Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Muzeau,Mme Demessine, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 5, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 85, 2003-2004). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en mai dernier, lors de l'examen en première lecture par le Sénat du présent projet de loi portant décentralisation du RMI et création du RMA, le groupe communiste républicain et citoyen s'était positionné résolument contre ce texte. Il avait pour cela plusieurs raisons.

Je vous rappelle que nous avions alors dénoncé l'inspiration profondément libérale de cette réforme et le parti pris pour l'aborder : le soupçon, sinon la stigmatisation, porté sur les allocataires du RMI, responsables, selon vous, de leur situation.

Sur le contenu même de ce texte, notre appréciation était tout aussi critique.

Nous nous étions opposés au principe même de la décentralisation de la responsabilité du financement et de la gestion du premier revenu minimum social, ultime filet de sécurité pour deux millions de personnes.

Cette opération, prétendument légitimée par le souci d'efficacité, de cohérence et de proximité renforcée, traduction en fait de votre conception minimaliste du rôle de l'Etat social, en banalisant le RMI, permettait surtout au Gouvernement de renoncer à ses responsabilités particulières en matière de solidarité nationale.

Nous nous étions inquiétés, comme de nombreux élus d'ailleurs, des conditions financières de la décentralisation du RMI et de la mise en oeuvre du contrat d'insertion - revenu minimum d'activité ; les conditions étaient on ne peut plus incertaines et, par conséquent, porteuses de dangers pour les départements, mais aussi pour les allocataires.

Nous avions refusé de parier avec vous sur la responsabilité totale des conseils généraux en matière d'insertion, non par défiance envers les élus locaux, mais parce que nous étions conscients des réalités économiques et sociales des territoires, de la nécessaire implication des associations, des différents acteurs susceptibles de permettre un accompagnement social personnalisé adapté aux besoins des personnes éloignées de l'emploi.

Notre réticence était d'autant plus grande que votre volonté était forte de concentrer entre les mains d'une seule et même personne tous les pouvoirs en matière de décision individuelle, en réduisant à rien les capacités d'intervention des commissions locales d'insertion et des conseils départementaux d'insertion. Nous nous inquiétions, d'autre part, du quitus donné à la majorité sénatoriale, pressée de faire disparaître l'obligation pour les départements de financer des actions d'insertion à hauteur de 17 % du montant des allocations versées par l'Etat.

Enfin, conscients des risques liés à l'introduction d'une obligation de travailler en contrepartie de l'allocation perçue, nous avions dénoncé avec force l'instauration d'un type nouveau de contrat, le contrat d'insertion - revenu minimum d'activité, offrant aux employeurs du secteur marchand une main-d'oeuvre bon marché, contrainte de travailler sans pour autant pouvoir prétendre à un contrat de travail de droit commun, à un salaire décent, encore moins à une formation et à l'acquisition de droits sociaux.

Malgré ces objections de fond, nous avions fait le choix de ne pas rejeter en bloc ce projet de loi, qui le méritait pourtant, pensant que la question de l'insertion professionnelle et sociale des personnes les plus fragiles, cassées par le chômage et la précarité, devait être débattue.

Nous étions également convaincus qu'il convenait d'analyser les causes de la progression constante du nombre de bénéficiaires du RMI, ce qu'omet de faire ce texte, de profiter de cette occasion pour parfaire un dispositif, le RMI, et de s'interroger sur un revenu minimum d'existence permettant effectivement de vivre et non de survivre.

Relayant la demande unanime des associations de chômeurs et de précaires, des intervenants de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion, nous avions alors plaidé en faveur d'un retrait du texte, afin de permettre l'évaluation préalable du dispositif actuel, de laisser le temps à la nécessaire concertation sur les moyens à mettre en oeuvre pour que ces personnes puissent renouer durablement avec le marché du travail ou, tout simplement, reprendre pied au quotidien. C'était le sens de notre motion de renvoi en commission.

Sans surprise, vous avez, mes chers collègues, caricaturé notre position, rejeté cette proposition et confirmé ainsi vos intentions de traiter la question globale par le petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire exclusivement sous l'angle de l'insertion professionnelle à courte vue, afin de satisfaire les exigences d'un patronat demandeur de nouveaux outils de flexibilité.

Répondant à nos arguments, le ministre m'avait alors reproché de m'en tenir « au procès d'intention », ce que vous venez vous-même de faire, madame la ministre.

Depuis sept mois, toutes les déclarations et les décisions ont prouvé que nous avions raison d'accuser le Gouvernement d'avoir des arrière-pensées : ce projet n'est pas conforme à la philosophie du RMI, il constituera un précédent fâcheux que sauront utiliser tous ceux qui souhaitent ardemment dynamiter le code du travail, assouplir toujours davantage la réglementation du travail.

