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organisme extraparlementaire

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
Discussion générale (suite)

Statut général des militaires

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant statut général des militaires (nos 126, 154).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que nous examinons aujourd'hui prend rang parmi les textes fondateurs de nos institutions, sur lesquels, à intervalles réguliers, l'Assemblée nationale et le Sénat sont amenés à se pencher et qui déterminent le caractère et le fonctionnement des institutions de notre pays.

A la préparation de ce texte, qui a nécessité de longs mois, nous nous sommes efforcés d'associer tous ceux qui pouvaient, à un titre ou à un autre, être intéressés par ce sujet, dans le cadre d'une discussion la plus large possible.

Un travail extrêmement approfondi a d'abord été mené par la commission de révision présidée par M. Denoix de Saint Marc. Cette commission, elle-même composée de personnalités représentant la société civile, le monde militaire et le monde de la défense, a très largement ouvert ses portes à des consultations diverses, aussi bien au sein de l'institution militaire qu'auprès d'un certain nombre d'autres organismes.

A la suite des consultations des instances de concertation, après des débats sans tabou, nous avons pris en compte un certain nombre de demandes fortes.

De la même façon, de larges échanges, qui ont été extrêmement libres, ont eu lieu avec le Conseil supérieur de la fonction militaire, le CSFM.

C'est ainsi que ce texte, tel qu'il vous est présenté aujourd'hui, a fait l'objet d'une adhésion très consensuelle de la communauté militaire dans ses grandes lignes.

Pourquoi vous présenter aujourd'hui un tel projet de loi ?

D'abord, ce texte était nécessaire.

Le statut général en vigueur date de 1972. En trente-trois ans, la société a changé. L'environnement économique et social a profondément évolué, les rapports de la société à l'autorité se sont modifiés. Nous sommes entrés dans une société de l'information. Le monde du travail s'est largement féminisé, les mouvements associatifs se sont multipliés, les armées, elles aussi, ont changé en plus de trente ans.

Elles ont changé du fait même de la professionnalisation. Les militaires professionnels souhaitent à la fois plus de responsabilités et plus de dialogue.

Les armées comptent désormais autant de militaires sous contrat que de militaires de carrière. Cela implique de porter une attention particulière à la cohésion à réaliser entre ces deux catégories.

La professionnalisation de l'armée implique aussi de porter une grande attention aux conditions de recrutement et à l'attractivité de l'armée, qui se trouve mise en concurrence dans le domaine de l'emploi avec l'ensemble du secteur privé.

Pour les mêmes raisons, il est important aussi de fidéliser les meilleurs éléments dans les armées pour garantir le haut niveau de ces dernières.

Si la société française, les armées ont changé, le contexte stratégique a également évolué.

Aujourd'hui, les engagements auxquels sont confrontés les militaires, notamment dans les opérations extérieures, ou OPEX, sont de plus en plus complexes. Très souvent, les militaires se retrouvent dans des situations floues où le temps de paix et le temps de guerre sont difficilement discernables ou s'imbriquent totalement l'un dans l'autre.

Ce qui est vrai aussi, c'est que les activités militaires sont de plus en plus strictement encadrées par le droit, et la conjonction d'un droit très strict et de situations très floues sur le terrain introduit des difficultés supplémentaires.

Enfin, le lien entre les armées et la nation a lui-même profondément évolué avec la professionnalisation et la suspension du service national.

Les armées doivent donc aujourd'hui tisser des liens nouveaux avec la communauté des citoyens. Elles doivent s'insérer dans la société par d'autres moyens que ceux qui étaient liés à la conscription, obligatoire pour au moins la moitié des jeunes Français.

Le nouveau statut général des militaires que je vous présente ce soir tend à répondre à ces différentes évolutions et aux questions qu'elles soulèvent.

Il traduit une grande volonté de trouver un équilibre entre les principes fondamentaux qui garantissent l'efficacité du métier militaire et la juste reconnaissance de la responsabilité et du poids que représentent dans notre société les militaires de carrière.

Il contient donc à la fois le rappel d'un certain nombre de principes et des avancées significatives quant aux droits des militaires et à leur protection.

Ce statut a également trait à l'organisation et au fonctionnement des armées, qui, elles-mêmes, en raison de leur nouvelle composition, ont changé. Il prend donc en compte, pour le renforcer, le système de concertation, mais il adapte aussi la gestion des carrières.

Face aux crises nombreuses et exigeantes que nous connaissons et que nous connaîtrons sans doute encore plus dans l'avenir, le nouveau statut réaffirme en premier lieu les principes essentiels qui garantissent l'efficacité du métier militaire.

Dès l'article 1er du nouveau statut, ces principes sont rappelés : l'esprit de sacrifice - nous savons tout particulièrement cette année, notamment après les événements de Bouaké, ce qu'il veut dire -, mais également la discipline, la disponibilité, le loyalisme, la neutralité.

Un autre principe est maintenu, celui de l'unicité du statut militaire. Il s'applique aux trois armées, à la gendarmerie et aux services communs. Il consiste à soumettre aux mêmes sujétions l'ensemble de ceux qui y participent, tout en leur permettant, bien entendu, de bénéficier des mêmes compensations.

En revanche, j'ai voulu que ce qui ne relevait pas de l'efficacité du métier militaire donne lieu à des assouplissements.

Dans un souci d'harmonisation, les droits des militaires ont été rapprochés au maximum des règles applicables à l'ensemble des fonctionnaires, dans la mesure où cela ne remettait pas en cause leur spécificité, liée à leurs missions.

Ainsi, certaines dispositions qui étaient devenues obsolètes ont été supprimées. Je pense, par exemple, à l'autorisation de mariage,...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ...disposition que j'ai été quelque peu étonnée de découvrir en arrivant au ministère. Il ne sera désormais plus nécessaire de demander l'autorisation de se marier avec un étranger ni de déclarer la profession du conjoint.

De même, et c'est un point important, les militaires auront désormais la liberté d'exercer des responsabilités associatives. Je rappelle que les militaires avaient le droit d'adhérer à des associations, sous réserve qu'il ne s'agisse pas de syndicats ou de partis politiques, mais qu'ils ne pouvaient y exercer de responsabilités.

Par ailleurs, les règles régissant les conditions d'expression seront assouplies : elles seront calquées sur les règles de l'ensemble de la fonction publique, se référant simplement au devoir de réserve qui s'applique à tout fonctionnaire et qui est mesuré en fonction du degré de responsabilité de ce dernier.

Toujours dans ce souci de rapprochement avec la fonction publique civile, le projet de loi procède à une refonte du régime des sanctions disciplinaires. Il vise à rénover et à simplifier largement le droit disciplinaire, ainsi qu'à mieux asseoir les droits de la défense.

Ainsi, les principes nécessaires à l'exercice du métier militaire sont conservés, tandis que des assouplissements sont accordés pour tout ce qui ne relève pas directement de l'exercice de ce métier.

Un autre point de ce statut fait l'objet d'une avancée considérable, à laquelle je tenais tout particulièrement : la protection et les garanties que l'Etat apporte aux militaires sont renforcées.

J'ai en effet considéré, compte tenu de la complexité des situations que j'évoquais tout à l'heure et des risques que supposent les crises dans lesquelles les militaires apportent leur savoir-faire, qu'un certain nombre de protections étaient tout à fait insuffisantes. Désormais, les militaires bénéficieront d'une meilleure couverture sociale et juridique.

Ainsi, les dommages qu'ils pourraient subir au cours d'une mission seront considérés comme imputables au service et donneront droit à réparation.

Les membres de la commission de la défense de la Haute Assemblée connaissent bien certains de ces cas, tel celui d'un militaire qui avait été tué lors d'une permission en cours de mission. Le refus, d'ailleurs fondé sur le droit en vigueur, de considérer cet accident comme imputable au service a laissé sa veuve sans droit à réparation. Je souhaite que, désormais, si vous en êtes d'accord, mesdames, messieurs les sénateurs, du tout début jusqu'à la fin de la mission, tout dommage qui pourrait survenir soit imputable au service, sauf en cas de faute détachable du service, ce qui d'ailleurs est la règle.

En cas d'usage de la force en opération extérieure - et nous revenons ainsi sur les problèmes juridiques que j'évoquais tout à l'heure -, l'éventuelle responsabilité pénale est aujourd'hui examinée au seul regard de la règle de la légitime défense telle qu'elle est définie dans le droit interne français.

Avec le nouveau statut, cette responsabilité sera désormais examinée en prenant en compte l'impératif d'accomplissement de la mission, dans le respect de l'ensemble des règles du droit international public.

A l'évidence, on ne peut pas continuer à appliquer un droit qui est fait pour une situation normale à des situations aussi complexes que celles des opérations extérieures.

Il s'agit donc d'une extension considérable de la protection pénale dont bénéficieront nos militaires, indispensable aux nouvelles tâches qu'assument nos armées dans le monde.

En dehors de l'ensemble de ces dispositions qui touchent aux personnes, aux principes et aux droits des militaires, c'est le fonctionnement de l'institution militaire que nous avons voulu conforter au sein de ce nouveau statut général.

S'agissant du système de concertation, en temps normal, les conseils de fonction militaire seront présidés par les chefs d'état-major ou les directeurs de service. Ces conseils ayant vocation à régler les problèmes qui sont propres à chacune des armées, il me paraîtrait anormal que le ministre de la défense dépossède de leurs responsabilités les chefs d'état-major ou les chefs des services.

En revanche, le Conseil supérieur de la fonction militaire continuera, bien entendu, d'être présidé par le ministre de la défense. Il sera composé de membres désignés par et parmi les conseils de fonction militaire d'armée. C'est là, me semble-t-il, un élément de simplification et d'uniformisation du régime de tous ceux qui représentent les militaires au sein du conseil supérieur de la fonction militaire. La protection des membres de ces instances sera garantie. Il n'y avait guère de problèmes à cet égard, mais une telle garantie devrait répondre aux quelques suspicions dont j'ai été informée.

Pour compléter le dispositif de concertation, je vous propose la création d'une commission indépendante d'évaluation, à même de porter un regard sur la condition militaire et la fonction militaire en général. Certains commentaires s'élevant, tantôt pour souligner les privilèges des militaires, tantôt, au contraire, pour dénoncer leur situation très désavantageuse au regard de celle d'autres fonctionnaires ou d'autres corps, il me paraît intéressant, afin que les choses soient bien claires, de nous doter d'une telle commission. Cette dernière devra remettre périodiquement au Président de la République, chef des armées, un rapport faisant état de l'évolution des choses dans ce domaine.

Parallèlement, les grandes règles de gestion des carrières militaires seront modernisées pour répondre, là encore, aux nombreux changements qui sont intervenus.

Tout d'abord, les protections et les droits des personnels sous contrat seront rapprochés de ceux des militaires de carrière. C'est une mesure de cohésion importante car, comme je vous l'ai dit précédemment, les militaires sous contrat sont aussi nombreux aujourd'hui que les militaires de carrière ; ils effectuent la même tâche et partagent les mêmes risques.

Ensuite, les limites d'âge seront rationalisées pour concilier les conséquences de la réforme des retraites et de l'allongement de la durée d'activité, avec l'impératif de jeunesse qui s'impose aux armées, compte tenu des missions qu'elles remplissent.

Parallèlement, le dispositif de reconversion, qui est déjà très avancé à maints égards et dont l'efficacité mérite d'être soulignée - je l'ai dit à beaucoup d'entre vous -, sera encore amélioré, en permettant un meilleur accès des militaires à la fonction publique civile. En effet, certains militaires, notamment ceux qui sont sous contrat, quittent l'armée très jeunes alors qu'ils possèdent un savoir-faire pouvant profiter à la fonction publique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l'esprit qui a présidé à l'élaboration de ce nouveau statut général. Ce dernier résulte plus d'une volonté d'adaptation que d'un désir de révolution. Il ne s'agissait pas, en effet, de tout changer, car nous devons avant tout conserver à nos armées leur efficacité, ce qui nous impose un certain nombre de contraintes.

S'il ne constitue pas une révolution, ce texte contient néanmoins de notables avancées que j'espère avoir démontrées.

Il s'agit des évolutions indispensables pour faire face aux enjeux actuels et futurs de sécurité et de défense, aussi bien dans le domaine de l'emploi des forces que dans celui de la gestion des ressources humaines.

Ce nouveau statut réaffirme les spécificités de l'état militaire et ses contraintes, dont les militaires ne demandent d'ailleurs pas un allégement, sachant qu'elles sont inhérentes à leur mission.

Je note que ce texte a fait l'objet d'un débat extrêmement ouvert dès le début et qu'il a suscité un très large assentiment, comme l'ont montré les auditions organisées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

C'est effectivement ainsi qu'il convient de travailler sur des textes fondamentaux qui sont destinés à durer dans le temps, tout en garantissant le respect de l'une des obligations essentielles de l'Etat, à savoir la défense de notre territoire, la sécurité des Français et le rayonnement de la France.

Je vous remercie par avance, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre participation à ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'actualisation du statut général des militaires répondait à une nécessité après les profondes transformations intervenues dans notre outil de défense depuis près d'une quinzaine d'années.

D'un format plus réduit que par le passé, notre armée s'est réorientée vers les missions de projection. Elle est quotidiennement engagée hors du territoire national au titre d'une large gamme d'opérations, incluant de difficiles missions de gestion de crise.

La professionnalisation constitue une réponse à ce nouveau contexte, mais elle se traduit aussi par des défis à relever en permanence, à travers le recrutement, la formation et une gestion des carrières adaptée aux besoins des armées comme aux aspirations des personnels.

Toutefois, au delà de ces importants facteurs de changement, des éléments de permanence subsistent. Ils ont trait au caractère très spécifique du métier militaire, qui implique la mise en oeuvre des armes et qui crée des obligations et des contraintes, tout comme il justifie des garanties et des compensations.

Dans ces conditions, il était clair que la révision nécessaire du statut général des militaires exigeait une adaptation, beaucoup plus qu'une refonte de la législation existante.

