PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 61 minutes ;

Groupe socialiste, 40 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 17 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes ;

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la maltraitance de l'enfant est un sujet douloureux, qu'il peut être difficile d'évoquer tant il est vrai que les médias révèlent quotidiennement des situations et des faits souvent insupportables de violences faites à des mineurs sans défense aucune.

Dans de nombreux cas, ces violences surviennent non pas à l'extérieur, mais au sein même de la famille, là où l'on ne pénètre pas, là où l'enfant est censé trouver sécurité, compréhension et amour, là où il est aussi censé se structurer pour l'avenir.

De nombreux enfants qui ont été maltraités en conserveront des séquelles indélébiles sur le plan physique comme sur le plan psychologique. Il s'agit de plaies profondes qui, même lorsque ceux qui les ont subies auront atteint l'âge adulte, seront souvent toujours présentes et pourront compromettre l'épanouissement psychologique et affectif à long terme, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner sur le développement et la socialisation.

Je ne parlerai pas ici des enlèvements et des meurtres, qui relèvent de la délinquance et qui seront traités par ailleurs.

Dans son rapport de 2005, l'ODAS, l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, a indiqué que le nombre de signalements d'enfants maltraités ou en danger pour leur sécurité, leur moralité, leur santé ou leur éducation était globalement en hausse, ce qui est très inquiétant. Ainsi, une fille sur huit et un garçon sur dix sont victimes d'abus sexuels avant d'avoir atteint leur majorité, et 22 % d'entre eux ont moins de six ans.

On connaît aussi de mieux en mieux des formes moins visibles de maltraitance, à savoir la violence psychologique ou la négligence lourde.

En 2006, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, 270 000 enfants ont ainsi bénéficié d'une mesure de protection de l'enfance.

Il faut que notre société progresse et aide l'enfant à conforter ses droits. Comment accepter que les cas de maltraitance signalés soient en hausse ? Comment accepter que tous les enfants qui souffrent en silence pendant des années ne soient jamais signalés ?

Notre société serait-elle de plus en plus violente envers ses enfants ou bien dévoile-t-elle plus largement ce qui a toujours existé ?

Même si le dispositif français de protection de l'enfance est particulièrement riche et qu'il faut reconnaître l'action, la grande compétence et la formidable motivation de ses acteurs, notre rôle, au-delà de l'indignation que nous ressentons et de la peine que nous éprouvons, est d'agir pour assurer de manière plus large et plus efficace la protection des enfants.

La loi du 6 mars 2000 a renforcé le rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants grâce aux visites médicales scolaires.

La loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance a contribué à l'assouplissement des conditions d'accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles. En outre, l'expérimentation d'un nouveau mode de financement des tutelles pour les majeurs protégés a représenté une évolution majeure.

Aujourd'hui, grâce à l'Observatoire national de l'enfance en danger, les différents acteurs, mieux informés de la situation à l'échelon national, pourront agir plus efficacement sur le terrain. Dans son dernier rapport, cette instance a insisté sur la nécessité de mettre en cohérence les données chiffrées disponibles qu'une centaine de départements peut déjà fournir sous la forme de statistiques fiables.

Il nous fallait poursuivre une action législative déjà entamée et entreprendre une réforme plus ambitieuse pour améliorer la lutte contre le fléau de la maltraitance. Cela est fait, je pense.

Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, monsieur le ministre, de l'esprit dans lequel a été préparé ce projet de loi. Pour élaborer cette réforme, tous les partenaires du secteur ont été consultés. Ils l'ont d'ailleurs unanimement fait remarquer lors des auditions organisées par notre commission des affaires sociales. Votre travail et votre écoute ont été très appréciés.

Cette réforme permet de réaffirmer les quatre principes qui guident ce projet de loi : le renforcement de la prévention, pour agir plus vite et mieux ; l'organisation du signalement, pour détecter avec précision le danger auquel est exposé l'enfant ; la diversification des modes de prise en charge des enfants, notamment en matière d'accueil, qu'il soit de jour, temporaire ou d'urgence, ou qu'il concerne des enfants séparés de leurs parents ; le rôle de chef de file du conseil général dans chaque département.

Ce texte apporte donc des solutions nouvelles pour surmonter les obstacles à une protection efficace des enfants en danger.

Ces obstacles, quels sont-ils ? Même s'ils ont déjà été décrits, il n'est pas inutile de les rappeler.

Le premier obstacle est la mauvaise définition du cadre d'intervention des organisations départementales, ce qui gêne évidemment leur action.

Si la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance a eu le mérite de définir pour la première fois la maltraitance, les critères n'ont pu être tous respectés. Ils ne correspondent plus aujourd'hui à la réalité et le projet de cellule de signalement n'a jamais pu aboutir totalement.

Ce projet de loi propose donc une définition plus précise, plus large et plus concrète, qui permet de clarifier le rôle de chacun. Elle retient désormais la notion d'« enfant en danger », ce qui comprend toute forme de maltraitance ou de négligence ; elle insiste également sur la prévention des dangers encourus par l'enfant.

Le deuxième obstacle est le repérage de la maltraitance, qui ne paraissait pas suffisamment efficace.

Le rôle des acteurs de la protection sociale est double : ils doivent à la fois accompagner les familles en difficulté sans pour autant qu'il y ait risque identifié pour l'enfant, et prévenir le danger. C'est le professionnalisme de ces personnes qui doit donc permettre d'éviter qu'on ne bascule dans un « contrôle social » qui n'est guère souhaitable.

Les deux moments forts de ce repérage sont la maternité et la scolarité. Ainsi est réaffirmé et complété le rôle des services de la PMI dans la protection de l'enfance. Lors de la discussion des articles, je présenterai d'ailleurs un amendement tendant à préciser les conditions de leur intervention à l'école.

L'entretien au quatrième mois de grossesse devient systématique et des visites de prévention ou de suivi de la PMI dans les premiers temps seront proposées à la jeune mère, voire imposées si des difficultés particulières ont été identifiées, notamment lors du séjour en maternité. La grossesse et l'accouchement sont en effet des temps privilégiés d'échange entre les professionnels et les futurs parents qui en ressentent le besoin.

Par ailleurs, la PMI réalisera un bilan à l'école maternelle des enfants âgés de trois ou quatre ans, ainsi qu'un examen de dépistage des enfants dans leur sixième année. Une nouvelle intervention en classe de sixième a même été évoquée.

Le troisième obstacle que nous devions savoir mieux surmonter est sans aucun doute l'articulation entre les différents partenaires - département, justice, association, aide sociale à l'enfance... - afin que soit prise la décision la mieux adaptée.

Les responsables locaux, les maires surtout, ont tous en tête des cas tragiques où le cloisonnement entre les différentes institutions a ralenti l'action en faveur de l'enfant, voire a empêché toute intervention. Ce silence et ce cloisonnement ne sont pas toujours volontaires de la part de personnes confrontées à des situations dramatiques et dont le premier souci est de protéger l'enfant.

Les réflexes corporatistes perdurent encore trop souvent et l'échange d'informations est informel, dépendant de la bonne volonté de chacun. Les débats que nous avons eus sur ce problème, pour lequel la solution n'était pas facile à trouver, ont été enrichissants. Juges, assistantes sociales, instituteurs, pédopsychiatres, etc. : trente-cinq professions sont concernées, mais toutes ne sont pas confrontées à la même problématique. Il nous faut donc trouver le moyen de les faire communiquer efficacement. Ce sera le travail de la cellule départementale de signalement.

Il me paraît utile d'insister à nouveau sur le rôle important de cette cellule départementale.

Tout professionnel de l'enfance devra transmettre au président du conseil général, dont le rôle est réaffirmé, toute information sur un mineur en danger ou risquant de l'être, aux fins d'évaluation. Les parents seront informés, sauf si cela est contraire aux intérêts de l'enfant.

