compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières
Discussion générale (suite)

Service public de l'électricité et du gaz

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre de jour appelle la discussion du projet de loi (n° 383, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. [Rapport n° 386 (2003-2004) ; avis n°s 387 et 400 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes aujourd'hui devant un choix historique pour notre politique de l'énergie : adapter ou non la forme juridique d'EDF et de Gaz de France, définie en 1946, au lendemain de la guerre, aux réalités du monde de 2004. Telle est la question et avec Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, nous ne doutons pas que le Sénat comprenne d'emblée l'absolue nécessité d'une telle adaptation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis cinq jours, notre marché de l'énergie est ouvert à la concurrence. C'est un fait ! Ce n'est pas ce gouvernement qui l'a choisi ; c'est la conséquence d'une décision qui a été prise au sommet européen de Barcelone, en mars 2002, par la précédente majorité.

Je souhaite, sur ce sujet, clarifier tout de suite le débat. Je ne suis pas en train de renvoyer la responsabilité de la décision prise à Barcelone sur d'autres. Le processus d'ouverture à la concurrence a commencé en 1996, sous notre majorité, et je suis profondément convaincu que la concurrence est une bonne chose même si, en l'occurrence, elle doit se concilier avec notre attachement au service public.

Ce que je récuse, en revanche, c'est l'hypocrisie - car c'est bien d'une hypocrisie dont il s'agit - qui consiste à dire « oui » à Barcelone et à ne pas en tirer, à Paris, les conséquences qui s'imposent quant à l'évolution de nos entreprises !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Si vous n'étiez pas d'accord avec la décision de Barcelone, il fallait quitter la table et dire « non » ! Or vous ne l'avez pas fait, et Lionel Jospin a apposé sa signature. Vous ne pouvez donc pas, d'un côté, signer l'accord à Barcelone et, de l'autre, dire « non » à Paris.

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Eh oui !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. La logique voudrait que le changement de forme juridique d'EDF et de Gaz de France soit donc soutenu par tous ceux qui ont choisi d'ouvrir notre marché de l'énergie, ce choix ayant des conséquences.

M. Gérard Cornu. Absolument !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. J'avoue ne pas comprendre une attitude inverse, et encore moins les raisons qui ont conduit des personnalités aussi emblématiques que Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn ou Lionel Jospin à changer d'avis ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Piras. Et Juppé, en 1996 !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Parlons de l'avenir !

M. Bernard Piras. Nous avons quelques arguments !

M. Jean Chérioux. Assumez vos décisions !

M. Josselin de Rohan. Ils sont amnésiques !

M. Gérard Cornu. Ils sont surtout démagos !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Excusez-moi de vous avoir fait mal et de susciter une telle réaction ! Je savais que j'étais cruel, mais je ne pensais pas l'être à ce point ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, la caractéristique du Sénat est de connaître la valeur du temps et de mesurer ce qui est important pour le pays.

Avec Patrick Devedjian, nous le disons avec solennité : nous sommes aujourd'hui face au troisième rendez-vous de l'histoire de notre politique énergétique.

Le premier eut lieu en 1946, avec le défi de la reconstruction et le choix visionnaire du général de Gaulle, soutenu à l'époque par le Parti communiste français, ...

M. Daniel Goulet. Absolument !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ...de créer deux champions nationaux, unifiant ainsi toutes les forces de notre pays pour financer sa nécessaire électrification. Les gaullistes soutenus par les communistes avaient répondu présents !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Le deuxième rendez-vous se tint en 1973 : la crise pétrolière augmenta fortement le coût de la production électrique et plongea notre pays dans la récession. En réponse, le gouvernement d'alors fit le choix visionnaire de lancer la construction de cinquante-huit centrales nucléaires.

J'espère que tout le monde pourra demain se souvenir de 2004 comme étant une date historique, et ce pour une double raison.

Premièrement, l'Assemblée nationale et le Sénat viennent de voter en faveur du lancement de l'EPR, qui nous permettra de préparer le renouvellement de notre filière nucléaire.

M. Daniel Goulet. Excellent !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Deuxièmement, EDF et Gaz de France vont s'adapter à un marché unique européen de l'énergie qui s'ouvre à la concurrence.

Qui peut penser que le statut de monopole de 1946 serait adapté à 2004 et au marché de la concurrence ?

M. Daniel Goulet. Absolument !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Si l'on aime et si l'on soutient EDF et Gaz de France, il faut donner à ces deux champions nationaux les moyens de devenir des champions européens !

Nous n'avons pas le droit de rater ce rendez-vous avec l'Histoire, car les conséquences pour EDF et Gaz de France ainsi que pour leurs agents seraient majeures.

Si nous ne faisions rien, ces deux entreprises continueraient de subir les attaques de la Commission européenne, qui dénonce l'avantage concurrentiel que leur confère leur statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial, EPIC.

Si nous ne faisions rien, ces deux entreprises ne pourraient compenser leurs pertes de parts de marché. Comme le marché va s'ouvrir à la concurrence en France, elles vont perdre des parts de marché ; il faut donc qu'elles puissent en gagner ailleurs.

M. Gérard Cornu. Evidemment !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Si nous ne faisions rien, EDF serait, par ailleurs, contraint de financer son développement exclusivement par le biais de l'endettement. L'opposition d'aujourd'hui, ancienne majorité, déclare soutenir EDF et Gaz de France. Dès lors, on peut se poser la question de savoir pourquoi elle ne lui a pas donné un centime d'euro pour l'aider à se développer ! Pas un !

Cela a conduit EDF à se développer exclusivement par le biais de l'endettement ; celui-ci a atteint 15 milliards d'euros en trois ans. Comment aurait-il pu en être autrement ? EDF est aujourd'hui endettée à hauteur de vingt-quatre milliards d'euros, ...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ... dette à laquelle il convient d'ajouter les engagements sur les retraites et les provisions nucléaires pour dix-neuf milliards d'euros de fonds propres. Que ceux qui ont condamné l'entreprise à l'immobilisme viennent expliquer à ses agents et à ses clients quels étaient leurs projets pour EDF !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. On ne peut à la fois vouloir participer au monde de la concurrence, lors du sommet de Barcelone, et ne pas en accepter les règles.

Enfin, si nous ne faisions rien, le régime actuel de retraite des industries électriques et gazières, les IEG, - disons les choses comme elles sont, monsieur le rapporteur - ne pourrait conduire qu'à la faillite certaine.

Qui peut, en effet, penser que ces entreprises pourront verser demain leurs pensions à des retraités de plus en plus nombreux, tout en perdant des parts de marché ? Quelle est cette majorité d'alors qui a accepté l'application des normes comptables internationales - car vous l'avez acceptée, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition - sachant que cela se traduirait par une obligation, pour EDF et Gaz de France, de provisionner soixante milliards d'euros, condamnant ainsi un régime à la banqueroute ? Voilà ce à quoi a abouti l'immobilisme d'hier et ce à quoi nous conduirait l'immobilisme d'aujourd'hui, si nous ne faisions rien ! C'est pour cette raison que nous devons agir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Nous devons agir non pas par idéologie, mais tout simplement parce que nous héritons de ce bilan !

M. Bernard Piras. On vous répondra !

M. Josselin de Rohan. Vous aurez du mal !

M. Jean Chérioux. Cela n'ira pas loin !

M. Bernard Piras. Prétentieux !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. La question est maintenant simple. Ceux qui sont pour l'immobilisme prennent la responsabilité d'être les fossoyeurs d'EDF et de Gaz de France. Pour ce qui nous concerne, notre projet vise à conforter l'essentiel, les valeurs du service public et le caractère intégré des entreprises, et à préserver les droits sociaux des agents, leur régime spécial de retraite et leur statut, mais j'y reviendrai.

Un débat s'est engagé, y compris au sein de la majorité. Nous l'avons mené avec Patrick Devedjian, et il est assez simple. A ceux qui voudraient que nous allions plus loin, nous voudrions l dire qu'EDF et Gaz de France ne sont pas une page blanche ; ils ont une histoire sociale. On peut en penser ce que l'on veut, mais la différence entre l'observateur et l'acteur qu'est le politique, c'est que ce dernier doit tenir compte de cette histoire sociale.

J'évoquerai maintenant le service public, et j'aborderai trois points.

Les missions définies dans les lois de 2000 et de 2003 qui incombaient aux établissements publics seront intégralement transférées aux sociétés publiques. Elles feront, de surcroît, l'objet d'un contrat signé avec l'Etat qui comportera des objectifs chiffrés en termes de qualité de service, de courant fourni aux consommateurs, de présence territoriale ou de délais d'intervention.

La péréquation tarifaire en matière d'électricité sera évidemment maintenue pour les clients non éligibles et pour les tarifs d'acheminement. Mieux, chaque fournisseur aura l'obligation de publier, pour les professionnels, des barèmes de prix accessibles et identiques sur tout le territoire, afin que ceux-ci soient assurés de payer leur énergie au même prix, qu'ils habitent à 400 mètres d'une centrale nucléaire ou à 400 kilomètres.

EDF et Gaz de France constitueront enfin un opérateur commun, EDF- Gaz de France distribution, afin de préserver les synergies existantes entre les deux entreprises et de garantir la qualité du service public de proximité. Ce service comptera 60 000 personnes et continuera de s'appuyer sur une centaine de centres de distribution. Je crois qu'il y en a très exactement 102, à la minute où je vous parle.

Ensuite, le projet de loi préserve le caractère intégré de chacune des entreprises, tout en veillant à garantir les conditions d'une concurrence équitable et donc un accès des tiers aux réseaux, transparent et non discriminatoire.

Il est clair que le maintien d'une proximité stratégique entre la gestion du réseau et l'exploitation du parc de production est un élément essentiel de notre sécurité d'approvisionnement. Cela nous a évité les déboires et les coupures qu'ont connus nos amis italiens et américains l'été dernier. Je ne vois pas au nom de quoi nous devrions renoncer au caractère intégré de ces entreprises.

Il faudra bien qu'un jour, un certain nombre de pays européens se posent la question du recours au nucléaire.

En effet, les cinquante-huit centrales nucléaires françaises permettent d'économiser l'équivalent de la pollution que produit la totalité du parc automobile européen, qui n'est donc pas rejetée dans l'atmosphère au détriment de la couche d'ozone.

Disons-le très clairement : le choix du nucléaire est un choix écologique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. L'Europe de l'énergie une fois mise en place, il faudra bien que les dirigeants des pays rejetant deux fois plus de gaz carbonique que le nôtre en tirent les conclusions en ce qui concerne le recours au nucléaire.

Enfin, à ceux qui contestent le choix de l'EPR et de la filière nucléaire, il faut donner le nom qu'ils méritent : ce sont des pollueurs, car refuser le nucléaire, c'est accepter l'augmentation de la pollution et la dégradation de notre atmosphère.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Le projet de loi prévoit, d'une part, qu'EDF et GDF puissent faire valoir leur droit légitime d'actionnaires au sein des conseils d'administration de leurs filiales de transport, EDF Transport et Gaz de France Transport, d'autre part, que ces filiales soient publiques à 100 %, c'est-à-dire intégralement détenues par EDF et par Gaz de France.

Je n'oublie pas pour autant que l'ouverture du marché à la concurrence suppose que ces filiales exercent au quotidien leurs activités de manière impartiale.

C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à maintenir toutes les dispositions des lois de 2000 et de 2003 relatives à l'accès des tiers aux réseaux. A cet égard, je remercie vivement votre rapporteur, M. Ladislas Poniatowski, d'avoir pris l'initiative d'une série d'amendements introduisant un accès négocié des tiers au stockage de gaz, conformément aux préconisations des directives. Cette proposition permettra de renforcer la concurrence, tout en préservant une utilisation prioritaire des stockages de gaz pour l'accomplissement des missions de service public.

J'en viens maintenant aux garanties sociales.

Je le redis avec force : le statut des agents, défini en 1946, sera maintenu. Son champ d'application - production, transport, distribution, commercialisation - ne sera pas modifié ; les agents concernés - les retraités, les présents dans l'entreprise, les futurs embauchés - et son contenu - les dispositions relatives à la garantie de l'emploi, les prestations et les oeuvres sociales - seront maintenus.

La réussite d'EDF et de Gaz de France est aussi le fruit d'une histoire sociale qu'il nous faut prendre en compte et respecter.

Je veux dire un mot de cette question.

La réforme ne doit pas être synonyme de remise en cause d'acquis sociaux anciens, sinon, il ne faudrait pas s'étonner que les Français en viennent à détester la réforme et son idée même.

J'ai été mandaté pour conduire un changement extrêmement difficile : la transformation en société anonyme d'EDF et la résolution de la question des retraites adossées au régime général. Cela ne veut pas dire qu'il faille, d'un trait de plume, rayer l'histoire sociale d'EDF et de Gaz de France. D'ailleurs, ce sont ceux qui prônent l'immobilisme qui prendraient le risque de la remettre en cause, car cet immobilisme condamnerait l'entreprise à ne plus avoir les moyens d'y faire face.

La réforme des retraites comprend trois parties.

Il s'agit, tout d'abord, d'adosser le régime des IEG aux régimes de droit commun, la CNAV, l'AGIRC et l'ARRCO. Il est clair, en effet, que cet adossement devra être neutre pour les salariés des entreprises privées comme pour ceux des IEG. Le Gouvernement sera donc favorable à l'amendement qu'a déposé M. Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, qui vise à réaffirmer ce principe.

La réforme prévoit ensuite d'identifier, au sein du tarif d'acheminement, la part couvrant les charges de retraite de ces activités et de la transformer en une contribution tarifaire afin de soulager les entreprises de l'obligation d'inscrire à leur passif les provisions correspondantes. La réforme sera donc neutre pour le consommateur.

M. Gérard Delfau. Nous en reparlerons !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est la réalité !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Puisque vous n'avez pas compris, je reprends : la réforme sera neutre pour le consommateur.

M. Bernard Piras. Ce n'est pas sérieux !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. J'ajoute que si nous n'avions pas été là, le choix du nucléaire n'aurait pas été fait, et la question des matières premières et de leur coût, qui n'a rien à voir avec la réforme du statut, se serait posée de façon plus violente.

Le groupe socialiste ne s'est pas associé au choix de l'EPR...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ...estimant qu'il fallait réfléchir. Je vous rassure : si le gouvernement de 1973 avait continué à réfléchir, nous n'aurions pas l'indépendance énergétique. Il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités, même si c'est difficile.

Enfin, l'Etat accordera sa garantie à la caisse des IEG en ce qui concerne les engagements de retraite antérieurs à 2004.

Si ce projet de loi tend à conforter l'essentiel, il vise, en revanche, à changer la forme juridique d'EDF et de Gaz de France.

Cette transformation d'établissement public en société anonyme est indispensable pour donner les moyens juridiques et financiers à ces deux entreprises de lutter à armes égales contre leurs concurrents,...

Mme Nicole Borvo. Mais non, pas du tout !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ... de devenir deux champions européens, de se développer à l'extérieur de nos frontières et, en France, de faire face avec efficacité à la concurrence.

Cette transformation du statut d'EDF est la seule disposition prévue par ce projet de loi. Cela veut dire concrètement que, s'il est adopté, EDF et Gaz de France seront des sociétés, mais des sociétés publiques détenues à 100 % par l'Etat.

Mme Hélène Luc. Momentanément !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Il est vrai que, à la suite de cette transformation, le Gouvernement aura la capacité de vendre des actions d'EDF.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Il me faut dire un mot sur cette question.

Mme Hélène Luc. Pas qu'un, d'ailleurs !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Le taux de détention minimum par l'Etat sera de 70%. Il n'y aura pas de privatisation d'EDF, non pour des raisons idéologiques, mais pour un motif simple : une centrale nucléaire n'est pas un central téléphonique. Il existe une différence de nature entre EDF et France Télécom qui justifie une différence de politique entre ces deux entreprises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. En revanche, une question se pose à chacun d'entre nous, y compris aux membres du parti communiste. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Je n'ai pas voulu rire en parlant du parti communiste, mais, effectivement, cela peut susciter l'hilarité !

La question qui se pose est la suivante : comment donner les moyens financiers à cette entreprise de se développer ?

Le premier moyen, c'est l'endettement.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Comment cet endettement s'est-il produit ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Ce moyen a été utilisé surabondamment, et nous ne pouvons pas laisser ces entreprises s'endetter encore sans les doter en fonds propres.

Or, j'observe que, durant les cinq années où vous avez, socialistes et communistes, partagé la responsabilité du gouvernement, vous n'avez pas donné un centime d'euro de fonds propres de plus à EDF ou à Gaz de France ! Votre bilan en la matière est éclatant : pas un sou pour se développer ! De plus, vous avez, à Barcelone, ouvert le marché à la concurrence.

M. Bernard Piras. Qu'avez-vous fait avant ?

M. Daniel Reiner. MM. Balladur et Juppé n'ont pas donné un sou non plus !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Je ne vous le reproche pas, mais avouez, franchement, qu'il n'y a vraiment pas de quoi donner des leçons au gouvernement actuel !

Après avoir exclu l'endettement, il reste une autre solution : l'augmentation des prix, mais vous êtes les premiers à dire : « Attention ! il ne faut pas que les prix augmentent. » Parfait ! Toutefois, si on ne peut pas endetter une entreprise et si les prix de vente de ses services n'augmentent pas, comment financer son développement, sans une ouverture de capital ? La question me paraît d'une cohérence absolue.

Il y a trois solutions pour financer une entreprise, il n'y en a pas quatre.

Vous ne voulez pas d'endettement, parfait ! Vous ne voulez pas d'augmentation des prix vendus, parfait ! Il reste l'ouverture du capital pour faire entrer de l'argent frais, pour désendetter l'entreprise et lui permettre de financer la filière nucléaire.

Dire que cela ne relève pas d'un choix idéologique, c'est simplement être cohérent, parce que nous voulons faire de ces entreprises les champions industriels que l'immobilisme risquerait de condamner.

Voilà le coeur du débat ! Nous sommes ici au coeur de ce que Patrick Devedjian et moi-même vous proposons.

La commission de la concurrence ne veut plus du statut d'EPIC, parce qu'il suppose la garantie de l'Etat et que la commission estime qu'il y a rupture de concurrence. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Delfau. C'est faux !

M. Philippe Marini, rapporteur. C'est la stricte vérité !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. J'ai rencontré plus longtemps M. Monti qu'aucun de ceux qui se trouvent sur les travées de la Haute Assemblée !

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas ce qu'il a dit !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. M. Monti et la commission de la concurrence ne veulent pas entendre parler de la garantie automatique de l'Etat. Or, le statut d'EPIC l'impliquant, il faut donc changer de statut. C'est pourquoi nous vous proposons celui de société anonyme. C'est ce à quoi tend ce projet de loi.

En revanche, se pose la question du financement de l'entreprise : depuis vingt-deux ans, elle ne reçoit pas un centime de l'Etat. Il faut donc lui permettre d'ouvrir son capital si elle a des besoins en la matière.

Qu'avons-nous décidé, Patrick. Devedjian et moi-même ? De ne pas agir dans la précipitation, mais de nous donner un délai d'un an pour mettre en place une réforme aussi complexe que celle de l'ouverture éventuelle du capital d'EDF et de profiter de cette année pour faire travailler une commission consultative composée d'experts, de parlementaires, de partenaires sociaux, afin de faire le point sur les besoins de financement de ces deux entreprises.

Ont-elles besoin d'argent ou n'en ont-elles pas besoin ? Si elles n'ont pas besoin d'argent, n'ouvrons pas le capital. Si elles ont besoin d'argent, le problème se posera.

S'il devait y avoir une ouverture de capital, quels seraient les investisseurs ? Les agents d'EDF et de Gaz de France seraient les premiers investisseurs, car il est parfaitement exact que ce sont eux qui ont fait ces entreprises. Comment des agents attachés à leurs entreprises ne pourraient-ils pas bénéficier du fruit de leur travail et de leur dévouement ?

Nous proposons deux choses.

M. Jean Chérioux. La participation !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Nous proposons de faire participer ces agents aux bénéfices et au capital de ces entreprises, en leur réservant 15 % de toute augmentation de capital, ce qui leur permettra de détenir au moins 5 % de ce dernier et, donc, de siéger au conseil d'administration au titre d'actionnaires de l'entreprise. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

C'est un choix politique majeur.

Les agents d'EDF et de Gaz de France aiment leur entreprise : nous allons leur donner les moyens d'en devenir propriétaires.

Par ailleurs, on nous explique, à Patrick Devedjian et à moi-même, à juste titre, qu'EDF est l'entreprise préférée des Français, que c'est une entreprise nationale qui appartient à la France.

Mme Nicole Borvo. A tout le monde !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Pourquoi ne pas permettre aux Français, personnes physiques, de manifester leur attachement à cette entreprise en en devenant actionnaires ? Qui pourrait, alors, refuser ce choix d'un actionnariat populaire ?

Mme Nicole Borvo. Oh la la !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Il est vrai que le mot « populaire » s'est éloigné de la réalité de votre formation !

Mme Nicole Borvo. Nous avons l'exemple de France Télécom !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Le dernier exemple d'actionnariat populaire est celui de la SNECMA,...

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ...800 000 Français, personnes physiques, - cela fait beaucoup de monde ! - ayant souhaité devenir actionnaires de l'entreprise.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ils sont encore bernés !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Ils ont fait un choix libre et intelligent.

A la suite des travaux de la commission consultative, nous déciderons de l'opportunité d'une ouverture de capital. L'Etat est prêt à faire son travail d'actionnaire et a annoncé que, si une telle décision était prise, il souscrirait à cette augmentation de capital à hauteur de 500 millions d'euros.

J'évoquerai également la fusion entre EDF et GDF, sujet dont il est question depuis des années sans qu'il soit jamais tranché. Patrick Devedjian et moi-même, nous avons demandé aux présidents des deux entreprises de nous remettre un rapport sur le sujet pour le mois de septembre prochain. Rien dans le statut que nous vous demandons de voter n'empêche le principe de la fusion.

Nous formulerons cependant deux remarques.

D'une part, en fusionnant ces deux entreprises, nous nous mettrions immédiatement en situation de nous voir demander par la Commission d'abandonner des actifs ou des parts de marché pour abus de position dominante.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Les deux, vraisemblablement !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Voulons-nous cela ? Je ne le pense pas !

M. Daniel Reiner. Ce n'est pas la peine de demander une étude alors !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Il est possible de commander une étude et d'avoir quelques idées : il est même possible de faire les deux à la fois ! Ne le répétez pas trop fort, mais cela peut arriver !

M. Jean Chérioux. Il faut savoir !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. D'autre part, tient-on mieux un marché national comme le nôtre avec deux entreprises qui ont l'habitude de travailler ensemble ou avec une seule ?

Nous penchons plutôt pour la première hypothèse : on tient mieux le marché avec deux entreprises, surtout avec l'abandon du principe de spécialité.

Pour autant, les résultats de cette étude seront communiqués de façon que chacun puisse se faire une opinion.

Enfin, l'inquiétude des agents est compréhensible : il s'agit de femmes et d'hommes qui aiment leur métier, qui sont fiers de leur entreprise et à qui le sommet de Barcelone impose un changement important, au moins sur le plan psychologique.

Il est parfaitement compréhensible que tout changement suscite des inquiétudes. Il nous revient de savoir y répondre.

Je me suis rendu à plusieurs reprises sur les sites d'EDF et de Gaz de France : à Chinon, dans une centrale ; à Cergy, pour rencontrer plusieurs centaines d'électriciens et de gaziers dans la distribution ; à Saint-Denis et à la Défense. Je veux rendre hommage à l'esprit de responsabilité de l'immense majorité des agents d'EDF et de Gaz de France.

Lorsque je suis devenu ministre des finances, au début du mois d'avril dernier, tout le monde me parlait de la réforme d'EDF comme d'une épreuve redoutable et de ce que cela représentait en termes de mobilisation et de possibilité syndicales.

Je tiens à saluer le sérieux et l'esprit de responsabilité des agents, qui, dans leur immense majorité, ont veillé à ce que le service public puisse continuer. La France n'a pas été black-outée. J'ai connu d'autres époques - je pense à l'hiver 1995-1996 - où la réforme du service public ne s'est pas terminée de la même façon.

M. Daniel Reiner. C'était sous Juppé !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Patrick Devedjian et moi-même insistons sur ce point : les agents d'EDF et de Gaz de France ont été extrêmement responsables.

J'en dirai autant, monsieur le rapporteur, des organisations syndicales avec lesquelles Patrick Devedjian et moi-même avons beaucoup travaillé : nous avons eu, il faut le souligner, des dizaines de rencontres et de contacts. Tout au long de ces trois derniers mois, pas un jour, nous n'avons interrompu le dialogue social avec les organisations. Pas un jour.

Je veux rendre particulièrement hommage à la CGC. Il faut savoir, en effet, que chez EDF et Gaz de France, les cadres ont un poids particulier. Vous n'ignorez pas que, dans une centrale nucléaire, les rapports entre les salariés et les cadres ne sont pas simplement hiérarchiques. Le fait que la CGC, au bout de quinze jours, nous ait accompagnés et ait soutenu ce projet...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est exact.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ...est un élément décisif.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Elle nous l'a confirmé.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. Par ailleurs, nous avons eu avec la CGT - avec 56 % des suffrages, c'est l'organisation majoritaire - un dialogue rude. Cependant, je veux rendre également hommage à son esprit de responsabilité. En effet, à l'exception de deux incidents regrettables - d'abord, un sabotage, mais des sanctions seront prises ; ensuite, lorsque des usagers de la SNCF ont à leur tour été pris au piège -...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En otage !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. ...elle a manifesté à chaque instant le souci de ne pas dépasser les bornes de ce que j'appellerai la démocratie sociale.

