compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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dépôt de rapports en application de lois

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport d'activité 2004-2005 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en application de l'article L. 1323-2 du code de la santé publique, ainsi que le rapport annuel 2004-2005 de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, en application de l'article L. 125 du code des postes et des communications électroniques.

M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Comité national de gestion du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville le rapport d'évaluation sur l'impact des financements attribués par ledit fonds, établi en application de l'article 25 modifié de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au renforcement de la coopération décentralisée en matière de solidarité internationale
Discussion générale (suite)

Coopération décentralisée en matiere de solidarite internationale

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

(Ordre du jour réservé)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au renforcement de la coopération décentralisée en matière de solidarité internationale
Art. unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Michel Thiollière relative au renforcement de la coopération décentralisée en matière de solidarité nationale (n° 29).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Guené, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, moins d'un an après l'adoption de la loi du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, dite loi Oudin, le Sénat est une nouvelle fois appelé à se pencher sur les actions extérieures des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Ces actions se caractérisent par leur ancienneté, leur diversité et leur importance. Prises en compte dans le calcul du montant total de l'aide publique au développement de notre pays, elles bénéficient du soutien de l'Etat. Leur montant s'est élevé à 230 millions d'euros en 2004, dont 115 millions d'euros au titre de l'aide au développement.

Aujourd'hui, pour être légales, ces actions doivent, en premier lieu, relever de la compétence des collectivités territoriales, en deuxième lieu, ne pas être contraires aux engagements internationaux de la France et, en troisième lieu, présenter un intérêt local.

Or, en l'absence de définition objective, cette dernière notion fait l'objet d'appréciations divergentes de la part des juridictions administratives.

L'insécurité juridique dans laquelle se trouvent actuellement les initiatives locales rend ainsi nécessaire une nouvelle modification de la loi.

La proposition de loi présentée par notre collègue Michel Thiollière, dont je salue l'initiative, tend à prévoir que « les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et leurs groupements peuvent, dans la limite de 1 % des recettes d'investissement, mener des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements dans le cadre de conventions, des actions d'aide d'urgence au bénéfice de ces collectivités et groupements, ainsi que des actions de solidarité internationale en cas de catastrophe humanitaire ».

Les catastrophes récentes survenues en Asie du Sud-Est, aux Etats-Unis, au Guatemala et au Pakistan témoignent de la nécessité d'une solidarité internationale. Sollicitées, les collectivités territoriales se sont fortement mobilisées pour venir en aide aux victimes du tsunami. Nombre d'entre elles songent à apporter leur pierre à la reconstruction de la Louisiane. Elles hésitent toutefois à entreprendre de telles actions par peur de la censure du juge administratif.

La proposition de loi présentée par notre collègue tend à sécuriser ces actions et à les encadrer en instituant un plafond de dépenses calculé en fonction des recettes d'investissement.

Si intéressantes soient-elles, les dispositions proposées présentent, pour la commission des lois, plusieurs inconvénients.

Tout d'abord, elles excluent les départements et les régions.

Ensuite, elles peuvent induire, à tort selon nous, un financement de l'action extérieure des collectivités locales par l'emprunt.

Enfin, elles ne lèvent pas les incertitudes nées de la jurisprudence administrative sur la légalité des aides au développement consenties par les collectivités territoriales dans la mesure où elles visent surtout les situations d'urgence.

Aussi, la commission des lois a-t-elle estimé plus opportun, à la lumière des auditions auxquelles j'ai pu procéder, des conclusions du groupe de travail du Conseil d'Etat, présidé par M. Philippe Marchand, et du fructueux dialogue engagé avec le Gouvernement, de modifier le texte de la proposition de loi afin d'atteindre deux objectifs.

Le premier est de donner une base légale incontestable à l'aide au développement consentie par les collectivités territoriales françaises et leurs groupements, tout en exigeant la formalisation de cette aide dans le cadre de conventions avec des autorités locales étrangères.