Depuis notre précédent débat, le Sénat a examiné le projet de loi relatif aux responsabilités locales et le projet de loi de finances pour 2004. Qu'il s'agisse du transfert aux départements de la responsabilité de l'ensemble des actions, dispositifs et services concourant au développement social et à la lutte contre l'exclusion, du transfert aux régions de l'ensemble des compétences en matière d'insertion et de formation professionnelle, des coupes budgétaires dans les crédits destinés à l'insertion des publics prioritaires ou aux dispositifs des contrats aidés, réservés aux personnes les plus vulnérables - jeunes, chômeurs de longue durée - ou de la diminution sensible des crédits du logement, les choix que traduisent ces textes sont à notre sens contraires à la cohésion sociale, « à l'exigence de solidarité et au refus d'abandonner à elle-même une partie de la nation », objectifs pourtant réaffirmés comme prioritaires par le Président de la République.

La décentralisation n'est qu'un prétexte facile. Elle est utilisée par le Gouvernement pour nier, en raison de considérations budgétaires et idéologiques, sa responsabilité première dans la garantie effective des droits fondamentaux de chacun.

Ajoutons à cela, comme l'a notamment dénoncé le collectif Alerte, « la dégringolade de mesures régressives récemment annoncées risquant de rejeter dans la précarité les plus fragiles », et constatons que le risque « de voir "détricoter" la nécessaire solidarité nationale » devient réalité.

Vous vous délestez de vos charges sur les collectivités territoriales et sur la sécurité sociale. Vous cherchez à économiser sur le dos des assurés sociaux, sur le dos des personnes âgées, des bénéficiaires de l'AAH, du RMI, de l'AME, de la CMU, de l'ASS... La liste est longue !

Autre exemple actant votre volonté de structurer, pas à pas, l'air de rien, la société française : l'attitude du Gouvernement sur le dossier de l'emploi.

M. Roland Muzeau. Effectivement !

M. Guy Fischer. Dans le contexte économique difficile que nous connaissons, alors que le taux de chômage flirte avec la barre fatidique des 10 %, on peut s'interroger sur les leviers utilisés, en l'occurrence l'encadrement des chômeurs et l'incitation à reprendre un emploi, qui n'ont de sens, de l'avis de Gérard Cornilleau, économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, qu'en période de plein emploi.

On peut tout aussi légitimement discuter du bien-fondé de la réorientation des aides à l'emploi vers le secteur marchand, avec ses effets d'aubaine, au détriment de la création d'emplois dans le secteur non marchand. Là encore, comme le souligne Olivier Marchand, responsable de la division emploi de l'INSEE, « l'analyse montre que ces emplois - les CES, les CEC et feu les emplois-jeunes - constituent la principale mesure contracyclique capable de contenir le chômage dans les périodes de conjoncture dégradée ».

On peut enfin s'inquiéter de la généralisation de la massification de la politique d'allégement du coût du travail, en raison du coût record - 17 milliards d'euros pour 2004 - de cette dernière, de l'impossibilité d'en chiffrer l'efficacité en termes de création d'emplois, alors que ses effets nocifs sont, eux, bien visibles : déqualification, généralisation des bas salaires, dangers pour notre système de protection sociale...

Comment aller au-delà de la réduction d'un quart, pour toutes les entreprises, du coût total d'un salarié rémunéré au SMIC ? En explorant d'autres voies, « en desserrant un à un les verrous qui étouffent l'emploi », comme l'a expliqué M. Fillon, à la fin du mois de novembre, à nos collègues de l'Assemblée nationale après avoir validé le durcissement des conditions d'indemnisation conduisant, dès le 1er janvier 2004, à une sortie d'indemnisation pour 180 000 personnes et pour 600 000 personnes supplémentaires d'ici à la fin de l'année 2005.

Après avoir décidé de sanctionner une deuxième fois les chômeurs de longue durée en raccourcissant leurs droits à l'ASS, vous nous proposez de franchir une autre étape de cette activation des dépenses en conditionnant le versement du RMI à la reprise d'un emploi, comme le pratiquent les Anglo-Saxons !

Pour demain, vous ambitionnez d'intensifier le contrôle de la recherche d'emploi en mettant la pression sur les demandeurs d'emploi, sans pour autant véritablement axer nos efforts sur les moyens à donner à l'ANPE pour mettre en oeuvre un accompagnement individualisé de qualité, sans donner la priorité à la formation qualifiante des demandeurs d'emploi, plus soucieux que vous êtes d'assurer leur employabilité immédiate.

