentieux familiaux. Car, après plusieurs années, les situations individuelles et familiales peuvent avoir considérablement changés. La loi aurait donc un effet pervers si elle aboutissait à créer des situations inextricables pour les familles en France.

La précision que souhaite apporter M. le rapporteur me paraît donc utile et j'y suis favorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, contre le sous-amendement n° 333.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à l'heure, nous avons retiré notre amendement après que nous eut été annoncé l'amendement du Gouvernement ; sans que soit évoquée la demande de la famille. Or la formule n'est pas convenable.

En outre, le cas de la demande de la famille est couvert par le début de la première phrase de l'amendement : « Sauf en cas de menace pour l'ordre public dûment motivée ». On ne peut pas s'en remettre à la demande de la famille ! Supposons qu'il y ait cinq frères et soeurs, que quatre soient favorables à l'entrée en France et que le dernier ne le soit pas. Allez-vous compter les membres de la famille qui expriment un avis favorable ? Et si trois sont contre et deux pour ? Franchement, ce n'est pas raisonnable !

Je vous demande instamment, monsieur le secrétaire d'Etat, de considérer que le premier mouvement était le bon et que le cas est couvert, je le répète, par le premier membre de phrase : « Sauf en cas de menace pour l'ordre public dûment motivée ».

Je vous demande également de supprimer les termes : « dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ». Car une telle disposition est totalement inutile et elle aurait un effet retardateur. En plusieurs endroits du projet de loi, M. le rapporteur a supprimé l'obligation d'un décret lorsque celui-ci n'était pas absolument indispensable. Ici, visiblement, il ne l'est pas, et je vous demande donc de le supprimer.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire droit à nos deux demandes. C'est dans cet esprit que nous avons retiré tout à l'heure notre sous-amendement. Puisque nous sommes d'accord sur le fond, nous devrions parvenir à un accord sur la forme et nous voterions alors votre amendement.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Je suis navré de ne pouvoir vous suivre dans votre argumentation, monsieur le sénateur, parce qu'un motif d'ordre familial ne saurait dépendre de considérations d'ordre public. Si la loi ne comportait pas de référence à un motif d'ordre familial, il serait très difficile à l'autorité réglementaire d'aller au-delà de la loi.

En revanche, sur le deuxième point - et cela figurera dans le compte rendu de nos débats - je peux préciser que : si le Gouvernement a prévu un décret en Conseil d'Etat, c'est notamment pour répondre à votre inquiétude : ce décret mentionnera qui pourra, au nom de la famille, exprimer un avis négatif ou une inquiétude. Dans la plupart des cas, il s'agira du conjoint, mais on peut imaginer des situations où ce sera un ascendant ou un descendant.

Sur une matière aussi délicate et touchant à la vie des familles et des personnes, il serait dangereux, me semble-t-il ; de s'aventurer à rédiger un texte en séance.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous demandions - et vous en étiez d'accord - qu'il n'y ait pas d'injustice entre ceux qui se sont maintenus irrégulièrement en France et ceux qui ont exécuté leur peine d'interdiction du territoire. Or, pour les premiers, vous n'avez pas demandé que l'on sollicite l'avis de la famille. Pourquoi faire une différence entre les uns et les autres ?

Je vous conjure de supprimer cette disposition qui retient d'une main ce que vous accordez de l'autre et qui ne respecte pas le principe d'égalité entre celui qui s'est maintenu irrégulièrement jusqu'au 30 avril 2003 et celui qui est parti au 1er janvier 2003. Je me permets d'y insister vivement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Je ne comprends vraiment pas comment on peut donner un tel pouvoir, arrogant, à la famille, dont la définition juridique en la matière demanderait d'ailleurs à être sérieusement précisée.

Une famille pourrait ainsi s'opposer à une sorte d'amnistie, c'est-à-dire au droit au retour sur le territoire français après l'exécution d'une peine, puisque vous appelez l'ITF une peine. Vous avez évoqué les troubles potentiels qu'un retour pourrait occasionner à une famille. Je vous concède que de tels troubles existent. Mais, dans un souci de parallélisme des formes, demandera-t-on demain aux familles françaises, lors de la libération d'un détenu qui a purgé sa peine, si elles s'opposent ou non à une éventuelle réduction de peine ?

Que je sache, le juge de l'application des peines ne se réfère pas à la famille pour savoir si, oui ou non, on peut réduire telle ou telle peine. Lorsque nous avons délibéré sur l'amnistie, nous n'avons pas présenté des amendements prévoyant un avis conforme de la famille. Je ne comprends donc vraiment pas quel est ce nouveau droit français, quelle est cette démocratie qui veut que l'on demande l'avis de la famille pour dire le droit.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. J'ai beaucoup d'intérêt à débattre avec vous, madame la sénatrice, de ce sujet grave et douloureux ; et je sais que votre assemblée doit examiner aujourd'hui un projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance.