Le second est d'autoriser les collectivités territoriales et leurs groupements à entreprendre des actions à caractère humanitaire sans passer de convention, lorsque l'urgence l'exige, soit directement, soit en finançant des organisations non gouvernementales ou des associations.

L'intitulé de la proposition de loi a été modifié en conséquence, afin de viser l'action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Pour encadrer davantage les actions de coopération décentralisée et d'aide humanitaire des collectivités territoriales et de leurs groupements, il eût été envisageable de plafonner les dépenses qu'elles engagent à ce titre.

La commission n'a pas souhaité le faire, car une telle restriction serait allée à l'encontre du principe de libre administration des collectivités territoriales et, loin de modérer les dépenses de ces dernières, aurait risqué de les exposer à la tentation, ou à la pression, d'atteindre le plafond, alors que tel n'est bien souvent pas le cas.

Enfin, je dois vous dire, pour mémoire, que j'ai longuement hésité à proposer à la commission des lois d'adopter un autre article ayant pour objet de permettre aux collectivités territoriales métropolitaines, à l'instar des départements et des régions d'outre-mer, de passer des accords avec des Etats frontaliers ou des Etats membres de l'Union européenne. Les prérogatives extérieures de l'Etat français auraient en tout état de cause été préservées puisque les collectivités territoriales auraient agi par délégation, donc sous l'autorité et sous le contrôle, de ce dernier.

Si elle repose sur un fondement constitutionnel, l'interdiction faite aux collectivités territoriales et à leurs groupements métropolitains de passer des conventions avec des Etats étrangers suscite en effet des difficultés d'ordre pratique.

En premier lieu, la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l'Etat diffère d'un pays à l'autre, certaines compétences des collectivités françaises étant, à l'étranger, exercées par l'Etat.

En second lieu, un projet de règlement européen, qui est en cours d'examen, tend à autoriser la création de groupements européens de coopération transfrontalière auxquels pourraient participer non seulement les collectivités territoriales, mais aussi les Etats membres de l'Union européenne.

A la réflexion, il nous a semblé préférable de ne pas modifier la loi à ce stade et ce pour trois raisons.

Premièrement, même sans texte, l'Etat semble d'ores et déjà pouvoir déléguer sa signature à des collectivités territoriales pour passer des conventions avec des Etats étrangers.

Deuxièmement, consacrer dans la loi une telle possibilité semble susciter sinon des réticences, du moins des inquiétudes.

Troisièmement, si l'on veut éviter de devoir procéder à des modifications incessantes de la loi, mieux vaut attendre l'issue des discussions dont le projet de règlement relatif au groupement européen de coopération transfrontalière fait l'objet.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous propose d'adopter l'article unique des conclusions du rapport qui vous sont soumises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit que vienne aujourd'hui en séance publique la discussion de la proposition de loi déposée par le sénateur Michel Thiollière, tendant à introduire dans le code général des collectivités territoriales des dispositions nouvelles permettant de compléter et de préciser notre droit de la coopération décentralisée.

L'initiative de M. Thiollière trouve son origine dans la réaction immédiate et généreuse des élus locaux qui a suivi le drame du tsunami. Ce fait mérite d'être souligné. Il ne s'agit pas, en effet, de procéder à un simple aménagement technique destiné à améliorer une rédaction juridique. Le législateur entend, de manière plus fondamentale, répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui souhaitent plus de solidarité et de partage, surtout lorsque des populations étrangères sont touchées par une catastrophe naturelle.

La mobilisation des collectivités territoriales à la suite du tsunami a été massive et ordonnée : elle s'est, en effet, organisée en étroite relation avec le délégué interministériel nommé par le Gouvernement, les services centraux du ministère des affaires étrangères et nos postes diplomatiques à l'étranger. Ce sont ainsi plus de 17 millions d'euros qui ont été versés, et des perspectives sérieuses de participation à la reconstruction des régions sinistrées se sont ouvertes.

