compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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DéMISSION D'UN SéNATEUR

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Georges Ginoux par laquelle il se démet de son mandat de sénateur du Cher, à compter du jeudi 30 juin à minuit.

Acte est donné de cette démission, qui prendra donc effet le jeudi 30 juin à minuit.

3

RECTIFICATION DES CANDIDATURES à UNE commission mixte paritaire

Mme la présidente. J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a procédé à une rectification de la liste des candidats qu'elle a présentés pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Cette liste rectifiée a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.

4

DéPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

Mme la présidente. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la préparation de la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, établi en application de l'article 109 de la loi de finances pour 2003.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

5

CANDIDATURE À UNE COMMISSION

Mme la présidente. J'informe le Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

6

 
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Demandes de réserve et de priorité

Sauvegarde des entreprises

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de sauvegarde des entreprises (nos 235, 335, 337, 355).

Demandes de réserve et de priorité

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Discussion générale (début)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame la présidente, pour une plus grande compréhension de nos débats et en application de l'article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la commission des lois demande la réserve des amendements nos 287 à 339 afin qu'ils soient examinés à la fin du texte, c'est-à-dire après la discussion de l'article 197.

Par ailleurs, la commission demande l'examen en priorité de l'amendement n° 207 avant le chapitre VII, c'est-à-dire avant l'article 179.

Enfin, elle demande la réserve des amendements nos 343 et 344, afin que ceux-ci soient examinés avant le chapitre VII, donc également avant l'article 179.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est favorable à ces demandes, madame la présidente.

Mme la présidente. En conséquence, la réserve et la priorité sont ordonnées.

Discussion générale

Demandes de réserve et de priorité
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente - je suis heureux en cet instant d'avoir l'occasion de saluer à travers vous, madame, l'Auvergne -, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur - mais j'ai cru comprendre qu'il s'agissait du même homme : sans doute cette sorte de cumul est-elle possible au Sénat -,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. A l'Assemblée nationale aussi !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. A ce point, cela demeure exceptionnel !

... mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, vous le savez, est résolument engagé en faveur de l'emploi.

Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter constitue un moyen essentiel de renforcer l'action économique et sociale de notre pays.

Le droit français des procédures collectives est aujourd'hui obsolète et destructeur. Il est marqué à la fois par un manque de sécurité économique, un manque de sécurité pour l'emploi et un manque de sécurité juridique.

Manque de sécurité économique, tout d'abord. Toutes les dix minutes, notre pays enregistre une défaillance d'entreprises : entrepreneurs et salariés vivent ainsi dans la crainte du lendemain.

Manque de sécurité de l'emploi, ensuite. Chacun connaît la terrible réalité, à savoir la liquidation dans 90 % des cas, ce qui entraîne plus de 150 000 licenciements chaque année.

Manque de sécurité juridique, enfin, tant les procédures judiciaires actuelles sont lentes, complexes, souvent inefficaces, voire parfois contradictoires.

Il faut mettre un terme à ce gâchis humain et à ces désastres économiques.

Le projet de loi de sauvegarde des entreprises que je vous présente aujourd'hui vise à doter notre pays des instruments juridiques adaptés pour remédier à cette situation.

Ce texte a fait l'objet d'une élaboration largement concertée qui a duré près de deux ans, et ce travail a permis de dégager un consensus entre les acteurs économiques et sociaux quant à la nécessité d'une réforme porteuse d'une plus grande sécurité et d'une plus grande efficacité dans le traitement des difficultés des entreprises.

Le Parlement a également pris toute sa part dans cette élaboration, avant même le débat qui nous réunit aujourd'hui.

Vous avez ainsi remis le 5 décembre 2001, monsieur le président de la commission des lois, un rapport important élaboré au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, dont de nombreuses propositions vont être discutées dans les heures qui viennent.

Votre analyse selon laquelle il est essentiel d'introduire dans les procédures une gradation de nature à permettre un traitement sur mesure des difficultés des entreprises est au coeur de la nouvelle architecture juridique que met en place le présent projet de loi.

De même, dès 2002, la commission des lois de l'Assemblée nationale a décidé - sur mon initiative, qu'il me soit permis de le rappeler - la création d'une mission d'information sur le droit des sociétés.

Après des premiers travaux portant sur le thème de la gouvernance de l'entreprise, la mission a réfléchi au traitement des difficultés des entreprises.

Elle a dressé un constat d'inefficacité des procédures actuelles. Elle a également souligné la nécessité du changement d'état d'esprit des acteurs de la vie économique. En effet, il n'est pas admissible que ces procédures collectives inspirent de la crainte aux salariés ainsi qu'aux chefs d'entreprise : au lieu de les aider, de les appuyer, elles les font souvent fuir !

Le diagnostic étant posé, il convient d'apporter les remèdes nécessaires, dans un climat de confiance avec les représentants des entreprises, les représentants des salariés et les autres parties prenantes.

Il faut, d'une part, obtenir la confiance des chefs d'entreprise.

Aujourd'hui, l'ouverture des procédures collectives conduit dans une très large mesure à déposséder les entrepreneurs de leurs prérogatives et de leurs initiatives : les initiatives sont contraintes par une absence totale de choix et la menace de sanctions, le sort de l'entreprise est pris en main par la justice.

Au contraire, le texte que je vous présente reconnaît la capacité des chefs d'entreprise à décider de la meilleure procédure à suivre.

Il assouplit considérablement les contraintes issues de la cessation des paiements, notion qui demeure indispensable mais qui n'est plus le pivot du droit en la matière.

Il redonne confiance aux chefs d'entreprise, en leur garantissant que lorsqu'ils recourront, sans y être obligés, à la nouvelle procédure de sauvegarde, ils resteront maîtres de leur activité. Ils ne seront pas évincés de la direction de l'entreprise qu'ils ont souvent créée.

L'Assemblée nationale a accru cette capacité d'initiative et de choix en permettant au chef d'entreprise de décider s'il convient, à l'issue de la procédure de conciliation, soit de garder confidentiel l'accord qu'il vient de conclure avec ses créanciers - sans conséquence juridique erga omnes, évidemment -, soit d'en dévoiler l'existence pour privilégier l'opposabilité aux tiers.

Il a ainsi été rendu possible de concilier les conditions de la sécurité juridique et celles du secret des affaires. Il s'agit d'un réel progrès.

Cette confiance est ainsi réciproque. De la confiance du législateur à l'égard des dirigeants d'entreprise naîtra la confiance de ceux-ci à l'égard du droit rénové.

De nombreux chefs d'entreprise ruinés ainsi que leurs proches ont été choqués par les conditions sommaires dans lesquelles leurs biens professionnels ont été cédés au terme de procédures complexes et opaques.

Le texte vise à réformer, dans l'intérêt des entrepreneurs et de façon moderne et ambitieuse, les procédures de cession pour qu'elles soient transparentes et beaucoup plus souvent qu'aujourd'hui négociées.

La cession totale ou partielle de l'entreprise pourra intervenir à tout stade de la procédure, y compris, ainsi que l'a opportunément souhaité l'Assemblée nationale, en redressement judiciaire, ce qui laisse une chance de redressement à celui qui en détient le capital.

Dans l'intérêt des entreprises et de leurs créanciers, les nouvelles règles privilégient la compétence et la stricte neutralité des professionnels qui interviennent dans ces opérations : aux administrateurs judiciaires est dévolu le conseil aux entrepreneurs dans la recherche et la construction des solutions de redressement ; aux mandataires judiciaires la répartition des produits de cession d'actifs entre les créanciers et la défense de leurs intérêts selon la même rigueur, et ce quels qu'ils soient, salariés, fournisseurs ou banquiers.

Ce projet de loi s'appuie également sur la confiance des salariés.

Personne ne peut nier leur très grande fragilité au milieu des difficultés économiques qui rendent nécessaires les procédures collectives, trop souvent synonymes de cessation d'activité, toujours synonymes d'insuffisance de trésorerie.

C'est pourquoi il est essentiel que les salariés soient parfaitement informés de l'évolution de l'ensemble des procédures. Leur vie professionnelle et, en conséquence, la vie de leur famille en dépendent. Ils doivent pouvoir y faire entendre leur voix.

De ce fait, il est important que la nouvelle procédure de sauvegarde soit éligible au mécanisme de garantie des salaires par l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS.

Dans le même temps, personne n'a intérêt à voir cette procédure produire un effet contraire à son seul objet, qui est de permettre le maintien des emplois.

Personne n'a intérêt non plus à voir la procédure de sauvegarde détournée pour mettre à la charge de l'AGS des dépenses qui ne relèvent pas de la solidarité qu'elle institue.

Je sais qu'il existe des craintes que cela ne nuise à son équilibre financier. L'examen du texte par la Haute Assemblée devrait, je le souhaite, permettre de trouver, grâce aux amendements présentés par la commission, les moyens de les rassurer à ce sujet tout en préservant la sécurité des salariés.

Enfin, pour que les choses soient bien claires, il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de modifier le droit du licenciement dans le cadre de la procédure de sauvegarde.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le large consensus que ce texte recueille n'est pas le fruit du hasard : c'est parce qu'il vise à préserver une part significative de l'activité économique détruite chaque année par des procédures inadaptées ; c'est aussi parce qu'il tend à sauver une part significative des 150 000 emplois que nous perdons chaque année dans le cours de ces procédures.

C'est bien en effet de l'effort national en faveur de l'emploi que ce projet de loi relève. Il s'inscrit indiscutablement dans l'ensemble des réformes résolument entreprises par le Gouvernement.

Notre objectif est simple, c'est le développement de l'activité économique, pour que nos concitoyens cessent de souffrir du traumatisme du chômage.

La loi de sauvegarde des entreprises y contribue à deux égards.

D'une part, elle comporte un volet essentiel sur la prévention des difficultés des entreprises.

L'anticipation est l'un des maîtres mots de la réforme. Cela commence par l'amélioration de la détection des difficultés, permise notamment par l'amélioration des procédures d'alerte.

L'anticipation est favorisée par la procédure de conciliation, qui permet au chef d'entreprise de négocier avec les principaux créanciers et de créer rapidement les conditions d'un nouveau départ.

L'anticipation se traduit naturellement par la sauvegarde, où le juge vient protéger l'entreprise, pour qu'elle convienne avec ses créanciers, suffisamment en amont, des conditions susceptibles d'éviter les crises.

Les conditions d'ouverture de cette sauvegarde doivent être un très fort encouragement à la tenue de comptes prévisionnels, même lorsque cela n'est pas obligatoire.

Dans un climat plus serein que dans le redressement judiciaire, seul aujourd'hui accessible, ces procédures modernes concourent à la préservation de l'emploi.

D'autre part, la loi de sauvegarde entend aussi inciter les entrepreneurs à s'engager dans le développement de nouvelles activités, en clarifiant la façon dont les difficultés seront traitées si elles se présentent.

Je rappelle que la moitié des entreprises qui se créent connaissent une défaillance dans les cinq années suivantes : la certitude que les difficultés, si elles surviennent, seront traitées de façon efficace est donc une condition de la création d'entreprise et de la croissance.

Dans le même ordre d'idées, il faut développer la possibilité d'une seconde chance.

La liquidation judiciaire est parfois inévitable. Elle n'a pas été prise en compte, par excès d'optimisme, par la législation de 1985 ; elle l'a été insuffisamment en 1994. Il en est résulté une procédure très longue, très coûteuse, très opaque et très handicapante pour celui ou celle qui s'y trouve soumis.

Si la liquidation est indispensable, elle doit apparaître aujourd'hui, de manière totalement nouvelle, comme une étape certes difficile mais ouvrant à la voie à de nouvelles initiatives professionnelles.