C'est dans cet esprit qu'ont été menés les travaux préparatoires à cette révision, dans le cadre de la commission présidée par le vice-président du Conseil d'Etat, travaux qui ont très largement inspiré le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

Ce texte marque une nouvelle et importante étape dans l'évolution qui a été engagée en 1972 vers l'unicité du statut militaire. Il englobe dans le statut des dispositions qui n'y étaient pas incluses et renforce considérablement la proportion des règles communes qui concernent tous les militaires, quel que soit leur grade, qu'ils servent sous contrat ou comme militaire de carrière. Il permet aussi d'actualiser de très nombreuses dispositions statutaires pour répondre de la manière la plus adaptée possible aux exigences d'une armée professionnelle moderne.

Ce projet de loi recueille globalement un large assentiment, comme nous avons pu le constater lors des différents contacts établis avec toutes les catégories de militaires, des hommes du rang aux officiers généraux. Cela tient en grande partie aux nombreuses consultations qui ont précédé son élaboration. Des préoccupations qui s'exprimaient depuis plusieurs années dans la communauté militaire ont pu être ainsi prises en compte.

Je ne reviendrai pas sur la présentation des différents volets du projet de loi dont Mme le ministre vient de détailler les principaux aspects. Je me limiterai à exposer les principales observations de la commission des affaires étrangères et de la défense.

En premier lieu, le grand chapitre du projet de loi concerne les droits civils et politiques du militaire. Dans ce domaine plus que dans tout autre, la question s'est posée de l'équilibre entre la volonté d'actualiser le statut et celle de maintenir les principes fondamentaux sur lesquels repose la spécificité de l'état militaire, notamment la discipline et la neutralité.

Le texte supprime plusieurs restrictions qui n'étaient plus justifiées et ouvre un champ plus large aux possibilités d'expression des militaires. Il maintient, en revanche, les principes en vigueur concernant l'adhésion aux formations politiques et à des organisations syndicales ou professionnelles.

Fallait-il aller plus loin ? Certains de nos collègues semblent le penser puisqu'ils ont déposé des amendements en ce sens. Pour sa part, la commission des affaires étrangères et de la défense ne souhaite pas modifier l'équilibre défini par le projet de loi, un équilibre qui résulte non pas d'une quelconque timidité ou frilosité, mais bien d'une très ferme conviction : celle de la singularité du métier militaire.

La singularité du métier militaire n'est pas une simple formule d'usage. C'est une réalité sur laquelle s'accordent un grand nombre de nos concitoyens. Devant l'Assemblée nationale, notre collègue député Jean-Michel Boucheron déclarait ceci : « L'armée ne sera jamais un service de l'Etat comme les autres. Jamais on ne devra banaliser l'exercice du métier des armes ».

M. Didier Boulaud. C'est une bonne référence, mon cher collègue !

M. André Dulait, rapporteur. Je suis certain que beaucoup d'entre nous, sur toutes les travées, partagent cette conception que le projet de loi entend préserver.

De nos contacts avec des militaires de toutes catégories, il ressort qu'eux aussi demeurent extrêmement attachés aux principes de discipline et de neutralité.

Certains, il est vrai, ne sont pas insensibles à l'intérêt que pourrait représenter un assouplissement des règles actuelles en vue de pouvoir participer plus activement à la vie citoyenne, par exemple pour exercer des mandats municipaux. Mais, de manière assez unanime, un accord se dégage pour considérer que les risques liés à la politisation sont supérieurs aux bénéfices que l'on pourrait retirer d'une modification du texte sur ce point.

Nous nous sommes demandés si le fait, pour nos soldats, de participer à des opérations multinationales aux côtés d'armées étrangères pouvait les amener à souhaiter un alignement sur certains statuts en vigueur dans d'autres pays. Nous avons constaté que la plupart de nos partenaires appliquent un régime particulier à leurs militaires en matière de droits civils et politiques, avec, dans la plupart des cas, des restrictions comparables aux nôtres.

Une étude comparative menée par les services du Sénat voilà deux ans a montré qu'une minorité d'entre eux reconnaissaient une forme de droit syndical, et ce parfois dans des conditions très spécifiques, assez étrangères à nos traditions nationales. On cite souvent le cas de l'Allemagne, mais sait-on que la principale organisation professionnelle de militaires dans le pays compte parmi ses membres le ministre de la défense lui-même ? Chez nous, cela ne serait pas très facile à mettre en place !

M. Didier Boulaud. On n'est jamais trop prudent ! (Sourires.)

M. André Dulait, rapporteur. En tout état de cause, nous avons recueilli de nos contacts l'impression très nette que, aux yeux de nos militaires, l'expérience des opérations multinationales confortait les principes de notre statut général. Le professionnalisme de nos armées sur les théâtres extérieurs est largement reconnu et nos militaires en sont fiers. Ils sont conscients des risques qu'il y aurait à affaiblir la cohésion et l'efficacité opérationnelle des unités.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées approuve donc les principes retenus par le projet de loi en matière de droits politiques, comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux.

Nous croyons, en revanche, devoir insister sur l'attachement des personnels à la concertation au sein des armées. Les actuelles instances de concertation - en premier lieu, le Conseil supérieur de la fonction militaire- sont confortées par le projet de loi. Un chapitre du nouveau statut général des militaires leur est consacré, alors qu'elles étaient jusqu'alors régies par une loi spécifique. Le statut des représentants des personnels est renforcé pour garantir le libre exercice de leur mandat.

Au-delà de ces améliorations législatives, madame le ministre, c'est la pratique qui permettra à ces instances d'être davantage en prise directe avec les personnels et de devenir le lieu d'échange et d'information auquel aspirent les militaires. Nous souhaitions souligner ce point, madame le ministre, afin que ce souci soit pris en compte non seulement dans les textes d'application, mais également dans les modalités concrètes de fonctionnement des conseils d'armée et du CSFM.

J'ajoute enfin que l'instance d'évaluation de la condition militaire prévue par le projet de loi a créé une forte attente. Nous y voyons un complément particulièrement nécessaire au dispositif de concertation. Le malaise diffus qui s'est déclaré dans les armées voilà un peu plus de trois ans démontre l'intérêt d'une telle instance, capable de fournir aux responsables une information objective permettant de définir une véritable politique de la condition militaire.

J'en viens maintenant au deuxième grand volet du projet de loi, qui concerne les protections et garanties accordées aux militaires.

Comme vous l'avez souligné, madame le ministre, c'est certainement dans ce domaine que le projet de loi s'avère le plus novateur et qu'il apporte les plus grandes avancées, lesquelles ont été saluées, à juste titre, par les représentants de la communauté militaire.

Le projet de loi introduit dans les protections et garanties accordées aux militaires par leur statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes aux situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel.

S'agissant de la protection pénale dont bénéficient les militaires en opérations, nous savons que le droit actuellement applicable hors des situations de guerre est celui de la légitime défense, qui encadre de manière très limitative les conditions d'usage de la force. Ces restrictions placent nos militaires dans des situations extrêmement difficiles sur le terrain.

Un texte de loi ne pourra certes jamais couvrir l'extrême variété de situations rencontrées sur le terrain, mais l'article 17 du projet de loi apporte une amélioration très importante au travers d'une règle simple : il vise à établir une disposition spécifique aux opérations militaires se déroulant hors du territoire français, à savoir une exonération de la responsabilité pénale du militaire qui exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force dès lors que cela est nécessaire à l'accomplissement de la mission et qu'il agit bien entendu dans le respect des règles du droit international. La référence à l'accomplissement de la mission couvre un nombre de situations beaucoup plus large que la légitime défense et permet notamment d'assurer la protection de points sensibles même si le militaire n'est pas confronté à une menace sur sa personne.

Ces dispositions, rappelons-le, sont destinées à être appliquées par le juge pénal français, en l'occurrence le tribunal aux armées de Paris, seul compétent pour connaître d'éventuelles infractions commises par les militaires français à l'étranger. Cette juridiction disposera désormais d'un cadre légal indiscutable, afin de mieux tenir compte des conditions parfois difficiles dans lesquelles nos militaires accomplissent leur mission. Ces dispositions sont, par ailleurs, cohérentes avec les accords de défense ou de stationnement des forces conclus avec les pays étrangers et qui prévoient la compétence de la juridiction française, tout comme avec le dispositif de la Cour pénale internationale, cette dernière ne pouvant intervenir qu'en cas de carence des juridictions nationales.

Dans le même esprit, le projet de loi clarifie les conditions d'usage de la force sur le territoire national, dans le cadre de la protection des zones de défense hautement sensibles.

Le projet de loi permet également de réaliser une seconde avancée dans le domaine, cette fois-ci, de la prise en charge des blessures survenues en opérations.

Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments. Il s'agit d'une extension notable de la protection sociale du militaire en opérations. Nous avons constaté qu'elle était ressentie d'une manière très positive, compte tenu de la situation relativement défavorable dans laquelle étaient maintenus les militaires par rapport à d'autres professions qui sont appelées à effectuer des missions à l'étranger.

L'Assemblée nationale a abordé la difficile question des maladies contractées en opérations. Il est évident que ces maladies peuvent se révéler des mois, voire des années, après le retour de mission. La présomption d'imputabilité au service ne peut donc jouer de la même manière que lorsque les blessures sont constatées instantanément.

L'Assemblée nationale a toutefois apporté deux améliorations au texte actuel. Elle a porté de trente jours à soixante jours après le retour d'opération la période au cours de laquelle une maladie déclarée est réputée imputable au service, ce qui semble de nature à faciliter les réparations pour les intéressés. Elle a également prévu la possibilité, pour les militaires concernés, de bénéficier, avant ce délai de soixante jours, d'un contrôle médical approfondi destiné à déceler d'éventuelles affections.

Nous vous proposerons, quant à nous, d'inscrire le principe de ce contrôle médical dans le statut général des militaires lui-même et de l'étendre à toutes les missions opérationnelles, et non pas seulement à celles qui sont reconnues comme étant des opérations extérieures.

J'en viens à la troisième partie du projet de loi, qui est consacrée au déroulement et à la gestion des carrières militaires.

Elle reprend de nombreuses dispositions de l'actuel statut, mais elle apporte, elle aussi, des avancées intéressantes que notre commission a approuvées.

Je citerai, tout d'abord, la volonté d'aligner, chaque fois que cela est possible, la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière. Ce sera le cas pour de nombreuses dispositions statutaires, notamment, par exemple, l'accès à certaines positions comme le détachement ou les possibilités d'intégration dans la fonction publique. Cela se traduira également en termes de droits sociaux. Ainsi, les militaires non officiers sous contrat radiés des cadres par suite d'infirmités bénéficieront d'une pension militaire dans les mêmes conditions que leurs camarades de carrière, ce qui mettra fin à une discrimination injustifiée.

Par ailleurs, le projet de loi procède à une refonte du régime des sanctions disciplinaires, inspirée d'un souci de rapprochement avec la fonction publique civile et d'un renforcement des garanties accordées aux militaires.

Ainsi, le nouveau statut se conformera aux grands principes du droit de la défense. Je crois savoir que les textes d'application en cours d'élaboration ont déjà reçu un accueil favorable du Conseil supérieur de la fonction militaire.

En matière de recrutement, le projet de loi apporte deux innovations.

Tout d'abord, il redéfinit les conditions d'accomplissement d'un volontariat dans les armées. Cette formule instaurée lors de la suspension du service national a, en effet, rencontré un écho inégal. L'armée de terre a ainsi été amenée à réduire très sensiblement le nombre de postes de volontaires, dont beaucoup n'étaient pas pourvus, et à les transformer, en partie, en postes d'engagés. Le nouveau statut apportera beaucoup plus de souplesse au volontariat. Sa durée minimale, fixée par décret, pourra être inférieure à un an. Le volontariat pourra également être fractionné. Ces nouvelles dispositions devraient ouvrir de nouvelles perspectives en matière de recrutement des volontaires, ce type de contrat pouvant jouer un rôle très utile en prélude à un engagement dans l'armée d'active ou dans la réserve.

Ensuite, la création d'une nouvelle catégorie, celle des militaires commissionnés, répond, elle aussi, à un objectif de souplesse. Nous avons bien compris qu'elle concernera des recrutements exceptionnels, en nombre très limité. Elle pourra néanmoins fournir aux armées certaines compétences dont elles ont besoin, y compris en faisant appel à des spécialistes étrangers.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, vous avez réaffirmé, madame le ministre, la place qui revient à la réserve opérationnelle dans le fonctionnement de nos forces armées. Le texte est clair sur ce point puisqu'il précise les dispositions s'appliquant au réserviste, militaire à part entière dès lors qu'il se trouve en activité.

Le projet de loi consacre également deux chapitres à la reconversion des militaires, soit dans le cadre d'un accès à la fonction publique civile, soit dans le cadre d'aides permettant de préparer une seconde carrière dans le secteur privé. Il s'agit là d'une question majeure qui influe directement sur l'attractivité des carrières, et donc sur le succès du recrutement.

S'agissant de la reconversion dans la fonction publique, on ne peut que se féliciter de voir le nouveau statut intégrer et pérenniser les dispositions de la loi de 1970 ouvrant aux officiers l'accès à des emplois proposés par les administrations civiles, y compris les collectivités territoriales et les hôpitaux.

Ces dispositions auront un caractère permanent, mais, surtout, elles seront étendues à tous les militaires, de carrière ou sous contrat, quel que soit leur grade. La commission s'est félicitée de cette extension potentielle très importante du nombre de bénéficiaires. Il reste bien entendu à donner à ces dispositions toute leur portée en convainquant les administrations civiles de proposer un nombre significatif de postes.

Enfin, parmi les nombreuses modifications proposées par le projet de loi figure la modification du mode de désignation des officiers généraux. Chacun reconnaît le caractère très insatisfaisant de la pratique des nominations à titre conditionnel qui rendait toutes théoriques les limites d'âge de la première section.

Suivant les recommandations de la commission Denoix de Saint Marc, vous avez proposé, madame le ministre, un dispositif plus transparent pour satisfaire des objectifs sensiblement analogues, à savoir maintenir un flux suffisant de promotion aux grades d'officiers généraux.