De plus, comme vous l'avez annoncé, suivront les mesures visant à assouplir encore davantage les contraintes législatives et réglementaires, responsables, selon les économistes qui sont lus dans les cercles libéraux, de freins à l'embauche en France !

En ligne de mire se trouvent, bien sûr, l'allégement et la déréglementation du code du travail, notamment s'agissant de ses dispositions sur la durée légale du travail ou sur les licenciements.

A ce titre, le MEDEF est en passe d'obtenir ce qu'il souhaite depuis longtemps déjà, puisque le projet de loi du Gouvernement sur le dialogue social prévoit d'instaurer l'autonomie des accords d'entreprise par rapport aux conventions de branche, explosant ainsi la hiérarchie des normes. M. Seillière ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Commentant cette mesure, il parle « de vraie conquête sociale » !

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Guy Fischer. Sur un autre sujet qui lui tient particulièrement à coeur, la centrale patronale est, là encore, en train de gagner du terrain. Je fais référence aux « contrats de mission », sur le modèle des contrats de chantier du bâtiment, type nouveau de contrat de travail.

Déjà, 70 % des recrutements sont réalisés sous la forme de contrats d'intérim ou de contrats à durée déterminée.

Je vous invite à lire le dossier intéressant consacré ce mois-ci, dans Liaisons sociales, aux « dix leviers pour doper l'emploi ». Vous prendrez peut-être enfin conscience que ces recettes à base de flexibilité ont un revers : la précarisation.

On peut y lire que ces nouvelles formes d'emploi atypique « ont aussi favorisé l'émergence d'un marché du travail de plus en plus dual et très inégalitaire », comme le notent MM. Olivier Blanchard et Jean Tirole dans leur rapport au Conseil d'analyse économique intitulé Protection de l'emploi et procédures de licenciement. Car, « pendant que les permanents ont conservé leurs acquis, toute la flexibilité a reposé sur les seuls précaires ».

Or c'est justement ces personnes-là que vous entendez viser une nouvelle fois. Vous stigmatisez et les chômeurs et les RMIstes « se complaisant dans l'assistanat » au lieu d'accepter les emplois proposés.

Vous continuez plus que jamais à véhiculer l'idée selon laquelle il n'y aurait plus de valeur travail. Le Conseil économique et social, dans un rapport de juillet 2003 consacré à la place du travail dans la vie des individus, a pourtant rappelé, à rebours de votre discours, que le travail n'avait pas perdu de son importance, qu'il était toujours au centre de l'existence sociale des Français.

Avant tout, ce qui contribue à dévaloriser le travail, c'est le taux de chômage record que connaît la France, l'explosion des CDD, de l'intérim, la dégradation des conditions de travail, le comportement des patrons voyous licenciant à tour de bras.

Soyez conséquents, mes chers collègues, employez-vous à redonner au travail sa consistance ; agissez pour la qualité de l'emploi et des relations de travail, pour des salaires décents.

Sur ce thème, Laurent Joffrin, dans le Nouvel Observateur du 13 novembre dernier, vous montre la voie : « Il existe une bonne manière de réhabiliter le travail : c'est d'en donner à ceux qui n'en ont pas. » Or, sur ce point, « le Gouvernement est moins flambant que dans sa lutte contre les abominables 35 heures ».

Pour acter fortement notre opposition à votre politique économique et sociale, nous avons fait le choix aujourd'hui de défendre cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette dernière doit également être comprise comme reflétant notre refus de cautionner la stratégie globale du présent texte. Nous n'acceptons pas votre discours moralisateur, pas plus que les dispositions phares du projet de loi, contraires à notre Constitution.

Partons du préambule de la Constitution de 1946, fondement du RMI : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fischer.

M. Guy Fischer. Vous me demandez, monsieur le président de conclure. Je ne développerai donc pas la suite de mon propos ; vous aurez compris le sens de mon intervention. Nous aurions pu argumenter davantage, mais nous aurons l'occasion de le faire. Au regard de ces observations, nous vous invitons, mes chers collègues, à considérer qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur le présent projet de loi, dont l'effet sur les finances des collectivités reste incertain mais dont nous mesurons dès maintenant les incidences graves sur la situation des individus sur le marché du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais dire à mon collègue M. Fischer que j'ai bien compris qu'il était opposé à l'inspiration libérale du texte. Il est contre le principe de décentralisation. Il est inquiet s'agissant de l'effet incertain du dispositif sur les finances des collectivités. Il est également inquiet de voir confier ces responsabilités aux conseils généraux...