Voilà pourquoi la loi de sauvegarde des entreprises réforme entièrement la liquidation.

Au delà des effets produits par les liquidations, ma conviction est que beaucoup des hommes et des femmes qui déposent leur bilan ne méritent pas les nombreuses sanctions qui s'abattent sur eux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vrai !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ils se sont seulement trompés ou ont été les victimes d'un environnement économique défavorable.

Certes, ils ont parfois aussi été exagérément optimistes, mais notre croissance ne demande-t-elle pas de l'optimisme et de l'audace ? La prise de risque n'est-elle pas le seul moyen de conquérir des marchés, alors que la concurrence se fait de plus en plus rude ?

Dans leur très grande majorité, ces hommes et ces femmes n'ont pas été malhonnêtes. Ils n'ont même pas fait preuve d'incompétence. Ils n'ont simplement pas eu la chance souvent nécessaire à la réalisation des défis les plus ambitieux.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. César Birotteau !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ils méritent la confiance plus que le blâme.

C'est pourquoi le texte prévoit une réforme complète du régime des sanctions, de façon que celles-ci ne soient prononcées qu'à l'encontre des chefs d'entreprise malhonnêtes, dans une procédure qui garantira beaucoup mieux que ce n'est le cas aujourd'hui les droits de la défense.

Je veux croire que notre pays saura demain plus que par le passé valoriser les premiers échecs et ne plus clouer systématiquement au pilori ceux qui ont participé à l'effort de développement de notre économie.

Enfin, ce projet de loi est un texte de volonté et de détermination : son ambition est de permettre à notre économie de s'insérer pleinement dans le contexte global que son développement exige.

Je donnerai trois exemples à cet égard.

Nous nous dotons premièrement, comme nos voisins, d'un droit des procédures collectives modernisé.

Nous avons tous remarqué - et les services juridiques du Sénat l'ont spécialement analysé - que le droit des pays qui sont nos principaux partenaires économiques a été adapté sur ce point au cours des dernières années et que les différents systèmes juridiques convergent, en vue des mêmes objectifs.

Les procédures informelles, privilégiant la négociation, côtoient des procédures plus formelles, où le rôle du juge est plus important.

Les créanciers jouent un rôle primordial, dans lequel une majorité peut imposer un accord à une minorité, au-delà de l'intervention des tribunaux.

La liquidation judiciaire est reconnue comme une nécessité et une procédure à part entière, répondant aux réalités de la vie économique.

Je donnerai, d'autre part, l'exemple de l'inscription des procédures ainsi réformées dans les dispositifs européens.

La reconnaissance de la sauvegarde en tant que procédure d'insolvabilité en droit communautaire lui donnera une pleine efficacité lorsqu'il s'agira de prévenir et traiter les difficultés de sociétés dont les activités sont situées dans plusieurs pays de l'Union.

De même, l'adaptation de notre législation à ces textes européens était indispensable.

Nous devons tenir compte du fait que, de plus en plus souvent, le droit d'autres Etats sera applicable en France, comme le droit français sera applicable chez nos voisins.

C'est ainsi qu'il nous fallait permettre des cessions d'entreprises sans cessation d'activité, après des décisions de liquidation prises à l'étranger selon d'autres critères que les nôtres.

Je citerai enfin, troisième exemple, le régime des professionnels des procédures collectives, à savoir les administrateurs et mandataires judiciaires.

D'ici à la fin de l'année, des décrets seront pris pour que leur rémunération soit étroitement liée aux résultats qu'ils obtiennent dans la mission qui est la leur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il faut que ces missions soient bien remplies, et je sais que ces professionnels sont d'accord pour que nous progressions rapidement en ce sens.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de sauvegarde des entreprises est destiné à apporter sécurité et confiance dans une des matières les plus importantes pour la vie quotidienne de nos concitoyens.

Offrons-leur les moyens de prendre leur avenir en main. Donnons-nous les moyens pour que les mentalités changent et que les difficultés ou les échecs soient affrontés sereinement. Valorisons l'initiative, surmontons tous les échecs, dépassons les égoïsmes. Mobilisons les acteurs de terrain pour faire en sorte que les nouveaux mécanismes soient pleinement utilisés. Faisons, dès aujourd'hui, oeuvre de pédagogie pour qu'ils soient connus et promus.

Je sais que les hommes et les femmes qui constituent les entreprises de ce pays, qu'ils soient entrepreneurs, salariés ou professionnels libéraux, n'ont pas d'autre ambition que de contribuer au développement de la France. Sachons les reconnaître, les encourager et les accompagner. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, comme l'a indiqué M. le garde des sceaux, il eût été dommage que, dans le cadre du programme du Gouvernement donnant priorité à l'emploi, ce projet de loi, préparé depuis de nombreux mois, voire depuis des années, ne vînt pas à l'ordre du jour de la Haute Assemblée, et ce d'autant plus que le Gouvernement entend mettre en oeuvre ce dispositif dès le 1er janvier 2006. A cet égard, un effort d'information sera d'ailleurs nécessaire, mais cela paraît possible.

La réforme du droit des procédures collectives, réclamée par tous - praticiens du droit, universitaires, tribunaux de commerce, représentants des entreprises - a longtemps été paralysée par le débat sur les tribunaux de commerce et sur la réforme des professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire. L'Assemblée nationale le sait bien, monsieur le garde des sceaux !

Le Sénat a beaucoup travaillé sur ces sujets et sa position est claire à cet égard : un certain nombre d'améliorations ont été apportées, tant en ce qui concerne la formation que la déontologie des juges consulaires.

Aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, il vous appartient d'adapter la carte judiciaire pour rendre les tribunaux de commerce plus performants. A ce sujet, d'ailleurs, peut-être faudrait-il choisir une autre dénomination que « tribunaux de commerce » : il s'agit des tribunaux de l'entreprise,...

M. Robert Badinter. Les tribunaux économiques !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... puisque, si le projet de loi est voté, les artisans et les professions libérales, les entreprises individuelles sous forme de société, seront justiciables devant ces tribunaux.

La loi n° 2003-7 du 3 janvier 2003 a profondément réorganisé les professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire et les dispositions relatives au redressement et à la liquidation des entreprises.

Je ne souhaite pas que le débat actuel soit l'occasion d'une remise en cause du difficile équilibre qui s'est instauré entre ces professions.

L'option d'une profession réglementée, combattue à l'époque par certains, est une garantie indispensable du déroulement normal des procédures.

Monsieur le garde des sceaux, j'ai bien entendu que des décrets seraient pris - puisqu'il s'agit du domaine réglementaire - pour mieux adapter la rémunération de ces professionnels.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des ordonnances !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est de nature réglementaire, monsieur Dreyfus-Schmidt, je l'ai dit !

Il est extrêmement important que cette adaptation soit faite le plus rapidement possible.

En cet instant, je ne voudrais pas vous imposer l'historique de l'évolution du droit de la faillite depuis la rédaction du code de commerce en 1807, lequel se caractérisait par la volonté de stigmatiser l'entrepreneur défaillant dans son honneur et dans ses biens - quelqu'un a cité tout à l'heure César Birotteau - et ce régime, peu efficace pour les créanciers, nécessitait d'être réformé.

On en est donc venu à un droit des entreprises en difficulté qui n'a plus pour objectif premier la punition patrimoniale ou pénale du chef d'entreprise. C'est notamment le sens de la réforme qui résulte des lois du 1er mars 1984 et du 24 janvier 1985, qui a un tout autre objectif : le maintien des entreprises et de l'emploi, et le désintéressement des créanciers.

Cet arbitrage difficile a été corrigé par la loi du 10 juin 1994, qui a renforcé les mécanismes de prévention - déjà ! -, simplifié et moralisé les procédures, et restauré les droits des créanciers.

Si l'esprit du législateur de 1984-1985 demeure dans le texte qui nous est soumis - son inspirateur et auteur n'appelait-il pas de ses voeux une réforme ? -, on doit constater un relatif échec de ces procédures. Mais encore faut-il, monsieur le garde des sceaux, en analyser les motifs !

Selon les dernières statistiques disponibles, que vous avez citées, monsieur le garde des sceaux, les liquidations judiciaires immédiates ou après période d'observation représentent près de 90 % des procédures, les plans de continuation 8,5 % seulement et les plans de cession 2,1 %. C'est un échec total !

Une autre approche sur la taille des entreprises est également suggestive : 45 % des procédures collectives concernent des entreprises sans salarié, 85 % des entreprises de zéro à cinq salariés et 0,1 % des entreprises de plus de 200 salariés. Manifestement, les procédures ne sont pas adaptées à la situation des petites entreprises.

Par conséquent, un constat s'impose : le taux de mortalité des entreprises tient à beaucoup de facteurs que la loi seule ne permettrait pas d'atténuer. L'absence de fonds propres, le crédit interentreprises - avec les effets boule de neige que nous connaissons -, l'absence de formation initiale parfois et l'absence d'accompagnement des chefs d'entreprise sont souvent la cause de ces échecs.

De ce point de vue, le rôle des chambres de commerce et d'industrie ainsi que celui des chambres de métiers est crucial. Le rôle des professionnels du droit et du chiffre ainsi, bien entendu, que celui des établissements de crédit est tout à fait important. En effet, s'il faut continuer à encourager la création d'entreprises, on ne peut pas prendre en permanence le risque de créer des entreprises non viables. Mais cette invitation dépasse le strict cadre de ce projet de loi...

Le 5 décembre 2001, lors de l'examen du rapport - que vous avez eu la bonté de citer, monsieur le garde des sceaux - de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, les remarques que le président Badinter avait faites étaient justes : « Après avoir estimé qu'une réforme cohérente des procédures collectives devrait passer par une révision de la législation applicable en matière de droit des sûretés, M. Robert Badinter a rappelé que, dans l'esprit du législateur de 1985, l'objectif de sauvegarde de l'entreprise excluait toute idée d'acharnement thérapeutique et que, déjà à l'époque, les statistiques montraient qu'une part importante des actifs se volatilisaient dans des procédures longues et inutiles. Il a affirmé que prononcer la liquidation d'entreprises non viables nécessitait du courage et de la fermeté et a considéré que le raisonnement tenu par certains tendant à déduire d'une augmentation du nombre des liquidations un constat d'échec de la législation sur le traitement des difficultés des entreprises était erroné dans la mesure où l'élimination des entreprises non viables était inéluctable dans une économie de libre concurrence. [...] Il s'est par ailleurs déclaré favorable à toute mesure permettant d'empêcher les entrepreneurs d'occulter les difficultés grevant la situation de leur entreprise, cette tendance à espérer un avenir meilleur étant largement répandue. »

On sait que, devant les difficultés, les chefs d'entreprise, comme les autruches, mettent quelquefois la tête dans le sable ! De plus, ce vieux complexe récurrent de la faillite, qui est stigmatisant, demeure, malgré les efforts et les lois, dans l'esprit non seulement d'un certain nombre d'entrepreneurs, mais, pis, dans l'esprit du public. Un entrepreneur qui ne réussit pas est une personne qui a perdu son honorabilité. C'est tout à fait dommageable - vous l'avez souligné à juste titre, monsieur le garde des sceaux - et il fallait absolument combattre cette mentalité. On ne compte plus les travaux sur ce sujet !

Il était urgent de rechercher un meilleur équilibre permettant d'agir au plus tôt lorsqu'une entreprise est en difficulté, sans, bien sûr, que les droits de créanciers soient lésés.