Ce signalement est essentiel, car c'est lui qui sera à l'origine des décisions qui pourront être prises. Le professionnel ne sera plus seul, et le regard collégial d'autres professionnels permettra d'agir dans les meilleures conditions.

Le texte délimite les informations susceptibles d'être partagées. Ce n'est pas du bavardage : seule l'information préoccupante devra être communiquée.

La cellule départementale de signalement sera composée de professionnels de la protection de l'enfance et aura pour objectif de centraliser toutes les informations. Dès que des informations lui auront été transmises, la cellule départementale devra procéder rapidement à une première évaluation et veiller à ce que la situation soit traitée ou que, après une évaluation collégiale, soit effectué un signalement au procureur de la République.

Le partage des missions entre l'aide sociale à l'enfance et la justice est ainsi clarifié.

Le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République en cas de danger manifeste pour la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé, ou en cas de compromission des conditions de son éducation. Il l'informe également lorsque l'évaluation de la situation est impossible, ou lorsque les parents ne peuvent ou ne veulent pas accepter l'accompagnement proposé par l'aide sociale à l'enfance.

Monsieur le ministre, il faut absolument trouver une solution pratique pour améliorer le retour d'informations concernant les démarches entreprises par le conseil général ou par l'autorité judiciaire vers l'auteur du signalement, notamment du maire. L'obligation d'une telle information existe, mais elle n'est pas toujours respectée, car elle est difficile à mettre en oeuvre ; cela n'en est pas moins hautement regrettable.

S'il est vrai que les procédures sont longues, un effort est cependant attendu de la part de tous. En effet, lorsque aucune suite n'est donnée, parfois pour de simples questions de procédure, il est néanmoins important que les professionnels de l'aide sociale à l'enfance puissent poursuivre leur action de prévention auprès des enfants concernés.

S'agissant de cette question, l'espoir est permis puisqu'un guide national des bonnes pratiques du signalement sera élaboré. Cet instrument existait déjà dans plusieurs départements et il est effectivement judicieux d'en étendre le principe à l'ensemble du territoire.

Le quatrième obstacle, particulièrement délicat, concerne le secret professionnel, sujet quasiment tabou. Le respect du secret professionnel place les intéressés dans des situations particulièrement complexes ; c'est notamment le cas des travailleurs sociaux vis-à-vis de leur hiérarchie. Il est donc important que ce projet de loi élaboré pour les enfants apporte également un encadrement protecteur pour les professionnels qui ont vocation à les protéger.

Ce partage sera sécurisé puisqu'il ne sera autorisé que dans un cadre précis, celui de l'intérêt de l'enfant, dont la situation nécessite un échange et une expertise collégiale. Il s'effectuera uniquement entre professionnels de la PMI tenus au secret professionnel. En effet, il est important que la règle du secret professionnel, essentielle pour maintenir la confiance des familles envers celles et ceux qui les écoutent et les aident, soit réaffirmée.

L'autre évolution nécessaire est l'implication de la famille concernée par le signalement : il est indispensable de chercher à établir avec elle un dialogue et de lui accorder une écoute attentive.

Lorsque le contact peut être établi, il faut expliquer à la famille dans quel cadre la protection de l'enfance intervient et quels sont ses droits. À l'issue de l'analyse de la situation, la famille doit être tenue au courant des décisions prises et de l'évolution du dossier, même si celui-ci est classé sans suite. La place de la famille, et surtout des parents, dans la résolution des problèmes doit être bien cernée.

Plusieurs départements ont d'ores et déjà mis en place un système de contrat avec la famille. C'est très important pour rendre efficaces les mesures entreprises. En généralisant la signature d'une convention élaborée avec la famille, le projet de loi conforte une solution qui a déjà donné de très bons résultats dans plusieurs départements.

Lors des différentes rencontres que nous avons eues, les associations concernées ont été unanimes à dénoncer le manque de souplesse des différentes solutions susceptibles d'être retenues : placement de l'enfant loin de la cellule familiale - avec tous les déchirements que cela entraîne - ou maintien au sein de sa famille - avec tous les risques que cela comporte.

Les départements ont développé de nouvelles pratiques pour faire face à la multiplicité des cas auxquels ils sont confrontés. Le projet de loi vient conforter ce mouvement de diversification des interventions avec de nouvelles formules d'accueil alternatives entre les interventions à domicile et l'accueil du mineur à temps complet hors de son lieu habituel de vie : l'accueil de jour, qui permet d'accueillir l'enfant durant la journée et de lui apporter un soutien psycho-éducatif, auquel les parents peuvent être associés ; l'accueil exceptionnel ou périodique, qui peut être très ponctuel, lors d'une crise familiale, ou se répéter selon une fréquence déterminée, ce qui permet à l'enfant de maintenir le lien avec ses parents et de revenir rapidement chez lui dans un climat apaisé et en toute sécurité ; l'accueil d'urgence pour le mineur en danger ou risquant de l'être, qui ne peut dépasser soixante-douze heures et doit faire l'objet d'une information des parents et du procureur de la République sans délai, ainsi que vous l'avez expliqué, monsieur le ministre.

L'incidence financière de la réforme a été évaluée à 150 millions d'euros, dont 35 millions d'euros à la charge de l'État. Monsieur le ministre, vous l'avez compris, les charges qui pèseront sur les départements devront être compensées, et notre groupe déposera un amendement dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Louis de Broissia. Très bien !

Mme Janine Rozier. Toutes les associations et tous les professionnels qui ont assisté aux différents colloques et tables rondes ont insisté sur les moyens en personnel et sur les moyens financiers nécessaires pour la réalisation de ce projet ambitieux.

Lors de votre intervention devant notre commission des affaires sociales, monsieur le ministre, vous avez spontanément abordé ce problème et précisé comment vous alliez le résoudre. Je ne parlerai donc pas des financements, car ce sera le cheval de bataille de nombreux autres intervenants. (Sourires.)

Je me contenterai, avant de conclure, de résumer les grandes lignes de mon intervention et d'insister sur les dispositions qui me paraissent majeures dans ce projet de loi. Vous l'aurez remarqué, j'ai relevé de nombreux points positifs dans ce texte, qui, ainsi que l'a souligné l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, institue une « nouvelle culture de travail social en France ».

L'enfant constitue le sujet majeur de ce projet de loi, et cela est capital.

Il y manque peut-être d'y voir imprimé en lettres majuscules que la protection de l'enfance doit être non pas seulement l'affaire des services sociaux et des élus, mais celle de tous et tout le temps, c'est-à-dire aussi le soir, pendant les week-ends et les vacances.

Ce n'est pas non plus uniquement une question de moyens financiers et en personnel. La réussite sera à la hauteur de la formation, de l'implication et de l'attention généreuse des intervenants.

Il faut impérativement créer le devoir d'ingérence familiale. Celui-ci est indispensable, mais devra être manié avec intelligence, doigté et surtout avec coeur par du personnel attentif et formé, tout comme le secret professionnel partagé.

Les personnels qui ont exercé leurs compétences dans des services juxtaposés doivent apprendre à mieux travailler ensemble. Il faudra donc fournir beaucoup d'efforts d'explication, de persuasion et de formation auprès des intervenants et dans les services.

Il faut un juge de la famille investi de toutes les compétences et qui agisse vite. Un enfant maltraité doit être soustrait immédiatement d'un contexte de maltraitance connu. À cet égard, pour avoir été chargée pendant de nombreuses années, au sein d'une commission des affaires sociales, du dossier des pupilles de l'État et des enfants dont la prise en charge était nécessaire, je regrette infiniment que la procédure ne soit pas assez rapide pour permettre de retirer les enfants d'une famille d'accueil dès qu'il y a suspicion de maltraitance. En l'occurrence, il faut retirer l'enfant tout de suite, même si des susceptibilités risquent d'être froissées.