On peut fort bien imaginer qu'une femme qui aurait été victime de violences graves ou qu'un enfant qui aurait été l'objet de maltraitance puissent être très profondément traumatisés et d'autant plus inquiets à l'idée de voir revenir, des années plus tard, l'auteur de ces violences.

Entre ceux qui font l'objet de l'amnistie, mais qui résident en France, et qui n'ont donc jamais quitté le périmètre de proximité de leur famille, et ceux qui ont quitté la France depuis quelquefois fort longtemps, la situation n'est pas comparable.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si, c'est pareil !

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Un tel retour, dans un contexte où les deux parties ont refait leur vie, peut avoir des conséquences d'un ordre tout à fait différent.

Le Gouvernement a le même objectif que vous, mais il serait déraisonnable de vous suivre sur cet amendement, et dangereux pour les personnes que nous devons protéger.

Au surplus, il est impossible, ici, en séance, d'envisager tous les cas possibles, et c'est la vocation même d'un décret de prévoir les situations spécifiques, avec une pensée particulière pour la protection de la femme et de l'enfant.

Pour toutes ces raisons, il est sage de maintenir le texte tel qu'il vous est proposé et de rejeter les modifications suggérées.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. En fait, monsieur le président, je souhaite formuler une proposition de repli.

Dans le texte proposé par la commission, c'est la famille qui doit faire la demande. Or, plus que la demande de la famille, c'est son opposition qui est intéressante : la famille s'oppose et le juge tranche ; il ne peut pas en être autrement. Acceptez au moins cette proposition de repli, au moins celle-là !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le décret en Conseil d'Etat prévu dans l'amendement précisera qui décide dans la famille. En général, ce sera le conjoint, mais ce pourra être un ascendant ou un descendant.

En fait, ce que nous voulons, c'est un visa de droit, et ce sera, d'ailleurs, le seul cas dans toute la législation. Il faut bien qu'il y ait l'accord de la famille. On peut imaginer, en effet, que l'étranger ait exercé des pressions sur les membres de la famille ; on voit mal comment ; revenant en France ; il ne continuerait pas ses pressions sur la famille. Mais l'étranger aura toujours la possibilité de bénéficier d'un visa de droit commun.

Si le Gouvernement accepte la rectification suggérée par M. Mahéas, la commission retirera son sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. La dernière rédaction suggérée, qui prévoit la manifestation expresse de la famille en cas d'opposition, me semble un compromis sage et équilibré. Par ailleurs, il serait souhaitable que la Haute Assemblée soit unanime sur un tel sujet.

Le Gouvernement, qui, vous le voyez bien, est attentif aux suggestions de l'opposition, est prêt à se rallier à cette rédaction.

M. René Garrec, président de la commission des lois. Nous aussi !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 332 rectifié ; présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :

« Après l'article 42, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Sauf en cas de menace pour l'ordre public, dûment motivée, les étrangers qui résident hors de France et qui ont obtenu l'abrogation de la mesure d'expulsion dont ils faisaient l'objet ou ont été relevés de leurs peines d'interdiction du territoire français ou encore dont les peines d'interdiction du territoire français ont été entièrement exécutées ou ont acquis un caractère non avenu, bénéficient, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sauf si la famille s'y oppose, d'un visa pour rentrer en France, lorsque, à la date de la mesure, ils relevaient, sous les réserves mentionnées par ces articles, des catégories 1° à 4° des articles 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ou 131-30-2 du code pénal, et qu'ils entrent dans le champ d'application des 4° ou 6° de l'article 12 bis ou dans celui de l'article 29 de l'ordonnance susmentionnée.

« Ces dispositions ne sont applicables qu'aux étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une interdiction du territoire français devenue définitive avant l'entrée en vigueur de la loi n° du relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France. »

Quant au sous-amendement n° 333, il est retiré.

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 332 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Compte tenu de cette rectification, je vous propose à mon tour une modification ; dans l'esprit de ce que vous venez de dire, monsieur le secrétaire d'Etat. Il s'agirait d'écrire « sauf opposition justifiée d'un ascendant, d'un conjoint ou d'un enfant. » Cela aurait l'avantage de reprendre les termes mêmes de la loi et d'éviter les gloses sur la définition de la famille.

M. le président. La parole est à M. le secrétariat d'Etat.

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Il faut en terminer avec ce débat : c'est au juge d'apprécier si l'opposition est justifiée ou non.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas dit qu'il y aura retour vers un juge ! Et lequel ?

M. Jacques Mahéas. Le Conseil d'Etat le dira !

M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Je suggère donc d'en rester à la formule de compromis : « sauf si la famille s'y oppose ».

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 332 rectifié.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste s'abstient !

Mme Nicole Borvo. Le groupe CRC également !

(L'amendement est adopé.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 42.