Par ailleurs, la réforme présentée est guidée par le souci de réduire l'aspect punitif des procédures collectives, poursuivant le mouvement amorcé par le droit français depuis une dizaine d'années. Il faut en effet, monsieur le garde des sceaux, distinguer l'entrepreneur malchanceux ou maladroit de l'entrepreneur malhonnête et les sanctions doivent être adaptées à ces différentes situations.

C'est à une refonte complète du livre VI du code du commerce que s'attaque le projet de loi qui nous est soumis et dont, après le garde des sceaux, il me faut évoquer les aspects les plus saillants.

Tout d'abord, et c'est une avancée notable à laquelle la commission des lois comme la commission des affaires économiques a été sensible, les procédures collectives sont étendues aux professions indépendantes. Ces personnes physiques, qui représentent 25 % des entreprises de France, étaient jusque-là exclues du bénéfice de ces mécanismes. Bien entendu, des adaptations sont nécessaires pour les professions libérales qui sont réglementées ou dont le titre est protégé, mais nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat.

La deuxième innovation, qui est le coeur de la réforme, consiste à ne plus faire de la notion de cessation de paiement le critère unique de distinction entre traitement amiable et traitement judiciaire des difficultés des entreprises.

Désormais, le déclenchement d'une procédure collective ne serait plus lié à l'existence avérée de la cessation de paiement, tandis que les procédures amiables de résorption des difficultés des entreprises pourraient intervenir, dans un délai certes limité de quarante-cinq jours, après la cessation de paiement.

Cet objectif rejoint parfaitement celui que nous avions défini dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation : « On constate donc que le caractère unitaire et objectif de la définition de la cessation des paiements reste largement fictif, la diversité des situations économiques s'accommodant difficilement d'une approche strictement normalisée et rigide. »

Le projet de loi crée une nouvelle procédure judiciaire, dénommée « procédure de sauvegarde ». Certains pensent qu'elle est la transcription du fameux « Chapter eleven » du droit américain, que les Américains sont d'ailleurs en train de réformer. En fait, vous l'avez noté, monsieur le garde des sceaux, cette procédure s'inspire largement de divers dispositifs existant dans divers droits européens récemment modernisés. Les études de législation comparée du Sénat ont d'ailleurs prouvé que pratiquement tous les grands pays ont une procédure similaire.

Nous aurons à préciser les critères d'ouverture de cette procédure à la demande du débiteur avant l'intervention de la cessation de paiement.

Assurer une réorganisation de l'entreprise permettant à celle-ci de faire face aux difficultés qu'elle traverse sans attendre la crise fatale me paraît une très bonne idée. De ce point de vue, je ne vois pas en quoi le projet ferait des salariés une « variable d'ajustements » des difficultés des entreprises. A ce sujet, l'intervention bien encadrée de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, est le gage de la réussite de cette procédure et du maintien de l'emploi.

Le projet de loi assure, à la lumière de l'expérience, une nouvelle répartition des rôles de certains organes de la procédure : intervention renforcée du parquet - c'est important -, intervention renouvelée des contrôleurs et recul relatif des prérogatives accordées au tribunal. Cette répartition est souhaitable.

Enfin, le texte améliore certains droits des créanciers, et cela était nécessaire.

Sur ces bases, le projet de loi modifie l'architecture des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises en renforçant les mécanismes amiables de prévention et de règlement des difficultés par le renforcement des mécanismes d'alerte en cas de défaillance du débiteur. Monsieur le garde des sceaux, nous essaierons de vous aider dans ce sens...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... par l'amélioration des mécanismes de règlement amiable en cas de difficultés et la sécurisation des actes intervenus au cours de la procédure amiable.

A ce sujet, nous aurons à traiter la notion de soutien abusif, qui ne doit pas décourager ceux qui apportent du crédit à l'entreprise. Il faut un juste équilibre...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... et, personnellement, je trouve que l'Assemblée nationale a bien travaillé, sur ce point comme sur d'autres.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est mon avis aussi, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sur la partie judiciaire, comme je l'ai déjà exposé, la procédure de sauvegarde, qui est la principale innovation du projet de loi, permet, contrairement à la procédure de redressement judiciaire, aux chefs d'entreprise qui sollicitent sa mise en oeuvre de rester aux commandes de l'entreprise et aux coobligés ou aux cautions personnelles de se prévaloir du plan de sauvegarde arrêté par le tribunal. L'administrateur nommé n'a, dans ce cadre, qu'une mission d'assistance.

Le plan serait soumis à l'avis du ministère public et, le cas échéant, des comités de créanciers. En outre, le plan déciderait la continuation de l'activité avec, le cas échéant, l'adjonction ou la cession de certaines branches.

Sous réserve de ce que je viens d'exposer, les règles générales de cette procédure sont celles du redressement judiciaire.

Le projet prévoyait de ne rendre possibles les offres de reprise de l'entreprise que dans le cadre de la liquidation judiciaire. Or il est sage de prévoir cette possibilité même dans le cadre de la procédure de redressement. C'est un apport de l'Assemblée nationale que le garde des sceaux ne va pas, je pense, combattre aujourd'hui. (M. le garde des sceaux sourit.)

La procédure de liquidation est longue et coûteuse. Il est donc nécessaire qu'elle soit allégée, que sa durée soit réduite et son efficacité accrue, grâce à l'institution d'une procédure judiciaire simplifiée. Je l'appelais aussi de mes voeux en 2001.

Enfin, il est proposé dans le projet de loi un régime rénové des sanctions et une modernisation des règles de procédure. A la lumière d'une expérience de trente ans - beaucoup de lois ont une durée de vie moins longue -, le projet de loi peut aujourd'hui être jugé cohérent et, sans que son effet soit miraculeux, il devrait sécuriser la vie des entreprises et permettre, par ces innovations, le sauvetage de celles qui sont viables mais qui connaissent de graves difficultés en raison des multiples facteurs que j'évoquais tout à l'heure.

L'Assemblée nationale, notamment grâce à son rapporteur et au président de sa commission des lois à l'époque, un certain Pascal Clément (Sourires), a apporté des améliorations très significatives au projet de loi, en assurant une meilleure lisibilité du texte et en améliorant ponctuellement les procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises.

Il est à noter que l'Assemblée nationale n'a pas, après réflexion, institué de procédure de licenciement simplifiée dans la procédure de sauvegarde, comme cela est actuellement prévu dans la procédure de redressement, et je me réjouis de cette décision. Dès lors, beaucoup de propos sur la situation des salariés relèvent du fantasme et non de la réalité des textes. Au contraire, la procédure de sauvegarde me paraît mieux garantir le sauvetage des entreprises, et donc de l'emploi.

En ce qui concerne la procédure de redressement judiciaire, les députés ont rétabli, à juste titre, la possibilité de cession totale de l'entreprise, qui avait été supprimée dans le projet de loi.

Dans la ligne des travaux de l'Assemblée nationale, la commission des lois, au travers de 180 amendements - je vous prie de bien vouloir excuser ce nombre élevé -, lesquels s'ajoutent à ceux qui ont été déposés par les éminentes commissions des finances et des affaires économiques et par nos collègues, vous invite à améliorer l'efficacité des dispositifs proposés en les simplifiant encore - il faut toujours simplifier ! - et en évitant des détournements de procédure.

Nous aurons l'occasion, lors de l'examen des articles, de préciser les diverses propositions visant à valoriser les mécanismes d'alerte, à conforter la procédure de conciliation, à assurer l'efficacité des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation, ainsi qu'à parachever la rénovation du régime des sanctions et des règles de procédure.

Nous nous sommes également attachés à prévenir les risques de détournement des procédures. S'agissant de la sauvegarde, nous souhaitons ainsi encadrer l'intervention de l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés et éviter le maintien ou la naissance de pratiques contestables. Il faut toujours être méfiant et prévoyant !

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi, attendu par le monde économique et judiciaire, a fait l'objet d'une très ample concertation et d'un large consensus,... hormis, bien sûr, les critiques habituelles de ceux qui prétendent tout changer pour ne rien changer.

Ambitieux, mais s'inscrivant dans une perspective constante de notre droit depuis trente ans - à savoir la sauvegarde des entreprises et des emplois -, ce texte constitue non pas une révolution, mais une évolution très significative et nécessaire. Souhaitons que la procédure de sauvegarde et l'amélioration de la prévention apportent aux chefs d'entreprise confrontés à des difficultés économiques les outils dont ils ont besoin. En effet, en fin de compte, ce sont toujours eux qui peuvent assurer la croissance et le maintien de l'emploi.

C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d'adopter le présent projet de loi, sous réserve des amendements qu'elle vous présentera afin d'améliorer l'efficacité et la cohérence des dispositifs proposés tout en les simplifiant et, je le répète, en évitant les détournements de procédure.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez été présent à tous les moments de l'élaboration de ce projet de loi, hier en qualité de parlementaire, aujourd'hui en tant que ministre. Et permettez-moi aussi de rendre hommage à votre prédécesseur, Dominique Perben, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet, ainsi qu'à tous les services de la Chancellerie, qui ont apporté une contribution non négligeable à l'élaboration de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Gaudin, rapporteur pour avis.

M. Christian Gaudin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes du présent projet de loi. Elles ont été excellemment développées par le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui assure également aujourd'hui les fonctions de rapporteur.

La commission des affaires économiques a considéré qu'il serait utile de présenter un avis privilégiant une approche plus économique que juridique.

Lors de son audition devant notre commission, le 3 mai dernier, M. Christian Jacob, alors ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat, des professions libérales et de la consommation, nous avait indiqué que 224 000 entreprises avaient été créées en 2004. La création et le développement des petites et moyennes entreprises ont d'ailleurs constitué l'objet d'un projet de loi, qui a été récemment examiné par le Sénat.

Le nombre de créations d'entreprises doit aussi être apprécié à l'aune de celui de leurs défaillances. Il serait superflu de n'agir que sur le volet des créations d'entreprises sans se préoccuper de leur survie, y compris sous l'angle du dernier recours que constituent les procédures collectives.

La question de la survie des entreprises nous interpelle plus que jamais dans un contexte de croissance ralentie. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler qu'une baisse de 1 % de la croissance économique entraîne une hausse des défaillances de l'ordre de 5 % et, en corollaire, une progression du nombre des licenciements, qui s'est ainsi élevé à 141 000 en 2003.

Chaque année, la France déplore environ 45 000 défaillances d'entreprises, c'est-à-dire 45 000 dépôts de bilan entraînant l'ouverture d'une procédure collective, avec des variations correspondant au niveau de l'activité économique.

Les années de croissance, le nombre des défaillances oscille entre 30 000 et 35 000 ; les années moins favorables, il peut approcher 50 000. A cet égard, l'année 2004, avec environ 48 000 dépôts de bilan, ne fut pas très favorable aux entreprises.

Quelles sont les entreprises qui déposent leur bilan ? Il s'agit, pour l'essentiel, des entreprises individuelles - la moitié du total - et des PME de moins de cinquante salariés. En 2004, par exemple, sur les 48 000 dépôts de bilan recensés, seuls 450 étaient imputables aux entreprises de plus de cinquante salariés.

Une proportion très importante d'entreprises connaît une défaillance dans les cinq premières années de son activité, soit, toujours pour l'année 2004, 25 000 dépôts de bilan sur 48 000. Par ailleurs, 10 000 entreprises défaillantes n'avaient que deux ans d'activité.

Les procédures de redressement existantes ne fonctionnent pas de façon satisfaisante. On le sait, la liquidation judiciaire constitue l'aboutissement de 80 % à 90 % des ouvertures de procédures collectives, et environ la moitié des procédures débouche sur une liquidation judiciaire immédiate - 22 000 en 2004 - parce que l'entreprise n'a, en fait, plus d'actifs.