C'est dans ce contexte que je souhaite aujourd'hui rendre hommage à l'initiative de M. Thiollière, ainsi qu'à votre important travail, monsieur le rapporteur de la commission des lois, visant à sécuriser ce type d'actions dans la perspective de la survenance de nouvelles catastrophes, toujours possible, hélas !

La commission des lois du Sénat, dans sa sagesse, a pensé que cette proposition pouvait également permettre de répondre à d'autres préoccupations de sécurité juridique, devenues plus actuelles au cours des derniers mois, et tournant autour de la notion d'intérêt local, dont les contours méritent en effet d'être précisés en matière de coopération décentralisée.

Pour sa part, l'administration fait déjà preuve d'une conception ouverte de cette notion, en estimant qu'il y a présomption d'intérêt local dans les différents domaines de compétence d'attribution des collectivités territoriales. Dès lors, l'intérêt local ne doit être explicitement démontré que lorsqu'il est fait application de la clause de compétence générale. Tel est le sens de la circulaire conjointe du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et du ministre des affaires étrangères, du 20 mai 2001.

Pour autant, des décisions ont été récemment rendues dans des sens contradictoires par des tribunaux administratifs - ceux de Cergy-Pontoise et de Poitiers - et par la cour administrative d'appel de Douai. Si cette dernière a retenu une argumentation très proche de celle que développe l'administration, les deux autres juridictions, dans des contextes assez différents, n'ont pas admis qu'il y avait un intérêt direct pour les populations à mener des actions en faveur du développement. Cette interprétation, qui n'a pas encore été confirmée en appel, pourrait néanmoins, dans la pratique, aboutir à priver d'effet utile l'intention du législateur de 1992, telle qu'elle résulte des débats parlementaires qui ont conduit à l'adoption des articles 131 et suivants de la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République.

Or, dans cette affaire, le Gouvernement se sent solidaire des collectivités territoriales. La coopération décentralisée française est présente dans 115 pays et apporte une contribution substantielle - sans doute la deuxième du monde après celle du Japon - à la cause du développement local et territorial. Cette coopération décentralisée opère sur la base de relations entre élus et populations, dans le respect des engagements internationaux de la France et avec un souci croissant de qualité, d'évaluation et de responsabilité.

Je tiens d'ailleurs à souligner devant la représentation nationale l'excellente collaboration qui existe, dans les faits, entre les collectivités territoriales et le ministère des affaires étrangères pour mener à bien leurs actions de coopération décentralisée.

Il ne faudrait pas que des hésitations juridiques conduisent à affaiblir cette présence qui contribue au rayonnement de la France. Le Gouvernement ne s'y trompe pas en cofinançant de nombreuses actions de coopération décentralisée dans le cadre des crédits ouverts à cet effet chaque année par le Parlement. Il y aurait d'ailleurs paradoxe à subventionner des programmes dont la légalité serait discutable !

Cette question avait déjà été abordée dans le cadre des travaux de la Commission nationale de la coopération décentralisée. L'année dernière, lorsque le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat de l'ensemble des questions touchant la coopération décentralisée et transfrontalière, le ministère des affaires étrangères n'a pas manqué de proposer au groupe de travail présidé par M. Philippe Marchand, dès le début de ses réflexions, d'orienter ses travaux vers cette question. Cela a conduit à des propositions de rédaction dont votre commission des lois a eu connaissance.

Sur cette base, elle a pensé de manière unanime qu'il était opportun d'adjoindre des dispositions de portée plus générale au dispositif proposé par M. Thiollière, notamment pour en élargir le champ aux régions et aux départements.