Au total, les nouvelles règles applicables aux officiers généraux devraient se traduire par un recul d'un an environ de l'âge moyen réel de départ. Maintenu à soixante et un ans, l'âge maximal de service en première section pour les officiers des armes reste inférieur à celui qui est en vigueur dans la fonction publique civile pour les corps de niveau équivalent. Un recul de cet âge maximal aurait cependant abouti à retarder l'avancement dans tous les autres grades d'officiers.

La commission Denoix de Saint Marc a estimé nécessaire que la suppression des nominations à titre conditionnel soit assortie de mesures d'accompagnement, en particulier d'une revalorisation de l'échelle indiciaire pour les emplois supérieurs. Il est assez étonnant de constater que, selon les chiffres qu'elle a cités, le nombre d'emplois dits « hors échelle », c'est-à-dire correspondant aux indices les plus élevés, ait pratiquement doublé en quinze ans dans la fonction publique civile alors qu'il a diminué, dans le même temps, dans les armées. Cela comporte un risque évident pour l'attractivité de la carrière militaire.

C'est pourquoi il paraît nécessaire que la mise en place du nouveau statut et des nouvelles limites d'âge s'accompagne, de manière plus générale, d'une réflexion globale sur les perspectives de carrière offertes aux militaires et sur les aménagements à y apporter.

Pour conclure, j'indiquerai que l'Assemblée nationale n'a que peu modifié le texte sur le fond, confortant les équilibres généraux du projet de loi et apportant plusieurs compléments qui s'inscrivent dans l'esprit du texte initial du projet de loi et permettent de l'améliorer. Elle a également pris en compte certaines préoccupations particulières, notamment celles des retraités militaires, dont les droits figurent désormais explicitement dans le statut, ce dont nous nous félicitons.

Le projet de loi a recueilli le vote favorable de trois des quatre groupes parlementaires de l'Assemblée nationale, le groupe des députés communistes et républicains ayant, quant à lui, opté pour une abstention que son représentant a qualifié de « positive ». (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

C'est donc un texte très consensuel qui nous revient de l'Assemblée nationale, et les amendements que vous proposera la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n'en modifieront pas la physionomie générale.

Sous réserve de ces quelques amendements, la commission vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi qui modernise le statut de nos militaires et comporte des avancées significatives, en particulier pour la protection de nos militaires en opérations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, rassurez-vous, je n'utiliserai pas les soixante-quinze minutes qui sont dévolues à mon groupe ! (Rires, exclamations et applaudissements.) Il faut savoir plaire au tribunal ! (Sourires.)

J'introduirai mon propos par une brève observation préliminaire.

Sous l'autorité de M. le Président de la République, vous faites montre, madame le ministre, d'une véritable, d'une grande, d'une précieuse ambition pour nos armées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Carle. Tout est dit !

M. Jacques Peyrat. Vous nous avez proposé, en 2003, une importante loi de programmation militaire, pour laquelle vous avez su, d'année en année, obtenir, avec notre soutien, le budget adéquat. Et vous nous soumettez aujourd'hui ce projet de loi qui adapte, simplifie et modernise le statut général des militaires.

Ce texte est le fruit d'une intense et fructueuse réflexion dont le rapport de la commission de la révision du statut général des militaires, présidée par Renaud Denoix de Saint Marc - parent d'un des plus grands officiers qu'ait connus l'armée française -, est l'expression.

Partant de ce grand rapport, vous avez fait des choix qu'il nous revient de discuter. J'ai quelque mérite à le faire, madame le ministre, représentant ici un département sans troupe, si l'on excepte une base aérienne de radars.

Plus de trente ans après la loi de 1972, ce nouveau statut ne constitue pas, vous l'avez rappelé, une révolution. Mais c'est, à mes yeux, une refondation.

Ce statut offre l'occasion de s'interroger sur la place de l'armée dans notre démocratie contemporaine. Notre nation, et c'est heureux, ne vit plus sous la menace d'une guerre à ses frontières. Plus que jamais, notre société est acquise aux dividendes de la paix dans une Europe démocratique. Elle en oublierait presque, parfois, que la condition de cette paix repose sur la capacité à se défendre et, de plus en plus, à s'interposer ou à intervenir dans les régions du monde les plus périlleuses.

Depuis 1972, il s'est produit une révolution : l'armée n'est plus le passage obligé de tous les citoyens. L'« armée de métier », si longtemps annoncée, nous y sommes enfin ! Le souvenir, glorieux et terrible, des armées de conscrits s'éloigne dans les méandres douloureux de la mémoire historique : la Grande Guerre, la Deuxième Guerre mondiale, l'Indochine, l'Algérie.

Mais, pour autant, nous n'en avons pas nécessairement fini avec le prix du sang...

Tocqueville faisait cette réflexion profonde : une société démocratique désire naturellement la paix, mais, pour l'obtenir, elle doit savoir honorer son armée, afin que ceux qui se consacrent à la carrière militaire soient des gens honorables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Rien n'est plus dommageable, pour une nation démocratique, qu'une armée négligée, déconsidérée, voire méprisée. La France a cette chance d'avoir toujours su, au cours de son histoire, honorer la carrière des armes. Et ce projet de loi l'atteste, qui propose un statut rénové, mais fidèle à la tradition française.

La force du projet de loi peut se résumer en une formule simple : il maintient le bon équilibre et la juste mesure entre les deux identités du militaire, celle qui fait de lui un citoyen à part entière et celle qui l'inscrit dans un métier à part, celui des armes.

Ce nouveau statut général des militaires récapitule tout ce que notre nation démocratique exige de ses militaires, mais également tout ce qu'en retour elle leur doit. Parce que c'est une chose bien extraordinaire que d'être prêt à mourir pour sa patrie. Or tel est l'ordinaire de l'état militaire. C'est, comme le rappelle l'article 1er du projet de loi, l'« esprit de sacrifice » qui fait le soldat.

La professionnalisation de l'armée, dit-on souvent, et à juste titre, comporte le risque de relâcher le lien, indispensable à notre République, entre l'armée et la nation. Mais si le lien social de la conscription se distendait, c'est un lien moral qu'il faudrait réaffirmer. Le militaire prend les armes au nom de la France, et pour la France. A présent, c'est au service de la paix et de la liberté dans le monde, à titre de la prévention et de la gestion des risques, le plus souvent dans le cadre de coopérations internationales, avec le concours de nos alliés et, de plus en plus, dans le contexte de l'Union européenne.

Dans ce projet de loi, un choix essentiel a été fait, et c'est le meilleur choix : celui de continuer à soumettre les militaires à un régime juridique qui, pour être le plus possible rapproché de celui des civils, et en premier lieu des fonctionnaires civils, demeure spécifique. Si statut général des militaires il doit y avoir, c'est que le métier des armes demeure à part.

Ce choix a été opéré en matière de droits civils et politiques : les militaires, rappelle l'article 3, « jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens », mais « l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint » ; c'est l'application des principes de « discipline », de « disponibilité » et, vous l'avez rappelé, madame le ministre, de « neutralité. »

Il y avait là une question de fond, presque une querelle philosophique. Affirmer la neutralité du militaire, c'est nécessairement lui demander de se mettre à l'écart de la vie politique, mais non de la vie de la cité.

Le nouveau statut reprend donc l'interdiction, pour un militaire en activité, d'adhérer à un parti politique. Il l'oblige à se mettre en disponibilité dans le cas où il voudrait exercer un mandat électif. En matière de liberté d'expression et de communication, l'évolution se fait intelligemment et prudemment. L'autorisation préalable du ministre est abandonnée afin de permettre aux militaires d'être plus visibles dans la cité. Bien sûr, par principe, certains peuvent s'opposer à toutes les restrictions. Mais ces choix sont guidés autant par la tradition que par la raison.

Il eût été possible de rapprocher les conditions d'embauche des militaires de celles des autres fonctionnaires. Mais, là encore, c'eût été déraisonnable : on ne s'engage pas dans l'armée comme on rentre dans une administration ; c'est du moins ce que je crois.

Toutefois, et c'est l'un des enjeux du projet de loi que vous nous proposez, il s'agit d'approfondir le mouvement vers l'unification du statut militaire. Ainsi, autant que faire se peut, le nouveau statut aligne la condition des militaires sous contrat sur celle des militaires de carrière, l'objectif étant de renforcer la cohésion de nos armées parce que, au combat, le risque est le même pour toutes les catégories de militaires.

Le nouveau statut permettra aussi à nos armées devenues professionnelles de relever un triple défi en matière de recrutement : le défi de l'attractivité du métier militaire, celui de la fidélisation des recrues et, enfin, celui de la cohésion essentielle de nos soldats.

Toute armée, fût-ce celle d'un pays en paix avec ses voisins et fût-elle professionnelle, doit demeurer composée pour l'essentiel de jeunes gens. Ainsi, par ce nouveau statut, il s'agit d'assurer à l'armée professionnalisée le renouvellement indispensable de ses cadres et d'attirer vers elle les spécialistes dont elle a besoin. Une armée de professionnels est une armée capable d'attirer les scientifiques et les techniciens qui lui sont nécessaires pour être opérationnelle. C'est une armée de plus en plus « confrontée » à des civils. Et surtout, c'est une armée dans laquelle les militaires sous contrat, qui commencent leur parcours professionnel sous les armes, sont majoritaires.

Le nouveau statut est à la hauteur du défi que constitue ce bouleversement sociologique.

Mais l'armée professionnelle, pour être attractive, doit être une armée qui professionnalise, en offrant, à ceux qui font le choix de servir, une meilleure visibilité de leur carrière et la possibilité de saisir des opportunités professionnelles au-delà de leur engagement dans l'armée. C'est une attente, une exigence légitime tant des militaires de carrière que des militaires sous contrat.

Les dispositions qui vont dans ce sens sont nombreuses.

Des droits sociaux élémentaires sont accordés aux militaires sous contrat, comme le droit à une allocation chômage.

Les dispositifs ouvrant des voies d'accès à la fonction publique sont inscrits dans le statut. Il ne doit pas simplement s'agir là d'un voeu pieux : les ressources humaines que représente le vivier des militaires pour le service de la nation, que ce soit au niveau de l'Etat ou dans les collectivités territoriales, demeurent sous-exploitées. Madame le ministre, pourrez-vous nous donner des engagements pour que ces dispositifs ne restent pas sans usage ? En 2004, je le signale, aucun poste d'administrateur civil n'a été proposé à des militaires.

Le nouveau statut développe enfin les dispositifs de reconversion ou de retour à la vie civile.

Une armée professionnelle est une armée qui adopte des méthodes modernes en termes de gestion des personnels militaires. Toutes ces mesures vont dans le bon sens. Elles peuvent néanmoins susciter parfois des interrogations légitimes.

L'esprit de cohésion est au coeur de la condition militaire : la tendance à l'unification des statuts que propose le projet de loi le renforce. Toutefois, madame le ministre, il est une disposition qui inquiète certains militaires, la rémunération au mérite, car elle leur apparaît de nature à remettre en cause cette cohésion.

Ne nous y trompons pas : l'armée est attachée à la récompense du mérite ; elle est même, dans notre histoire, la première école du mérite. Les décorations sont autant de distinctions qui l'établissent. Mais la part symbolique de la reconnaissance de la valeur militaire doit l'emporter sur la part matérielle. Le principe des primes au mérite, lié à la nouvelle bonification indiciaire destinée à tous fonctionnaires, ne risque-t-il pas de provoquer d'inutiles tensions ?

Vous y êtes certainement sensible, madame le ministre, et je suis assuré que vous saurez appliquer ces dispositions nouvelles avec finesse et pédagogie.

Permettez-moi une réflexion personnelle : il ne faudrait pas que la prime vienne amenuiser ou faire disparaître la reconnaissance qui s'attache à la décoration ni la fierté légitime de celui qui la conquiert.

Je l'ai déjà dit et je le répète, ce nouveau statut tire les conclusions de la fin de la conscription et il pose les fondations d'une armée française nouvelle, respectueuse de ses traditions et de son histoire.

Mais le nouveau statut général des militaires ne répond pas seulement aux défis de la professionnalisation. En effet, si les temps changent, c'est d'abord que la société change. Les mentalités évoluent. Notre société est plus individualiste. Chacun y semble plus attaché à ses intérêts immédiats et personnels. La quête du bien-être et le désir de sécurité envahissent toutes les strates et gagnent tous les milieux.

Comment, dès lors, maintenir ces activités qui, par essence, supposent une vocation, appellent un dévouement, exigent un don de soi, voire la capacité au sacrifice de soi-même, activités au premier rang desquelles se range le métier des armes ?

Il faut tenir compte des demandes nouvelles. Mais il faut aussi résister à une évolution vers le chacun-pour-soi et réaffirmer les grands principes sans lesquels il n'est pas de vie en commun.

C'est cela que le statut réalise non seulement pour les militaires auxquels il s'adresse, mais aussi pour chaque citoyen. Il montre à chacun d'entre eux, à chacun d'entre nous, ce qui fait la valeur militaire.

Si les militaires sont des citoyens à part entière, ce sont aussi des hommes, et de plus en plus des femmes, qui font le choix d'un métier à part.

Le nouveau statut tend à leur accorder les mêmes droits qu'un civil, dès lors que la restriction est désuète ou inutile. Il en est ainsi de la fin du contrôle sur la vie privée et sur le lien matrimonial des militaires que l'ancien statut permettait.

J'ai parlé de l'interdiction de militer. Mais l'interdiction d'adhérer à un syndicat fait l'objet d'une discussion, parfois éclairée par des exemples étrangers, comme ceux de l'Allemagne ou du Royaume-Uni. Le nouveau statut maintient l'habitude française, ce qui ne signifie toutefois pas que les militaires n'ont pas leur mot à dire sur ce qui les concerne.