L'idée force de la réforme part du constat que nos procédures interviennent trop tard, lorsque l'entreprise rencontre déjà des difficultés irréversibles.

La principale innovation du projet de loi consiste donc à instituer une procédure de redressement judiciaire anticipée, c'est-à-dire intervenant avant la cessation des paiements : je veux parler de la sauvegarde.

Le projet de loi tend à responsabiliser le chef d'entreprise. Lui seul pourra solliciter du tribunal l'ouverture d'une procédure de sauvegarde dans laquelle il restera aux commandes tout en bénéficiant de l'assistance éventuelle d'un administrateur judiciaire.

Pour améliorer le fonctionnement de nos procédures collectives et accroître les chances de redressement des entreprises en difficulté, la réforme se fonde sur un double pari : d'une part, alors qu'il est encore solvable, le chef d'entreprise n'hésitera pas à se mettre sous la protection du tribunal pour améliorer les chances de rétablir une situation financière délicate ; d'autre part, l'ouverture anticipée de la procédure collective sera de nature à enrayer l'aggravation des difficultés de l'entreprise avec, notamment, le gel du passif.

S'inspirant du droit américain - plus exactement du chapitre 11 du code américain de la faillite -, le projet de loi met en place, dans la procédure de sauvegarde comme dans celle du redressement, deux comités de créanciers - l'un représentant les banques, l'autre les principaux fournisseurs - afin de délibérer, selon des règles de majorité qualifiée, sur les propositions du débiteur.

Avant la cessation des paiements, le droit actuel prévoit des solutions judiciaires amiables. Il s'agit notamment de la procédure dite de règlement amiable, dans laquelle le président du tribunal de commerce désigne un conciliateur chargé de superviser la négociation d'un accord entre le débiteur et ses créanciers.

Dans ce cas de figure, différent de celui de la procédure collective, l'entreprise qui est confrontée à des difficultés passagères est mise en situation de pouvoir les surmonter dès lors que ses principaux créanciers sont prêts à consentir un effort.

Le projet de loi rebaptise le règlement amiable du nom de « conciliation ». Le conciliateur, choisi librement par le président du tribunal, est maintenu dans ses attributions actuelles avec pour objectif l'élaboration d'un plan de conciliation.

Le changement majeur tient au fait que la procédure de conciliation pourra être ouverte alors que le débiteur est déjà en cessation de paiement, à condition toutefois que la durée de cette cessation de paiement soit inférieure à quarante-cinq jours.

Le projet de loi entend ainsi donner de la souplesse à des procédures sans doute trop rigides, qui faisaient jusqu'à présent de la cessation des paiements la pierre angulaire du déclenchement des procédures collectives.

Il s'agit aussi de faire preuve de pragmatisme en prévoyant des solutions adaptées aux différentes situations, allant de la simple panne de trésorerie aux graves difficultés structurelles, qu'elles soient de nature commerciale ou financière.

Le projet de loi qui nous est soumis comporte cent quatre-vingt-dix-sept articles. La commission des affaires économiques en a examiné vingt-quatre, qui ont trait aux dispositions relatives à la conciliation et aux principales règles concernant la nouvelle procédure de sauvegarde.

La commission vous propose de donner sa chance à la réforme afin d'améliorer une situation largement insatisfaisante. Le projet ne bouleverse pas les règles du droit des procédures collectives ; il vise plus modestement à supprimer certaines rigidités en mettant de nouveaux outils à la disposition de dirigeants d'entreprises « responsabilisés ».

Les dix-huit amendements que la commission des affaires économiques vous proposera visent à compléter le texte sur un certain nombre de points qui lui sont apparus importants : la durée maximale de la période d'observation dans la procédure collective, l'assurance obligatoire des conciliateurs, le principe selon lequel, sauf décision spécialement motivée, un administrateur judiciaire assistera le débiteur en procédure collective, la suppression de la sanction de faillite personnelle pour le dirigeant d'entreprise négligent en matière de cessation des paiements, la possibilité pour les mandataires judiciaires de donner leur avis sur les plans de redressement, ou encore l'amélioration des contrôles sur les fonds détenus par les mandataires de justice.

La commission des affaires économiques a également souhaité que les artisans inscrits au répertoire des métiers puissent bénéficier d'une représentation spécifique, au même titre que les membres des professions libérales, au cours des diverses phases de la procédure collective : appel à l'audience d'un représentant de la chambre de métiers lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, saisine du ministère public aux fins du remplacement des organes de la procédure de sauvegarde, inventaire des biens du débiteur, désignation d'un représentant de la chambre de métiers et de l'artisanat comme contrôleur.

Les chambres de métiers sont des établissements publics administratifs de l'Etat qui contribuent, selon des modalités prévues dans le code de l'artisanat, à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises artisanales, et ce en liaison avec les services financiers de l'Etat, les organismes de recouvrement de cotisations sociales et toutes personnes publiques, morales ou privées concernées.

Elles représentent un secteur professionnel qui, au 1er janvier 2004, occupait 2,364 millions de salariés au sein de 860 000 entreprises, soit une entreprise française sur trois. L'artisanat, c'est aussi 5 % du PIB et 47 % des apprentis formés.

Selon les informations communiquées par l'Assemblée permanente des chambres de métiers, environ les deux tiers des artisans sont inscrits à la fois au répertoire des métiers et au registre du commerce, soit parce qu'ils sont aussi commerçants, soit parce qu'ils exercent leur activité dans le cadre d'une personne morale, essentiellement des SARL artisanales, qui sont au nombre de 260 000. Par ailleurs, le tiers des quelque 860 000 entreprises artisanales n'est inscrit qu'au répertoire des métiers.

Je souhaite aussi attirer l'attention du Gouvernement sur l'intérêt que présenterait la mise en place de comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises, les CODEFI, réservés aux métiers de l'artisanat.

Les actuels CODEFI ont pour mission de détecter et de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises ainsi que d'accueillir et d'orienter toutes les entreprises en difficulté. Ils peuvent ainsi faciliter la réussite d'un plan de redressement, notamment en faisant accélérer le règlement des sommes dues à l'entreprise par l'administration, en accordant, à un taux avantageux, un prêt du fonds de développement économique et social - à hauteur de 150 000 euros maximum par dossier - ou encore en intervenant pour que des délais de règlement des dettes fiscales et sociales soient accordés à l'entreprise.

Une circulaire ministérielle de 1993 prévoit cependant que seules sont concernées les entreprises qui emploient au plus 250 salariés et qui appartiennent au secteur industriel. Il me paraît donc souhaitable de réfléchir à la création de CODEFI qui se consacreraient spécifiquement aux entreprises artisanales. Les chambres de métiers et de l'artisanat pourraient, à l'évidence, jouer un rôle au sein de ces nouveaux organismes.

Une réforme des procédures collectives orientée vers la prévention, afin d'assurer la pérennité des entreprises, est plus que justifiée au regard des enjeux économiques.

Il faut espérer que la nouvelle procédure de sauvegarde s'articulera heureusement avec la nouvelle procédure de conciliation, tout en laissant à la procédure de redressement judiciaire son rôle dans les cas plus graves.

La réussite de cette réforme reposera sur la juste appréhension des situations et sur le choix de la procédure la plus adaptée, en faisant prévaloir, lors de la phase préventive, souplesse, confidentialité et rapidité. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Marini, rapporteur pour avis.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'économie, on le dit souvent, est semblable à un organisme comportant un très grand nombre de cellules. Ces dernières naissent, se développent, certaines connaissent des dysfonctionnements, d'autres meurent, et l'organisme se renouvelle sans cesse. C'est ce que Joseph Schumpeter appelait le « processus de destruction créatrice ».

Hélas, il est des laissées-pour-compte de la vie économique parmi les entreprises : celles qui doivent à un moment donné constater qu'elles ne sont plus viables.

Les défaillances d'entreprises ont probablement approché 50 000 cas en 2004, mais il faut certainement mettre en relation cet ordre de grandeur avec l'essor des créations d'entreprises, qui, notamment depuis 2002, représentent un véritable espoir pour notre économie. Il ne serait pas équitable de ne braquer le projecteur que sur le nombre de procédures collectives ; il faut aussi regarder le solde des créations et des destructions dans ce processus, qui, bien sûr, se poursuit sans cesse.

L'essentiel pour le législateur est de s'assurer que de ce mouvement ne résultent pas de laissés-pour-compte, que les questions sociales, mais aussi les questions d'équilibre entre les créanciers sont traitées de manière réaliste, de manière équitable, dans un sens qui facilite la réactivation de l'économie : tel est notre rôle de parlementaires, que nous exerçons à travers l'examen de générations de textes qui viennent progressivement encadrer ces phénomènes.

Nous est aujourd'hui soumis, monsieur le ministre, un projet de loi qui s'inscrit dans l'évolution de nos économies, qui s'inscrit dans le climat de la globalisation auquel nous sommes confrontés. Ce texte est en même temps fidèle aux catégories, aux concepts, aux raisonnements du droit civil et commercial de notre pays.

C'est une évolution, ce n'est pas une révolution ; c'est une évolution utile, ce n'est pas une réforme globale. Le projet de loi représente un apport supplémentaire : celui, en particulier, de la procédure de sauvegarde, qui peut être considérée comme un redressement judiciaire anticipé et qui a le grand mérite de mettre l'accent sur la prévention des difficultés des entreprises, de faire en sorte que l'on n'attende pas le dernier moment, que l'on n'attende pas de constater la cessation des paiements pour faire participer les différentes parties prenantes à l'examen de la situation et à la mise en place des dispositions qui seront indispensables pour redémarrer, pour autant qu'il soit possible et réaliste de redémarrer.

Notre droit des procédures collectives est complexe, inévitablement. Il le sera un peu plus avec ce nouveau dispositif, qui cependant a sans doute une place à prendre dans la panoplie et qui, je le répète, a le mérite de mettre l'accent sur la prévention et de solliciter toutes les bonnes volontés.

C'est ainsi que se constitueraient des comités de créanciers, témoignant d'une approche de la procédure collective qui serait plus contractuelle, mais qui ne le deviendrait pas totalement. C'est un équilibre que le projet de loi s'efforce de promouvoir : les créanciers représentés dans les comités peuvent aboutir à un règlement, qui doit être avalisé par la juridiction ; celle-ci doit s'efforcer de veiller à ce que le sort de l'ensemble des créanciers, ceux du comité et les tiers, soit abordé de manière équitable ou suffisante.

Ce compromis est sans doute utile, même si l'on peut penser que, dans les années à venir, les facteurs d'évolution seront toujours à l'oeuvre et pourront aboutir à des stades ultérieurs de cette progression du droit.

En ce qui concerne plus particulièrement la commission des finances, monsieur le garde des sceaux, sa saisine pour avis a essentiellement trois fonctions.

En premier lieu, la commission ne peut pas se désintéresser de l'équilibre entre les droits de l'Etat-créancier - il s'agit là des finances publiques - et ceux des autres créditeurs pour rechercher, ce qui est une tâche évidemment difficile et toujours aléatoire, une juste répartition des charges ou des contraintes juridiques résultant du traitement des difficultés des entreprises.

