compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Rappel au règlement

Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (n°s 269, 308).

Rappel au règlement

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (début)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse, pour un rappel au règlement.

M. Michel Charasse. Madame le président, vous venez d'annoncer la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, portant transposition d'une directive européenne.

Rarement dans la vie parlementaire, les élus de la nation, députés et sénateurs, auront été assaillis d'autant de lettres, de courriels, de mises en garde, de menaces, de pressions, etc. Néanmoins, nous délibèrerons - je l'espère en tout cas - comme d'habitude, en faisant normalement notre travail, indifférents aux pressions, d'où qu'elles viennent.

Nos débats sont publics. Mais c'est ici dans cet hémicycle, dans les tribunes du public que cela se passe, et non dans la salle des conférences et dans les couloirs.

Madame le président, je vous demande de prier les services du Sénat de faire rigoureusement leur métier d'ordre et de sécurité en « nettoyant » les couloirs des lobbyistes de tout poil qui ne manqueront pas de nous sauter dessus dès que nous sortirons de la salle des séances pour qu'on les aide à se voler entre eux quand nous discuterons des articles qui les intéressent.

Si le Sénat ne devait pas faire son métier et mettre les parlementaires à l'abri de telles pressions dans l'enceinte du Palais, comme on l'a vu à l'occasion de précédents débats portant sur le même sujet, il ne faudra pas s'étonner que certains sénateurs soient tentés de faire le ménage eux-mêmes.

Par conséquent, pour éviter cela, je demande que les lobbyistes soient dégagés de la salle des conférences, du salon Victor Hugo, de la buvette et des couloirs du Sénat pendant la discussion de ce texte. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement.

J'espère que nous n'en arriverons pas à une telle situation. Je ne doute pas que les services du Sénat seront attentifs à ce que l'ordre règne dans les couloirs.

Discussion générale

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, que je soumets aujourd'hui au nom du Gouvernement à la Haute Assemblée, est au coeur d'un véritable débat de société sur l'accès aux oeuvres et à la culture et sur le financement de la création à l'ère d'Internet. Sa discussion à l'Assemblée nationale, longue, vive et passionnée, a ouvert ce débat utile, au fort retentissement, parce qu'il concerne la vie quotidienne de nos concitoyens et en particulier celle des plus jeunes. L'enjeu est majeur, car plus d'un Français sur deux est internaute aujourd'hui et, à terme, la plupart le deviendront, grâce à la politique résolue menée en particulier par ce gouvernement pour résorber la fracture numérique et développer l'usage des nouvelles technologies, ainsi que pour étendre la couverture de notre territoire.

Garantir l'avenir de la création dans l'univers numérique constitue un défi difficile à relever et tel est bien l'objectif du projet de loi qui vous est soumis.

Tout au long du débat à l'Assemblée nationale, j'ai défendu avec force et conviction une juste rémunération du travail des créateurs. Le travail remarquable réalisé par votre commission des affaires culturelles, monsieur le président, prévoit de suivre cette voie en la consolidant.

Deux principes essentiels fondent le texte adopté par l'Assemblée nationale. Ils sont au coeur de ma mission de ministre de la culture et de la communication.

Le premier est le respect du droit d'auteur, droit fondamental et intangible. Sans remonter jusqu'à Platon ou Vitruve, comme vous le faites, monsieur Thiollière, dans votre remarquable rapport, avec beaucoup de science et de sagesse, en montrant son élaboration progressive au cours de l'histoire, ce droit, tel que nous l'aménageons aujourd'hui, est pour l'essentiel l'héritier des Lumières. Vous montrez combien il a su s'adapter aux innovations technologiques, des plus anciennes aux plus récentes, comme l'invention du disque et de la vidéo. Il est de notre responsabilité aujourd'hui, de notre responsabilité à tous, et particulièrement de votre responsabilité de législateurs, de réussir son adaptation à l'ère d'Internet.

Le deuxième principe fondamental est l'accès le plus large aux oeuvres. Il s'agit de la préservation d'une liberté qui, dans l'univers numérique, doit permettre d'accéder à l'offre la plus diversifiée. Cette liberté de communication nécessite aussi, bien sûr, de préserver le respect de la vie privée des internautes.

L'enjeu central du présent projet de loi est de construire, sur le fondement de ces deux principes, un Internet équitable.

Tout le monde n'a pas les mêmes attentes et chacun doit trouver sur Internet l'offre qui lui convient. L'objectif premier de ce texte est aujourd'hui mieux compris : il s'agit de développer les offres culturelles en ligne, avec des modèles innovants et différenciés, pour satisfaire les attentes de chacun. Je pense notamment, à titre d'exemple, à « l'écoute en ligne » pour un concert en direct, à la location en ligne, qui permet de télécharger un film de chez soi, pour le regarder pendant vingt-quatre heures, aux offres de découverte, qui permettront d'écouter un artiste gratuitement, pendant une certaine durée, ou de le faire écouter à d'autres. Je pense également à l'offre lancée la semaine dernière par l'Institut national de l'audiovisuel, qui rend accessible à tous nos concitoyens près de cent mille émissions issues de notre mémoire audiovisuelle.

Le projet de loi vise précisément à créer les conditions pour que se multiplient ces offres de qualité, sécurisées, diversifiées, à des prix raisonnables et lisibles sur tous les supports.

Ce projet de loi est un texte d'avenir. Internet sera bientôt utilisé quotidiennement par tous les Français. Aussi l'enjeu n'est-il pas d'inventer un financement supplémentaire pour la création, mais de préparer, dans les meilleures conditions juridiques possible, le passage d'un modèle culturel, économique et social à un autre, un modèle nouveau où les internautes font appel à cette offre légale de musique et de films sur Internet.

C'est dans cette perspective qu'a été bâti l'équilibre du projet de loi. Ce nouveau modèle préservera le droit d'auteur et sera appelé à devenir un élément essentiel du financement de la création.

J'ajoute que l'accès aux oeuvres est l'un des facteurs clefs qui incitent les Français à devenir internautes et participent de manière décisive à l'essor des fournisseurs d'accès. C'est pourquoi les acteurs de la distribution des oeuvres par Internet ou sur d'autres réseaux numériques seront appelés à participer davantage à l'effort de contribution à la création. C'est le sens de l'accord pour la vidéo à la demande, qui a été signé en décembre 2005 au ministère de la culture et de la communication, avec l'ensemble des organisations professionnelles du cinéma, des fournisseurs d'accès et des diffuseurs. Un tel accord, précédé de dizaines de réunions, sert la diversité culturelle et préfigure l'application de ce que la France a obtenu dans le cadre de la renégociation de la directive « télévision sans frontières ».

Bâtir la loi sur la primauté du droit d'auteur et la volonté de l'accès le plus large aux oeuvres entraîne trois conséquences directes : elle doit mettre en valeur les oeuvres en leur offrant un cadre clair ; elle doit garantir le droit à la copie privée ; elle doit affirmer l'interopérabilité.

Mettre en valeur les oeuvres en leur offrant un cadre clair, c'est d'abord inscrire dans la loi un principe simple, qui doit être rappelé à l'ère numérique : l'auteur est libre de mettre gratuitement ses oeuvres à la disposition du public. Ce principe s'entend bien sûr sous réserve des droits des tiers, des droits des éventuels coauteurs et dans le respect des conventions qu'il a conclues.

Il apparaît ensuite nécessaire de créer un registre des oeuvres disponibles. Ainsi, chaque internaute pourra se référer à ce registre afin de savoir s'il acquiert une oeuvre protégée ou libre de droit. La création d'un tel registre sera un élément clef pour développer en toute légalité l'usage de logiciels d'échange pair-à-pair.

Enfin, je suis attaché à ce qu'une réflexion soit engagée pour la mise en place d'une plate-forme publique de téléchargement de musique, visant notamment à la diffusion des oeuvres des jeunes créateurs dont les oeuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement. À cet égard, des initiatives existent. Je veux les encourager et je souhaite qu'elles s'épanouissent et se multiplient. Parmi les plus récentes, je citerai celles du Centre national des variétés et du Hall de la chanson, qui viennent de lancer une plate-forme du patrimoine de la chanson.

Élément fondamental du texte, le droit à l'exception pour copie privée est garanti, tout en préservant l'équilibre économique et l'avenir de la création française.

La copie privée permet de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre limité et raisonnable de copies des oeuvres auxquelles on a accédé légalement. Elle se distingue du partage illicite, qui dépasse le cercle de famille pour s'adresser à tous les internautes.

Le projet de loi affirme le principe de l'interopérabilité, c'est-à-dire la liberté pour l'internaute de lire une oeuvre acquise légalement sur tout type de support. En encadrant les mesures techniques de protection, le projet de loi crée les conditions pour que se développe davantage l'offre légale. Puisqu'un Français sur deux est internaute, tous les acteurs qui contribuent à ces offres musicales ont intérêt à rester présents sur un marché qui va se développer. L'encadrement des mesures techniques de protection implique en effet de pouvoir lire sur tous les supports l'oeuvre achetée. Si un internaute est prêt à payer un morceau de musique, il est compréhensible qu'il puisse écouter ce morceau de musique sans être prisonnier d'un seul système qui correspondrait à la gamme de produits d'une seule société.

L'ensemble des États sera confronté à cette question, qui devra être portée au niveau européen. Avec le projet de loi, soyez-en fiers, la France est la première à l'affronter, dans l'intérêt du consommateur, des artistes, du rayonnement de leurs oeuvres et de la diversité culturelle.

Je tiens à souligner, c'est également très important, que l'interopérabilité n'est d'aucune manière une voie pour la piraterie : rendre des mesures techniques compatibles afin qu'elles soient adaptées aux différents supports ne peut être possible que si les droits des créateurs sont respectés.

Cette interopérabilité devra également permettre d'établir des conditions de saine concurrence et favoriser l'innovation, parce que nous disposons, en Europe, de compétences fortes, notamment dans le domaine de la téléphonie mobile.

Un parlementaire en mission sera nommé afin de travailler, avec toutes les parties concernées, à aboutir à des propositions équilibrées qui pourront ensuite être examinées au niveau européen.

Une difficulté centrale d'Internet est le risque pour l'État d'être en retard, voire déconnecté de l'évolution technologique qui est rapide, constante et largement diffusée dans la société.

Cette évolution technologique crée des comportements nouveaux qui s'imposent vite comme des habitudes. La loi, sitôt adoptée, ne doit pas être obsolète. Pour que ce ne soit pas le cas, il faut qu'elle fixe des principes et que leur application soit assurée en tenant compte d'un contexte technologique en mutation permanente.

Le projet de loi qui vous est soumis crée donc un collège de médiateurs, que votre commission des affaires culturelles propose de consolider en une autorité des mesures techniques, pour garantir et concilier à la fois le droit d'auteur, la copie privée et l'interopérabilité, tout en étant en phase avec l'innovation technologique et avec la modification des pratiques des internautes.

Je tiens à saluer, une fois encore, le travail remarquable accompli par votre commission des affaires culturelles et votre rapporteur, pour donner à l'autorité de régulation l'ampleur que nécessitait le problème de société auquel nous sommes confrontés.

L'autorité de régulation, qui pourrait être composée de cinq membres, aura notamment pour mission de déterminer les modalités de copie en fonction du type de support et sera un élément clef pour assurer l'interopérabilité, car elle pourra imposer sous astreinte aux ayants droit de modifier les protections techniques.

Monsieur le rapporteur, comme vous le soulignez justement dans votre rapport écrit, l'autorité de régulation a vocation à être un « dispositif souple, capable de répondre à la diversité et à la complexité des situations, ainsi qu'à l'évolution technologique et économique rapide d'un secteur en pleine métamorphose : celui de la diffusion des oeuvres culturelles à l'ère numérique ».

L'extension de sa mission aux questions d'interopérabilité ne saurait constituer un recul quant à la portée de ce principe, dont je viens de dire combien il est essentiel.

C'est la raison pour laquelle je vous propose d'instaurer une procédure de saisine réciproque de l'Autorité et du Conseil de la concurrence. Une telle procédure permet d'instaurer une articulation cohérente et claire entre les deux instances concernées.

Pouvoir mettre en ligne et télécharger des oeuvres protégées ne peut se réaliser que si, d'une part, chaque internaute est responsabilisé et, d'autre part, la petite minorité de ceux qui sont à l'origine des systèmes de piratage sont empêchés d'agir.

Le texte met donc en place tout d'abord une politique de prévention vis-à-vis des internautes, dont la mise en oeuvre sera précisée par un décret. Les fournisseurs d'accès à Internet transmettront à leurs abonnés des messages électroniques généraux de sensibilisation aux dangers du piratage pour la création artistique, dans le respect absolu de la personne et de la vie privée.

Le projet de loi différencie clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation proportionnée des sanctions, adaptée aux fautes commises, pour créer un régime dérogatoire au délit de contrefaçon. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison !

La recherche des infractions consistera à surveiller les échanges illégaux d'oeuvres protégées. Je dis bien les oeuvres, et non les internautes. Les constatations ne sont pas nominatives : les agents des services enquêteurs de la police ou de la gendarmerie relèveront des numéros d'adresse Internet. Cette recherche n'entraîne aucune surveillance des communications privées et préserve l'anonymat des internautes.

La contravention sera de première classe pour un téléchargement seul, soit 38 euros maximum, et de deuxième classe si le téléchargement s'accompagne de mise à disposition, soit 150 euros maximum. Un décret en Conseil d'État, prévu par le projet de loi, fixera et encadrera ces contraventions. Il précisera notamment les critères pour lesquels s'appliquera une contravention.

Un groupe de travail interministériel associant le ministère de la justice, le ministère de l'intérieur, le ministère de l'industrie et le ministère de la culture et de la communication est d'ores et déjà chargé d'évaluer et de déterminer les modalités des sanctions, ainsi que de préparer les circulaires d'application.

Je sais que certains d'entre vous s'interrogent sur la nécessité de responsabiliser les titulaires de l'abonnement à Internet. Je pense comme vous qu'il est nécessaire de les responsabiliser davantage afin de diffuser et de faire partager une culture de la responsabilité sur Internet, afin d'éviter des enquêtes intrusives dans la vie privée des internautes. Je sais que certains d'entre vous ont déposé un amendement sur ce point important. Aussi aurons-nous l'occasion d'y revenir au cours de notre discussion.

Les sanctions concernant le téléchargement illégal, accompagné ou non d'une mise à disposition, ont été conçues pour être adaptées et elles seront effectives. Parce qu'elles seront appliquées, ces sanctions seront proportionnées et responsabiliseront les internautes.

Mais surtout, ces sanctions sont indissociables du dispositif général que met en place le texte. Elles sont d'un montant peu élevé, car - et c'est ma priorité - les sanctions pour ceux qui organisent le piratage de la musique et du cinéma seront lourdes, qu'il s'agisse d'abord de ceux qui conçoivent et donnent les moyens de casser les mesures techniques de protection, et plus encore de ceux qui éditent des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition non autorisée d'oeuvres protégées.

Le texte garantit ainsi la neutralité technologique et préserve l'avenir du logiciel libre. Il faut préserver le logiciel libre, mais je serai clair : un éditeur de logiciel dont l'objectif délibéré est de porter atteinte aux oeuvres protégées et dont l'ambition est d'attirer ainsi un grand nombre d'utilisateurs doit être sanctionné, car il détruit ainsi sciemment l'économie de la musique et du cinéma, et l'avenir de la création dans ces domaines. Je suis particulièrement sensible à l'effort constructif de clarification et de pédagogie mené par votre commission.

Sans anticiper sur l'exposé de vos amendements, monsieur le rapporteur, permettez-moi dès à présent de donner un avis favorable à votre proposition tendant à ce que, au-delà des cas où l'on pourra prouver l'intention coupable, lorsqu'un logiciel est utilisé à des fins illicites et que cette utilisation est principale ou prépondérante, donc dans des cas bien ciblés, le président du tribunal de grande instance puisse ordonner à l'éditeur d'un tel logiciel de prendre des mesures pour en empêcher ou en limiter l'usage illicite. Ces mesures pourront s'appuyer sur un registre des oeuvres afin d'identifier les droits.

L'auteur est donc au centre de ce texte. Cela fonde certains choix. Je pense en particulier à l'exception pédagogique : le Gouvernement a privilégié la voie de la négociation contractuelle, particulièrement appropriée à la fois aux besoins et aux usages connus de l'enseignement, sur un modèle proche de celui qui a déjà fait ses preuves en matière de photocopie ou de panoramas de presse.

Cette négociation a abouti en mars dernier à la signature d'accords entre le ministère de l'éducation nationale et l'ensemble des titulaires de droit. Il faut nous en féliciter. Elle permettra en outre des adaptations plus faciles aux évolutions techniques rapides dans ces domaines.

Je pense aussi à l'exception en faveur des personnes handicapées, cause incontestable, qui exige de trouver le juste équilibre entre l'accès légitime aux fichiers numériques pour les associations de personnes handicapées et les risques réels d'abus entraînant une violation du droit des auteurs.

Enfin, ce projet de loi est l'occasion de transposer une autre directive européenne relative au droit d'auteur, la directive sur le droit de suite. Nous avions la date butoir du 31 décembre 2005 pour ce faire. Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des ventes successives de leurs oeuvres sur le marché.

Comme vous l'exposez dans votre excellent rapport, la directive européenne du 27 septembre 2001 uniformise le droit de suite et les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. Cette directive permettra à nos professionnels, à terme, de travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et par rapport au reste du marché intérieur. J'approuve l'amendement rédactionnel déposé par votre commission.

Au total, madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, qui fera l'objet d'un rapport au Parlement sur son application tous les dix-huit mois afin de s'assurer de son adéquation à un contexte technologique en rapide mutation, est un texte d'équilibre, d'équité et d'efficacité.

C'est un texte de liberté et de responsabilité, qui donne un avenir à la diversité culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005, avec l'adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l'UNESCO.

C'est un texte de législation moderne, en phase avec les défis de notre temps, qui respecte à la fois, d'une part, l'émergence d'une société d'internautes, où l'offre et la demande d'oeuvres et de produits culturels ne cessent de croître et de se diversifier, et, d'autre part, ce droit fondamental nécessaire à l'éclosion et à la pérennité des créations et des talents, ce droit d'auteur que personne n'a su mieux résumer que Beaumarchais : « Rendre à chacun ce qui lui est dû ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous abordons un texte difficile parce qu'il se situe aux avant-postes de la société, et on pourrait presque dire aux avant-postes d'une nouvelle civilisation, celle de l'univers numérique.

Avec ce texte, nous défrichons de nouveaux territoires d'une envergure inégalée : nouveaux territoires de la création, sous toutes ses formes, les artistes étant par nature des éclaireurs ; nouveaux territoires de la technologie, chercheurs, ingénieurs, industriels, inventant des modes de vie jamais encore expérimentés ; nouveaux territoires du droit international, européen et français ; nouveaux territoires qu'explorent les individus, avides de découvertes, désireux d'appréhender de nouveaux usages.

Il est donc normal que ce texte invite à des réflexions multiples.

J'évoquais une envergure inégalée. En effet, l'univers numérique est mondial, les directives sont européennes, les pratiques et les technologies n'ont pas de frontières. L'art, par nature, est universel.

Finalement, il s'agit ni plus ni moins d'une conception nouvelle de la vie en société, au sens de l'émergence et de la cohérence de la loi au sein de la République.

Puisque les pratiques de l'Internet empruntent avec le surf au langage de la mer, on peut risquer une image : celle du navire et de la mer. Et les questions qui les accompagnent sont les suivantes : qui embarque ? Sur quel navire ? Pour aller où ? Sur quelle mer ? Et pour quelles découvertes ? S'intéresse-t-on à la course du navire ? Se penche-t-on sur la résistance de la vague ?

À regarder de trop près les points de friction entre la mer et le navire, on risque d'échapper à l'essentiel. Car l'essentiel, pour nous, à travers ce projet de loi, c'est bien, d'abord, la protection, chez nous et dans le monde, mais surtout chez nous et dans le monde francophone, de lieux rares et sensibles où s'enracine et émerge la nouvelle création sous toutes ses formes. Cette création nourrit notre identité et esquisse la société dans laquelle nous vivrons demain.

C'est aussi la liberté de découvrir des oeuvres anciennes, nouvelles, proches ou lointaines.

Le texte que nous abordons doit donc nous aider à fixer le cap et à borner la route, tout en favorisant toutes les aventures et toutes les explorations, celles d'un métissage intelligent et respectueux du monde de la culture et de l'univers numérique.

C'est une tâche difficile, mais passionnante. Nous devons l'aborder avec l'envie de réussir, mais en gardant aussi un haut degré d'humilité.

Cette envie et cette humilité ont déjà inspiré le législateur dans notre pays, ce qui a permis de bâtir les fondations d'une législation stable sur ce sujet du droit d'auteur.

Les grandes notions autour desquelles il s'articule ont été posées par les deux lois de référence de la période révolutionnaire, les lois de janvier 1791 et de juillet 1793. Ses principes ont été progressivement dégagés par une série de lois qui se sont échelonnées tout au long du xixe siècle, contribuant à dessiner le profil original du droit d'auteur « à la française », face à l'autre modèle, celui du copyright anglophone, introduit notamment par la loi fédérale américaine de 1790.

Cette construction législative a trouvé en France son aboutissement avec l'adoption de la grande loi du 11 mars 1957, dont les dispositions sont, pour l'essentiel, encore en vigueur aujourd'hui.

Elles ont été complétées par celles de la loi du 3 juillet 1985, dite « loi Lang », qui ont créé des « droits voisins » au profit des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle.