Au total, le Gouvernement se réjouit de cette position, à laquelle il adhère complètement. Il a en effet la volonté de faire en sorte que la coopération décentralisée puisse se poursuivre et se développer selon les bonnes pratiques actuelles, mais dans un cadre juridique plus sécurisé. C'est bien ce que vise le texte de votre commission des lois, qui prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements « peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement ». Cette construction de phrase avec la conjonction « ou » montre bien - et c'est la conception du Gouvernement - qu'il peut s'agir aussi bien de coopération « Nord-Nord » que de coopération « Nord-Sud », et que les opérations peuvent porter avec une égale légitimité sur des échanges de bonnes pratiques et sur de l'aide à proprement parler. Celles-ci acquièrent donc « un intérêt public par détermination de la loi » auquel on ne pourra plus, sauf à méconnaître la volonté expresse du législateur, opposer une prétendue absence d'intérêt local immédiat et direct.

Le texte de la commission des lois conserve l'idée selon laquelle, sauf urgence, la coopération décentralisée est une construction conventionnelle, tout en prenant soin, avec réalisme, de permettre la signature avec une « autorité locale étrangère », qui peut être « moins » ou « plus » qu'une collectivité au sens de la législation française : parfois un état fédéré, parfois, au contraire, une structure en devenir, encore administrée sous le seul mode de la déconcentration. C'était d'ailleurs déjà l'interprétation de l'administration.

Cela ne signifie pas pour autant que la loi interdirait à l'avenir la poursuite d'actions extérieures non conventionnelles dans les domaines, par exemple, de la promotion économique ou culturelle, du tourisme, de la francophonie, ou encore pour le fonctionnement de réseaux internationaux. Ces actions devront continuer à s'appuyer sur des considérations d'intérêt local que le juge, s'il en est saisi, peut toujours vérifier.

Par ailleurs, c'est avec raison que votre commission des lois a profité de ce passage au Parlement pour élargir le champ de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, en complétant les références aux conditions d'entrée en vigueur des conventions de coopération décentralisée : désormais, les articles du code vaudront aussi bien pour les départements et les régions que pour les communes et leurs groupements.

Enfin, dans la rédaction proposée par votre commission des lois, le deuxième alinéa nouveau conserve l'esprit du texte de M. Thiollière quant à la souplesse des moyens d'intervention des collectivités locales : celles-ci ont le choix de « mettre en oeuvre » ou de « financer des actions à caractère humanitaire », en ayant recours, dans ce dernier cas, à des organisations non gouvernementales ou au fonds de concours institué auprès de la délégation à l'action humanitaire du ministère des affaires étrangères. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, et bien fait, lors du tsunami.

Votre commission des lois a envisagé un moment de profiter de cette procédure législative pour assouplir, sous certaines conditions tenant aux intérêts nationaux, la règle figurant à l'article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales et prohibant les conventions avec des Etats étrangers. Il s'agit effectivement d'ajustements qui pourraient s'avérer nécessaires, en particulier compte tenu du projet de groupement européen de coopération territoriale, le GECT, en cours de négociation dans les instances européennes, ou encore en raison de la mise en application du protocole additionnel n° 2 à la convention de Madrid.

En étroite liaison avec le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, nous approfondissons donc les études à ce propos, en nous appuyant sur les analyses du Conseil d'Etat. Cela ne doit pas pour autant retarder la clarification de notre droit en matière de coopération décentralisée et d'action humanitaire des collectivités locales. Votre rapporteur et la commission des lois unanime ont donc eu la sagesse de ne pas maintenir les dispositions qu'ils envisageaient d'inclure dans la présente proposition de loi, mais vous pouvez être assurés que les conclusions auxquelles ils sont parvenus permettront d'éclairer les travaux législatifs futurs sur ce sujet complexe et porteur d'avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment de conclure, je souhaite vous dire combien le Gouvernement se réjouit de voir le Sénat examiner aujourd'hui ce texte et je tiens à remercier non seulement son promoteur, M. Thiollière, mais aussi le président de la commission des lois et son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tsunami, cyclones, tremblements de terre, attentats : l'actualité récente a, hélas ! multiplié les occasions d'intervention à l'étranger des citoyens, des collectivités locales et des pouvoirs publics français.

Ces événements ont marqué l'opinion publique et soulevé des élans de générosité sans précédent dans notre pays. Aux dons privés se sont associées non seulement les actions de l'Etat, mais aussi celles des collectivités locales.