En deuxième lieu, assurant le suivi de la législation bancaire, elle est bien sûr partie prenante d'une législation qui introduit un privilège « de l'argent frais » pour faire en sorte que les apporteurs de fonds continuent d'assumer leur fonction malgré les difficultés économiques de l'entreprise. Elle est également directement intéressée à la pratique de la notion de « soutien abusif », cette notion issue du droit positif et de la jurisprudence qui, pour être bien entendu un guide utile, peut comporter des effets pervers.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. L'équilibre doit être trouvé entre la décision de l'établissement financier, que l'on ne saurait exonérer de toutes ses responsabilités, et, par ailleurs, les intérêts légitimes des autres créanciers, peut-être mis en confiance par l'existence, le renouvellement ou l'accroissement d'un crédit. C'est à cet équilibre, toujours délicat, qu'il faut veiller, et sans nul doute, monsieur le garde des sceaux, aurons-nous sur ce sujet dans l'hémicycle un débat intéressant.

Le souci de la commission des finances est que les responsabilités des uns et des autres soient bien clarifiées, soient bien distinguées, et que l'on comprenne les modifications que le projet de loi apporterait quant à la pratique de ces procédures.

En dernier lieu, la commission est bien sûr très attentive aux enjeux économiques de la réforme et à un aspect particulier par lequel je conclurai cette intervention : celui du coût de l'intervention des opérateurs des procédures collectives que sont les mandataires judiciaires ou les administrateurs judiciaires et qui sont financés par une sorte de « prélèvement obligatoire» sur les entreprises en difficulté.

La commission des finances a formulé, sur ce sujet plus particulièrement, une série de propositions. Mes collègues et moi-même sommes attachés au principe de la transparence, et plusieurs de nos amendements visent à apporter une meilleure connaissance des rémunérations des administrateurs et mandataires judiciaires.

Nous ne sommes pas convaincus que le tarif à l'acte, qui continue de prévaloir en ce domaine, soit une solution d'avenir, et nous voudrions voir évoluer ce mode de rémunération. Nous sommes par ailleurs attentifs aux situations trop fréquentes de « consanguinité », d'une certaine façon, entre certaines juridictions et certains mandataires ou administrateurs : nous voudrions y voir plus clair en ce qui concerne tant les désignations que les rémunérations. Il nous semble qu'un progrès peut être fait en la matière, un progrès réaliste, à parts égales en quelque sorte, entre le législateur et le pouvoir réglementaire.

Les études auxquelles nous avons eu accès montrent - et ce n'est pas anormal en soi - que les professions liées au redressement des entreprises bénéficient parfois d'une forte rentabilité. Cette situation, si elle est le corollaire de l'efficacité, n'a pas lieu de choquer en soi : c'est le sentiment, que l'on peut parfois partager, d'une certaine opacité des relations ou des modes de rémunération peu propice à l'atteinte des objectifs qui est susceptible de nous conduire à poser des questions, à formuler des suggestions, à escompter des progrès.

Monsieur le garde des sceaux, on ne peut pas le nier, lorsque les élus que nous sommes, dans leurs départements, se trouvent sollicités par des salariés, par des créanciers, voire par des responsables d'entreprises en difficulté, ils constatent très souvent que les facteurs de problème résident dans la gestion des procédures elles-mêmes ; or leurs interlocuteurs, dans ces domaines, sont les mandataires, les agents désignés par les tribunaux pour gérer les procédures.

Les expériences que nous pouvons ainsi avoir - qui mettent parfois en évidence quelques dysfonctionnements, il faut le reconnaître - nous conduisent à être particulièrement attentifs aux progrès qui doivent être réalisés en la matière, sans naïveté, mais avec le souci de voir évoluer les choses.

A cet égard, nous pensons qu'il est utile de mieux distinguer les fonctions et les responsabilités d'administrateur judiciaire de celles de mandataire. Un administrateur judiciaire est en réalité un chef d'entreprise suppléant, une personne qui, dans une certaine phase de la vie de l'entreprise, doit raisonner en vue de la continuité de celle-ci comme le ferait le chef d'entreprise auquel il se substitue. Ce rôle n'est pas du tout de même nature que celui d'un mandataire, qui gère une sorte de service public, qui gère une procédure pour le compte du tribunal qui l'a désigné. Les modes de rémunération pour des responsabilités économiques aussi différentes devraient à notre avis pouvoir diverger.

En définitive, au moment où l'on modifie les règles du jeu en matière de procédures collectives dans un sens que, de manière générale, nous apprécions, il nous semble difficile - et je traduis là le sentiment de la commission des finances - que ne soit pas posée la question de l'impact de la réforme sur les revenus, sur les modes de désignation, sur les modes de rémunération des différents professionnels que j'ai cités.

Dans un rapport remis en décembre 2004 au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, MM. Pierre Cahuc et Francis Kramarz se sont exprimés sur les « professions protégées ». J'y ai relevé deux phrases en particulier, que je me permets de citer : « Chaque réglementation a cependant un coût, surtout lorsqu'elle crée une rente de situation pour ceux qui répondent à ses critères et qu'elle limite l'entrée de nouveaux acteurs. Ce coût peut être économiquement justifié s'il permet un meilleur déroulement des transactions. Ces justifications doivent cependant être périodiquement vérifiées. »

Nous souscrivons à ce jugement et nous souhaitons donc, en ce domaine, faire prévaloir un peu plus de transparence.

Voilà à notre avis, monsieur le garde des sceaux, un enjeu significatif, un enjeu de compétitivité, un enjeu pour la bonne visibilité de notre droit et un enjeu qu'il nous semble possible de relever en conformité avec les objectifs visés par le projet de loi que vous nous soumettez.

Mes chers collègues, en souhaitant que les débats soient particulièrement fructueux grâce au concours des différentes commissions, la commission des finances vous demande d'adopter ce projet de loi en espérant qu'il sera substantiellement amélioré par le résultat de nos délibérations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Mathon.

Mme Josiane Mathon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la législation relative aux entreprises en difficulté n'a pas permis, nous en convenons tous, d'empêcher que près de 90 % des 40 000 à 60 000 sociétés qui déposent leur bilan chaque année soient liquidées, ni d'empêcher les 300 000 licenciements qui en découlent.

La législation sur les entreprises en difficulté a des conséquences sur l'emploi, et faire en sorte que les chefs d'entreprise prennent la mesure de leurs difficultés le plus tôt possible est donc l'enjeu d'une telle législation. Et c'est malheureusement sur ce dernier point que les lois de 1984 et de 1985 révèlent leur insuffisance.

Le Gouvernement voit avant tout dans cet état de fait la conséquence d'un interventionnisme étatique outrancier. Selon lui, si le droit des entreprises en difficulté est aujourd'hui inadapté à notre économie, c'est parce qu'il trouve sa place dans un principe d'économie dirigée, caractérisé par les nationalisations et l'interventionnisme de l'Etat dans la vie des entreprises. Il se traduit par un amoindrissement considérable des droits des créanciers, au profit de la recherche à tout prix du sauvetage de la plus grande part des entreprises en difficulté, et par une attention insuffisamment portée aux objectifs et au déroulement de la liquidation judiciaire.

Cette vision des choses nous apparaît quelque peu erronée. C'est en effet nier plusieurs facteurs du traitement des difficultés des entreprises. Nombreux sont les chefs d'entreprise qui, parce qu'ils ne disposent pas de conseils juridiques ou de gestion, réagissent trop tardivement.

Mais si la prévention et le traitement des difficultés des entreprises sont actuellement insuffisants, c'est également en raison de l'absence de réforme des tribunaux de commerce.

Nous ne pouvons concevoir une réforme des procédures collectives sans envisager une réforme des tribunaux de commerce, compétents pour connaître de la plupart des ces procédures collectives. Nous avons toujours souhaité que soient instaurées dans ces tribunaux des formes d'échevinage, afin d'associer magistrats professionnels et magistrats élus. Tel était d'ailleurs l'objectif de la réforme impulsée et votée en février 2002 par l'Assemblée nationale, mais que le Sénat a malheureusement cru bon de rejeter, ce que nous regrettons bien évidemment.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous pas !

Mme Josiane Mathon. Au lieu de cela, alors qu'il est urgent de réformer le fonctionnement des tribunaux de commerce afin de permettre une meilleure prévention et un meilleur traitement des difficultés des entreprises, le Gouvernement a fait le choix de prendre le contre-pied de la législation actuelle dans un sens contestable.

En effet, le projet de loi intervertit l'ordre traditionnel des créances. L'objectif du Gouvernement est clair. Il s'agit de sauvegarder les entreprises par des moyens diversifiés, mais sans porter d'atteintes excessives aux autres entreprises que sont les créanciers. La philosophie de ce projet de loi peut être ainsi résumée : la sauvegarde de l'emploi, ambition pourtant affichée du Gouvernement, a disparu, elle n'est plus l'objectif principal de la sauvegarde des entreprises.

Nous comprenons immédiatement que les salariés et la collectivité publique seront les grands perdants de cette réforme du droit des entreprises en difficulté, au profit des créanciers privés et principalement des banques.

Ce projet de loi recèle bien des carences que nous découvrons au fur et à mesure de ses articles.

La conciliation remplace l'actuel règlement amiable. Elle est susceptible de s'appliquer à des entreprises qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou prévisible et qui ne se trouvent pas en état de cessation de paiement depuis plus de quarante-cinq jours.

La nouveauté du texte réside dans la possibilité ouverte à ces entreprises de se placer sous le régime protecteur de la conciliation même lorsqu'elles sont en état de cessation de paiement alors que, dans cette dernière hypothèse, la procédure de sauvegarde leur est fermée.

En revanche, la première carence de cette procédure réside dans le fait que les salariés ne peuvent la demander. En effet, la conciliation est ouverte à la seule initiative du débiteur ; les salariés ne disposent d'aucun droit de saisine du tribunal, quand bien même ils connaîtraient des difficultés économiques et l'éventuel état de cessation des paiements de leur entreprise.

Cette situation est regrettable, car il arrive parfois qu'un chef d'entreprise n'engage pas suffisamment vite les procédures en cas de difficultés économiques ou financières, soit parce qu'il n'a pas pu les anticiper s'il ne bénéficie pas de conseil juridique ou de gestion, soit parce qu'il n'a pas voulu les engager, redoutant la publicité qui s'ensuit immanquablement.

Il en est de même pour la procédure de sauvegarde : bien qu'elle intervienne à titre uniquement préventif, et donc en l'absence de tout état de cessation des paiements, sa mise en oeuvre est également insatisfaisante.

Non seulement l'initiative de cette procédure n'appartient qu'au débiteur, les salariés n'ayant pas là non plus ce pouvoir, mais en plus elle intervient dans des conditions pour le moins floues, puisqu'il s'agit uniquement de difficultés susceptibles de le conduire à la cessation des paiements.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous corrigerons cela !

Mme Josiane Mathon. Je l'espère !

Contrairement à la conciliation, les difficultés n'ont plus à être « avérées ou prévisibles », ce qui n'est pas sans poser problème.

En effet, sans cette exigence quant à la réalité des difficultés, un débiteur peut choisir, afin d'échapper à ses obligations, de se placer sous la protection de la justice tout en étant bien éloigné de la cessation de paiement.

Ce risque de dérive apparaît très nettement lorsqu'il est question du paiement des salaires et de la possibilité de licencier les salariés. En effet, le projet de loi étend le champ d'intervention de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, afin qu'elle puisse prendre en charge le paiement des salaires dans le cadre de la procédure de sauvegarde, alors que cette dernière se limitait jusqu'à présent à garantir le paiement des créances dues en exécution du contrat de travail aux cas de redressement ou de liquidation judiciaires. Il est fort à craindre que cette disposition n'incite le chef d'entreprise à la choisir alors qu'il n'est pas proche de la cessation de paiement et qu'il pourrait être en mesure de payer les salaires.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Mathon, me permettez-vous de vous interrompre ?