Vous le savez, mesdames et messieurs les sénateurs, pour instaurer le dialogue, il faut être deux et ce n'est pas simplement de la responsabilité du Gouvernement. Je me devais, après avoir entendu tant de commentaires, de le dire, eu égard à ceux avec qui nous avons tant dialogué, Patrick Devedjian et moi-même.

Enfin, il m'a souvent été demandé si le Gouvernement avait fait des concessions. J'aimerais que l'on m'explique comment, en 2004, on peut pratiquer le dialogue social sans essayer de trouver des compromis, d'écouter ce qui est dit et d'y apporter des réponses.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien sûr !

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat. C'est vrai, le texte que nous vous présentons, Patrick Devedjian et moi-même, n'est pas exactement celui que j'ai trouvé en arrivant au ministère des finances. Cela s'appelle le dialogue social et ce n'est pas l'apanage d'un camp contre l'autre ! Ce doit être une réalité pour la majorité.

Grâce à ce dialogue social, nous avons pu trouver des aménagements qui rassurent, sans renoncer à l'essentiel, à savoir la transformation d'EDF et de GDF en sociétés anonymes et la transformation du régime des retraites.

J'étais ce matin - et ce sera ma conclusion - au sommet de l'Eurogroupe à Bruxelles. Vous n'imaginez pas ce que cela représente, pour les onze autres ministres européens des finances, en termes d'image, que la France soit capable de réformer un grand service public comme EDF et Gaz de France sans heurt, sans brutalité et sans affrontement.

Cela a une signification très particulière : la France peut être modernisée par le dialogue social. Voilà ce qu'apporte cette réforme à la France et à son image.

Mesdames et messieurs les sénateurs, beaucoup en Europe doutaient de la capacité de la France à réussir cette réforme et cette modernisation. Grâce à vous, ce sera chose faite. Chacun aura compris, je pense, qu'il s'agit d'un choix important. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières est le troisième grand texte consacré à la transformation et à la modernisation du secteur énergétique que nous examinons depuis ces cinq dernières années, ainsi que vient de le rappeler M. le ministre d'Etat.

Ce texte n'a pas la prétention de résoudre tous les problèmes, mais il tente d'apporter une solution, notamment aux questions les plus urgentes.

Monsieur le ministre d'Etat, votre mérite - c'est aussi celui du Gouvernement - est d'avoir pris ces problèmes à bras-le-corps. Vous avez accompli en trois mois ce qui n'avait jamais été réalisé en cinq ans : le secteur énergétique ainsi que nos deux entreprises nationales en avaient besoin.

Je souhaiterais, en tant que rapporteur, évoquer trois grands thèmes à travers un certain nombre de questions : d'abord, l'ouverture des marchés ; ensuite, le statut juridique et la situation financière d'EDF et de Gaz de France ; enfin, les perspectives pour les salariés et pour les Français, notamment en termes de mission de service public.

Sur le marché unique d'abord, je poserai quatre questions pour que nous tentions, ensemble, de faire avancer le débat.

Première question : était-il vraiment urgent de transposer la directive européenne ? La réponse est clairement oui ! La France a trop souvent été un mauvais élève et a trop souvent pris du retard. Je vous rappelle notre situation avec la première directive Gaz : nous l'avons transposée avec deux ans de retard et nous sommes d'ailleurs toujours sous le couperet de sanctions, bien que nous soyons, maintenant, en règle.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez rappelé les dispositions de ces directives, notamment celles de 2003 qui récapitulaient les deux directives Electricité et Gaz, avec les trois étapes de l'ouverture du marché : la première remonte à 2000 et 2002 ; la deuxième, qui est importante, a commencé à s'appliquer depuis le 1er juillet dernier - il y a cinq jours - pour tous les « clients professionnels » ; enfin, la troisième étape aura lieu en 2007 et concernera les « clients domestiques », c'est-à-dire tous les Français.

Ces directives prévoient également une séparation juridique de l'activité de transport des autres activités de production et de distribution. Le projet de loi y répond parfaitement.

Je me suis permis ce rappel, car je voudrais attirer votre attention sur le caractère irréversible du processus dans lequel nous sommes engagés. La non-transposition rapide des directives européennes entraînera des mesures de rétorsion à l'encontre de la France et de ses deux opérateurs nationaux.

Il n'est qu'à se rappeler ce qui s'est passé en Espagne à l'encontre de Gaz de France, qui s'est vu refuser, alors qu'il était candidat, de prendre des parts dans une société de production de gaz. Il n'est qu'à se rappeler également ce qui s'est passé en Italie à l'encontre d'EDF, quand elle a acheté plus de 20 % du capital de Montedison, le deuxième opérateur électricien italien : le gouvernement de M. Berlusconi a fait voter une loi spécifique anti-EDF aux termes de laquelle, avec 20 % du capital, EDF ne détiendrait que 2 % des votes dans ces entreprises, ce qui est absolument inadmissible.

M. Daniel Reiner. C'est illégal !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Où en est-on aujourd'hui en Europe ?

Pour une fois, la France figurera parmi les bons élèves. En effet, à ce jour, seuls cinq pays ont transposé ces directives à la fois sur l'aspect juridique du transporteur et sur l'ouverture du marché : les Pays-Bas, le Danemark, la Slovénie, la Hongrie et la Lituanie.

Deuxième question : quel bilan peut-on tirer de l'ouverture du marché en France de l'électricité, depuis 2000, et du gaz, depuis 2002 ?

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez rappelé tout à l'heure que nous étions menacés sur notre marché. Nous avons même déjà perdu des parts de marché ! Gaz de France a perdu 20 % du marché de ses « clients éligibles », c'est-à-dire des grandes entreprises. Durant la même période, Electricité de France a perdu 21 % de son marché.

Pour autant, cela ne signifie pas que ces deux entreprises se sont laissées faire. Non. Elles ont essayé de gagner des parts de marché chez nos voisins européens. Gaz de France l'a fait avec brio, puisqu'il a réussi à vendre dans les autres pays européens le double de ce qu'il avait perdu en France. Electricité de France, en revanche, n'a pas remporté le même succès sur le marché des clients éligibles, puisqu' elle n'a repris que 50 % de ce qu'elle avait perdu.

Dans le même temps, vous le savez, EDF a pris une part de marché italien grâce à l'achat d'une partie du capital de Montedison ; elle a également acheté le troisième opérateur allemand ; enfin, elle a remporté un marché important, celui de la distribution de l'électricité de la ville de Londres. Grâce à cette croissance externe, EDF a aussi montré qu'elle savait répondre aux attaques de ses concurrents sur son marché national.

Troisième question : quelles leçons devons-nous tirer de ce qui s'est passé à l'étranger en matière d'ouverture du marché ? Monsieur le ministre d'Etat, vous avez cité l'Italie et la Californie ; vous auriez pu évoquer la Grande-Bretagne. Je souhaite vous démontrer que le projet de loi qui nous est prend en compte ce qui s'est passé ailleurs.

En Californie, le marché a été ouvert à partir de 1998. Pour assurer le succès de cette ouverture, on a simultanément baissé le prix de l'électricité de 10 % et on a gelé pendant trois ans les tarifs.

Mme Nicole Borvo. C'est qui « on » ? C'est la liberté du marché. Ce n'est pas « on » !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le résultat a été catastrophique. Il ne faut surtout pas que nous nous mettions dans la même situation.

Pourquoi le résultat a-t-il été catastrophique ? Les prix étant bloqués au plus bas, plus aucun opérateur ne s'est lancé dans des investissements et dans la construction de centrales. Comme, dans le même temps, la Californie a connu un boum économique, la croissance de la demande et la limite simultanée de la capacité ont conduit à une explosion des prix. Elle est entrée dans un cycle de hausse des prix, de capacité insuffisante, de coupures d'électricité et de faillites importantes.

Des situations similaires à celle de la Californie ont été enregistrées au Brésil, au Canada et en Nouvelle-Zélande.

La leçon qu'il faut tirer de la situation californienne est qu'il faut veiller à ne pas voir diminuer notre capacité de production.

L'expérience italienne, différente, est intéressante pour plusieurs raisons. L'Italie a toujours été en sous-capacité de production d'électricité. Il suffit qu'elle connaisse un pic de production, comme cela fut le cas lors des grands froids de l'hiver dernier, pour que ses besoins ne puissent pas être satisfaits. Tout d'abord, les pays voisins, au premier rang desquels se trouve la France, n'ont pas pu répondre à sa demande. De surcroît, les équipements d'interconnexion entre pays européens sont totalement insuffisants. Pour toutes ces raisons, l'ensemble du réseau italien s'est trouvé en sous-tension et l'Italie a connu à son tour le noir complet pendant plusieurs jours.

L'expérience, également différente, de la Grande-Bretagne mérite aussi d'être étudiée. La Grande-Bretagne était en situation de production d'électricité excédentaire. La loi a mis fin au monopole et a créé six sociétés de production et douze sociétés de distribution. Au départ, les prix ont baissé, mais ils ont atteint un cours tellement bas que certaines entreprises ont commencé à connaître des difficultés financières. Les opérateurs ont créé une rareté artificielle de l'électricité : bien qu'ayant les capacités de production, ils n'ont pas « ouvert le robinet ». De surcroît, le régulateur n'était pas en mesure de les obliger à répondre à la demande du marché.

Les Britanniques ont adopté une nouvelle loi et ils ont institué un nouveau régulateur qui a beaucoup plus de pouvoirs. Certes, quelques aléas ont été enregistrés. A certains moments, les prix sont devenus trop bas et l'on a assisté à la disparition d'un certain nombre d'entreprises et à une concentration excessive.

La leçon à tirer de ce qui s'est passé en Grande-Bretagne est que le régulateur doit disposer de pouvoirs suffisants pour faire pression sur les opérateurs.

Quatrième question : le prix de l'électricité et du gaz va-t-il baisser avec l'ouverture du marché ? Je suis tenté de répondre que cela n'a pas grand-chose à voir. Ceux qui soutiennent que l'ouverture du marché va entraîner une baisse des tarifs comme ceux qui développent la thèse inverse appréhendent mal la réalité de ce qui constitue le prix de l'électricité et du gaz.

Mes chers collègues, plusieurs d'entre vous l'ont rappelé lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie : l'électricité n'est pas une marchandise comme les autres, notamment parce qu'elle ne se stocke pas. Son prix est bien sûr fonction de l'offre et de la demande mais il est conditionné aussi par d'autres critères.

Il dépend ainsi de la capacité de production. Sachez que la France a une surcapacité de production mais que, compte tenu du rythme de réparation de ses centrales, elle est en situation de quasi-stagnation. Quand notre pays connaît une augmentation de la demande de près de 2 % par an, alors que la conjoncture économique est difficile, cela démontre qu'il n'est pas loin de l'équilibre.

Malheureusement, nous devons faire face à une faiblesse des équipements en matière d'interconnexion, comme l'Italie. Au moment où la France doit répondre à une demande importante, les pays voisins qui sont capables de lui vendre de l'électricité, notamment l'Allemagne et la Grande-Bretagne, ne peuvent pas toujours lui en fournir suffisamment.

L'augmentation du prix de l'électricité est également fonction du coût des énergies fossiles. Il est évident que lorsque le tarif du pétrole et du gaz augmente, la production des centrales qui fonctionnent au fioul ou au gaz est freinée alors que les capacités des centrales nucléaires sont augmentées. Cela montre que la souplesse de notre marché n'est pas si importante que cela.

Un dernier facteur peut avoir un effet sur les tarifs : il s'agit des contraintes environnementales. Monsieur le ministre d'Etat, lorsque des accords sur les émissions de gaz à effet de serre sont signés, ils ont un coût qui se répercute directement sur le prix de l'électricité et du gaz.

Je suis convaincu que le meilleur remède à la hausse des prix, si nous n'arrivons pas à convaincre nos concitoyens de faire suffisamment d'efforts en matière d'économies d'énergie, est d'accroître les capacités de production au cours des années à venir, non seulement en France mais aussi en Europe.

En ce qui concerne la modification de la forme juridique d'EDF et de GDF et le renforcement de leur structure financière, je souhaite poser quatre questions.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez largement évoqué la première d'entre elles : la Commission de Bruxelles exigeait-elle le changement de statut juridique de Gaz de France et d'Electricité de France ?

Il est vrai qu'elle n'a pas expressément imposé que ces EPIC deviennent des sociétés anonymes. Mais sa position revenait à peu près au même. En effet, dès lors qu'elle a déclaré qu'elle engagerait des procédures contre la France si EDF et GDF persistaient à bénéficier de la garantie de l'Etat pour leurs emprunts, je ne vois pas la différence.

Il existe une contradiction entre les déclarations de M. Monti, qui a tenu les propos que je viens de rapporter, et celles de Mme Loyola de Palacio, qui allait beaucoup plus loin pour une raison très simple : elle connaît mieux le droit français et le droit des sociétés françaises. Comme vous, monsieur le ministre d'Etat, elle a soutenu que la seule manière pour les opérateurs nationaux de ne pas bénéficier de la garantie de l'Etat est de devenir des sociétés anonymes.

Nous sommes en plein paradoxe. En effet, la France est probablement le pays qui a le plus ouvert son marché à la concurrence. Dans les textes, l'Allemagne a peut-être déclaré que son marché était ouvert à 100 % mais, dans les faits, pas plus les entreprises françaises que les autres opérateurs européens ne sont arrivés à prendre des parts de marché en Allemagne. Ce pays a instauré une protection et des monopoles régionaux autrement plus efficaces que des monopoles nationaux. La France a cédé une partie de son marché ouvert, alors que l'Allemagne a su résister totalement. Il est dommage que les opérateurs français se trouvent limités dans leur croissance à cause de ce statut.

Une dernière considération nous invite à modifier la forme juridique d'EDF et de GDF : il s'agit de leur permettre de sortir du principe de spécialité qui les régit, non pour le plaisir de rompre avec la loi de 1946, mais simplement pour riposter à la concurrence et les mettre dans une position d'égalité.

Les entreprises électriques qui viennent prendre des parts de marché en France sont en même temps des sociétés gazières. Parallèlement, les entreprises gazières européennes qui procèdent de même produisent de l'électricité. Une conséquence est évidente : dès lors qu'un concurrent étranger fournit de l'électricité à une entreprise française, il est particulièrement bien placé pour lui conseiller d'avoir recours à ses services pour la fourniture de gaz.

Une autre question doit être posée, et vous y avez fait allusion, monsieur le ministre d'Etat : l'Etat actionnaire a-t-il rempli son rôle depuis vingt ans à EDF et à GDF ? La réponse est évidemment « non ». Peut-il le faire aujourd'hui autrement qu'en ouvrant tout le capital ?

Non seulement l'Etat, qu'il soit de droite ou de gauche, monsieur le ministre d'Etat, ne l'a pas fait mais, de surcroît, il s'est bien servi « sur le dos » d'EDF et de GDF.

Ces entreprises ont enregistré des résultats bénéficiaires. L'Etat actionnaire a gagné de l'argent mais, de plus, il a fait supporter, notamment à EDF, des charges en faveur de sa politique d'aménagement du territoire, de sa politique sociale et des plus défavorisés.

Or, les besoins de nos opérateurs sont importants. Monsieur le ministre d'Etat, vous avez fait allusion à la situation de l'endettement. ; il manque à EDF entre 10 milliards et 15 milliards d'euros de fonds propres. De ce fait, sa dette ne peut pas être augmentée.

EDF doit construire le prototype EPR, réaliser des investissements classiques sur son réseau de transport et sur les interconnexions, mener à bien sa politique de remplacement des centrales nucléaires actuelles, assurer son financement. Monsieur le ministre d'Etat, les 500 millions d'euros que vous avez apportés font peut-être sourire certains, mais ils ne sont pas si inutiles que cela. En effet, c'est la première fois que l'Etat actionnaire injecte des fonds dans le capital de l'un des deux opérateurs. Ce symbole, certes insuffisant, a tout de même le mérite d'exister.

Quant à Gaz de France, quatrième opérateur européen, pour que cette entreprise puisse non seulement conserver cette place en conquérant des parts de marché, notamment en Europe, et également augmenter sa desserte sur le marché domestique, ses besoins sont estimés pour les quatre ans à venir à près de 16 milliards d'euros.

Monsieur le ministre d'Etat, vous avez dit tout à l'heure que les deux opérateurs devaient se défendre sur le marché national. Pour cela, il faut leur en donner les moyens. La seule manière d'y parvenir est d'ouvrir le capital.

A toutes ces interrogations s'ajoute une question subsidiaire : la « sociétisation » est-elle une étape vers la privatisation ? C'est décourageant de le rappeler. Comme vous, monsieur le ministre d'Etat, j'ai rencontré les représentants des différents syndicats, j'ai participé à des débats télévisés et radiophoniques, je l'ai écrit dans des journaux et je ne sais plus sur quel ton il faut le chanter ou sur quel temps il faut le conjuguer : il est évident que l'ouverture du capital ne signifie en aucun cas la privatisation.

En limitant l'ouverture du capital à 30 %, dont une partie sera réservée aux salariés, vous avez mis vos actes en conformité avec vos paroles. On retrouve dans le texte vos engagements.

Par cette décision de limiter l'ouverture du capital, vous avez aussi affirmé que la particularité française, dont 78 % de l'électricité proviennent du nucléaire, et l'indépendance énergétique de notre pays constituaient l'une de vos préoccupations majeures.

Nous aurons l'occasion au cours des débats d'évoquer le cas particulier de Gaz de France dont la situation financière est bonne. Si cette société veut garder ses parts de marché national, si elle veut conquérir des parts de marché international, elle aura peut-être des difficultés.

Philippe Marini a déposé un amendement qui a le mérite de poser la question. J'espère que nous en débattrons sérieusement.

J'en viens à la dernière question que je veux évoquer en ce qui concerne le statut. Vous l'avez également évoquée, monsieur le ministre d'Etat. Pourquoi écarte-t-on un rapprochement entre EDF et GDF ?

Je voudrais rappeler que les syndicats sont divisés sur le sujet. La CGT et FO, très clairement, y sont opposées, la CFDT n'y est pas hostile et la CGC, très clairement, y est favorable.

Cette idée vient dix ans trop tard ; il aurait fallu la mettre en oeuvre avant l'ouverture du marché. A ce moment-là, ne serait pas tombé sur la France le couperet que vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre. Les autorités bruxelloises nous ont déjà laissé entendre très clairement qu'un éventuel rapprochement entre EDF et GDF ne serait pas acceptable pour la concurrence en raison du caractère dominant du nouvel opérateur.

Il faudrait bien évidemment, comme vous l'avez dit, abandonner des parts de production en vendant des centrales nucléaires à d'autres entreprises ou bien en abandonnant des parts de marché. EDF, par exemple, pourrait être contrainte d'abandonner la distribution d'électricité en Bretagne et en Rhône-Alpes.

Il en irait de même pour GDF, qui devrait abandonner des capacités de stockage.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué les conséquences. Vous auriez pu en ajouter une : je vois mal le Gouvernement, les dirigeants et encore plus mal les syndicats de ces entreprises expliquer aux salariés qu'une partie d'entre eux devra quitter le giron de l'opérateur national pour rejoindre des entreprises concurrentes, en abandonnant notamment tous les avantages liés directement au statut d'EDF et de GDF.

Je voudrais évoquer deux dernières questions avec vous, mes chers collègues.

Quelles garanties les salariés ont-ils quant à l'avenir de leur statut ?

Il ne faut pas confondre le changement du statut juridique d'EDF et GDF et le statut du personnel de ces deux entreprises. Seuls les adversaires du changement exploitent cet abus de langage.

Mme Nicole Borvo. Ce n'est valable que pour les salariés actuels. Vous n'avez rien compris !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Monsieur le ministre, vous l'avez dit : le texte ne revient pas sur l'article 47 de la loi de 1946, qui constitue le fondement du statut des personnels.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Au contraire, ce sont les nouveaux entrants sur le marché national qui, en prenant des parts de marché, vont être obligés d'adopter ce statut pour leurs propres salariés. C'est la meilleure garantie qui puisse exister pour les salariés d'EDF et de GDF.

Mme Nicole Borvo. Ben voyons !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Enfin - je ne m'étendrai pas sur ce point car mon collègue Dominique Leclerc va l'évoquer -, ce texte de loi va surtout permettre de conforter le régime des retraites de ces salariés dont la question du financement n'a jamais été réglée depuis dix ans. Messieurs les ministres, je tiens à vous féliciter d'aborder enfin ce sujet dans un texte de loi.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Absolument !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Dernière question : le service public est-il menacé ?

Je serais presque tenté de dire que, en ce moment, c'est l'image du service public qui est menacée. Je fais allusion aux actions entreprises par une minorité de membres d'un syndicat maison et à l'image catastrophique qui en résulte pour le service public.

Je ne fais pas seulement allusion à la prise en otage d'usagers de la SNCF. Je ne fais pas simplement allusion au fait que des actions sont entreprises contre des élus et des membres du Gouvernement. Je fais allusion à autre chose : quand vous occupez des centrales et que vous diminuez la production, quand vous coupez l'électricité à certaines grandes entreprises au moment où s'ouvre le marché, c'est la pire image qui puisse être donnée à d'éventuels clients.

Mmes Nicole Borvo et Marie-Claude Beaudeau. Qu'entendez-vous par « syndicat maison » ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je vous rappelle que, demain, les entreprises vont avoir le droit d'acheter du gaz et de l'électricité à des concurrents d'EDF et de GDF. Si des syndicats maison se livrent à des coupures sauvages, les clients vont fuir. Je ne suis pas sûr du tout que ce soit la meilleure image qui puisse être donnée du service public.

M. Jean-Pierre Bel. Vous faites du catastrophisme !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Non, c'est la réalité, c'est ce qui va se passer.

Vous avez la volonté, monsieur le ministre, que le changement de forme juridique n'ait pas de conséquence sur le service public, bien au contraire. Les contrats proposés dans ce texte de loi, auxquels certains sont hostiles, reprennent la totalité des missions de service public. Qu'elles concernent la péréquation tarifaire pour l'électricité, l'harmonisation des tarifs du gaz, la sécurité d'approvisionnement, la qualité de l'air et la lutte contre l'effet de serre ou encore la cohésion sociale et la lutte contre les exclusions, toutes les missions de service public sont reprises voire renforcées par le texte, l'ont été par l'Assemblée nationale et le seront encore pas votre commission.

Le Gouvernement a par ailleurs la volonté de renforcer les services communs d'EDF et de GDF en rendant obligatoire notamment l'existence d'un tel service pour toute l'activité de distribution. Là encore, je suis surpris que certaines propositions visent à faire disparaître ces services communs.

En guise de conclusion, messieurs les ministres, mes chers collègues, je précise que je présenterai, au nom de la commission des affaires économiques, une cinquantaine d'amendements.

La moitié sont des amendements de fond qui ont pour objet d'améliorer le texte du Gouvernement ou la « petite loi » telle qu'elle nous a été transmise par l'Assemblée nationale.

Certains visent à améliorer les dispositions relatives au service public, notamment en prévoyant de recueillir l'avis des représentants des salariés avant la signature des contrats de services publics et en fixant des objectifs prévisionnels en matière d'enfouissement des réseaux de distribution d'électricité.

D'autres portent sur les conditions de révocation et de nomination des dirigeants des entreprises de réseaux de transport d'électricité et de gaz.

Certains amendements, dans le domaine des distributions d'électricité ou de gaz, vous proposeront des précisions concernant notamment le régulateur.

Un amendement visera plus particulièrement les collectivités territoriales qui décideraient de ne pas exercer leur droit à l'éligibilité.

Enfin - et je vous remercie de l'avoir rappelé monsieur le ministre -, j'ai déposé une dizaine d'amendements - un titre entier supplémentaire - visant à transposer la directive sur l'accès des tiers aux stockages de gaz. Je vous rappelle que celle-ci s'impose à nous et devait être transposée dans notre droit avant le 1er juillet 2004. Si le Parlement français donne son aval, nous serons pour une fois l'un des tout premiers pays à transposer une directive européenne, ce qui constituera une première (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, comme vous le savez, le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz a pour objectif de permettre aux entreprises électriques et gazières françaises, les IEG, de s'adapter à l'ouverture à la concurrence.

Il s'agit d'une réforme majeure et indispensable, qui demande courage et détermination.

A cet égard, je voudrais à mon tour, en commençant mon propos, rendre hommage à la volonté exprimée par vous-mêmes, messieurs les ministres, et par le Gouvernement de la mener à bien.

Cette réforme est également justifiée par des motifs techniques. En effet, les entreprises concernées seront soumises, à compter du 1er janvier 2005, à de nouvelles normes comptables internationales les obligeant à inscrire dans leur bilan leurs engagements de retraite. Or, dans le cas des IEG, ces engagements n'ont jamais été provisionnés et s'élèvent à 80 milliards d'euros environ, dont 60 milliards pour EDF.

Le projet de loi comporte donc un important volet retraite qui prévoit une réforme du mode de financement et d'adossement du régime spécial des IEG. Ce dispositif trouve toute sa place dans le titre IV et, bien évidemment, la commission des affaires sociales ne pouvait manquer de s'y intéresser.