J'ajoute, pour finir de planter le décor du droit français, que l'ensemble de ces dispositions ont été, depuis lors, codifiées par une loi de 1992 dans le code de la propriété intellectuelle, dont elles constituent la première partie, la seconde étant consacrée à la propriété industrielle.

Dans le domaine de la propriété littéraire et artistique, nous ne jouissons pas d'une entière marge de manoeuvre, car nous devons tenir compte d'un grand nombre de traités internationaux et de plusieurs directives européennes. C'est inévitable : les productions de l'esprit ont tendance, plus que les autres peut-être, à s'affranchir des frontières.

Ces accords internationaux tracent en quelque sorte le cadre général dans lequel nous intervenons en qualité de législateur national, et nous les évoquerons souvent dans nos débats. Je les énumère rapidement : il s'agit de la fameuse convention de Berne de 1886, de la convention de Rome de 1961 sur les droits voisins, ainsi que des deux conventions de 1996 de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI, qui ont, pour la première fois, invité les États à consacrer juridiquement les mesures techniques de protection, un des volets les plus significatifs du projet de loi que nous examinons.

Quant aux directives européennes, qui nous assignent des obligations plus précises encore, je ne citerai que les deux directives dont le projet de loi doit assurer la transposition : la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information et la directive n° 2001/84 du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.

Pardon pour ce rappel, mais je crois qu'il n'est pas inutile de situer ainsi nos travaux dans ce contexte juridique global, même si les débats publics récents vous ont peut-être familiarisés avec ces références.

J'en viens maintenant à l'analyse du présent projet de loi.

Son titre Ier a pour objet d'assurer la transposition de la directive européenne du 22 mai 2001, et l'Assemblée nationale a sensiblement enrichi et modifié son dispositif.

Je passe rapidement sur les dispositions relatives à l'harmonisation de la durée des droits voisins et de la définition des droits qui n'imposent que des ajustements ponctuels à notre droit et ne soulèvent apparemment pas de difficultés.

L'harmonisation des exceptions aux droits d'auteur et aux droits voisins constitue, en revanche, un sujet plus délicat.

Outre une exception technique obligatoire que le projet de loi transpose fidèlement, la directive européenne dresse une liste exhaustive et limitative des exceptions que les États sont autorisés à prévoir et qui correspond à peu de chose près à l'addition de celles qui existaient déjà ici ou là.

Parmi les exceptions facultatives, l'exception en faveur des handicapés mérite une mention particulière : c'est la seule à avoir été reprise dans la quasi-totalité des États. Les articles ler, 2 et 3 du projet de loi l'ajoutent, eux aussi, à la liste des exceptions que nous reconnaissons respectivement au droit d'auteur, aux droits voisins et aux droits des producteurs de bases de données. Le dispositif proposé, qui confie la réalisation des supports adaptés à des personnes morales spécialisées dans leur conception, ainsi qu'à certains établissements documentaires agréés, paraît adéquat, et l'Assemblée nationale a amélioré son efficacité en invitant les éditeurs à procéder au dépôt systématique du fichier numérique pour tous les documents imprimés. Cette obligation étant peut-être inutilement lourde, la commission vous proposera de lui substituer une obligation de fournir à la demande les fichiers numériques.

Ces fichiers pourraient d'ailleurs être déposés au Centre national du livre, comme la suggestion nous en a été faite.

Sur le plan des principes, la volonté de défendre le droit d'auteur doit nous rendre très circonspects face aux demandes de nouvelles exceptions.

Pour cette raison, je vous proposerai la suppression d'un certain nombre de nouvelles exceptions adoptées par l'Assemblée nationale, notamment celle de l'article 4 bis, qui prévoit d'étendre le régime de la licence légale de l'article L. 214-1 aux reproductions de phonogrammes du commerce nécessaires à la sonorisation des programmes de télévision, alors qu'il est actuellement réservé à la radiodiffusion, et celle de l'article 4 ter, qui instaure une exception en faveur des actes nécessaires aux procédures parlementaires de contrôle.

Dans le même ordre d'idée, la commission vous proposera de supprimer l'article 5 quater, qui dispensait du paiement de la rémunération pour copie privée les organismes utilisant des supports d'enregistrement vierges à des fins d'imagerie médicale. Certes, l'extension de l'assiette de cette rémunération aux supports numériques, dont les fonctions ne se résument pas à la copie privée, pose un vrai problème. Mais on ne peut y répondre par des dérogations qui auraient vite fait de mettre à mal le principe de mutualisation sur lequel repose tout le système.

En contrepartie, je crois que nous pouvons nous montrer plus ouverts sur un certain nombre de points.

Je vous proposerai ainsi de conserver, moyennant quelques aménagements, l'exception créée par l'Assemblée nationale en faveur des bibliothèques publiques, des musées et des archives, ainsi que celle qui concerne la reproduction des oeuvres graphiques, plastiques ou architecturales par voie de presse. Ces nouvelles exceptions, très limitées et bien circonscrites, ne causent aucun tort majeur aux auteurs.

Plus significative, je le reconnais, est l'exception que la commission vous propose d'instituer en faveur de l'enseignement et de la recherche, et que vous avez évoquée, monsieur le ministre.

Dans un premier temps, nous étions convenus, le président de la commission, Jacques Valade, et moi-même, de nous rallier à la démarche du Gouvernement qui préférait à la création d'une nouvelle exception légale une démarche contractuelle pour définir les usages autorisés.

Nous avions, en effet, jugé encourageante la déclaration commune, que vous avez mentionnée, monsieur le ministre, signée le 14 janvier 2005 par le ministre de l'éducation nationale et le ministre délégué à la recherche et à l'enseignement supérieur.

Mais nous nous sommes alarmés des retards successifs que prenait la publication des accords qui ne sont parus qu'alors que les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi étaient déjà engagés. Ils ne nous paraissent malheureusement pas pleinement satisfaisants. Car, malgré leur publication tardive, leur négociation semble avoir été précipitée au détriment de la participation de certains partenaires importants comme la conférence des présidents d'université. En outre, le contenu de ces accords nous paraît parfois exagérément restrictif.

Ces raisons nous ont conduits à recommander l'introduction en droit français, dans des termes mesurés, d'une exception pédagogique, qui existe déjà chez nombre de nos partenaires, notamment en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Belgique, au Portugal et au Luxembourg.

Dans le même temps, où s'harmonisent l'enseignement et la recherche au niveau européen, notamment avec le schéma LMD, ou licence-master-doctorat, il est nécessaire de franchir avec cette exception un pas de caractère européen.

Second sujet sensible, la consécration juridique des mesures techniques de protection, qui nous fait entrer au coeur du problème de la défense du droit d'auteur et des droits voisins dans l'univers numérique.

Nous commençons de percevoir à quel point la révolution numérique entraînera, sur la diffusion des oeuvres et de la culture, des conséquences aussi significatives que l'invention de l'imprimerie, de la radio ou de la télévision.

Les conséquences de la révolution numérique sont de trois ordres : la numérisation des oeuvres les rend infiniment reproductibles et rien ne différencie plus l'original de la copie ; en outre, la compression numérique démultiplie les capacités de stockage - les baladeurs numériques en sont l'illustration frappante ; enfin, elle facilite également, grâce au développement parallèle du haut débit, leur transmission facile, rapide et peu coûteuse à travers les réseaux numériques ; l'essor des réseaux appelés peer to peer profite de ces nouvelles potentialités.

Ces mutations technologiques et l'impact qu'elles ont, ou qu'elles auront à coup sûr, sur les pratiques culturelles des nouvelles générations et, par contrecoup, sur l'économie de la filière culturelle, sont connus ou, en tout cas, sinon prévisibles, du moins probables.

Nous devons faire le pari que les formidables potentialités qu'offre la révolution numérique pour la diffusion des oeuvres sont conciliables avec le respect de la propriété intellectuelle, grâce aux mesures techniques de protection et au développement des plateformes de téléchargement légales. Ces mesures, qui reposent également sur des technologies numériques, peuvent permettre aux ayants droit de reprendre le contrôle de l'accès à leurs oeuvres et de leur diffusion, si, dans le combat inégal qui les oppose aux dispositifs de contournement, on leur donne l'avantage d'une protection juridique.

Tel est le choix qu'ont opéré, dès 1996, les deux traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, relayés cinq ans plus tard par la directive européenne du 22 mai 2001, que le chapitre III du projet de loi transpose à son tour en droit français.

La définition et la consécration juridique des mesures techniques que l'article 7 du projet de loi insère dans les deux premiers alinéas d'un nouvel article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle sont une reprise quasi littérale des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 de la directive.

Nous retrouvons, en revanche, une marge d'appréciation dans deux domaines où la directive est moins précise : l'interopérabilité des mesures techniques et la conciliation de ces dernières avec le bénéfice effectif des exceptions, en particulier de l'exception pour copie privée.

Nous avons tout d'abord souhaité mieux garantir le bénéfice effectif de certaines exceptions, en particulier de l'exception de copie privée, de l'exception en faveur des bibliothèques et de l'exception en faveur des personnes handicapées.

Certes, l'Assemblée nationale avait déjà complété le projet de loi initial en adoptant plusieurs dispositions tendant à garantir l'information des consommateurs et le maintien de la copie à partir d'une source télévisuelle. Nous les avons conservées et confortées. L'Assemblée nationale avait, en outre, confié au collègue des médiateurs la mission supplémentaire de fixer les modalités d'exercice de la copie privée, sans toucher à sa composition et à son fonctionnement.

Cette nouvelle responsabilité d'ordre quasi réglementaire nous a incités, au contraire, à aller jusqu'au bout de cette démarche et à ériger le collège en une autorité administrative indépendante, « l'autorité de régulation des mesures techniques de protection », composée de six membres, de façon à intégrer, à côté de magistrats, des personnalités qualifiées dans le domaine des technologies de l'information, ainsi que, le cas échéant, dans les secteurs de la propriété littéraire et artistique et dans celui de la propriété industrielle.

Cette nouvelle autorité indépendante, outre son rôle de conciliation, pourra fixer notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception de copie privée, en fonction du type d'oeuvres, de leurs modes de communication au public et du contexte technique. Cette solution souple et évolutive nous a paru préférable à la fixation définitive d'une règle rigide.

C'est également à cette autorité que notre commission vous propose de confier la responsabilité de garantir l'interopérabilité, c'est-à-dire, une nouvelle liberté, offrant de nouvelles possibilités d'échanges et de découvertes.

Nos auditions nous ont convaincus que les deux solutions successivement envisagées par l'Assemblée nationale n'étaient pas satisfaisantes aujourd'hui : le Conseil de la concurrence, qui est certes le juge des entreprises, n'était sans doute pas le mieux placé pour garantir l'interopérabilité ; quant au second dispositif, il prenait trop de libertés avec la propriété industrielle et la protection des logiciels, qui ont aussi leur légitimité, ne l'oublions pas, et qui sont garanties tant par le droit français que par le droit européen.

Notre volonté de mettre sur pied un dispositif à la fois efficace et respectueux des droits existants nous a conduits à procéder à sa refonte complète au sein d'un nouvel article additionnel.

Je serai plus bref sur le chapitre des sanctions, car nous n'avons dans l'ensemble retouché qu'à la marge les dispositions qui s'y rapportent.

Nous avons approuvé la volonté du Gouvernement de moduler l'échelle des peines et de sortir les actes de téléchargement du champ de la contrefaçon pour les requalifier de simples contraventions.

La définition des contraventions relevant du pouvoir réglementaire, nous souhaiterions que vous nous donniez davantage de précisions, monsieur le ministre, quant aux procédures qui seront utilisées pour la recherche, le constat et l'établissement des procès-verbaux de ces infractions. Nous sommes, en outre, confrontés à une interrogation récurrente : y aura-t-il autant de contraventions que d'oeuvres téléchargées, ou bien la contravention sanctionnera-t-elle un acte de téléchargement susceptible d'englober un grand nombre de fichiers protégés ?

Nous avons également partagé votre analyse suivant laquelle la lutte contre le peer to peer ne doit pas passer uniquement par la répression des internautes.

Nous avons d'emblée approuvé le dispositif adopté par l'Assemblée nationale à l'article 12 bis tendant à instaurer une responsabilité pénale des éditeurs et fournisseurs de logiciels, dès lors que leur intention délictuelle est bien établie. Nous nous sommes montrés en revanche plus réservés, à l'origine, à l'égard du dispositif civil envisagé par l'article 14 quater.

Les contacts et les réflexions que nous avons poursuivis tout au long de ces derniers mois et jusqu'à ces derniers jours nous ont permis de remédier d'abord à un certain nombre d'imprécisions rédactionnelles.

Compte tenu de l'importance qu'y attachent les milieux artistiques, nous avons pu en même temps élaborer, au terme d'une démarche constructive avec le Gouvernement, un nouveau dispositif, mieux centré sur les éditeurs de logiciels susceptibles d'être concernés et adossé à un registre public qui ouvre de nouvelles perspectives.

Enfin, je serai plus bref encore sur les autres dispositions du projet de loi, consacrées au droit d'auteur des agents publics, au dépôt légal des contenus diffusés sur Internet et à la transposition de la directive relative au droit de suite.

Ne voyez surtout pas là un manque d'intérêt de ma part pour ces questions. Il convient toutefois de constater qu'elles sont moins problématiques que les précédentes et seront par conséquent probablement moins débattues, en dépit de leur importance, voire, pour certaines, de leur nécessité.

Concernant les articles consacrés au droit d'auteur des agents publics, j'estime que le texte est parvenu à un équilibre qu'il convient de préserver. Tout en proposant de renverser l'économie juridique de l'avis rendu par le Conseil d'État en novembre 1972 afin de reconnaître aux agents publics un droit de propriété sur les oeuvres créées dans l'exercice de leurs fonctions, le projet de loi prend soin d'encadrer l'exercice des droits moraux et patrimoniaux de l'auteur dans le but de les concilier avec les nécessités du service public.

On peut certes s'interroger, comme l'ont fait tant le CSPLA que certains de nos collègues, sur l'opportunité d'encadrer si strictement les différents attributs du droit moral des agents publics. Je ne doute pas, d'ailleurs, que nous aurons l'occasion de revenir sur cette question au cours du débat. Mais, en faisant naître désormais les droits d'auteurs sur la tête des agents publics concernés, et non plus sur les collectivités publiques qui les emploient, et en ouvrant la possibilité d'intéresser ceux-ci au produit tiré de l'exploitation de leurs oeuvres, le projet de loi a au moins le mérite de mettre fin à une exception contraire à notre conception personnaliste du droit d'auteur.

Qu'il me soit permis de souligner dès à présent la pertinence des corrections apportées par l'Assemblée nationale à ces articles : en soustrayant du champ d'application de ces dispositions les agents publics jouissant d'une certaine indépendance, au premier rang desquels les enseignants et les chercheurs, les députés ont à mon sens opportunément corrigé un dispositif susceptible, dans le cas contraire, de brider les travaux et la créativité du corps professoral.

Concernant l'extension de l'obligation de dépôt légal aux contenus diffusés sur Internet, je tiens, monsieur le ministre, à féliciter le Gouvernement de nous proposer des dispositions permettant de garantir la sauvegarde du patrimoine numérique tout en préservant les intérêts des ayants droit. Ce cadre juridique novateur s'appuyant sur un régime de collecte mixte des documents numériques devrait en effet permettre de dépasser la phase d'expérimentation menée par la Bibliothèque nationale de France et par l'INA, et d'assurer une collecte efficace de ce nouveau patrimoine.

Concernant l'INA, je vous proposerai d'adopter une disposition permettant à l'Institut d'exploiter plus efficacement les archives, qu'elle a par ailleurs mission de numériser.

J'en viens enfin à l'article 28 A du texte, tendant à transposer la directive du 27 septembre 2001 relative au droit de suite. Celui-ci ne bouleverse pas l'esprit du droit de suite tel qu'il a été défini par le législateur en 1920. S'inspirant très largement des dispositions de la directive, mais également de celles de l'article 14 ter de la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, il se contente d'en rappeler le principe, le domaine et les modalités d'application au sens le plus large du terme. Ce faisant, ce nouvel article ne propose qu'une transposition a minima de la directive, la plupart des détails relatifs aux seuils, aux taux et aux délais devant être fixés par un décret en Conseil d'État.

Il permet toutefois d'acter vis-à-vis des instances communautaires la transposition formelle d'un texte applicable depuis le 1er janvier 2006, ce qui constitue en soi une satisfaction compte tenu des délais moyens de transposition des textes communautaires dans notre pays.

Permettez-moi en conclusion de vous remercier très sincèrement, monsieur le ministre, ainsi que vos collaborateurs, de la qualité de votre écoute. Je remercie également le président de la commission, Jacques Valade, de la qualité de ses conseils et de sa disponibilité, mes collègues de la commission et l'ensemble de nos collaborateurs, et, bien entendu, toutes celles et tous ceux que nous avons auditionnés et qui nous ont éclairés sur leur métier, leurs craintes et leurs souhaits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mon cher collègue, avec l'ère numérique, nous vivons une véritable révolution des modes de diffusion des oeuvres et de la culture. Les conséquences de cette révolution sur les droits d'auteur sont multiples : les oeuvres sont reproductibles à l'infini et à qualité identique ; leurs capacités de stockage sont démultipliées et, à travers les réseaux numériques, elles peuvent être diffusées très facilement et très rapidement. On pressentait depuis plusieurs années que la portée économique et culturelle du numérique serait comparable à celle de l'apparition de l'imprimerie. C'est aujourd'hui une certitude, car sont remis en cause les modes de fonctionnement et les fondements mêmes de la propriété intellectuelle et artistique.

Le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information dont nous entamons aujourd'hui l'examen a pour objet d'adapter notre législation à cette révolution numérique. Or, convenons-en, l'examen d'un texte aussi complexe aurait mérité plusieurs lectures par chaque chambre, propices à une plus grande maturation de notre réflexion. En outre, les discussions engagées au Parlement français nous semblent intervenir soit trop tôt, soit trop tard.

Trop tard, car non seulement le projet de loi transpose une directive européenne qui date déjà de cinq ans, mais, qui plus est, reprend pour les États de l'Union européenne des dispositions des traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle datant de 1996, soit d'il y a dix ans ! D'ailleurs, la France, qui est avec l'Espagne le dernier pays de l'Union européenne à transposer la directive alors qu'elle aurait dû le faire au plus tard le 22 décembre 2002, a été condamnée par la Cour européenne de justice en janvier 2005 pour non-respect de son obligation. De par sa vocation européenne, le groupe UC-UDF, qui est favorable à la construction d'une Europe de la culture, laquelle suppose aussi l'harmonisation des législations des États membres en matière de droit d'auteur, regrette que la France ait été, une nouvelle fois, mauvais élève de la classe européenne.

À cela s'ajoutent le dépôt tardif du projet de loi, en novembre 2003, sur le bureau de l'Assemblée nationale, et son inscription à l'ordre du jour plusieurs fois repoussée. Autant dire que nous attendons ce texte depuis plusieurs mois ; d'ailleurs, le débat de société qui s'est engagé à l'occasion de son examen - mouvementé - à l'Assemblée nationale a démultiplié l'intérêt pour la question des droits d'auteur et du téléchargement dans notre pays.

Comment penser, dans ces conditions, que les dispositions juridiques élaborées voilà maintenant dix ans sont encore valables et applicables aujourd'hui, à la vitesse où vont les innovations technologiques dans le secteur du numérique ? Sur de nombreux aspects, le projet de loi peut paraître en décalage avec la réalité des techniques et des pratiques. Je ne citerai comme exemple que le téléchargement avec les logiciels de peer to peer et le développement récent des connexions Internet à haut débit en France. Ne risquons-nous pas de légiférer à contretemps et de voir les mesures législatives devenir obsolètes quelques semaines après leur adoption, voire dès leur promulgation ?

C'est sans doute trop tard, mais c'est peut-être également trop tôt. Trop tôt, car nous sommes à la croisée des chemins : la révolution numérique est en cours, de nouveaux modèles économiques émergent dans le secteur culturel. Ainsi, les distributeurs de vidéo ont récemment annoncé aux États-Unis la vente de l'oeuvre vidéo sous format numérique au même moment que la mise en vente du DVD. Il ne faudrait pas que, par des dispositions juridiques contraignantes, le législateur « fige » des positions industrielles et des modèles en plein développement.

Trop tôt également, car nous sommes à un tournant technologique et nous ne savons pas, pour l'instant, comment vont évoluer les techniques et les pratiques de téléchargement. Nous sommes au milieu du gué, et aucune solution idéale ne semble se dégager. Aussi, tout en garantissant certains principes clairs, il faut à mon avis créer un cadre législatif le plus ouvert et le plus souple possible pour qu'il puisse s'adapter aux évolutions technologiques futures, pour lesquelles - vous en conviendrez, mes chers collègues - on ne peut nous demander de jouer un rôle d'expert.

Parmi ces principes, le groupe UC-UDF est particulièrement attaché à la juste rémunération des auteurs et des artistes ; au maintien d'un environnement libre sur le Net ; à la reconnaissance du droit à la copie privée ; à l'interopérabilité et à un régime d'exceptions équitable.

Comme l'ont montré les débats à l'Assemblée nationale, les évolutions technologiques sont au centre des préoccupations. Alors que les discussions se sont concentrées sur les propositions de licence globale ou légale, celle-ci ayant pu apparaître à un moment comme une solution séduisante sur le papier - je tiens ici à rappeler que le groupe UC-UDF a été le seul à adopter une position claire et cohérente à ce sujet -, elles portent désormais davantage sur la question de l'interopérabilité et des mesures techniques de protection, qui forment d'ailleurs le coeur de la directive.