Mme Josiane Mathon. Je vous en prie, monsieur le rapporteur !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Mathon, vous avez participé aux travaux de la commission des lois et vous savez donc que les amendements qu'elle a déposés ont pour effet d'éviter les effets d'aubaine et les risques que vous évoquez. Ainsi, l'intervention de l'AGS sera indispensable, car nous connaissons comme vous les risques qui pourraient survenir si cet organisme ne contrôlait pas la situation.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces amendements ne sont pas encore votés, monsieur le rapporteur !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, madame Mathon.

Mme Josiane Mathon. Nous verrons si ces amendements sont votés !

Quant à la possibilité de licencier les salariés, les débats à l'Assemblée nationale ont confirmé nos craintes.

Enfin, toujours à propos de la sauvegarde, il est un dernier point que je souhaite évoquer : les comités de créanciers.

Une fois la procédure de sauvegarde ouverte, le débiteur doit préparer avec l'administrateur judiciaire un projet de plan de sauvegarde, qu'il devra ensuite présenter à deux comités de créanciers. Le premier sera composé des établissements de crédit et le second des principaux fournisseurs.

Un problème se pose ici : les créanciers publics, pas plus que les salariés d'ailleurs, ne sont représentés dans ces comités. Pourtant, ils sont tout autant que les autres créanciers intéressés par la sauvegarde de l'entreprise. La collectivité publique l'est, parce que la disparition d'une entreprise a évidemment des conséquences sur l'emploi ; les salariés le sont aussi, pour la même raison, puisque c'est la sauvegarde de leur emploi qui est en jeu.

Cette absence de consultation des créanciers que sont les administrations fiscale et sociale et les salariés reflète bien l'esprit général de ce projet de loi. En effet, que ce soit dans le cadre de la conciliation ou de la sauvegarde, le texte organise un privilège bancaire exorbitant, en inversant l'ordre traditionnel des créances.

Nous avons déposé des amendements sur ce point, et j'ose espérer qu'ils seront adoptés.

L'inversion des créances est caractérisée par le privilège dit « de l'argent frais ». Ce privilège permet désormais à un créancier privé, bancaire ou autre, qui consent, dans le cadre de l'accord passé avec l'entreprise, un crédit ou une avance d'être payé avant tous les autres - à l'exception des salariés - et avant les créanciers publics.

Que ce soit dans le cadre de la conciliation, de la sauvegarde ou encore du redressement judiciaire, le projet de loi organise le déséquilibre entre les différents partenaires créanciers de l'entreprise. Les administrations fiscale et sociale pourront consentir des remises de dette, alors que les banques pourront sortir de ces procédures avec un renforcement de leurs créances.

Cette nouveauté est particulièrement regrettable, surtout en des temps de déficit public important. Non seulement les charges sociales des entreprises ne cessent d'être allégées, mais en plus, avec ce projet de loi, si les entreprises connaissent des difficultés, les créanciers publics devront renoncer au recouvrement de leurs créances en accordant des remises de dettes.

En revanche, grâce à ce privilège de l'argent frais, les établissements bancaires bénéficient d'une assurance sur le recouvrement des créances qu'ils auront consenties.

Cette situation est inéquitable : en effet, ce qui différencie les banques des autres créanciers, c'est qu'elles font payer à leurs clients le risque qu'elles prennent lors de la création d'une entreprise puis tout au long de son existence, essentiellement par le biais du taux d'intérêt.

Les créanciers publics, au contraire, ne font pas payer cette prise de risque, alors qu'ils en assument tout autant, voire davantage, toutes les conséquences. En cas de difficultés rencontrées par une entreprise, ce sont eux qui paient indemnités et ASSEDIC en prélevant les comptes sociaux.

Enfin, monsieur le garde des sceaux, les faillites des entreprises mettent en jeu d'autres intérêts que ceux du débiteur et de ses créanciers, puisqu'elles ont des répercussions directes sur l'emploi, les salariés et la collectivité. C'est pourquoi nous estimons nécessaire de renforcer la place et le rôle des salariés et de leurs représentants dans la tentative de sauvegarde de leur entreprise. Ils doivent pouvoir jouer un rôle d'alerte et de prévention des difficultés au même titre que le chef d'entreprise. Nos amendements tendaient à cette fin, mais ils ont été, hélas ! repoussés par la commission des lois.

Quelle est l'ambition réelle de ce projet de loi ? Permettre la détection des difficultés des entreprises le plus rapidement possible, afin de maintenir leur activité et l'emploi par un traitement approprié, ou bien faciliter les réorganisations d'entreprises et faire de l'emploi la variable d'ajustement de la restructuration de ces entreprises ?

Nous craignons, hélas ! que ce ne soit cette dernière option qui soit retenue, et c'est pourquoi nous ne soutiendrons pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à l'inverse de nombreuses disciplines, le droit des entreprises en difficulté est une matière qui a été peu modifiée depuis 1807, date à laquelle le code de commerce a organisé la liquidation des biens du débiteur et la répartition entre les créanciers.

Plus récemment, il faut rappeler les profondes réformes opérées par les lois de 1985 et de 1994. La loi du 25 janvier 1985 a donné la priorité à l'intérêt économique général, c'est-à-dire la survie de l'entreprise, sur les intérêts des créanciers. La loi du 10 juin 1994, quant à elle, a renforcé les mécanismes de prévention, restauré les droits des créanciers et simplifié les procédures.

Et depuis dix ans, plus rien ! Cette absence d'évolution et d'adaptation législative apparaît paradoxale dans un contexte économique qui a connu de profondes mutations au cours de la dernière décennie et qui se caractérise très largement par une formidable accélération de l'ouverture des marchés.

C'est pourquoi ce projet de loi - excellente initiative ! - a sa place dans le grand chantier du Gouvernement pour l'emploi. En effet, puisque la réforme de la sauvegarde des entreprises et du droit des entreprises en difficulté a pour objectif d'assurer la pérennité des entreprises, elle contribuera à préserver l'emploi.

Là aussi, il est des évidences que l'on oublie trop facilement : la bataille de l'emploi, celle de la création d'emplois comme celle de la préservation de l'emploi existant, passe d'abord et bien évidemment par l'entreprise et la production de richesses.

Ce projet de loi s'inscrit dans cette logique. Il reconnaît - et c'est essentiel - que la vie d'une entreprise est avant tout dépendante des impératifs du marché et soumise aux fluctuations d'une conjoncture. L'entreprise doit constamment s'adapter aux attentes de ses clients, prendre en compte les évolutions technologiques, trouver des sources de financement fiables et pérennes. S'adapter ou disparaître est un impératif pour tout entrepreneur !

Notre mission de législateur est de participer à cette adaptation. Il s'agit pour nous de mettre en place des outils législatifs cohérents avec le contexte économique. Pour cela, il faut une vraie connaissance de la réalité des entreprises.

S'il est important et légitime que nous nous penchions aujourd'hui sur la sauvegarde des entreprises en difficulté, l'emploi est un problème global et il est indispensable de ne pas attendre que les entreprises connaissent des problèmes. Il faut aussi améliorer les conditions de vie de l'entreprise en amont, avant que les difficultés soient insurmontables. Entreprise et emploi vont de pair. Il y a des solutions connues de tous et, pourtant, elles sont toujours attendues ; j'en citerai seulement deux.

Le premier exemple concerne les artisans : il s'agit de leur faciliter l'embauche d'un salarié, alors que, le plus souvent, on les en décourage. Combien d'artisans travaillent seuls et, cependant, souhaiteraient embaucher ? Or tout semble fait pour les en dissuader : revenus personnels plus faibles s'ils embauchent, élévation des charges et tracasseries administratives. La plupart d'entre eux passent plus de temps à gérer leurs relations avec l'Etat qu'avec les clients. A ce titre, ne faudrait-il pas réfléchir à une réelle simplification de la fiche de paye ? Malgré des réticences, peut-être ataviques, nous ferions bien de nous inspirer de la feuille de paye britannique.

Le second exemple porte sur les effets de seuil, qui sont de plus en plus évoqués depuis quelques semaines : les entreprises préfèrent rester à neuf salariés plutôt que de passer à dix, malgré une activité de production qui justifierait une telle augmentation. N'y a-t-il pas là des verrous à faire sauter ? Passer de neuf à dix salariés est en effet synonyme pour l'entreprise d'un accroissement de charges de l'ordre de 13 %, soit le salaire de l'employé sacrifié. A cet égard, les statistiques sont éloquentes : une entreprise sur deux a renoncé à embaucher un dixième salarié. Le gain net serait, au minimum, de 50 000 embauches, sur la base d'une embauche par entreprise employant neuf salariés.

Nous retrouvons d'ailleurs un effet de seuil identique lorsqu'il s'agit de passer de quarante-neuf à cinquante salariés. Or ces deux catégories d'entreprises - « moins de dix salariés » et « moins de cinquante salariés » - ne sont-elles pas totalement artificielles et archaïques ? Pourtant, elles ne sont pas sans effets pervers et, hélas ! bien réels, d'une part, sur l'activité de l'entreprise et son dynamisme et, d'autre part, sur l'emploi. La nécessité de disposer de seuils appropriés, compte tenu de la structure des entreprises françaises, doit nous conduire à modifier ces seuils en passant de dix à vingt salariés et de cinquante à deux cent cinquante salariés.

J'en reviens au socle de notre débat.

Quelle est la réalité des chiffres des entreprises en difficulté ? Aujourd'hui, 90 % des dépôts de bilan se soldent par une liquidation judiciaire. Seuls 5 % des redressements et des plans de continuation permettent de sauver les entreprises concernées. Selon une étude récente de l'INSEE, intitulée Une nouvelle vision de la pérennité des jeunes entreprises, le taux d'échec est de 52 % sur une période de cinq ans ; vous l'avez d'ailleurs vous-même souligné, monsieur le garde des sceaux. Plus précisément, 38 % de ces cessations d'activité résultent de causes purement économiques. Parmi ces 38 %, il y a 40 % de dépôts de bilan et 15 % de liquidations judiciaires. Un tel diagnostic ne peut donc inciter personne à créer son entreprise et à embaucher.

A partir de ce constat, le projet de loi comporte plusieurs points essentiels qui sont attendus par les acteurs de l'entreprise : la détection des difficultés au plus tôt ; la dédramatisation du recours aux procédures collectives ; l'impératif de confidentialité, pour qu'un chef d'entreprise n'hésite pas trop longtemps à engager la procédure ; la cession dans le règlement judiciaire, disposition qui a été rétablie par l'Assemblée nationale ; l'allégement des sanctions à l'encontre du chef d'entreprise, pour l'inciter à mettre en oeuvre une procédure de sauvegarde ; une meilleure définition des missions des mandataires, administrateurs et liquidateurs.

Je souhaite revenir plus en détail sur l'Association pour la garantie des salaires, l'AGS. Le projet de loi étend l'intervention de l'AGS à la nouvelle procédure de sauvegarde. Cette mesure pourrait avoir des conséquences très importantes.

L'AGS a connu un déficit important, qui a conduit à une augmentation temporaire des cotisations des entreprises, mais qui nécessiterait des réformes de fond. L'intervention de l'AGS en amont dans le financement des mesures de restructuration pendant la période de sauvegarde, prévue dans le projet de loi, comporte des risques considérables de dérives. Il sera en effet difficile d'empêcher certains débiteurs de déclencher une procédure de sauvegarde pour faire supporter par l'AGS les coûts liés aux opérations de restructuration et, notamment, les éventuels plans sociaux.