Quant à la commission qui se réunira ensuite pour statuer sur le cas de l'assistante maternelle, elle ne doit pas être influencée par des considérations matérielles telles que le salaire perçu par cette personne. Il ne faut prendre en considération que l'intérêt de l'enfant. Il conviendrait d'ailleurs revoir de façon très sérieuse la composition et le rôle de cette commission dans cette optique unique. C'est extrêmement important et je déposerai un amendement en ce sens.

Il faut aussi, bien sûr, que le département soit le pivot de tout ce qui touche à la protection de l'enfance et le garant de la cohérence d'ensemble du dispositif, comme le demande le bureau de l'Assemblée des départements de France.

Monsieur le ministre, avec ce projet de loi et grâce à la façon dont vous avez abordé cette question, engagé la concertation et donné confiance à tous ceux qui se sentent concernés par l'aide sociale à l'enfance, un grand pas a été franchi. Renforcer les moyens financiers et humains est indispensable, mais mobiliser par la confiance était tout aussi important.

En conclusion, je souhaite féliciter notre rapporteur, André Lardeux, qui, avec ses qualités humaines, ses convictions forgées par des analyses solides et sa parfaite connaissance des problèmes, a fait un excellent rapport. Celui-ci a permis, grâce à la pertinence des propositions qu'il formule et que, bien entendu, nous approuvons, de clarifier certains points du texte.

Monsieur le ministre, votre projet de loi est un texte nécessaire et attendu. Il représente une réelle avancée en matière de lutte contre la maltraitance et il est source d'espoir. Le groupe UMP votera donc ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a donné lieu à une très large concertation. Je tiens tout d'abord à rendre hommage au Gouvernement qui, sous votre impulsion, monsieur le ministre, a lancé en novembre dernier une large consultation auprès des présidents de conseils généraux et a organisé un débat sur la protection de l'enfance avec les acteurs locaux intéressés, parmi lesquels figurent les associations familiales. Des journées thématiques nationales ont ainsi permis d'aborder des points techniques avec nombre d'experts et de professionnels.

Je veux également saluer la grande qualité de la réflexion de notre rapporteur, André Lardeux, qui est tout à fait l'homme de la situation lorsque nous abordons ce type de sujet.

Monsieur le ministre, j'apprécie votre volonté et votre esprit d'initiative. En effet, l'actualité nous fournit trop d'exemples d'enfants qui souffrent au sein même de leur environnement familial.

Dans une société en mutation permanente, et malgré l'amélioration globale des conditions de vie depuis l'après-guerre, la précarité affecte certaines familles.

Cette précarité n'est pas uniquement matérielle, elle est aussi morale. Depuis plusieurs décennies, la famille est en effet brutalisée par l'égoïsme ambiant, et force est de constater que la « désinstitutionnalisation » progressive de la famille, souvent accompagnée par le législateur, a multiplié les situations de précarité familiale. Le nombre de divorces et de séparations ne cesse d'augmenter, laissant de plus en plus d'enfants et d'adolescents désorientés, alors même que notre société, à travers l'école, les médias ou les loisirs, ne seconde plus suffisamment les familles et échoue à pallier les insuffisances du milieu familial. Ainsi, souvent, des mères se retrouvent seules avec plusieurs enfants et ont des difficultés pour les éduquer.

Les conséquences de cette situation, nous les connaissons tous : des jeunes qui n'ont plus goût à la vie, qui sont en proie à la violence, à la drogue et qui risquent de plonger dans la délinquance, mais aussi, inversement, des enfants victimes de la violence adulte et parfois, hélas ! de leur propre entourage, pourtant censé les protéger.

Ces traumatismes de la petite enfance préparent la dérive de l'adolescence. Les bonnes pratiques éducatives et affectives suivies pendant la petite enfance conditionnent largement l'avenir de la société. C'est pourquoi nous devons nous soucier de mieux aider et soutenir les parents, par le biais des autorités publiques ou des associations, car c'est d'abord aux parents qu'il revient de protéger leur enfant. C'est en s'appuyant sur leurs compétences et sur les ressources de l'environnement familial que l'on peut le mieux aider l'enfant et sa famille. Toute intervention proposée ou imposée pour les aider dans l'exercice de leur responsabilité parentale doit respecter la place qui est la leur et aider toute cellule familiale à se consolider ou à se reconstruire.

Tout doit être en effet mis en oeuvre pour que le maintien de l'enfant dans sa famille soit privilégié, pour que sa santé, sa sécurité, sa moralité et les conditions de son éducation soient préservées. Mais, si ces conditions ne sont pas réunies, il faut lui assurer mieux-être, stabilité, sécurité et faire en sorte que sa dignité soit restaurée.

Les passages d'établissement en établissement, la succession de familles d'accueil, ainsi que les allers et retours dans la famille ajoutent à sa souffrance. Il faut certes chercher à conforter les liens entre l'enfant et ses parents, mais sans subordonner son intérêt au maintien à tout prix de ces liens.

La réforme de la protection de l'enfance améliore la cohérence des textes fondateurs sans les bouleverser, à partir de trois grands axes : une meilleure articulation entre les différents acteurs qui interviennent auprès des enfants et des parents ; l'amélioration du dispositif d'évaluation des risques pour l'enfant, avec une meilleure articulation entre protection sociale et protection judiciaire de l'enfant ; enfin et surtout, un meilleur accompagnement des familles et de l'enfant.

Le très grand nombre d'acteurs publics ou privés intervenant auprès des familles et des enfants remet en cause la lisibilité de leur mission. Actuellement, les différents acteurs de la protection de l'enfance vivent parfois dans la défiance les uns vis-à-vis des autres, au lieu de rechercher une meilleure coopération au profit de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Le projet de loi confirme le rôle des départements en matière de développement de la prévention, clarifie les missions de la protection de l'enfance, renforce le dispositif d'alerte et d'évaluation des risques de danger pour l'enfant, articule plus efficacement la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance et, en dernier lieu, améliore et diversifie les modes d'intervention auprès des enfants pour mieux répondre à leurs besoins.

L'État, garant de la cohérence du dispositif, doit contribuer lui-même à la protection de l'enfance, notamment grâce à son action dans les domaines de la justice, de la santé et de l'éducation nationale. Sur ce dernier point, je répéterai inlassablement qu'il faut dépasser le souci exclusif de l'éducation, dans le cadre scolaire, au contrôle des naissances, car cet enseignement postule de manière plus ou moins ambiguë que l'enfant est un gêneur, pour développer dès l'école une véritable éducation affective préparant à l'accueil de l'enfant et à la responsabilité parentale.

Le fait de favoriser le renouveau des mouvements de type scoutisme peut y contribuer, dans la mesure où leur principe fondateur est la responsabilisation des aînés dans la formation des plus jeunes, fondant ainsi la pédagogie de la fraternité et de la maîtrise de soi pour respecter les autres.

Je me félicite aussi que ce texte clarifie les missions de la PMI. Ainsi, dans l'article du code de la santé publique qui énumère les missions du service de PMI, plusieurs modifications sont prévues, telles que le suivi des femmes enceintes, grâce à l'entretien lors du quatrième mois de grossesse, les actions de prévention périnatale et un bilan systématique pour tous les enfants de trois à quatre ans qui fréquentent l'école maternelle.

En effet, la protection de l'enfant ne commence pas à sa naissance, mais dès sa conception. Je rappelle à ce sujet que, contrairement à une évolution récente qui a dénaturé l'esprit premier de la loi Veil, tout devrait être mis en oeuvre pour qu'une femme puisse être davantage soutenue matériellement, psychologiquement et affectivement, pour l'aider à éviter le drame de l'avortement et à connaître, sans en être empêchée, les joies de la maternité, en s'appuyant sur le soutien effectif d'un homme qui ne fuit pas lâchement la responsabilité de sa paternité. L'éducation au respect de la femme, dès l'âge scolaire, doit comporter cette dimension.

Autre point essentiel à mes yeux : ce projet de loi permet d'améliorer le dispositif d'alerte et d'évaluation des risques de danger pour l'enfant, ainsi que l'articulation entre la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance.