M. Michel Mercier. Il n'a pas tort !

M. Nicolas About, président de la commission. ... et surtout, ai-je cru comprendre, à leurs présidents.

M. Guy Fischer. Ah oui !

M. Nicolas About, président de la commission. Il est hostile à l'idée que l'on soit obligé de travailler pour toucher une allocation. Il juge ce texte non conforme à la philosophie du RMI alors que je crois, au contraire, qu'il s'inscrit tout à fait dans cette philosophie. Il considère qu'il est contraire à la cohésion sociale et il s'interroge sur le bien-fondé de toutes ces mesures. Enfin, il oppose, bien sûr, le préambule de la Constitution.

En fin de compte, l'exception d'irrecevabilité doit se comprendre par la dernière phrase de votre propos, monsieur Fischer.

M. Guy Fischer. J'ai dû réduire mon intervention !

M. Nicolas About, président de la commission. Vous avez conclu en évoquant le préambule de la Constitution de 1946. On pourrait vous opposer une autre disposition de ce préambule : « Chacun a le droit d'obtenir un emploi. »

M. Guy Fischer. Bien sûr !

M. Nicolas About, président de la commission. Par conséquent, à ce titre, je considère que ce projet de loi est conforme au préambule, donc à la Constitution.

Vous savez qu'il ne nous est pas possible d'approuver une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité si le texte qui nous est soumis n'est ni contraire à la Constitution ni contraire à la loi ou à un règlement. Or tel est le cas !

Que vous ne soyez pas d'accord avec ce texte, nous le comprenons. Malheureusement, je suis obligé de vous faire part de l'avis défavorable de la commission, que je demande au Sénat de confirmer par un vote négatif.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Les auteurs de la motion entendent - et je reprends les propos deM. About - dénoncer une réforme qu'ils jugent libérale et partisane. Mais la critique n'est pas précisée. Je suppose qu'elle vise la référence à certains dispositifs de type anglo-saxon...

M. Guy Fischer. Tout à fait !

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. ... qui attribuent une allocation publique de subsistance en contrepartie - et en contrepartie seulement - d'une contribution du bénéficiaire en forme de participation à un programme d'activité.

J'ai déjà eu l'occasion, en première lecture au Sénat, d'indiquer à quel point ce projet de réforme se différencie d'une telle inspiration. En quelques mots, je reviendrai sur les différents aspects de ce texte.

Il suffit de se reporter à l'exposé des motifs du projet de loi, qui est à l'opposé d'une conception où l'aide sociale publique ne serait que conditionnelle et temporaire. En effet, l'attribution de l'allocation du revenu minimum d'insertion répond à des critères d'âge ou de revenu définis par la loi et par ses décrets d'application. La réforme ne revient pas sur ces dispositions.

L'attribution de l'allocation du revenu minimum d'insertion s'inscrit également dans une réglementation nationale, qui préserve l'égalité des citoyens quel que soit leur lieu de résidence.

Enfin, et surtout, l'allocation du revenu minimum d'insertion n'est pas la contrepartie obligatoire ou systématique d'un travail quel qu'il soit. Nous savons bien, en effet, que les allocataires du RMI ne peuvent pas tous - en tout cas, pas tout de suite - élaborer un projet d'insertion professionnelle : la prise en charge de leurs soucis de santé ou de leurs difficultés d'accès à un logement sont très souvent les préalables indispensables à une insertion professionnelle. C'est la première tâche de l'accompagnement social. L'accès à l'emploi n'a de chance de réussir - grâce au RMA, à un contrat aidé ou à un contrat ordinaire - que si cette insertion sociale est vraiment réussie. Il n'est donc pas question de n'attribuer le RMI qu'en contrepartie d'un travail.

Inversement, le RMI ne devrait pas être non plus assimilé à une situation d'assistance durable dès lors que les allocataires sont en capacité de travailler. Or l'obstacle est le plus souvent le découragement ressenti par ces allocataires pour accéder à une activité rémunérée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de réforme associe à la décentralisation du RMI la création d'un nouvel outil d'insertion, le RMA, qui permettra de démultiplier les possibilités d'accès à l'emploi.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ces dispositions, mais je voudrais tout de même rappeler qu'au total le projet de réforme préserve l'architecture globale du RMI. Il vise aussi à porter remède à des insuffisances constatées depuis longtemps : l'organisation et le fonctionnement du RMI ne sont pas suffisamment mobilisateurs et le RMI n'aboutit pas suffisamment à l'insertion.