Reste la question du téléchargement, celle qui concerne le plus grand nombre de citoyens. Le débat, qui portait initialement sur le droit d'auteur, est devenu plus complexe et plus technique, nécessitant une maîtrise complète du fonctionnement des logiciels de téléchargement, des mesures de protection, des méthodes de cryptage et de brouillage, des codes sources... Pourtant, derrière ces questions et les multiples intérêts concernés par le projet de loi - ceux des auteurs, des artistes-interprètes, des ayants droit, des sociétés de perception, des industries culturelles, des consommateurs-internautes, qui sont tous légitimes -, il faut rappeler la primauté du droit d'auteur, qui, vous l'avez dit, monsieur le ministre, est intangible et inaliénable.

L'enjeu du projet de loi, il ne faut pas le perdre de vue, est bien la création culturelle dans notre pays. Mais il faut viser, dans l'univers numérique, un nouvel équilibre entre les auteurs, les créateurs et la diffusion de la culture, facilitée par le développement de l'internet et des supports dématérialisés.

Personnellement, je reste attachée à un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, droits sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits de la société à l'accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l'information, sans lesquels il ne peut y avoir de liberté. C'est en cela que l'élargissement des exceptions aux bibliothèques publiques, archives et musées, ainsi qu'aux fins d'enseignement et de recherche, est important. Si le projet de loi doit rappeler et réaffirmer que la création a une valeur, qu'elle a un coût, que tout n'est pas gratuit, comme peuvent le laisser croire l'utilisation et le développement d'Internet et du peer to peer, nous savons également que les mesures techniques de protection peuvent favoriser des monopoles industriels, limiter l'accès à la culture, ou encore restreindre l'exception pour copie privée.

C'est pourquoi, en même temps que de la reconnaissance juridique des mesures techniques de protection, qui permettent de préserver les droits exclusifs des auteurs en limitant les reproductions abusives, je me réjouis de constater que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale apporte des garanties sur l'interopérabilité, peu présente dans le texte du projet de loi initial. En effet, il ne faut pas minimiser les risques que les mesures techniques de protection souhaitées par les majors des industries culturelles font peser sur les consommateurs, mais aussi sur les auteurs et sur les artistes-interprètes mêmes, qui, ne figurant pas tous au « Top 50 », ne sont pas tous en mesure de négocier des contrats sécurisés. En maîtrisant la technologie, elles peuvent rendre impossible la lecture sur l'ensemble des supports d'un bien culturel acquis légalement et restreindre l'exception pour copie privée et, à terme, en faire disparaître la rémunération en tarissant ses sources de financement.

Je défendrai donc, avec mon groupe, plusieurs amendements visant à revenir à l'équilibre trouvé à l'article 7 par l'Assemblée nationale, unanime sur l'interopérabilité. Au demeurant, cet équilibre nous semble quelque peu remis en cause par l'amendement proposé par la commission des affaires culturelles.

Je me réjouis également que nos collègues députés aient apporté à l'article 8 des précisions et des garanties sur le bénéfice de l'exception pour copie privée, que menaçait le développement des mesures techniques de protection.

Pour ce qui est des sanctions, je m'interroge sur leur efficacité. Si tout le monde admet que, faute de moyens, il ne sera pas possible de poursuivre l'ensemble des internautes téléchargeant illégalement, que des technologies plus perfectionnées permettront la pratique « anonyme » du peer to peer sans être repéré par les logiciels, et que les peines encourues figurant dans la première mouture du projet de loi étaient manifestement excessives, il reste que le dispositif proposé aujourd'hui nous laisse dubitatifs. La crédibilité de la loi ne repose-t-elle pas sur l'effectivité des sanctions ? Celles-ci auront-elles une réelle efficacité sur les internautes ? Seront-elles applicables ? La pédagogie et la prévention ne devraient-elles pas être encouragées ? Pour ma part, je regrette que la partie préventive du système dit de « réponse graduée », c'est-à-dire l'envoi de courriels personnalisés aux internautes téléchargeant illégalement, n'ait pu aboutir. Cette mesure me paraissait pourtant de nature à dissuader de nombreux internautes d'actes de téléchargement illicite. Je voudrais également insister ici sur l'importance de la nécessaire éducation de nos jeunes concitoyens à la culture, tant le débat de société et les pratiques de téléchargement peuvent accréditer chez les jeunes générations l'idée que la culture ne coûte rien.

L'internet a bouleversé les « modes de consommation » des biens culturels. Plutôt que de prévoir une panoplie répressive largement illusoire et des mesures techniques prétendument inviolables, une éducation artistique et culturelle citoyenne pourrait rappeler la valeur de la création, par exemple que l'artiste interprète répète tous les jours avant d'enregistrer un CD ou de faire un concert, que la confection d'un CD coûte de l'argent, le prix que représente la production et la réalisation d'un film. C'est toute cette prévention éducative qui manque dans le projet de loi.

Nous veillerons, en outre, à ce que les sanctions prévues contre le contournement des mesures techniques de protection garantissent le respect de la vie privée contre les menaces intrusives, notamment lors des procédés mis en place pour repérer les contrevenants, comme l'a fait remarquer la CNIL, lors de la mise en place par les fournisseurs d'accès à Internet de la charte pour lutter contre la piraterie.

Celles-ci doivent également veiller à laisser se développer l'activité des logiciels libres, qui favorisent la capacité de recherche, la créativité et l'inventivité. Il y a là un enjeu pour la compétitivité de l'industrie française.

Pour finir, je voudrais insister sur le fait que nous sommes ; dans l'univers numérique ; à une période charnière où les lignes ne sont pas encore fixées ; nous en avons tous conscience

Les acteurs économiques spécialisés dans les industries culturelles doivent innover, inventer de nouvelles formes de création et de mise à disposition des oeuvres sur Internet.

Comme dans d'autres secteurs culturels, plusieurs modèles d'accès aux biens avec des modes de financement différents pourraient cohabiter : les plates-formes légales payantes, les logiciels libres, le peer to peer légal, dans lequel les ayants droit négocient avec les éditeurs de logiciels pour la diffusion de leurs oeuvres. Cette cohabitation des modèles - vous en avez évoqué plusieurs exemples, monsieur le ministre - permettrait de satisfaire l'ensemble des acteurs en garantissant une juste rémunération aux auteurs, tout en favorisant l'accès à la culture et sa diffusion.

Le projet de loi doit permettre la transition vers ces nouveaux modèles économiques de la culture. Cette mutation, ce bouleversement pose aussi, bien sûr, la question de l'impact du numérique sur les modes de financement des filières culturelles. C'est la raison pour laquelle je défendrai un amendement d'appel qui vise à assujettir les fournisseurs d'accès à Internet au paiement de la rémunération pour copie privée et donc à les faire participer au financement de la culture.

En effet, Internet est aujourd'hui un mode de diffusion essentiel des oeuvres et prestations artistiques protégées. Ne serait-il pas logique que les fournisseurs d'accès à Internet participent aussi au financement des filières culturelles dont ils tirent bénéfice ?

C'est pourquoi le groupe UC-UDF restera très attentif à la préservation du difficile équilibre entre le droit d'auteur et l'accès du public aux biens culturels, au respect de la création mais aussi de la créativité engendrée par de nouveaux modes de collaboration interactive entre internautes responsables, au respect de la vie privée.

Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements, en particulier à ceux qui concernent l'interopérabilité, à nos yeux essentielle, et avant tout, bien sûr, de l'équilibre général du texte qui sortira des débats du Sénat, équilibre qui, nous en avons tous conscience, est très délicat à atteindre, tant, de toute évidence, les enjeux sont multiples : culturels, techniques, financiers, économiques, sociétaux et les intérêts catégoriels parfois contradictoires.

L'examen du projet de loi aura au moins ce mérite pédagogique : avoir éveillé les esprits sur les questions culturelles et les problématiques de financement de la musique et du cinéma et avoir rappelé la spécificité du droit d'auteur hérité de Beaumarchais.

Enfin, je remercie le président de la commission des affaires culturelles, son rapporteur et ses services de la qualité de leur travail sur ce dossier difficile. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion que le Sénat ouvre aujourd'hui aurait dû, dans l'esprit du Gouvernement, être close depuis longtemps, dans les premiers jours de l'année 2006 exactement.

En effet, après avoir fait délibérer l'Assemblée nationale à la veille de Noël, M. le ministre pensait pouvoir faire enregistrer le texte par le Sénat au tout début du mois de janvier et, ainsi, avoir adapté le droit d'auteur et ses droits voisins à la société de l'information à peine la trêve des confiseurs achevée.

Mais vu la confusion qui régnait dans les rangs de la majorité au moment où le débat aurait dû être clos, le Premier ministre s'est résigné à suspendre l'examen du texte par les députés. Celui-ci n'a pu reprendre qu'après trois mois de tergiversations de votre part, monsieur le ministre, période qui ne vous a même pas donné l'occasion d'organiser quelque concertation que ce soit, ni avec les professionnels du secteur ni avec les parlementaires. Étiez-vous donc si sûr de votre fait ?

Certes, ce gouvernement a tenté d'imposer au pays et à sa jeunesse le CPE sans chercher à comprendre comment il a pu soulever une telle contestation à l'égard de son action. Dès lors, on voyait mal comment ce même gouvernement aurait pu concevoir qu'un projet qui touche à la vie quotidienne de millions d'internautes et de milliers d'artistes puisse susciter des discussions aussi passionnées que celles qui ont émergé à l'Assemblée nationale au mois de décembre dernier.

Pourtant, en France, le droit d'auteur conserve une dimension historique et révolutionnaire indéniable. Comme l'affirmait Lakanal lors des débats qui aboutiront aux lois fondatrices de 1791 et de 1793 consacrant le droit de représentation et le droit de reproduction, « si quelque chose doit étonner, [...] c'est qu'une si grande révolution que la nôtre ait été nécessaire pour reconnaître le droit d'auteur ».

En tout état de cause, si nos prédécesseurs de 1789 doivent nous apprendre un principe dans l'art de gouverner, c'est que les textes longuement délibérés sont souvent les plus stables car les moins contestés. Ainsi, les lois de 1791 et de 1793 n'ont-elles été profondément modifiées qu'en 1957, puis en 1985. Et souvenons-nous que la réforme de 1957 a été préparée dès 1944 et que celle de 1985 a fait l'objet de trois ans de concertation préalable avant d'être adoptée à l'unanimité durant une législature pendant laquelle les sujets de consensus furent pourtant peu nombreux.

Ce que les révolutionnaires, la IVe République et le gouvernement d'Union de la gauche avaient su faire, ce gouvernement, qui dispose de tous les leviers de commande institutionnels, n'a pas su ou pas voulu le réaliser, contribuant, une fois de plus, à créer les conditions du conflit dans une société qui a décidément besoin de cohésion.

Pourtant, votre prédécesseur et vous-même, monsieur le ministre, avez disposé du temps nécessaire pour ne pas légiférer dans l'improvisation.

Faut-il rappeler que le texte qui nous est soumis aujourd'hui a pour principal objet de transposer une directive européenne relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information qui date du 22 mai 2001 et que le projet de loi initial du Gouvernement a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2003 ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qu'a fait Lionel Jospin ?

M. David Assouline. Vous avez beau jeu de justifier le recours à la procédure d'urgence pour l'examen de ce texte par le retard très significatif pris pour la transposition de la directive de 2001, retard qui a d'ores et déjà exposé la France à des rappels à l'ordre on ne peut plus légitimes de la part de la Commission européenne et qui l'expose désormais à de non moins légitimes sanctions.

La France est en effet l'avant-dernier État membre de l'Union à transposer la directive de 2001 dans un domaine dans lequel, à juste titre, elle se vante pourtant d'être pionnière. Sans parler des conditions de préparation du premier projet par M. Aillagon, votre prédécesseur : ni les orientations de la directive communautaire ni les modalités de transposition retenues par le texte n'ont fait l'objet d'un minimum d'explication, alors même qu'il aurait fallu de la pédagogie, pendant la longue période qui s'est déroulée avant le début du débat à l'Assemblée nationale.

Le ministre de la culture et de la communication a toujours semblé considérer ce texte - peut-être plus aujourd'hui, mais à l'origine - comme d'ordre purement technique, sans enjeu politique.

Cette absence de clairvoyance, pour ne pas dire cet aveuglement, a contraint le Président de la République en personne à intervenir pour appeler à trouver « un équilibre entre lutte contre le piratage et liberté des utilisateurs » - c'était avouer que cet équilibre ne figurait pas dans le texte - et à « sortir de la logique de répression systématique des internautes » ; c'est donc qu'il voyait une telle logique dans le texte qui était soumis à l'Assemblée nationale.

Reprise le 7 mars à l'Assemblée nationale, la discussion n'est pourtant pas repartie sur des bases sereines, le Gouvernement tentant même de recourir à un artifice de procédure pour supprimer l'article 1er, coupable d'avoir été amendé par l'Assemblée nationale au mois de décembre, avant de devoir y renoncer, dans la plus grande confusion et en ayant mis au passage gravement en cause - il faut tout de même le préciser - le droit constitutionnel d'amendement des députés.

Comme le soulignait alors un grand quotidien du soir, le débat parlementaire a pris, devant nos collègues députés et du seul fait de l'improvisation du Gouvernement, des « allures de farce », indignes d'une démocratie adulte.

Mais là n'est pas le plus grave. Le débat à l'Assemblée nationale a en fait été le réceptacle d'un affrontement beaucoup plus vaste, profond et préoccupant mettant en scène, par le biais notamment de très nombreux blogs créés pour l'occasion, internautes et créateurs ou, pour être plus précis, droit des usagers de l'internet - citoyens et consommateurs - et droit des créateurs et de leurs « employeurs » - producteurs, diffuseurs et autres industriels de la culture.

Ainsi que le dit très justement maître Pierrat dans son ouvrage La guerre des copyrights, paru récemment, c'est en fait un conflit entre droit à la culture et droit de la culture auquel on assiste aujourd'hui, conflit qui ne laisse pas de préoccuper les responsables politiques de gauche dont je suis, car ce gouvernement, notamment au travers de la préparation de ce texte, n'a semblé que l'aviver sans chercher de réponses politiques aux questions posées dans l'espace public par, d'une part, des citoyens et des consommateurs et, d'autre part, des acteurs de la création et de la culture, tous confrontés à des évolutions économiques et technologiques majeures.

Je voudrais donc essayer de montrer en quoi la gestion désastreuse de ce dossier par le Gouvernement a transformé un vrai beau débat en faux débat, puis en vrai conflit, alors que les pouvoirs publics auraient dû cerner au préalable les défis à relever collectivement, comme ce fut le cas avec la loi « Lang ».

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Bien sûr !

M. David Assouline. Faux débat en effet que celui qui a émergé du fait du Gouvernement en opposant, dès l'avant-projet de loi, d'une part, internautes et concepteurs de logiciels libres et, d'autre part, créateurs et industries culturelles.

Le Gouvernement a joué un jeu malhabile, dangereux, ayant abouti à exacerber les tensions existantes entre deux mondes vivant l'un de l'autre, mais ne se comprenant pas toujours.

Ainsi le ministre a-t-il dans un premier temps confirmé, comme solution majeure, la pénalisation à outrance de l'acte de téléchargement,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est totalement faux !

M. David Assouline. ...même à des fins d'usage strictement privé, en reprenant sans nuance l'argumentation des grandes multinationales de l'entertainment.

Ce faisant, M. le ministre a surtout donné l'impression de vouloir verrouiller l'usage de l'internet en cédant aux seules revendications des multinationales de l'industrie culturelle pour leur garantir le contrôle des modes de diffusion de la culture.

Le mal était malheureusement fait dès lors que le débat allait être uniquement alimenté par les positions de groupes d'intérêts constitués.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous le demande solennellement : qui peut croire que le législateur peut dégager l'intérêt général, dès lors que, sans vision et sans projet cohérent, il cherche uniquement à empiler les intérêts particuliers ?

C'est pourquoi il est essentiel de replacer le débat dans son contexte plus général, qui explique largement les incompréhensions, les inquiétudes et les craintes, tant des internautes que des artistes.

Le développement de la consommation de masse de biens culturels voit effectivement des groupes industriels à vocation mondiale dominer le marché de ce que les Anglo-Saxons appellent l'entertainment, apparemment sans contrepoids économique ni régulation publique.

Depuis les années quatre-vingt, la mondialisation touche largement les biens culturels du fait de la convergence des changements industriels, du développement des technologies et des politiques de dérégulation. La culture se démocratise : un public de plus en plus nombreux visite les grandes expositions rassemblant des oeuvres du monde entier et circulant dans les grandes capitales, bibliothèques et musées virtuels se visitent depuis les ordinateurs individuels.

La massification de la consommation de biens culturels qui accompagne ce mouvement se traduit par une concentration de la fréquentation ou de la consommation d'un nombre d'oeuvres de plus en plus restreint.

La mondialisation de la culture se caractérise de fait par un mouvement paradoxal : une inflation du nombre des oeuvres produites, tant dans le cinéma que dans la musique, et une réduction concomitante de leur diffusion et de leur exposition au public, les campagnes de promotion et de médiatisation étant concentrées sur quelques productions seulement, et ce à l'échelle mondiale.

En effet, pour contrebalancer les risques de production de plus en plus importants, l'industrie culturelle, dont l'activité touche à la création, la production et la commercialisation de biens et de services dont la particularité réside dans l'intangibilité de leurs contenus à caractère culturel, généralement protégés par le droit d'auteur, développe des stratégies particulières de gestion marquées par la valorisation du star-system, par la recherche de la production de hits ou de blockbusters.

Pour optimiser leur modèle économique, les firmes du secteur ont été conduites à développer des logiques d'intégration verticale entre production et distribution, voire à lancer des opérations de concentration horizontale qui ont conduit dix entreprises américaines à figurer parmi les douze premiers groupes mondiaux d'entertainment et à réaliser près de la moitié du chiffre d'affaires des cinquante premiers.

Des oligopoles sont donc apparus sur le marché des biens culturels. L'industrie des phonogrammes est dominée par Universal Music, Sony-BMG, Warner et EMI, celle du cinéma par les studios intégrés dans des groupes plurimédias - Warner-Bros de Time Warner, Disney, Universal Pictures, Paramount Pictures de Viacom. Autrement dit, près de 85 % de la distribution mondiale des disques sont assurés par cinq majors et plus de 80 % de la diffusion de films en salle sont contrôlés, dans la plupart des pays, par les grands studios américains.

Ces stratégies ont donc favorisé non pas une sous-production - jamais il n'a été produit et diffusé autant de films, de phonogrammes, de livres, etc. - mais une sous-représentation des oeuvres produites. Ainsi, en France, soixante-deux références de phonogrammes, soit 0,00002 % des références disponibles, réalisent 10 % des ventes de disques et 4,4 % des références génèrent 90 % du chiffre d'affaires. Et ce sont sensiblement les mêmes références qui constituent la quasi-totalité de la musique radiodiffusée et des ventes des plates-formes de téléchargement.

Qui plus est, la convergence des entreprises et des biens culturels et l'intégration croissante des marchés se traduisent aussi par la montée en puissance des offreurs de technologie dans le monde de la culture.

Aujourd'hui, les opérateurs de télécommunications et de réseaux, les éditeurs de logiciels, Microsoft par exemple, et les constructeurs de matériel, Sony notamment, disposent de moyens considérablement plus importants que les majors de la culture et sont à même de peser très directement sur l'orientation et le développement des différents marchés de biens culturels.

Ainsi, le marché mondial des biens culturels est dominé par quelques grands opérateurs, généralement anglo-saxons, qui intègrent de plus en plus activités de contenus et de contenants, et qui développent des stratégies, perçues comme prédatrices, de captation des droits de propriété littéraire et artistique des oeuvres qu'ils exploitent.

Cette situation interroge effectivement la capacité de l'État nation à préserver la diversité culturelle et déforme profondément les discussions sur l'adaptation du droit de la propriété intellectuelle à l'économie numérique, d'autant que les politiques de maîtrise des droits de propriété des oeuvres pratiquées par les grands groupes d'entertainment s'inscrivent clairement dans une logique de copyright issue du droit américain plutôt que dans la tradition juridique française.

En somme, le contexte porte en lui-même tous les éléments du conflit.

Ce panorama, tous les observateurs et les praticiens du monde de la création et de la culture le connaissent parfaitement. Dès lors, il n'est pas excusable de donner à ce point l'impression du double langage en criant victoire, légitimement d'ailleurs, lors de l'adoption par l'UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle le 20 octobre dernier, tout en ignorant, parallèlement, les interrogations et les attentes des internautes et des créateurs quant aux modalités concrètes d'exercice des droits de propriété intellectuelle à l'ère du tout numérique. Politiquement, ce n'est ni très visionnaire ni très responsable.

La gauche, pour sa part, ne peut que refuser d'entrer dans un affrontement qu'elle juge « perdant-perdant ». La démocratisation de la diffusion de la culture est inscrite au coeur de ses valeurs comme l'est la protection des créateurs, car l'une ne peut aller sans l'autre.

En revanche, ce qui s'inscrit profondément en faux avec notre conception de la culture et de sa démocratisation, ce sont les tendances actuellement à l'oeuvre d'uniformisation du goût, de « peoplelisation » des auteurs, d'impérialisme des industries de contenants et des publicitaires, qui se nourrissent l'une l'autre au détriment de la diversité et de la qualité des oeuvres mises à disposition du public.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qui a lancé la TNT ?