Pour ma part, je souhaite que nos débats aient, dans cette matière complexe, un rôle pédagogique et qu'ils nous donnent l'occasion de mieux appréhender les spécificités et les avantages des régimes spéciaux en général, de celui des gaziers et des électriciens en particulier.

Il s'agit, vous l'avez bien compris, d'un nouveau cadre de financement et d'adossement pour le régime spécial de retraite des IEG.

Hérité de l'après-guerre, ce régime, généreux et donc coûteux, a été institué en 1946. Son financement repose sur des cotisations salariales faibles - moins d'un cinquième des recettes - et surtout sur une contribution de l'entreprise d'un niveau très élevé, puisqu'il absorbe aujourd'hui 54% de la masse salariale et qu'il correspond à plus des quatre cinquièmes des prestations versées.

Les retraites des personnels sont donc intégralement assurées par EDF, GDF et les entreprises non nationalisées de la branche.

Or, jusqu'à présent, les engagements de retraite à venir n'ont jamais dus être provisionnés en raison du statut d'établissement public d'EDF et de GDF et de leur position monopolistique.

La situation est désormais tout autre, pour trois raisons : nos engagements européens en faveur de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie ; les contraintes financières qui pèsent sur le régime - notamment la dégradation du rapport démographique de la branche, déjà inférieur à un cotisant pour un retraité - ; enfin, la mise en oeuvre de nouvelles normes comptables internationales.

En quoi consiste la solution présentée par le Gouvernement ?

Conformément aux engagements qui avaient été pris il y a deux ans à l'égard des partenaires sociaux, la réforme proposée s'avère particulièrement protectrice pour les personnels gaziers et électriciens.

En premier lieu, le niveau des prestations reste inchangé, y compris pour les nouveaux entrants.

En deuxième lieu, la hausse de quatre points des cotisations salariales prévue pour aligner le régime spécial sur le régime de base sera entièrement neutralisée par une hausse équivalente des salaires.

En troisième lieu, un organisme de sécurité sociale ad hoc sera créé pour préserver, sur les plans institutionnel et juridique, les spécificités de cette branche.

Enfin, ce sont le régime général et les régimes complémentaires qui garantiront le financement du dispositif : c'est ce que l'on appelle « l'adossement » du régime.

Le schéma d'adossement retenu ici est inédit et particulièrement complexe.

La préparation du projet de loi a été précédée par une concertation intense avec les organisations syndicales. Celle-ci a, dès le 9 décembre 2002, débouché sur un « relevé de conclusions des partenaires sociaux ». La CGT, syndicat majoritaire à EDF, y a pris une part déterminante avant de changer d'avis après que les agents eurent rejeté lesdites conclusions à hauteur de 53 % des votants.

Le montage proposé n'équivaut pas à une intégration classique.

D'une part, le niveau des prestations du régime spécial sera maintenu pour les nouveaux entrants. D'autre part, il n'y aura pas de lien direct entre les retraités et le régime général, de base et complémentaire ; les fonds transiteront par la future caisse nationale des industries électriques et gazières.

Les dispositions du projet de loi doivent donc être complétées par la signature de deux conventions d'adossement - en cours d'élaboration - entre cette caisse nationale et, d'une part, la CNAVTS, d'autre part, les organismes de retraite complémentaire AGIRC et ARRCO.

Le futur régime de retraite spécial des IEG correspond donc à l'addition, d'une part, des « droits de base », équivalant à ceux des salariés du secteur privé versés par la CNAVTS, l'AGIRC et l'ARRCO, et, d'autre part, des « droits spécifiques » du régime spécial, c'est-à-dire toutes ces prestations supplémentaires dont seuls bénéficient les salariés de la branche. C'est ce que l'on appelle le « régime chapeau ».

Les droits de base ont été évalués par le président d'EDF entre 42 milliards et 52 milliards d'euros. Ils seront financés par des cotisations patronales et salariales mais, pour garantir la neutralité financière du montage pour les régimes d'accueil, les entreprises de la branche devront leur verser une « contribution complémentaire », vraisemblablement sous la forme de soultes.

Pour la CNAV, il s'agirait de 5 milliards à 8 milliards d'euros. Il en serait de même pour les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, pour un montant légèrement supérieur. L'enjeu financier du calcul de ces soultes est donc, vous l'avez compris, considérable.

En ce qui concerne les droits spécifiques, donc le «régime chapeau», évalués entre 28 milliards et 37 milliards d'euros, leur financement est encore plus complexe. Il convient de distinguer les engagements de retraite futurs et passés.

En ce qui concerne les engagements futurs, soit à partir du 1er janvier 2005, leur financement sera entièrement assuré par les entreprises de la branche IEG. Pour les engagements passés, arrêtés au 31 décembre 2004, tout dépendra de la nature de l'activité de rattachement de l'assuré social. Si celui-ci relève d'activités concurrentielles, les financements seront à la charge des entreprises ; s'il relève d'activités régulées, c'est-à-dire le transport et la distribution du gaz et de l'électricité, les financements seront assurés par une contribution tarifaire spécifique.

Je soutiens la volonté du Gouvernement de proposer un dispositif étudié pour préserver les droits des personnels sans conséquences négatives sur la situation des salariés du régime général ; cela concerne tout de même 14 millions de personnes.

Je crois toutefois essentiel d'apporter à ce dispositif les améliorations nécessaires à un fonctionnement juste et équilibré, en affirmant le principe de neutralité financière du schéma dans la loi elle-même ; en indiquant les critères de calcul de la soulte ; en créant les conditions d'utilisation de la méthode de calcul prospective des soultes qui nous paraissent justes et précises ; en organisant l'information du Parlement et du public sur le suivi de cet adossement à long terme.

Les amendements que je vous proposerai sont donc ciblés sur ce seul thème de la justice et de la transparence du montage.

En guise de conclusion, permettez-moi d'insister sur la nécessité de réfléchir à l'avenir des régimes spéciaux de retraite. Je le répète, il est parfaitement concevable que les retraites des IEG fassent l'objet d'un traitement spécifique, pour des motifs culturels et historiques, mais aussi, on l'a répété, en raison du rôle stratégique d'EDF dans notre politique énergétique et pour offrir à ce secteur un projet industriel ambitieux pour l'avenir. J'observe toutefois que les perspectives démographiques de la branche continuent à se dégrader et que les spécificités du «régime chapeau» resteront, on l'a bien compris, très coûteuses.

En effet, le coût du régime de retraite d'EDF-GDF est presque deux fois supérieur à celui des régimes de droit commun. La situation des salariés y est avantageuse : nous savons qu'il permet de nombreuses possibilités de départ à partir de 55 ans, que 90% des personnels liquident leur pension avant l'âge de 60 ans, que la durée de cotisations reste de 37,5 années et que le calcul des pensions est très favorable.

Bref, les personnels gaziers et électriciens n'ont pas du tout été concernés par la réforme des retraites que nous avons votée l'an dernier à la même époque. C'est pourquoi je considère que ce schéma d'adossement devra rester un cas d'école et ne pourra pas être reproduit avec les autres régimes spéciaux, car, on l'a bien compris, les besoins de financements sont colossaux. Je citerai quelques chiffres pour illustrer mon propos : 76 milliards d'euros à la SNCF, 52 milliards d'euros à La Poste et 16 milliards à la RATP. Pratiquée à grande échelle et appliquée à l'ensemble des régimes spéciaux, la méthode d'adossement des IEG serait de nature à mettre en grave péril l'équilibre des comptes de la CNAV.

La survie de l'ensemble de ces régimes est aujourd'hui largement assurée par la solidarité nationale et leurs spécificités sont incompatibles à long terme avec la réforme des retraites.

J'espère donc que l'examen de ce texte sera l'occasion d'ouvrir un large débat sur l'avenir des régimes spéciaux et d'entendre la voix du Parlement. Si, par réalisme et par souci d'efficacité, le Gouvernement n'avait d'autre choix, l'an passé, que de disjoindre, et je le comprends bien, le cas de ces régimes spéciaux de la réforme d'ensemble, la poursuite, sur une longue période, du statu quo actuel semble impossible pour des raisons, d'une part, démographiques et, d'autre part, financières.

Cette question n'a pas, bien sûr, vocation à être traitée dans ce projet de loi, mais je crois qu'il est nécessaire de nous en préoccuper dès aujourd'hui. Une solution devra être trouvée, dans le cadre de négociations préparées, vous l'avez dit, monsieur le ministre. C'est essentiel.

La complexité de la tâche du Gouvernement exigera une volonté quasi herculéenne pour faire reculer certains conservatismes dans notre pays, lesquels ne se trouvent pas nécessairement là où l'on croit.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à approuver les dispositions du titre IV de ce projet de loi, sous réserve des amendements que je vous proposerai d'adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, rapporteur pour avis.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre d'Etat, la commission des finances adhère à la démarche qui lui est proposée. Je ne ferai pas durer le suspens plus longtemps !

Nous avons examiné ce texte dans l'esprit le plus constructif qui soit et en nous félicitant de voir ce à quoi peuvent conduire l'esprit de dialogue social et le volontarisme, car après Sanofi-Aventis et Alstom, les conditions dans lesquelles ce dossier industriel et stratégique est traité sont évidemment sous l'oeil de tous, de nos partenaires européens, et, cela va de soi, de l'opinion.

L'avancée sur un tel sujet montre que l'on peut réformer ce pays et ses structures économiques dans le calme et en recherchant des solutions raisonnables, pour toutes et tous.

La commission des finances, en ce qui la concerne, s'est placée dans une double perspective : d'une part, dans une perspective patrimoniale, du point de vue de l'Etat actionnaire, et, d'autre part, dans une perspective concurrentielle, du point de vue du respect des principes généraux du droit de la concurrence.

S'agissant de la perspective patrimoniale, nous notons tout d'abord, messieurs les ministres, que, jusqu'à présent, l'hypothèque incroyable de 80 milliards d'euros de charges de retraite, dont 60 milliards d'euros pour la seule EDF, n'était prise en compte par personne et nulle part ! Ce n'est qu'un simple constat. Ces chiffres sont à rapprocher des moins de 20 milliards d'euros de fonds propres d'EDF.

Le texte qui nous est proposé contient des formules complexes que je ne suis pas certain de pouvoir expertiser dans le détail. Sur ce point, la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques sont certainement plus compétentes que la commission des finances. Mais j'observe que l'on distingue, d'un côté, les charges afférentes aux activités concurrentielles, la production et la commercialisation, ces charges devant être financées par les entreprises, et, d'un autre côté, les charges relatives aux activités de transport et de distribution, activités régulées qui ont vocation à être financées par une nouvelle imposition, «de toute nature», à savoir la contribution tarifaire créée par l'article 16 du projet de loi.

C'est grâce à ce partage et à la création de la caisse nationale des industries électriques et gazières que l'on peut donner de la visibilité à cette question si essentielle du point de vue macro-économique, financier et industriel de la prise en compte des charges des retraites, et ce, mes chers collègues, en ne portant en rien atteinte aux droits et au statut des agents.

Il est important, messieurs les ministres, d'observer que, s'agissant des activités concurrentielles, des charges lourdes de plus d'une dizaine de milliards d'euros pour EDF devront être prises en compte par les entreprises concernées, ce qui conduira, parmi d'autres facteurs, à aborder la problématique de l'évolution des fonds propres d'EDF. Mais, de ce point de vue, il faut aussi, nous semble-t-il, ne pas se désintéresser des entreprises et des distributeurs non nationalisés, qui devront traduire la même réalité dans leurs comptes.

A cet égard, j'ai tout particulièrement signalé le cas des distributeurs non nationalisés, des régies municipales ou des sociétés d'intérêt collectif agricole, qui ne disposent pas d'actionnaires puissants susceptibles de les recapitaliser s'il le faut.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est l'un des sujets, monsieur le ministre d'Etat, auxquels la commission des finances est attentive, du point de vue de l'équité et de la concurrence, car ces outils, même de dimension modeste, sont des fenêtres utiles sur la concurrence et peuvent assurément servir de levier pour que le marché fonctionne correctement.

Nous avons observé par ailleurs, messieurs les ministres, que le dispositif proposé conduit, sans porter atteinte, je le répète, aux droits spécifiques des agents, à gérer ces droits dans le cadre du droit commun, c'est-à-dire que l'adossement du dispositif à la Caisse nationale d'assurance vieillesse et aux régimes complémentaires obligatoires de l'AGIRC et de l'ARRCO s'opérera au terme des négociations nécessaires avec ces organismes et dans la transparence la plus complète.

C'est là qu'interviendront les fameuses soultes, qui sont simplement destinées à prendre en compte la différence entre, d'une part, la structure économique et démographique de la population générale de l'ensemble des régimes de droit commun, et d'autre part, la structure économique et démographique de la population des agents des industries électriques et gazières. La comparaison de ces deux éléments, selon la méthodologie qui sera retenue par les organismes de retraite, déterminera, après négociations, le montant de ces soultes.

Elles représenteront sans aucun doute un volume très significatif et seront appelées, dans le cadre des principes reconnus par l'Union européenne et par Eurostat, l'Office statistique des communautés européennes, à concourir à la détermination des soldes des administrations publiques.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Toujours sur le plan patrimonial, au titre de cette logique de l'Etat actionnaire, nous avons réfléchi aux opportunités qui allaient s'ouvrir aux deux grandes entreprises publiques concernées. Elles pourront diversifier leurs offres en s'affranchissant du principe de spécialité. Elles vont donc couvrir une large variété de segments du marché. Elles pourront se livrer, dans l'intérêt de leur développement stratégique, à des opérations capitalistiques, augmenter leurs fonds propres, nouer plus facilement des alliances, se mettre en situation d'être respectées sur les marchés étrangers, en un mot, éviter les situations critiquables qu'a rappelées M. Ladislas Poniatowski, comme celles qu'ont connues les pays de l'Europe méditerranéenne, proches de nous.

Par ailleurs, les entreprises concernées disposeront, sous l'oeil vigilant, espérons-le, de l'Etat actionnaire, de la liberté de réallouer leurs moyens à l'intérieur de leurs ensembles consolidés et, de ce point de vue, monsieur le ministre, nous avons pris connaissance avec intérêt des informations relatives à l'ouverture, au sein du secteur public, du capital d'EDF-Transport, ou du réseau de transport d'électricité.

Il semble que le fait que la Caisse des dépôts et consignations puisse, le cas échéant, concourir aux fonds propres de cette entité, qui est maintenue à 100 % dans le secteur public, soit de nature à satisfaire tout à la fois le groupe Electricité de France et à préserver les intérêts dont la Caisse des dépôts a la garde.

Enfin, dans des termes tout à fait similaires à ceux qui ont été décrits par le rapporteur au fond, nous nous sommes interrogés sur l'appréciation relative des situations d'Electricité de France et de Gaz de France.

Les paramètres économiques et financiers ne sont pas exactement les mêmes.

Le chiffre d'affaires de Gaz de France, par exemple, a encore progressé de 14 % en 2003. Le succès de l'internationalisation ne souffre aucune contestation : cette entreprise a pu conquérir deux fois plus de clients à l'étranger qu'elle n'en a perdu en France depuis le début de la libéralisation du marché, en 2000. Par ailleurs, nous savons que la consommation de gaz tend à s'accroître, sur notre continent comme dans le monde, en raison des avantages spécifiques de cette source d'énergie.

Considérant également la structure financière a priori très saine du groupe Gaz de France, nous avons été conduits à nous interroger sur le taux d'ouverture du capital de ce dernier. Nous souhaiterions que, dans le courant du débat, ce point puisse être abordé, dans le seul souci de promouvoir au mieux les intérêts stratégiques de développement des entreprises publiques du secteur de l'énergie.

Notre seconde perspective est la perspective concurrentielle.

De ce point de vue, nos remarques concernent tout d'abord le statut et les conditions d'intervention du régulateur public, la Commission de régulation de l'énergie.

En 2001, alors que nous examinions le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, nous avions dit au ministre du moment que tous les régulateurs avaient vocation à rejoindre progressivement un certain standard ; si, secteur par secteur, il y avait certes des spécificités, le régulateur devait, quel que soit le secteur considéré, être une autorité administrative véritablement indépendante, en ce qui concerne tant l'organisation de ses moyens et le financement de ses services que les conditions d'élaboration et de préparation de ses décisions.

C'est en se référant à cette même analyse de fond, qu'elle appliquerait d'ailleurs de la même manière au Conseil de la concurrence ou à l'Autorité de régulation des télécommunications, que la commission des finances préconise que la CRE bénéficie d'une ressource propre, sous la forme d'une contribution tarifaire, et de la personnalité morale.

Nous avons en outre préparé quelques amendements qui sont essentiellement de procédure et concernent les conditions dans lesquelles la Commission de régulation de l'énergie est susceptible d'être consultée sur une série de textes réglementaires, de publier ses avis et d'exercer une sorte de « pouvoir réglementaire supplétif ».

S'agissant toujours de la concurrence et nous plaçant dans la logique de ce projet de loi, nous avons, comme la commission des affaires économiques, examiné avec attention le statut du réseau de transport d'électricité et celui du réseau de transport gazier.

Il faut assurément concilier les droits de l'actionnaire et l'intérêt public, exprimé par l'Etat. L'équilibre que préconise la commission des affaires économiques paraît raisonnable. Il n'est en rien incompatible avec les quelques précisions que nous souhaitons apporter et qui vous seront proposées, mes chers collègues, dans deux amendements adoptés par la commission des finances.

Nous avons, comme la commission des affaires économiques, réfléchi au sujet, important pour le marché du gaz, de l'accès, dans des conditions correctes de neutralité et d'équité, aux grands investissements de stockage du gaz. Nous sommes conscients que la capacité de réaliser, de financer, d'amortir ces investissements est essentielle pour assurer un développement satisfaisant du marché et pour répondre aux attentes des utilisateurs, industriels et particuliers, du gaz.

Nous serons bien entendu très attentifs aux arguments que développera sur ce sujet la commission des affaires économiques et nous n'excluons pas de poser quelques questions pour éclairer autant qu'il est possible le débat.

Je terminerai, messieurs les ministres, par un aspect qui concerne les collectivités territoriales.

Nous avons compris qu'à la suite de la modification apportée par l'Assemblée nationale le principe, d'ailleurs issu des directives, demeurait bien l'éligibilité mais qu'il serait désormais possible à une collectivité territoriale, comme à tout autre entité de droit public, de ne pas exercer ce droit à l'éligibilité.

Nous avons un seul souhait en la matière, celui d'être assurés que ce choix est fait en toute connaissance de cause. Nous devons disposer d'un délai suffisant - nous préconisons six mois - pour analyser les tarifs réglementés et les offres « alternatives ». Ainsi pourra-t-on entrer dans la voie de la libéralisation du marché - si on le souhaite - les yeux ouverts, après avoir pesé les avantages et les inconvénients de chaque formule.

Mes chers collègues, je crois avoir résumé l'approche de la commission des finances du Sénat. Je conclurai ce bref propos en répétant que de notre capacité à adopter ce texte dépend dans une très large mesure la crédibilité, aux yeux de l'ensemble de celles et de ceux qui l'observent, de notre pays quant à sa capacité à se réformer et à aller de l'avant, en un mot, à préparer l'avenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 111 minutes ;

Groupe socialiste, 59 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 25 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Messieurs les ministres, avec l'abandon des statuts d'EPIC d'Electricité de France et de Gaz de France, vous engagez, de manière radicale, notre pays sur la voie d'une terrible régression sur le plan aussi bien social qu'économique.

Lorsque nous entendons, ici ou là, que l'on ne peut tolérer plus longtemps que de telles sociétés puissent échapper au droit commun de la concurrence et ne puissent être, par exemple, mises en faillite si leur situation financière le nécessite, nous mesurons le recul auquel on veut nous contraindre.

C'est l'organisation même de notre société, fondée, en ce qui concerne nos services publics, sur la propriété publique des entreprises, qui est visée.

Un tel précédent ouvre la voie à d'autres réformes, et je ne peux m'empêcher de penser que votre programme de privatisation de nos grandes entreprises, fleurons de notre économie, est d'ores et déjà « bouclé ». Nous ne sommes pas dupes : demain, la SNCF, la RATP, La Poste seront les cibles de vos réformes, qui ne sont que destruction de nos services publics, et vous comptez aussi attaquer les régimes spéciaux de sécurité sociale et de retraite, qui sont autant d'avancées sociales arrachées aux logiques purement marchandes.

Cette réforme s'inscrit dans la droite ligne de la « casse » de notre système de retraite qui a été engagée l'été dernier et qui sera désastreuse sur le plan économique parce qu'elle rend plus aléatoires des revenus qui, jusqu'à maintenant, assuraient aussi la croissance économique. (M. le ministre d'Etat et M. le ministre délégué à l'industrie s'entretiennent avec M. Gérard Longuet.)

Ce que dit M. Longuet est probablement plus intéressant, mais ne pas même parvenir à se faire écouter fait un effet bizarre !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. On connaît vos discours par coeur : on peut écouter d'une seule oreille !

Mme Nicole Borvo. Nous aussi, on connaît vos discours par coeur !

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur Devedjian, je connais moi aussi le discours du Gouvernement. Je l'ai pourtant écouté avec attention, et j'ai même pris des notes !

Des entreprises comme EDF et GDF produisent des biens de première nécessité, essentiels à la vie. Elles répondent à des exigences de service public et oeuvrent à la cohésion de notre société ainsi qu à l'aménagement cohérent de notre territoire.

Un tel choix politique marque donc une rupture historique avec un modèle de développement qui reposait sur la mise à disposition d'outils industriels au service de l'intérêt général, en réponse aux besoins de notre population.

Comment ne pas rappeler, en effet, que ces deux entreprises furent conçues, jusque dans leur statut même, pour répondre aux exigences de développement économique et social de la nation ? Dès leur création, elles constituèrent de formidables instruments correcteurs des inégalités sociales et territoriales, au coeur même de la conception républicaine exprimée dans la Constitution.

Qui nierait que ce fut une formidable réussite qui permit à notre pays de devenir indépendant sur le plan énergétique ? La mise en oeuvre des missions de service public contribua à l'aménagement équilibré de notre territoire, à travers l'électrification des zones rurales enclavées et l'obligation de desserte, mais aussi grâce au mécanisme de péréquation tarifaire et à l'égal accès de tous à l'électricité.

A cela s'ajoute le fait qu'en matière d'emplois les normes furent tirées vers le haut ; nous disposons aujourd'hui d'agents qualifiés, aux compétences reconnues. Notre ingénierie dans le domaine nucléaire et notre capacité de recherche et développement en matière de technologie de pointe sont autant d'éléments qui témoignent d'une belle réussite.

Les énormes besoins de financement, liés notamment au développement des infrastructures en matière hydroélectrique puis nucléaire, furent, il faut aussi le souligner, satisfaits grâce à l'appui d'un système bancaire au service de l'industrialisation et du développement économique national.

Electricité de France et Gaz de France, tous deux EPIC et monopoles publics, furent les instruments d'une politique industrielle ambitieuse. Les résultats furent performants et à la hauteur des ambitions, que ce soit du point de vue de la sécurité à long terme et de l'efficacité technique, sur le plan écologique ou encore en termes tarifaires et d'égalité d'accès.

Faut-il encore souligner que nous devons ces progrès économiques et sociaux qui ont fait faire un véritable bond en avant à notre pays à l'héritage des forces politiques de l'après-Seconde Guerre mondiale issues du Comité national de la Résistance ? Conscientes des dysfonctionnements inhérents à une régulation purement marchande parce qu'elles avaient éprouvé, dans les années vingt et trente, la faillite des mécanismes autorégulateurs du marché et constaté la domination qu'exerçaient les marchés financiers à l'égard de toutes les activités économiques, ce sont ces forces qui détournèrent de la coupe des marchés financiers des secteurs aussi vitaux pour notre pays que le secteur énergétique.

Alors que tout milite aujourd'hui pour que nous nous inscrivions dans la continuité d'un tel modèle afin de moderniser nos services publics, de faire face aux nouveaux besoins, tant nationaux qu'internationaux, d'engager de nouvelles coopérations avec les pays les moins avancés et de développer des services publics à l'échelle européenne, nous sacrifions, comme si nous n'avions pas compris la leçon, au profit des marchés financiers et de la rentabilité à court terme, une industrie performante et des services publics enviables.

C'est donc une lourde responsabilité que prend votre gouvernement ! Elle est tellement lourde qu'elle exigerait, selon nous, un référendum afin de permettre à notre peuple de se prononcer face à une décision politique qui engage un choix de société : celui précisément de faire régresser notre société et notre civilisation.

Vous ne prenez évidemment pas ce risque après les multiples échecs que la droite vient de subir, que ce soit aux élections régionales ou européennes !

Ces échecs cinglants sont le signe évident de la montée des contestations à l'égard d'une politique ultra-libérale sur le plan économique, liberticide dans les autres domaines de la vie sociale. Je pense notamment à l'exercice du droit syndical, de plus en plus remis en cause, mais aussi au droit de grève, qui a été totalement bafoué avec des lettres de licenciement adressées au personnel en grève à EDF ! Et on peut toujours nous expliquer que c'est la forme de l'action qui est en cause, il faut bien constater que les salariés n'y auraient pas eu recours si l'écoute de leur revendication principale avait été réelle.