Or, comme l'ont très bien expliqué l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur, c'est dans un cadre juridique aujourd'hui incomplet et incertain que les collectivités décentralisées interviennent à l'occasion d'actions humanitaires ou d'aide au développement. C'est pourquoi, comme l'ont fait mes prédécesseurs, je salue l'initiative de notre collègue Michel Thiollière, qui, par la présente proposition, entend clarifier le cadre juridique de la coopération décentralisée.

Cette dernière dépasse l'horizon de l'aide humanitaire. Phénomène ancien, la coopération décentralisée est aujourd'hui très développée et très diversifiée. Elle représente des montants financiers qui, sans peser sur l'équilibre des finances locales, sont loin d'être négligeables. Les chiffres ont été rappelés : les sommes consacrées par les collectivités territoriales à l'action extérieure sont estimées à 230 millions d'euros l'année dernière. Elles concernent tant des actions de coopération Nord-Nord que des actions de soutien aux pays les plus démunis.

Se pencher sur les règles régissant la coopération décentralisée impose de s'interroger sur le partage de compétence entre l'Etat et les collectivités locales en matière internationale. Dans un Etat unitaire comme la France, l'action des collectivités locales à l'étranger est en principe résiduelle. Dans notre droit, le principe fondateur est que l'action internationale des collectivités constitue un mode d'exercice de leurs compétences et non une de leurs compétences spécifiques.

Ce principe général et fondateur se heurte à la nécessité de plus en plus pressante d'approfondir la décentralisation dans ce domaine. Il est aussi nécessaire de mettre en place un cadre juridique clair et en accord avec la réalité de l'intervention internationale des collectivités. Comme l'a rappelé Mme la ministre, il faut que la France soit présente et toutes nos actions, y compris celles des collectivités territoriales, doivent toujours être en harmonie et en cohérence avec l'action poursuivie par le Gouvernement.

La proposition de M. Michel Thiollière est équilibrée au regard de ces impératifs contradictoires. Elle n'entame pas les prérogatives régaliennes de l'Etat et permet clairement aux communes de mener des actions « d'urgence en cas de catastrophe humanitaire » sans se heurter aux aléas de la jurisprudence administrative, laquelle impose que toute intervention à l'étranger présente un « intérêt local » pour être légale.

Si la proposition de notre collègue a le double mérite de susciter le débat qui nous réunit aujourd'hui et de porter une clarification nécessaire, sa première version était trop partielle. Mais, au Sénat, nous avons l'habitude d'enrichir les textes qui nous sont proposés ! Il en est ainsi des modifications apportées par la commission des lois. Elles nous semblent très opportunes et nous vous en remercions, monsieur le rapporteur.

Tout d'abord, la première mouture de la proposition de loi ne concernait d'abord que les communes et leurs regroupements. C'était négliger l'intervention des départements et des régions. Cette dernière est quantitativement moindre que celle des communes, mais elle demeure importante. En 2004, par exemple, elle a représenté 40 % de l'aide au développement engagée par les collectivités françaises au profit des pays du Sud. La proposition de loi devait, à notre avis, être élargie à toutes les collectivités, comme l'a fait la commission des lois.

Ensuite, il était important de viser tant les opérations relatives aux catastrophes humanitaires que celles qui ont trait à l'aide au développement, quitte à assouplir les conditions d'intervention en cas de catastrophe humanitaire si l'urgence le justifie. C'est ce que propose la commission des lois et c'est une bonne chose.

Enfin, et cela nous tient à coeur, la proposition originelle limitait à 1% des recettes d'investissement les dépenses engagées par les communes en matière de coopération décentralisée. Outre le fait qu'une telle disposition incitait à l'endettement, elle me paraissait contraire au principe organique d'autonomie financière des collectivités locales, qui en ont assez des tutelles ici et là. La dernière vertu de la proposition de notre commission des lois est donc d'éliminer toute limite de dépenses. Les collectivités locales doivent être à même de gérer librement leur budget, ce qu'elles démontrent chaque jour.