M. David Assouline. Dans ce contexte, la position des producteurs en général ne peut être caricaturée. Assumer les risques de production est un réel défi économique, surtout lorsqu'il s'agit de maintenir et de renouveler un fonds d'oeuvres important.

Bien sûr, on trouvera ça et là de belles expériences d'artistes utilisant la liberté créatrice de l'internet pour inventer de nouvelles relations avec le public. Mais l'hypothèse d'un auteur échangeant directement avec l'utilisateur final est hautement simplificatrice et tend à nier le rôle de découvreur et de médiateur des éditeurs producteurs. Ceux-ci assurent, et depuis longtemps, dans l'économie de la culture, une fonction qui est souvent pour le consommateur un label de qualité professionnelle.

C'est pourquoi il faut comprendre la réaction de la plupart des labels indépendants, et pas seulement des majors, à la proposition d'introduire un droit général à la copie privée sur l'internet en échange du paiement d'une licence globale qui aurait été acquittée par les fournisseurs d'accès.

Mme Catherine Tasca. Très juste !

M. David Assouline. La licence globale n'est pas une solution à rejeter dans les années qui viennent au regard de l'évolution extrêmement rapide des technologies de l'information et de la communication. Toutefois, telle qu'elle a été formalisée dans les débats à l'Assemblée nationale, elle ne semblait pas être un dispositif suffisamment mûr pour pouvoir être institué dans notre droit de la propriété intellectuelle sans prendre plusieurs risques non marginaux.

Le premier risque est de légaliser la circulation, alimentée par de véritables réseaux, parfois mafieux, d'oeuvres piratées dont la mauvaise qualité remet fondamentalement en cause le droit moral des auteurs sur les exploitations de leurs oeuvres.

Le deuxième risque est de tuer dans l'oeuf le développement de plates-formes de téléchargement légal qui, certes, ont mis du temps à voir le jour et qui restent trop chères pour être suffisamment attractives pour les jeunes, au détriment des entreprises de contenus qui, comme nous l'avons déjà montré, jouent un rôle essentiel dans la diffusion de la culture.

Le troisième risque enfin, en affirmant dans la loi la gratuité des biens culturels, est de réduire les citoyens à consommer des fichiers numériques. Les citoyens ne se sentiraient dès lors plus concernés directement par la rémunération des artistes, pour ne pas dire par le financement de la création, désormais impartis aux industriels des contenants.

Il ne faudrait pas que, la neutralité de la technologie étant ce qu'elle est, les industries de contenants, éditeurs de logiciels et groupes de télécommunications, notamment les fournisseurs d'accès à Internet, profitent de ce dispositif pour faire définitivement main basse sur les industries de contenus, réduisant ainsi l'économie de la culture à un face-à-face entre quelques groupes de télécommunications ou d'informatique et les internautes.

N'oublions pas que, dans ce domaine comme dans d'autres, la menace du tout libéral nous guette. Souvenons-nous que, depuis le xixe siècle, les partisans les plus farouches du libre-échange réclament à grands cris l'abolition de la propriété intellectuelle, qu'ils perçoivent uniquement comme un frein à la liberté des échanges de biens culturels, destinés à devenir des produits de consommation comme les autres, soumis à la seule loi de l'offre et de la demande.

Il paraît donc encore risqué de remettre à plat la chaîne de valeur actuelle de la création artistique et culturelle en liant l'essentiel de la rémunération des auteurs au produit d'une licence prélevée sur un chiffre d'affaires des fournisseurs de tuyaux.

Ne plus lier l'accès à un contenu culturel au paiement direct d'une contrepartie financière laisserait peut-être symboliquement s'établir dans l'esprit des internautes que l'accès à la culture est gratuit, comme si la production culturelle l'était aussi. Or la création d'une oeuvre a un coût. Ainsi, nous laisserions s'installer l'idée - qui existe ! - que l'on peut se ruiner pour une paire de Nike, pourtant fabriquée scandaleusement à très bas prix par des enfants du tiers-monde sous-payés, mais ne rien payer pour une oeuvre intellectuelle ou artistique dont la production a été onéreuse !

Autrement dit, chez nombre d'adolescents, de moins en moins sensibilisés aux arts à l'école du fait de la politique scolaire de la droite au pouvoir, se développerait l'idée déjà présente qu'écouter un album de musique ou visionner un long métrage n'a pas d'autre prix que celui de payer un abonnement à l'internet à haut débit.

Le risque serait d'autant plus élevé que, si dix millions de foyers français ont aujourd'hui accès à l'internet à haut débit, leur nombre ne devrait que croître à l'avenir avec le développement rapide de l'ADSL et, je l'espère, avec une démocratisation et la fin de la fracture numérique - très sociale - qui existe encore dans notre pays.

Les défaillances des pouvoirs publics dans la poursuite d'une politique ambitieuse de démocratisation de l'accès à la culture, dégageant notamment les moyens nécessaires pour réduire la fracture numérique et offrir à tous les Français, sur l'ensemble du territoire national, la possibilité de fréquenter des bibliothèques et des médiathèques publiques de qualité, ne peuvent justifier la libéralisation totale de l'accès aux oeuvres de l'esprit sur l'internet au nom du libre partage de la connaissance et de la culture.

La reconnaissance et la protection de la propriété intellectuelle en général et du droit d'auteur en particulier figurent au coeur des valeurs de la gauche en ce qu'ils doivent être considérés parmi les critères fondamentaux d'un État de droit et d'une société libre.

Il faut là citer un grand Ancien, qui a siégé dans cet hémicycle : dans son discours d'ouverture du congrès littéraire international de 1878, Victor Hugo affirmait : « L''écrivain propriétaire, c'est l'écrivain libre. Lui ôter la propriété, c'est lui ôter l'indépendance. »

Il faut donc réaffirmer ici avec force que le principe de liberté des créateurs d'oeuvres de l'esprit, sans lequel une démocratie n'en serait plus vraiment une, serait dépourvu de toute effectivité, donc de toute réalité, sans garantie juridique au droit exclusif. C'est pourquoi l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose : « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

Le droit exclusif est donc non seulement un droit pour l'auteur de percevoir une rémunération pour l'exploitation de son oeuvre, mais aussi un droit d'autoriser et d'interdire à quiconque d'utiliser son oeuvre, l'auteur ayant seul le droit de décider du sort de sa création.

Ce droit de dire non, qu'il s'agisse de refuser les conditions d'exploitation ou d'exiger le respect de l'oeuvre, est ainsi une arme essentielle pour la défense des intérêts des auteurs.

Remettre en cause ce droit ne peut donc être un objectif en soi. Même si des évolutions ne sont pas à écarter au regard des évolutions du marché des biens culturels liées à la « révolution numérique », de telles adaptations du droit ne doivent être réalisées qu'en pesant tout leur impact sur la reconnaissance et la protection de la propriété littéraire et artistique.

Permettez-moi moi de vous renvoyer à cet égard à l'action de l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, et aux propositions de Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France.

Certes, les mesures techniques de protection peuvent être le cheval de Troie qui permettraient à Microsoft ou à Apple de prendre progressivement le contrôle du marché de la culture en occident, puis dans le monde, en ayant en plus accès aux données personnelles des internautes. L'usage de ces mesures doit donc être rigoureusement encadré afin d'éviter tout débordement dans l'atteinte à la vie privée et dans le contrôle des échanges.

Les pouvoirs publics doivent aussi garantir que la concurrence sera assurée sur le marché de l'édition des mesures techniques de protection en n'enfermant pas celui-ci dans les seules mains des grandes firmes éditrices de logiciels propriétaires. Sur ce point, l'interopérabilité est en effet un enjeu essentiel et nous réaffirmons que nous en serons les plus ardents défenseurs.

À ce stade de l'analyse des enjeux du débat, il apparaît sans contestation qu'il est impossible de légiférer sur l'évolution du droit d'auteur et des droits voisins à l'heure de la révolution numérique en improvisant des amendements dans le cours de la discussion, comme le Gouvernement a pu le faire.

Le groupe socialiste aurait souhaité que l'on en reste à une transposition fidèle et modeste de la directive et qu'un large débat soit ouvert pour élaborer une grande loi portant sur le fond.

Aujourd'hui, nous ne pouvons que déplorer les atermoiements et les approximations du Gouvernement sur le collège des médiateurs - nous y reviendrons lors de l'examen des amendements - ou sur l'effectivité des sanctions et leur rôle pédagogique ; nous vous poserons des questions précises.

Un vaste débat est nécessaire. Il faudra une grande loi et nous remettrons ce chantier à plat dès que ce sera possible, bientôt je l'espère. La société tout entière attend ce débat. Nous savons qu'elle sera capable de s'en emparer. C'est le seul moyen de dégager une orientation générale et d'unifier les intérêts, que l'on n'a pas de raison de considérer comme contradictoires, du droit à la culture et du droit de la culture.

Nous ouvrirons ce chantier, nous relèverons ce défi difficile. À bientôt ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Rassurez-vous, monsieur le ministre, je serai plus positif, moins agressif que l'orateur qui m'a précédé et, surtout, je m'efforcerai de m'en tenir au texte qui nous est proposé.

Nous assistons aujourd'hui, avec le développement de l'internet, à une révolution technologique fascinante. Ce nouveau moyen de communication et d'information a connu un essor fulgurant. Il a rapidement rendu possible la distribution en ligne de contenus culturels : musique, livres, jeux vidéo, films ou programmes télévisés. Le champ des oeuvres téléchargeables s'étend de plus en plus et l'équipement des consommateurs accroît toujours davantage les possibilités de consommation des contenus numérisés.

Espace de liberté et de découverte, Internet constitue aujourd'hui un outil sans égal d'accès à la culture. Mais cette avancée bouleverse la sphère culturelle et met à mal nos principes juridiques : chacun a désormais accès aux différentes oeuvres et peut les diffuser sans limite par des dispositifs d'échanges de « pair à pair ».

La copie illégale se substitue de plus en plus à l'achat de disques, DVD et livres et le piratage de la musique et des films est malheureusement entré dans les habitudes de consommation.

Dans le domaine musical, même si certains consommateurs utilisent les échanges de « pair à pair » pour développer leurs connaissances musicales et peuvent générer ensuite une consommation supplémentaire de CD, la plupart des « pirates » remplacent purement et simplement la consommation des CD par la consommation sur Internet.

Ainsi, bien sûr, la gratuité se banalise. Aujourd'hui, des millions d'internautes peuvent accéder gratuitement à toutes les musiques du monde. Un ordinateur, un modem et une prise téléphonique suffisent pour se constituer une discothèque complète au prix d'un appel local.

Cette situation, mes chers collègues, a donc de lourdes conséquences économiques et culturelles. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les industries musicales de la plupart des pays occidentaux subissent une baisse de leurs ventes de disques, après des années de croissance florissante. En 2003, par exemple, 150 milliards de fichiers musicaux auraient été téléchargés sur les réseaux de « pair à pair », chiffre qu'il faut comparer aux 2,7 milliards d'albums vendus en magasin et aux 150 millions seulement de titres vendus en ligne. Effectivement, le différentiel est énorme !

La France n'échappe évidemment pas à ce phénomène, puisque 16 millions de fichiers musicaux circuleraient illégalement chaque jour entre les internautes. Parallèlement, les ventes de disques au détail ont baissé de 8 % en 2005. La plupart des analystes attribuent l'essentiel de ce recul au piratage.

Comment est-il possible, dès lors, de financer la création et de rémunérer les artistes ? Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, il y a urgence, car le modèle économique de la création est en jeu, celui de la prise de risque et de l'investissement tant financier que personnel, sans lesquels il n'y a pas de création, donc de diversité culturelle.

Le groupe UMP est particulièrement attaché à la protection de notre système français de filière de création. Aussi, je me réjouis que la transposition de la directive du 22 mai 2001 permette aujourd'hui de traiter de manière beaucoup plus vaste de l'avenir de la création dans l'univers de la numérisation et d'internet.

En fait, comme cela a été dit, la règle de droit doit trouver le juste équilibre entre les divers intérêts économiques en présence, tout en étant au service de la culture et en protégeant les libertés individuelles. Lors de ses voeux à la nation, le Président de la République soulignait lui aussi la nécessité de trouver cet équilibre. Et force est de constater que le présent texte répond à ce souci.

Il était grand temps, en effet, de mettre un peu d'ordre dans la « jungle » qui règne aujourd'hui sur Internet en matière de téléchargement.

Je ne détaillerai pas l'ensemble du dispositif, qui vient d'être décrit, mais je soulignerai plusieurs avancées que je considère déterminantes.

J'évoquerai tout d'abord le mécanisme des sanctions. Le projet de loi instaure un régime gradué et proportionné de sanctions, avec le souci de différencier le simple téléchargement illégal de toute une série d'autres agissements. Il prévoit ainsi des peines particulièrement lourdes pour les personnes qui fournissent des moyens de contournement des mesures de protection.

En revanche, il ne sera plus question de prison pour l'utilisateur ordinaire, ce qui est tout à fait normal. Si peu de fraudeurs ont été poursuivis jusqu'ici, ils risquaient néanmoins jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, ce qui était manifestement excessif.

Il était important de faire la part des choses en soulignant que les personnes qui téléchargent ou qui permettent des échanges illégaux d'oeuvres ne relèvent pas du même niveau de responsabilité.

Dans cet esprit, le Gouvernement présente un dispositif à la fois cohérent et réaliste, avec, pour le « simple » fraudeur, un système d'amendes qui a déjà été mis en oeuvre avec succès dans différents pays voisins.

Pour ma part, je présenterai un amendement visant à responsabiliser davantage le titulaire de l'abonnement. En le désignant comme personne responsable, on éviterait les problèmes d'identification de l'auteur des faits, lesquels peuvent véritablement bloquer le système des sanctions. Cette responsabilisation inciterait par ailleurs le titulaire de l'abonnement à la prudence et à la surveillance de son accès Internet. Une telle mesure me paraîtrait beaucoup plus efficace.

Concernant les sanctions qui visent les éditeurs de logiciels, je tiens à souligner qu'il est essentiel de condamner ceux qui encouragent délibérément les échanges d'oeuvres protégées. À mon sens, c'est la bonne cible. Le dispositif prévoit fort justement des sanctions lourdes, identiques à celles qui sont appliquées pour la contrefaçon, non seulement pour les éditeurs et les fournisseurs de logiciels de « pair à pair » qui distribueraient sciemment un dispositif manifestement destiné à l'échange illicite d'oeuvres protégées, mais aussi pour ceux qui encourageraient son usage.

Ainsi, on peut espérer que l'ensemble du dispositif créé par le projet de loi sera dissuasif et permettra d'accélérer la mise en oeuvre d'offres légales.

Comme je vous le disais le 4 avril dernier, monsieur le ministre, à l'occasion de votre audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat, l'efficacité de cette loi reposera, bien sûr, sur la fiabilité des contrôles et sur l'effectivité des sanctions. Il est certain qu'avec l'évolution permanente des technologies et des systèmes de « parade », ce ne sera pas simple, sans parler de la nécessité d'une coopération internationale et d'une harmonisation des législations.

En effet, je crois que l'offre de téléchargement légal est tout de même une solution d'avenir. Le Gouvernement encourage à juste titre ce nouveau modèle, qui permet de préserver le droit d'auteur et qui devrait être, dans l'avenir, un élément clef du financement de la création.

Près de 20 millions de titres de musique ont déjà été achetés sur Internet en France, l'année dernière, soit cinq fois plus qu'en 2004. Un titre sur quatre et un album sur cent sont ainsi vendus en ligne. Cependant, si le téléchargement légal explose, il ne représente encore, hélas ! que 1 % du marché de la musique et reste freiné par la concurrence de l'échange gratuit.

Certes, le consommateur est prêt à payer pour obtenir légalement de la musique en ligne. À l'évidence, il y trouve une meilleure qualité d'écoute et une sécurité appréciable. Il me semble en outre que la plupart des internautes ne souhaitent pas porter préjudice aux artistes dont ils sont, par ailleurs, de fervents admirateurs.

Mais si le Gouvernement appuie le téléchargement légal, encore faudra-t-il que les services payants s'adaptent et proposent davantage de titres en ligne Car par un effet pervers, les investissements des maisons de disques consacrés aux offres de disques se concentrent sur le petit nombre de produits capables de toucher le plus rapidement possible un large public payant, au détriment, encore une fois, de la création, ce qui constitue un paradoxe regrettable.

Le Gouvernement devra donc être vigilant pour que le système n'aboutisse pas à un appauvrissement de la création musicale. Il y va de toute façon de l'intérêt des producteurs et des distributeurs, car le consommateur risque de se détourner d'offres payantes s'il trouve leur catalogue trop limité.

Bien sûr, pour être attractive, l'offre légale devra pouvoir être lue sur tous les supports. J'en viens donc au sujet vital de l'interopérabilité et aux mesures techniques de protection.

Conformément à la directive du 22 mai 2001, le projet de loi prévoit le recours à différentes mesures techniques afin de protéger les droits d'auteur. En effet, dans l'environnement numérique, l'une des manières les plus efficaces de protéger les créations des titulaires de droits de propriété intellectuelle consiste à assurer leur protection par la technologie elle-même. Le projet de loi reconnaît donc expressément la légitimité des mesures techniques de protection.

Cependant, certaines mesures de protection ont pour effet de rendre purement et simplement illisibles, par un certain nombre d'appareils, les supports numériques. Elles entrent ainsi en conflit direct avec les droits des consommateurs, qui se trouvent prisonniers d'un format de lecture et, par voie de conséquence, de monopoles technologiques. Il était donc important de veiller à ce que les mesures techniques n'entravent pas l'interopérabilité, car cet aspect est fondamental.

Le projet de loi énonce d'ailleurs que les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective, dans le respect du droit d'auteur, de l'interopérabilité. Cependant, comme l'a relevé la commission des affaires culturelles, l'Assemblée nationale est allée très loin dans l'application de ce principe, en permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal de grande instance d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques d'apporter les informations essentielles à l'interopérabilité.

Si le principe d'interopérabilité doit effectivement être consacré, il est essentiel de l'encadrer en tenant compte des impératifs du marché et de la nécessaire préservation des secrets industriels. Je me réjouis donc que notre Haute Assemblée, notamment M. le rapporteur, propose de revoir l'ensemble du dispositif et charge une autorité indépendante de régulation de statuer sur la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité et de garantir l'interopérabilité des mesures techniques.

Cette autorité administrative indépendante, chargée de remplacer le collège des médiateurs initialement prévu, aurait une mission de veille dans le domaine des mesures techniques de protection. En outre, elle aurait le soin de déterminer par recommandation les modalités d'exercice des exceptions. La mise en conformité de notre droit avec la directive du 22 mai 2001 a permis au Gouvernement d'introduire dans le projet de loi de nouveaux cas d'exceptions. En effet, la directive n'était pas contraignante sur ce point : elle suggérait une liste d'exceptions possibles, les États étant libres d'introduire celles qu'ils jugent appropriées.

J'en profite pour souligner l'intérêt des nouvelles exceptions pour copie privée, notamment dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et des bibliothèques. En tant qu'élus locaux, nous en constatons la réelle nécessité sur le terrain.

De plus, l'autorité de régulation pourra préciser, dans l'exercice de sa mission, le nombre de copies privées autorisées. En effet, s'il est normal - et légal - qu'une personne puisse copier un film pour son usage privé, encore faut-il fixer les contours de cette exception, notamment le nombre de copies ainsi réalisables par une même personne. N'oublions pas, mes chers collègues, que toute exception est d'interprétation stricte et qu'elle ne constitue pas un droit.

Cette question sera d'ailleurs particulièrement importante dans le domaine du cinéma. En effet, le fonctionnement de l'industrie cinématographique, qui est spécifique, repose sur une commercialisation des films en plusieurs étapes : d'abord en salles, ensuite en DVD ou cassettes vidéos, en diffusion télévisée, par des chaînes payantes et gratuites.

La production d'un film nécessite évidemment un investissement en temps et en argent sans commune mesure avec la production d'un album. Or, aujourd'hui, les téléchargements de films sur Internet viennent remettre en cause cette chaîne de financement, ce que condamne notre jurisprudence. Il faut savoir, mes chers collègues, qu'un tiers des films est disponible sur Internet avant même la sortie en salles. Il est donc primordial qu'une autorité permette de limiter le nombre de ces copies.

L'autorité de régulation des mesures techniques de protection permettra de prendre en compte l'évolution des technologies et des pratiques de consommation, ce qui est essentiel dans un domaine en perpétuelle transformation. La remise d'un rapport annuel fera état de ce suivi. On voit donc bien qu'il s'agit non pas d'une institution technocratique de plus, mais d'une nécessité.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. Alain Dufaut. Pour finir, je tiens à remercier le président de la commission, Jacques Valade, et le rapporteur, Michel Thiollière, de la qualité de leurs travaux et de leur écoute afin d'adapter le texte aux divers intérêts en présence. Il est vrai que les auditions furent nombreuses et variées en raison des intérêts divergents qui étaient représentés.

Ce projet de loi est une pièce d'un ensemble qui se construit par étapes et qui devra être appréhendé à l'échelle de la mondialisation. L'industrie des oeuvres culturelles doit se réinventer si elle veut survivre à la révolution numérique.

Nous ne sommes qu'au début du chemin, mes chers collègues, sur un terrain en perpétuelle mutation. Objectivement, je pense que le texte, à l'issue de nos travaux, posera les bases nécessaires, qui permettront de mieux construire l'avenir dans ce domaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un véritable débat de société s'est ouvert dans notre pays sur le thème de l'accès à la culture à l'ère du numérique.

Avec le projet de loi que nous commençons à examiner, nous touchons à la vie quotidienne de nos concitoyens, notamment à celle des plus jeunes.