L'éthique militaire française met au premier plan le principe de la cohésion et de la concertation. C'est ce que propose le nouveau statut en reconnaissant le rôle et la composition des conseils de la fonction militaire dans chaque arme, et du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Ce nouveau statut permet également aux militaires d'être plus visibles dans l'espace public. L'un des instruments de cette meilleure visibilité et de cette présence plus forte dans la société sera le Haut comité d'évaluation de la condition militaire, lequel, comme le demande la commission des affaires étrangères du Sénat, devrait remettre un rapport annuel au Président de la République. Toutefois, de mon point de vue, il serait judicieux qu'il fasse une place à des parlementaires, comme l'a d'ailleurs prévu l'Assemblée nationale.

L'esprit de discipline est également au coeur de l'éthique militaire. Mais il ne délimite pas un cadre dans lequel l'individu est privé de ses droits. Le nouveau statut les formalise, les sanctions sont rationalisées. C'est bien ! La transparence ne nuit pas à l'obéissance.

Madame la ministre, vous avez su adapter le statut tout en conservant l'esprit. Bravo !

Mais il est une autre réalité qui a changé et qui est plus impérieuse encore pour le métier des armes : la guerre, loin de disparaître, revêt maintenant de nouveaux oripeaux. Elle est, en un sens, plus présente que jamais : elle n'est plus déclarée ; elle n'a pas plus de fin. Les derniers conflits impliquant notre pays, tant en Indochine qu'en Algérie, nous avaient fait déjà découvrir la guerre subversive, si bien d'ailleurs que l'on n'avait pas su la concevoir comme une guerre... et qu'on l'avait camouflée en opération de police.

Il y a là un paradoxe que nos concitoyens ne mesurent pas suffisamment : alors que la menace de la guerre s'éloigne de plus en plus de leur horizon quotidien, nos militaires sont, pour leur part, de plus en plus souvent exposés au feu. Leur quotidien à eux, ce sont ces pays du monde qui ne connaissent pas la douceur de la paix démocratique et qui sont, selon la formule consacrée, des zones de non-droit, en proie aux violences, aux destructions, aux guerres civiles, voire au chaos, le plus souvent sous un climat et dans un environnement qui ne sont pas les nôtres.

La guerre est donc sortie de son cadre traditionnel. C'est sur ce nouveau théâtre, qui n'est pas juridiquement une guerre, que nos soldats sont déployés dans ce que l'on appelle des « opérations extérieures ». Nos concitoyens ont ainsi entendu parler de leur présence au Kosovo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire. Ces opérations extérieures mobilisent, sur une année, plus de 40 000 soldats français. Le sait-on ?

Ces soldats ne risquent pas seulement leur vie, mais se retrouvent dans une véritable situation d'insécurité juridique, et ce au nom de la France et parce qu'ils sont au service de la paix et d'une certaine idée de la démocratie. Ils ne sont pas assurés d'être couverts au cas où ils seraient victimes d'un accident. Ils ne sont pas assurés d'être pénalement protégés au cas où ils auraient simplement rempli leur mission. Voilà ce que nos juridictions négligent. Voilà ce que nos concitoyens ignorent. Et voilà ce que ce texte vise à corriger.

Jusqu'à présent, les garanties et protections de nos militaires dans les opérations extérieures relevaient d'une accommodation acrobatique de la loi du 6 août 1955, destinée, à l'époque, aux opérations de police en Afrique du Nord, pour le « maintien de l'ordre dans certaines circonstances » ! Or les conflits dans lesquels se trouvent plongés nos soldats ne relèvent pas d'opérations de maintien de l'ordre.

Parce que notre pays sait ce qu'il doit à ses soldats, voilà ce que ce projet de loi tend à rectifier !

Le principe de l'imputabilité des blessures au service est étendu à toute la durée d'une mission opérationnelle, en y incluant les périodes de détente.

Le dispositif est-il suffisant ? Prend-il adéquatement en considération les risques de maladies qui peuvent être détectées tardivement, mais n'en sont pas moins liées au service ? L'Assemblée nationale a porté le délai de constatation de trente à soixante jours après le retour d'une opération. C'est mieux, mais c'est peu. Si le principe d'un « dépistage médical » au retour d'une mission est adopté, ce sera encore mieux et presque bien. En effet, s'il faut bien une limite à la présomption d'imputabilité, celle-ci paraît raisonnable.

Souffrez que je vous dise, madame la ministre, que pendant les quelque vingt années qui ont suivi la guerre d'Indochine, j'ai plaidé devant le tribunal des pensions militaires pour faire reconnaître la dysenterie amibienne, le paludisme, la dengue, la dartre annamite, et beaucoup d'autres maladies totalement inconnues et qui se révélaient si longtemps après. Châtel-Guyon et Vichy en ont fait leur litière !

L'autre grande insuffisance du statut de 1972 concerne la responsabilité juridique des militaires dans le cadre des opérations extérieures. Si le cadre juridique actuel, établi par l'article 59 du code de justice militaire, pose que le militaire en opération extérieure relève de la loi française, c'est dans le cadre de la légitime défense et du principe de nécessité que son action peut être jugée, comme pour un policier sur le sol français !

Sur le théâtre de guerres civiles, cela revient à désarmer des soldats qui, bien souvent, ne peuvent être que les spectateurs impuissants de conflits qu'ils sont censés apaiser. Tant que leur vie n'est pas explicitement menacée, ils sont censés n'appartenir qu'à une armée de papier ! Parce que notre pays sait la grandeur de la mission que remplissent nos soldats, voilà ce que le projet de loi portant statut général des militaires vient, heureusement, rectifier.

Le nouveau statut maintient le principe de la responsabilité individuelle du militaire, mais il établit, légalement, le cadre d'une opération extérieure et indique que le juge évaluera l'action d'un militaire dans le contexte de ce qui « est nécessaire à l'accomplissement de sa mission » et non plus sur la base de la simple légitime défense, qu'il a toujours été très difficile de prouver. Le progrès est réel.

Le nouveau statut protège, mais surtout il responsabilise. La protection juridique trouve son corollaire dans la rationalisation du régime disciplinaire. Là encore, toute la difficulté du projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, est de tracer la ligne de démarcation entre les droits reconnus à tous et les obligations spécifiques liées à la condition militaire.

Le grand historien Fustel de Coulanges observait que « l'état social et politique d'une nation est toujours en rapport avec la nature et la composition des armées ». C'est la raison pour laquelle ce projet de loi portant statut général des militaires revêt une telle importance.

Avec l'actuel statut, l'Etat n'était pas en mesure d'accomplir son devoir de protection envers ceux qui avaient choisi de le défendre. Le nouveau statut restaure les conditions d'acquittement de cette obligation morale, qui est celle de la nation.

A travers le lien rénové qui se noue ainsi entre notre nation et son armée, au regard de la place que nous réservons à la vocation militaire, mise au service de la paix et de la liberté, c'est notre ambition qui s'exprime, celle de maîtriser notre destin et de continuer à peser un peu sur le cours du monde.

Oui, c'est bien notre état social et politique qui se révèle, car n'oublions jamais qu'il n'est pas de politique étrangère sans une armée opérationnelle et protégée.

Telles sont, madame la ministre, les raisons pour lesquelles le groupe auquel j'ai l'honneur d'appartenir, après en avoir débattu, votera sans hésitation le projet de loi que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte, comme l'a déjà souligné M. le rapporteur, vient à temps pour modifier la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires. Il prend en compte les évolutions de la société, tout en préservant les caractéristiques essentielles de l'état militaire : discipline, neutralité, disponibilité et loyalisme.

La communauté militaire a dû progressivement s'adapter aux nécessités du temps. La place et l'image du militaire dans la société, ses rapports avec la nation sont autant de variables qui ont évolué dans l'histoire en fonction de la nature des régimes et des comportements sociaux qui se sont succédé.

Les caractéristiques historiques, qui sont au fondement du statut général des militaires, conditionnent de façon très forte l'efficacité de nos armées.

Ces grands principes historiques et essentiels nécessitaient aujourd'hui une actualisation. Plusieurs raisons l'exigeaient : l'évolution récente du cadre juridico-législatif régissant les conditions de vie des militaires, la transformation de notre société et de ses habitudes.

C'est d'ailleurs en tirant la leçon de ces évolutions de la société et de l'environnement géostratégique du pays que le Président de la République décidait, en 1996, de professionnaliser les armées et de suspendre la conscription. La loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national a profondément modifié l'organisation de la défense française : elle a bouleversé les équilibres et les liens entre la nation et ses armées et a fait apparaître des enjeux nouveaux, que le présent projet de loi prend en considération.

L'évolution la plus flagrante est la technicité croissante du métier de militaire. Les évolutions techniques ont, c'est vrai, rendu moins pénibles le métier ainsi que les conditions de déroulement des missions. Une évolution de la durée des carrières était donc souhaitable : ce projet de loi le propose.

Compte tenu de la spécialisation technique de certains métiers, il est aujourd'hui réellement nécessaire de fidéliser les techniciens des armées, qui, compte tenu de leurs compétences, pourraient être tentés, et ils le sont, de partir dans le secteur civil.

La nature des interventions a aujourd'hui évolué. Le plus souvent, nos forces armées sont amenées à intervenir lors de crises sur des terres éloignées. Elles peuvent servir de force d'interposition : il suffit de penser à la Côte d'Ivoire. Cette situation nécessitait une adaptation statutaire et un renforcement des garanties en matière de protection sociale et juridique, principalement du fait de l'évolution du régime de responsabilité. Sur ce point particulier, je tiens, au nom de mon groupe, à saluer les avancées apportées par le projet de loi.

Un autre aspect semble très important, celui de la place du militaire dans la société dans un moment où l'armée y joue un rôle de plus en plus important : guerre contre le terrorisme, bouleversement de l'ordre international, rééquilibrage des forces mondiales, respect des accords de non-prolifération des armes de destruction massive. L'armée intervient aussi dans les opérations de rétablissement de la paix, lors de catastrophes naturelles, mais aussi pour protéger la population sur le territoire national - ceux qui prennent le train le savent bien.

Le citoyen est, directement ou par le biais des médias, en contact régulier avec nos troupes, dont les actions peuvent désormais se mesurer au quotidien.

L'évolution des droits et libertés des militaires était nécessaire, d'autant que demeuraient, dans l'ancien statut général, des devoirs et obligations d'un autre temps. Vous en avez parlé, madame la ministre, et, de ce point de vue, le texte apporte une avancée significative.

Enfin, vous me permettrez d'émettre quelques réserves.

Si le présent projet de loi représente un grand progrès par rapport à la loi de 1972, il n'en reste pas moins qu'il ne nous semble pas tout à fait assez novateur en ce qui concerne la représentation des intérêts des militaires.

L'article 18 prévoit, certes, la mise en place d'instances consultatives, mais ces dernières nous paraissent trop complexes dans leur mode de désignation et nous en regrettons le caractère uniquement consultatif. Il conviendra donc, madame la ministre, de bien évaluer les résultats obtenus par ces instances pour éviter d'éventuels mécontentements.

L'évolution du statut avait également été rendue nécessaire par l'évolution du droit, notamment en ce qui concerne le régime des sanctions, que vise à rénover le texte. L'évolution de la jurisprudence du Conseil d'Etat ayant conféré une plus grande protection aux militaires, cette évolution était nécessaire. Je regrette, cependant, que la hiérarchie des sanctions disciplinaires soit désormais déconnectée de celle qui est en vigueur au sein de la fonction publique.

De la même façon, il est dommage que la suppression par l'Assemblée nationale de la notion de rémunération au mérite conduise à une seconde déconnection par rapport à ce qui se pratique aujourd'hui dans la fonction publique d'Etat. On y assiste, en effet, peu à peu, à une évolution concertée vers un mode de carrière et de rémunération au mérite, en particulier avec le système des primes proportionnelles au service rendu. Je considère donc souhaitable que ce principe soit rétabli dans le texte, à l'instar de ce que nous vous proposons et de ce que vous propose M. le rapporteur.

Ce dernier a dissipé une inquiétude quant à la position des militaires en retraite, qui ne doivent pas être écartés du présent statut. Leurs liens avec la communauté militaire devaient être préservés. Ils le sont désormais.

Pour conclure, je souhaite féliciter M. Dulait pour son rapport, dont la lecture permet de bien comprendre tous les aspects du texte, et je vous remercie, madame la ministre, pour la qualité législative de votre texte : je rappelle que le précédent statut comptait tout de même près de quatre cents articles, alors que celui-ci n'en contient plus que cent.

Le présent projet de loi possède donc une qualité que nous ne retrouvons pas assez souvent dans les textes qui sont soumis à notre examen : il se concentre sur des mesures qui relèvent bien de la compétence du législateur. Il suscitera, en cela, notre attention et notre intérêt.

Le groupe UC-UDF votera pour votre texte, madame la ministre, en espérant qu'il sera assorti de quelques-uns des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'image de la société dans laquelle nous vivons, le visage de l'armée française a subi des mutations profondes.

La France et le monde de 1972 ne sont plus et, de ce fait, l'actuel statut des militaires est devenu obsolète sur de nombreux points.

Evolution des temps, évolution de l'économie, évolution du cadre de vie : autant d'aspects qui rendaient nécessaire une refonte de ce statut.

Il faut dire que l'armée a changé, en premier lieu, du fait de la professionnalisation et de la suspension du service national.

Ces changements concernent, tout d'abord, la détermination de notre politique de défense, qui doit faire face à la mise en oeuvre d'une défense européenne, ainsi que le recours aux OPEX, généralement menées sous mandat international.

Missionnaires de la paix au Kosovo ou en Afghanistan, où ils ont laissé une bonne image, les militaires ont parfois été obligés de se servir de leurs armes, ce qui souligne la complexité et la dangerosité de leur mission, sans compter qu'ils ont participé de nombreuses fois aux secours lorsque des catastrophes naturelles sont survenues.

Ces changements concernent, ensuite, la personnalité même des hommes... et des femmes, de plus en plus présentes, puisqu'elles représentent 18 % des effectifs de l'armée d'aujourd'hui.

Les mentalités changent. Oui, les militaires servent notre pays, mais ils n'en sont pas moins des êtres humains et ils tendent de plus en plus à affirmer cette dimension, tout en gardant bien à l'esprit la spécificité de la mission qui leur incombe.