Pour toutes ces raisons, le groupe UC-UDF votera la proposition de M. Michel Thiollière, telle qu'elle a été améliorée par la commission des lois.

En effet, la présente proposition est un pas significatif dans le sens d'une plus grande sécurité juridique en matière de coopération décentralisée. Toutefois, nous ne ferons sans doute pas l'économie, à l'avenir, d'une simplification - terme que l'on aime beaucoup, mais que l'on a du mal à mettre en pratique ! - ni d'une refonte de l'ensemble de l'architecture des règles qui régissent cette matière. Les outils juridiques se sont empilés au fil des ans, sans toujours répondre aux besoins des collectivités territoriales, comme le souligne l'excellent rapport de notre collègue de l'Assemblée nationale M. Michel Hunault.

En attendant, il me reste à féliciter M. Michel Thiollière de la pertinence de sa proposition, ainsi que la commission des lois, en particulier son rapporteur, M. Charles Guené, et son président, M. Jean-Jacques Hyest, de l'excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'excellent rapport de notre collègue Charles Guené présente l'historique de la coopération décentralisée, analyse finement le risque juridique auquel les collectivités territoriales sont confrontées et prévoit finalement de réécrire, en s'inspirant des travaux du Conseil d'Etat, la proposition de loi de notre collègue Michel Thiollière, laquelle a le grand mérite d'avoir posé le problème, sans cependant le résoudre complètement.

Je me félicite de l'analyse approfondie que vous avez faite de la proposition de loi, madame la ministre, et qui sera utile pour la compréhension de notre débat.

Je ne reviendrai pas sur l'historique de la coopération décentralisée, dont la forme la plus reconnue remonte à une petite trentaine d'années, si l'on excepte la période antérieure des jumelages, et dont le développement très rapide à la fin des années quatre-vingt a abouti à sa formalisation législative avec la loi du 6 février 1992.

Cette loi reconnaît le droit pour les collectivités françaises à coopérer avec leurs homologues étrangères et, pour avoir vécu cette période, je puis vous assurer que, dix ans après la décentralisation, il n'était pas facile de faire accepter ces principes au ministère des affaires étrangères notamment.

Désormais, cette action est devenue indispensable aux relations étrangères de la France et, en particulier, au dialogue Nord-Sud. On peut même affirmer, sans crainte d'être démenti, que c'est grâce à elle que le Président de la République peut afficher, pour les années à venir, un objectif de 0,7 % du produit intérieur brut, au titre de l'aide au développement.

A ce propos, permettez-moi de dire que, si nous en restons au budget médiocre qui nous est proposé cette année, il me semble peu probable que cet objectif soit atteint, et il ne faudrait d'ailleurs pas que, dans ce domaine, l'Etat se décharge de ses devoirs et de ses promesses sur les collectivités territoriales, transformant ainsi une oeuvre généreuse, mais volontaire, en une sorte de contrainte de fait. Tel n'est pas encore le cas, mais il vaut mieux prévenir que guérir.

Quoi qu'il en soit, chemin faisant, et après bien des tâtonnements, la coopération décentralisée s'est en quelque sorte professionnalisée, fixant méthodes et règles, trouvant ses opérateurs notamment. Elle est de plus en plus fondée sur la recherche d'objectifs définis en commun, sur le choix d'opérateurs, sur le respect de la culture de l'autre, sur l'acceptation d'une évaluation objective des résultats, qui peut et doit, si nécessaire, aboutir à une remise en cause de tout ou partie de l'intervention du financeur.

La contribution financière de l'Etat développé ne doit jamais être considérée comme une rente acquise, elle doit être perçue comme un moyen d'atteindre des objectifs et de réaliser effectivement des projets au profit des populations.