Quant aux risques financiers évoqués, je rappelle que le projet de loi, dans son article 3, précise que les charges transférées sont compensées par des ressources fiscales d'un montant équivalent.

Effectivement, ce dispositif est innovant, monsieur le sénateur, et nous le revendiquons comme tel.

Je reviendrai sur le RMA dans un instant, à l'occasion du débat sur la motion tendant à opposer la question préalable. En attendant, bien entendu, nous souhaitons le rejet de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, car les arguments invoqués au regard de la Constitution ne sont pas fondés.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité
Art. 2 bis

M. le président. Je suis saisi, par M. Chabroux et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi modifié par l'Assemblée nationale, portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité (n° 85, 2003-2004). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Gilbert Chabroux, auteur de la motion.

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord constater pour m'en réjouir que, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, un vrai débat a pu avoir lieu en première lecture - j'y insiste - sur ce projet de loi. Dans nos deux assemblées, nous avons pu, dans le respect des sensibilités politiques des uns et des autres, engager un débat de fond, hors des stéréotypes habituels en matière d'exclusion. Il faut, sur ce point, rendre hommage à nos rapporteurs, ici à notre collègue Bernard Seillier.

Il est vrai que le sujet, auquel tous les gouvernements et tous les élus locaux se sont trouvés confrontés, ne devrait pas prêter à polémique entre des responsables qui en mesurent la complexité. Comme l'a dit Michel Mercier, il faut faire preuve de beaucoup d'humilité.

Il est également vrai que le texte initial appelait une réflexion de fond et demandait pour le moins à être amélioré.

Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas accordé davantage d'attention aux observations des deux rapporteurs et d'un certain nombre de parlementaires.

Il est regrettable aussi que le calendrier ne nous ait pas facilité la tâche. Il n'y avait pourtant aucune urgence à présenter le texte au Sénat dès le mois de mai dernier, sans même attendre les conclusions du rapport que devait remettre notre collègue Bernard Seillier, président du groupe d'études contre l'exclusion. C'est tout de même étonnant ! Je le redis, les grandes fédérations d'associations spécialisées n'ont pas été consultées non plus. Elles avaient alors fait part de leur stupéfaction d'avoir été mises devant le fait accompli.

La lecture des débats dans les deux assemblées, en commission puis en séance publique, est instructive. On y entend souvent exprimer les mêmes inquiétudes et les mêmes doutes - encore ici, ce soir - de manière directe par l'opposition, de manière plus feutrée, parfois gênée, par la majorité.

Mais, pour tous ceux qui ont été confrontés au problème de l'exclusion, qui ont acquis, par force, une certaine expérience, il est évident que les mesures que vous présentez dans votre projet de loi ne répondent pas aux questions qui sont posées. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit lors de la discussion générale.

C'est à l'Assemblée nationale que l'exercice a pris des proportions inédites, particulièrement lors du débat sur l'article 35, où le rapporteur a vu ses amendements rejetés les uns après les autres. Pourtant, ces amendements avaient été adoptés par la commission, plusieurs étaient cosignés par des députés des différents groupes politiques...

M. Nicolas About, président de la commission. C'est inquiétant !

M. Gilbert Chabroux. ... notamment de gauche. Mais peut-être était-ce là, justement, le signe que ces amendements n'allaient pas dans le sens souhaité par le Gouvernement, et aussi il faut le dire, par le MEDEF et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME.

M. Guy Fischer. C'est évident !

M. Gilbert Chabroux. Le ministre des affaires sociales a donc battu le rappel des députés les plus sûrs, et la question s'est trouvée résolue.

Pour autant, les débats font foi des positions des uns et des autres. Je pense surtout aux amendements qui qualifiaient la rémunération du travailleur de « salaire » et non pas de « revenu », ce qui est la clé du statut et des droits sociaux afférents. Des députés socialistes ont présenté de tels amendements, bien sûr, et Mme Boutin a eu aussi le courage de faire de même. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec elle...

M. Michel Mercier. Ah ? Je croyais le contraire !

M. Gilbert Chabroux. ... - c'est assez rare, même, que nous soyons d'accord avec elle -, mais il faut lui reconnaître ce mérite. Ce n'était pas là générosité, mais simple esprit de justice.

Au total, ce qui est le plus visible, c'est que les parlementaires les plus compétents sur le sujet de la lutte contre l'exclusion et les opérateurs de terrain ont été délibérément mis de côté. Il fallait élaborer rapidement un texte qui offre aux entreprises, quand elles pourront de nouveau embaucher, une main-d'oeuvre à prix compétitif dans la grande braderie internationale des revenus des salariés.