Il apparaît donc nécessaire de préciser le critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde et d'indiquer que la sauvegarde peut être demandée par un débiteur qui justifie de difficultés de nature à le conduire inévitablement à la cessation des paiements.

Lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, le garde des sceaux de l'époque, Dominique Perben, a considéré que l'intervention de l'AGS au cours de la procédure de sauvegarde était un élément important du dispositif proposé, reconnaissant ainsi que certains aménagements devraient lui être apportés compte tenu de la situation particulière du débiteur.

En outre, il a estimé qu'une piste de réflexion pourrait consister en une définition plus précise du critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde et en la possibilité, pour l'AGS, de contester, le cas échéant, l'absence de trésorerie suffisante du débiteur lorsque l'avance de fonds lui est demandée. M. Perben a également fait part de son souci d'éviter que l'objet de la procédure de sauvegarde puisse être contourné par certains débiteurs cherchant à faire supporter par l'AGS les dépenses liées à l'ajustement de leur masse salariale.

Lors de l'examen du rapport en commission des lois, M. Hyest a présenté un amendement tendant à restreindre les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde, en précisant que cette dernière ne peut être ouverte que lorsque le débiteur justifie de difficultés « de nature à le conduire inévitablement à la cessation des paiements ». L'adverbe « inévitablement » a finalement été supprimé, mais la commission s'est réservé la faculté de compléter l'amendement ultérieurement, ce que nous souhaitons vivement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela a été fait.

M. Aymeri de Montesquiou. Bravo, monsieur le rapporteur !

Ce projet de loi doit aussi être l'occasion de nous adapter aux évolutions récentes du droit communautaire. La jurisprudence européenne a donné lieu à une interprétation extensive du règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, qui va à l'encontre de la jurisprudence française en la matière. La Cour de justice des communautés européennes s'est alignée sur le droit britannique, qui donne la prééminence aux créanciers et, notamment, aux banques.

Telles sont les diverses réflexions que je souhaitais formuler. Ce projet de loi est de nature à restaurer la confiance. Son esprit comme les mesures qu'il contient vont dans le bon sens. C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, nous soutiendrons ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, du droit des entreprises en difficulté, je suis assurément un vieux compagnon de route ; je ne vous dirai pas depuis combien de temps ! Je l'ai appris, pratiqué, enseigné et, ensuite, ici même, modifié.

Dès le mois d'octobre 1981, une disposition nouvelle a permis la présence du ministère public dans les juridictions consulaires, plus précisément en matière de droit de la faillite.

En 1984, la loi relative à la prévention et au règlement amiable des entreprises a constitué une grande innovation.

En 1985, deux autres textes ont été votés : l'un, nécessaire, concernait l'organisation des mandataires de justice, notamment afin de dissocier la nouvelle situation de la situation antérieure ; l'autre fait justement l'objet de la discussion actuelle.

Pour que les choses soient claires, et parce que l'exposé des motifs dénaturait superbement cette loi, je rappellerai - mieux vaut en revenir aux sources ! - ce que j'avais alors déclaré en 1984 à l'Assemblée nationale. Vous étiez d'ailleurs présent, monsieur le garde des sceaux, et vous avez participé à la commission mixte paritaire. J'avais donc précisé ainsi ce que devait être l'esprit de la loi : « Je veux souligner, pour que mes propos soient sans équivoque, ce qu'est la finalité de notre projet. Elle est d'ordre économique. Le projet qui est soumis à l'Assemblée ne tend qu'à assurer la survie des entreprises viables, pour les raisons que j'ai évoquées, parce qu'elles sont source de richesse et d'échanges, parce qu'elles seules permettent le paiement des créanciers, même différé, et parce qu'elles sont créatrices d'emplois. »

Je crois que la finalité n'a pas changé, mais je devais faire ce rappel puisque l'exposé des motifs a été évoqué tout à l'heure. Reconnaissez que nous étions très loin de prôner l'interventionnisme à l'intérieur des entreprises.

La discussion de ces textes s'était achevée après deux lectures et une commission mixte paritaire, et je tiens à rendre hommage à deux de nos regrettés collègues, Jacques Thyraud et Marcel Rudloff. Ils ont joué un rôle important dans l'élaboration de ces textes, sur lesquels j'avais accepté de très nombreux amendements, émanant d'ailleurs des deux côtés de l'hémicycle. J'avais souligné à l'époque combien de telles dispositions représentaient une véritable innovation, alors qu'une époque de prospérité s'achevait. Nous sortions, hélas ! du droit de 1967, qui reflétait la situation économique des Trente Glorieuses.

J'avais donc émis le souhait que les parquets, les présidents de tribunaux de commerce, mais aussi mes successeurs veillent à ce qu'un rapport soit établi sur la mise en oeuvre d'une procédure aussi nouvelle. A mes yeux, en effet, une telle procédure souffrait déjà d'une trop grande complexité et il aurait fallu l'alléger. Nous y étions parvenus tous ensemble. Le bateau a pris la mer, et il fallait donc être prêt à prévoir d'éventuelles modifications.

J'ai attendu, longtemps. Il n'y a jamais eu de rapport des parquets, pas plus que des tribunaux de commerce. Mais, dix ans après, ce fut la loi de 1994.

A cet égard, je ferai une comparaison qui est loin d'être anodine dans le cadre de la réflexion globale sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.

En 1984, toujours lors de présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale, j'avais fourni une indication saisissante : « Les résultats sont là : dans 95 % des cas, les procédures se terminent aujourd'hui par une liquidation des biens ; dans 90 % des cas, les créanciers chirographaires ne perçoivent absolument rien du produit de la liquidation. »

Le législateur est donc intervenu de nouveau en 1994, afin de prendre en compte les intérêts de certains créanciers et d'améliorer la prévention. Immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi, en 1994, 42 964 liquidations ont été prononcées, soit 87 % du total des dépôts de bilan.

Pour évaluer l'influence de la loi de 1994, il faut observer la proportion de liquidations enregistrées les années suivantes : en 1995, celles-ci représentaient 85,2 % ; en 1996, 85,8 % ; en 1997, 87,5 % ; en 1999, la proportion était toujours de 87,5 %. Ainsi, la proportion désolante, que nous évoquons à chaque fois, s'est perpétuée de 1994 à 1999.

A ce moment-là, beaucoup a été fait, notamment, je tiens à le dire, par M. Hyest, qui a présenté un rapport au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation. Je le dis très simplement : si nous avions repris toutes les recommandations de ce rapport, si nous avions attendu pendant encore un an pour que la Cour de cassation transmette les siennes, le projet aurait pu alors être finalisé. Cela n'a pas été le cas, et la situation a perduré. Finalement, nous voici aujourd'hui devant le présent texte.

Je voudrais dissiper ce qui me paraît une erreur commune : à mon sens, nous avons tort de juger de l'efficacité ou non des procédures collectives par rapport au nombre de liquidations. Il faut en effet considérer la réalité économique. Certes, dans 90 % des cas, une procédure de liquidation judiciaire est ouverte. Cela étant, en 1984, je disais déjà qu'il ne fallait surtout pas pratiquer l'acharnement thérapeutique : il faut sauver uniquement les entreprises viables et s'y consacrer !

A l'heure actuelle, les créations d'entreprises sont très nombreuses. Et très souvent, les chiffres en témoignent, celles-ci sont sous-capitalisées, voire pas capitalisées du tout. Plus nous faciliterons, comme le gouvernement précédent n'a cessé de le recommander, les créations d'entreprises - et c'est légitime pour le dynamisme des affaires -, plus les entreprises sous-capitalisées disparaîtront si la conjoncture ne s'améliore pas.

Il s'agit donc d'une sorte de « fluidité » de l'époque et il n'y a pas lieu d'y remédier : les entreprises naissent et meurent. Simplement, je le répète, ne pratiquons pas l'acharnement thérapeutique !

Cette continuité prodigieuse témoigne d'un problème culturel, que M. Hyest a évoqué tout à l'heure. Considérant que le fait de déposer le bilan signifie qu'on est incapable, voire malhonnête, on fuit devant cette perspective, comme en témoigne César Birotteau, qui a été évoqué tout à l'heure. La liquidation est en effet ressentie comme une stigmatisation.

A cet égard, tout allégement des sanctions pesant sur l'entrepreneur est bon, mais cela ne suffira sans doute pas à changer les mentalités.

En outre, une meilleure information est nécessaire. S'agissant des centres de prévention, un effort considérable doit être fait. En 1984, j'ai introduit, pour les grandes entreprises, la notion d' « appréciation trimestrielle », mais les petites et moyennes entreprises ne prennent pas suffisamment en compte la prévision. Nous remédierons à cette situation non pas en modifiant la loi, mais en multipliant les instruments d'analyse et en modifiant notre approche culturelle.

J'en viens au présent projet de loi. On a dit qu'il s'agissait non pas d'une révolution, mais d'une évolution. En 1985, pour des raisons qui étaient justifiées par un changement radical, à savoir le passage de la prospérité à la crise, avec un chômage pérenne depuis vingt-cinq ans, il fallait absolument tout transformer. Aujourd'hui, il s'agit d'une évolution. Je crains que cette évolution n'aille pas dans le sens de ce qui est souhaitable dans ce domaine.

Tout d'abord, il n'était pas indispensable de faire croire que l'on procédait à une grande réforme, alors que l'on changeait simplement l'étiquette sur la bouteille ! Nous aurions notamment pu conserver, en matière de procédure en amont, les termes « règlement amiable », puisque la procédure est uniquement modifiée. Mais s'il faut changer les dénominations, après tout, qu'importe ! Toutefois, n'en profitons pas pour prétendre que l'on entre dans une ère nouvelle. Le travail d'amélioration se poursuit, face à la situation économique difficile que nous connaissons.

Au regard des trois impératifs constants que constituent la survie de l'entreprise, le droit des créanciers si l'entreprise peut survivre ou si l'actif est suffisant, et le droit des salariés, le présent projet de loi constitue-t-il une avancée, en d'autres termes, apporte-t-il une plus grande sécurité ?

S'agissant du droit des procédures collectives, j'aurais souhaité que vous vous engagiez davantage, monsieur le garde des sceaux, dans trois directions, afin que nous puissions entrer dans une ère de simplification, de clarification et d'allégement.

Je n'ai pas le sentiment que vous ayez simplifié ce droit. Or Dieu sait s'il est complexe ! En effet, alors que nous avions jusqu'à présent quatre procédures, nous en aurons désormais cinq. Le mot « mandat » apparaît et la chose prend corps un peu plus. Le parquet est avisé ; je me demande pourquoi, puisqu'il importe d'assurer la confidentialité. Je pense toujours au choc que l'on peut ressentir devant l'entrée du tribunal de commerce. De plus, pourquoi ajouter la procédure de sauvegarde quand il aurait été si facile de l'éviter ?

Outre la complexité des procédures, nous perdons la bouée d'ancrage que représentait le concept très clair de cessation des paiements. Je disais tout à l'heure qu'il fallait simplifier et alléger. Mais, dans ce contexte, je vous le dis clairement, nous aurons du mal à conceptualiser les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde et, plus encore, à faire entrer une telle notion dans la jurisprudence. En dépit des efforts louables que nous avons accomplis, les difficultés subsisteront.

Par ailleurs, était-il souhaitable d'ajouter à la complication en rendant possible le règlement amiable jusqu'à quarante-cinq jours après la cessation des paiements ? Un redressement judiciaire anticipé n'aurait-il pas suffi à régler la question ?

L'effort aurait dû porter davantage sur la clarification et la simplification. Vous avez en effet instauré des innovations qui risquent d'aller à l'encontre de l'objectif poursuivi.