La consultation sur les retraites n'est pas, non plus, actée dans ce projet. Tout cela participe de la même logique, celle qui se satisfait de la montée des inégalités sociales, du creusement des écarts de revenus et du déséquilibre territorial. La casse de notre secteur énergétique, de ses services publics qui en sont le nerf, est tout à fait symptomatique du recul auquel vous voulez nous acculer.

Lorsque vous déclarez, monsieur le ministre d'Etat : « Le projet que je vous présente au nom du Gouvernement change l'accessoire, c'est-à-dire la forme juridique d' Electricité de France et de Gaz de France, pour préserver l'essentiel, c'est-à-dire la bonne santé de nos entreprises, leur caractère intégré, les valeurs du service public, le régime spécial des retraites, le statut des agents », et que vous ajoutez : « EDF et GDF doivent désormais pouvoir lutter à armes égales avec leurs concurrents », je crains que vous ne vous fourvoyiez.

Je pense, au contraire qu'en touchant à la forme vous modifiez le fond, autrement dit que la transformation des établissements publics en sociétés anonymes compromet de fait la préservation de l'essentiel, à savoir le service public assis sur l'intégration de nos entreprises et le statut de ses agents.

Je suis convaincue que l'abandon de ce statut particulier affaiblira plus ces entreprises qu'il ne les confortera vis-à-vis de la concurrence ! Qui plus est, vous ne pourrez pas cacher plus longtemps aux Français que le coeur même de votre projet de loi est la privatisation de ces entreprises. Les dénégations renouvelées ne tiennent pas lieu de vérité. La manière dont vous avez procédé en est tout à fait révélatrice.

Ce qu'il vous importe avant tout de remettre en cause, c'est le caractère d'EPIC de ces entreprises, c'est-à-dire le fait qu'elles appartiennent à la collectivité nationale avant même d'être la propriété de l'Etat.

Le fond de votre réforme consiste, d'abord, à transformer ces EPIC en sociétés qui, bien que détenues majoritairement, voire totalement, par l'Etat, n'en seraient pas moins soumises au droit commun de la concurrence. Il s'agirait, ensuite, de faire entrer des intérêts privés, par le biais de l'émission puis de la vente d'actions.

Vous dépouillez ainsi les usagers d'un patrimoine national qu'ils se sont constitué progressivement. C'est bien là le fond de votre réforme.

Relisons ensemble l'article 22 de ce projet de loi, dans sa version initiale qui rend clairement compte de vos intentions. Cet article 22 était ainsi rédigé : « Electricité de France et Gaz de France sont transformés en sociétés dont l'Etat détient plus de 50 % du capital. Sauf dispositions législatives contraires, elles sont régies par les lois applicables aux sociétés anonymes. »

L'Etat, au départ, ne devait donc conserver que 50 % du capital. En cours de route, sa part est passée à 70 % puis à 100 % du capital. Dans la nuit du 25 au 26 juin, elle est retombée à 70 % et nous ne sommes pas encore à l'abri de rebondissements puisque le rapporteur de la commission des finances, saisie pour avis sur ce projet de loi, a déposé un amendement diminuant à nouveau la part de l'Etat à 50 % pour Gaz de France !

Si je ne me trompe pas, sur fond de multiples rebondissements et revirements, vous avez, monsieur le ministre d'Etat, annoncé une espèce de « période transitoire » de moins d'un an, au cours de laquelle l'Etat serait actionnaire à 100 %.

Vous nous avez ainsi expliqué que lorsque « le changement de statut sera intervenu, l'entreprise sera à 100 % publique et le restera tant que nous n'aurons pas les résultats du travail d'une commission (...) composée de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants du personnel. ».

Une telle commission sera chargée d'évaluer les besoins en matière de financement des entreprises publiques. C'est l'un des arguments que vous utilisez pour le changement de statut et l'ouverture du capital. Alors, pourquoi cette précipitation pour faire voter ce texte ?

Ce qu'il serait bon d'évaluer, monsieur le ministre d'Etat, c'est le projet industriel et la stratégie de développement à l'international de ces entreprises. On sait qu'elles ne furent guère brillantes ! On connaît les déboires d'EDF en Argentine, pour ne citer que cet exemple. Quant à Gaz de France, les résultats à l'international ne sont guère performants. Sur 6 milliards d'investissements, le taux de retour est de l'ordre de 2 %, ce qui est inférieur, non seulement au rendement du Livret A de la Caisse d'épargne, mais aussi au coût actuel des emprunts sur le marché. Autrement dit, c'est une perte nette pour Gaz de France.

On s'aperçoit par ailleurs que l'augmentation des marges de cette entreprise est uniquement obtenue grâce aux augmentations des tarifs publics : 30 % depuis 2000. Ainsi, les usagers domestiques contribuent à 66 % de la marge alors qu'ils ne représentent que 25 % de la consommation. Ce sont donc eux qui financent le développement à l'international et épongent les pertes. Leur facture risque de s'alourdir encore dans les années à venir...

Vous prétendez, monsieur le ministre d'Etat, qu'un tel changement de statut renforcera la capacité concurrentielle de nos entreprises. Je suis convaincue, quant à moi, qu'il les entravera plus qu'il ne les aidera à faire face à la mondialisation libérale.

Vous savez très bien que cette transformation ne permettra pas à ces entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents. Gaz de France ne survivra pas longtemps à l'appétit d'électriciens à l'affût de parts du marché français ou de pétroliers cherchant à s'accaparer des réseaux de gaz comme point d'entrée sur le marché français énergétique.

Or, loin de jouer sur les complémentarités de GDF et d'EDF, tout votre projet de loi est orienté vers une mise en concurrence qui ne peut être que fratricide. C'est, au contraire, à la fusion des deux EPIC qu'il faudrait procéder afin de valoriser les synergies industrielles et les complémentarités déjà existantes à travers, par exemple, les services communs de distribution. C'est ainsi qu'on lèvera le handicap du principe de spécialité.

Vous nous annoncez qu'un rapport sur la fusion des deux entreprises devrait être réalisé. Mais vous confiez le soin de sa réalisation - c'est en tout cas ce que nous avons pu lire dans la presse - à MM. Roussely et Gadonneix dont on sait qu'ils ont toujours été hostiles à une telle fusion ! On sait aussi que tous leurs arguments ont été battus en brèche. Quelle légitimité, quel sens pourrait, dès lors, avoir une telle étude ?

La direction de Gaz de France souhaite par ailleurs accélérer l'ouverture du capital de l'entreprise et ramener à 50 % la part détenue par l'Etat, ce qui, évidemment, rend difficilement concevable la fusion.

Les déclarations de la direction de GDF sont en effet limpides : « Une mise sur le marché d'une partie du capital est aujourd'hui le scénario privilégié par le groupe gazier. GDF a commandité à des analystes et des banquiers des études qui font apparaître que le titre de GDF serait particulièrement prisé par le public et le personnel ».

Ce projet de loi n'a d'ailleurs pas été bâti sur l'hypothèse qu'une telle fusion des EPIC était envisageable et qu'elle était, au fond, tout à fait souhaitable sur le plan industriel, malgré votre déclaration, monsieur le ministre d'Etat, le 27 avril dernier, affirmant que la question restait ouverte.

Au final, votre projet de loi aboutira, et cela est sans doute le but, à la casse des services communs à EDF et à GDF avec la volonté, inscrite à l'article 2, de filialiser ces activités. Qu'en sera-t-il des 66 000 emplois à la clé ? On a de bonnes raisons de croire qu'une telle filialisation sur fond de mise en concurrence de ces deux entreprises conduira à une rationalisation des effectifs de ces services.

De même, la filialisation des activités de transport, prévue au titre II de votre projet de loi, contribuera à des ruptures de continuité entre production et distribution pour l'électricité. En ce qui concerne le gaz, l'activité de transport contribue à la sécurité d'approvisionnement et à la continuité de la fourniture. Elle regroupe dans un tout les activités de réseau, de stockage et de regazéification. La filialisation de ces activités compromet leur intégration au sein de l'entreprise. Elle favorise aussi la spéculation financière au détriment de la continuité de la fourniture.

La directive européenne n'oblige en rien EDF et GDF à se séparer de la propriété de la nouvelle société gestionnaire de réseau de transport. Or, le choix de la filialisation rend les liens d'autant plus flous que l'ouverture du capital diluera nécessairement la participation dans ces filiales. L'objectif de la directive est avant tout de garantir l'indépendance de la société gestionnaire par le biais d'une séparation juridique assortie du respect des quatre critères d'indépendance managériale, comme c'est actuellement le cas.

Il nous était donc possible de choisir de maintenir une direction interne à EDF et à GDF, d'où le sens de certains amendements que nous avons déposés.

Votre projet de loi aboutit en réalité à la mise en cause de l'intégration verticale de ces entreprises, qui est pourtant essentielle. En matière de gaz, ce risque est d'autant plus avéré que la commission des affaires économiques souhaite favoriser l'accès des tiers aux stockages de gaz et qu'elle a, en conséquence, déposé des amendements visant à la création d'un titre entièrement nouveau. Vous ouvrez ainsi la voie à la dissociation de ces activités, dans quelques années, par le biais, à terme, de la filialisation des activités de stockage.

Nous pouvons du jour au lendemain perdre, si nous n'y prenons pas garde, nos capacités de stockages essentielles à la régulation de nos flux et à la continuité de notre fourniture. On a pu, en effet, assister à des tentatives de marchandage entre GDF et EON-Ruhrgas concernant précisément les stockages de gaz. Il s'agissait en l'occurrence d'échanger des capacités de stockage contre des prises de participation pour GDF dans des réseaux de transport de filiales du groupe allemand. Voilà ce vers quoi vous vous orientez !

Ce n'est pas ainsi que nous pourrons assurer une réponse de qualité pour l'ensemble des pays d'Europe dans le domaine énergétique. Avec un tel projet de loi, c'est bien le caractère intégré des entreprises qui est remis en cause, avec tous les dangers qu'une telle voie comporte quant à notre indépendance énergétique, à la qualité de nos services publics et au maintien de nos emplois !

Les justifications apportées au processus de libéralisation sont d'ordre idéologique et elles ne résistent pas à l'analyse. L'irréversibilité du processus d'ouverture à la concurrence et de réalisation d'un marché unique européen intégré de l'énergie est invoquée. Or, dans les faits, qu'observe-t-on ? On s'aperçoit que les échanges intracommunautaires d'électricité sont, à l'échelle des Quinze, limités à 8 % du niveau de production d'électricité. C'est bien la preuve que l'électricité n'est pas une marchandise comme les autres et qu'elle ne peut être aussi facilement transférable d'un Etat à l'autre sans de graves risques de dysfonctionnements et de pénuries.

J'avoue avoir beaucoup de mal à comprendre cette idée « d'irréversibilité ». Quel sens en effet peut avoir une telle notion s'agissant d'un marché énergétique intégré, déjà inexistant dans les faits, et faisant plus encore défaut à l'échelle de l'Union européenne récemment élargie ?

Est-ce lié au retard de transposition des directives ? La France, avec quelques autres mauvais élèves, aurait dès lors cette lourde responsabilité de mettre en échec la réalisation de ce marché de l'énergie ! N'est-ce pas plutôt lié au fait que l'énergie est bien une marchandise très particulière, non stockable et, qui plus est, un bien de première nécessité ?

On justifie encore la nécessité du changement de statut des entreprises et de l'ouverture de leur capital par la garantie illimitée de l'Etat dont elles disposeraient, compte tenu de leur actionnariat public.

Au regard du droit de la concurrence européen, cela serait constitutif de distorsions de concurrence, notamment en matière de capacités d'emprunt. En même temps, on nous explique que, du fait des engagements qu'EDF devra respecter en matière de retraites, l'entreprise pourrait avoir de graves difficultés quant à sa capacité d'emprunt - d'où la réforme du régime des retraites, engagée au titre IV - sans oublier les moyens indispensables au démantèlement des centrales lorsque ces dernières arriveront au terme de leur vie. D'un côté, l'entreprise est privilégiée, et de l'autre, elle serait, en raison même de la mise en conformité avec les normes IAS liées au statut, fortement handicapée !

Et je n'insiste pas ici sur les contradictions entre le commissaire européen chargé de la concurrence et celui qui est chargé du secteur énergétique. Une telle garantie illimitée contreviendrait de fait à la possibilité de faillite de ces deux entreprises. Ce serait là un tel privilège qu'il faudrait nécessairement remettre en cause le statut d'EPIC, qui repose sur le financement de chaque usager.

Je tiens simplement à signaler que l'Etat britannique a joué en quelque sorte le rôle de « sauveur en dernier ressort » en épongeant les dettes de British energy, entreprise privée et en faillite déclarée !

Mme Marie-France Beaufils. De la même façon, il a joué ce rôle en renflouant par des injections financières publiques la société de chemin de fer britannique.

Mme Marie-France Beaufils. Aussi, la Grande-Bretagne n'a pas fait entendre le choix de la subsidiarité pour ses secteurs d'activité dont l'intérêt public a été reconnu.

M. Gérard Delfau. Très bien !

Mme Marie-France Beaufils. Ne s'agit-il pas là, au final, d'une garantie de l'Etat pour des secteurs aussi particuliers que ceux-là, des secteurs relatifs à des missions de service public que l'on avait, par le passé, précisément soustraits à la coupe des marchés et de la régulation purement marchande, en raison des défaillances constatées ?

M. Bernard Piras. C'est exact !

Mme Marie-France Beaufils. Pourquoi la subsidiarité ne pourrait-elle pas, elle aussi, être invoquée pour nos services publics ? N'est-ce pas l'une des exigences de plus en plus fréquemment formulées par les salariés d'EDF-GDF, les usagers, mais aussi les électeurs, lors des élections régionales et mêmes européennes ?

A l'instar des sénatrices et sénateurs du groupe CRC, je ne suis absolument pas convaincue par les raisons invoquées quant à la nécessité de changer le statut de ces entreprises. Je suis, en revanche, persuadée que le Gouvernement souhaite opérer un tel changement afin de permettre, dans un délai assez bref, la privatisation de ces entreprises.

Je ne peux évidemment pas cautionner un tel choix, qui constitue une véritable spoliation de notre nation.

Nous voterons donc contre ce projet de loi si vous le maintenez et nous soutenons les électriciens et gaziers qui, avec les usagers, se battent pour le retrait de telles dispositions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Charbonnages de France, Electricité de France, Gaz de France figuraient, en 1946, une politique industrielle liée à l'immédiat après-guerre et aux priorités de la reconstruction de notre pays.

A l'époque, j'étais moi-même étudiant à l'Ecole des mines, dépendant de la Direction des mines, et nombre des anciens élèves, et plus tard de mes amis, se sont fortement engagés dans cette reconstruction.

On a tendance aujourd'hui à considérer que c'était une période faste, car chacun travaillait avec des objectifs clairs et précis et qu'il était question non pas de concurrence, mais de reconstruction. On reconstruisait les ponts, les villes, on construisait une industrie.

On ne parle plus beaucoup aujourd'hui de Charbonnages de France. Pourtant, des régions entières ont pu vivre et devenir parmi les plus riches du pays grâce à l'or noir que constituaient leurs réserves de charbon, et ce au prix d'un travail extrêmement pénible auquel des ingénieurs et des ouvriers ont consacré leur vie, avec tous les risques inhérents, notamment les accidents et la silicose.

Electricité de France, quant à elle, a bénéficié de la formidable aventure de l'énergie atomique civile. J'ai d'ailleurs souligné, à l'occasion du débat sur l'énergie qui s'est tenu au Sénat, à quel point nous étions reconnaissants à tous ceux, en particulier la CGT, qui ont oeuvré de façon extrêmement positive au regard de la politique nucléaire française.

En 2004, les temps ont changé. Nous nous situons désormais dans un marché de vingt-cinq pays. Même s'il ne représente pas vingt-cinq fois la France, c'est un marché considérable que nos grands organismes et nos grandes industries doivent pénétrer.

De nouvelles technologies se développent massivement. Les organismes de distribution, notamment d'électricité, auraient intérêt à profiter de leurs réseaux omniprésents - tous les bâtiments sont équipés d'un grand nombre de prises électriques - pour répondre au souhait croissant de la population d'accéder à l'internet à haut débit.

Lors des assises des industries électroniques et numériques qui se sont tenues ce matin même et auxquelles nous avons participé, monsieur le ministre, des groupes industriels français et étrangers majeurs sont intervenus.

Pourquoi l'entreprise EDF ne figurait-elle pas aux côtés de Schneider Electric, Sagem, Thomson, Bull et France Télécom ? Tout simplement parce que, en vertu du principe de spécialité qui prévaut actuellement, EDF ne peut pas utiliser ses réseaux qui pénètrent partout. Pourtant, les services de recherche d'EDF, notamment ceux de Clamart, ont étudié des technologies permettant d'équiper tous les foyers du haut débit, au coût modique que représente l'installation d'un simple terminal.

Les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Il me paraît impensable qu'une aussi grande structure, avec la qualité de son personnel, notamment de ses ingénieurs, ne puisse pas bénéficier des progrès techniques et qu'elle ne figure pas au rang des grandes structures, non seulement nationales, mais aussi internationales, en particulier européennes, pour la diffusion du haut débit.

Il me sera objecté que EDF ferait ainsi concurrence aux opérateurs historiques. Mais ne vivons-nous pas dans une période où les opérateurs historiques peuvent avoir des concurrents, y compris parmi les autres opérateurs historiques ? Je vous rappelle que nous sommes entrés volontairement dans ce processus.

Le ministre d'Etat a indiqué tout à l'heure qu'il entendait se conformer aux décisions qui ont été prises en la matière par l'ancienne majorité et poursuivre leur mise en oeuvre.

C'est une réelle évolution. Désormais, EDF pourra travailler plus facilement à l'étranger, sans être obligée de passer par une filiale. L'entreprise sera débarrassée de la suspicion dont elle est l'objet en raison de son statut d' EPIC adossé à l'Etat à 100 %. En effet, il est plus facile pour une société anonyme que pour un EPIC de s'entendre avec des partenaires pour fonder des filiales communes.

Je limiterai mon propos à ces deux éléments majeurs que sont l'internationalisation et la diversification des activités de EDF, MM. les rapporteurs et M. le ministre ayant exposé la situation parfaitement et brillamment, selon leur habitude.

La décision qui nous est soumise me semble raisonnable. Le présent projet de loi apporte des garanties contractuelles, pour le plus grand bien des services, l'Etat conservant sa parole. C'est pourquoi une partie de mon groupe le votera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste..)

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que nous sommes amenés à aborder aujourd'hui est d'une importance capitale pour l'avenir de notre pays. Aussi, je regrette vivement l'urgence dans laquelle cette réforme est menée.

Je le déplore d'autant plus que, dans sa lettre du 19 juin 1996, Alain Juppé, alors Premier ministre, écrivait au président d' Electricité de France de l'époque, M. Edmond Alphandéry : « Je tiens à vous confirmer tout d'abord qu'il ne saurait évidemment être question, à la suite de l'adoption de la directive, de modifier le statut de l'entreprise ou celui des salariés. L'engagement de l'Etat sur ce point ne variera pas. EDF restera une entreprise publique à 100 % et son personnel conservera le statut des industries électriques et gazières. » Il n'y avait vraiment pas urgence !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ce n'était pas la même directive !

M. Bernard Piras. Le présent projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz conduit à influer à court, moyen et long termes sur notre politique sociale, économique, environnementale et d'aménagement du territoire. Les enjeux sont considérables et les atermoiements de la majorité sur ce dossier remettent en cause sa crédibilité.

Le titre de ce texte est trompeur, car le maintien et le renforcement du service public ne sont pas sa priorité. Sa mesure principale est l'ouverture du capital des opérateurs historiques nationaux, EDF et GDF, et la transformation de ces deux établissements publics à caractère industriel et commercial en sociétés anonymes.

M. le ministre d'Etat Nicolas Sarkozy est passé, au gré de ses humeurs ou de ses intentions tactiques, d'une privatisation à 100 % en juillet 2001, alors qu'il était dans l'opposition, à une privatisation à 50 % à l'issue des élections régionales et cantonales très difficiles pour la majorité, puis à une ouverture du capital à 30 %, pour aboutir aujourd'hui à une ouverture à 0 %, mais - nous en sommes tous conscients - seulement pour un temps, en raison de l'impréparation du dossier.

Avouez que ces reculades ne font pas sérieux. En outre, elles mettent en lumière le véritable objectif de la majorité : la privatisation d'EDF et de GDF.

Le système existant a donné des résultats plus que probants, reconnus et validés par tous,...

M. Daniel Reiner. Tout à fait !

M. Bernard Piras. ... et n'ayant rien coûté à l'Etat, à savoir la péréquation tarifaire avec l'accès au réseau de tous les usagers, même les plus défavorisés d'entre eux, sur l'ensemble du territoire national, les prix les plus bas, la sécurité de notre production, le financement de la recherche et de l'investissement, la réalisation de grands ouvrages hydrauliques et du programme nucléaire et, enfin, la confiance de tous les Français.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Le problème, c'est qu'il n'y a plus de fonds propres !

M. Bernard Piras. Pour réformer ce système, il faut vraiment avoir des raisons sérieuses de le faire.

Or, les arguments flottants et variables qui sont avancés successivement, chaque fois que le précédent se dégonfle, ont démontré, à l'inverse, que rien ne justifie réellement cette réforme du statut d'EDF et GDF.

La facile réfutation des justifications apportées, qu'elles soient d'ordre économique - conquête de nouveaux marchés, financement de nouveaux outils de production, suppression du principe de spécialité -, ou d'ordre juridique - exigence de l'Europe au regard de la garantie de l'Etat accordée à ces EPIC -, a rapidement mis en lumière que ce changement de statut était une volonté politique, volonté que la majorité a du mal à avouer, se retranchant derrière des alibis.

Je constate que, pour arriver à vos fins, vous avez réalisé un certain nombre de concessions apparentes et transitoires : ouverture maximale à 30 %, intéressement des salariés, réouverture du débat sur la fusion d'EDF et GDF, confiée à des opposants à cette fusion, mise en place d'une commission d'évaluation.

Sur ce dernier point, ne pensez-vous pas que vous avez mis la charrue devant les boeufs ? En effet, vous souhaitez, selon vos dires, monsieur le ministre, être informé sur l'état réel de ces deux entreprises, afin d'évaluer l'opportunité et la nécessité d'ouvrir ou non leur capital. Votre gouvernement désire ainsi prendre connaissance du projet industriel de ces entreprises quant à leurs investissements, leur stratégie de développement à l'étranger, leurs rapports avec l'industrie.

Ne considérez-vous pas qu'il aurait été préférable de mener à bien cet inventaire préalablement à l'examen de ce projet de loi, ce afin de permettre à la représentation nationale de prendre position sur un dossier d'une telle importance en étant informée et éclairée?

Au lieu de cela, vous lui demandez de signer un chèque en blanc, l'écartant de l'analyse des orientations futures de ces deux entreprises et des conclusions qu'il faut en tirer.

Ne nous leurrons pas, ces concessions de façade ne sont pas motivées par une prise en compte réelle des critiques que votre projet de loi suscite. Elles traduisent, au contraire, une volonté farouche de mettre en place les conditions d'une privatisation future d'EDF et de GDF.

Dans cette logique, l'adoption du statut de société anonyme est un premier pas qui vous suffit aujourd'hui. Vous savez pertinemment que cet obstacle est le plus difficile à franchir, mais qu'une fois franchi, rien ne pourra plus s'opposer à votre sinistre ambition.

Ne nous laissons donc pas abuser par cette apparente prise en compte de l'opinion. Cette privatisation ne sera plus brutale ; elle se fera en douceur et en toute discrétion.

Avec France Télécom, l'expérience a déjà montré que, dès l'instant où une partie du capital est aux mains du secteur privé, le mode de management et les objectifs changent ; une vision à court terme, rivée sur l'évolution des marchés financiers privés, devient la règle de pilotage.

La satisfaction des actionnaires peut conduire à repousser, voire à rejeter les investissements à long terme, pourtant incontournables et indispensables en matière d'énergie.

L'ouverture du capital d'une entreprise publique peut se justifier par une logique industrielle, à savoir la doter d'une masse critique sur le marché mondial. Ce fut le cas de Thomson pour nouer une alliance avec Microsoft, ou de Renault pour permettre le partenariat avec Nissan, encore que ce dernier exemple ne soit pas forcément le plus heureux ! Souvenez-vous, en effet, de ce qui est arrivé à l'usine de Vilvorde, laquelle a dû être fermée parce que les fonds de pensions américains qui étaient actionnaires considéraient qu'elle n'était pas suffisamment rentable !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ce fut une mauvaise expérience pour M. Jospin !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Qui a promis que l'usine ne fermerait pas ?

M. Bernard Piras. Il ne s'agit pas de cela ! Ce qui compte, c'est ce qui va se passer à l'avenir pour EDF et GDF. Je ne voudrais pas que ce qui s'est produit dans le passé se renouvelle.

Avouez que livrer EDF et GDF à la logique du marché est un risque autrement plus périlleux au regard des enjeux du secteur de l'énergie, risque que vous vous obstinez à prendre au mépris des intérêts supérieurs de la nation.

La libéralisation du marché voulue par Bruxelles permet l'introduction de la concurrence dans un système dominé par des monopoles publics, et cela conformément à la logique libérale, prétendument dans l'intérêt du consommateur.