Enfin, c'est la structuration propre à l'armée, avec la professionnalisation et la suspension de la conscription, qui pose les jalons d'une nouvelle approche des militaires, avec des notions de recrutement et de fidélisation nouvelles.

A l'occasion des discussions sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire, le groupe communiste républicain et citoyen a mis chacun en garde sur les conséquences de tels bouleversements, qui privaient la France de la participation des jeunes à sa défense.

Bien sûr, il fallait transformer le service militaire, en optant pour une durée plus courte ; bien sûr, il fallait former en plus grand nombre des spécialistes dans nos armées ; mais il ne fallait pas suspendre la conscription !

De plus, avec la mise en oeuvre effective, en 2006, de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, la nouvelle structure budgétaire se fera sur la base d'un calcul en termes de masse salariale globale et non plus, comme c'est le cas actuellement, en termes de postes budgétaires. Or il est à craindre, à juste titre, de voir s'opérer une diminution d'emplois au sein des armées à masse salariale constante.

Pour autant, s'il est essentiel, à mes yeux comme à ceux de l'ensemble des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, d'opérer une amélioration des conditions du statut des militaire, il faut aussi, parallèlement, se prémunir contre des réductions drastiques des effectifs humains.

Protéger les personnels suppose, en effet, que tous soient confortés dans leur emploi. Or, madame la ministre, votre volonté affichée de recentrer l'armée sur son coeur de métier a déjà - et aura de plus en plus, je le crains - pour conséquence de confronter de plus en plus ce secteur à une logique managériale.

C'est la raison pour laquelle nous avons pu assister, en 2004, à une intégration croissante du secteur privé - que nous désapprouvons - au sein de nos armées, à différents niveaux.

Je rappelle pour mémoire, mes chers collègues, qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la professionnalisation des armées et la suspension du service militaire notre groupe vous avait mis en garde sur les conséquences de ce texte, notamment en matière de réduction des effectifs.

Je constate qu'aujourd'hui nous sommes en plein coeur du sujet !

Pour ce qui concerne l'architecture globale de nos armées, nous assistons désormais à une poussée du recours à des sous-traitances privées, alors même que le renouvellement des fonctionnaires a été largement réduit. On a ainsi pu parler du non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux.

Ainsi, madame la ministre, même si notre propos se concentre aujourd'hui essentiellement sur les militaires, il convient de ne pas oublier tous les emplois qui existent au sein des armés et d'engager - mais vous l'avez fait - une véritable réflexion sur le statut des personnels civils pour que ces derniers ne soient pas lésés dans l'exercice de leur travail.

En la matière, ce sont les Américains et les Britanniques qui font figure d'exemple dans la gestion des armées professionnelles. Ne suivons pas ces derniers sur le chemin de dérives gestionnaires excessives ! Nous savons tous combien le rôle des hommes est décisif, même avec du matériel moderne.

Le présent projet de loi, quant à lui, s'inscrit dans le sens d'une évolution positive de la perception des militaires et de leur place dans notre société. Ces derniers se prononcent eux-mêmes pour une politique de défense en faveur du maintien de la paix, et j'ai le sentiment que la politique française en Irak a été bien comprise.

C'est pour ces raisons que nous demandons, depuis de nombreuses années, une refonte du statut.

Ainsi, en 1996, alors que nous débattions de la professionnalisation des armées, mon collègue Jean-Luc Bécart avait, ici même, jugé plus opportun d'engager une réforme « pour la mettre à l'heure de cette fin de siècle et de l'évolution de notre société ».

Je ne peux donc que regretter que l'élan réformateur du statut présenté ce jour ne soit pas davantage novateur et ambitieux, comme le suggérait la commission Denoix de Saint Marc sur de nombreux points. Je le regrette d'autant plus que ces propositions étaient approuvées par de très nombreux militaires.

En réformant un statut vieux de plus de trente ans, nous avons vocation à inscrire le nouveau texte dans la durée. Or je constate que certaines des mesures qui nous sont proposées restent empreintes de timidité. Il ne faut pas qu'à peine votée la loi soit déjà dépassée !

C'est pourquoi, dans un objectif de durée et de mise en phase de l'armée avec ses hommes et ses femmes, nous proposerons un certain nombre d'amendements.

Bien évidemment, ce texte contient des avancées, et l'Assemblée nationale a également permis d'intégrer certaines mesures positives.

Ainsi, je ne peux qu'approuver le renforcement des garanties en matière de couverture juridique et sociale, comme, par exemple, l'institution du principe d'imputabilité au service des accidents pendant toute la période des opérations, la prise en compte de l'environnement familial, la suppression de la demande d'autorisation préalable du ministre pour les mariages avec des personnes de nationalité étrangère - disposition dont j'ignorais d'ailleurs, je l'avoue, l'existence tant elle paraît dépassée -, ou encore l'inscription dans le statut des droits de la défense en matière disciplinaire ou le rapprochement des droits et protections des personnels sous contrat avec ceux qui sont reconnus aux militaires de carrière.

Toutefois, le texte contient encore trop d'imperfections sur un certains nombre de points, notamment en ce qui concerne l'expression citoyenne des militaires, qu'il s'agisse, de leur participation civile et politique ou de la modernisation des instances de concertation.

J'ai, bien entendu, pris acte de la suppression de l'autorisation préalable du ministre pour que les militaires puissent s'exprimer sur des sujets politiques ou sur des questions internationales.

J'ai également pris acte de l'abrogation de l'interdiction de l'introduction de publications susceptibles de nuire au moral ou à la discipline dans les enceintes militaires.

J'ai, enfin, pris acte de la suppression de l'obligation pour les militaires de faire une déclaration avant d'adhérer à des associations non professionnelles et d'exercer des responsabilités au sein de ces dernières, tout comme de la suppression de la possibilité de leur démission forcée.

Il s'agit ici de mesures de bon sens, notamment parce qu'il est de notoriété publique que les militaires contournaient régulièrement ces restrictions.

Cependant, alors même qu'il est également de notoriété publique que des militaires militent au sein de formations politiques sous le couvert de l'anonymat ou de pseudonymes, je déplore que l'interdiction qui leur est faite d'adhérer à ces dernières demeure en l'état.

Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il serait préférable de les laisser agir en toute légalité et de leur faire confiance jusqu'au bout, de la même façon que vous faites confiance aux hauts fonctionnaires, qui sont soumis à une obligation de neutralité et au droit de réserve, d'autant que les militaires sont, eux, également soumis - cela va de soi - au secret défense ?

Qui plus est, n'est-il est pas paradoxal que les militaires aient la possibilité d'être candidats à une fonction élective et d'adhérer alors à un parti politique pendant la durée de la campagne et durant l'exercice de leur mandat ?

Que faut-il en déduire ? Les militaires seraient-ils des citoyens particuliers dont la conscience politique s'éveillerait un soir, les poussant à se porter candidat à une élection et à adhérer à un parti, et disparaîtrait purement et simplement un matin, une fois la campagne électorale ou le mandat achevés ?

Je m'interroge également fortement sur l'opportunité de maintenir une incompatibilité entre l'exercice du mandat électoral - qui sera surtout municipal - et l'activité de militaire. Dans ces conditions, quelles possibilités s'offrent à ces militaires à l'issue de la campagne électorale et de leur mandat ? Je m'inquiète des conditions de leur réintégration, s'ils en expriment le souhait : s'ils veulent continuer d'adhérer à un parti, il leur faudra inévitablement démissionner ou prendre une retraite anticipée. De telles solutions seront douloureuses et soulèveront de véritables cas de conscience chez des hommes et des femmes engagés à la fois civiquement et militairement.

Lors de votre audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, madame la ministre, vous avez indiqué que le droit d'adhérer à un parti politique ne correspondait pas à une attente forte de la communauté militaire. Pourtant, je sais, pour l'avoir entendu moi-même, que c'est là le voeu d'un grand nombre de ses membres.

Il est, à mon sens, primordial de laisser une liberté de choix aux militaires dans ce domaine. Or ce choix ne leur est pas laissé. Il faut se rendre à l'évidence, la neutralité imposée à tout militaire n'est pas incompatible avec l'adhésion à un parti politique, pas plus que ne le sont le loyalisme et la discipline.

L'expression et la participation civiques et politiques en France sont le fruit d'une longue histoire, d'avancées souvent décriées mais que personne aujourd'hui n'oserait remettre en cause. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de faire encore un pas en avant, et nous vous proposerons des amendements en ce sens, tout comme nous le ferons en ce qui concerne le droit pour les militaires de se syndiquer.

Certains de nos pays voisins et alliés permettent à leurs militaires de se syndiquer. L'ordre dans ces armées n'en est pas pour autant troublé !

Ces observations sont d'autant plus nourries qu'elles se font au regard du dispositif de concertation tel qu'il est envisagé dans le présent texte. Vous avez voulu, madame la ministre, y apporter quelques ajustements, que nous approuvons, mais ceux-ci restent encore trop timides et en deçà des nécessités sur le terrain.

A ce jour, les critiques vis-à-vis des instances nationales se font au grand jour, à tel point que la commission nationale de révision du statut général des militaires a elle-même reconnu des dysfonctionnements, essentiellement dus à la faiblesse de la représentativité desdites instances, ce qui fait dire à cette commission que les attentes des militaires sont, dans ces conditions, bien peu prises en compte. Le fort mécontentement qui s'est exprimé à l'occasion de la manifestation des pompiers départementaux, auxquels se sont joints des gendarmes - qui sont aussi des militaires - démontre qu'aucun organisme de concertation ne l'avait senti, ce qui est bien dommage.

Parce que les organismes de concertation sont censés constituer une contrepartie à l'absence de droit syndical et d'organisation collective, le maintien du tirage au sort pour une partie de leur composition ne garantit pas, à mes yeux, leur crédibilité. Leur représentativité et leur autonomie ne sont donc pas réelles. Ce processus doit être totalement démocratique et dépendre, de ce fait, du seul système électif, et ces organismes devraient remettre chaque année un rapport au Président de la République et au Parlement.

D'autres points motiveront également certains des amendements du groupe communiste républicain et citoyen : je pense notamment aux restrictions relatives à la liberté de circulation et à la résidence des militaires, à la reconversion du personnel navigant, ou encore à la question des volontaires dans les collectivités d'outre-mer.

En ce qui concerne la position « en retraite », vous savez, madame la ministre, le mécontentement - pour ne pas dire l'indignation - qu'a soulevé sa disparition dans le statut, alors qu'il en était une partie intégrante jusqu'à présent. J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces points lors de la discussion des articles.

Je dirai un mot également sur la rémunération au mérite. L'Assemblée nationale a supprimé, à juste titre à mon sens, cette possibilité et je regrette que notre commission ait voté un amendement visant à la réintégrer dans le projet de loi. Mais vous émettrez certainement, madame la ministre, un avis défavorable sur cet amendement !

Le groupe communiste républicain et citoyen ne peut s'associer à un tel retour en arrière. Nous nous sommes déjà opposés à cette idée s'agissant de la fonction publique, nous ne pouvons l'accepter s'agissant des militaires.

Enfin, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas retenu les recommandations du rapport Denoix de Saint Marc en matière de congé d'éducation, car celui-ci aurait alors permis de concilier, en termes statutaires, disponibilité et aménagement du temps d'activité des militaires. Mais vous aurez la possibilité, mes chers collègues, de combler ce vide en adoptant nos amendements.

Pourtant, la féminisation des armées pose le problème de ce congé avec acuité. J'ai discuté avec des femmes qui s'inquiètent de l'absence de cette mesure dans le projet de loi. A mon sens, les dispositifs relevant actuellement de textes réglementaires sont insuffisants. Il faut donc conforter de façon législative les femmes - mais également les hommes - qui désirent prendre un tel congé, à l'image de ce qui existe dans le civil. Si cette mesure n'était pas adoptée, des femmes pourraient décider de ne pas s'engager et d'autres envisager de démissionner.

En définitive, être militaire au xxie siècle doit comporter des avancées évidentes en matière sociale, juridique, disciplinaire et civique. Mais surtout, madame la ministre, il est primordial d'engager un rapprochement étroit des droits et acquis des militaires avec ceux de l'ensemble des personnels de la fonction publique.

Eu égard à la spécificité même de la condition de militaire, qui, par certains aspects, reste dérogatoire par rapport aux droits de tout citoyen, nous estimons que ces dérogations doivent être réduites au maximum afin de garantir le lien indéfectible entre la nation et ses armées.

Cet alignement sur la fonction publique est une revendication majeure de nos militaires et constitue un préalable essentiel au devenir de notre armée, devenue professionnelle, le tout dans une pure logique d'équité.

M. le président. Veuillez conclure, madame Luc !

Mme Hélène Luc. Il convient que, dans les faits, le dispositif d'accès des militaires aux fonctions publiques civiles, notamment avec l'extension à tous les militaires des dispositifs de la loi du 2 janvier 1970 et des emplois réservés, ne constitue pas qu'une passerelle. Des postes doivent être ouverts.

Outre son caractère technique, ce dispositif doit reconnaître en fait le caractère naturel de la double carrière au service de l'Etat, l'une militaire, l'autre civile.

C'est en ce sens que nous devons concevoir le présent projet de loi. Or, en l'état actuel du texte, madame la ministre, mes chers collègues, et bien que nous approuvions une très grande partie du rapport de M. Dulait, de nombreuses imperfections demeurent. Par conséquent, le groupe communiste républicain et citoyen conditionnera son vote à l'évolution que notre Haute Assemblée réservera au texte. En l'état actuel, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Boyer.

M. André Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme du statut général des militaires était devenue plus que nécessaire afin de moderniser des dispositions aujourd'hui vieilles de trente-deux ans. Le statut des militaires de 1972 ne pouvait être maintenu en l'état, à l'heure où la disponibilité et l'emploi des forces armées subissent une mutation profonde.