Moi qui suis partisan de la présence du ministère public lorsqu'il s'agit de la procédure après la cessation des paiements, je m'interroge quant à cette présence à l'audience d'homologation, qui devient alors une véritable audience.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais les homologations sont-elles de véritables audiences ?

M. Robert Badinter. Que je sache, nous ne sommes pas dans le domaine pénal, monsieur le rapporteur ! Si vous dites qu'il y a identité, plus personne n'utilisera la procédure de sauvegarde !

Cette organisation de l'audience « en amont », c'est-à-dire avant la cessation des paiements, ne me paraît pas aller dans le bon sens.

Je formulerai la même remarque en ce qui concerne une autre innovation : les deux comités de créanciers. Je pense véritablement que, là, vous prenez un risque, car les intérêts des différents créanciers risquent de s'opposer : l'intérêt de l'établissement de crédit, qui veut récupérer son argent, n'est pas du tout le même que celui du fournisseur, qui a tout intérêt à ce que l'affaire continue. Des conflits apparaîtront, qui ne seront pas faciles à résoudre !

En outre, dans le calcul de la majorité ou de la minorité, l'équilibre sera encore plus difficile à trouver, car ce sera le gros banquier ou le gros fournisseur qui sera maître du oui ou du non. Il faudra passer sous les fourches caudines.

Je redoute une telle dualité. Il aurait suffi de prévoir un comité de créanciers où chacun aurait agi selon son intérêt.

Je sais bien que cela figure dans le Chapter 11, mais, très franchement, cette référence me paraît singulière. Je crois en comprendre la raison ; je ne suis pas sûre qu'elle soit d'ordre interne. La seule justification que j'y trouverais, ce serait la réponse à l'odieuse campagne menée par certains juristes étrangers contre le droit français : il échappe trop aux droits des créanciers, à la liberté contractuelle des parties, etc.

Au demeurant, la référence au Chapter 11 me paraît superfétatoire. J'aurais préféré, monsieur le garde des sceaux, que vous fassiez un effort particulier pour accroître l'homogénéisation de notre droit avec les droits les plus proches. En d'autres termes, plutôt que de prendre pour référence le Chapter 11, il aurait été plus utile de s'orienter vers une européanisation du droit. Une grande majorité d'entre nous considère que le premier stade qui permettra de faire progresser le droit européen est l'harmonisation, qui doit précéder l'unification. Cette remarque, j'y insiste, est particulièrement vraie dans ce domaine. En effet, à l'heure actuelle, les affaires ont très souvent une dimension internationale. A cet égard, l'harmonisation des législations est une précaution nécessaire, vers laquelle nous nous dirigeons, mais sans lui donner l'accélération nécessaire.

Mon sentiment est que vous avez « relooké » la loi de 1985 : vous lui avez donné une apparence plus moderne, en apportant quelques innovations.

Nous allons présenter de très nombreux amendements ; nous verrons ce qu'il en adviendra. A mon sens, il s'agit, d'une certaine manière, d'une occasion perdue. J'aurais tant souhaité que ce droit soit enfin simplifié, allégé, plus compréhensible et, de ce fait, moins redouté.

S'agissant de l'équilibre entre les trois protagonistes que sont l'entrepreneur, le créancier et le salarié, j'observe tout d'abord un allégement, auquel je suis favorable, des sanctions qui pesaient sur l'entrepreneur. Je rappelle en effet qu'avant 1981 le droit en la matière était terrible : on avait même inventé une présomption de faute à l'encontre de l'entrepreneur qui avait un passif, ce qui était totalement délirant !

Si les créanciers trouvent dans la dualité une expression plus forte s'agissant de la procédure de sauvegarde - vous leur avez souvent fait la part belle ! -, je n'ai pas le sentiment que l'on se soit beaucoup préoccupé des droits des salariés.

Certes, pour les entrepreneurs, les cessations d'activité, les dépôts de bilan, les liquidations sont des épreuves, devant lesquelles ils ont d'ailleurs tendance à fuir. Pour les créanciers, tout dépend de l'état de l'entreprise ; cela s'inscrira sur la bottom line du bilan. Leur situation peut être difficile puisqu'ils sont confrontés à une perte, mais cette dernière s'impute sur les bénéfices. En revanche, pour les salariés d'un certain âge, notamment les femmes, qui ne retrouveront pas aisément un emploi, c'est un drame.

C'est pourquoi nous devons avant tout prendre en compte l'intérêt des salariés qui se retrouvent dans une situation où l'espérance de reclassement, et pas seulement le reclassement régional, est trop souvent illusoire. Au demeurant, Charles Gautier développera davantage cet aspect. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à notre assemblée est un texte attendu - même si ce n'est pas une révolution, comme l'a dit M. Badinter - qui s'inscrit dans un contexte particulier. En effet, notre législation en matière de droit des entreprises en difficulté est aujourd'hui obsolète puisqu'elle se fonde essentiellement sur les lois de 1984 et 1985, qui avaient été votées à l'époque dans un contexte de nationalisations.

La situation est particulière puisqu'il y a eu changement de gouvernement. Or, monsieur le garde des sceaux, quoique préparé par votre prédécesseur - je tiens au passage à rendre hommage à son travail ainsi qu'à celui de la Chancellerie -, ce texte s'inscrit parfaitement dans la politique prioritaire de défense de l'emploi du nouveau gouvernement de M. Dominique de Villepin. Au Sénat, nous avons étudié trois textes qui vont bien dans ce sens : le projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises, dont j'étais rapporteur au nom de la commission des affaires sociales, le projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, et le projet de loi de sauvegarde des entreprises.

Si la création d'entreprises crée elle-même des emplois, encore faut-il que cette création s'accompagne d'une certaine pérennité. Si le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, notamment grâce à la loi Dutreil I, a permis de dynamiser la création d'entreprises -  320 000 entreprises ont été créées en un an -, force est de constater qu'actuellement la durée de vie d'une entreprise sur deux n'excède pas cinq ans et que 15 % d'entre elles cessent leur activité pour cause de dépôt de bilan. Ainsi, chaque année, 45 000 entreprises déposent le bilan et 150 000 personnes perdent leur emploi à la suite de la faillite de leur employeur.

D'ailleurs, un certain nombre de dispositions de la loi en faveur des PME, qui vient d'être adoptée par le Sénat, visent justement à accompagner les créateurs en les formant pour prévenir ces risques de faillites.

Aujourd'hui, 90 % des procédures collectives se soldent par une liquidation de l'entreprise, car ces procédures ne peuvent être mises en oeuvres légalement qu'après la cessation de paiement, à un moment où l'entreprise n'aura qu'une chance très faible de pouvoir se redresser.

Ce dispositif laisse donc que peu d'espoir de s'en sortir, et ce au détriment de la préservation des emplois dans les entreprises qui sont en proie à des difficultés.

Cela s'explique, entre autres, par l'histoire : l'idée originelle qui sous-tendait le droit des procédures collectives se limitait avant tout à punir le débiteur défaillant.

Dans les anciennes cités marchandes d'Italie, la banqueroute se disait banca rotta, c'est-à-dire le banc rompu : le commerçant ne pouvait plus siéger dans les assemblées de marchands. La faillite dans les affaires signifiait donc une mise à l'index de la société marchande, sans espoir de seconde chance.

Or, aujourd'hui, une seconde chance est donnée au chef d'entreprise en difficulté, mais elle demeure limitée. Il a la possibilité soit d'entamer, après la cessation des paiements, une procédure de redressement judiciaire, soit de tenter de trouver, avant la cessation des paiements, par un règlement amiable avec ses créanciers, une solution à ses difficultés, en faisant intervenir de manière plus souple et confidentielle un conciliateur ou un mandataire ad hoc.

Le présent projet de loi a l'immense avantage d'introduire beaucoup plus de souplesse dans ces procédures, en ne les articulant plus autour de la faillite du débiteur et en privilégiant la négociation et la prévention.

Ainsi, la procédure de règlement amiable est assouplie : il est proposé que cette procédure, désormais appelée « conciliation », puisse être déclenchée même après la cessation des paiements, jusqu'à quarante-cinq jours après celle-ci. Cette mesure a pour objet de favoriser davantage la négociation.

En outre - et il s'agit là de l'innovation la plus importante -, ce projet de loi crée une nouvelle procédure de sauvegarde, qui permettra, de manière préventive, un redressement judiciaire anticipé avant la cessation des paiements, dès que les difficultés de trésorerie deviennent prévisibles.

Cette nouvelle procédure donnera au débiteur la possibilité de rester à la tête de son entreprise, assisté d'un administrateur judiciaire, alors que, dans la procédure actuelle, c'est l'administrateur qui dirige seul l'entreprise. Les poursuites sont provisoirement suspendues, un accord est négocié avec les créanciers les plus importants regroupés en deux comités, puis validé par le tribunal.

En outre, si ces nouvelles procédures ne permettent néanmoins pas de sauver l'entreprise, la procédure de liquidation sera alors simplifiée pour être accélérée.

La procédure est moralisée en adoucissant les poursuites individuelles pour les débiteurs « malheureux », contrairement aux débiteurs « malhonnêtes ».

Enfin, dernière innovation majeure de ce projet de loi, le bénéfice des procédures collectives est étendu aux professions libérales et indépendantes, dans la logique de l'extension de ces procédures aux artisans en 1985 et aux agriculteurs en 1988. La loi en faveur des PME est également étendue aux professions libérales.

Les apports de ce texte sont donc très importants. Plus qu'un simple toilettage, le présent projet de loi a pour objectif une simplification et une amélioration notable des lois de 1984 et 1985.

L'Assemblée nationale a apporté un certain nombre de modifications visant à simplifier la procédure de sauvegarde. Les députés ont ainsi souhaité permettre à l'administrateur judiciaire de proposer une cession partielle d'activité ou un redressement judiciaire, et non plus seulement la liquidation judiciaire, si aucun plan de sauvegarde n'est envisageable.

Les députés ont également aménagé la procédure de conciliation, en maintenant la possibilité d'une procédure plus confidentielle et moins lourde de simple homologation de l'accord par le président du tribunal, sans mesure de publicité du jugement.

L'Assemblée nationale a, en outre, clarifié la procédure de cession, en rétablissant la possibilité d'effectuer une cession totale de l'entreprise, dans le cadre du redressement judiciaire.

Afin de mettre fin aux querelles sur la notion de soutien abusif, les députés ont souhaité fixer des critères clairs et précis en limitant l'engagement de la responsabilité des créanciers aux seuls cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et de prise de garanties disproportionnées.

Enfin, la procédure de sauvegarde initiée à la demande du chef d'entreprise ne pourra pas entraîner à son égard de sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.

Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale a été adopté après un important travail de réflexion.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui recueille l'assentiment de la plupart des professionnels concernés et il devrait être utilement complété par les travaux du Sénat, notamment grâce au travail remarquable de nos rapporteurs. Je souligne celui qui a été réalisé par notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, sur les conditions de l'intervention de l'AGS au cours de la procédure de sauvegarde.

En conclusion, parce que ce texte modernise en profondeur les lois de 1984 et 1985, parce que ce texte apparaît comme l'adjuvant naturel et indispensable à la loi Dutreil, qui a redynamisé la création d'entreprises dans notre pays, enfin, parce que ce texte est parvenu à surmonter la difficulté de trouver un point d'équilibre entre les intérêts souvent contradictoires des débiteurs et des créanciers, des administrateurs et des mandataires judiciaires, le groupe UMP votera avec enthousiasme en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

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Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
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