Je me réjouis également qu'un accompagnement en économie sociale et familiale puisse être proposé aux familles qui rencontrent des difficultés dans la gestion de leur budget, difficultés dont les effets peuvent être préjudiciables à l'enfant. Il existe déjà des professionnelles dont le métier est précisément d'assister les familles dans la gestion du budget familial : les conseillères en économie sociale et familiale. Toutefois, aujourd'hui, celles-ci interviennent surtout dans le cadre du service social polyvalent, auprès des ménages titulaires d'un minimum social et dans le cadre des dispositifs de prévention du surendettement. Elles sont donc peu associées au dispositif de protection de l'enfance.

C'est pourquoi j'insiste sur le rôle essentiel des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents, qui valorisent les compétences de ces derniers, à savoir la responsabilité, l'autorité, la confiance en soi et l'élaboration des repères. En fait, ces réseaux d'écoute et d'accompagnement sont les véritables outils de prévention. Or je tiens à souligner que les professionnels capables d'assurer ce type de prestations sont encore trop peu représentés auprès des conseils généraux.

Le projet de loi propose aussi d'améliorer les modes d'intervention auprès des enfants et de leur famille, pour mieux répondre à leurs besoins en matière de suivi éducatif, de conditions d'accueil et de prise en charge. Le dispositif actuel de l'aide sociale à l'enfance comporte certaines lacunes : par manque de personnel, la protection des enfants est peu ou pas assurée le soir, le week-end et pendant les vacances. Pourquoi ne pas réfléchir à la création de maisons familiales, qui permettrait une entraide éducative comblant ces lacunes ?

Un meilleur accompagnement doit permettre de réduire le fossé existant entre les interventions à domicile et l'accueil du mineur hors de son lieu de vie. Des expériences ont été menées dans de nombreux départements en recourant à des formules plus souples et plus évolutives. Il s'agit de mieux répondre aux besoins de l'enfant en y associant ses parents. Sont ainsi proposées des modifications qui permettront de sécuriser ces pratiques sur le plan juridique et de faciliter le développement d'un nouveau mode d'intervention auprès des familles.

Je conclurai en insistant une nouvelle fois sur l'importance de ce projet de loi. Notre société est instable, et ce n'est pas uniquement une question de chômage et d'insécurité. Les repères les plus élémentaires pour asseoir le respect de la dignité des personnes ne sont pas cultivés comme ils devraient l'être. Ce texte peut contribuer à réveiller notre sensibilité sur la hiérarchie fondatrice de tout véritable humanisme, qui place l'homme au niveau des fins et non pas des moyens.

La détresse des enfants maltraités est un indicateur d'alerte de régression sociale vers un état de barbarie. Ne nous étonnons pas outre mesure de ce constat quand, insidieusement, le droit à l'enfant tend trop souvent à prendre le pas sur les droits de l'enfant.

Aujourd'hui, nous agissons sur les situations les plus dramatiques et critiques. Mais la prévention des menaces et des drames restera toujours préférable. Elle est au fondement de la politique qui, depuis les origines de notre civilisation, doit protéger les faibles des abus des plus forts. Il est douloureux de devoir suspecter ceux qui devraient, par nature, être les plus puissants protecteurs des enfants. La réalité des faits nous y oblige. Veillons à ne pas accroître à l'avenir les menaces qui pèsent sur les enfants, en refusant que la satisfaction des désirs adultes prétende structurer la réalité familiale et sociale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs affaires concernant des enfants dont la situation de danger n'avait pas été décelée ont défrayé la chronique ces derniers temps. Elles ont mis en relief les lacunes de notre dispositif de protection de l'enfance et ont permis, comme l'a très justement souligné M. le rapporteur, de prendre conscience de la nécessité de réformer le système. De nombreux rapports ont ainsi été élaborés, tendant à proposer des solutions possibles, mais surtout indispensables.

Je tiens également à souligner le rôle important que joue, depuis six ans, le Défenseur des enfants, aussi bien dans les situations individuelles que dans les problématiques collectives. Cette institution mériterait peut-être de se voir confier des pouvoirs plus importants dans le domaine de la protection de l'enfance.

Monsieur le ministre, vous avez pris à bras-le-corps ce dossier majeur. Vous nous soumettez aujourd'hui le texte portant réforme de la protection de l'enfance, que vous avez élaboré dans la concertation la plus large possible. On ne pourra pas vous reprocher d'avoir négligé de consulter vos partenaires, les élus et les professionnels.

Monsieur le rapporteur, je tiens également à saluer le travail remarquable que vous avez effectué. Les amendements que vous présenterez au nom de la commission des affaires sociales respectent l'équilibre du projet de loi, tout en l'améliorant sur certains points.

C'est dans cette optique que mon collègue Alain Milon et moi-même défendrons quelques amendements. Il est indiqué, dans l'exposé des motifs du projet de loi, qu'un nouveau critère d'appréciation de la situation de l'enfant sera inscrit dans le code de l'action sociale et des familles, celui de son développement physique et intellectuel. Il nous semble important de rappeler ce critère à l'article 375 du code civil et de viser également le développement affectif et social de l'enfant.

En outre, nous proposerons des modifications tendant à renforcer la prise en compte de l'intérêt de l'enfant. Nous demandons, notamment, que l'anonymat du lieu d'accueil de l'enfant puisse être décidé par le juge.

Il y a peu, j'ai invité les membres de la Délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes à venir à Dunkerque, afin de visiter des centres d'accueil pour mères célibataires. Les directeurs de ces centres nous ont fait part de la difficulté de gérer les situations créées par des conjoints violents qui viennent, jusque dans les établissements, menacer femmes et enfants. Ils ont beaucoup insisté sur la nécessité, dans certains cas, de taire le lieu d'hébergement. C'est là une mesure sage, qui peut s'appliquer à l'hébergement des enfants en danger.

Cela étant, je pense sincèrement que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui va dans la bonne direction. Il met, ce qui est très important, l'enfant au centre du dispositif : c'est toujours son intérêt qui est pris en considération, et l'accent a été mis sur la prévention.

La prévention a pour finalité de venir en aide aux enfants et à leur famille. Le texte instaure cette démarche préventive de manière précoce, avant même la naissance de l'enfant, et c'est une très bonne chose.

Une femme enceinte, une future maman a souvent besoin d'écoute et de conseils. Elle a parfois besoin de prendre conscience qu'une nouvelle responsabilité va bientôt peser sur ses épaules. Il faudra qu'elle prenne soin de son enfant, et ce même si elle connaît de graves difficultés sociales, économiques, sentimentales ou affectives. Être parent, cela s'apprend, cela se prépare. Il faut être sûr de soi, avoir assez de confiance en soi pour toujours faire preuve d'autorité, mais aussi d'affection.

Quelle que soit la situation familiale, l'enfant aime ses parents et a besoin d'eux. C'est pourquoi le projet de loi privilégie le maintien de l'enfant au sein de son foyer. Bien évidemment, lorsque cela n'est pas possible, il prévoit de permettre au procureur de la République de fixer les modalités du droit de correspondance, de visite et d'hébergement pour les parents.

Toutefois, si le lien avec les parents est primordial, celui avec les frères et soeurs n'est pas moins important. J'insiste donc sur la nécessité de ne jamais faire voler en éclats les fratries par une séparation trop brutale. Si l'enfant est placé hors de sa famille, le lieu d'accueil doit permettre le maintien des liens entre les frères et soeurs.

Je souhaiterais également aborder le problème du partage des informations entre les acteurs de la protection de l'enfance. J'ai moi-même été assistante sociale pendant de nombreuses années, et je continue à rencontrer régulièrement des travailleurs sociaux. Je constate avec regret que la situation n'a pas évolué depuis très longtemps. Les familles rencontrent de multiples intervenants : le département, la caisse d'allocations familiales, le centre communal d'action sociale, l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse, le médecin généraliste, parfois l'hôpital, et j'en passe... Chacun d'entre eux connaît des bribes de l'histoire familiale, mais ils n'échangent jamais leurs informations ou leurs impressions, et ils ne mènent pas d'actions en commun.