Tout cela - on ne le dira jamais assez - doit se faire nécessairement dans le cadre des engagements internationaux de la France et, sans parler de tutelle, avec le souci de ne mettre en porte-à-faux, ni nos ministres, quelle que soit leur appartenance politique, ni nos représentants, car il s'agit de l'étranger.

On note donc bien l'importance de cette action pour la France et, par là même, on voit combien il est indispensable de sécuriser ceux qui pratiquent cette coopération, ce que ne font pas complètement la loi de 1992, ni les textes réglementaires qui ont suivi, les notions de respect des compétences et d'intérêt local pouvant à tout moment être mises en avant par un contribuable pour dénoncer telle ou telle action d'une collectivité à l'étranger.

Cette sécurisation sera chose faite dans peu de temps - en espérant que l'Assemblée nationale ne tardera pas à examiner ce texte -, car il y a une réelle attente des élus de toutes tendances et une réelle inquiétude des services du ministère des affaires étrangères et, je le suppose, du ministre lui-même.

Le texte de notre collègue Michel Thiollière a été fortement complété. Il présentait des lacunes, mais je ne m'y attarderai pas, car elles ont déjà été évoquées.

Le texte initial ne concernait que les communes. Il limitait le niveau d'intervention à une somme certes élevée, mais dont on ne comprend pas la justification, ce qui ne semble pas nécessaire, et surtout la référence à l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, et donc aux compétences des collectivités territoriales, ne mettait pas celles-ci à l'abri du risque juridique. En effet, si un conseil général aide, par exemple, à la construction d'une salle d'accouchement au Burkina Faso - ce qui représente une somme de 3 000 euros environ -, il est condamnable parce que le sanitaire n'entre pas dans le champ de ses compétences.

Enfin, un sort particulier est clairement réservé, dans le deuxième alinéa de l'article unique, aux aides d'urgence qui peuvent être dispensées de la signature d'une convention, ce qui paraît logique, voire nécessaire.

C'est sur cette obligation de signer une convention fixant les actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers que je voudrais insister et conclure, car cette question a suscité un débat.

Il s'agit là, bien entendu, d'une contrainte, mais qui s'avère indispensable. Les raisons en sont multiples.

A l'heure où le code des marchés publics nous impose certaines obligations pour des sommes relativement modestes, on voit mal pourquoi les collectivités territoriales pourraient engager à l'étranger des sommes élevées sans avoir signé une convention, c'est-à-dire d'une façon tellement souple que pourrait être engagée n'importe quelle action de n'importe quel montant.

Mais l'essentiel est ailleurs. La coopération décentralisée, je vous l'ai dit, ce n'est pas pratiquer la charité ; ce n'est pas donner une somme d'argent pendant plusieurs années sans avoir défini au préalable le cadre de l'action à conduire avec les partenaires. Il importe d'informer la collectivité sur le montant des sommes allouées, sur le contrôle des dépenses annuelles effectives et sur les avenants éventuels selon l'avancement, l'accélération ou les retards du programme. Sinon, toutes les dérives sont possibles.

La coopération, c'est la concertation, l'analyse, la mise en oeuvre conjointe et suivie, ainsi que l'évaluation. Voilà pourquoi il me semble indispensable de signer une convention.

Je sais bien que de grandes collectivités sont gênées parce qu'elles disposent de beaucoup d'argent, qu'elles ont par ailleurs de nombreux partenaires et ont un rang international à tenir. Mais on ne peut pas faire n'importe quoi, et ce par respect non seulement pour sa propre assemblée, à laquelle on doit rendre compte minutieusement des sommes consacrées aux différents programmes, comme à l'évaluation de ceux-ci, mais également pour nos partenaires.

Le développement durable, c'est aussi définir ensemble les actions à engager et assurer un suivi. En effet, il ne faut jamais laisser sur le terrain les sommes votées se diluer dans un autre budget, qui peut alimenter n'importe quoi dans des pays souvent gangrenés par la corruption.

Telle est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la position du groupe socialiste. Je me félicite de ce texte, qui, très attendu, recueille un large consensus. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.