Or que constate-t-on ? La déréglementation a entraîné une hausse des prix de l'électricité. A ce titre, l'Observatoire international des coûts énergétiques dresse un tableau très mitigé de l'ouverture à la concurrence.

L'Observatoire affirme : « La tendance de fond relevée est concomitante des processus de libéralisation et les augmentations de coûts montrent que les marchés libéralisés se caractérisent par une certaine volatilité. Annoncée au début des années quatre-vingt-dix comme une révolution inéluctable et liée au développement de l'économie mondiale, la déréglementation sous la forme actuelle est aujourd'hui sujette à interrogation, même dans de grands pays libéraux ».

Ainsi, pionnier dans la libéralisation du secteur, l'Allemagne voit les prix augmenter pour la quatrième année consécutive. Quant aux pronostics de Bruxelles, fondés sur les lois du marché, ils ne sont pas vérifiés et se révèlent erronés. En effet, l'idéologie politique s'oppose ici à des principes économiques simples : l'électricité n'étant pas stockable, la capacité installée doit être, à tout moment, supérieure à la demande. Or la production électrique est une industrie très capitalistique, où les investissements sont à la fois lourds et longs à réaliser.

La question de la sécurité d'approvisionnement se pose donc.

Le prix payé par le consommateur, seule variable qui semble intéresser les adeptes de la libéralisation, est-il compatible avec le niveau d'investissements ?

De l'avis de nombreux experts, l'effet principal de la réforme européenne va être de remplacer un réseau de monopole public par un oligopole d'opérateurs privés.

Pour ces derniers, la logique est la suivante : une sous- capacité liée à un défaut d'investissement se traduira par une forte rentabilité financière et une médiocre qualité de service. Au contraire, une surcapacité entraînera un effondrement des prix.

Vous tirerez vous-mêmes les conclusions de cette logique, à savoir que les opérateurs privés auront tout intérêt à entretenir la sous-capacité, à sous-investir, remettant en cause la sécurité de notre approvisionnement.

Pour éviter cela, il est préconisé la création d'une agence européenne, qui aurait pour mission de coordonner et de garantir les investissements nécessaires, tant pour la production que pour le transport. Cela reviendrait à retrouver les vertus du monopole que nous sommes en train de condamner. Malheureusement, à ce jour, cette agence n'existe pas.

Un tel scénario n'a rien de surréaliste, et les expériences de plusieurs pays prouvent que les probabilités pour qu'il se réalise sont importantes. L'exemple de la Californie est sans doute le plus marquant. Les investissements dans la production et le réseau de transport ayant été insuffisants, la spéculation a joué et les prix de l'électricité ont flambé ; l'Etat de Californie à dû dépenser 2,5 milliards de dollars pour faire face à la crise. En 2001, cette pénurie, devenue constante, a obligé les différents opérateurs à pratiquer des coupures tournantes.

Le marché de l'électricité a besoin de règles pour éviter la spéculation sur les prix. Sa réglementation permet le lissage au profit des consommateurs, ce que la déréglementation ne permet plus.

Cette déréglementation n'est pas uniquement préjudiciable à l'évolution des prix, elle l'est aussi à la sécurité. La maîtrise des risques industriels de la filière, notamment nucléaire, est l'un des éléments majeurs.

Le démantèlement des centrales et le traitement des déchets doivent faire l'objet d'une attention soutenue et leur coût doit être internalisé. Il est à craindre que les opérateurs, par souci de compresser ces coûts, ne rognent sur ces dépenses, avec les conséquences dramatiques que cela peut avoir, ou qu'ils ne les assument pas et que la collectivité doive alors les supporter.

Privatisation des bénéfices et collectivisation des charges pourraient très bien être, demain, la règle en matière d'énergie.

L'ouverture et la déréglementation du marché de l'électricité vers laquelle vous entraînez notre pays présentent des risques réels et majeurs, qui n'ont été ni abordés, ni anticipés, ni évalués.

Ainsi, par exemple, il existe une réelle remise en cause de la péréquation des tarifs.

II est évident que les nouveaux opérateurs, concurrents d'EDF et de GDF, non tenus par ce principe de péréquation nationale tarifaire et qui ne se préoccupent pas de l'intérêt général, se précipiteront sur les zones de distribution ou sur les marchés spécialisés qui sont rentables financièrement.

Les opérateurs historiques se retrouveront ainsi dans une situation défavorable, EDF et GDF devant assurer la distribution dans les zones non rentables, avec l'obligation de réserver l'égalité des tarifs au plan national.

Jusqu'où cette situation peut-elle aller Comment les opérateurs historiques, essentiellement EDF, pourront-ils maintenir la même desserte pour tous sur l'ensemble du territoire s'ils ne peuvent pas compenser les pertes des zones non rentables par le produit des zones rentables ? A terme, tous les consommateurs domestiques sont-ils assurés de pouvoir profiter de la distribution de l'électricité, quel que soit l'endroit où ils se trouvent ?

C'est la raison pour laquelle, je le répète, au regard des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, l'ouverture à la concurrence déréglementée que vous nous proposez est inacceptable et nous la rejetons.

Afin de faire contrepoids à la connotation très libérale de ce projet de loi, le Gouvernement a beaucoup communiqué sur sa volonté de conforter le service public, libéralisation, déréglementation du marché et modification du statut des opérateurs historiques n'étant en rien incompatibles, selon lui, avec la préservation d'un service public de qualité.

En tant qu'entreprises publiques, EDF et GDF ont des missions de service public à remplir, dans le respect de l'intérêt général.

Nous avons souligné précédemment que l'entrée de capitaux privés dans les deux entreprises historiques ne laissait rien présager de bon au regard de l'incompatibilité entre la notion de rentabilité et celle de service public. Les dirigeants de ces entreprises, à travers les décisions et orientations arrêtées, privilégieront forcément l'un de ces deux objectifs contradictoires.

Cependant, plus que le statut de l'opérateur, ce sont les missions qui définissent le service public et qui lui sont assignées qui priment. Celles-ci visent notamment à assurer un accès universel, un tarif unique et abordable sur tout le territoire, un tarif social, un service minimum pour les foyers les plus pauvres...

Face à cela, le texte proposé ne renforce ni ne conforte ce service public, et la plupart des dispositions du titre I qui lui sont consacrées sont insipides et dépourvues de portée réelle.

La liste énumérée par votre texte est floue, incomplète et des critères quantitatifs font défaut.

Que recouvrent les termes : « la qualité du service public » ? Aucun objectif n'est fixé pour la politique de recherche et de développement. La référence à la qualité du service et à l'accès au service public, et non pas à la présence territoriale du service public, laisse légitimement craindre un désengagement dans les zones d'arrière-pays.

Je profite de cette remarque pour rappeler que l'arrière-pays souffre de plus en plus du désengagement de l'Etat en matière de services publics. A l'occasion de mes déplacements dans mon département de la Drôme, je suis fréquemment interpellé par la population et les élus, qui en ont assez de voir disparaître leur bureau de poste, les administrations décentralisées, de voir fermer des classes, et bientôt les services de l'équipement...

Lors de mon intervention sur le texte en faveur du développement des territoires ruraux, projet de loi qui, en raison de son contenu, ou plutôt de l'absence de moyens dégagés, ne permettra absolument pas ce développement, j'ai souligné le décalage et la contradiction entre la volonté affichée par le Gouvernement et les engagements pris.

Je crains sincèrement que nous n'assistions ici à un nouveau désengagement. Ces zones ont la particularité de ne pas être rentables économiquement, et la notion de service public permet justement de pallier cette situation. Or il est fort à craindre que l'arrivée de capitaux privés à EDF et GDF n'incite guère à investir dans ces secteurs. Seule une mission de service public garantie serait à même de permettre à ces zones de pouvoir bénéficier d'une desserte et de prix assurant l'égalité.

Quand on fait le parallèle entre les dispositions de l'article 1er de la loi de 2000 définissant le service public de l'électricité et les quelques mentions qui figurent dans l'article 1er de ce projet de loi, des différences flagrantes apparaissent, la dimension réellement sociale du texte de 2000 ayant totalement disparu.

Ainsi, à titre d'exemple, les notions de garantie d'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire ou de droit à l'électricité pour tous échappent totalement à votre approche du service public.

Nombreux sont ceux qui considèrent que l'incompatibilité flagrante, en matière de service public, entre le texte de 2000 et le projet qui est examiné aujourd'hui conduit à l'abrogation implicite du texte de 2000.

Je crains malheureusement que les ménages les plus démunis et les habitants des territoires les plus reculés n'aient rapidement à pâtir des orientations que nous sommes en train de fixer.

Le contenu de votre texte aboutit indéniablement à une remise en cause du service public et de ses principes.

La culture publique d'EDF et de GDF, en vertu de laquelle ces entreprises étaient jusque là, selon les sondages, les préférées des Français, va progressivement disparaître. Un investisseur qui achètera demain une action EDF ne voudra qu'une seule chose : un cours de l'action qui monte et des bénéfices qui augmentent.

Une question se pose également. En effet, si votre texte évoque les modalités d'évaluation des coûts engendrés par la mise en oeuvre du contrat et la compensation des charges, il n'est pas précisé qui compensera ces charges. Est-ce l'Etat ? Est-ce les collectivités locales, et plus particulièrement les départements qui, aux termes de l'article 50 du projet de loi relatif aux responsabilités et aux libertés locales, financent désormais sans l'aide de l'Etat les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, dont les missions ont été étendues aux impayés de l'énergie ? Est-ce les usagers ?

Rappelons que la loi de février 2000 mutualisait le coût des missions de service public entre les industriels de l'électricité, sans que ce coût puisse être systématiquement répercuté sur le consommateur domestique. La loi de 2003, que vous avez votée, a remis en cause ce financement pour le faire porter essentiellement sur les usagers domestiques.

La mise en oeuvre de ces missions de service public qui, soulignons-le, sont floues, incomplètes et non sociales, va prendre la forme de contrats de service public signés entre EDF et GDF et leurs filiales, d'une part, et l'Etat, d'autre part.

Cette évolution appelle un certain nombre de remarques.

D'abord, il faut noter que le Parlement est totalement écarté du contenu précis des objectifs de service public, à la fois dans sa définition et dans la vérification de son respect, alors, pourtant, qu'il s'agit là d'un service public essentiel. C'est incontestablement un élément particulièrement important.

Ensuite, il faut souligner que le support du contrat est juridiquement fragile puisque sa méconnaissance ne pourra être invoquée en justice par quelque citoyen usager que ce soit, ce qui montre, là encore, le côté très incantatoire de ces objectifs.

Ainsi, ces missions de service public relèvent-elles plus d'une simple pétition de principe que d'une réelle ambition politiquement contrôlée et susceptible d'être sanctionnée juridiquement.

En conclusion, les fonctions de base que les Français attendent d'EDF et de GDF sont les suivantes : assurer la continuité et la sécurisation de la fourniture ; maintenir un prix bas et une prévisibilité de l'approvisionnement ; garantir la santé et la sécurité de l'entreprise ; préserver notre environnement.

L'exposé que je viens de faire, fondé sur des éléments vérifiés, démontre indéniablement que le chemin dans lequel vous souhaitez engager la France ne permettra pas le respect de ces fonctions essentielles.

Bien au contraire, l'entêtement dogmatique de la majorité actuelle va se traduire de manière dramatique par une augmentation des prix, un affaiblissement de notre indépendance énergétique, une baisse de la qualité du service public, une rupture du pacte républicain fondé par le Conseil national de la Résistance, une fragilisation d'un dispositif à haut risque à ce jour sécurisé, et une régression sociale pour les employés d'EDF et de GDF.

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous être certain de la justesse de votre action, alors que les expériences en matière de libéralisation à outrance et de privatisation du secteur énergétique conduisent inéluctablement à une hausse des prix et à une grave détérioration du service rendu aux usagers ?

Nous avons voté contre les mesures que vous avez prises dans votre projet de loi d'orientation sur l'énergie. En outre, vous avez fait l'impasse sur un vrai débat parlementaire s'agissant des besoins de financement d'EDF et de GDF et du service public de l'énergie, débat qui aurait sans doute démontré que vous faites fausse route aujourd'hui.

Monsieur le ministre, vous porterez une lourde responsabilité lorsque ce que nous dénonçons aujourd'hui deviendra, malheureusement, réalité demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est toujours mieux que d'être irresponsable !

M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud.

M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques jours, toutes les entreprises, les professionnels et les collectivités locales peuvent choisir leur fournisseur de gaz et d'électricité. La libéralisation du marché de l'énergie, aboutissement d'un long cycle de négociation, est parvenue à une nouvelle étape. Désormais, 68% du marché français du gaz et de l'électricité sont ouverts à la concurrence.

C'est au Conseil européen, réuni à Barcelone les 15 et 16 mars 2002, qu'il a été convenu d'adopter les propositions en instance concernant l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz, qui impliquaient notamment le libre choix du fournisseur d'énergie pour tous les consommateurs européens autres que les ménages à partir de 2004.

A l'occasion du Conseil transport-énergie de novembre 2002, la France a souligné l'importance que notre pays attachait au respect d'un service public de qualité. C'est sur la base de ces négociations qu'ont été modifiées les deux directives de 1996 et 1998.

La directive « électricité » a été complétée par la directive 2003/54 du 26 juin 2003 qui donne de nouveaux objectifs en fixant au 1er juillet 2004 l'ouverture du marché aux clients « professionnels » et au 1er juillet 2007 l'ouverture à l'ensemble des clients.

Quant à la directive « gaz », elle a été modifiée par la directive 2003/55 du 26 juin 2003 du Parlement européen et du Conseil qui a, tout comme la directive « électricité », fixé au 1er juillet 2004 l'ouverture à tous les clients non résidentiels et au 1er juillet 2007 à l'ensemble des clients.

Si l'objectif premier de ce projet de loi est la transposition en droit national des directives européennes, il vise également à adapter EDF et GDF à cette nouvelle donne, d'où un ensemble de mesures ambitieuses qui sont aujourd'hui soumises à notre examen.

Ce texte modifie tout à la fois le statut d'EDF et de GDF, filialise les activités de gestion des activités de transport, abroge le principe de spécialité, qui cantonne les activités des deux entreprises, et interdit les offres combinées. En outre, il comporte un important volet social, qui instaure un nouveau mode de financement visant à garantir la pérennité du régime spécial de retraite des industries électriques et gazières.

Ainsi ce texte, malgré sa relative concision, constitue une étape primordiale dans l'évolution d'EDF et de GDF en tant qu'il comporte des enjeux primordiaux pour l'avenir de notre secteur énergétique.

Le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime, est favorable au changement de statut des deux opérateurs. La fin du monopole historique les incitera à prendre des participations dans des groupes étrangers pour être présents sur les marchés internationaux. En effet, pour se développer, GDF et EDF ont besoin d'argent. Or l'Etat n'a pas mis un sou dans les deux entreprises depuis vingt-deux ans, d'où la nécessité de renforcer les fonds propres par un appel au marché.

En ce sens, l'ouverture du capital prend surtout la forme d'une augmentation de capital. En effet, la situation comptable et financière des deux groupes est assez profondément dégradée : c'est ainsi que la dette d'EDF s'élève à 24 milliards d'euros, contre seulement 19 milliards d'euros de fonds propres pour un total de bilan de 144 milliards d'euros.

Le changement de statut des deux entreprises leur permettra de conserver leur compétitivité tout en répondant aux injonctions de la Commission européenne, qui visent notamment la suppression de garantie illimitée de l'Etat.

La transformation du statut d'EDF et de GDF est donc absolument nécessaire. Toutefois, étant donné les importants besoins de financement de GDF, nous proposerons un amendement stipulant que, si l'Etat doit détenir plus de 70 % du capital d'EDF, ce seuil doit être abaissé à 50 % pour GDF.

De plus, le statut actuel impose le principe de spécialité, interdisant aux deux entreprises de proposer à leurs clients des offres combinées gaz-électricité, ou encore de diversifier leur activité. Or, pour faire face la concurrence, il est indispensable de supprimer toutes les contraintes qui pourraient handicaper les deux opérateurs historiques.

Nous sommes également favorables à une indépendance tant managériale que de gestion des filiales chargées des réseaux de transport. La commission des affaires économiques semble revenir en partie sur les mesures adoptées par nos collègues députés à ce sujet, alors même que le ministre de l'industrie avait déclaré qu'il s'agissait là d'une des améliorations notables apportées au texte, lors de l'examen de ce dernier par l'Assemblée nationale.

Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur un ou deux points spécifiques.

Je m'interroge, tout d'abord, sur la nécessité de conserver des groupes intégrés. Est-ce vraiment la meilleure solution pour développer nos réseaux de transports, notamment dans les zones frontalières ou dans les zones industrielles où pourraient être installés d'éventuels concurrents d'EDF et de GDF ?

De même, les noms retenus pour les deux filiales - EDF transports et GDF transports - ne risquent-ils pas d'entretenir une certaine confusion dans l'esprit des consommateurs qui, à l'issue d'un appel d'offres, auraient sélectionné un autre fournisseur qu'EDF ou GDF et se verraient néanmoins contraints de traiter avec une structure homonyme ?

Par ailleurs, il convient de rappeler que la transformation en sociétés anonymes ne signifie pas pour autant la fin des missions de service public.

L'article 1er garantit en effet la pérennité des missions de service public, en précisant que des contrats de service public entre l'Etat et les sociétés en charge de ces missions et obligations seront conclus. Il garantit également le conseil, l'accueil et la gestion de la clientèle sur l'ensemble du territoire.

De même, la menace de hausse des prix de l'électricité et du gaz, qui inquiète certains syndicats, ne découle pas automatiquement du changement de statut des deux entreprises : si une hausse des prix est à craindre, elle ne sera qu'indirectement liée au changement de statut.

En effet, les tarifs de l'électricité et du gaz sont très compétitifs en France par rapport à ceux du reste de l'Europe. Les prix du courant tiré du nucléaire sont bas et le gaz de GDF provient pour la majeure partie de contrats à long terme, avec des prix beaucoup moins volatils. En conséquence, l'ouverture du marché de l'énergie devrait se traduire par une uniformisation des prix en Europe et donc par un rééquilibrage par le haut en France.

Des facteurs objectifs expliquent aussi une poussée des prix sur le long terme. Les tarifs du gaz sont indexés sur le pétrole, dont les cours flambent. La répercussion est automatique, avec quelques mois d'écart. Quant au prix du charbon, il continue, lui aussi, de croître.

D'une manière générale, la demande d'énergie progresse, mais l'offre ne suit pas au même rythme, d'où un déséquilibre, parfois important, comme celui que nous avons connu l'été dernier, au moment de la canicule.

En outre, l'Europe souffre d'une insuffisance de ses réseaux de connexion : il n'y a pas assez de lignes à très haute tension entre les pays pour permettre les échanges, et la construction d'infrastructures se heurte à des problèmes environnementaux. Ce problème de transport est encore plus criant pour le gaz, puisqu'il n'existe que cinq points d'entrée sur le territoire, qui sont déjà tous saturés.

Tous ces facteurs concourent à une hausse des prix non imputable au changement de statut.

Enfin, il faut bien distinguer l'évolution juridique d'EDF et de GDF et le statut de leurs agents. Ces derniers sont assurés de garder leur statut ainsi que tous les avantages afférents, tels que la garantie de l'emploi, la fourniture d'énergie à prix cassés, les services d'un comité d'entreprise hors normes, et surtout un système de retraite qui apparaît aujourd'hui comme l'un des plus généreux de l'hexagone.

M. Philippe Arnaud. En effet, le projet de loi que nous examinons prévoit de pérenniser ce dispositif

Jusqu'à maintenant, EDF et GDF payaient elles-mêmes les retraites de leurs agents. Désormais, le système sera adossé au régime général des salariés du secteur privé, moyennant une soulte versée par les deux entreprises.

Or, dans un souci de justice sociale, le groupe de l'Union centriste s'interroge sur la pertinence de pérenniser ce régime spécial de retraite et se demande s'il ne serait pas plus opportun d'y mettre un terme pour les nouveaux entrants.

Bien sûr, monsieur le ministre - M. le ministre d'Etat a évoqué ce point tout à l'heure -, il convient de faire des concessions dans le cadre du débat social que vous avez bien voulu rappeler. Mais est-il bien raisonnable de pérenniser un tel régime spécial alors qu'il est demandé aux travailleurs des autres secteurs d'activité de consentir des efforts supplémentaires en vue de leur retraite ? Et pourquoi faire un cas particulier du marché du gaz et de l'électricité en imposant aux entreprises concurrentes d'EDF et de GDF l'application de ce statut généreux à leurs propres personnels ? (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Reiner. C'est la totale !

M. Philippe Arnaud. Dans cette logique, il faudrait interdire la vente en France de produits manufacturés ailleurs par des travailleurs dont les statuts ne seraient pas aussi avantageux que celui de nos conventions collectives. Pourquoi pas ? Mais c'est un autre débat.

Je tiens, avant de terminer, à féliciter les trois rapporteurs pour leur excellent travail. Le groupe de l'Union centriste votera le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières clôt une période entamée en 1996 avec l'adoption de la directive « électricité ». Huit ans ! Huit ans au cours desquels nous n'avons cessé de compter les occasions manquées, les délais inutiles et les atermoiements.

C'est la raison pour laquelle, m'exprimant au nom du groupe de l'UMP, je tiens à féliciter le Gouvernement, qui a réussi, en deux ans, à débattre du problème et qui est parvenu, en deux mois, à soumettre au Parlement ce texte si attendu.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Henri Revol. Rapporteur du projet de loi sur l'ouverture du marché de l'électricité, en 1999, je suis particulièrement attentif à ces questions.

C'est pourquoi il me semble utile, en préambule, de rappeler quelques évidences concernant le texte qui nous est soumis. J'aborderai ensuite plusieurs modifications que nous souhaiterions voir votées par le Sénat dans l'esprit de l'excellent rapport de notre collègue Ladislas Poniatowski. Enfin, j'appellerai l'attention de la Haute Assemblée sur diverses questions relatives au fonctionnement actuel du marché de l'énergie, en général, et de l'électricité, en particulier.

Commençons par le commencement et, en l'occurrence, par la lenteur avec laquelle notre pays gère les questions énergétiques.

D'aucuns présentent aujourd'hui ce projet de loi examiné dans l'urgence comme un texte de circonstance, inspiré d'une idéologie libérale hostile au progrès social et à l'idée même d'une politique industrielle. Que d'interprétations infondées ! Que de contrevérités après toutes ces années d'indifférence quant au sort d'EDF !

Je considère, pour ma part, que trop de temps a été perdu pour résoudre les problèmes auxquels nous devons faire face, à savoir le financement des retraites des agents d'EDF et de GDF, l'élargissement des disponibilités financières de Gaz de France, ainsi que la recapitalisation d'EDF à laquelle l'Etat n'a pas donné un sou depuis plus de vingt ans.

Dans mon rapport écrit sur le projet de loi devenu la loi 2000-108, j'avais attiré l'attention de M. Christian Pierret sur l'importance qu'il y avait à régler le problème des retraites au moment où l'on ouvrait le marché à la concurrence. Hélas ! je n'ai pas été entendu par ceux-là mêmes qui s'instituent aujourd'hui comme les défenseurs des retraites des agents de la branche des industries électriques et gazières, les IEG.

Notre position a le mérite de la continuité et de la cohérence.

Présentant les conclusions d'une commission d'enquête sénatoriale sur la politique énergétique de la France, en 1998, j'avais déjà recommandé la transformation d'EDF en une société anonyme à capitaux publics afin de permettre à cette dernière « de contracter des alliances industrielles, de créer plus facilement des filiales, de mieux associer ses personnels à son projet en leur accordant une fraction de son capital. ». Dès lors, mes chers collègues, vous comprendrez aisément que, sur chacun de ces points, je souscrive pleinement au projet qui nous est soumis, et je dois dire que j'ai été particulièrement heureux d'entendre le ministre d'Etat, M. Nicolas Sarkozy, s'exprimer sur la participation des personnels au capital d'EDF.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. Henri Revol. Une seule question reste posée : allons-nous assez loin dans l'ouverture du capital de Gaz de France ? L'entreprise disposera-t-elle d'assez de ressources propres pour éviter d'avoir à s'endetter pour financer sa croissance ?

Sur chacun de ces points, il aurait sans doute été économiquement envisageable d'aller plus loin, mais je n'ignore pas que c'est la « tolérabilité sociale » de ces dispositions emblématiques qui est en jeu. Nous l'avons dit, nous ne voulons pas d'une privatisation de GDF ni, a fortiori, d'EDF, sachant l'importance des installations de production nucléaire de cette entreprise.

Au surplus, je tiens à souligner, comme d'autres l'ont fait avant moi, l'incohérence du point de vue qui consiste à déplorer l'ouverture du capital d'EDF, alors même que l'Etat a montré, au fil de ces dernières années, son incapacité à le recapitaliser.

Monsieur le ministre, nous souscrivons aux grands axes choisis pour mener à bien cette réforme qui, comme l'a montré M. Dominique Leclerc, dont je tiens à saluer ici le travail, constitue « une solution avantageuse pour les salariés de la branche électrique et gazière » puisqu'elle permet de maintenir les prestations, de préserver les spécificités de la branche des industries électriques et gazières ainsi que le pouvoir d'achat des agents, grâce à une hausse de salaire qui absorbera la hausse de la cotisation sociale, et, enfin, de « sécuriser » le financement des retraites.