Si plus d'un Français sur deux utilise déjà Internet aujourd'hui, à terme, grâce aux efforts mis en oeuvre pour résorber la fracture numérique, une grande majorité des Français deviendra internaute.

Dès lors, nous devons relever un extraordinaire défi : concilier une large diffusion de la production artistique et technique liée à l'essor exponentiel des nouvelles technologies avec la sauvegarde des droits des auteurs et celle de la production artistique et littéraire.

Pourquoi les artistes qui en ont fait le choix ne pourraient-ils pas vivre de leurs créations ? La rémunération due n'a pas une valeur différente si le travail est de nature artistique ! Cela concerne non seulement les musiciens, les acteurs, mais aussi les écrivains.

Par ailleurs, l'accès à la culture, l'accès aux oeuvres grâce à l'univers numérique est un élément fondamental. L'accès de tous à la connaissance et à l'information doit donc être protégé.

L'objectif est de tendre vers un point d'équilibre entre les droits des auteurs et les aspirations légitimes du public.

Le droit d'auteur est un droit fondamental et intangible. Les créateurs sont propriétaires de leurs oeuvres. Ce droit a jusqu'à présent joui d'une certaine stabilité en France. Les grandes notions autour desquelles il s'articule sont issues de deux lois de la période révolutionnaire. Un droit d'auteur « à la française » s'est peu à peu ébauché face au modèle anglo-saxon du copyright.

Cette construction progressive a trouvé son aboutissement avec l'adoption de la grande loi du 11 mars 1957, complétée par la loi du 3 juillet 1985, dont les dispositions sont, pour l'essentiel, encore en vigueur aujourd'hui dans le code de la propriété intellectuelle.

Ce droit a aussi su s'adapter aux innovations technologiques, notamment à l'invention du disque et de la vidéo. Aujourd'hui, il est de notre responsabilité de l'adapter à Internet.

Internet doit être un espace de respect des valeurs de liberté auxquelles nous sommes tous très attachés : liberté d'accès du public aux oeuvres, liberté de création des auteurs, liberté des créateurs de choisir les conditions d'accès à leurs oeuvres ainsi que les conditions de leur rémunération, y compris la gratuité.

Il s'agit donc d'augmenter les offres culturelles en ligne pour satisfaire les attentes de chacun. Cette diversité culturelle est un enjeu essentiel pour la France dans la mondialisation, un enjeu pour la croissance, pour la compétitivité, pour la préservation de nos métiers et de nos savoir-faire, pour la création d'emplois et, tout simplement, pour l'émergence et l'épanouissement des talents.

Le développement d'une offre légale en ligne, c'est une plus grande diversité de produits culturels mis à la disposition des internautes, de nouvelles recettes apportées à la création, l'amélioration de la qualité technologique des enregistrements du son et de l'image pour les internautes.

Le texte encadre la mise en place des mesures techniques de protection afin de protéger les droits des auteurs sur Internet. Mais, par ailleurs, l'article 1er bis reconnaît de nouvelles exceptions au droit d'auteur, l'objectif étant de contribuer positivement à la diffusion des oeuvres.

La directive que nous transposons autorise les États à prévoir des limitations au droit exclusif des auteurs en faveur des bibliothèques, des musées et des archives.

Cette exception que l'Assemblée nationale a choisi de retenir ne peut être acceptée que dans la mesure où son application est limitée. Comme le propose la commission des affaires culturelles, la limitation à l'archivage et à la consultation sur place permettrait d'éviter toute atteinte à l'exploitation normale des oeuvres, c'est-à-dire des livres, qui ne serait pas acceptable.

La commission propose dans le même registre d'introduire une exception en faveur de l'enseignement et de la recherche, qu'elle entend limiter en la subordonnant à des fins d'analyse ou d'illustration et en réservant le bénéfice de cette exception à un cercle restreint. Cette nouvelle exception permettra de sortir de la zone grise dans laquelle nous nous trouvons actuellement en la matière.

Comme l'a rappelé le directeur général de l'UNESCO le 7 avril dernier, à l'occasion de la onzième Journée mondiale du livre et du droit d'auteur, le livre est un « outil unique d'expression, d'éducation et de communication ». Le livre reste en effet aujourd'hui un ciment essentiel du tissu éducatif et culturel d'une société. Cependant, il s'agit d'un produit double et complexe, à la fois marchandise et oeuvre de l'esprit, produit industriel et fragment du patrimoine immatériel de l'humanité. Il est indispensable au développement économique, social et culturel de tous les pays du monde.

Il semble donc plus que jamais important de rappeler que la création littéraire se doit d'être considérée et rétribuée à sa juste valeur, sans quoi la créativité et la richesse culturelle mondiales risquent fort de décliner.

Nous devons être d'autant plus vigilants que si, aujourd'hui, les technologies ne permettent pas encore de consulter agréablement des livres sur un support numérique, nous aurons très bientôt - n'en doutons pas - des écrans portables tout à fait propices à la lecture. L'équivalent littéraire des lecteurs portables de musique ou de vidéo ne saurait tarder.

Le monde de l'écrit n'est pas à l'abri de ce que traversent déjà, depuis quelques années, les industries de l'audiovisuel, même si je reste convaincu que le lecteur de demain aura encore de l'attachement pour le livre en tant qu'objet. Cet amour du livre et de la lecture dans son ensemble doit continuer à être transmis par l'école ainsi que par les parents. C'est un défi que nous devons relever tous ensemble et je sais à quel point le ministre de l'éducation nationale tout comme celui de la culture y sont attachés.

Par conséquent, le groupe du RDSE se prononcera en faveur de ce texte, sous réserve du sort qui sera fait aux amendements proposés par la commission des affaires culturelles et traduisant un travail d'autant plus considérable qu'il s'agit d'un sujet très technique et difficile à appréhender.

C'est pourquoi je tiens à rendre hommage au président de la commission et tout spécialement à son rapporteur pour le travail accompli, qui va nous permettre d'examiner convenablement ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, ce projet de loi a une portée culturelle. Mais ses conséquences, ses retombées, seront aussi éminemment économiques.

J'en veux pour preuve que les oeuvres dont il traite ne sont pas uniquement culturelles. Ce sont aussi des oeuvres produites par des entreprises. Lorsque nous reprenons l'expression favorite de l'ancien patron de la FED, Alan Greenspan, qui parlait de dématérialisation du PIB, on voit bien que ces nouvelles oeuvres numériques à portée économique imprègnent l'ensemble des différentes activités économiques non seulement dans la nouvelle économie, mais aussi dans l'ancienne économie.

C'est la raison pour laquelle je crois vraiment que la commission et, notamment, son rapporteur ont réalisé un travail très important sur un texte difficile. Ils me permettront toutefois d'avoir une vision quelque peu différente de la leur. J'aurais souhaité, en effet, que nous ayons une approche plus interdisciplinaire de ce texte, car il n'a pas seulement une portée culturelle ; il a aussi une portée économique fondamentale.

Monsieur le ministre, grâce à votre ténacité et à un certain courage aussi, il faut le dire, vous êtes parvenu, à l'Assemblée nationale, à un équilibre, sans doute fragile, mais nécessaire, entre l'auteur et la protection de l'oeuvre. C'est une autre conséquence économique, car cette approche personnaliste établissant un lien entre l'auteur et l'oeuvre est aussi l'un des fondements de l'économie de marché.

En schématisant, alors qu'il y avait à l'Assemblée nationale, avec la licence globale, trop de liberté et pas assez de protection, on pourrait ici, avec les différents amendements qui vont être présentés, tomber dans l'excès inverse, à savoir trop de protection et pas suffisamment de liberté (M. Philippe Nogrix applaudit.), c'est-à-dire une protection trop verrouillée et un défaut d'ouverture. Autant l'excès à l'Assemblée nationale avait des conséquences culturelles, autant l'excès contraire aura d'abord des implications d'ordre économique et c'est sur ce point que je souhaite intervenir.

Concrètement, il est absolument nécessaire de protéger les oeuvres et les artistes, mais jusqu'où doit aller cette protection ? En fait-on un principe général, absolu ? La protection doit avoir pour contrepartie une bonne interopérabilité et connaître un certain nombre de limites.

Je commencerai par les enjeux économiques fondamentaux.

Premier enjeu : les pratiques anticoncurrentielles. La semaine dernière, la Cour de justice des communautés européennes a rappelé, à juste titre, que l'affaire Microsoft était d'abord un abus de position dominante et des pratiques anticoncurrentielles.

Second enjeu économique : les éléments stratégiques, en France particulièrement, du secteur du logiciel libre. Monsieur le ministre, la France est, vous le savez, l'un des trois leaders mondiaux du logiciel libre avec l'Allemagne et le Japon. Dans ce secteur, le marché croît très rapidement : 46% en 2004, contre 7 % pour le logiciel propriétaire.

Nous n'avons pas le droit de négliger ce fait économique, d'autant que, outre les PME qui développent ces logiciels, toutes nos grandes entreprises sont aussi, si j'ose dire, des championnes du monde en matière de développement de ces programmes et de ces logiciels. : Thales, Airbus, Renault, notamment. Ce sont des éléments qu'il faut prendre en compte.

Monsieur le ministre, je voudrais maintenant « tordre le cou » à deux idées fausses.

La première est celle qui consiste à dire que l'interopérabilité pourrait s'opposer au droit de la propriété intellectuelle. Tout cela est faux, bien sûr ! L'article L. 122- 6- 1 du code de la propriété intellectuelle et le considérant 50 de la directive européenne sont parfaitement clairs : on y recommande l'interopérabilité. Il n'y a donc ni hiatus ni contradiction entre ces deux notions.

La seconde idée fausse est de s'imaginer que l'interopérabilité pourrait finalement devenir une sorte d'arme, une grenade à fragmentation, antiaméricaine. Là aussi, je voudrais rendre justice à l'interopérabilité en citant le grand journal américain Wired - en français : branché - qui, aux États-unis, a salué d'un vibrant « Vive la France » le fait que les députés aient, à l'Assemblée nationale, adopté à l'unanimité le dispositif d'interopérabilité. C'est suffisamment rare pour être cité !

Pour terminer avec ce côté de l'Atlantique, monsieur le ministre, je constate, en lisant l'entretien que vous avez donné au quotidien américain Herald Tribune, que je suis parfaitement d'accord avec la conception que vous avez de l'interopérabilité. Toutefois, il me semble que la conception de l'Assemblée nationale et ce qui deviendra peut-être celle du Sénat sont difficilement conciliables.

En effet, les députés ont voté à l'unanimité une interopérabilité de principe, alors que l'on va proposer à notre Haute Assemblée une interopérabilité éventuelle, potentielle, et surtout négociée sous l'égide d'une autorité de régulation. J'ai peu d'amour pour la multiplication de ces instances administratives !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Que faire d'autre ?

M. Bruno Retailleau. Lorsqu'on avait un problème au XXe siècle, on créait des commissions ; au XXIe siècle, on crée de nouvelles autorités indépendantes !

Il aurait été plus sage, me semble-t-il, de s'en remettre à une autorité existante parfaitement compétente : le Conseil de la concurrence. Le problème est en effet le suivant : ou bien la nouvelle autorité administrative indépendante n'aura pas de moyens et elle ne servira à rien face au lobby énorme et très puissant de Microsoft en Europe qui, je vous le rappelle, représente 500 millions de dollars - donc, combien de divisions pour cette autorité de régulation ? - ou bien elle sera très richement dotée en services, ce qui signifie qu'elle aura un coût, et nous serions alors en droit d'invoquer l'article 40 !

Ces deux visions étant difficilement conciliables, je vous inciterai à aller au bout de ce que vous avez déclaré dans le Herald Tribune, car c'est, à mon avis, une bonne conception de l'interopérabilité.

J'en viens très rapidement aux trois limites de la protection des oeuvres.

La première limite aux mesures techniques de protection est l'article 7 bis, que des collègues députés ont inséré dans la loi et qui concerne les logiciels espions. La multiplication des piratages a forcé des développeurs à intégrer ces « bestioles informatiques » pour tenter de contrôler à distance des fonctionnalités des ordinateurs, y compris des accès à des données, ce qui pose un problème en termes de liberté fondamentale individuelle, ainsi qu'un problème de sécurité des systèmes d'information.

Les députés ont été sages en prévoyant un dispositif comportant trois mécanismes : la déclaration préalable, le rappel de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et la possibilité pour l'État de déterminer les règles d'utilisation de ces logiciels par ses propres administrations, par les collectivités territoriales et même par les opérateurs publics ou privés gérant des installations d'importance vitale au sens des articles du code de la défense.

La solution de sagesse consiste à maintenir absolument cet article, même s'il y a un léger doute, car il existe en France une vulnérabilité de nos systèmes. D'autant que nous avons un service parfaitement compétent : la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'information.

La deuxième limite concerne le peer to peer, sujet abordé à l'article 12 bis. Supprimer les trois dérogations prévues par l'Assemblée nationale s'agissant de la recherche et du travail collaboratif, qu'il faut sans doute mieux définir pour ce qui concerne l'échange de fichiers qui ne donne pas lieu à la rémunération du droit d'auteur, revient à interdire une technique au motif que celle-ci peut conduire à des usages illicites. Mais, mes chers collègues, interdit-on la voiture en France sous prétexte que sa mauvaise utilisation peut tuer des personnes ? Il faut donc maintenir ce dispositif.

Enfin, la troisième limite est relative à la copie privée. Je me contenterai d'évoquer cette application plus culturelle, car la loi de 1985, et bien d'autres, reconnaissent cette exception. Je suis d'avis de la consolider. L'un de mes collègues a fait tout à l'heure allusion à l'arrêt rendu le 28 février dernier par la Cour de cassation dans l'affaire Mulholland drive.

À terme, si nous ne sanctuarisons pas ce droit à l'exception pour la copie privée, nous risquons de rencontrer des problèmes, car il y aura des dérives. Permettre aux Français de passer une oeuvre d'un support à un autre dans un cercle intime constitue également un droit à portée tant culturelle qu'économique.

En conclusion, je salue encore une fois, monsieur le ministre, le fait que vous soyez parvenu à instaurer un bon équilibre entre, d'un côté, la protection nécessaire et, de l'autre, la liberté. Toutefois, cet équilibre est fragile. Pour paraphraser Montesquieu, je dirai qu'il ne nous faut toucher au texte de l'Assemblée nationale que d'une main tremblante. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jack Ralite. (M. Guy Fischer applaudit.)

M. Jack Ralite. Avant d'aborder l'examen du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information et visant à transposer la directive européenne de 2001, je ne peux taire un malaise face à cette loi difficile à élaborer, insuffisante et parfois dangereuse quant au résultat que l'on nous soumet, alors qu'elle concerne la place de la pensée, de l'imagination et de la création artistique dans la société en ce début de XXIe siècle.

Tel est l'enjeu. On le cherchera vainement dans le texte. Et pourtant, il nous faut l'aborder, sauf à rester en crise dans les domaines du travail, de l'éducation, de la recherche, des médias et de la création. Il nous faut l'aborder en sachant qu'en France cela ne peut se faire qu'en avançant sur un terrain dont il n'est pas question d'oublier l'économie concernée, et concernant de plus en plus la connaissance et les productions de l'esprit, mais surtout, et avant tout, en considérant les hommes, les femmes, leur vie dans toutes ses dimensions - ainsi de la création artistique - et avec tous ses moyens - ainsi des nouvelles technologies - comme priorité dans la société.

C'est ce que ces derniers dix mois disent et souvent crient les expressions, les actions et les espérances du peuple de notre pays, au milieu de l'Europe et à plein dans le monde, où tant de territoires croient résoudre les mêmes problèmes en reculant.

En vérité, nous ne parvenons plus à faire société dans un monde de plus en plus régi - et nous, législateurs, sommes directement concernés - par le dogme d'un nouvel « esprit des lois » qui se condense ainsi : « Imposer à tous et pour tout la concurrence libre et non faussée. » La société française avec ses contradictions n'arrive plus à être « une ». Les différences deviennent indifférentes aux autres différences. Notre société respire mal, elle est précarisée, elle est dans l'impasse. On a l'impression d'une société des « issues fermées », de la seule « vie immédiate », dirait Éluard.

À défaut de société, se développent alors dangereusement les communautarismes tendant à instituer des microsociétés fermées sur elles-mêmes, tournant le dos à l'en-commun d'hier et bloquant la construction de celui de demain. Et ce communautarisme gagne quantité de composantes de notre société, bousculant les anciennes identités et solidarités collectives au profit d'identités de groupes singuliers, voire de corporatismes éclatés.

À une question posée sur le sens de l'une de ses natures mortes avec deux pommes, Braque répondit : « Ce qui est important, ce ne sont pas les pommes, c'est l'entre-deux. » « L'entre-deux », le lien. Cette expression peut nous aider dans l'examen du projet de loi à propos duquel s'affrontent apparemment auteurs et internautes, derrière lesquels se cachent les vrais pilotes, les lobbies des industries culturelles par lesquelles, reprenant un terme utilisé par Gracq en 1950, nous vient toujours plus du « vilain ». Et ce n'est pas un hasard si cela éclate si fort et si profond. Il s'agit de la culture, et celle-ci concerne l'être, qui revendique comme auteur d'art, de science, de technologie, d'objet, de sa vie, un nouveau contrat social.

La directive de mai 2001 est confrontée à cette réalité contradictoire et en mouvement, à l'unisson des grandes affaires qui veulent encore plus s'accaparer le droit d'auteur et verrouiller le développement d'Internet. Il suffit de la lire. Le marché y est comme sans rivage et occupe la première place. Le considérant 7 dit : « Le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d'auteur et des droits voisins doit [...] être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». Seulement ensuite vient la préoccupation culturelle et, au point 19, on trouve cette phrase anodine : « Le droit moral reste en dehors du champ d'application de la présente directive. » Tu parles !

Et dans le débat à l'Assemblée nationale, qui cherchait l'équilibre, j'ai relevé, sur dix-sept séances, le droit moral évoqué douze fois et le marché cent quatorze. Dans la première séance, préface pourrait-on dire, c'est encore plus caricatural : droit moral, zéro fois, marché, vingt-neuf fois ! Qu'on ne dise pas que le droit d'auteur est au coeur de la directive ! Quant au droit moral, il n'y est qu'un hochet.

Cette directive ultralibérale et administrée fait partie d'un bouquet de textes libéraux publiés actuellement et qui veulent la conforter. Je pense à la recommandation du 18 octobre 2005 mettant en concurrence les sociétés d'auteur. Non qu'elles ne soient pas critiquables, mais c'est à elles de réfléchir à leur évolution et non à la concurrence marchande de leur imposer. Tout se passe comme si le système de propriété intellectuelle était en train de basculer d'une logique visant à protéger l'invention et l'auteur vers une logique tendant à encourager l'investissement et la commercialisation des produits et des services d'information à l'échelle internationale.

Akhénaton, leader du groupe IAM, a pu dire à ce propos que « le directeur artistique devient chef de produit ». La culture est décidément une marchandise et vient le moment où l'homme lui-même deviendra une marchandise.

C'est dire la gravité de nos débats, et cela exige de la longue durée. Or le Premier ministre a déclaré l'urgence. Quelle désinvolture après cinq ans de silence. Le résultat est là, une loi puzzle, une sorte de bricolage opportuniste, truffé comme la directive de zones d'ombre ; tous les juristes rencontrés disent leur questionnement quant à son applicabilité.

La Commission européenne ne vient-elle pas de décider une étude d'impact approfondie, car le terrain n'est pas stabilisé ? Donc, le « présentisme » n'est pas la réponse. Cette étude a été confiée au professeur de droit Bernt Hugenholtz qui, dès 2000, critiquait la directive 2001 : « La pression importante des industries du copyright pour que le travail soit achevé le plus rapidement possible, et en particulier des industries américaines, principaux détenteurs de droits dans le monde, n'a pas permis aux États membres et à leurs parlements, ni même au Parlement européen, de réfléchir de façon adéquate aux questions qui se posaient à eux [...], la seule sécurité juridique que produit l'élaboration de la loi dans ces conditions est un nouveau round de lobbying et de pressions au niveau national. »

Ainsi, la Commission n'est pas sûre - en tout cas, elle le dit -, elle s'interroge, lance une étude et exige, en la menaçant, que la France tranche.

Cette loi et son environnement ne font pas société, le Sénat et l'Assemblée nationale n'ayant pas su pratiquer une souveraineté à plusieurs, s'étant laissés aller avec le Gouvernement et d'autres à ce que l'on peut appeler une « violence d'institutions ». N'est-ce pas de cela qu'il s'agit quand, le 28 février 2006, la Cour de cassation, étrangement rapide, se mêle de notre ordre du jour et tranche avant nous du devenir de la copie privée ?

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que notre groupe ait décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable, que défendra Ivan Renar.

Je voudrais maintenant aborder trois questions, celle du droit d'auteur, celle des internautes, c'est-à-dire d'Internet et des nouvelles technologies, et celle enfin de l'intérêt général, de la responsabilité publique et de l'avenir, en n'oubliant pas que se constitue un grand ensemble stratégique et d'affaires, un complexe international concernant éducation, médias et culture, dont les actionnaires sont plus des prédateurs que des investisseurs, et en n'oubliant pas non plus que la « société de l'information », par quoi l'on définit notre société, est source de dérives - je citerai l'exemple de Microsoft brevetant le corps humain comme transmetteur et récepteur d'informations ; il faut le faire ! -, mais aussi de perturbations conceptuelles, les oeuvres tendant à devenir des informations comme les autres.