À cet égard, je salue l'initiative du Gouvernement d'autoriser le partage des informations couvertes par le secret professionnel, sous certaines conditions. Cependant, il appartient aussi aux travailleurs sociaux, aux assistants maternels, aux professeurs, aux élus locaux de prendre conscience de l'intérêt de travailler en bonne entente, dans le respect de la vie privée de la famille et, surtout, dans l'intérêt de l'enfant. Je pense que la formation initiale et continue des professionnels doit être fondée, en partie au moins, sur un socle commun. Chacun doit avoir une bonne connaissance du rôle de l'autre.

Bien évidemment, je ne puis qu'approuver la création d'une cellule départementale de recueil des informations. Cette mutualisation est indispensable. En toute logique, les professionnels seront tenus informés, en retour, des suites données à leurs actions.

Comme nombre des membres de cette assemblée, je suis maire d'une commune. Je connais la situation familiale de certains de mes concitoyens, parce qu'ils viennent se confier à moi et me demandent des conseils. Confrontés à la multiplicité des acteurs et au dédale des organigrammes administratifs, ils cherchent le soutien d'une personne de confiance, et le maire peut parfaitement jouer ce rôle. Toutefois, si l'élu accepte de signaler les familles en difficulté afin de leur venir en aide, il est bien normal qu'il soit tenu informé des solutions qui ont été apportées.

En conclusion, je souhaiterais aborder le thème qui nous préoccupe tous, celui des moyens financiers.

Le projet de loi réformant la protection de l'enfance est ambitieux, et je ne peux qu'approuver les dispositions qu'il contient. Je souhaite simplement que tout soit mis en oeuvre pour permettre un travail efficace de l'ensemble des travailleurs sociaux. Cela étant, ayant écouté avec attention votre intervention, monsieur le ministre, j'ai compris que le financement était prévu ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le texte que nous nous apprêtons à examiner n'est malheureusement pas à la hauteur des attentes.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Ah !

M. Guy Fischer. Nous le regrettons.

Pourtant, la protection de l'enfance est une question grave, qui met en jeu l'avenir, le nôtre et celui de nos enfants. C'est pourquoi des réformes étaient attendues de longue date.

Les acteurs de terrain témoignent tous de situations individuelles de plus en plus complexes, et parlent souvent de leur sentiment d'impuissance devant un dispositif lui-même tout aussi complexe.

Depuis des années, une réflexion est menée autour de la question des missions de la protection de l'enfance. Les évolutions ont été notables, en particulier avec l'affirmation progressive d'une logique d'accompagnement des familles et des parents. Cette logique de soutien tend à s'imposer comme l'une des missions premières de la protection de l'enfance, ce qui permet, de façon positive, d'associer les parents aux diverses actions menées.

Néanmoins, beaucoup de chemin reste encore à parcourir, d'autant que l'on voit apparaître de nouvelles situations de danger pour les enfants et les jeunes.

À cet égard, j'évoquerai, par exemple, le sort dramatique réservé actuellement aux mineurs étrangers isolés. Sur ce point, le débat qui vient de s'achever ici même sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration ne peut que nourrir plus encore nos inquiétudes.

Je pourrais aussi évoquer le danger que peuvent représenter l'Internet ou la télévision pour des enfants qui sont aujourd'hui en permanence sollicités par les médias, et qui y sont parfois exposés plus qu'ils ne devraient l'être.

La protection de l'enfance est sans cesse à redéfinir et à questionner, c'est pourquoi la mise en place d'une grande concertation nationale avait été accueillie, y compris par nous, de façon tout à fait favorable, d'autant que l'on assiste à une dégradation sans précédent des conditions de vie de nombre de familles. Les difficultés économiques, liées au chômage et à la précarité des emplois, se conjuguent avec des problèmes de logements, avec des difficultés d'intégration scolaire ou culturelle, ou bien encore avec des problèmes de santé.

L'explosion de la précarité, l'aggravation des inégalités ne font que conforter nos préoccupations. Ces fragilités économiques et sociales dépassent largement les enjeux de la protection de l'enfance, bien évidemment, mais les travailleurs sociaux, les médecins, les infirmières, les sages-femmes, les psychologues, les pédopsychiatres, les juges pour enfants et toutes les personnes qui agissent au quotidien pour la protection de l'enfance se trouvent en permanence sollicités.

Dans tous les cas, les acteurs de terrain ont vu le champ de leurs missions s'élargir, alors que leurs moyens décroissaient. Il est regrettable, en particulier quand on observe à quel point ils font preuve de dévouement et de motivation dans leur travail, de constater comment ces acteurs de terrain se trouvent aujourd'hui soumis à une telle urgence sociale.

Alors que tout le monde attendait une loi-cadre ou une loi d'orientation sur la protection de l'enfance, corrigeant les archaïsmes législatifs et répondant aux nouvelles situations de danger, on doit se contenter aujourd'hui de ce texte, comportant seulement seize articles,...

M. Philippe Nogrix. Seize articles, c'est bien ! Bravo !

M. Guy Fischer. ...d'où notre étonnement et notre déception.

Personne n'ignore, par ailleurs, que ce texte est en lien direct avec le projet de loi de prévention de la délinquance, qui a été annoncé par M. Sarkozy et dont l'examen aura lieu à l'automne.

M. Louis de Broissia. Procès d'intention !

M. Guy Fischer. Nous savons que bon nombre de dispositions qu'il contient risquent tout simplement de perdre leur sens et leur portée si M. le ministre de l'intérieur va au bout de son projet sécuritaire. (M. Philippe Nogrix lève les bras au ciel.)

Nous avons lu l'avant-projet, monsieur Nogrix ! Le Gouvernement se laisse aller à une véritable dérive au regard des missions de la protection de l'enfance.

M. Guy Fischer. Nous savons à quoi nous en tenir quant aux orientations de la majorité, monsieur le ministre, en matière d'action sociale.

M. Roland Muzeau. C'est vrai !

M. Guy Fischer. Eu égard à certaines des dispositions de ce projet de loi, c'est, une fois encore, la logique sécuritaire et répressive qui prime sur les actions sociales d'accompagnement et de soutien.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas vrai !

M. Guy Fischer. Ce texte, au vu des intentions qui le sous-tendent, s'inscrit dans le droit fil de la loi pour l'égalité des chances ou de la loi de programmation pour la cohésion sociale. Il s'inscrit aussi pleinement dans la logique des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Louis de Broissia. Il n'a pas lu le texte !

M. Guy Fischer. Une fois encore, avec ce texte, vous développez les amalgames entre pauvreté, délinquance, immigration, fraude, chômage... (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Nogrix. C'est vous qui faites des amalgames !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Laissez-le parler !

M. Guy Fischer. Nous y reviendrons, monsieur Nogrix !

M. Louis de Broissia. Qui veut envoyer les enfants dans les casernes ?

M. Guy Fischer. Vous aggravez la culpabilisation et les mesures répressives à l'encontre des populations les plus en difficulté,...

M. André Lardeux, rapporteur. Il exagère, quand même !

M. Guy Fischer. ...et vous niez les problèmes sociaux, ainsi que les conséquences économiques dramatiques du libéralisme.

Au contraire, les explications comportementalistes vous séduisent bien davantage. Elles sont, à vos yeux, un bon outil pour mettre en place votre politique de pénalisation de la misère, inspirée du modèle anglo-saxon.

Quand on sait que la majorité actuelle s'est battue pour imposer le contrat de responsabilité parentale et accroître les pouvoirs des maires, quand on sait que l'application des mesures de contrôle des bénéficiaires de l'aide sociale a pris, ces derniers mois, une ampleur sans précédent, quand on sait aussi qu'est envisagée une réforme de l'ordonnance de 1945, laquelle avait donné la primauté aux mesures éducatives sur les mesures répressives visant les mineurs, comment ne pas s'inquiéter de la rupture du secret professionnel,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne peut pas dire cela !