Devant ce dispositif qui ne porte atteinte à aucun des avantages dont bénéficient les agents, on a quelque peine à comprendre le discours revendicatif tenu par certains hommes politiques qui ont brandi le spectre de la privatisation. Et si notre collègue Ladislas Poniatowski m'y autorise, je reprendrai à mon compte une formule qu'il utilise avec bonheur dans son rapport, à savoir qu'il s'agit là d'un « fantôme à laisser au placard ». Je le répète, nous n'envisageons aucune privatisation.

Par ailleurs, je tiens également à déplorer solennellement les atteintes récemment portées aux réseaux de transport de courant, qui sont parfaitement inacceptables, surtout si l'on songe aux garanties que les pouvoirs publics ont assurées au personnel. Je reste d'ailleurs convaincu que la majorité des électriciens et des gaziers - n'oublions pas que 47 % d'entre eux étaient favorables à la réforme des retraites - est consciente des enjeux de la réforme, du danger qui résulte de l'attentisme et de l'excès des propos de ceux qui dénoncent cette réforme raisonnable et inévitable et la qualifient de « mauvais coup » porté à EDF et à GDF.

J'en viens aux questions qui intéressent le fonctionnement actuel du marché de l'électricité. Depuis à peine une semaine, on compte 3,5 millions de clients éligibles parmi lesquels figurent les collectivités locales. Je m'interroge sur l'opportunité de les obliger à recourir aux marchés ouverts d'achat d'électricité. C'est pourquoi la solution retenue par notre collègue Ladislas Poniatowski, qui consiste à préserver leur faculté de ne pas mettre en concurrence dès à présent leurs achats de courant, m'apparaît particulièrement fondée. Nous constatons en effet une hausse tendancielle du prix du marché de l'électricité, qui nous pose un vrai problème. Et comme l'a très bien souligné le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Philippe Marini, il faut laisser aux collectivités locales tout le temps nécessaire pour étudier de manière approfondie les meilleures conditions de leur approvisionnement en énergie.

Si la France s'est dotée des capacités de production suffisantes pour faire face aux besoins d'énergie, force nous est de constater que tel n'est pas le cas de nombre de nos concurrents européens. L'attitude des Allemands est, sur ce point, particulièrement incohérente puisque ces derniers annoncent à grand renfort de publicité la « sortie du nucléaire » et qu'ils n'hésitent pas, en tant que de besoin, à importer du courant de l'étranger, lequel est produit par des centrales nucléaires !

C'est pourquoi il m'apparaîtrait opportun que le Gouvernement renouvelle ses instances auprès des autorités européennes pour que cette question des moyens de production - je pense ici au financement du réacteur EPR - soit prise en compte de façon collective. La France ne saurait gérer à elle seule l'autonomie énergétique d'Etats qui mènent des politiques irresponsables.

La question de la hausse des prix de l'électricité est également liée à celle de l'accroissement de l'ensemble des droits annexes, qui grèvent les prix. Je pense notamment au poids des obligations d'achat de courant produit par cogénération ou par des techniques réputées écologiques. C'est pourquoi je déposerai un amendement tendant à éviter que des surprofits ne résultent, pour les investisseurs, du renouvellement indéfini de l'obligation d'achat au titre de matériels de production largement amortis.

Enfin, je demande au Gouvernement de nous renouveler l'assurance que le problème spécifique rencontré par la SNCF au titre de sa contribution au financement du service public de l'électricité sera résolu dans un sens conforme aux intérêts de cette grande entreprise nationale et, par conséquent, aux intérêts de tous les Français.

En commençant cette intervention, j'ai indiqué que, avec la transposition d'une partie importante des directives de 2003, une parenthèse se fermait. Une nouvelle période s'ouvre pour EDF et GDF, au cours de laquelle ces entreprises pourront mieux affronter la concurrence parce que nous les aurons allégées des fardeaux qui les entravent aujourd'hui.

Pour toutes ces bonnes raisons, le groupe de l'UMP apportera son entier soutien au Gouvernement dans la discussion de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que le Gouvernement nous demande d'examiner à la sauvette et en plein mois de juillet ...

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mais il ne fait pas trop chaud !

M. Gérard Delfau. ... est d'une extrême importance puisqu'il bouleverse, pour la première fois depuis 1946, la politique énergétique de la France, en ruinant les fondements sur lesquels s'est bâtie la réussite exceptionnelle d'EDF-GDF.

L'objectif de ce texte n'est pas de transposer les directives européennes qui concernent ce secteur ni d'adapter le fonctionnement de ces entreprises en faisant évoluer le principe de spécialité limitant le champ de leur intervention, encore moins de prévoir les modalités d'une fusion des deux entreprises publiques, comme le souhaitent de nombreux spécialistes, syndicalistes et parlementaires, y compris de droite.

L'objectif, c'est de saisir le prétexte des directives pour aliéner à des intérêts privés, qui seront sans doute, finalement, américains, l'essentiel du patrimoine de production, de transport, de distribution et de recherche que des générations de gaziers et d'électriciens ont accumulé par leur savoir-faire, à partir d'un investissement public modique, et grâce à la confiance renouvelée des usagers. Il est rare qu'un gouvernement prenne une position aussi contraire à l'intérêt général. Tel est pourtant le cas avec ce projet de loi improprement appelé « service public de l'électricité et du gaz ».

La raison de ce choix ne peut qu'être idéologique et politique.

M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !

M. Gérard Delfau. En effet, rien, et surtout pas l'Europe, ne permet de justifier une telle décision. Un fait récent l'a démontré : comme vient de le rappeler le commissaire Mario Monti lui-même au Sénat, l'Europe n'impose pas - que dis-je ? - ne demande pas la transformation des deux établissements publics EDF et GDF en deux sociétés anonymes, ouvertes aux capitaux privés, ainsi que le prévoit l'article 22 du projet de loi.

La déclaration du commissaire européen, qui est peu suspect de gauchisme, a, paraît-il, étonné les partisans de la privatisation et le Gouvernement. Elle ne fait pourtant que reprendre une doctrine constante, fondée sur l'interprétation permanente des traités depuis le Traité de Rome : l'Europe n'a pas à se mêler de la nature juridique des entreprises des Etats membres. Et la transposition des directives, approuvées par le gouvernement Raffarin en 2003, n'implique pas le changement de statut d'EDF et de GDF, contrairement à ce qui est affirmé.

Un autre argument est souvent avancé par ceux qui soutiennent ce texte : le changement de statut permettrait de lever en bourse les capitaux nécessaires pour le développement de l'entreprise EDF sur le marché extérieur, et pour celui de GDF sur le marché domestique. Faut-il rappeler la manne que représentent les activités d'EDF et de GDF pour les ministres des finances successifs ? Chaque année, les bénéfices de ces entreprises servent, pour partie, à équilibrer le budget de la nation. II suffirait que cesse cette ponction pour que chaque entreprise retrouve une marge de manoeuvre, d'autant que, s'agissant d'EDF, l'entreprise la plus endettée des deux, la rente du parc des centrales nucléaires offrira encore longtemps de belles perspectives ...

De plus, l'aventure de la mise sur le marché d'entreprises aussi différentes qu'Eurotunnel ou France Télécom devrait faire réfléchir sur la pertinence de ce mode de financement pour un secteur aussi sensible et dans un climat boursier d'humeur chagrine depuis le 11 septembre 2001.

A vrai dire, il y a bien une raison financière à cette privatisation. C'est l'occasion pour Bercy d'encaisser dès maintenant une soulte de 10 à 12 milliards d'euros destinés à provisionner partiellement l'adossement au régime général des retraites les futures pensions des salariés d'EDF et de GDF, aujourd'hui gérées par une caisse spécifique. Une telle somme viendrait masquer artificiellement la mauvaise santé budgétaire de la France au regard du pacte de stabilité, tout en tirant une traite de plus sur l'avenir de la sécurité sociale. Mais cela n'est pas avouable : cette explication sera donc récusée par M. le ministre, je vous l'annonce dès maintenant.

Un troisième argument est parfois avancé, mais il est si byzantin que l'on hésite à en faire mention : Bruxelles, qui ne met pas en cause la nature publique des deux entreprises, estimerait en revanche que la présence de l'Etat dans le capital fausserait la concurrence et donnerait un avantage aux champions français, assurés de la solidité de leur actionnaire en cas de bourrasque.

Rien n'interdit dans ce cas que la transposition des directives ne se fasse à statut juridique constant, mais qu'elle soit accompagnée d'une négociation pour fixer le cadre et les limites d'une intervention de l'Etat au sein des entreprises publiques. Ainsi serait respectée à la lettre la demande de la Commission, telle que l'a exprimée Mario Monti : instaurer les règles d'une concurrence équilibrée entre entreprises publiques et privées dans un secteur vital, sans toucher au statut d'EDF et de GDF.

M. Jean Chérioux. Ça ne tient pas debout ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Delfau. Pour être complet, observons que, parmi les partisans de la privatisation, il s'en trouve beaucoup pour utiliser, monsieur Chérioux, l'argument inverse : la présence de l'Etat français dans le capital d'EDF et de GDF serait un lourd handicap pour le rachat d'entreprises étrangères. C'est ce qui se murmure dans les hautes sphères des directions. Et l'on cite, à ce propos, la réaction du gouvernement Berlusconi devant l'entrée d'EDF dans le capital d'une firme italienne. La présence de l'Etat est donc perçue contradictoirement. Avantage indu pour les uns, handicap pour les autres, où est la cohérence du raisonnement ? A vrai dire, peu importe, pourvu que l'objectif soit atteint. Laissons donc ce terrain pour aller à l'essentiel.

La seule question qui vaille, mes chers collègues, est la suivante : les Français ont-ils quelque chose à gagner à la privatisation progressive d'EDF et de GDF ? Plus précisément, la qualité du service sera-t-elle améliorée ? Le montant de la facture sera-t-il allégé ?

M. Gérard Delfau. L'égalité d'accès, au même tarif pour tous, sera-t-elle maintenue ?

M. Gérard Delfau. Arrêtons-nous un instant sur ce point crucial : les collectivités territoriales, que nous représentons ici, au Sénat, continueront-elles à être sur un pied d'égalité pour la fourniture en électricité de leurs habitants ou devront-elles, comme pour La Poste et France Télécom, participer au financement de l'investissement si leur bassin de population est trop faible ? N'est-ce pas une nouvelle ponction sur le contribuable local que prépare, sans le dire, le Gouvernement ? Je ne vois rien qui nous protège de ce risque dans le présent projet de loi ; au contraire, je pressens que le « tarif social », qui vient actuellement en aide aux plus pauvres de nos concitoyens, pourrait très vite être mis à la charge des seuls communes et départements, sous prétexte de ne pas avoir à peser sur les comptes d'une entreprise soumise à une concurrence plus rude.

Enfin - et ce dernier point est à lui seul déterminant - la production d'énergie à partir du nucléaire et du gaz sera-t-elle plus sûre et mieux garantie contre toute forme d'accidents ? Sera-t-elle plus respectueuse des normes de santé publique et plus exigeante en matière d'impact sur le climat et l'environnement ?

Nous avons assez de recul pour répondre à toutes ces questions, puisque, depuis les années 1990, de nombreux pays ont déjà procédé à la privatisation de leur secteur public de l'énergie. Chaque fois, sans exception, le résultat fut très négatif, voire catastrophique : dégradation de la qualité du service, jusqu'à la pénurie en Californie ; désinvestissement massif, comme en Grande-Bretagne ; flambée des prix et spéculation partout dans le monde ; contamination et irradiation nucléaire, comme au Japon, etc. Le bouquet final fut la gigantesque faillite frauduleuse d'Enron, entreprise longtemps présentée comme le modèle d'un secteur énergétique, sans usine et sans salarié, mais générateur de profits considérables pour les actionnaires. On sait ce qu'il en advint !

Les livres, les articles et les thèses se sont multipliés pour analyser ces désastres économiques et ce gâchis humain ; mais rien n'y fait, les vautours sont toujours là ! Et l'évidence même est niée : la sécurité d'approvisionnement en matière électrique est incompatible avec l'entreprise privée, sauf à la soumettre à des contraintes telles que le système lui-même se paralyse ou se détraque.

Cela tient à la nature spécifique de ce service : l'électricité n'est pas stockable, et cela entraîne des investissements colossaux et à faible rentabilité, au point que, sans argent public, nulle entreprise privée n'en assumera la charge ; la distribution de cette énergie suppose un réseau si dense et ramifié qu'il induit une forme de monopole naturel que seule la collectivité peut assumer ; enfin, le danger potentiel que représente le cycle du nucléaire est tel que seule une entreprise publique dégagée de la pression du CAC 40 peut garantir que toutes les précautions seront prises pour éviter de nouveaux Tchernobyl.

Ces caractéristiques techniques et financières sont indiscutables. Elles expliquent que, expérience faite, le gouvernement de Grande-Bretagne et celui de l'Etat fédéral de Californie aient dû interrompre le processus de privatisation et parfois même « renationaliser », tout en demandant aux contribuables d'effacer l'ardoise laissée par les opérateurs privés. Encore les dirigeants anglais avaient-ils une excuse : le sous-investissement chronique dans le secteur de l'énergie, qui rappelle d'ailleurs ce qui s'est passé pour les chemins de fer, autre cas d'école de la faillite des privatisations néo-libérales.

Or, la France n'en est pas là. Bien au contraire, elle offre un modèle envié en matière énergétique : diversification des sources - du nucléaire au pétrole, en passant par l'hydraulique, l'éolien, etc. -, péréquation des tarifs et coût modéré, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises, qualité du service unanimement reconnue, fiabilité des installations, performance au quotidien des personnels et capacité de mobilisation en cas de catastrophe naturelle.

Certes, ce tableau de notre politique énergétique comporte aussi ses zones d'ombre : le manque chronique de volonté politique en matière d'économie d'énergie, la place du pétrole dans le trafic routier ou encore la part écrasante du nucléaire dans la production d'électricité à usage domestique ou d'entreprise. Le statu quo n'est donc pas possible : il faut, en une génération, diminuer drastiquement la consommation de pétrole pour réduire l'émission de gaz à effet de serre. Tout aussi urgent est l'effort pour sortir du « tout nucléaire » qui, n'en déplaise à ses thuriféraires, demeure une menace pour l'humanité.

Un tel virage suppose un débat démocratique mené jusqu'à son terme et, bien sûr, des outils capables de traduire en actes ces orientations. Nous avons la chance de pouvoir maîtriser la production et la distribution de l'énergie grâce à nos deux entreprises publiques : EDF et GDF. Est-ce le moment de se dessaisir de ces atouts, d'entrer dans la période de flottements - ou d'errements - qui a succédé, partout dans le monde, aux mesures de privatisation du secteur de l'énergie ? Le Gouvernement, qui propose la fin de nos entreprises publiques, a-t-il mesuré son niveau de responsabilité au regard de l'histoire ? Il ne le semble pas.

Aussi, je soutiendrai de mon vote la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité qui sera discutée. Sur un sujet aussi grave, le Président de la République s'honorerait de consulter les Français par voie référendaire. II est quelques cas où l'expression du suffrage universel direct, entre deux échéances électorales, est utile ; le statut d'EDF et de GDF est de ceux-là. Le Parlement lui-même devrait en prendre conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Au moment où nous abordons l'examen de ce projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, je me suis fixé une ambition, un objectif que, je l'espère, vous saurez apprécier, monsieur le ministre : vous aider, oui vous aider à mieux assumer la portée et la nature de vos actes.

M. Bernard Piras. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. En effet, à vous écouter, je me suis dit que tout cela devait relever de l'inconscient ou, plus grave, de l'amnésie.

D'abord, soyons au moins d'accord sur un déterminant simple : ce texte, comme la plupart de ceux qui sont soumis au Parlement, relève d'un choix politique.

Ce choix politique, il vous arrive parfois de le reconnaître, de l'assumer ou de l'exprimer ; d'autres fois, comme aujourd'hui, vous préférez le taire ou le cacher.

Votre vision est commandée par la vision d'un monde dans lequel il ne doit y avoir aucune entrave à la liberté du commerce et de l'industrie, pour reprendre une formule ancienne, pas même l'existence de services publics forts, un monde où toute tentative de régulation se heurte à vos choix idéologiques, où le seul combat qui vaille est celui qui consiste à imposer votre idée du libéralisme partout où c'est possible, et, pour vous donner plus d'allant, à vous attaquer à des forteresses réputées imprenables.

La forteresse est aujourd'hui EDF-GDF, un bien qui appartient au patrimoine de la nation et qui est le fruit d'un combat et de la volonté de voir l'Etat prendre en main un secteur vital et stratégique dans ce pays.

Lorsqu'en 1946, à la fin de la guerre, des femmes et des hommes de tous bords politiques, aux opinions parfois éloignées, se sont mis autour d'une table pour définir une stratégie énergétique pour notre pays, ils entendaient donner un sens à leur action : ne pas voir l'énergie, qui est un bien si précieux, abandonné à l'appétit des intérêts particuliers, préserver le transport, la distribution et les outils de production énergétiques et garder ce bien, aussi essentiel que l'eau ou le logement, accessible à tous.

La contribution d'EDF au développement de notre pays s'est inscrite dans le paysage français : l'électricité pour tous au même prix, l'assurance d'offrir à nos entreprises et à nos industries une énergie au meilleur prix, le soutien à une politique industrielle, la constitution d'une spécificité française, d'une entreprise dotée d'un savoir-faire, de compétences et d'une expérience unique. EDF est aujourd'hui tout cela.

C'est lorsque les cataclysmes se produisent, quand les éléments et les intempéries se déchaînent que l'on s'en aperçoit ; nous sommes alors nombreux à rendre hommage à ces salariés, à ces hommes, à ces femmes qui se dépensent sans compter, qui prennent des risques pour rétablir le service au plus vite, et ce jusque dans les territoires les plus reculés. Ceux qui ont conçu cela, ceux qui y ont oeuvré ont su se projeter dans l'avenir puisque rien n'a jamais démenti la justesse de leur analyse ainsi que la force et l'efficacité du dispositif mis en place au travers de ces deux établissements publics.

Mais qu'importe, le dogmatisme est plus fort que tout, car vous prétendez aujourd'hui tout détruire et transformer EDF en une société anonyme !

Y a-t-il urgence à remettre en cause une entreprise qui pratique les tarifs parmi les plus bas du monde, qui exige d'elle-même le meilleur niveau, le meilleur service et qui accomplit ses missions de service public avec le plus grand professionnalisme ? Pourquoi cette précipitation et quelles sont les raisons ?

Balayons d'emblée l'alibi que, comme M. Sarkozy l'a fait tout à l'heure, vous ne manquez pas d'invoquer, un parapluie derrière lequel vous essayez de vous abriter alors que c'est vous qui avez déclenché l'averse.

Selon une pratique qui vous est désormais habituelle, vous arguez de la participation de Lionel Jospin, Premier ministre de la cohabitation, au sommet de Barcelone de mars 2002 pour tenter de créer la confusion et de diviser ceux qui défendent le service public.

C'est une vraie manipulation de l'histoire ! La réalité et la chronologie tiennent en deux dates. La première date est juin 1996, avec la première directive sur le marché intérieur de l'électricité voulue par la majorité de droite de l'époque. C'est en effet en 1996 que MM. Chirac et Kohl ont décidé du principe de l'ouverture.

La seconde date est juin 2003, sous le gouvernement Raffarin, avec une directive concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité commandant l'ouverture du marché à tous les clients non résidentiels au 1er juillet 2004 et à tous les clients à partir du 1er juillet 2007.

Entre-temps, oui, il y a eu la loi du 10 février 2002 du gouvernement Jospin qui a transposé a minima la directive de 1996 que vous aviez voulue, en prenant le soin de définir avec précision le contenu du service public de l'électricité, ses missions et la notion de client éligible, de créer une commission de régulation de l'électricité et d'introduire le droit à l'électricité pour tous, un nouveau droit fondamental.

II y a eu aussi, en effet, le sommet de Barcelone où Jacques Chirac et Lionel Jospin représentaient la France. Lors de ce sommet, Lionel Jospin s'est opposé avec succès à l'éligibilité des particuliers ; il a fait une proposition de directive-cadre sur les principes des services d'intérêt public général, directive que votre gouvernement n'a jamais réclamée, tandis que, par l'intermédiaire de Nicole Fontaine, en févier 2003, vous acceptiez l'ouverture du marché à tous les usagers.

Monsieur le ministre, vous avez aussi l'habitude de faire référence aux déclarations - et pas aux décisions - d'anciens ministres socialistes. Personne ici ne songe à nier que, dans un contexte mouvant où les évolutions n'apparaissaient pas très clairement, et dans le cadre d'une réflexion, l'ouverture du capital d'EDF ait semblé utile à certains.

Mais le gouvernement de Lionel Jospin a tranché cette question par la négative.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est postérieur !

M. Jean-Pierre Bel. Nous avons eu, je le concède, à payer le prix de ces hésitations. Mais aujourd'hui, la position du parti socialiste, affirmée à l'unanimité au congrès de Dijon, est claire...

MM. Claude Domeizel et Bernard Piras. Très claire !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Aujourd'hui, oui !

M. Jean-Pierre Bel. Je parle d'aujourd'hui, monsieur le ministre !

... et nous nous engageons à réaffirmer le rôle central des services publics, plus particulièrement celui de l'électricité, parce qu'ils ont fait la preuve qu'ils étaient largement les plus efficaces.

M. Claude Domeizel. C'est clair !

M. Jean-Pierre Bel. Vous ne manquez pas non plus de nous assener la vérité absolue selon laquelle l'Europe nous conduirait à ce changement de statut. A mon tour, après beaucoup d'autres, notamment M. Poniatowski et mon ami Gérard Delfau, je vous rappellerai les propos de Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, qui a réaffirmé que « le traité ne préjuge en rien du régime de la propriété des entreprises dans les Etats membres » et que « la décision de privatiser une entreprise relève de la seule responsabilité des membres ». Cela a le mérite d'être clair et net !

Quant à la question de savoir s'il existe à la privatisation larvée que vous nous proposez une alternative permettant de respecter nos obligations européennes, la réponse est clairement « oui », notamment grâce à l'aménagement du « principe de spécialité » inhérent à tout établissement public à caractère industriel et commercial. Pour cela, il suffisait de poursuivre dans la voie ouverte par la loi de février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, qui définissait le secteur éligible ; il n'était pas nécessaire de changer de statut.

Vous nous expliquez également, monsieur le ministre, que la réforme est nécessaire parce qu'EDF manque de fonds propres. Ainsi, l'entrée de capitaux privés permettrait de lever 10 milliards d'euros. Mais - et c'est là que je ne comprends plus -, dans le même temps, EDF devra verser une soulte équivalente. Où est le bénéfice ? Une fois qu'aura sauté le verrou du statut public - c'est d'ores et déjà inscrit dans la logique de votre démarche -, vous réduirez la participation de l'Etat !

Rien dans les traités, dans les directives, dans les recommandations de la Commission, rien donc n'oblige à ce changement de statut. Alors, pourquoi cet entêtement dogmatique ? Ce n'est pas ainsi que l'on parviendra à une baisse des prix, bien au contraire, puisque la concurrence a entraîné une augmentation des prix : en 2003, les prix de gros de l'électricité ont progressé de 30 % ; depuis l'ouverture à la concurrence, en 2000, la SNCF, pour prendre cet exemple, a vu sa facture majorée de 50 %, si bien que certains industriels, tel Saint-Gobain, menacent de délocaliser une partie de leurs activités si la hausse persiste. Le prix de l'énergie, particulièrement modique en France, est un atout pour lutter contre les délocalisations, et nous l'avons constaté lorsque nous avons étudié ce phénomène.

On constate donc un effet inverse, coûteux, contraire à nos intérêts économiques et industriels : c'est l'échec de dix ans de dérégulation dans le secteur de l'énergie ; c'est l'inquiétude pour les dispositifs de production et de distribution de l'électricité ; c'est le constat que la privatisation est trop souvent synonyme de ruptures d'approvisionnement, d'investissements insuffisants. La réalité, c'est que le secteur public est l'acteur le plus performant dans un domaine aussi vital que l'électricité.

On peut légitimement se demander, comme l'a fait Bernard Piras, quelles garanties le projet de loi offre au service public. Dès l'instant où l'on ouvre une partie du capital au privé, le mode de management change : les enjeux ne sont plus les mêmes, et l'on court le risque, pour satisfaire les actionnaires, de négliger les investissements à moyen et à long terme dans des domaines tels que la formation ou la recherche.

La question se pose aussi de l'égalité d'accès et de services pour tous les usagers, avec le danger d'assister à un « écrémage » du marché vers les clients les plus rentables. La péréquation risque d'être menacée, car une société anonyme n'a pas forcément à prendre en compte les impératifs politiques d'aménagement du territoire. Les expériences américaines et européennes qui ont été citées montrent que le délestage est un mode de régulation classique pour des opérateurs privés.

Alors, comment garantir les obligations de service public ? Laissez-moi rappeler une nouvelle fois que la loi de février 2000 garantissait l'approvisionnement en électricité de l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt national.

Si l'on peut émettre des doutes sur la poursuite des missions de service public, nous nous faisons encore moins d'illusions sur les conséquences pour les territoires et pour leur aménagement ainsi que pour le maintien de la présence sur la totalité de l'espace national. Le maillage territorial se trouverait de fait très affecté : sur les 150 000 agents d'EDF, 60 000 travaillent dans des agences locales - c'est-à-dire dans des zones rurales -, agences qui sont bien souvent considérées comme non rentables. Le passage au secteur marchand se fait inévitablement à leur détriment !