La nouvelle donne géostratégique a totalement infléchi le rôle et l'action de nos armées. Plus rapides, plus réactives, plus flexibles, mais aussi plus techniques, celles-ci doivent faire face à des conflits plus localisés ou à des menaces asymétriques et plus complexes.

Parallèlement, la fin de la conscription, actée par la loi du 28 octobre 1997, a entraîné la professionnalisation des armées. Les effectifs sont désormais plus féminisés. Les personnels civils sont également plus nombreux. Le format et la doctrine d'emploi des forces se sont modifiés, avec le développement du concept de projection intérieure ou extérieure et la multiplication des OPEX. Enfin, l'opérationnalité permanente de la réserve rend celle-ci de plus en plus active. Un nouveau lien entre la nation et les armées est en train de se constituer.

La professionnalisation des armées induit une véritable adhésion des militaires, qui sont désormais recrutés sur la base du volontariat.

Les besoins en personnels sont croissants. Il est donc important de renforcer l'attractivité des métiers de l'armée, en supprimant certaines contraintes qui apparaissent obsolètes dans le contexte sociétal du xxie siècle. En d'autres termes, l'armée est presque devenue un débouché professionnel comme un autre. Elle doit séduire pour attirer les éléments les plus compétents et les plus motivés et les fidéliser.

Au vu de ces constats, il était naturel de s'interroger sur la redéfinition des droits et sujétions des personnels militaires, car le statut dont nous discutons ce soir restera en vigueur durant les vingt ou trente prochaines années et ne doit pas appeler de révisions trop fréquentes.

La commission de révision du statut général des militaires, présidée par M. Renaud Denoix de Saint Marc, a recueilli l'avis de l'ensemble des instances de concertation et de représentation, et notamment celui des conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou du service du Conseil supérieur de la fonction militaire. Ses conclusions ont permis de bâtir l'architecture du projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis.

Ce texte, qui a recueilli un large accord à l'Assemblée nationale, opère des avancées importantes.

Le statut de 1972 reconnaissait déjà que le militaire devait jouir de l'ensemble des droits et libertés reconnus aux citoyens, les limitations à ce principe n'étant qu'inhérentes à l'état militaire.

Le projet de loi franchit une nouvelle étape en supprimant des dispositions particulièrement anachroniques et inadaptées en matière de droits civils et politiques, comme l'autorisation préalable en matière de droit d'expression ou en cas de mariage avec un conjoint étranger, ou encore l'obligation de déclaration de prise de responsabilité dans une association.

Par ailleurs, ce texte renforce le régime de protection juridique en s'adaptant aux nouvelles contraintes et aux risques encourus par les militaires dans l'exercice de leurs fonctions.

L'emploi croissant des forces armées en OPEX appelle ainsi une meilleure prise en charge juridique par l'Etat des risques inhérents à la fonction militaire.

Sur l'initiative de Jean-Claude Viollet, nos collègues de l'Assemblée nationale ont introduit une référence au droit international en ce qui concerne l'emploi de mesures légitimes de coercition ou l'usage de la force armée.

Les associations de retraités, plus particulièrement la Fédération nationale des officiers mariniers, quartiers-maîtres en retraite, se sont inquiétées de constater qu'à l'article 45 du projet de loi la position statutaire « en retraite » n'ait pas été retenue. Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que le principe du bénéfice des soins et de l'action sociale des services de santé des armées ainsi que le droit à représentation au sein du CSFM resteront acquis pour les retraités ?

Enfin, je prends acte avec satisfaction de la modification apportée par l'Assemblée nationale visant à faire passer de trente à soixante jours le délai durant lequel les militaires ayant participé à une OPEX peuvent bénéficier d'un dépistage médical spécifique ainsi que d'un entretien psychologique adapté.

La citoyenneté dans les armées appelle aussi une amélioration de la concertation et du dialogue social en leur sein. Le texte comporte quelques avancées, encore trop timides, sur ce point.

L'indispensable neutralité des armées ne doit pas faire des militaires des citoyens de seconde zone. Le chemin fut historiquement long pour que le droit de vote leur soit enfin accordé par l'ordonnance du 17 août 1945, soit soixante-treize ans après qu'on les en eût privés.

Les aspirations des militaires à une citoyenneté mieux prise en compte sont légitimes. Il est normal qu'ils souhaitent, plus que par le passé, participer aux décisions qui les concernent, sans aller jusqu'à permettre d'aligner totalement leurs droits sur ceux de l'ensemble des fonctionnaires civils.

Le métier de soldat implique un lien particulier avec la nation, lequel se manifeste par un devoir de loyauté et de sacrifice rappelé par l'article 1er du texte. En contrepartie, la nation tout entière doit respect et considération aux armées.

Il ne nous semble pas opportun de donner aux personnels militaires le droit d'appartenir à un parti politique. La neutralité absolue est le gage de l'efficacité. L'armée est au service de toute la nation. Elle est le service public fondamental par essence. La nature particulière de cette mission est intrinsèquement incompatible avec l'idée d'une manifestation visible du désaccord des soldats avec la décision des politiques. Les convictions privées doivent céder le pas à l'intérêt général.

La soumission des armées au pouvoir temporel fut l'une des avancées majeures de la République. Aujourd'hui rappelée par l'article 15 de la Constitution, qui fait du Président de la République le chef des armées, cette même soumission appelle le maintien d'une conception particulière du droit d'expression des militaires, c'est-à-dire sa limitation lorsqu'il se heurte à la défense des intérêts supérieurs de la République.

L'évolution de notre société doit néanmoins conduire à s'interroger sur l'adoption de dispositions assurant de manière adaptée la réalité de la citoyenneté des militaires.

Cette réflexion n'a pas encore été pleinement menée. Mais une avancée dans ce domaine est souhaitable. Peut-être appartiendra-t-il au futur Haut comité d'évaluation de la condition militaire de la conduire à son terme, en tenant compte des spécificités de l'état de militaire. Il devra plus particulièrement se pencher sur la représentation des personnels et sur le développement tant du dialogue social que de la concertation.

L'esprit et la lettre de ce projet de loi ont réuni une large approbation, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au sein de la commission des affaires étrangères. Je ne doute pas que nos débats viendront encore enrichir ce texte, par-delà toute préférence partisane. Pour sa part, le groupe du RDSE lui apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le statut général des militaires, que nous abordons aujourd'hui, soulève des interrogations sur l'état militaire actuel.

En effet, le militaire qui sert en unité opérationnelle éprouve-t-il les mêmes besoins que le personnel qui se trouve en unité de soutien ou à l'état-major ? Les militaires sous contrat ont-ils les mêmes perspectives professionnelles que les militaires de carrière ? Comment vit-on dans les armées la « révolution culturelle » entraînée par la professionnalisation ? Qu'est-ce que la spécificité militaire aujourd'hui ? Quelle place faire aux femmes, de plus en plus nombreuses, dans la vie quotidienne des formations mais aussi dans la hiérarchie ? Les militaires modernes souhaitent-ils être des citoyens à part entière ?

Je sais que, pendant la période de consultations internes au sein des conseils de la fonction militaire, ces questions ont été abordées.

Je sais aussi que, depuis plusieurs années, existe un certain mal-être des militaires français, qui s'est traduit de façon spectaculaire par des actions collectives contraires aux règles et aux traditions de ce corps.

Nous devons nous interroger : s'agit-il de transgressions dues à de simples revendications sociales, ou sommes-nous confrontés à un malaise global, dont les causes sont profondes ? Le débat sur le statut militaire devrait apporter un début de réponse.

La réforme du statut général des militaires est devenue nécessaire pour prendre en compte la professionnalisation, les évolutions de la société et les modifications du contexte d'emploi des forces.

Il est évident que le statut général des militaires doit être modifié à la lumière de trois évolutions majeures, à savoir l'évolution de la profession, du métier militaire, les nouvelles exigences de l'exercice du métier militaire, telles que la projection, les OPEX, notamment, et le cadre européen. Or il semble que ce dernier ait été mis de côté, négligé, oublié.

Le statut des militaires définit des droits et des devoirs. A côté des droits qu'il institue, se trouvent les obligations et sujétions liées au métier des armes, au premier rang desquelles figurent l'obéissance et la disponibilité.

Je considère qu'il est temps de modifier l'idée selon laquelle l'armée serait composée de militaires qui ne seraient que des citoyens amoindris.

La reconnaissance que les militaires méritent de la nation passe aussi par l'extension de leurs droits civils et politiques. Je pense que l'armée doit évoluer au rythme de l'ensemble de la société. La professionnalisation doit lui permettre de trouver un nouvel équilibre, en s'ouvrant davantage sur le monde et en donnant aux soldats qui la composent plus de liberté dans la responsabilité. De surcroît, dans la perspective d'une défense européenne, de nouvelles perspectives s'ouvrent à nos militaires.

Permettez-moi en cet instant de faire un petit rappel historique.

Comme nous le savons tous dans cette enceinte, la loi du 13 juillet 1972 est la dernière loi portant statut général des militaires. Or, en plus de trente ans, ont pu être constatées bon nombre d'évolutions, tant de la société française que du contexte international dans lequel nous évoluons. Les lois de 1996 sur la professionnalisation des armées, la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national sont autant de textes modifiant le lien existant entre l'armée et la nation, sans toutefois porter d'adaptation au statut général des militaires.

Toutes ces évolutions ont créé de nouveaux enjeux pour l'armée, du point de vue tant du recrutement que de la fidélisation du personnel militaire.

Modifier l'ensemble des règles régissant le statut des personnels militaires suppose de prendre en compte les évolutions de la société tout en préservant les caractéristiques essentielles de l'état de militaire.

Or, pour bien saisir ce qui a été constitutif de notre armée, il me semble bon de se replacer dans une perspective historique du régime juridique des militaires.

Ce sont cinquante-trois textes de natures diverses que la loi de 1972 a abrogés. Il s'agissait certes d'une abrogation juridique, mais les principes qui sous-tendaient ces nombreux textes n'en continuent pas moins d'irriguer la philosophie du régime juridique des militaires. Les ignorer dans la présente réflexion serait dommageable.

Evoquons la situation de la Révolution au Second Empire.

Transformer les militaires en citoyens de droit commun, favoriser l'exercice de leurs droits, notamment le droit de vote et l'éligibilité, considérés comme une juste récompense pour ceux qui risquent leur vie pour la patrie, étaient de véritables volontés affichées après 1789. Cette philosophie nouvelle ne s'applique toutefois pas dans les faits, et les militaires n'ont pas l'occasion de mettre en oeuvre leurs droits nouveaux.

Le Directoire restreint, de manière informelle, l'exercice des activités politiques des militaires, en instituant notamment des incompatibilités géographiques entre le lieu du service armé et le lieu où le militaire vote.

La Monarchie constitutionnelle apporte peu d'évolutions dans les règles particulières aux militaires pour ce qui concerne l'exercice de leurs droits politiques ; leur participation à la vie politique du pays se trouve réduite au strict minimum alors que se développe une morale militaire reposant sur quelques principes fondamentaux tels que le culte du règlement, de la discipline et, corollaire, l'obéissance passive à la hiérarchie.

Tout cela nous apparaît aujourd'hui comme un carcan extraordinaire pour le militaire en tant qu'individu.

Puis, l'année 1848 marque un tournant décisif pour la place des armées au sein de la nation : elle réprime les mouvements révolutionnaires et cristallise contre elle les rancoeurs et les haines de ceux qui aspirent à un bouleversement de l'ordre établi. Mais, par décret du 5 mars 1848, les militaires se voient reconnaître un droit de vote sans restriction, dans le cadre du nouveau suffrage universel. La loi électorale organise le droit de vote au sein des troupes. Reconnus éligibles, les militaires sont privés de leur solde s'ils sont élus, mais les officiers peuvent continuer à bénéficier de l'avancement à l'ancienneté pendant l'exercice de leur mandat.

Rapidement, toutefois, le Second Empire renvoie les militaires à leur rôle d'exécutants.

Les militaires n'ont exercé leurs droits que pendant la brève durée de la IIe République.

Cette réserve à considérer et à permettre au militaire d'être un citoyen comme les autres n'est pourtant pas issue d'une corrélation quelconque entre l'exercice de leurs droits par les militaires et leur propension à influer directement sur le cours des institutions.

Après 1870, le retour à l'obéissance passive des armées et la neutralité stricte du personnel de carrière prévalent, des mesures sont adoptées pour briser une trop grande autonomie de l'armée. Mais un paradoxe apparaît entre cette situation très contrainte des militaires et le véritable culte dont l'armée fait l'objet comme moyen de « revanche » contre l'Allemagne.

Par ailleurs, il me semble important de préciser qu'à partir de 1907 les officiers eux-mêmes mènent des actions de revendication, révélatrices de l'intérêt porté par les militaires à la vie publique. J'en veux pour preuve la proposition de loi de 1910.

II faut attendre l'ordonnance du 17 août 1945, la Libération et la volonté de construire une démocratie sociale, pour que soit restitué aux militaires le droit de vote, dans des conditions identiques à celles de tous les citoyens et avec des conditions d'éligibilité reprenant les arguments développés au début du siècle.

Toutefois, ne leur sont pas pour autant reconnus les mêmes droits d'expression et d'activité politique qu'aux autres citoyens, situation qui perdure encore à ce jour.

J'en viens maintenant aux conséquences de la professionnalisation.

La défense du pays, la défense de l'Europe, exigent une relation de confiance entre la société civile et les forces armées. Pour commencer, une meilleure connaissance mutuelle est nécessaire.

Le débat sur le statut général des militaires doit aussi être l'occasion de s'interroger sur ce qui fonde le métier de soldat à notre époque. La professionnalisation de notre armée induit certainement des changements forts, y compris dans la nature même du métier de soldat.

D'abord, nous devons constater que, aussi loin que nous portons notre regard prospectif, l'humanité étant ce qu'elle est, l'existence du fait militaire semble inéluctable. Pour autant, pourrions-nous aujourd'hui dire ce qu'Alfred de Vigny écrivait en 1835 : « L'existence du soldat est, après la peine de mort, la trace la plus douloureuse de barbarie qui subsiste parmi les hommes » ?