Le droit d'auteur est né, plusieurs l'ont dit, à la Révolution française à travers deux lois, l'une de 1791 sur les représentations théâtrales d'oeuvres dramatiques, l'autre de 1793 sur le droit d'édition et de reproduction. C'est un droit de civilisation qui concerne autant l'auteur que le public.

Le droit d'auteur est un droit qui protège l'oeuvre dès sa création à partir d'un critère, son originalité, c'est-à-dire son reflet d'une certaine expression de la personnalité de l'auteur. L'auteur est celui ou celle qui est à l'origine de quelque chose, qui crée, accroît, augmente, fonde et offre à la collectivité ce don de soi.

Le droit d'auteur a deux branches, les droits « patrimoniaux » et les droits « moraux ». Les premiers investissent l'auteur du droit de contrôler l'exploitation de son oeuvre par les droits de reproduction et de communication, qui lui valent une rémunération proportionnelle ; les seconds traduisent le lien indéfectible de l'oeuvre à son auteur, disposant des droits de divulgation, d'attribution et d'intégrité de ce qu'on appelle le droit exclusif.

Arrêtons-nous sur le droit moral, création historique de ce pays. C'est l'un des droits « fondamentaux » constitutif de l'homme au sens où il définit son humanité, c'est-à-dire sa capacité créatrice, que je ne sépare pas de la mémoire au sens où Aragon dit « se souvenir de l'avenir » et Heiner Müller « l'herbe même il faut la faucher afin qu'elle reste verte ».

Pierre Boulez a travaillé cette question dans l'un de ses cours au Collège de France, « La mémoire, l'écriture et la forme ». J'y ai lu ceci à propos d' « entrer en mémoire » : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l'immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l'amertume de l'inconfort mais plus encore avec l'assurance de l'inconnu. » « Comment vivre sans inconnu devant soi », écrit René Char. Boulez poursuit : « Avoir le sens de l'aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l'antécédent. Curieusement, la création s'appuie constamment sur deux forces antinomiques, la mémoire et l'oubli. »

Je n'ai pas trouvé de plus forte métaphore de la mémoire, que je ne sépare pas, je le répète, du droit moral, que dans le Soulier de satin, où Claudel fait dire à Rodrigue : « La création est un jeu de racines qui font éclater la pierre, l'organique détruisant le minéral. » C'est dire si ces droits doivent être défendus avec intransigeance, le droit d'auteur devenant comme un mode de résistance à la mercantilisation de l'humain.

Il me souvient que Le Chapelier, à la Convention, ayant déclaré que le droit d'auteur est « la plus inattaquable des propriétés » poursuivit : « Cependant, c'est une propriété d'un genre tout à fait différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est entre les mains de tout le monde, [...] il semble que dès ce moment l'écrivain ait associé le public à la propriété ou plutôt la lui ait transmise tout entière. »

C'est une question toujours aussi fraîche et récusant toute instrumentalisation, comme l'ancien représentant des majors américaines du cinéma Jack Valenti nous y a habitués. Contre le peer to peer, il déclara : « C'est notre guerre à nous contre le terrorisme. »

En 1980, il jurait contre le magnétoscope, qu'il comparait à l'étrangleur de Boston s'attaquant aux femmes seules à la maison. Je me rappelle une des si riches rencontres organisées par l'ARP à Beaune. Jack Valenti y fait l'éloge du droit d'auteur à la française. J'applaudis et je l'interroge : « pourquoi ce ralliement ? » Sa réponse est sans bavure : « j'ai besoin de tout le monde contre les pirates. »

Mais les pirates, ne sont-ce pas ceux qui transforment le droit d'auteur en droit financier, en droit de fournisseur de contenus, en droit protecteur des investissements culturels, c'est-à-dire qui dépossèdent les auteurs en absorbant la substance de leurs droits, allant jusqu'à ce que le juriste Bernard Edelman nomme « le droit d'auteur sans auteur » ?

Les vrais pirates rabattent le droit moral sur le droit à la concurrence et le droit des marques, inventant l'auteur sans droit moral, c'est-à-dire la société sans mémoire. On s'explique alors que la propriété intellectuelle soit attaquée et nourrisse des antipathies. Les sirènes financières, notamment des fonds de pension spéculatifs, et la raison du plus fort ont trop la parole.

Dans ce débat, je traquerai tous les virus possibles du droit d'auteur, y compris celui de sa dilution consécutive à certaines de ses extensions qui lui sont préjudiciables. Je serai en ramage avec le droit d'auteur et sa spiritualité qui est son humanité. Le droit moral, c'est le droit d'un homme, d'une femme qui le crée et de l'humanité qui le reçoit. Je ne me déchargerai pas sur les juges pour trouver des solutions de pérennité au droit d'auteur avec ses bougés qui sourdent et apparaissent dans le mouvement des mutations. Comme Victor Hugo, je pense que « le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée il appartient- le mot n'est pas trop vaste - au genre humain ».

Considérons maintenant les nouvelles technologies et Internet, leur figure emblématique. Elles sont porteuses de promesses et de dangers.

Les promesses, c'est l'accès aux biens immatériels, c'est l'étonnant moyen d'information, d'échange, à travers les réseaux électroniques, c'est l'excellence à proximité, ce sont des outils nouveaux à la disposition des créateurs et des artistes qui, disait prophétiquement dans les années vingt Paul Valéry, peuvent conduire jusqu'à « faire bouger la notion même de l'art », « ce nouvel art [portant] l'accent sur le processus davantage que sur l'oeuvre achevée », disait Franck Popper.

Il n'est plus possible de parler culture et art en ignorant cette dimension nouvelle où la science et l'imaginaire se mêlent, mais le temps est encore aux hésitations, aux tâtonnements, aux emballements, voire aux illusions. Marc Bloch écrivait : « L'invention n'est pas tout, encore faut-il que la collectivité l'accepte et la propage. Ici, plus que jamais, la technique cesse d'être seule la maîtresse de son propre destin ». Il reste que l'utopie technologique, qui est belle et dont Jules Verne fut un des grands inventeurs, est proposée comme un simple substitut à l'utopie sociale.

Internet, objet de culte qui fait rêver, a été présenté comme solution à tout, comme la fin de toutes les inégalités sociales, culturelles, économiques, territoriales.

Faut-il chanter : « L'internet-national sera le genre humain » ? (Sourires.) C'est l'internet évangéliste. C'est ne retenir de l'Internationale, ce chant qui m'est toujours très cher, que la seule phrase scorie qu'il contient : « du passé faisons table rase ». Et là, songez au droit moral et à la mémoire, qu'un Pierre Lévy écarte allègrement : « Grâce à la fin de la censure et des monopoles culturels, tout ce que la conscience peut explorer est rendue visible à tous », dit-il.

C'est sauter à pieds joints sur les monopoles, oligopoles et autres conglomérats des grandes affaires qui, avec un savoir-faire hypocrite, censurent, comme dans le passé les rois et les évêques à travers le mécénat, ou, comme hier, l'Union des écrivains au service de l'État soviétique. C'est masquer, et non rendre visible, Microsoft, Apple, Sony, etc. Certes, il y a des moteurs de recherche, mais le plus important d'entre eux, Google, Jean-Noël Jeanneney a pu le caractériser par la formule : « De la matière en veux-tu, de la matière en voilà ! ».

Pascal Lardellier dans son livre Le pouce et la souris note que « la pêche en ligne » a ses limites, celles que favorise la consommation instantanée, que M. Madelin caractérise ainsi et sans rire : « Ce ne sont plus des gros qui triomphent des petits, ce sont les rapides contre les lents ». Je ne nie pas l'extraordinaire outil qu'est Google, mais le « savoir » Google, qu'est-ce ? La diversité de tous les fruits ou la diversité des raisins de la même grappe ? Il mêle, comme ajoute Pascal Lardellier, « omniscience et amnésie ».

Le moteur de recherche sélectionne les sites en fonction de leur fréquentation, renforçant les plus forts, à commencer par les sites nord-américains. C'est « une multinationale jeuniste parlant aux jeunes, à toutes fins utiles ». Mais il ne faut pas oublier, Pascal Lardellier le note, que « le thème des mondes doubles et des univers parallèles a toujours constitué une source d'inspiration très féconde pour la jeunesse. [...] La Toile constitue en fait cet univers souterrain et aérien à la fois, dans lequel ces jeunes s'attribuent des qualités magiques : tout savoir, voyager tout en restant chez soi, être "seuls ensemble", se délier du corps, du temps, de l'espace ».

Et que dire du téléchargement ? C'est par lui qu'a été connu le slameur Grand corps malade. Il vient d'éditer un disque Midi 20, qui lui vaut 5 000 connections journalières, dont 20 % disent vouloir acheter le disque et ne pas télécharger.

L'idée d'accès gratuit sur Internet a été présentée comme le « Sésame, ouvre-toi ! ». Je l'abandonnerai moins vite que ses supporters, il y a quelque temps enthousiastes. À certaines périodes, cette idée a eu d'éclatantes fonctions en France. Ainsi, la décision de la bourgeoisie républicaine, au xixe siècle, d'instaurer la gratuité de l'école publique, laïque et obligatoire. Ainsi, à la fin de la dernière guerre, dans une France très détruite et sans beaucoup d'argent, les forces démocratiques et nationales décidant la gratuité de la santé par des cotisations mutualisées. Dans ces deux cas, il s'agissait d'une gratuité construite, conquise pour conquérir de nouveaux droits, et non pas trouvée au bord de la Toile avec, comme financement compensatoire, la remise en cause du droit d'auteur.

J'imagine mal tous ceux qui luttent pour obtenir précisément de nouveaux droits, par exemple les jeunes qui se sont battus contre le CPE, c'est-à-dire pour un droit au travail digne, rémunéré et non précarisé, foulant aux pieds le droit d'auteur qui garantit le droit au travail des auteurs, leur dignité, leur rémunération et leur non-précarisation. Ce serait un rendez-vous sauvage.

Matisse disait : « Ordonner un chaos, voilà la création et si le but de la création est de créer, il faut un ordre dont l'instinct serait la mesure ». Cela me fait penser à Vilar parlant d'Avignon : « une foire culturelle ordonnée », à Jouvet parlant du théâtre : « un désordre ordonné ». Eh bien ! « l'entre-deux » par lequel j'ai commencé ce propos se retrouve là et je n'accepterai pas une politique « à la thermidorienne ».

Quelle politique, alors ? Au gré des amendements, nous en esquisserons le contenu, face à une sorte d'« anarcho-capitalisme pro copyright et anti-copie privée », issu de la tradition américaine vieille de deux siècles. Chez nous, cela s'appelle souvent le libéralisme libertaire.

En fait, comment cela nous est-il venu ?

J'étais à l'UNESCO, invité avec Alain Minc. Celui-ci commença ainsi son exposé : « Si vous voulez comprendre le monde et la pensée que je m'en fais, je voudrais vous convaincre de faire vôtre cette phrase : le marché est naturel comme la marée ». Ainsi, le marché, inventé par les humains pour s'en servir, Alain Minc le naturalisait et réduisait hommes et femmes à des êtres subsidiaires, des invités de raccroc, dont le marché se servait. C'était le monde à l'envers.

Curieusement, quelques jours auparavant, dans l'un des nombreux colloques du Sénat sur les nouvelles technologies, qui doivent beaucoup à nos deux collègues Pierre Laffitte et René Trégouët, Alain Madelin déclara : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ». Encore une fois, le vol aux inventeurs, les êtres humains, de leur oeuvre pour la retourner contre eux.

Non seulement marché et technologies étaient déclarés naturels mais, depuis, la « grande oeuvre » a été leur dérégulation, leur livraison au soleil libéral, habillée d'une liturgie citoyenne de façade et d'une histoire réduite à la commémoration, tout cela dans un marché politique et son discours de management, l'État intervenant comme une prothèse soutenant des additions d'intérêts. C'est la politique-expert et sa langue si technicienne qu'elle en devient étrangère et nous - moi, en tout cas -, comme nos concitoyens, ses orphelins.

Nous, en revanche, sommes pour l'exploration des territoires de l'inédit sachant se nourrir des éclats du passé.

Nous sommes pour travailler dans l'espace du doute actif. Inspirés par le poète palestinien Mahmoud Darwich quand il dit : « Je ne reviens pas, je viens », nous sommes non pour retrouver mais pour trouver l'intérêt public, noyau dur d'une société de justice et d'égalité qu'intronisent si bien deux grands intellectuels français, Georges Balandier : « Nous sommes dans l'obligation de civiliser les nouveaux Nouveaux Mondes issus de l'oeuvre civilisatrice », et Henri Michaux : « La pensée avant d'être oeuvre est trajet ».

Je veux évoquer quelques idées, certaines étant dans le projet de loi, d'autres étant souhaitées lui être adjointes, et une perspective.

Nous rejetons tous les aménagements « confettis » au droit d'auteur, qui le grignotent.

Nous sommes pour que les auteurs salariés soient respectés dans leurs deux dimensions, auteurs et salariés, et donc que le juge des prud'hommes ne soit pas compétent pour trancher des droits d'auteur.

Nous sommes pour rechercher des modalités de rémunération des auteurs en dehors du destin de leurs oeuvres sur le marché.

Nous sommes pour que la loi continue à garantir les auteurs face aux contrats et que la règle du contrat écrit et de la rémunération proportionnelle continue à protéger les auteurs, dont il faudra revoir pour la hausser la part qui leur revient du droit d'auteur.

Nous sommes pour une exception : enseignement, recherche, bibliothèque. C'est un devoir social et culturel, que la jurisprudence a commencé à faire prévaloir en s'appuyant sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Inscrit dans la tradition des Lumières, il demande à être bien défini et bien compensé.

Nous sommes pour que les exceptions ne piétinent pas le droit moral.

Nous sommes pour travailler dans le sens d'un investissement public en faveur de la création. Moins on peut maîtriser en aval, plus il faut investir en amont.

Nous sommes pour une plate-forme publique de téléchargement, diffusant les nouvelles créations que les majors laissent sur le bas-côté, votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale sur proposition de notre collègue Frédéric Dutoit.

Nous sommes pour le droit à la copie privée, le nombre de copies ne pouvant être inférieur à un.

Nous sommes pour l'interopérabilité, n'en déplaise à Apple et consorts. Il est inadmissible que se développent des chasses gardées de programmes.

Nous sommes pour que les producteurs acceptent un accord avec les artistes interprètes pour leur rémunération liée à la diffusion des oeuvres sur Internet.

Nous sommes pour la possibilité de développer librement les logiciels libres.

Nous sommes pour préciser le rôle des MTP : ce qu'elles doivent faire, par exemple mentionner tous les ayants droit de l'oeuvre, et ne peuvent pas faire, en particulier contrôler à distance certaines fonctionnalités des ordinateurs personnels. Elles ne doivent pas, en tout cas, être pilotées par les grandes affaires.

Nous sommes pour que le régime des peines soit revu, notamment pour que soit exclu le recours à la prison.

Nous sommes pour que le collège des médiateurs soit renforcé dans sa composition, en intégrant notamment des juristes, et placé sous la responsabilité d'un magistrat.

Nous sommes pour ne pas écarter dans notre réflexion le postulat de l'incontrôlabilité de ce domaine nouveau qu'est la diffusion massive des oeuvres sur Internet.

Nous sommes pour la mise en débat et en place d'une responsabilité publique et sociale visant à répondre aux préoccupations de chacun, à la fois passerelle et pratique entre un passé vécu comme luisant et un avenir appréhendé comme incertain.

Il n'y a pas d'avenir sans les incessantes trouvailles de la création artistique, sans la liberté de leur confrontation, sans la volonté d'en faire le bien commun des artistes et du peuple, ce qui suppose d'émanciper l'imaginaire du pécuniaire. Cette responsabilité serait assumée par un nouveau fonds de soutien lié au numérique, bâti autour d'une économie des compteurs, d'un apport légitime des fournisseurs d'accès et des distributeurs d'oeuvres sur Internet et d'une contribution publique.

L'économie des compteurs permettrait de facturer à chaque internaute, sans que sa vie privée soit atteinte, son utilisation d'Internet avec, comme conséquence, la rémunération normale et proportionnelle des auteurs concernés. Elle permettrait de redistribuer cette facture entre divers contributeurs, l'internaute, les entreprises, notamment les fournisseurs d'accès à Internet, les FAI, les collectivités publiques, pour garantir la juste rémunération des auteurs, des créateurs de services et des développeurs de logiciels.

Pour les internautes serait créée une « carte Internet » comparable à la « carte orange » dans les transports franciliens, permettant de réduire très sensiblement leur contribution, la compensation étant assurée par une partie de l'apport des FAI, l'autre partie étant cumulée avec la participation des pouvoirs publics pour une politique de la nouvelle création et de compensation des pertes occasionnées aux auteurs et aux « indépendants » de toutes les disciplines artistiques consécutives à l'exception « enseignement, recherche, bibliothèque ». Les sociétés d'auteurs géreraient les droits et négocieraient le droit exclusif.

Les MTP ne joueraient plus un rôle répressif. Rebaptisées « mesures numériques de gestion des droits », ce qui est d'ailleurs la traduction littérale de cette expression en anglais, elles assureraient l'information et les comptages, en conformité avec les recommandations de la CNIL.

Nous sommes pour que cette loi soit transitoire, un transitoire amélioré, et qu'un conseil appelé « Beaumarchais-Internet-Responsabilité publique », comprenant auteurs, artistes, écrivains, juristes, bibliothécaires, parlementaires, universitaires, chercheurs, architectes, informaticiens, internautes, fournisseurs d'accès et industriels travaille pour proposer d'ici à deux ans une alternative négociée à la loi d'aujourd'hui. Ce serait comme une « cité créatrice », comme un outil de travail et un espace public à la fois.

Nous sommes pour qu'une politique européenne, fédérant et/ou croisant celles des nations qui la composent, soit développée en faveur de la création et de l'innovation.

Nous sommes pour qu'avant deux ans la France prenne l'initiative d'une rencontre européenne sur « droit d'auteur, droit du public, responsabilité publique et nouvelles technologies », laquelle comprendrait obligatoirement une journée internationale sur les mêmes questions.

Il ne s'agit pas de clore ces démarches dans un assemblement, mais de travailler, vivre ensemble, conflictuellement sans doute, avec des contradictions évolutives pour fabriquer des processus qui mèneront progressivement, en arrachant le chiendent de l'ignorance de l'autre, vers des bornes que l'on voudrait infranchissables pour protéger « l'irréductible humain ».

Le mot « désespoir » n'est pas politique. Le mot « respect » n'a pas à connaître la pénurie. Il faut oser sortir dans la rue, la rue d'ici, la rue d'Europe, la rue du monde, et charger sur ses épaules, pour la vérité, les dissonances de la société. Il y a là la charge d'une socialité nouvelle.

Nous devons, nous pouvons faire société, une société où le mot « égalité » ne serait plus un gros mot, une société où les « rejetés » se retrouveraient comme individus de l'histoire du monde, conscients d'une « communauté qui vient », qui aurait une citoyenneté sociale permettant à chacune, chacun, de sortir de la délégation passive, de voir le bout de ses actes, de ne plus se dévaloriser, de prendre la parole, de promouvoir de nouveaux droits et une nouvelle logique sociale dans une nouvelle vie publique.

Tout cela est capital pour les auteurs, dont tant gagnent si peu, et pour les artistes, notamment les intermittents, dont le MEDEF persiste à vouloir précariser la précarisation.

Ainsi, nous refusons de nous laisser embarquer sur une galère lancée à travers « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Ainsi, nous résistons contre le malmenage et le démembrement qui assaillent les arts, tous les arts.

Ainsi, nous voulons la liberté d'échapper au pur empire de la prétendue nécessité et créer du sens.

C'est notre ordre du jour d'aujourd'hui et des deux prochaines années. Ce sont les nouvelles lettres à l'alphabet des créations de leurs auteurs et de leurs publics que nous vous proposons d'écrire sans cesse, notamment à travers une deuxième lecture.

J'emprunte à Debureau, personnage des Enfants du paradis, mes mots conclusifs : « Pourquoi impossibles ces choses, puisque je les rêve ? » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, nous sommes appelés à nous prononcer sur un sujet des plus sensibles. La société française nous regarde : les médias, les groupes d'intérêts, des entreprises, des artistes, mais également des centaines de milliers d'internautes qui ont bien perçu les véritables enjeux de ce texte, au-delà des apparences.

Souvenez-vous, c'est presque un psychodrame qui s'est noué, peu avant Noël, autour de la licence globale à l'Assemblée nationale, sans vouloir qualifier le forum mis en ligne aux frais du ministère de la culture. Ces deux épisodes auront été autant « d'écrans de fumée » visant à détourner l'attention des observateurs des enjeux de ce texte. Au-delà de la lettre, dans son esprit, ce projet de loi correspond en effet à un certain nombre de renoncements et d'adhésions dont nous devons savoir à quoi ils nous engagent.

Soyons concrets. La transposition d'une directive prise sur le fondement de l'harmonisation du marché intérieur, dans la mesure où elle réduit la protection du droit d'auteur à sa seule dimension marchande, sonne déjà le glas de celui-ci. Via les DRM, ce sont bien les produits dérivés de l'oeuvre, c'est-à-dire les droits voisins, dont les principaux bénéficiaires sont les producteurs, qui focalisent essentiellement les attentions du législateur.

Ce faisant, notre conception continentale du droit d'auteur bascule petit à petit dans la logique américaine du copyright.

Autre renoncement, celui qui consiste à affaiblir de plus en plus le statut d'exception de la copie privée, restreinte à un statut de copie contrôlée. En tout état de cause, on offre aux industriels une rente de situation en demandant aux consommateurs de renouveler leurs achats à mesure qu'ils changeront leurs supports.