M. Claude Domeizel. Evidemment !

M. Jean-Pierre Bel. Le projet de loi, et c'est inquiétant, n'impose pas d'obligations en matière de sûreté des installations et de sécurité des personnes. On peut imaginer que c'est là le prélude à la réorganisation de la présence territoriale des services publics, voire à l'augmentation des tarifs pour les clients résidentiels.

Alors, ayons l'honnêteté de dire les choses clairement : il n'y avait aucune urgence à la transformation du statut d'EDF-GDF, que seules des raisons d'ordre idéologique expliquent. Un tel aveuglement obéit à une logique qui n'est pas la nôtre, une logique qui est loin d'être neutre en termes de sécurité, de statut des ouvrages publics tels que les centrales nucléaires, de pérennité des missions de service public. On peut aussi se poser la question de savoir s'il est de l'intérêt de notre pays de compter deux leaders nationaux concurrents, alors qu'il serait bien préférable de les garder intégralement dans le secteur public.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, est une libéralisation sans régulation, une ouverture de capital sans stratégie industrielle, une ouverture à la concurrence sans obligation de service public. Il se place dans la continuité de votre politique de démantèlement des entreprises investies d'un service public et condamne deux fleurons économiques du pays, ouvrant la voie à l'augmentation des prix de l'énergie.

Je conclurai en soulignant, sans vouloir dramatiser, que nous sommes, me semble-t-il, en train d'écrire, ou de déchirer une page de notre histoire.

Comme nombre d'entre vous, j'ai eu la chance, jeune, de côtoyer des femmes et des hommes qui avaient vécu la Résistance et la Libération et pour lesquels, alors, rien ne pouvait continuer comme avant. Ces convictions, cet idéal trouvaient corps dans les grands principes formulés par le Conseil national de la Résistance. En particulier, la guerre leur avait permis de comprendre qu'il fallait se méfier du libre cours des intérêts marchands, de la simple juxtaposition des intérêts particuliers.

Ce sont les Français, les usagers, qui, après la nationalisation, ont indemnisé les actionnaires de l'époque. Ce sont eux qui sont à l'origine des grands barrages hydrauliques, des centrales nucléaires, de la recherche. L'apport de l'Etat à cette grande entreprise créée par les Français et qui appartient à la nation est, depuis, devenu mineur.

Personne, pas même les salariés, ne propose l'immobilisme ; mais ce projet de loi est un mauvais coup porté à une certaine idée du service public et - pourquoi ne pas le dire ?- à une certaine idée de la France dans l'Europe.

Dans ce débat, monsieur le ministre, notre groupe - mais il ne sera pas le seul ! - aura l'occasion de défendre pied à pied cette vision, qui tranche singulièrement avec votre dogmatisme libéral. Mais, dès à présent, nous vous demandons de prendre conscience de la hauteur des enjeux, de la responsabilité que vous prenez devant le pays. Monsieur le ministre, ne soyez pas frileux, renoncez à privatiser EDF et GDF, montrez de manière exemplaire que vous avez su entendre les messages envoyés par les électeurs et choisissez d'emprunter la voie de ceux qui, en 1946, ont accompagné le général de Gaulle dans son oeuvre de bâtisseur, dans sa tâche de reconstruction de la France.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous voilà gaulliste, à présent ? Vous avez mis le temps !

M. Jean-Pierre Bel. Sinon, monsieur le ministre, le message deviendra tonitruant. Mais il sera trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er juillet 2004 était la date fixée par les décisions du Conseil européen de Barcelone et les directives européennes de 2003 pour la deuxième étape de l'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz.

Au 1er juillet, donc, plusieurs centaines de milliers de clients sont devenus éligibles, c'est-à-dire qu'ils peuvent désormais choisir leur fournisseur. Sont concernés les professionnels et les collectivités locales.

En conséquence, nous ne pouvons plus attendre ni reporter indéfiniment la transposition dans notre droit de ces dispositions européennes, car il faut permettre à nos entreprises de conquérir de nouvelles parts de marché ; il y va de leur avenir, de leur compétitivité et des emplois.

Le texte que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, est donc nécessaire, et les dispositions qu'il contient sont suffisamment équilibrées pour assurer l'adaptation de nos entreprises aux évolutions du contexte européen tout en préservant leurs spécificités.

Face à l'ouverture des frontières, il faut, en effet, faire évoluer le statut juridique d'EDF et de GDF ; il faut abandonner le principe de spécialité et adapter le financement du régime de retraite des agents sans changer leurs droits.

Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions du projet de loi ; les rapporteurs, en particulier notre collègue M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques, l'ont excellemment fait avant moi. Je souhaite néanmoins insister sur un certain nombre de points.

Les enjeux de ce projet de loi sont en effet essentiels, et ce d'un triple point de vue : d'abord, au niveau juridique, en matière d'application des directives européennes, la France doit respecter ses engagements ; ensuite, face à la concurrence internationale, les entreprises EDF et GDF doivent être renforcées ; enfin, l'occasion nous est donnée d'améliorer encore le service rendu aux consommateurs d'énergie, dont les collectivités locales assurent la représentation.

En ce qui concerne la conformité aux directives européennes, nous prenons acte de la double nécessité, d'une part, de tenir compte de la séparation de la gestion des réseaux, d'autre part, de mettre fin à la garantie de l'Etat, comme le demande la Commission européenne.

Mais, monsieur le ministre, attention ! Si nous voulons que ces évolutions soient aussi l'occasion de renforcer la qualité de nos entreprises et celle du service qu'elles rendent aux consommateurs, il faut nous prémunir contre plusieurs risques.

Le premier risque est que la logique commerciale ne l'emporte trop sur l'intérêt général et sur le service public : il faut le combattre au niveau de la gestion des réseaux, qui demeure le noyau dur du service public, mais aussi de l'activité de fourniture en concurrence, car l'énergie n'est pas un bien comme les autres. Le deuxième risque est de voir les ressources financières disponibles pour les activités en monopole se raréfier. Le troisième risque, enfin, est que la distribution d'énergie, qui constitue par nature un service public de proximité, soit occultée par la dimension européenne des dossiers énergétiques ; le service public local doit garder toute sa place aux côtés du service public national.

Pour réduire ces risques, me semble-t-il, nous devons conserver et améliorer ce que nous avons d'ores et déjà entrepris. A ce titre, trois éléments me paraissent devoir retenir notre attention.

D'abord, les concessions de distribution dans le cadre desquelles les collectivités locales ou leurs groupements, propriétaires des réseaux de distribution, confient l'exploitation de ceux-ci à EDF ou à GDF constituent un mode d'organisation qui a su s'adapter au fil du temps et qui a très largement fait la preuve de son efficacité. Il convient de le préserver.

Aujourd'hui, les concessions locales de distribution d'énergie continuent d'être le cadre d'un partenariat efficace entre, d'une part, la collectivité locale, qui est propriétaire des réseaux - et qui doit le rester ! - et qui, en cette qualité, est chargée du contrôle, et, d'autre part, l'opérateur, qui apporte son expertise et ses moyens. Nous devons absolument préserver ce mode d'organisation, car il permet de réaliser une excellente synthèse entre la prise en compte des intérêts locaux, dont la collectivité locale est garante, et l'esprit d'initiative que nous attendons de la part d'EDF et de GDF et que cette nouvelle loi devrait contribuer à libérer.

Pour autant, nous ne devons pas perdre de vue la situation des distributeurs non nationalisés, notamment celle des régies locales d'électricité et de gaz, que la loi doit doter de moyens pour leur permettre de faire face dans de bonnes conditions aux défis de l'ouverture à la concurrence.

Ensuite, la condition sine qua non du bon exercice par les collectivités locales de leurs missions d'autorité organisatrice de la distribution publique d'énergie est que le périmètre des réseaux de distribution, par rapport à celui des réseaux de transport, soit parfaitement identifié, stabilisé et sécurisé.

Je note avec satisfaction que, sur ce point, des améliorations ont été apportés à la rédaction initiale du projet de loi, d'abord par l'Assemblée nationale, et, prochainement, grâce aux amendements que défendra le rapporteur et que, je l'espère, nous adopterons.

Ce n'est en effet qu'à la condition que la limite de ces réseaux soit parfaitement lisible que nos collectivités organisatrices de la distribution pourront exercer leurs compétences en toute sécurité juridique.

Enfin, la progression de l'enfouissement des lignes de distribution d'électricité est devenue une impérieuse nécessité, et il importe de prendre son coût en considération dans l'établissement des tarifs d'utilisation des réseaux.

Il ne s'agit nullement d'une question d'esthétique : ce sont la sécurité d'approvisionnement des points de livraison et la qualité de l'électricité distribuée dans notre pays qui sont en cause. Rappelons une nouvelle fois que, en France, le tiers seulement du linéaire des réseaux publics de distribution est enfoui, contre les trois quarts en Allemagne : le fait que la qualité de l'électricité soit très sensiblement meilleure en Allemagne et que ce pays soit moins sensible que le nôtre aux risques d'intempéries s'explique principalement par cette différence.

Aussi, monsieur le ministre, nous souhaitons non seulement qu'à l'échelon national un objectif volontariste soit défini en matière d'enfouissement, mais encore que les tarifs d'utilisation des réseaux le prennent en compte. Les collectivités locales organisatrices de la distribution d'électricité devraient avoir la possibilité, sur ce point, de passer des contrats avec l'Etat comme avec leurs concessionnaires.

En conclusion, je dirai qu'au moment où, avec l'ouverture à la concurrence, le but recherché est de doter l'organisation énergétique française de souplesse et de capacité d'adaptation, il est plus que jamais indispensable de préserver la part de décentralisation que contient cette organisation, non seulement parce que les collectivités locales sont, par excellence, un lieu d'initiatives, mais aussi parce qu'elles vont continuer à constituer, au cours des mois et des années qui viennent, d'indispensables balises dans un paysage en profond renouvellement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pourrait se résumer en trois phrases : EDF et GDF pourraient avoir besoin d'argent ; l'Etat manque d'argent ; l'Etat prépare donc la vente d'EDF et de GDF !

M. Jean-Pierre Bel. C'est simple !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Cela s'appelle un syllogisme !

M. Daniel Reiner. Ce texte, il ne suffit pas de l'écrire au présent, il faut aussi le lire au futur.

Voilà une solution simple, voire simpliste, à un problème d'arithmétique que vous jugez élémentaire, monsieur le ministre ! C'est la réalité de votre projet de loi, tout entier contenu dans un seul article, l'article 22, parfaitement conforme en cela à l'idéologie libérale du Gouvernement en dépit de toutes vos dénégations.

Si vous en voulez une preuve supplémentaire, reportez-vous au premier amendement de M. le rapporteur, qui propose de supprimer l'article 1erA introduit par l'Assemblée nationale, lequel affirme pourtant quelques principes d'aménagement du territoire et de péréquation tarifaire, ou à l'amendement de la commission des finances, dont nous parlerons plus tard.

En réalité, chacun le sait bien, cette question est une équation complexe éminemment politique : il s'agit de la mise en oeuvre de la politique énergétique de la France et du rôle de l'Etat dans ce secteur particulièrement stratégique. En effet, comme nous le savons tous, l'électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres ; par ailleurs, nous nous sommes engagés dans un processus de développement durable, réaffirmé sans cesse, et je vous renvoie à cet égard à nos débats sur la charte de l'environnement ; enfin, nous devons satisfaire nos engagements européens dans ce secteur historiquement nationalisé, auquel nous sommes tous attachés.

De ce point de vue, ce projet de loi tourne résolument le dos, comme d'autres textes présentés par ce gouvernement, au modèle économique et social mis en place à la Libération, un modèle qui dotait la France d'une véritable politique industrielle grâce à des outils propres, des entreprises intégrées qui produisaient, transportaient et distribuaient l'énergie. Et c'est le démembrement de cet outil, pourtant efficace et reconnu comme tel par tous, que vous nous proposez aujourd'hui.

Ne nous voilons pas la face : en dépit de toutes les déclarations ministérielles plus ou moins rassurantes ou opportunistes, ce texte n'a d'autre but que de rendre possible, à terme, une privatisation d'EDF et de GDF, une logique quasi « thatchérienne » tant elle s'attaque au service public.

Nous ne pouvons pas oublier qu'en 1996, quand le statut d'EPIC de France Télécom a été abandonné, le gouvernement Juppé s'était engagé ici même, haut et fort, à ne jamais privatiser l'entreprise.

Le résultat se passe de commentaires et nous « éclaire », peut-on dire, sur l'avenir d'EDF et de GDF.

Mon collègue Bernard Piras a rappelé ce courrier de ce même M. Juppé, Premier ministre en 1996, qui affirmait qu'EDF resterait une entreprise à 100 % publique. Aujourd'hui, on parle de 70 %, hier de 50 %, et, demain, ce sera peut-être moins de 20 %, comme pour Air France qui n'était pas privatisée non plus, mais dont l'alliance avec KLM fait qu'elle l'est devenue.

Et après ? A quand le tour de la SNCF ? A quand le tour de La Poste ?

Nous avons noté que M. le rapporteur suggérait déjà d'ouvrir le capital de GDF au-delà de 30 %, mais il a hésité à le proposer de nouveau dans le débat. Cela étant dit, la commission des finances, quant à elle, a déposé un amendement allant au-delà de ces 30 %.

Peut-on dire que ce projet de loi cache en lui une contradiction fondamentale ? En effet, l'objet d'une entreprise privée est la recherche de profits, et cela passe entre autres par un accroissement de son chiffre d'affaires, ce qui se traduirait dans le cas d'EDF et de GDF par la recherche de l'accroissement de la quantité d'énergie vendue aux clients.

Comment cela serait-il compatible avec les objectifs du développement durable ? Avec le protocole de Kyoto ? Avec des politiques gouvernementales favorables aux économies d'énergie ?

Nous le savons tous, l'électricité ne se stocke pas, c'est un bien de première nécessité, aussi vital pour les particuliers que pour le développement industriel.

C'est bien la preuve que sa production, son transport et sa distribution relèvent naturellement de la puissance publique et sont inconciliables avec la participation privée.

Les exemples désormais nombreux de gestion privée, aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, devraient pourtant nous inciter à la prudence : les investissements à long terme sont délaissés, sous l'influence des actionnaires privés, au bénéfice de rendements à court terme, d'opérations d'acquisitions boursières plus ou moins hasardeuses. La qualité de la maintenance se détériore, le délestage devient un mode classique de gestion de la demande d'énergie. C'est inacceptable ! Une entreprise privée aurait-elle réussi le tour de force d'EDF en 1999 pour relever le pays après la tempête ?

Quand on sait que la libéralisation du secteur de l'énergie n'entraîne pas nécessairement une baisse des tarifs, même si la hausse n'est pas due à la concurrence, ce qu'a d'ailleurs confirmé M. François Roussely devant la commission des affaires économiques, on finit d'être convaincu de la légèreté du Gouvernement dans cette affaire. Ce dernier va au-delà de nos engagements européens, qui ne nous obligeaient en rien à abandonner le statut d'EPIC. Les toutes récentes mises au point de la Commission européenne ne laissent aucun doute à ce sujet. Il est trop tentant d'utiliser l'argument « c'est la faute à l'Europe ». Non ! La responsabilité du Gouvernement est totale sur ce dossier ! N'est-ce pas vous qui, en 2003, contrairement à tout ce que vous dites, avez accepté l'ouverture du marché des particuliers pour le 1er juillet 2007 ?

Parmi les nombreux dangers que recèle ce texte, je souhaite en souligner particulièrement trois : l'avenir d'EDF-GDF Services qui constitue aux yeux des Français le service public par excellence, la filialisation du réseau de transport et le devenir des ouvrages publics d'EDF et de GDF, notamment les centrales nucléaires.

Parlons de l'avenir d'EDF - GDF Services.

Le texte autorise la création de services communs entre EDF et GDF, en les dotant ou non de la personnalité morale. Il la rend obligatoire dans le secteur de la distribution, la maîtrise d'oeuvre des travaux, l'exploitation et la maintenance des réseaux et les opérations de comptage.

Cette disposition a pour objet de maintenir l'unité de l'entité EDF-GDF Services - cela nous satisfait -, qui regrouperait les activités de distribution des opérateurs et concerne plus de 60 000 agents. Ce service symbolise la présence des deux entreprises sur l'ensemble du territoire ; tous nos concitoyens le connaissent.

Mais le texte ne garantit en rien qu'EDF-GDF Services reste un service intégré aux entreprises, puisqu'il prévoit que les services communs pourront être dotés de la personnalité morale. En clair, ce service pourra lui aussi être filialisé.

Les usagers, comme les agents d'EDF et de GDF, sont très attachés à ce service, à la mission de conseil qu'il développe et qui dépasse la simple fourniture d'énergie. On peut cependant s'interroger sur sa pérennité : avec la levée du principe de spécialité, nos concitoyens découvriront avec surprise, eux qui croyaient avoir affaire à une seule et même entreprise, qu'EDF leur proposera de leur vendre du gaz et GDF de l'électricité, tout cela bien sûr dans la plus grande confusion des tarifs et des formules - nous avons tous présent à l'esprit l'exemple des télécommunications.

En réalité, il y aura non plus complémentarité entre EDF et GDF mais véritable concurrence, avec vraisemblablement, je l'ai déjà dit, des augmentations de tarif.

Bien entendu, cette question nous amène à l'opportunité d'une fusion d'EDF et de GDF, un retour aux sources auquel nous serions favorables.

La filialisation du réseau de transport de l'électricité est le résultat de la transposition des directives de 2003 : les activités liées aux réseaux de transport de l'énergie doivent être juridiquement indépendantes des activités de production et de fourniture. Jusqu'alors, RTE était intégrée à EDF, bien que totalement indépendante dans sa fonction.

Par ailleurs, quand le Gouvernement affirme que, depuis vingt-deux ans, l'Etat actionnaire n'a à aucun moment joué son rôle, il oublie qu'en 1997 le gouvernement Jospin avait accordé la pleine propriété du réseau d'alimentation haute et très haute tension à EDF, ce qui avait fait dire à M. Alain Lambert, rapporteur du projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, que les fonds propres d'EDF avaient été triplés et portés à 80 milliards de francs.

Pour RTE, le Gouvernement a fait le choix de la création d'une société anonyme, dont le capital sera détenu en totalité par EDF, l'Etat ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public. Elle est donc annoncée à 100 % publique. Comment imaginer que, dans l'avenir, la part du capital privé augmentant dans EDF, elle le demeure ? Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi ne pas utiliser le délai offert par la directive jusqu'en 2007 pour réaliser cette filialisation ?

Pour nous, ces dispositions constituent la première étape du démantèlement d'EDF.

Tous les ouvrages du réseau de transport d'électricité doivent être transférés à la nouvelle filiale. En clair, le risque est qu'à terme le réseau ne soit plus la propriété de la collectivité. L'Etat ne disposera même pas d'un droit d'opposition sur la vente des actifs, ce qui est pourtant pour lui un monopole naturel ; son droit se limitera à celui d'un actionnaire. Cela pose la question du statut juridique de ces ouvrages publics.

L'exemple de France Télécom nous permet d'éclairer ce dernier point. En effet, le Conseil d'Etat s'est exprimé sur la nature juridique des biens immobiliers appartenant à la société France Télécom, personne morale de droit privé depuis la loi du 26 juillet 1996.

Dans cet avis de 2001, la loi qui a transformé l'EPIC France Télécom en entreprise nationale soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes, même s'il s'agissait en la circonstance d'une société d'économie mixte, a du même coup retiré ses biens du domaine public. Il en résulte que, quelles que soient les dates auxquelles ils ont été entrepris, les ouvrages immobiliers qui appartiennent à France Télécom ne présentent plus le caractère d'ouvrage public, sauf ceux qui sont sur la voie publique ou qui en constituent une dépendance.

Ainsi, nous ne sommes sûrs que d'une chose : seuls les pylônes électriques sur nos trottoirs demeureront bien des ouvrages publics. Voilà qui va nous rassurer !

Le Conseil d'Etat a confirmé ce déclassement. Et pourtant, ne devrions-nous pas considérer qu'un ouvrage affecté à l'exécution d'une mission de service public est un ouvrage public ? La jurisprudence est d'ailleurs constante sur ce point.

Si la situation retenue par le Conseil d'Etat est appliquée aux ouvrages d'EDF et de GDF, cela visera, chacun l'aura bien compris, les centrales d'EDF, les stockages et les canalisations de Gaz de France.

Le passage de ces biens d'un régime protégé à un régime sans protection spéciale pose la question majeure de leur sécurité, de leur entretien courant et de leur maintenance. Enfin et surtout, ils perdront leur caractère inaliénable. On pourrait donc à terme les vendre.

Je pose ici la question : peut-on laisser subsister un tel doute ? Comment imaginer que, dans notre pays, on puisse envisager de vendre un jour une centrale nucléaire au secteur privé ?

La loi ne le dit pas, mais elle ouvre toutes les voies juridiques pour que cela devienne possible.

Faut-il rappeler que, à l'époque où elle était Premier ministre, Mme Thatcher avait songé à une telle vente ? Mais les centrales étaient en si mauvais état que personne ne s'y était intéressé. Ce n'est pas le cas des nôtres.

Nous connaissons le discours gouvernemental qui assure que le parc nucléaire sera sanctuarisé. Mais cela n'apparaît pas dans la loi.

Devant l'état de délabrement des finances publiques, encore récemment dénoncé pour ce gouvernement par la Cour des comptes, les tentations de Bercy seront grandes.

Ainsi, la nation aura payé l'effort d'équipement et les actionnaires privés toucheront les dividendes. Et sommes-nous sûrs que ces derniers seront réinvestis dans la modernisation du réseau ? Nous refusons donc catégoriquement cette perspective.

Je terminerai mon propos en abordant un aspect qui me semble essentiel et qui n'apparaît naturellement pas dans ce texte, même s'il a été abordé dans la loi d'orientation sur l'énergie : la nécessité de construire une Europe de l'énergie.

Aucun pays ne peut désormais concevoir sa propre politique énergétique ; chacun est dépendant des autres. Il y a quarante ans, l'Europe s'est dotée d'une politique agricole commune, la PAC, après avoir mis en place une politique commune du charbon et de l'acier, puis une politique industrielle de l'aéronautique et de l'espace. Comment pourrait-elle se passer aujourd'hui, dans le contexte mondial que nous connaissons, d'une véritable politique commune de l'énergie ?

Assurer l'indépendance et la sécurité énergétique du continent, voilà deux questions dont la France pourrait être utilement porteuse pour nourrir le débat au sein de l'Union, au moment où y sont admis des pays dans lesquels la demande d'énergie augmentera considérablement au cours des années à venir et où se pose déjà le problème de la modernisation de leurs capacités de production et de transport.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous nous opposons à votre texte. Nous avons la conviction que vous pouviez satisfaire aux directives communautaires sans mettre nos entreprises publiques sens dessus dessous. Celles-ci ont d'ailleurs su, dans le cadre de leurs statuts actuels, nouer des alliances et se développer sur le plan international.

Les usagers sont satisfaits des services des deux entreprises. C'est même un atout essentiel, reconnu par tous et affiché partout afin d'attirer des investissements extérieurs, et ce alors même que les deux entreprises pratiquent des tarifs compétitifs.

Nous étions fiers de cette certitude ; vous nous mettez, avec ce texte, dans l'incertitude pour demain. Nous ne vous suivrons pas sur ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les arguments développés par les sénateurs de mon groupe, Bernard Piras, Jean-Pierre Bel et Daniel Reiner, qui ont démontré que rien n'imposait ce projet d'ouverture du capital d'EDF et de GDF.

Aucun impératif n'oblige à un tel changement de statut juridique de ces entreprises, qui fonctionnent bien et qui offrent les plus bas prix d'Europe. Seuls les intérêts de la finance semblent dicter dans l'ombre cette réforme.

Pour ma part, je m'attacherai au volet « retraites » du projet de loi, c'est-à-dire à son titre IV, que nous examinons à partir d'aujourd'hui.

Permettez-moi, monsieur le ministre, d'ouvrir une courte parenthèse. Je me souviens des discours que le Gouvernement tenait l'an dernier : la réforme des retraites devait être la panacée.

Depuis, vous ne cessez de revenir sur cet important sujet. M. Fillon aurait dû appréhender cette grande réforme dans la globalité. Je pense notamment à la pénibilité et à la dangerosité des métiers, que l'on vient de traiter partiellement voilà quinze jours en abordant la question de la retraite des pompiers. Et voilà qu'aujourd'hui vous revenez à nouveau sur le dossier des retraites s'agissant des électriciens et des gaziers !

Avec ce volet « retraites », nous observons l'un des effets collatéraux du changement de statut, effets qui vous servent de prétexte pour dresser un rideau de fumée masquant vos réelles et profondes intentions : la privatisation de ces deux grandes entreprises.

Vous et vos amis laissez croire sans cesse que vous faites un cadeau royal aux électriciens et aux gaziers. M. Leclerc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, reproche dans son rapport aux agents d'EDF « de ne pas vouloir participer à l'effort collectif » et affirme que cette même catégorie de Français « continue à bénéficier d'un traitement trois étoiles financé par tous les autres ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Selon la méthode que vous avez déjà employée, vous tentez de dresser les Français les uns contre les autres. Cette méthode est inadmissible et ne peut masquer le fond du problème : les dangers de la privatisation des industries électriques et gazières vers laquelle vous tendez.