M. Guy Fischer. ...ou encore de l'accroissement des prérogatives des présidents des conseils généraux ?

M. Louis de Broissia. Oh là là !

M. Guy Fischer. Certains des articles que nous allons examiner constituent ainsi de véritables menaces pour les droits des familles et le respect des libertés individuelles. Nous les examinerons avec la plus grande vigilance.

Cependant, nos réserves à l'égard de ce texte ne s'arrêtent pas là. En effet, nous sommes tout aussi inquiets en ce qui concerne le financement du dispositif,...

M. Guy Fischer. ...que ce soit, d'ailleurs, à l'échelon national ou à l'échelon départemental.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La gauche n'a jamais été inquiète en matière de financement !

M. Guy Fischer. Vous annoncez, s'agissant de ce projet de loi, un financement de 150 millions d'euros sur trois ans, dont 115 millions d'euros seront à la charge des conseils généraux. Si cela équivaut à 3 000 créations de poste, cela ne permettra même pas de couvrir la moitié des moyens humains qu'il faudrait allouer en urgence à la protection de l'enfance, moyens que ce secteur réclame depuis des années.

Quant aux départements, ils se trouvent encore une fois fortement sollicités,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le RMI !

M. Guy Fischer. ...sans qu'aucune garantie ne soit apportée en termes de compensation intégrale par l'État. Vous avez certes affirmé que cette compensation serait assurée, monsieur le ministre, mais nous savons ce qu'il en est de la compensation intégrale, pour les départements, des dépenses liées au dispositif du RMI...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ça, ce n'était pas nous ! C'était la politique de gauche !

M. Guy Fischer. Or chacun ici connaît la situation financière des départements français, auxquels l'État est redevable. Comment vont-ils supporter une augmentation de charges fixée, a minima, à 115 millions d'euros ?

Au regard des besoins auxquels il faudrait immédiatement répondre, la faiblesse de l'engagement de l'État, qui atteint seulement 35 millions d'euros, nous paraît inacceptable.

Certains domaines de la protection de l'enfance sont même totalement sinistrés. C'est le cas de la psychiatrie, par exemple, littéralement étranglée, depuis plusieurs années, par la majorité actuelle : on sait qu'il faut parfois, aujourd'hui, plusieurs mois, voire une année, d'attente, avant qu'un enfant puisse bénéficier d'un soutien psychiatrique véritable. Il en va de même pour les services médicaux, ou encore pour les centres d'accueil, qui ne peuvent plus assurer une continuité de service pendant les week-ends ou les vacances, faute de personnel.

Dans ces conditions, ce projet de loi nous apparaît bel et bien comme un texte d'affichage, d'opportunisme politique, ne traduisant aucune réelle prise en compte des attentes du milieu de la protection de l'enfance.

De toute façon, au-delà des intentions que vous affichez monsieur le ministre, les moyens n'y sont pas. Et l'on ne peut pas parler de protection de l'enfance sans donner les moyens de faire efficacement de la prévention.

On ne peut pas parler non plus d'accompagnement des enfants et de leurs familles tout en réduisant, comme c'est le cas chaque année depuis quatre ans, les budgets des administrations dont c'est le métier.

Par exemple, la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale est progressivement pillée. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.) De même, l'école, premier lieu de prévention, voit ses moyens en personnel être réduits chaque année, et le couperet de la décentralisation, qui peut tomber à tout moment et qui lui ferait supporter la charge des personnels sociaux ou de santé, pèse toujours au dessus de sa tête.

Plus encore, le grave problème de l'iniquité territoriale se pose avec les diverses lois de décentralisation. C'est d'ailleurs ce qu'avait souligné Claire Brisset dans son rapport en 2005. D'un département à l'autre, les droits en matière de protection de l'enfance ou de structures d'accueil sont très loin d'être les mêmes. Cette discontinuité territoriale est, à nos yeux, une grave mise en cause des fondements de notre société, et nous serons amenés une fois encore à la dénoncer au cours des débats.

Nous avons, monsieur le ministre, une vision bien différente de la politique en matière de protection de l'enfance. Selon nous, si l'on constate une augmentation des signalements d'enfants en danger ces dernières années, et si les acteurs de terrain témoignent d'un accroissement du nombre de situations particulièrement difficiles, c'est principalement parce que la politique libérale de votre majorité produit de la pauvreté et des inégalités.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Guy Fischer. Cette politique de désolidarisation accroît les situations de danger, dont les enfants sont les premières victimes. Il y a un lien entre le chômage, la précarité de l'emploi et la réduction des interventions de l'État.

Dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi ne nous semble donc pas acceptable.

Il conduit à une surabondance législative, alors qu'il faudrait au préalable donner aux administrations les moyens d'appliquer les textes existants. Le problème principal demeure tout de même celui des moyens financiers et des moyens en personnel, et, dans ce texte, rien n'est fait pour y répondre.

Certaines des dispositions sont des avancées attendues depuis longtemps sur le terrain. Mais, dans l'ensemble, le texte n'a rien de novateur, et ne répond nullement aux questions soulevées lors des nombreuses concertations organisées l'an passé. Nous en avons eu le témoignage lors des auditions.

Une vraie réforme était attendue, soutenue par un engagement déterminant de la part de l'État. On en est loin avec le texte qui nous est présenté aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Gisèle Printz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix. (Applaudissements au banc des commissions - Mme Marie-Thérèse Hermange et M. Louis de Broissia applaudissent également.)

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur d'intervenir au nom du groupe UC - UDF, sur un thème qui m'est cher à de nombreux titres.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et que vous maîtrisez très bien !

M. Philippe Nogrix. C'est la conscience de ce que je dois à une enfance heureuse dans une famille unie qui m'a amené à m'investir tout particulièrement dans la prévention et la lutte contre l'enfance en danger. Tout en effet se joue, tout en effet se noue dans les premières années de la vie. Ce sont elles, et l'environnement privilégié que j'ai eu le bonheur de connaître alors, qui ont nourri mes rêves, mes ambitions, mes désirs et mes envies. Je dois tout à ce cadre stable et équilibré qu'était la famille de mes jeunes années, qui a fourni le moteur et le carburant nécessaires à la découverte et à la construction de ma vie d'adulte.

C'est reconnaissant de cette chance que je me suis investi dans ce domaine au sein du conseil général d'Ille-et-Vilaine dans un premier temps, puis auprès du Groupement d'intérêt public « Enfance maltraitée », que j'ai l'honneur de présider depuis 2002.

Parce que les évolutions qui parcourent notre société et notre époque menacent les équilibres familiaux, parce que bien souvent les enfants font les frais de décisions et de situations sur lesquelles ils n'ont qu'une emprise limitée, l'adaptation de la protection de l'enfance au nouveau contexte sociétal était nécessaire.

L'intérêt supérieur de l'enfant qui tient lieu de fil rouge au projet de loi, la nouvelle culture du travail en commun qu'il établit entre les départements, les services de l'État et l'autorité judiciaire, la famille réhabilitée comme pivot de la prévention sont autant d'éléments qui parlent à ma sensibilité et à mon expérience.

Cette réforme de la protection de l'enfance était - ce n'est pas peu de le dire - pour le moins attendue. Aucune mesure d'envergure de politique publique n'avait été envisagée depuis l'importante loi de juillet 1989.

Et pourtant le besoin d'un toilettage, d'un aggiornamento plus que d'un bouleversement s'était fait sentir à plusieurs reprises pour tendre à davantage d'efficacité. Les acteurs appelaient à un décloisonnement, à une véritable mise en réseau des intervenants et des informations recueillies. Il importait également de mettre à l'unisson l'État, les collectivités locales ainsi que les interventions judiciaires et administratives à la lumière des dernières lois de décentralisation et des besoins qui se faisaient sentir sur le terrain. La protection de l'enfance fait l'objet d'attentions, de dispositions et de budgets importants, mais il y avait, nous le savons, moyen de « resserrer les mailles du filet » pour pallier les « failles en termes de repérage et de signalement », comme le rappelle notre collègue Lardeux dans son excellent rapport. Le défaut de coordination déploré sur le terrain trouve ici une réponse intéressante dans un projet de loi qui mérite un accueil bienveillant.