L'institution militaire a beaucoup changé ces derniers temps et nous sommes à l'aube d'une mutation encore plus grande, à savoir l'européanisation de nos forces armées.

De profonds bouleversements sont intervenus en 1996 avec la professionnalisation décidée par le chef de l'Etat. Cette décision, qui n'avait pas été précédée de beaucoup de concertation, était entachée d'un manque certain de préparation. Le coût du processus avait notamment été mal évalué - il avait même été sous-évalué - et ses conséquences sur la structure et sur la culture de l'institution avaient été quelque peu négligées. Comme disait l'autre, « l'intendance suivra » !

C'est ainsi que le gouvernement de Lionel Jospin a dû mener à bien, en y apportant les moyens nécessaires et une volonté de succès incontestable, une entreprise gigantesque, qui a été menée dans des conditions délicates et réalisée dans les délais prévus.

Ceux ou celles qui se plaisent, à répétition, à invoquer aujourd'hui la « réussite de la professionnalisation » ont tendance à l'oublier. C'est aussi cela, l'héritage ! Dans ce processus, il convient de saluer comme il se doit les efforts réalisés par les militaires.

Intéressons-nous maintenant au cadre européen.

Cette professionnalisation, avec la suspension du service national, a fortement modifié la situation de l'institution, sa place dans la nation, et a aussi transformé l'exercice du métier de soldat.

La réforme du statut des militaires est une réponse nécessaire à de telles évolutions.

Toutefois, il y a un point qui demande qu'on s'y attarde et qui concerne aussi l'avenir de l'institution et des personnels, un avenir très proche et qu'il convient de préparer dès maintenant : il s'agit de la construction de l'Europe de la défense, au sein de laquelle notre armée a et aura un rôle prééminent.

Par l'intégration des forces, par la création des unités communes et, qui sait, à plus ou moins long terme, par la naissance d'une armée européenne, nos forces armées auront à connaître des transformations majeures et continuelles. Nous avons l'objectif de constituer des forces communes, ce qui incitera à l'harmonisation des astreintes, des droits et des devoirs des militaires des différentes armées européennes agissant en commun.

Un comparatif au plan européen s'impose toutefois pour éclairer ce point de notre débat. Nos ambitions européennes en matière de défense nous incitent également à mener un comparatif des différentes règles qui prévalent pour les personnels militaires de nos voisins et partenaires européens.

L'examen des règles en vigueur dans quelques pays européens - Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni - fait apparaître deux axes de réflexion.

Si les droits d'expression et de réunion des personnels militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés, l'expression collective de leurs intérêts professionnels s'exerce selon des modalités très différentes.

Tout d'abord, les droits d'expression et de réunion des militaires, ainsi que leurs droits politiques, sont similaires dans tous les pays étudiés : que ce soit en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal ou au Royaume-Uni, les personnels militaires jouissent, comme n'importe quel citoyen, des droits d'expression et de réunion avec, certes, l'obligation de tenir compte de leur condition de militaire pour les exercer. Le devoir de réserve et le respect de l'image de l'armée s'imposent à eux. Toute activité politique leur est interdite pendant leur service. Toutefois, ils sont tout à fait libres de participer à des réunions dès lors qu'ils sont habillés en civil.

C'est pour la même raison qu'en Allemagne, en Espagne, en Italie, et au Portugal, les militaires qui souhaitent se présenter à une élection politique sont placés, dès le début de la campagne électorale, dans une position statutaire particulière. Cela leur permet alors de ne plus être soumis aux droits et obligations qui leur sont spécifiques. En fin de mandat, ils réintègrent le service actif.

II est par ailleurs à signaler qu'aux Pays-Bas le placement dans une position de non-activité n'a lieu qu'après l'élection.

L'expression collective des intérêts professionnels des personnels militaires s'exerce, quant à elle, selon des modalités différentes.

En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les personnels militaires peuvent se syndiquer. Exception faite de la Grande-Bretagne, où il n'existe pas de syndicat militaire et où les personnels militaires peuvent ainsi adhérer à des syndicats civils, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, ils peuvent adhérer librement à n'importe quel syndicat, qu'il s'agisse d'une organisation strictement professionnelle ou d'une organisation affiliée à une centrale civile.

J'ose imaginer que la prochaine réforme du statut général des militaires confrontera les législateurs de demain à un contexte européen transformé et à des contraintes qui ne seront plus strictement nationales. Précisément, s'il y a un reproche d'ordre général à faire au texte qui nous est soumis aujourd'hui, c'est qu'il semble faire peu de cas du contexte européen dans lequel baigne d'ores et déjà l'armée française.

II en va ainsi des droits civils et politiques accordés aux militaires : nos soldats sont en contact permanent avec des militaires des pays européens qui connaissent des situations statutaires fort différentes de la leur. Nous souhaitons renforcer la formation et l'entraînement commun des militaires de différentes armées européennes ; nous allons donc développer les contacts, et même l'imbrication de nos forces armées ; nous aurons donc à réviser le statut des soldats à l'aune de l'Europe.

J'en arrive maintenant au texte du projet de loi proprement dit.

Le texte du Gouvernement, revu par l'Assemblée nationale, propose la suppression de certaines dispositions qu'il serait aujourd'hui difficile de justifier. Il s'agit notamment, vous l'avez dit, madame la ministre, de la demande d'autorisation de mariage lorsque le futur conjoint est un ressortissant étranger, de l'obligation de déclarer l'activité professionnelle de son conjoint à l'autorité militaire, de l'obligation de rendre compte des responsabilités exercées dans une association à caractère non professionnel. La liberté d'exercice des cultes, dans la limite des contraintes imposées par le service, a été confirmée.

Concernant la presse, le texte supprime la possibilité d'interdire l'introduction dans les enceintes militaires de certaines publications « pouvant nuire à la discipline ou au moral ». En matière de liberté d'expression, le texte aligne les militaires sur le droit commun de la fonction publique. L'autorisation préalable pour évoquer publiquement des questions militaires non couvertes par le secret est supprimée. Bien entendu, les militaires sont toujours soumis au devoir de réserve et de discrétion professionnelle.

Mais l'élan réformateur s'arrête là, puisque le projet de loi maintient les principales restrictions actuelles à l'exercice des droits civils et politiques : interdiction d'adhérer à un parti politique, sauf en cas de candidature à une élection ; mise en détachement d'office en cas de mandat électif ; interdiction des groupements professionnels militaires à caractère syndical.

Sur les droits politiques comme sur la question des groupements professionnels ou syndicaux la commission n'a pas souhaité modifier le texte du Gouvernement. Je le regrette ! Le maintien de l'interdiction d'adhérer à un parti politique et l'interdiction des groupements professionnels sont, à mon avis, des mesures incompatibles avec les perspectives, nationales et européennes, ouvertes à nos militaires professionnels.

Nous contestons le bien-fondé du maintien de l'incompatibilité entre l'exercice d'un mandat électoral et la situation d'activité, y compris pour des mandats municipaux dans de petites communes, les fonctionnaires civils n'étant pas soumis aux mêmes contraintes alors qu'ils peuvent se trouver dans des situations comparables vis-à-vis des obligations de disponibilité ou de mobilité.

Le rapporteur l'a signalé, c'est dans le domaine des protections et garanties accordées aux militaires que le projet de loi apporte des mesures très attendues. En effet, il introduit dans le statut la notion d'opérations extérieures et apporte des améliorations concrètes pour des situations qui n'étaient pas correctement prises en compte dans le droit actuel, en particulier, s'agissant de la protection pénale dont pourraient bénéficier les militaires en opérations, dans le strict respect du droit international.

Le texte définit aussi le régime de responsabilité pénale applicable en cas d'usage de la force sur le territoire national pour la protection des zones de défense hautement sensibles.

Par ailleurs, le texte améliore la prise en charge des blessures survenues en opérations. Ces blessures seront réputées imputables au service dès lors qu'elles seront intervenues entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris pendant les actes de la vie courante ou lors des escales des bâtiments.

Cette extension de la protection sociale du militaire en opérations était nécessaire. Toutefois, j'ai souhaité, lors du débat en commission, que l'article 96 du projet de loi soit amendé pour faciliter la reconnaissance du statut de grands mutilés de guerre aux militaires gravement blessés en opérations extérieures.

Les articles relatifs au déroulement et à la gestion des carrières militaires reprennent beaucoup de dispositions de l'actuel statut. Il s'agit en réalité d'un nécessaire toilettage de la législation existante.

En ce qui concerne la refonte du régime des sanctions disciplinaires et le droit de défense, on observe une volonté manifeste d'opérer un rapprochement avec la fonction publique civile.

L'alignement de la situation des personnels sous contrat sur celle des personnels de carrière est une constante du projet de loi ; il en va ainsi pour les rémunérations, l'accès à certaines positions comme le détachement ou l'intégration dans la fonction publique, ou les possibilités de reconversion.

Par ailleurs, les militaires ayant servi sous contrat et involontairement privés d'emploi ont droit à un revenu de remplacement sous forme d'allocations de chômage.

Les autres mesures nouvelles contenues dans le projet de loi concernant les militaires commissionnés, les volontaires, la reconversion des militaires, l'aménagement des limites d'âge et la fin annoncée du « conditionnalat » ont déjà été très bien abordées par le rapporteur. Je ne m'y attarderai donc pas.

Toutefois, un point important mérite un sort particulier : il s'agit de la concertation interne. A ce sujet, le projet de loi reste dans l'esprit qui est celui du statut de 1972 ; il rappelle que, dans les armées, c'est au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème venant à sa connaissance.

Je me demande si ce système fonctionne toujours et s'il est vraiment adapté aux circonstances et au contexte dans lequel s'insère dorénavant l'armée professionnelle. Je pense que les mouvements - récents, en 2001, et passés, en 1989 - des gendarmes ont apporté une réponse négative à cette question.

Les instances de concertation actuelles, à savoir les conseils de la fonction militaire propres à chaque armée ou service et le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont-elles suffisantes, sous leur forme actuelle, pour veiller aux intérêts des militaires ?

Les instances représentatives des personnels militaires, telles qu'elles sont maintenues par le projet de loi, restent cantonnées à une fonction strictement consultative et ne peuvent servir de cadre à une véritable concertation. Le recours au tirage au sort pour la désignation des membres des conseils de fonction militaire d'armée est une méthode peu démocratique et pour le moins désuète.

Certes, le nouveau statut tend à apporter aux représentants des personnels des garanties indispensables à leur liberté d'expression, ainsi que les facilités nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Mais ce type d'institution est-il aujourd'hui la réponse appropriée aux nouvelles exigences des personnels militaires ? Je pense, en tout cas, qu'il faut démocratiser ces institutions et poursuivre le travail commencé par le gouvernement précédent, en 2001. En particulier, je voudrais rappeler que la réforme des instances de concertation, engagée en 1999 par Alain Richard, mérite d'être poursuivie.

Concrètement, le moment est sans doute venu de généraliser, niveau par niveau, le principe d'élection : j'ai déposé, avec mes collègues du groupe socialiste, un amendement dans ce sens.

J'évoquerai enfin la notion de soldat citoyen.

La citoyenneté du militaire est une notion qui a évolué au cours du temps. Les soldats français, en ce début du XXIe siècle, aspirent à avoir des droits proches de ceux qui ne portent pas l'uniforme.

Je suis favorable à l'extension franche et nette du droit d'expression des militaires, à condition, bien sûr - mais les militaires sont des gens responsables -, que le devoir de réserve et de neutralité soit strictement respecté et que tout propos sur des questions touchant aux missions opérationnelles soit exclu.

La citoyenneté des militaires est aujourd'hui incomplète, car les syndicats leur sont interdits ainsi que l'adhésion à un parti politique. De même, il faudra se pencher sur les solutions techniques et juridiques adaptées afin de permettre l'accès des militaires aux fonctions électives locales.

Nous avons le souci, qui était déjà celui de Jean Jaurès, de ne pas avoir une armée repliée sur elle-même, sourde et imperméable à la société et à la nation. Nous souhaitons supprimer les instances inutiles qui peuvent incarner une séparation entre l'armée et la société civile. Ce fut le cas hier des tribunaux militaires, c'est le cas aujourd'hui du statut de « citoyen amoindri » accordé aux militaires, auxquels on refuse l'exercice plein et entier des droits civils et politiques. Parlant des officiers, Jean Jaurès disait : « il importe qu'ils soient recrutés le plus largement possible, dans tous les milieux sociaux ». On voit bien là le souci d'une volonté de ne pas mettre l'institution militaire en marge de la société. Nous nous inscrivons dans cette lignée.

La commission Denoix de Saint Marc avait souhaité maintenir la restriction relative à l'adhésion à des partis politiques ou à des groupements professionnels, au nom de la neutralité des armées. Le Gouvernement l'a suivie sur cette voie. Or nous devons constater - nous le savons tous - que ce principe est d'ores et déjà largement contourné. En réalité, le respect de cette interdiction est difficile, voire impossible dans la pratique. Nous connaissons tous des cas concrets : faut-il rappeler le précédent des quarante-cinq officiers généraux tancés vertement par François Mitterrand pour avoir appelé à voter contre lui ?

On nous dit que le problème qui pourrait se poser résiderait dans la publicité que les partis politiques pourraient faire de la présence de militaires dans leurs rangs. Curieuse conception qui fait porter au non-coupable le poids d'une interdiction, d'une punition ! Suivant ce raisonnement, la neutralité des armées risquerait d'en pâtir à cause de l'action des partis politiques, et c'est le militaire que l'on contraint au silence. Là, il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas !

Lors d'un colloque, en juillet 1995, au Collège interarmées de défense, le contrôleur général des armées Hoffmann disait que « le silence des armées conduit à leur mise à l'écart de la vie nationale ». Or nous souhaitons exactement le contraire : nous souhaitons une armée et des militaires faisant corps et âme avec la nation, avec leur société.

La limitation de la liberté d'expression civile et politique est ressentie par les militaires comme un manque de confiance. Nous pensons qu'il faut - c'est valable pour tous les fonctionnaires - faire respecter le devoir de réserve, mais aussi lui adjoindre un droit d'expression. C'est le sens de nos amendements.