Certains n'ont pas hésité pour cela à stigmatiser un peu plus les allocataires du RMI, en les accusant de se « complaire dans l'inactivité subventionnée ». Une députée UMP a même avoué, dans un accès de franchise incontrôlée, qu'il ne fallait pas que le RMA donne droit à un véritable salaire, parce que cela risquerait de rendre frileuses les entreprises désireuses de bénéficier d'un effet d'aubaine !

La lutte contre l'exclusion n'aura été que le prétexte pour créer ce contrat parfaitement inutile - d'autres dispositifs, avec un intéressement pour le bénéficiaire et une formation existent déjà -, un contrat dont les conséquences seront dangereuses par la pression à la baisse qu'il va exercer sur des salaires déjà très bas.

Le débat a eu lieu, mais il a manifestement pris fin de manière prématurée. Le Gouvernement n'a plus le temps de laisser la discussion parlementaire aller à son terme. Il lui faut un texte pour la fin de l'année, de sorte que, avant les élections du mois de mars, il ait « bouclé » au moins les principales opérations de transfert de charges sur les départements. Déjà, des circulaires sont arrivées dans les départements depuis le mois de novembre, avant le débat à l'Assemblée nationale, avant la deuxième lecture au Sénat.

M. Claude Domeizel. Ah bon ?

M. Gilbert Chabroux. S'agissant de la gestion du RMI, nul ne peut être opposé à la recherche d'une certaine proximité. Cependant, je le répète, cela ne doit pas ôter à la lutte contre l'exclusion son caractère national.

Il fallait également des précisions sur le financement ; sur les modalités des transferts de charges, elles sont venues bien tardivement, et demeurent verbales.

Encore ces jours-ci, les responsables des caisses d'allocations familiales et des organismes sociaux expriment les plus vives inquiétudes sur les prochains mois et sur la manière dont va s'opérer le basculement. Les conseils généraux s'interrogent pour savoir comment ils vont faire face aux problèmes de trésorerie. Peut-être s'agit-il d'utiliser une partie des 17 % des crédits destinés à l'insertion ? Je l'ai entendu dire...

Nous sommes évidemment contre cette manipulation, mais il faut bien avouer que nous comprenons l'embarras des élus départementaux.

M. Nicolas About, président de la commission. Cela servira l'emploi !

M. Gilbert Chabroux. La situation ne fera que s'aggraver financièrement avec la réduction de la durée de versement de l'ASS aux chômeurs en fin de droits qui vont passer au RMI.

De la part du Gouvernement, ce n'est plus de la décentralisation, c'est du délestage, qui permet, dans le même temps, le nettoyage des statistiques du chômage pour faire redescendre la courbe.

Le débat a eu lieu. Il est terminé. Ce n'est pas extrapoler que de le constater. La majorité va voter un texte conforme, qui a fort peu bougé par rapport à la première lecture.

M. Nicolas About, président de la commission. C'est vrai !

M. Gilbert Chabroux. La discussion démocratique n'a pu être empêchée. Je me réjouis qu'elle ait eu lieu, mais elle n'a pu aboutir. Les conclusions n'ont pas été tirées, parce qu'elles étaient déjà écrites ailleurs. Ce n'est pas une victoire pour le Parlement, et j'emploie là un euphémisme.

Pour les personnes en difficulté, c'est la promesse que leur situation de précarité va se perpétuer et qu'elles seront encore un peu plus stigmatisées.

Sur le fond comme sur la procédure législative adoptée, nous constatons que tout est joué. Ce débat n'a plus lieu d'être. C'est pourquoi nous demandons l'adoption de la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Nicolas About, président de la commission. Je ne surprendrai pas M. Chabroux en lui disant que je ne vois pas pour quel motif le Sénat s'opposerait aujourd'hui à un texte qu'il a lui-même adopté en première lecture et qui nous revient de l'Assemblée nationale conforme, exception faite de quelques modifications qui ne portent que sur des virgules ou sur les marges. C'est d'ailleurs une façon d'honorer le travail de notre rapporteur et de notre assemblée, et j'en remercie l'Assemblée nationale.

C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, de repousser la question préalable et d'entériner ce texte, une fois que Mme la ministre aura répondu, comme elle l'a fait tout à l'heure à M. Michel Mercier, aux questions d'autres membres de cette assemblée, en particulier à celles de M. Lardeux, qui, je le sais, sont très importantes. Je ne doute pas que, ces réponses étant apportées, nous pourrons tous aisément adopter ce texte.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, la critique selon laquelle le dispositif du contrat d'insertion-RMA constituerait un type de contrat à ce point dérogatoire au droit du travail qu'il porterait atteinte au préambule de la Constitution est naturellement infondée. Elle procède d'une méconnaissance profonde de l'esprit et de l'économie générale du texte, je veux m'y arrêter quelques instants.