Au-delà, à travers le statut juridique des DRM, ces dispositifs anti-copies ou limitant la copie, se posent les questions de l'interopérabilité et de l'avenir des logiciels libres.

La pénalisation du contournement des DRM constitue bien en effet le coeur du « DADVSI code ».

La mouture de ce texte est en l'état tout à fait insatisfaisante.

Les travers pointés à l'Assemblée nationale risquent de se trouver aggravés par les propositions de la commission des affaires culturelles. Je me demande véritablement si la technicité du sujet ne rend pas en effet les uns et les autres plus perméables aux argumentaires distillés par certains groupes de pression.

C'est vers la société civile que je me suis notamment tourné pour nourrir ma réflexion. C'est vers les forums surgis, çà et là, sur Internet que je me suis dirigé pour mettre à jour ma connaissance de pratiques dont je n'ai pas personnellement, il est vrai, un usage expert. N'oublions pas que la société tout entière nous regarde.

Alors que les échéances et les rendez-vous manqués accusent sans cesse davantage le décalage qui nous éloigne de la nation et qui éloigne la nation de ses représentants, nous avons, avec ce texte, le devoir de ne pas la décevoir.

Force est de constater qu'à ce stade l'objectif me paraît très loin d'être atteint.

Monsieur le ministre, je ne m'attarderai ni sur l'agenda ni sur la forme, qui nous imposent de nous prononcer en urgence sur un texte présenté en conseil des ministres il y a de cela deux ans. Soit dit en passant, je précise que la Commission européenne a annoncé que les deux directives transposées feraient l'objet tout prochainement d'une évaluation quant à la réalisation des objectifs qui leur avaient été assignés à l'époque. Nous avons donc à nous prononcer sur un texte déjà obsolète avant même d'avoir été voté.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se livrer à une rapide prospective ; le numérique en général et l'internet en particulier induisent, par exemple, de profondes mutations dans le modèle économique de la musique.

Ce sont d'ailleurs là, vous le savez, monsieur le ministre, les conclusions du rapport Cocquebert sur le financement de l'industrie du disque, remis à votre ministère en 2004 et dont il aurait été heureux de s'inspirer.

En guise de réponse à cela, on érige quelques digues pour permettre aux bénéficiaires du système actuel de retarder l'échéance. Je me trompe peut-être, mais j'ai le sentiment que l'on ne changera pas grand-chose au sens de l'histoire.

Admettons que les hypothèses relatives à l'avènement de ce nouveau modèle inclinent à s'accommoder temporairement de la proposition a minima du Gouvernement. Quel est alors le diagnostic ?

Monsieur le ministre, vous nous avez répété vouloir une « loi d'équilibre ». Or on peut craindre le pire de la mise en application d'un texte qui, à force de chercher à concilier les intérêts les plus contradictoires, risque à l'usage d'être inopérant. On le sait, les grands gagnants de la loi DADVSI ne seront ni les créateurs, ni les interprètes, ni les consommateurs, mais les intermédiaires.

Je me demande si l'on a bien su dépasser les intérêts catégoriels et particuliers pour résoudre ce qui apparaît comme la quadrature du cercle : rémunération des ayants droit, accès du public aux oeuvres et garantie de l'interopérabilité.

Cette interrogation est étayée par la version que nous propose la commission des affaires culturelles du Sénat. On avait atteint à l'Assemblée nationale un équilibre ténu : le verrouillage des DRM permettait le développement des offres légales mais, en contrepartie, il offrait la possibilité - certes au prix de contorsions contentieuses en perspective - de les lire sur tous les supports numériques. La réécriture de l'article concerné remet ici en cause un principe pour nous cardinal.

Les DRM ou DCU, dispositifs de contrôle d'usage, apparaissent sous des formes aussi diversifiées que l'anti-usage - la lecture n'est possible que sur certains types de support -, l'identification de l'utilisateur, le tatouage de l'oeuvre et le traçage de l'usage.

Outre qu'elle heurte de front le droit à la copie privée, la pénalisation du contournement des DCU pose problème en limitant la liberté de l'utilisateur, qui, rappelons-le, n'est qu'un citoyen de notre pays.

Le fichier légalement acheté se voit assigné un usage précis dans un lecteur particulier. Les dispositifs de contrôle d'usage anti-usage bloquent, de fait, l'interopérabilité. Il faut acquérir un lecteur compatible avec le fichier qui vient d'être acheté.

Or, l'interopérabilité, c'est véritablement la liberté du consommateur. Celui-ci n'a pas à faire les frais des prétentions des sociétés à proposer le standard de demain.

Rappelons-nous la lutte sanglante des formats de magnétoscope au début des années quatre-vingt entre le VHS et le Betamax. Rappelons-nous le « flop » que fut le vidéodisque au début des années quatre-vingt-dix et, par conséquent, le haut degré d'aléas pour un format avant de parvenir à s'imposer. C'est le pragmatisme qui doit l'emporter, pas le dogmatisme !

On doit s'inquiéter lorsqu'on lit dans le rapport de la commission que « l'autorité de régulation des mesures techniques de protection » destinée à venir en substitution du collège des médiateurs aurait notamment pour rôle de « favoriser ou susciter une solution de conciliation » avec ceux qui souhaitent « améliorer l'interopérabilité ». Mais, monsieur le rapporteur, l'interopérabilité, elle est ou elle n'est pas ! Elle ne peut pas être « améliorée ». Elle existe ou elle n'existe pas !

Plus inquiétante encore est la disposition aux termes de laquelle les concepteurs de standard de lecture pourront imposer aux bénéficiaires des données techniques de renoncer à la publication du code source s'ils démontrent à l'autorité que « celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique ».

Étant donné qu'il est par nature impossible de distribuer le code source d'un logiciel interopérable avec un DRM sans que cela porte atteinte à son efficacité, il sera dans les faits impossible à la communauté du logiciel libre de proposer un lecteur capable de lire un fichier enregistré dans un format « propriétaire ».

En l'occurrence, il me semble que le bon sens commande de ne pas pénaliser le contournement des dispositifs de contrôle d'usage dans le cas où le contournement a uniquement pour but de pouvoir lire une oeuvre achetée ou prêtée, d'effectuer des copies privées à des fins de sauvegarde ou d'interopérabilité, ou d'assurer sa sécurité informatique, comme le précédent du Rootkit de Sony en a montré la nécessité évidente.

C'est le même bon sens et le même souci d'équilibre qui nous conduisent à réclamer la modification de l'amendement dit « Vivendi ». Ici, on condamne non plus l'usage, mais l'outil. Nous proposons de n'appliquer les sanctions pénales que s'il y a volonté manifeste de créer un logiciel mettant illégalement à la disposition du public une oeuvre protégée. N'ajoutons pas l'injustice au ridicule : les logiciels de « pair à pair » ne servent pas qu'à la circulation d'oeuvres protégées.

Autre motif d'inquiétude de notre part : l'incompatibilité des dispositifs de contrôle d'usage avec les logiciels libres. En effet, ces dispositifs ne pourront être compatibles avec des produits du commerce sans intégrer à leur code source des programmes de traçage dont le fonctionnement ne respectera pas le principe de l'open source.

En outre, les utilisateurs seront dans l'impossibilité d'utiliser des produits portant des droits d'auteur sous peine d'être accusés de contrefaçon. Ainsi, les Français utilisateurs de GNU/Linux devront acheter le système d'exploitation Windows et l'installer sur leur PC pour pouvoir lire légalement les oeuvres qu'ils auront achetées. Merci Microsoft !

Or les logiciels libres ont permis un progrès inespéré des programmes informatiques ; nos scientifiques l'ont prouvé et nos universités sont très bien placées pour le démontrer. On en mesure toute l'incidence en termes de libertés individuelles et collectives, sur le plan économique, mais également sur celui de la sécurité nationale, lorsqu'on réalise que les administrations françaises - et parmi elles l'armée, qui se fait développer sur mesure un système d'exploitation Linux - se convertissent massivement aux avantages qu'offrent de tels systèmes.

Nous resterons donc attentifs au sort réservé aux amendements destinés à lever les incertitudes qui subsistent avant de décider de notre vote sur l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est un moment de vérité. C'est le moment de prendre position sur le rôle que nous voulons accorder à la culture dans notre société.

Le respect des droits moraux et économiques des auteurs et interprètes, l'accès de tous à la culture, la promotion de la diversité culturelle, dans un contexte de véritable révolution technologique, constituent des enjeux décisifs pour la vie culturelle de notre pays. La transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins aurait donc dû être l'occasion de relever ces défis en plein accord avec tous les acteurs culturels.

La directive date de 2001. Un projet de loi a dormi dans les cartons depuis 2003. Vous pouviez, monsieur le ministre, vous borner à la simple transposition d'une directive déjà ancienne, comme se sont contentés de le faire nos partenaires européens, vingt-trois sur vingt-cinq à ce jour.

Or voici maintenant un texte qui a été bien mal engagé et bien malmené. Comme le fait si souvent votre gouvernement, vous avez confondu action et précipitation en imposant l'urgence, alors qu'il eût fallu donner plus de temps à la réflexion et à la concertation. Et surtout, en choisissant dans la première version un système « tout répressif » totalement disproportionné, vous avez suscité chez les internautes inquiétude et indignation.

Comme, hélas ! depuis quatre ans, les politiques que mène le gouvernement auquel vous appartenez réussissent presque immanquablement à le faire, votre projet de loi a dressé les Français les uns contre les autres, dans un duel absurde où la raison n'a plus sa place et où la quête de l'intérêt général est reléguée derrière des analyses incomplètes et des affrontements destructeurs entre intérêts particuliers.

Plutôt que d'opposer auteurs et internautes, il s'agissait, avec ce texte, de trouver les moyens de concilier le respect des droits des auteurs et les progrès de l'accès à la culture grâce au numérique. L'impréparation de ce texte a malheureusement conduit au résultat inverse. Saurons-nous lui donner une deuxième chance d'être juste et utile dans un univers numérique en pleine expansion, tout en acceptant l'idée qu'il n'est qu'une étape, car beaucoup de questions techniques restent encore sans réponse ?

Nous devons d'abord faire preuve de modestie. L'ère numérique est, reconnaissons-le, encore largement une terra incognita. L'évolution technologique galope et souvent nous dépasse. La découverte de ce nouveau monde est encore très inégalement partagée, puisque seulement la moitié des Français ont accès à Internet.

Cependant, ce même Internet ouvre des perspectives immenses pour la communication entre les êtres et pour la diffusion des oeuvres de l'esprit. Il ne s'agit pas là d'un simple progrès technique ; il s'agit d'un tournant radical, d'un changement d'échelle qui modifie la nature et la capacité des échanges. Comment ne pas rêver d'en faire un instrument privilégié d'accès à la culture pour tous, sans toutefois tomber dans la naïveté, car il est clair que la Toile sert également de vecteur à bien d'autres choses que la culture : commerces de toutes sortes, pornographie, appels à la haine et au racisme ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous avez raison, hélas !

Mme Catherine Tasca. En tout cas, s'agissant des oeuvres, de leurs auteurs et de leur public, peut-on renoncer à réguler une telle « machine » ? Pouvons-nous, devons-nous, pour entrer dans l'ère numérique, oublier nos principes, renoncer à ce qui fonde depuis des siècles le respect de la propriété intellectuelle, artistique et littéraire ?

Certes, le temps de Beaumarchais est loin de nous, mais les enjeux d'une société de la connaissance et de la création, à laquelle nous disons tous être attachés, demeurent pleinement actuels.

Or ces enjeux imposent à la fois une ferme protection, aujourd'hui comme hier, des droits d'auteur et des droits voisins et, certainement, l'invention d'une nouvelle économie de ces biens très particuliers. Sur ce dernier point, la réflexion collective ne fait que commencer. Il nous faudra mener la véritable concertation que vous n'avez pas suffisamment organisée, monsieur le ministre.

Si ce débat a été mal engagé, c'est parce que des concepts essentiels ont été sources de nombreuses confusions. Je voudrais relever certains des amalgames et des idées fausses qui sont entretenus depuis des mois et qui obscurcissent le débat. J'en citerai quatre.

Tout d'abord, il nous faut rappeler que le droit d'auteur n'est pas divisible : droit matériel à une juste rémunération et droit moral à disposer personnellement de ses oeuvres sont inséparables. L'apparition des nouveaux supports numériques, si riches de potentialités, ne saurait nous faire oublier ce diptyque. Le fait que les auteurs se soient organisés, le plus souvent collectivement, pour la gestion de leurs droits, dans des sociétés multiples, ne doit nullement aboutir à rompre le lien personnel entre l'auteur et son oeuvre.

Ce qui est en jeu, au travers du droit d'auteur, ce n'est pas seulement la défense d'une « propriété » qui, aux yeux de certains, est forcément un droit suspect, c'est aussi l'émergence et la vitalité des activités créatrices. Si l'on recule sur le respect du droit d'auteur, on tarit la source, on assèche le vivier, on ravale les oeuvres de l'esprit au rang des marchandises interchangeables. On se réveillera dans un désert, et on laissera la main à ces quasi-monopoles que l'on prétend combattre. Il en sera alors fini de la création et de la diversité culturelle.

Ce n'est assurément pas ce que veulent les uns et les autres, et ce n'est assurément pas l'intérêt général. Notre soutien au droit d'auteur doit donc être sans faille. Les exceptions à ce droit d'auteur ne peuvent être fondées que sur un intérêt général bien identifié, comme c'est le cas s'agissant de l'éducation, de la recherche et de l'accès des personnes handicapées à la culture.

La copie privée constitue un deuxième sujet de confusion. Elle a beaucoup été invoquée pour justifier les nouvelles pratiques d'échange d'oeuvres sur le Net. Or la loi de 1985 n'a pas créé un droit à la copie privée ; elle a reconnu l'exception pour copie privée dans un cadre strictement limité au cercle familial et amical et défini par une commission ad hoc, sans déroger au droit exclusif des auteurs quant à l'exploitation de leurs oeuvres. Bien sûr, cela ne s'appliquait qu'à des biens légalement acquis. C'est là une nuance de taille qu'il faut rappeler.

Cette loi de 1985, en créant une redevance forfaitaire sur les supports amovibles destinés aux copies, a permis d'autoriser cette copie privée tout en la rémunérant. C'est un progrès reconnu par tous, que l'on doit à la gauche.

Cependant, prétendre aujourd'hui que l'on peut transposer ce système purement et simplement au nouvel environnement numérique n'est pas réaliste. Ce que l'on appelle copie privée aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce que l'on entendait par là voilà vingt ans, ou même voilà cinq ans. Les pratiques ont été bouleversées. En effet, les moyens techniques permettent de diffuser des fichiers musicaux ou audiovisuels en très grand nombre et instantanément, alors que la copie sur les anciens supports était longue, relativement coûteuse et forcément limitée en quantité. D'ailleurs, la jurisprudence a toujours confirmé que la copie privée devait être pratiquée en nombre limité.

L'appropriation d'un support permettant d'écouter ou de voir une oeuvre ne doit en aucun cas être confondue avec l'appropriation de celle-ci. Il ne faut pas confondre la copie privée pratiquée depuis des décennies avec l'aspiration à des échanges sans limites et avec le piratage des oeuvres.

Je rappelle que la copie privée n'a jamais eu vocation à se substituer aux droits d'auteur. Or c'est ce glissement qui sous-tend l'idée d'une licence globale. Nous ne pouvons pas accepter un tel glissement, si nous voulons, comme l'a rappelé Jack Ralite, nous opposer fermement à la tentation du copyright.

Le logiciel libre est une troisième source de confusion.

Nous reconnaissons tous le rôle bénéfique des logiciels libres qui sont l'oeuvre d'un travail bénévole collaboratif. Ils constituent, à côté des logiciels propriétaires, un secteur très vivant d'innovation et de participation, qui change positivement le rapport à la technique et qui crée un espace de liberté devant l'extension des monopoles.

En revanche, ils ne peuvent pas, ils ne doivent pas être un moyen d'organiser le piratage. Présenté souvent comme un moyen de lutter contre les multinationales, contre des quasi-monopoles, le logiciel libre n'échappe d'ailleurs pas au système capitaliste. Avec le logiciel libre, on voit se mettre en place tout un nouveau marché publicitaire lui-même très lucratif.

Une chose est sûre : il faut soutenir le développement du logiciel libre, mais celui-ci ne peut se faire contre une économie viable de la culture. Dans l'intérêt même du logiciel libre, ce dernier ne doit pas se confondre avec les échanges illégaux d'oeuvres. L'Assemblée nationale en a d'ailleurs convenu en établissant, à l'article 12 bis, une responsabilité des éditeurs au regard du respect des droits d'auteur.

Enfin, l'interopérabilité est une quatrième notion pouvant susciter des confusions.

Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale a été introduit dans ce texte un concept qui en était absent à l'origine : celui d'interopérabilité. Il y a là une revendication très légitime des usagers des nouvelles technologies, qui doivent pouvoir jouir des oeuvres légalement acquises sur les multiples supports que leur offre le marché, sans en être empêchés par l'incompatibilité des matériels. Ce texte aurait dû être l'occasion d'obliger les industriels à résoudre ce problème d'interopérabilité.

En revanche, on ne peut pas inscrire dans un texte de transposition d'une directive qui impose la protection des oeuvres l'autorisation, pour les particuliers, de contourner eux-mêmes ces mesures de protection. C'est pourquoi nous proposons de supprimer le septième alinéa de l'article 7, qui contredit la protection des oeuvres.

Nous verrons, lors de l'examen des articles, si les points de confusion que je viens d'évoquer sont ou non clarifiés. À vrai dire, je doute que ce texte puisse permettre d'apporter les meilleures solutions, compte tenu de la manière dont sa discussion s'est engagée.

Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste sera vigilant quant au point central de notre débat : le respect du droit d'auteur et des droits voisins. Pour que cet objectif soit atteint, l'efficacité des sanctions est un élément crucial, et il reste beaucoup à faire pour définir les modalités de celles-ci, sans faire peser sur les internautes la menace d'une intrusion à domicile. Cela relèvera des décrets d'application. Vous aurez à les élaborer, monsieur le ministre, en pratiquant cette fois une véritable concertation.

Pour conclure, je voudrais sommairement tracer quelques perspectives, car le débat ne sera pas clos ici.

Nous avons devant nous un chantier important. Il s'agit de dessiner les contours d'une économie de la culture consolidée, adaptée à la révolution technologique en cours. À mes yeux, cela ne peut se faire que si chaque maillon de la chaîne, de la création jusqu'à l'internaute, contribue équitablement au financement de la culture.

Nous devons en outre faire évoluer la gestion des sociétés d'auteurs vers plus de transparence et plus de coopération entre auteurs et interprètes.

Nous devons par ailleurs développer un véritable espace numérique public. Je le disais déjà en 2001 : créer un espace public numérique dense et riche est essentiel pour que la diversité culturelle sur l'internet soit réelle. C'est là une responsabilité qui incombe aux pouvoirs publics. Le texte n'évoque pour le moment que l'élaboration d'un rapport ; nous attendons du Gouvernement de véritables engagements.

Il faudra aussi aider à la constitution d'offres légales réellement abordables. Cela n'a que trop tardé, et les producteurs de contenus feraient bien d'accélérer le mouvement.

Enfin, et c'est pour moi très important, il faut tirer la leçon de la méthode exécrable qui a présidé à l'élaboration de ce texte, et notamment assurer une véritable concertation à chaque étape de l'évolution des technologies.

Car on le voit bien, aucune solution n'est satisfaisante s'il n'y a pas eu, au préalable, écoute de chaque point de vue et effort de tous pour dégager l'intérêt général. Or l'intérêt général ne saurait être d'avoir à choisir entre création et droit d'auteur d'une part, accès à la culture et liberté de l'internaute d'autre part. Ce serait absurde. C'est solidement arrimée au respect du droit d'auteur qu'une politique de démocratisation de la culture doit mettre à profit les nouvelles technologies. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Philippe Nogrix applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. En présentant ce projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, vous avez accepté de relever un défi de taille, monsieur le ministre. Il s'agit en effet d'un texte technique, qui aborde des sujets aussi complexes que la DRM, la copie privée, le peer to peer, l'interopérabilité, l'exception de décompilation.

Cette complexité peut paraître rebutante, mais elle doit être dépassée, car, dans le même temps, ce texte porte sur des notions fondamentales, telles la liberté de création et les protections qu'elle impose, mais aussi la liberté de consommer cette culture à travers les supports liés à l'internet, comme des centaines de milliers de jeunes le font aujourd'hui.

Autant dire qu'il était difficile pour vous de déposer un texte équilibré, conforme aux directives européennes mais aussi marqué par cette exception culturelle française à laquelle nous sommes attachés. C'est pourtant ce résultat auquel vous êtes parvenu, monsieur le ministre, et notre groupe vous en félicite.

Le débat de décembre à l'Assemblée nationale fut rude, mais il ne fut pas inintéressant. Il a en effet permis de transformer un sujet réservé aux techniciens en un sujet de société, qui concerne bel et bien le quotidien de nos concitoyens, comme l'a si bien rappelé notre excellent rapporteur, Michel Thiollière.

Par conséquent, devant un texte complexe, revenons à des principes simples et à des objectifs autour desquels notre majorité a toujours gardé une parfaite cohérence.

Premier principe, qu'il est bon de rappeler : tout travail mérite salaire !

Monsieur le ministre, ce principe, vous l'avez défendu contre vents et marées. Oui, vous trouvez parmi nous un écho et vous avez notre soutien lorsque vous vous portez garant du respect du travail du créateur et de sa juste rémunération.