J'examinerai tout d'abord la forme. Le choix de la méthode retenue honore le Gouvernement et vous particulièrement, monsieur le ministre. Je suis d'autant plus heureux de le reconnaître et de le saluer que j'ai pris la liberté de manifester mon mécontentement à cette même tribune lorsqu'il s'agissait, sur un autre texte, de passer « à la hussarde ». Le temps qui a été pris pour la concertation fait honneur à notre démocratie, à notre Parlement, aux conseils généraux qui ont joué le jeu, et aux acteurs que vous avez rencontrés au cours de l'élaboration de ce projet de loi.

Pour ma part, je regrette que vous n'ayez pas pu être signataire de ce texte, la signature étant réservée au Premier ministre et au ministre de la santé. Mais je suis sûr que cette loi restera votre loi. La concertation que vous avez développée a permis de retrouver certaines des préconisations contenues dans le rapport de mon collègue Louis de Broissia sur l'amélioration de la prise en charge des mineurs protégés et dans celui que j'avais eu le plaisir de vous remettre sur l'amélioration de la procédure de signalement de l'enfance en danger.

J'en viens à présent au fond pour souligner les éléments de clarification qui répondent positivement à certaines des préoccupations qui étaient les miennes.

Il faut commencer par le préalable des préalables, à savoir la redéfinition, à l'article 1er, de la protection de l'enfance et la substitution, à l'article 2, de la notion de « mineur en danger » à celle, beaucoup plus restrictive, de « mineur maltraité » retenue par la loi de 1989. Le code civil et les appréciations forgées empiriquement l'ont emporté, et c'est tant mieux !

L'idée du « mineur en danger » permet en effet de couvrir tout le spectre des situations pouvant physiquement ou moralement atteindre un enfant, y compris et surtout de façon préventive. La formulation retenue mettra un terme aux nuances d'appréciation entre l'intervention judiciaire et l'intervention administrative. L'harmonisation de la définition des situations de danger susceptibles de provoquer une intervention donne enfin cette lisibilité attendue par les acteurs et par les familles.

La première cible des modifications introduites par la réforme, le coeur du dispositif, est la famille, son accompagnement et la prévention des difficultés qu'elle peut rencontrer. C'est une excellente chose. L'idée selon laquelle les liens et les responsabilités familiales ne doivent être altérés qu'en dernier recours est respectée.

Cette attention apportée à l'accompagnement familial se retrouve dans l'effort tout particulier exercé en termes de prévention.

La prévention telle qu'elle s'exerçait jusqu'à présent visait des publics ciblés, déterminés, stigmatisés. Sa vocation la faisait davantage ressembler à un traitement curatif plutôt qu'à un repérage et à un « court-circuit » des situations à risque. De ce point de vue, l'introduction d'un mode de prévention, ouvert à toutes les familles et mobilisant les compétences familiales, est une excellente chose. Tout ce qui concourt à multiplier les occasions de contact entre les familles et les professionnels va dans le bon sens, qu'il s'agisse des services de PMI, qui voient s'élargir par votre projet de loi leurs compétences initiales, ou des bilans et examens faits à l'école, qui sont enrichis d'un volet concernant le développement social de l'enfant et son environnement familial.

On retrouve l'effort accompli en direction des familles dans la diversification entre action éducative à domicile et placement. La consolidation législative d'initiatives menées dans les départements obéit à une démarche pragmatique. Ces initiatives renforcent les capacités familiales et inscrivent les parents et l'enfant dans des réseaux de proximité, permettant ainsi de répondre à des problématiques familiales multiples et spécifiques.

À la lumière des articles 12 et 13 qui créent respectivement une nouvelle forme d'éducation à domicile - l'aide à la gestion du budget familial - et de nouvelles modalités de placement - placement exceptionnel ou périodique, ou encore hébergement à temps partiel -, le projet de loi diversifie les prestations dans le champ administratif et le champ judiciaire.

L'objectif à terme est celui de l'individualisation des réponses en fonction des caractéristiques et des besoins de chaque situation familiale et de ses évolutions. C'est la piste ouverte, selon nous, par l'article 11 du projet de réforme, qui formalise le document « d'engagements réciproques » élaboré avec la famille. Là encore, vous avez mis l'enfant et le bien de l'enfant au coeur des interventions qui seront mises en oeuvre, qui seront évaluées régulièrement, et dont la continuité sera assurée.

L'efficacité à attendre de la réforme en matière de signalement va dans le bon sens.

Le dispositif départemental de signalement des enfants en danger est réformé : des cellules opérationnelles départementales de recueil des informations préoccupantes sont créées et la procédure de saisine de l'autorité judiciaire est rationalisée. Ce changement était préconisé dans le rapport de 2005 de l'ONED, récemment créé. Le système actuel de signalement, qui repose sur deux entrées possibles dans le dispositif de protection, induit en effet plusieurs difficultés : l'absence de lisibilité pour les intervenants et les familles, et l'absence de suivi social de certaines situations, ignorées par le président du conseil général ou classées sans suite par le parquet.

Dorénavant, on trouvera dans chaque département, sous l'égide du président du conseil général, un lieu facilement identifiable par tous pouvant devenir un lieu « ressource » pour les professionnels du département. Le recueil des informations permettra le suivi des décisions pour chaque situation d'enfant protégé et sera en quelque sorte le contrôle de qualité du bon fonctionnement du service. On attend également de l'existence d'un interlocuteur unique la possibilité pour le département d'établir des partenariats avec les institutions qui dépendent de l'administration centrale, justice, éducation nationale, services de police ou de gendarmerie. La formulation retenue d'« informations préoccupantes » et la transmission de l'information aux familles répondent à une double logique de prévention, qui couvre un large champ et, parallèlement, respecte les droits et les intérêts des familles.

Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance adossés à ces cellules opérationnelles me semblent aller dans le bon sens, d'autant que la mesure correspond à une demande exprimée elle aussi à de nombreuses reprises par l'ONED. Cette mesure permettra notamment d'avoir une vue d'ensemble statistique en traitant et en « digérant » l'ensemble des données qui proviendront des cellules opérationnelles. Ce sera un outil précieux d'expertise, mis à la disposition du département pour piloter l'offre, comme le suggère la mission qui lui est confiée d'élaborer des propositions d'amélioration des dispositifs.

Le secret professionnel partagé est une condition du succès de l'introduction de ce nouveau contexte. Le contournement de sa lettre permet d'en préserver l'esprit. Les cellules opérationnelles n'ont d'intérêt que par le partage des informations qui les alimentent. Pour qu'elles fonctionnent de façon satisfaisante, il est indispensable que les professionnels puissent y participer sans risquer de voir leur responsabilité pénale engagée. Partager un secret met en oeuvre la responsabilité professionnelle : l'encadrement dont il fait ici l'objet et l'information des titulaires de l'autorité parentale paraissent offrir des garanties satisfaisantes. Encore qu'il soit permis de se demander si la formule « personnes participant aux missions de protection de l'enfance » désigne assez clairement, en l'état, les professionnels habilités à partager cette information et s'il ne serait pas nécessaire d'apporter quelques précisions sur leurs qualités.

Ces mesures, dans leur ensemble, affirment et confirment le rôle pivot donné au président du conseil général au sein du dispositif départemental de signalement, et c'est bien ainsi. Elles ont également le mérite de s'inscrire dans une clarification globale des rôles impartis respectivement aux services sociaux et à l'action judiciaire. La réaffirmation du caractère subsidiaire de cette dernière et la clarification des conditions de son intervention permettront de réduire la tendance à la judiciarisation de la protection de l'enfance et d'articuler au mieux ces deux volets complémentaires qui ressortissent de logiques différentes.