Une des options ouvertes au Gouvernement lors de l'élaboration du dispositif était de prévoir l'existence d'un contrat de prestation de service spécifique dans lequel les relations entre l'entreprise et le bénéficiaire auraient été totalement dérogatoires par rapport au droit commun du contrat de travail. En effet, placé hors du champ du code du travail, ce contrat aurait trouvé la justification de sa particularité par le fait qu'il aurait eu pour objet l'insertion de personnes qui, pour des motifs divers, se trouvaient durablement exclues du marché du travail.

Cette voie était possible : elle était juridiquement et constitutionnellement envisageable. Mais ce n'est pas celle qu'a retenue le Gouvernement, qui a, au contraire, choisi volontairement d'inscrire le RMA dans le champ du droit du travail, tant pour un motif d'équité sociale que pour des raisons tenant à l'objet même du dispositif : une insertion réussie dans l'emploi.

Le contrat d'insertion-RMA est « un contrat de travail à durée déterminée et à temps partiel ». Cette phrase, contenue dans le projet de loi qui vous est soumis, permet de réfuter la critique fondée sur une prétendue violation des principes fondamentaux du droit du travail.

Le RMA a vocation à ramener dans le marché du travail des personnes qui en étaient durablement exclues. Il fallait tirer toutes les conséquences de cette finalité de réinsertion et en déduire que les personnes qui s'inscrivaient dans ce cadre seraient, à ce titre, signataires d'un contrat de travail : elles peuvent donc être qualifiées de salariés, comme c'est le cas dans le texte proposé.

Pour autant, ce contrat de travail n'est pas tout à fait comme les autres.

Il présente des particularités, ne serait-ce qu'en raison du lien qui existe, par ailleurs, entre l'employeur et le département, ainsi qu'en raison du fait que le bénéficiaire ne perçoit pas de la part de l'employeur un salaire, mais un RMA non assujetti, en tant que tel, aux charges sociales pour la partie représentant l'aide du département. De même, le bénéficiaire du RMA conserve ses droits connexes au RMI, en premier lieu une couverture maladie universelle pour le bénéfice de laquelle aucune contribution financière n'est demandée aux allocataires du RMI.

Ces particularités ne sont pas des dérogations qui seraient justifiées par le souci d'exonérer, comme on a pu l'entendre, l'employeur de ses obligations. Chacune d'entre elles n'a qu'un seul objet, une seule justification : assurer l'insertion du salarié en tenant compte de sa situation particulière sur le marché du travail.

Aucune disposition, aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdisent de créer un contrat de travail spécifique. Nombreuses et diverses sont d'ailleurs, dans notre droit du travail, les formes de contrat qui, du contrat d'apprentissage au contrat de qualification, constituent des dérogations au droit commun du contrat de travail.

Tout au long de la discussion parlementaire, nous avons veillé à ce que la spécificité ainsi instituée soit bien adaptée à une différence objective de situation au regard de l'objectif d'intérêt général visé. C'est à cette condition que doit répondre le texte s'il ne veut pas méconnaître le principe d'égalité qui, notamment en matière de rémunération, nous est imposé à la fois par le droit international, le droit communautaire et notre propre droit interne.

C'est précisément en tenant compte de ces considérations et de ces exigences qu'a été élaboré le projet de loi qui vous est présenté.

La principale particularité de ce contrat par rapport au droit commun est que le bénéficiaire ne perçoit pas un salaire mais un revenu minimum d'activité. Or cette dérogation est limitée dans sa portée et nécessaire au regard de l'objectif d'intérêt général visé.

Cette disposition est limitée dans sa portée dans la mesure où le bénéficiaire perçoit un revenu lié à sa prestation au sein de l'entreprise calculée sur la base du salaire minimum.

L'entreprise sera liée au département par une convention fixant les modalités de mise en oeuvre d'un parcours d'insertion de l'allocataire du RMI. En aucun cas il ne s'agit de créer une forme juridique de travail au rabais qui viendrait concurrencer les formes habituelles et normales du travail.

Limitée dans sa portée matérielle, l'exception est également limitée dans le temps, puisqu'il s'agit, par définition, d'un dispositif temporaire pour le bénéficiaire, dispositif qui lui permet tout simplement d'assurer la transition entre la situation d'exclusion, ou une situation proche de celle-ci, et le monde du travail.