Elle ne peut masquer non plus l'inquiétude ressentie en milieu rural. Nous avons entendu la même chanson lors de la transformation des statuts de TDF, des télécommunications, de La Poste.

Nous en voyons les résultats aujourd'hui : le milieu rural est souvent considéré comme trop peu peuplé et trop éloigné pour intéresser les opérateurs, qui finissent par abandonner les principes de base du service public. Les élus et les populations de ces régions petit à petit délaissées doivent se battre en permanence pour le maintien des services publics.

Je reviens au problème de la retraite : les risques vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, invalidité et décès sont à ce jour directement gérés par l'entreprise. Pour assurer la séparation financière, comptable et en gestion du régime, il est donc proposé dans le projet de loi de créer spécialement à cet effet une caisse autonome, un organisme paritaire de sécurité sociale : la Caisse nationale des industries électriques et gazières.

Certes, un accord social a été signé avec EDF, n'engageant que trois syndicats. Mais peut-on faire l'impasse dans ce débat du référendum organisé sur l'initiative de l'organisation syndicale majoritaire, la CGT ? Ses résultats sont éloquents : 59 % de rejet de la part des 75 % de participants !

Ainsi, vous mettez en place un système d'une extrême complexité, avec adossement aux régimes de droit commun. Même M. Leclerc, le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, qualifie ce schéma d'inédit et de complexe. Le nouveau régime sera donc lié, adossé, presque intégré au régime général des travailleurs salariés et aux régimes complémentaires AGIRC et ARRCO pour les droits à la retraite dits « de base ».

Le problème, c'est que la Caisse nationale des industries électriques et gazières devra verser « en tant que de besoin » à la Caisse nationale de vieillesse des travailleurs salariés, la CNAV, ainsi qu'à l'AGIRC et à l'ARRCO, des contributions exceptionnelles, c'est-à-dire une soulte destinée à couvrir les charges de trésorerie, les charges permanentes résultant de la situation démographique, mais aussi du niveau et de la structure des rémunérations des affiliés.

La formulation de l'article 7 est inquiétante, car elle induit une charge supplémentaire pour la CNAV et laisse sous-entendre que la nouvelle caisse n'est pas un régime spécial. J'y reviendrai lors de la discussion des articles.

Pourquoi prévoir un versement « en tant que de besoin » ? Pourquoi ne pas organiser ces transferts de manière permanente dans le cadre d'une neutralité financière ?

Pourquoi parler de « contributions exceptionnelles » ? Pour quelles raisons la soulte ne recouvrirait-elle que les charges de trésorerie, celles qui résultent de la démographie ou de l'évolution des salaires ?

Est-ce à dire que les charges de compensation entre tous les régimes et les régimes spéciaux seront prises en charge par la CNAV, ce qui laisse supposer que la nouvelle caisse des électriciens et gaziers ne serait plus concernée par la compensation entre régimes spéciaux et ne serait donc plus un régime spécial ?

Monsieur le ministre, cette caisse sera-t-elle, oui ou non, intégrée dans le régime général ?

D'ailleurs, le conseil d'administration de la CNAV, avec la clairvoyance qu'on lui connaît, émet bien des réserves sur la méthode de calcul, à ce jour non définie, de la soulte. Il s'est prononcé à l'unanimité contre le schéma d'adossement envisagé, car le projet de loi ne lui a pas semblé présenter les garanties suffisantes quant à la neutralité financière de l'opération. On le comprend !

La CNAV sera-t-elle contrainte d'accepter les conditions ? Quel sera son poids dans la négociation ?

Et comment évaluer cette soulte ? On parle, ici et là, de 0 à 15 milliards d'euros : la marge est vaste ! Cela n'est pas sérieux, les chiffres les plus variés circulent ...

Le projet de loi ne tient pas compte non plus des coûts de gestion du mécanisme de l'adossement qui constitue, à l'évidence, un alourdissement de la charge de travail.

Par ailleurs, au-delà de l'impact sur les mécanismes de compensation démographique, avez-vous mesuré, monsieur le ministre, les conséquences sur le fonds de réserve des retraites, le FRR, auquel la CNAVTS verse ses excédents ? En effet, votre «usine à gaz», si vous me permettez ce mauvais jeu de mots, va accentuer la détérioration inévitable du régime général.

Quant aux droits spécifiques, qui correspondent à la différence entre les droits de base repris par les régimes de droit commun et les droits du régime spécial, appelé aussi « régime chapeau », c'est une contribution tarifaire qui les financera, c'est-à-dire le consommateur.

Quelle sera la durée de vie de cette nouvelle caisse ? L'adossement ira-t-il jusqu'au «phagocytage» ?

Vous prétendez, par ce projet de loi, vouloir pérenniser le régime spécial de retraite. C'est bien la seule fois que le Gouvernement se fait le défenseur d'un régime spécial !

Même M. Leclerc dit tout de go dans son rapport : « J'espère donc que l'examen de ce texte sera l'occasion d'ouvrir un débat public sur l'avenir des régimes spéciaux » - nous y venons ! - « et d'y entendre la voix du Parlement. La survie de l'ensemble de ces régimes est aujourd'hui largement assurée par la solidarité nationale et leurs spécificités sont incompatibles avec la réforme des retraites. »

Et M. Leclerc d'ajouter avec un certain aplomb : « Par réalisme et souci d'efficacité, le Gouvernement n'avait d'autre choix, l'an passé, que de disjoindre le cas de ces régimes spéciaux de la réforme d'ensemble. »

M. Jean-Pierre Bel. Nous y voilà !

M. Claude Domeizel. Quel aveu de votre incohérence ! Et dire que vous prétendiez que la loi Fillon devait être « la grande loi » !

Ne risque-t-on pas d'assister à un glissement du régime spécial vers le régime général ? Où sont les garanties pour que l'adossement ne dérive pas vers un alignement ?

Personne n'est dupe : tout laisse à penser que ce système complexe permettra de mieux présenter les comptes publics de notre pays dès 2005, pour satisfaire artificiellement les exigences européennes à la veille des échéances de 2007.

Non, vraiment, nous ne pouvons souscrire dans ces conditions à votre projet de loi, notamment à son volet « retraites », dans lequel subsistent trop de parties floues.

Une fois de plus, vous avez agi dans la précipitation et dans le mépris de la négociation sociale.

Pour satisfaire les intérêts financiers, votre projet de réforme, tel qu'il est présenté, met en danger, comme je viens de le démontrer, le service public de distribution d'électricité et de gaz et, de façon plus insidieuse, le régime spécial de retraite des électriciens et des gaziers.

Nous aurons l'occasion d'apporter encore plus de détails lors de l'examen des articles, mais vous aurez compris, monsieur le ministre, les raisons de l'opposition du groupe socialiste à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis. Je crois qu'il a compris !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier les trois rapporteurs. J'ai beaucoup apprécié le caractère fouillé de leurs rapports, qu'ils ont d'ailleurs eu le mérite d'établir dans des délais relativement réduits.

Je veux dire à M. Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques, que le Gouvernement apprécie vivement la soixantaine d'amendements qu'il a déposés et qui améliorent indubitablement le texte. Je le remercie pour le soutien qu'il nous a apporté face aux différents arguments exposés.

Il a raison lorsqu'il dit que l'urgence est justifiée par la nécessité de faire face à un marché ouvert à 70 % à la concurrence, que nous avons l'obligation de transposer la directive communautaire et qu'il s'agit pour EDF de lever un certain nombre d'entraves pesant d'ores et déjà sur cette entreprise. Ainsi, depuis le 1er juillet, EDF est confrontée, sur le marché français, à des concurrents qui peuvent offrir des prestations diversifiées. EDF ne le peut pas, et c'est évidemment un handicap pour cette entreprise.

De la même manière, M. Poniatowski a raison de dire qu'EDF doit pouvoir se situer dans les autres pays européens à parité de concurrence, tout comme les autres entreprises de production électrique européennes sur le marché français.

Il a aussi eu raison de rappeler ce qui est arrivé en Italie avec la loi empêchant EDF d'exercer des droits de vote sur les 20 % de capital qu'elle avait acquis dans l'Ente Nazionale Idrocarburi, l'ENI.

Il a également souligné, à juste raison, la problématique de la fusion et les difficultés qu'elle soulève.

Je partage ses propos sur le statut des industries électriques et gazières pour les nouveaux entrants.

Monsieur Poniatowski, je vous remercie donc de votre soutien argumenté.

J'adresserai des compliments identiques à M. Dominique Leclerc. Il a levé par avance certaines objections, émises notamment par M. Domeizel, sur les conséquences des normes IAS. Ce sont en effet ces normes, et en aucun cas le changement de statut juridique, qui nous contraignent à réformer le régime social.

Je tiens aussi à le remercier d'avoir souligné l'importance du dialogue social qui a eu lieu. Nous y avons consacré beaucoup de temps. M. Nicolas Sarkozy a rencontré les différents syndicats d'EDF presque tous les jours, et je pense pouvoir dire que l'opposition n'en a sûrement pas fait autant.

M. Claude Domeizel. C'est vous qui le dites !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est la vérité !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui, effectivement, c'est moi qui le dis, mais je ne suis pas le seul ! Nous avons des interlocuteurs qui le disent aussi. En matière de dialogue social, le Gouvernement a été exemplaire. Il n'est donc pas disposé à recevoir de leçons sur ce point. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Piras. Nous non plus !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais vous en donnez !

M. Bernard Piras. Vous ne les avez pas convaincus, vos interlocuteurs !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. On ne les a peut-être pas convaincus, mais le dialogue ne signifie pas nécessairement qu'il faut amener l'autre partie à épouser rigoureusement notre point de vue. Le dialogue, c'est un échange.

M. Serge Lagauche. Vous êtes les meilleurs et les plus beaux !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous mêmes, dans ce dialogue, avons tenu compte d'un certain nombre d'arguments.

M. Bernard Piras. Nous l'avons fait aussi !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est la raison pour laquelle le texte a évolué. C'est d'ailleurs cette évolution que vous contestez !

M. Claude Domeizel. C'est pour cela que nous sommes contre ce projet de loi !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je remercie donc M. Dominique Leclerc d'avoir précisé ces différents aspects.

Je le remercie aussi d'avoir réaffirmé le principe de la neutralité de l'adossement et de sa nécessaire transparence.

M. Claude Domeizel. Ce n'est pas vrai ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En conséquence, monsieur Leclerc, le Gouvernement acceptera vos amendements, qui sont d'un grand intérêt. Il estime toutefois qu'il convient de laisser la place à la négociation des partenaires sociaux sans trop entrer dans le détail de ce que doivent apporter ces négociations.

La question des régimes spéciaux est effectivement posée. Elle doit faire l'objet d'un débat public spécifique qui dépasse l'objet de ce projet de loi.

Je remercie aussi M. Philippe Marini de son soutien argumenté et sans faille. Je rejoins sa préoccupation sur les distributeurs non nationalisés. Le Gouvernement a décidé de présenter à la Commission européenne une solution compatible avec le régime des aides d'Etat.

J'ai pris acte de ses préoccupations quant à une ouverture différenciée du capital d'EDF et de GDF, souci qui a également été exprimé par M. Arnaud. Peut-être convient-il - mais nous aurons l'occasion d'en débattre - de laisser à la commission d'évaluation des fonds propres la possibilité de nous informer avant que nous en tirions les conséquences, en fonction des besoins de financement des différents acteurs, en matière d'ouverture du capital et de quantum. Il s'agira en tout état de cause d'un éclairage important.

Le statut de la CRE peut effectivement retenir l'attention, monsieur Marini. On pourrait toutefois en dire autant de l'ART ou du CSA. Je pense que ces autorités de régulation demandent une réflexion qui leur soit propre. Ce n'est pas l'objet du présent projet de loi.

S'agissant des collectivités locales, je partage votre sentiment, et vos amendements seront les bienvenus. Une collectivité locale doit pouvoir user en toute connaissance de cause du droit à l'éligibilité. De ce point de vue, le délai que vous avez suggéré est opportun.

Je tiens tout d'abord à adresser mes remerciements aux membres de la majorité. Je commencerai par M. Laffitte. Il a su prendre de la hauteur en abordant le long terme.

M. Gérard Delfau. C'est bien le problème !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est indispensable, car les débats sur l'énergie dépassent nos querelles partisanes, qui nous portent d'échéance électorale en échéance électorale. Là, nous nous situons dans la longue durée. C'est l'avenir de notre pays et de plusieurs générations que nous engageons par nos choix.

La hauteur de vue dont a fait preuve M. Laffitte, assortie de considérations technologiques assez avancées, est de bon augure pour la suite du débat. Vous avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, que la diversification et l'européanisation, celle d'EDF en priorité, sont des exigences particulières.

Monsieur Arnaud, je vous remercie des arguments que vous avez énoncés pour apporter le soutien de l'UDF au projet de loi.

Le Gouvernement a considéré qu'il était préférable d'opter pour la solution du groupe intégré afin de ne pas aboutir à une désorganisation semblable à celle que connaissent des pays dans lesquels on a voulu démanteler les entreprises - l'Italie ou les Etats-Unis, par exemple.

M. Poniatowski a fort bien expliqué, dans son intervention, les raisons qui expliquent le black out qu'a connu la Californie : pour une fois, ce grand pays libéral a fait du socialisme ordinaire. (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est exact !

M. Gérard Longuet. Tout s'explique !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Cela lui a d'ailleurs été fatal !

Il a tarifé les prix de vente au niveau le plus bas tout en laissant aux entreprises la liberté d'investir, mais pas celle d'amortir le capital investi.

Dans le même temps, et cela n'a pas facilité les choses, les « bobos » californiens - car ils en ont aussi - n'ont pas voulu du nucléaire. Il en est résulté une production d'énergie à des coûts très élevés, avec un amortissement sur une plus courte période.

Tous ces événements contractés sont non pas la faillite du libéralisme, mais bien celle du socialisme ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ; Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Bernard Piras. Je n'ai jamais vu cela !

M. Daniel Reiner. C'est extraordinaire !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je remercie M. Revol de son soutien et des amendements qu'il a déposés pour améliorer le fonctionnement du marché. Le Gouvernement y sera favorable.

La France adressera un mémorandum à ses partenaires européens en vue d'organiser un débat sur la lutte contre l'effet de serre. Il s'agit là d'une priorité.

Je remercie M. Pintat d'avoir rappelé combien il était urgent d'agir pour répondre aux demandes d'un marché qui est passé à trois millions de clients le 1er juillet, excusez du peu. Le Gouvernement souhaite protéger le service public de proximité. Je rappelle que EDF-GDF Services conservera son organisation actuelle en cent deux départements. Les petites voitures bleues continueront à circuler, soyez rassuré.

M. Jacques Blanc. C'est parfait !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous voulons maintenir le système concédant-concessionnaire et donner aux distributeurs non nationalisés les moyens de se développer.

Je partage, monsieur le sénateur, votre souci de clarifier le régime de la propriété des réseaux de transport et de distribution.

Voilà pour ce qui est de la majorité. Je la remercie de sa présence, de son soutien, de la finesse de son analyse.

J'en viens à l'opposition.

M. Claude Domeizel. Vous pouvez aussi nous remercier !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il y en aura pour tout le monde ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Je commencerai par Mme Beaufils, mais mon propos s'adresse aussi à ceux qui ont parfois utilisé les mêmes souvenirs : la nostalgie de 1946, pour glorieuse qu'elle soit, ne fait pas une politique.

M. Bernard Piras. Aujourd'hui, c'est la corbeille qui la fait !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Depuis soixante ans, madame, le monde a considérablement changé et, par exemple, l'URSS s'est effondrée !

M. Gérard Longuet. Eh oui, ce fut une bonne nouvelle, d'ailleurs !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Même les certitudes vacillent !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Par rapport à un débat tourné vers l'avenir, à des technologies et à un monde qui, depuis soixante ans, a été totalement bouleversé, la référence à 1946 paraît certes sympathique, mais désuète !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis, et M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas le changement de statut qui crée la concurrence, c'est l'inverse. C'est Barcelone qui ouvre le marché à 70 %. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Nous ne renions rien, nous assumons l'ouverture à la concurrence.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous, vous ne l'assumez pas. Le gouvernement de M. Jospin a décidé l'ouverture à la concurrence, conjointement avec M. le Président de la République, à Barcelone, le 15 mars 2002. Lorsque j'ai expliqué cela à M. Bocquet, à l'Assemblée nationale, en lui rappelant que les communistes n'avaient pas pour autant quitté le Gouvernement, il m'a répondu : « nous avons eu tort » ! Si vous avez eu tort, peut-être vos critiques devraient-elles aujourd'hui être plus modérées.

Madame Beaufils, le développement international d'EDF que vous critiquez a eu lieu, je suis contraint de vous le rappeler, en 2000 et en 2001, alors que des ministres communistes siégeaient au Gouvernement.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. A quoi servaient-ils ?

Mme Marie-France Beaufils. Ce n'est pas une raison pour ne pas critiquer cette décision !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il ne s'agit pas d'un effet échevelé de la politique libérale. C'est votre politique lorsque vous étiez aux responsabilités gouvernementales.

M. Gérard Longuet. Il est très bon !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le statut d'EPIC a en effet constitué un handicap pour EDF.

Tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, on se jette à la figure les propos de M. Mario Monti d'un côté, ceux de Mme Loyola de Palacio de l'autre : « non, ce n'est pas la Commission qui exige » ; « si, c'est la Commission qui exige » !

Pour ma part, je m'intéresse beaucoup moins aux propos de M. Monti et de Mme de Palacio - avec tout le respect et l'estime que j'ai pour eux - qu'à la décision de la Commission datée du 16 décembre 2003 qui a été notifiée à la France - je dis bien « notifiée ». Elle me paraît en effet trancher tous nos débats.

Tout d'abord, depuis 1996, époque à laquelle M. Alain Juppé conduisait le Gouvernement, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il y a eu trois directives !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il y a eu l'ouverture à la concurrence à 30 % avec Alain Juppé, j'en conviens, mais l'ouverture à 70 %, qui change complètement l'équilibre du dispositif, n'est intervenue qu'en 2002.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Voilà !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais il y a eu mieux ! Il y a eu la décision notifiée du 16 décembre 2003. Cette décision commence par une lettre du 10 juillet 2001 - cela ne vous dit rien ? - par laquelle il est rappelé ceci - c'est la procédure, c'est dans la décision, c'est un acte officiel, c'est un acte juridique, c'est un acte juridictionnel - ...

M. Serge Lagauche. Ça va, lisez la lettre !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. « Par lettre en date du 10 juillet 2001, la Commission a invité les autorités françaises à lui fournir des informations concernant certaines mesures en faveur d'Electricité de France (EDF) qui pouvaient contenir des éléments d'aide d'Etat. »

Cela commence ainsi. Le 10 juillet 2001, EDF fait l'objet d'une enquête et la France est poursuivie. Cela change déjà les choses par rapport au regard que l'on pouvait avoir en 1996.

M. Gérard Delfau. Cela arrive sans arrêt !

M. Claude Domeizel. Et ensuite ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. On ne peut pas faire l'autruche !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Un peu de patience ! Rassurez-vous, vos interrogations seront satisfaites. Je vais vous donner des réponses précises.

Je me suis intéressé à cette décision, parce qu'elle est à l'origine de l'attitude du Gouvernement français et aussi parce qu'elle explique, il faut bien le dire, les déclarations de M. Mario Monti. Finalement, ce dernier s'inscrit assez bien dans la décision, mais la décision en dit un peu plus que ce que l'on retient dans les débats polémiques.

Je vais vous donner lecture du paragraphe 132 de la décision de la Commission, en indiquant auparavant que les 131 paragraphes qui le précèdent représentent des pages et des pages de reproches contre la France ; je ne vais pas vous en infliger la lecture, car cela prendrait des heures et des heures, mais je vous invite à les lire ; cela vous permettrait de manifester votre opposition - je ne vais pas vous retirer ce plaisir - en utilisant des arguments de meilleur aloi et un peu plus pertinents que ceux que vous avez employés jusqu'à présent ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Piras. Vous êtes arrogant !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais non ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Mon arrogance n'a d'égale que votre intolérance !

M. Bernard Piras. Vous êtes arrogant en permanence !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous ne voulez même pas me laisser parler !

M. Bernard Piras. Chien fou !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je comprends que le rappel des fondements juridiques vous dérange.

M. Bernard Piras. C'est le ton que vous employez qui nous dérange !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous n'avez cessé de faire des procès d'intention au Gouvernement. Vous avez accusé le Gouvernement ; le Gouvernement vous répond par le droit...

M. Bernard Piras. Eh bien ! allez-y, répondez par le droit !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... et il vous invite à vous y référer.

M. Bernard Piras. Ne soyez pas agressif !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je vous donne donc lecture du paragraphe 132 de la décision de la Commission : « Dans le cas présent, la détention du capital d'EDF par l'Etat n'est absolument pas mise en cause : » - c'est ce que dit M. Mario Monti (M. Gérard Delfau s'exclame.) - « en effet, la garantie illimitée de l'Etat n'est pas liée au régime de propriété d'EDF, mais à son statut juridique. »

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est la décision qui le dit ! Le problème, ce n'est pas la propriété du capital par l'Etat, c'est le statut juridique !

Je poursuis la lecture du paragraphe 132 : «Si à ce statut sont intrinsèquement associés des éléments créant une distorsion de concurrence, ce statut lui-même doit être soumis à l'examen des règles d'aides d'Etat.»

M. Gérard Delfau. On en discute ! On n'a jamais dit autre chose !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Et au paragraphe 136 de la décision, la Commission ajoute : « Dans une lettre en date du 16 décembre 2003, » - nous avons donc répondu concomitamment à la décision qui a été prise, afin d'éviter qu'EDF ne soit condamnée, qu'elle ne soit obligée de verser des indemnités qui la pénaliserait et de concéder des parts de marché qui l'handicaperait - « le Gouvernement français a confirmé qu'"il proposera au Parlement les dispositions relatives à la transformation de la forme juridique d'EDF, actuellement établissement public, en une forme juridique de droit commun, afin d'en permettre l'application avant le 1er janvier 2005". »

M. Gérard Delfau. C'est bien vous qui l'avez décidé !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Cela, c'est ce que nous avons dit ! Je vous donne la réponse de la Commission ; écoutez-la : « Sur la base de cette information, la Commission considère que la garantie illimitée de l'Etat dont EDF bénéficie doit être supprimée de manière effective avant le 1er janvier 2005. » - c'est une réponse à la situation d'urgence ! - « Un tel délai est suffisant et raisonnable compte tenu des modifications législatives et règlementaires nécessaires. »

Par conséquent, dans ce débat, nous n'avons fait qu'une seule chose : ...

M. Gérard Delfau. Absolument pas !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... mettre en oeuvre la décision de la Commission et le compromis juridique auquel nous sommes parvenus pour éviter qu'EDF ne soit très largement compromise en raison de l'aide apportée par l'Etat.

J'ai longtemps pensé que nous n'étions pas les seuls à avoir compris cette position, puisqu'un certain nombre de responsables socialistes se sont exprimés très clairement à cet égard, et beaucoup plus tard que Alain Juppé, en 1996.

M. Daniel Reiner. On l'a déjà dit !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En 2002, dans un beau livre intitulé La flamme et la cendre, dans lequel la cendre semble dominer, Dominique Strauss-Kahn écrit ceci : « La part résiduelle de l'Etat [dans EDF] devra être suffisante pour assurer un ancrage incontestable, sans pour autant graver dans le marbre le seuil des 50 %. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ah ! C'est intéressant ! Voilà un esprit novateur !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. La position du parti socialiste n'est pas immémoriale ! En janvier 2003, Laurent Fabius écrit ceci : « Une entreprise comme Gaz de France doit voir sa structure ouverte ; et c'est également le cas pour EDF, même si l'Etat doit rester majoritaire. »

M. Daniel Reiner. Nous savons tout cela !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Tout à l'heure, quelqu'un a dit, sur les travées du groupe socialiste, que la position avait été fixée par Lionel Jospin une fois pour toutes.

M. Claude Domeizel. C'est Jean-Pierre Bel !

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je veux donc vous rappeler, monsieur Bel, ce qu'a dit Lionel Jospin dans son programme pour les élections présidentielles de 2002 ; c'est la dernière fois qu'il a eu l'occasion de s'exprimer...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ...- en tout cas publiquement -, il n'y a donc pas de texte postérieur (Rires sur les travées de l'UMP.) ; c'est la pensée la plus fraîche de Lionel Jospin ; il a dit textuellement ceci : « D'accord pour une certaine ouverture du capital et des participations ou des achats à l'étranger par le biais de filiales d'EDF, à condition que celle-ci soit maîtrisée. »

Je considère qu'avec les 70 % conservés par l'Etat Lionel Jospin obtient satisfaction. Par conséquent, nous ne sommes pas du tout en contradiction avec le programme du parti socialiste pour les élections présidentielles de 2002. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Il est vrai que, depuis, ce programme a été réécrit, mais je crois que c'est devenu un bulletin périodique et qu'il est régulièrement réécrit ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Vous n'avez pas répondu !

M. Daniel Reiner. Nous n'avons pas obtenu de réponse !

M. le président. Mes chers collègues, pour permettre à la commission des affaires économiques d'examiner les amendements déposés sur ce texte, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)