La problématique du statut et de son avenir a donné lieu à des échanges très intéressants dans des revues officielles ou officieuses, dans des colloques, parfois avec la participation d'officiers généraux, parfois en leur absence : les autorisations ne sont pas toujours faciles à obtenir !

Dans ces lieux, des critiques policées furent entendues. Il y a eu aussi beaucoup d'échanges ces jours derniers sur des sites et des forums Internet. Des militaires, s'exprimant sous couvert d'anonymat, ont eu la dent dure à l'égard du projet du Gouvernement. On peut choisir de les faire taire ou, au contraire, écouter ce qu'ils ont à dire. Les faire taire ne servirait sans doute à rien puisqu'ils auront toujours des technologies performantes à leur disposition et que la clandestinité n'enlèvera rien à leur volonté d'exprimer leurs revendications. Et puis, qu'on se rassure : la République n'est pas en danger.

En particulier, nous savons que la coexistence de deux modes de désignation des instances de concertation, élection pour les instances locales et tirage au sort parmi des volontaires pour les instances nationales, suscite des interrogations - c'est un euphémisme - sur la représentativité de ces instances et sur leur légitimité, d'après Armées d'aujourd'hui de février 2004.

Les militaires acceptent en toute conscience les servitudes liées à leur métier. Cependant, ils sont nombreux à penser que ces servitudes ne doivent pas signifier une indifférence aux problèmes auxquels ils sont confrontés. La recherche des voies détournées pour s'exprimer ne peut pas être la bonne solution !

En conclusion, je vous le dis, madame la ministre, ce que vous refusez aujourd'hui en termes de libertés et de droit d'association, vos successeurs, demain ou après-demain, seront obligés de l'accorder.

M. Philippe Nogrix. Vous auriez dû commencer par là !

M. Didier Boulaud. Eh oui ! Voilà en tout cas qui prouve que la démocratie reste un problème...

Les socialistes ont toujours voulu, pour la réussite du processus de professionnalisation et par souci d'harmonie au sein de la fonction publique, que les militaires bénéficient, dans le strict respect des exigences de leur métier, d'une évolution comparable à celle des personnels du secteur civil.

Dans des conditions adaptées à l'exigence de disponibilité inhérente à leur statut, les personnels militaires doivent pouvoir bénéficier des améliorations de leur condition propres à une société moderne.

A cet égard, le projet de loi intègre de nombreuses mesures visant à apporter plus de cohérence au sein de dispositions anciennes ou inadaptées. C'est son aspect positif.

En revanche, son manque d'audace et son conservatisme constituent son aspect négatif.

Dans plusieurs domaines, des points concrets - l'exercice du commandement, la discipline, le déroulement des carrières, la reconversion, les garanties aux combattants - sont pris en considération par le projet de statut, qui apporte des réponses. Toutefois, l'inéluctable, à savoir la dimension européenne de notre défense et de nos institutions de défense, n'est pas abordé.

Nous allons donc proposer des amendements afin d'améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Madame la ministre, le projet de loi que vous nous présentez comporte des avancées. Elles ont été soulignées par vous-même, par le rapporteur, M. Dulait, et par plusieurs de mes collègues. Je ne le conteste pas et, pour faire court, je ne reviens pas sur ces avancées.

En revanche, je souhaite évoquer quelques lacunes qui, si vous le vouliez, madame la ministre, pourraient être comblées, et le groupe socialiste présentera quelques amendements qui vont dans ce sens.

A gauche comme ailleurs, nous sommes nombreux à penser et à dire qu'il est nécessaire de renforcer le lien armée-nation. Quelle contribution le présent texte apporte-t-il à la relation entre les militaires et les civils ? C'est la question que je vais essayer de traiter.

Je constate que la suppression du service militaire, réalisée dans la précipitation et sans étude objective, a fortement détérioré ce lien : le militaire est aujourd'hui beaucoup plus isolé qu'hier.

La disparition du service militaire a été une erreur, j'en suis convaincu. Sur le plan financier, son coût dépasse largement les économies annoncées par le ministre d'alors, M. Charles Millon. Il serait d'ailleurs intéressant de comparer les prévisions et la réalité constatée aujourd'hui.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer, dans quelque temps, le bilan financier de la suppression - certains diront de la « suspension » - du service militaire ?

Cette suppression a cependant eu d'autres conséquences.

Elle a encore davantage isolé le militaire, en l'éloignant notamment des jeunes, alors que le service transformé aurait pu être un précieux outil de formation du citoyen, du patriote apte à contribuer à la lutte contre le terrorisme et à intervenir sur les lieux de sinistres, en complément des militaires mais avec les militaires.

Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, aurait pu recréer le lien armée-nation. Or il renforce l'isolement du gendarme, du soldat.

Le militaire demeure un citoyen brimé. Sa liberté d'expression est limitée. Des secteurs importants de la vie en société lui sont interdits : syndicats, partis politiques, assemblées élues. Cette citoyenneté tronquée le situe en marge de notre devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité ». Son statut, même amendé, limite sa liberté d'une manière qui ne me paraît pas sérieusement fondée.

En effet, pourquoi un gendarme ne pourrait-il pas être conseiller municipal tout en demeurant gendarme ? Pourquoi un militaire ne pourrait-il pas exercer une fonction élective sans être obligé d'opter pour le détachement ?

Certains diront que leur autorité, leur neutralité, leur disponibilité en souffriraient. De nombreuses expériences démontrent le contraire. Des policiers et des gendarmes pratiquent des activités sportives avec des jeunes. Ils ne négligent pas pour autant les devoirs de leur service, mais ils comprennent mieux les jeunes et ils sont mieux compris d'eux. Ils créent un lien qui me paraît très fort.

D'aucuns avancent que les contraintes de leur profession sont trop grandes, mais d'autres activités s'accompagnent aussi de lourdes obligations sans que ceux qui les exercent soient pour autant assujettis à des interdits syndicaux et politiques.

Chacun, me semble-t-il, doit juger ce qu'il peut assumer, et l'engagement militaire pourrait comporter des obligations qui ne seraient pas assorties d'interdictions syndicales et politiques.

Le militaire est donc en situation de liberté limitée. Il ne bénéficie pas de l'égalité que notre Constitution garantit.

Quant à la fraternité armée-nation, ce n'est pas en isolant les militaires que vous favoriserez son développement, madame la ministre.

Nous sommes nombreux à combattre l'exclusion. Votre projet de loi, en quelque sorte, renforce l'exclusion sociale. A l'heure où le dialogue apparaît comme indispensable à l'harmonie sociale, il bâillonne le militaire, qui appartient encore, hélas ! à la « grande muette ».

Madame la ministre, donnez la parole au militaire : il n'en abusera pas, tout au moins pas plus que les autres citoyens ! Votre frilosité dans ce domaine me fait penser aux craintes que certains agitaient hier lorsque la société et le Parlement hésitaient à accorder le droit de vote aux femmes.

Un jour viendra où les militaires seront des citoyens à part entière. L'institution, la société et la République n'en seront pas pour autant affaiblies. Au contraire, elles se renforceront mutuellement par une connaissance plus étroite et par une solidarité fertile.

Cette évolution est inéluctable. Il serait préférable de l'organiser et de la planifier plutôt que de la subir.

C'est donc sans enthousiasme que, peut-être, je ne dirai pas « non » à votre projet de loi.

Il apporte, c'est vrai, quelques améliorations au statut des militaires. Je serais tenté de dire que c'est mieux que rien, mais en ajoutant aussitôt que c'est moins que suffisant.

Les amendements du groupe socialiste complètent, madame la ministre, vos propositions ; j'espère - sans trop y croire - que vous les ferez vôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien que n'étant pas membre de la prestigieuse commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - ou peut-être précisément parce que je ne le suis pas -, je me suis hasardé à intervenir dans ce débat, d'une part, parce que je crois depuis longtemps que l'armée concerne chaque citoyen, notamment chaque élu, et, d'autre part, parce qu'après avoir pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du rapport de notre collègue André Dulait je voulais me livrer à quelques observations.

Certes, madame la ministre, votre texte comporte, personne ne le contestera, des avancées, en particulier sur le plan social, mais il faut bien reconnaître aussi qu'il est très décevant, et il l'est d'autant plus qu'il s'en faudrait finalement de peu pour qu'il rencontre une adhésion beaucoup plus large que celle que vous rencontrez aujourd'hui, notamment sur un plan qui vous est cher, celui des libertés publiques.

Je me souviens des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale lors de la suppression des tribunaux permanents des forces armées et je constate que, depuis, tout est resté en l'état et que le présent texte n'y changera rien, car les quelques modifications qu'il apporte sur le plan des libertés publiques ne sont pas très importantes.

On l'a dit, l'abandon de la conscription et la professionnalisation de nos armées ont profondément modifié l'identité de l'armée. Pour s'en persuader, il suffit, comme vous le faites sans doute tous, de visiter nos régiments et d'aller dans les casernes. Pour ma part, je le fais souvent, dans le cadre de ce que l'on appelle un « parrainage » entre ma commune et un régiment proche, et je me suis rendu compte de la mutation, de la révolution culturelle considérable qui s'est produite.

D'abord, des officiers sont chargés de la gestion des ressources humaines, ce qui montre qu'ils sont face à des gens que l'on ne peut plus traiter uniquement sur le plan hiérarchique et disciplinaire, mais qu'il faut discuter avec eux.

Ensuite, la place de plus en plus importante qu'occupent les femmes dans les casernes modifie totalement le comportement des militaires - au demeurant dans le bon sens, il convient de préciser - aussi bien au niveau du langage que de la façon d'être.

Enfin, on a de plus en plus fréquemment recours dans les casernes à du personnel civil pour remplacer les appelés dans les « services généraux ».

Ces nouvelles données expliquent que coexistent des personnels qui, bien qu'ayant des statuts différents et sans faire exactement le même travail, participent néanmoins à une même synergie.

La société a évolué et l'on peut se demander pour quelle raison - j'avoue ne l'avoir trouvée ni dans le rapport ni dans vos récents propos, madame la ministre - le militaire, en France, aujourd'hui, n'est pas un citoyen à part entière.

M. Philippe Nogrix. C'est parce qu'il est militaire !

M. Jean-Pierre Michel. On met en avant la neutralité de l'armée. Mais cela n'a aucun sens dans la mesure où la fonction publique - et notamment la haute fonction publique - est astreinte à la neutralité, de même que le magistrature. Or, à l'exception de quelques corps qui ne disposent pas du droit de grève, tous les autres fonctionnaires ou assimilés jouissent de l'ensemble des droits politiques et syndicaux.

Pourquoi seuls les militaires n'auraient-ils pas ces droits ? Si on me l'explique, peut-être consentirai-je à me faire une raison, mais, pour l'instant, je ne trouve vraiment aucune explication...

M. Eric Doligé. Il faudra bien vous faire une raison !

M. Jean-Pierre Michel. Pour quelle raison supérieure et motivée une telle discrimination entre des citoyens à part entière et des citoyens qu'il faut bien appeler « de seconde zone » ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mais non !

M. Jean-Pierre Michel. Au demeurant, les conventions internationales et les directives européennes ne plaident pas dans ce sens : elles plaident au contraire dans le sens de l'organisation, de la défense des intérêts professionnels des militaires par eux-mêmes au sein des armées et, hormis l'Italie, tous les grands pays européens, notamment ceux qui, avec la France, sont au coeur de l'Europe et ont signé le traité de Rome, ont doté leur armée de droits beaucoup plus importants que ceux dont bénéficie la nôtre. En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, et même au Royaume-Uni, qui a une armée professionnelle depuis plus longtemps que nous, les militaires peuvent se syndiquer, en adhérant soit à des syndicats propres à l'armée, soit à des syndicats civils, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, et ils négocient des conventions collectives.

Dès lors qu'il apparaît clairement que la hiérarchie et la discipline ne peuvent plus présider seules aux rapports existant au sein de l'institution militaire, pourquoi ne pas le dire dans la loi ?

Pourquoi la France fait-elle cavalier seul au sein de l'Europe ? On nous dit - c'est le grand débat - qu'il faut construire une Europe politique. Or, personnellement, je constate que l'on a construit une Europe de la finance, que l'on s'apprête à construire une Europe de la libre concurrence, et je suis de ceux qui pensent que l'on pourrait en effet construire une Europe politique, voire une Europe de la défense ou une armée européenne : je n'y ai jamais été hostile. Toutefois, si l'on fait coexister des militaires avec des contrats si différents, il faudra bien harmoniser leurs statuts par le haut !

Ce texte reflète peut-être la position d'une partie de l'état-major, il reflète peut-être la position des officiers supérieurs, mais en aucun cas celle de ces militaires professionnels qui, recrutés par contrat pour des durées différentes, sont à la recherche d'un emploi et parfois d'un avenir professionnel, mais intègrent souvent l'armée, il faut malheureusement le reconnaître, plus par intérêt que par vocation. Doivent-ils pour autant devenir des citoyens de seconde zone ?

Au moment où j'entends les chefs de corps dire que le recrutement n'est pas aussi facile qu'on l'avait prévu et qu'il faut faire de la publicité pour recruter des professionnels sous contrat, pensez-vous, madame la ministre, que ce statut de « citoyen diminué » que vous offrez aux militaires...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je ne peux pas vous laisser dire cela, monsieur Michel !

M. Jean-Pierre Michel. ... est de nature à encourager l'intégration de jeunes gens et de jeunes filles qualifiés et à assurer leur fidélisation au sein de l'armée ?

On peut, certes, plaider pour une exception française, en matière culturelle notamment, mais, dans ce domaine précis, je considère, madame la ministre, que c'est une erreur et qu'il faudrait peu de chose pour que, finalement, comme je l'ai dit au début de mon intervention, votre texte satisfasse aux normes internationales, aux normes européennes et à l'aspiration de l'ensemble de nos militaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Dossier législatif : projet de loi portant statut général des militaires
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