En la matière, un peu de cohérence serait bienvenue dans le discours de certains.

Il n'est pas possible, d'un côté, d'afficher un soutien incantatoire aux artistes et aux techniciens et, de l'autre, d'accepter, au nom du principe d'une liberté absolue, de brader leur travail et leur rémunération dès lors que leurs oeuvres seraient disponibles sur Internet.

C"est en effet le deuxième principe sur lequel s'appuie votre projet de loi : il faut cesser de confondre la démocratie culturelle avec la gratuité culturelle.

Là aussi, la circulation des oeuvres sur Internet, en raison même de sa facilité et de sa vitesse, nous pose avec une acuité nouvelle la question de l'accès aux oeuvres pour le plus grand nombre. Si nous souhaitons bien sûr tous atteindre cet objectif, il faut respecter un équilibre entre, d'une part, la liberté et la soif d'accès des internautes et, d'autre part, le respect des droits et de la rémunération des auteurs. Vous êtes parvenu, monsieur le ministre, à cet équilibre.

Ainsi, nous créerons les conditions pour faire d'Internet une chance pour une plus grande démocratisation de l'accès à la culture au sein même de la société de l'information.

Encore faut-il respecter deux conditions : faire oeuvre de pédagogie, notamment à l'égard des plus jeunes de nos concitoyens, et demander aux professionnels de développer une véritable stratégie de l'offre adaptée à l'évolution des modes de consommations qui émergent.

Monsieur le ministre, la pédagogie sur cette question est essentielle. Certes, nous donnons une sécurité juridique en permettant une adaptation du respect du droit d'auteur. Mais donner du corps, du sens et de la légitimité à cette évolution passe obligatoirement par un travail d'explication. Or force est de constater que lorsque nous, élus locaux, évoquons ce sujet avec les jeunes de nos communes, ce travail d'explication est loin d'être satisfaisant. En effet, depuis des années, les jeunes, par milliers, par centaines de milliers, se sont habitués à ce nouveau mode de transmission. Ils ont ainsi trouvé une parade facile au prix trop lourd, voire prohibitif, des produits culturels.

Quand nous tentons de leur expliquer le mécanisme de cette loi, les jeunes ne perçoivent pas le lien entre la copie d'une oeuvre, geste devenu familier, et les conséquences sur le travail et la rémunération des artistes.

Il faut expliquer aux jeunes pourquoi il est indispensable de respecter le travail et la rémunération des créateurs. Il faut leur expliquer en quoi notre pays est l'un des rares à présenter une telle capacité de création. Il faut enfin en éclairer le lien avec la diversité culturelle, fierté française consacrée sur le plan international et qui doit tous nous rassembler.

Plutôt que de laisser les majors de l'édition culturelle monopoliser la parole pour défendre leurs seuls intérêts, pourquoi ne pas inviter nos artistes, nos créateurs, nos chanteurs à aller au-devant des jeunes pour les sensibiliser à ce problème. Faute de ce travail, de cette pédagogie, nombre de jeunes considéreront que cette loi est uniquement répressive et limitative de liberté.

De même, comme la pédagogie est un art de la répétition, il est important de mettre en avant les avancées de ce texte.

Non, il ne s'agit pas d'interdire le téléchargement sur Internet, comme beaucoup le pensent et comme je l'entends encore. Il s'agit, au contraire, d'assurer la protection des oeuvres sur les supports numériques et d'empêcher le pillage, en luttant contre ceux qui utilisent sans scrupules la création artistique à des fins de pur business, hélas ! particulièrement prospère.

Pour ce qui est des sanctions, il faut là aussi expliquer que ce projet de loi met fin aux menaces de prison pour les internautes qui téléchargent. Cette sanction est certes théorique, mais il est bon de rappeler qu'ils y sont encore potentiellement exposés dans le droit actuel. En revanche, il nous semble important de maintenir, comme le proposera la commission, une responsabilité civile des éditeurs de logiciels destinés à un usage de téléchargement illégal.

Enfin, la pédagogie doit venir des professionnels eux-mêmes. Comme le font les PME ou les chambres de commerce, il serait bon de voir les professionnels de la musique et du cinéma expliquer, de façon concrète, dans nos lycées, dans nos collèges, dans nos centres de formation d'apprentis, les différents métiers liés à la santé économique de cette filière.

En mettant l'accent sur les perspectives de développement des métiers de demain où les jeunes Français peuvent exceller, nous sortirions d'une vision strictement défensive de la part des industries de la musique et du cinéma, pour faire de cette filière une filière française d'excellence, offrant à des milliers de jeunes des perspectives d'emploi et d'intégration.

Toujours concernant la pédagogie, je vous suggère, monsieur le ministre, de vous appuyer aussi sur les collectivités territoriales qui le souhaitent. En effet, ce sont nous, les élus locaux, qui, au travers de nos structures d'accueil et d'animation, restons encore au contact des jeunes.

Pour ma part, je me vois bien, dans ma commune, organiser une réunion d'information avec quelques artistes pour faire comprendre aux jeunes les finalités de cette loi. Les événements récents ne nous ont-ils pas démontré, monsieur le ministre, qu'il était temps de ne plus être avare d'explications ?

Mais la pédagogie ne suffit pas. En effet, un argument souvent entendu consiste à dire que, si l'on veut respecter la loi et éviter les téléchargements sauvages, la seule alternative possible, en dehors de nos modestes médiathèques, est d'aller dans les grands magasins acheter des CD et des DVD à des prix qui oscillent entre 15 et 30 euros, et parfois plus, ce qui dépasse bien souvent les possibilités financières de nos jeunes.

Alors, bien sûr, certains pourraient imaginer que, face à cette situation, l'État - toujours l'État - prenne des mesures attractives pour diminuer le prix de ces produits, par une baisse de la TVA, par exemple.

Je ne crois pas que cette solution soit la bonne. Elle aurait pour conséquence immédiate d'alourdir les charges de l'État, ce contre quoi nous nous battons régulièrement à l'UMP.

Par ailleurs, n'en doutons pas, cette baisse de la fiscalité serait très vraisemblablement compensée par la hausse des prix de vente des distributeurs. C'est donc vers ces distributeurs eux-mêmes que nous nous tournons aujourd'hui. En effet, plutôt que de multiplier les actions de lobbying pour préserver leurs avantages, les professionnels seraient bien inspirés de profiter de cette loi pour développer une véritable stratégie de l'offre culturelle adaptée à l'évolution des modes de consommation qui émergent.

Rien n'empêche effectivement à ces professionnels de proposer de nouvelles formes de consommation culturelle ; l'attractivité d'un coût modéré répondrait à l'attente des internautes.

L'expérience développée par l'industrie cinématographique est à cet égard très intéressante. Quand les professionnels du cinéma ont constaté que la fréquentation des salles chutait de manière structurelle et constante, les grandes chaînes de distribution ont innové et proposé de nouveaux services. Ainsi a-t-il été mis en place un dispositif de cartes téléchargeables et d'abonnements proposés à des prix très attractifs, qui assurent dorénavant une fréquentation plus importante et un public renouvelé.

Je vois là une évolution aisément transposable, que les majors de l'édition musicale, par exemple, pourraient très facilement et très efficacement organiser. Pourquoi les distributeurs ne pourraient-ils pas proposer par genre, rap, disco, jazz, classique ou autre, une partie de leur catalogue téléchargeable moyennant une contribution mensuelle raisonnable des internautes ? Cela fonctionne très bien pour le cinéma.

Ainsi, plutôt que de protéger leurs avantages financiers en se cachant derrière les droits d'auteur, les distributeurs feraient preuve d'imagination commerciale.

À la licence globale, inefficace, je préfère l'offre commerciale bénéfique au consommateur, comme l'a montré l'évolution dans le secteur du téléphone portable ou les offres multiples pour Internet, qui sont de plus en plus avantageuses pour le consommateur. Rien n'empêcherait même, comme le suggère l'amendement de l'un de nos collègues du groupe UMP, d'offrir le téléchargement gratuit d'oeuvres de jeunes auteurs, créateurs ou interprètes, qui trouveraient là le moyen de se faire connaître.

À ces professionnels qui innoveraient, on peut du reste garantir un franc succès. Il suffit pour cela de lire les statistiques récentes sur la vente par Internet, qui placent la France parmi les tout premiers pays européens en la matière.

Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas conclure sans attirer votre attention sur une incohérence qui n'a pas échappé aux internautes et pour laquelle une réponse argumentée n'est pas si évidente.

J'ai rencontré en effet de nombreux internautes qui m'ont interpellé sur l'incohérence qu'il y a à pénaliser les internautes lorsqu'ils téléchargent, alors que, dans le même temps, on leur offre dans n'importe quel magasin bien fourni la possibilité d'acquérir, librement et le plus légalement du monde, des lecteurs et des enregistreurs au format DivX, dont la vocation est, tout le monde le sait, d'utiliser les téléchargements illégaux, et ce pour à peine 30 euros !

N'est-ce pas là une formidable invitation, pour ne pas dire incitation, à ne pas respecter la loi ? Aidez-moi, monsieur le ministre, par votre réponse, à trouver les arguments qui me font défaut.

Comme j'ai tenté de l'exposer, ce projet de loi vient, certes, un peu tard, mais il apportera les garanties nécessaires au travail des créateurs de culture. L'explosion et la sophistication des technologies, le fait qu'un Français sur deux possède un ordinateur, le raccordement au haut débit aujourd'hui et au très haut débit demain, sont autant de facteurs prometteurs de diffusion culturelle qu'il convient d'organiser, comme les directives européennes le prescrivent et comme l'ont déjà fait de nombreux pays.

Mais une fois encore, si le Gouvernement et le Parlement n'ont pas la passion d'expliquer et d'expliquer encore le sens des réformes proposées, nous risquons une fois de plus d'être incompris, voire combattus par une jeunesse qui a tôt fait de considérer que toute atteinte, fût-elle partielle, à une quelconque de ce qu'elle considère comme ses libertés est une agression personnelle insupportable. Aussi notre groupe souhaite-t-il vraiment qu'une communication efficace et intelligente puisse être organisée autour de ce projet de loi.

Ainsi pourriez-vous démentir cette idée trop longtemps admise selon laquelle il est impossible de réformer notre pays et que toute réforme est inévitablement vouée à l'échec.

C'est pourquoi, en nous appuyant sur le remarquable travail de la commission des affaires culturelles, de son président Jacques Valade et de son rapporteur Michel Thiollière, que je souhaite saluer, nous voulons vous accompagner dans le succès de cette réforme que, bien évidemment, nous voterons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la transposition qui nous est proposée est à la fois tardive et victime de l'urgence. Cette urgence a perdu tout son sens pour ce qui est de gagner du temps.

L'interruption des débats à l'Assemblée nationale, puis le renoncement trop tardif au CPE ont largement différé la fin des débats. En revanche, cette urgence affaiblit la navette et la fécondité des ajustements qu'elle permet sur un texte aussi complexe, dont on ne cesse de découvrir des dommages collatéraux.

Les élus Verts considèrent d'abord la propriété artistique à la française, et les droits d'auteur qui y sont attachés, comme un acquis à préserver, auquel le numérique ne saurait faire obstacle. En plus de la juste rémunération de la création, l'existence et la définition du droit moral tiennent à distance des conceptions et des pratiques dans lesquelles tout est marchandise. C'est cela qu'il faut garantir, parce que c'est là que se trouvent les conditions indispensables à la diversité culturelle.

Chaque nouvelle technologie - l'imprimerie, la radio, la photocopie, la télévision - a obligé le pouvoir à élaborer des règles adaptées. À chaque fois, ce fut le grand vertige devant l'inconnu, et ce sont les supports qui furent mis au débat : c'est le commerce des livres que l'on voulait arrêter aux frontières qu'évoque Diderot, ce sont les liens entre la législation sur l'imprimerie et les Lumières que commente Condorcet.

À chaque fois, l'intérêt public et la sauvegarde de ce qui fait sens et civilisation durent se frotter aux intérêts économiques de quelques-uns : licence exclusive au profit de l'imprimeur en Allemagne dès 1470 ; privilège d'édition aux corporations de libraires en France sous Louis XII ; rupture du monopole des papetiers à Londres en 1710 et réaction immédiate des libraires, et à Paris, Beaumarchais, en 1777, s'affronte aux intérêts exorbitants de la Comédie-Française. À chaque étape, l'émoi fait colporter des contrevérités.

Nous savons maintenant que les vidéocassettes n'ont pas tué le cinéma, et que les bibliothèques n'ont pas fait baisser les ventes de livres.

Aujourd'hui, ce sont les possibilités offertes par le numérique et les pratiques sociales qui s'en saisissent qui nous convoquent, par le biais de l'Union européenne, dans un souci d'harmonisation.

Le défi, c'est de faire de la politique, c'est-à-dire de transcrire dans la loi nos valeurs, de façon compréhensible par tous, sans sombrer dans des considérations technicistes confuses, et par essence vite dépassées. Au cours des débats, je reviendrai sur le droit moral, en particulier celui des photographes, qui me semble avoir été malmené.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Le problème est enfin réglé !

Mme Marie-Christine Blandin. N'ouvrons pas la porte à des pratiques comme celles de la société Corbis.

Le défi, c'est, comme au cours des siècles passés, de reconnaître aux acteurs intermédiaires leur place, mais pas plus que leur place.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !

Mme Marie-Christine Blandin. Certes, ils prennent des risques économiques, certes on reconnaît aux producteurs des droits voisins, certes les réseaux de la toile que tendent les grands groupes sont utiles, mais en aucun cas leur poids et la force de leurs lobbies ne sauraient tenir la plume du législateur.

Ce qui nous motive, c'est une société cultivée, une création foisonnante et libre, des auteurs respectés et rémunérés : ce n'est pas aux tuyaux intermédiaires de dire l'alpha et l'oméga de la culture et de ses modes de protection. D'autant que leurs mécanismes préférentiels ont jusqu'à présent favorisé la standardisation et les tentatives de formatage des attentes du public. D'autant que leurs capitaux mélangés et la diversification de leurs activités les rendent à la fois bâtisseurs de réseaux payants, diffuseurs de matériel permettant toutes les copies et stockages, fournisseurs d'accès soigneusement dédouanés de toute responsabilité, et vendeurs de dispositifs de cryptage et de suivi, aux démocraties comme aux dictatures ; ils ne sont pas regardants. D'autant que leur lenteur coupable à donner une offre légale de téléchargement a dynamisé les pratiques d'échanges.

La promotion de la licence globale - épisode datant d'avant Noël - a été rapidement stoppée : elle avait rassemblé ceux qui refusaient de compter plus de la moitié des internautes au rang des délinquants ; elle avait été élaborée et soutenue par des associations diverses - des consommateurs, des militants de l'éducation populaire, des artistes interprètes, des plasticiens ; elle avait été repoussée par une majorité de compositeurs et d'auteurs, et par leurs sociétés de perception de droits.

Nous aurions pu avoir un débat plus construit et plus serein si ces sociétés avaient les mêmes règles comptables, si leurs chiffres étaient plus transparents et plus actualisés.

Au fond, l'approche par le dialogue entre usagers et artistes, par le pragmatisme - puisqu'il y a téléchargement et manque à gagner, créons une ressource - était intéressante. Certes, on se rapprochait une fois de plus du forfait plutôt que de la proportionnalité. Mais le forfait, ce n'est pas l'apanage du seul et détestable copyright, c'est aussi le principe de la rémunération pour copie privée, ou de la redevance télévisuelle qui, au passage, est contournée par les écrans numériques alimentés par des signaux d'ordinateur, ce qui, à terme, fragilisera les chaînes publiques.

J'ai entendu les arguments hostiles des petits labels, aux budgets tendus, qui voyaient poindre le jour où ils déposeraient le bilan. Effectivement, les quelques euros envisagés pour la licence globale sur chaque abonnement ne faisaient pas le compte, et le côté facultatif de cette taxe n'éloignait pas le spectre des atteintes aux libertés individuelles. Il n'est cependant pas exclu que, d'ici à quelque temps, au vu des options probablement inopérantes de ce texte, soit à nouveau posée la question sous d'autres formes, dont la mise à contribution des disques durs ou des fournisseurs d'accès, qui sont tout de même au centre du dispositif.

Les droits versés s'élevaient à environ 850 millions d'euros en 2002, sur 1,1 milliard d'euros collectés, ce qui représente vraiment beaucoup de frais de gestion. C'est un défi de rassembler plus de 1 milliard d'euros, mais il ne faut quand même pas se laisser enfermer dans des variables peu faciles à changer.

Ce 1 milliard d'euros de droits est à mettre en perspective avec d'autres chiffres autrement évocateurs : 700 milliards de dollars de chute de capitalisation boursière entre mars et novembre 2002 dans le secteur du numérique ; 600 milliards de chiffre d'affaires de vente rien que par le télémarketing en 2002 ; 11 400 milliards de fusions-acquisitions dans les télécommunications en 2000.

Les moyens et les pouvoirs des fabricants d'informatique, des fournisseurs d'accès du secteur des télécommunications, libéralisé par des directives européennes, des sociétés de logiciels fermés comme Microsoft, la position dominante des fabricants et gestionnaires de réseau qui mettent des consommateurs à disposition des annonceurs au lieu de faire leur métier et de proposer des oeuvres de l'esprit aux usagers : voilà l'environnement réel dans lequel sont malmenés les droits d'auteur et la diversité culturelle.

Alors, vouloir faire peser la responsabilité de la précarisation, de la juste rémunération et du droit moral sur le seul internaute amateur est abusif.

C'est d'abord taire l'arsenal que la loi offre déjà contre les pratiques commerciales de contrefaçon et de ventes illicites.

C'est aussi négliger ce qu'il y a de réjouissant à voir se pratiquer des ouvertures, des découvertes, des enseignements, des échanges, des coopérations : cet aspect positif, épanouissant et émancipateur, mérite tout de même d'être rappelé.

C'est enfin oublier l'environnement dans lequel grandit le jeune internaute. La gratuité, dont il ne sait pas quand il est petit qu'elle se paye un jour, le poursuit depuis les classes primaires : distribution d'échantillons, de friandises, de gadgets, de journaux à la porte de l'école.

Le juste prix des choses ne lui est jamais valorisé : au contraire, ses vêtements sont confectionnés ailleurs à si bas prix que seule une exploitation impitoyable du créateur les rend importables ; le prix des aliments qu'il mange ne permet pas d'assurer le revenu de l'agriculteur.

Enfin, il est gavé de publicités agressives sur le MP3, les possibilités du haut débit, que l'on présente avec malhonnêteté comme un droit de tirage illimité sur la musique ou sur les films.

Alors, quand sont payés l'ordinateur à 1 000 euros, la clef MP3 à 100 euros, l'accès mensuel à 30 euros - si son quartier a un accès dégroupé - soit presque 3 000 euros pour cinq ans de passion, toutes les conditions sont créées pour que le jeune internaute se croie quitte. Cette société-là, c'est celle de la compétitivité et du libéralisme.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Là, nous ne sommes plus d'accord !

Mme Marie-Christine Blandin. Ne nous étonnons pas si les jeunes sont surpris qu'on leur demande soudain une attitude plus éthique.

Ce projet de loi sous-tendu par des motifs vertueux prend, hélas ! des risques plus qu'aventureux avec nos libertés et un secteur dynamique et indispensable : le logiciel libre.

En l'état, la rédaction du texte donne carte blanche à des modes indéterminés de protection, de telle sorte que les limites des DRM ne seront pas sous contrôle du Parlement : le consommateur sera potentiellement destinataire de produits éphémères, ou incompatibles, ou porteurs de logiciels espions, sans même que des exigences n'encadrent son information.

Le coût de ces techniques ne sera d'ailleurs pas à la portée des labels indépendants que nous voulons soutenir.

Quant aux pénalisations prévues pour les échanges et la mise à disposition des logiciels les permettant, un lecteur non averti par l'historique de ce texte aurait tôt fait d'y voir l'arme de destruction massive contre les logiciels ouverts, l'inventivité de leurs auteurs et les modes de coopération : ce sont des pans complets du travail universitaire et industriel qui peuvent tomber.

Tout se passe avec ces logiciels comme si, au motif que des assassins utilisent des couteaux, on décrétait l'interdiction des couteaux, au lieu d'en réglementer le port et l'usage.

M. Bruno Retailleau. C'est vrai !

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le ministre, s'il s'agissait de voter une loi qui dresse un rempart contre un libéralisme débridé prêt à sacrifier les artistes sur l'autel du dumping consumériste, sans porter atteinte aux libertés publiques ni graver dans le marbre le monopole du logiciel fermé et les pouvoirs arrogants des opérateurs des télécommunications, les Verts n'auraient pas été contre. Mais, en l'état, ce n'est pas du tout le cas.

D'ailleurs, la plaie béante de l'intermittence non consolidée et les risques de spoliation des photographes au profit des éditeurs et diffuseurs montrent que, là où il n'y a pas de droits voisins, le Gouvernement défend avec moins de zèle les créateurs.

Pour terminer, dans le respect du droit moral des auteurs, je tiens à remercier le président de la commission, le rapporteur du Sénat et celui du Conseil économique et social, nos collaborateurs, ceux de la commission, tous auteurs, qui nous ont éclairés, même si toutes leurs propositions ne nous ont pas convaincus, ainsi que les personnes auditionnées, même si leurs insistances contradictoires nous ont soumis à ce que les psychiatres appellent « la double contrainte », environnement mental favorable à la schizophrénie, à laquelle nous avons su échapper. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.- M le président et M. le rapporteur de la commission applaudissent également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)