Cette dérogation ainsi délimitée est, par ailleurs, nécessaire, car l'échec de l'insertion dans le cadre du RMI impliquait que ce dispositif soit attractif pour l'ensemble des parties prenantes

La qualification de la rémunération en « salaire » impliquait l'application des charges sociales rendant le coût du dispositif effectivement beaucoup plus élevé pour l'entreprise.

L'équilibre de l'opération suppose donc que le bénéficiaire retire de son travail un revenu équitable calculé en fonction du SMIC, il suppose aussi que l'entreprise du secteur marchand, en contrepartie de l'effort d'insertion auquel elle contribue, ne voie pas la rémunération qu'elle verse grevée de diverses cotisations sociales, et que, enfin, le dispositif soit suffisamment attractif et efficace pour l'entreprise et le bénéficiaire lui-même afin d'optimiser les résultats de l'insertion des allocataires du RMI et les dépenses des départements à ce titre.

La dérogation ainsi instituée ne se justifie, en conséquence, qu'au regard de cet objectif d'intérêt général qui implique que l'on différencie la situation de travail de droit commun de celle qui est visée par le projet de loi, caractérisée par les difficultés d'intégration du bénéficiaire dans le monde du travail et les efforts conjugués d'insertion faits par la collectivité publique et l'entreprise.

Ce contrat de travail spécifique n'a en effet de sens que s'il s'accompagne d'un parcours d'insertion. Comme le prévoit le projet de loi, il doit porter sur les actions et objectifs en matière d'orientation professionnelle, sur le suivi individualisé ou la validation des acquis, définis pour chaque bénéficiaire du RMA en tenant compte de sa situation particulière.

C'est en cela que je réfute évidemment la critique selon laquelle, sous couvert du code du travail, il s'agirait d'un contrat de travail au rabais. Le code du travail ne doit pas conduire à exclure les personnes en marge du monde du travail. Sans remettre en cause le cadre général des garanties prévues par ce code applicables aux situations habituelles de travail, il faut imaginer des cadres transitoires et dérogatoires au droit commun, rattachés précisément au droit du travail, permettant l'insertion progressive dans le monde du travail.

Après ce rappel nécessaire, je souhaite, naturellement, que le Sénat rejette la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Comment, à la lumière de ce qui vient d'être dit, ne pas nous interroger sur la relation entre le principe fondateur du RMI et le travail, relation que vous revisitez, madame la ministre, en liant la perception de l'aide à une contrepartie en activité ?

Auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat, Michel Dollé avait consacré de longs développements à ce point, considérant que « le principe constitutionnel figurant en amont du RMI devrait interdire d'inverser la relation entre activité ou travail et perception de l'aide ». Il démontrait que « le principe du workfare peut se réintroduire dans le concret et notamment dans la formulation des contrats d'insertion et dans les modalités du revenu minimum d'activité ».

Concernant ce nouveau « contrat d'insertion-RMA » le président du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, se posait la question de savoir s'il était « un contrat de travail à plein titre ». Les débats à l'Assemblée nationale ont été, sur ce point en particulier, très instructifs. Impossible, madame la ministre, de faire dire explicitement au Gouvernement ce qu'est réellement ce contrat. En revanche, il est clair qu'il déroge au droit commun du travail, au droit de la protection sociale.

Il introduit, au sein du salariat, un nouveau sous-statut ; à la différence des salariés sous contrat à durée déterminée ou sous contrat aidé, les titulaires d'un contrat d'insertion-RMA n'acquièrent de droits différés, - droit à la retraite, chômage, notamment - que sur la seule part de leur rémunération à la charge de l'employeur, déduction faite du montant de l'aide du département.

Et voilà réintroduit partiellement un workfare. Et voilà aussi créée une nouvelle catégorie de salariés à bon marché, sans droits, sans avenir d'insertion professionnelle pérenne, le droit à la formation ne leur étant pas expressément ouvert.

Que dire de l'interdiction de travailler pendant le second mi-temps, si ce n'est qu'elle est aussi une mesure discriminatoire ?

Vous ne pouvez décidément pas, madame la ministre, continuer à prétendre que votre objectif est l'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi. Sinon, vous auriez accepté les amendements du rapporteur de l'Assemblée nationale, cosignés par la majorité des groupes parlementaires, visant au moins à poser un certain nombre de garde-fous pour éviter les effets d'aubaine - contingentement des contrats d'insertion-RMA, délai de carence les séparant -, ou tendant à faire du contrat d'insertion-RMA un véritable contrat de travail.

Si telle était bien votre préoccupation, vous n'auriez pas pu consentir, notamment, à ouvrir le dispositif aux entreprises de travail temporaire.

C'est pourquoi nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.