Je terminerai en exprimant quelques nuances et en portant une attention particulière au perfectionnement de la réforme que vous avez élaborée, monsieur le ministre. Le texte qui nous est soumis, au-delà de sa nature et de sa vocation consensuelle, appelle sinon des réserves, au moins des remarques qui peuvent inquiéter.

Tout d'abord, la question de la formation est essentielle. En effet, le succès de la réforme dépend de la capacité des professionnels à détecter, à analyser et à rendre compte des situations à risque. L'élargissement de la cible de la formation opérée par le projet de loi va évidemment dans le bon sens.

Au-delà, la mise en oeuvre de la réforme pourrait cependant se heurter à certaines réalités statistiques. On le sait, cela a été rappelé au cours des auditions de la commission, les services de la PMI connaissent des difficultés de recrutement, notamment de médecins. Il importe d'imaginer des solutions adaptées.

De même, il faut entamer immédiatement une concertation avec les régions, en charge de la formation professionnelle, pour que les places offertes, notamment en école d'infirmières, répondent aux besoins, qui restent énormes en la matière.

La question se pose également pour les conseillers en économie sociale et familiale, dont le nombre semble avoir été sous-évalué par le Gouvernement, et qui sont pourtant l'une des clés de la réussite des nouvelles interventions proposées dans le projet de loi.

J'attire votre attention, monsieur le ministre, sur l'importance du guide des bonnes pratiques qui sera élaboré sous la responsabilité de votre ministère - et je demande au président About de veiller à ce que sa rédaction soit rapide, conforme à la concertation engagée et au contenu des débats de notre assemblée.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous y veillerons !

M. Philippe Nogrix. L'un des objets de la réforme est de coordonner, d'harmoniser, de fournir des référentiels communs pour unifier les pratiques nées des nécessités du terrain. Ces jalons ne trouveront leur concrétisation que si les pratiques et les indicateurs sont réellement partagés. D'où l'importance de l'élaboration de ce guide, ne serait-ce que pour éviter l'engorgement des cellules de signalement. Là encore, la méthode de la concertation s'imposera pour assurer la réussite de votre réforme et l'ONED pourra être un bon centre d'expertise et d'accompagnement.

Pour ce qui est de l'absence d'obligation pour le parquet de transmettre au président du conseil général les signalements qu'il reçoit en provenance des particuliers, l'amendement proposé par la commission, qui vise à assurer une transmission systématique, nous semble parachever la réforme. L'association de l'ordre des avocats et du bâtonnier gagnera sans doute à être incluse dans les démarches successives pour donner plus de poids aux droits de l'enfant et à la défense des parents qui, parfois, sont faibles.

Enfin, je joindrai ma voix aux inquiétudes qui se sont exprimées par ailleurs concernant le texte sur la prévention de la délinquance.

Si nous nous réjouissons que l'intérêt de l'enfant soit le « fil rouge » de la présente réforme, nous redoutons que le texte du ministre de l'intérieur ne nuise à sa visibilité et à sa lisibilité. Nous réclamons, à ce stade, des garanties contre le risque d'instrumentalisation de la protection de l'enfance au service de la prévention de la délinquance.

Deux sujets différents, des acteurs différents, donc des professionnels et des modes d'intervention différents : les enjeux n'étant pas du même niveau, ni de la même qualification, méfions-nous, monsieur le ministre, des amalgames ! Restons vigilants sur la communication qui sera faite à propos de votre texte !

Pour conclure, au nom du groupe UC-UDF, je voudrais vous dire notre satisfaction d'avoir à nous prononcer sur le projet de loi qui nous est présenté,...

M. Philippe Nogrix. ...éclairé par le rapport très documenté et rédigé avec talent de notre collègue André Lardeux, dans lequel figurent les points essentiels à une bonne interprétation.

Vous l'avez compris, les membres du groupe UC-UDF voteront ce projet de loi, car il modernise et actualise la protection de l'enfance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.

Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France s'est dotée de l'une des meilleures législations pour protéger ses enfants.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

Mme Claire-Lise Campion. Pour autant, le système reste perfectible, les défaillances des mécanismes de repérage sont réelles, les affaires récentes et le nombre toujours important d'enfants en souffrance en attestent malheureusement.

Parallèlement, le seuil d'intolérance de notre société à ces situations s'est élevé, et cela va dans le bon sens.

En effet, l'évolution du monde actuel et la diversification des modèles de représentation de la famille ont entraîné une nouvelle perception des rapports entre parents, enfants et professionnels.

Désormais, la priorité est la valorisation des compétences parentales, dont l'exercice doit être soutenu. L'approche doit prendre en compte l'enfant dans la globalité de son environnement et rechercher, dans la mesure du possible, l'adhésion des parents.

Bien que différents et complémentaires, les très nombreux rapports rédigés depuis plusieurs années affirment une même exigence : c'est très en amont d'une situation de crise ouverte qu'il est indispensable de donner aux parents des repères, des appuis et des outils pour qu'ils puissent exercer leurs missions librement et avec toute leur responsabilité.

Depuis les lois de décentralisation, ce sont les départements qui sont chargés de la politique de la protection de l'enfance. Cette décentralisation a été une réussite. En quinze ans, le budget a été multiplié par deux, pour atteindre 5 milliards d'euros en 2005, alors que le nombre d'enfants confiés a reculé. Corrélativement, les inégalités entre les départements ont même eu tendance à diminuer.

Pour autant, d'après les statistiques de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, les départements ont reçu, en 2004, environ 84 000 signalements d'enfants en danger et le taux de judiciarisation est en croissance constante. Il est donc apparu nécessaire de proposer une clarification des compétences des différents intervenants.

Après plusieurs mois de débats, le projet de loi sur la protection de l'enfance a été déposé au Sénat le 5 mai dernier. Très attendu par les professionnels, par les familles et par les élus, ce texte, qui fait l'objet d'un consensus, établit un dispositif en trois points : renforcer la prévention, en multipliant les points de contact entre l'enfant, sa famille et les professionnels ; organiser le signalement, afin qu'il soit utile et pertinent ; diversifier les modes de prise en charge, pour que les enfants bénéficient de la solution la plus adaptée à leur situation.

Le président du conseil général est confirmé chef de file, avec la réaffirmation des missions déjà dévolues par la loi de 1989 que je viens d'évoquer.

Ce projet de loi semble équilibré. C'est désormais au président du conseil général qu'est confié le recueil des informations préoccupantes qui seront évaluées et traitées au sein des cellules opérationnelles. La cellule départementale de recueil des signalements aura l'avantage de constituer un lieu facilement identifiable pour tous les intervenants susceptibles de signaler une situation de danger.

Le regroupement des informations devrait permettre, pour une même situation, d'améliorer l'évaluation de la prise de décision et du suivi de l'enfant. Il faut, en effet, éviter que ne perdurent des situations encore trop fréquentes dans lesquelles des signalements effectués directement à l'autorité judiciaire, classés sans suite pour des raisons de procédure, ne font l'objet d'aucun retour vers les services de l'Aide sociale à l'enfance, l'ASE, obérant ainsi toute possibilité d'intervention sociale auprès des familles concernées.

Les compétences judiciaire et administrative ne s'opposent pas, mais se complètent. Cependant, je regrette que le projet de loi n'ait pas maintenu les trois possibilités de saisine de l'autorité judiciaire, telles qu'elles étaient prévues dans l'avant-projet.

Dans la version que vous nous présentez, il ne reste plus que deux critères : lorsque l'enfant est en danger et que les réponses mises en place par le département sont insuffisantes, lorsqu'il y a impossibilité d'évaluer la situation, ou refus de collaboration manifeste de la part de la famille.

Mais nous aurons l'occasion de revenir de façon plus précise, au cours de la discussion, sur l'ensemble du dispositif. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais m'attarder quelques instants sur les interrogations, les craintes suscitées par votre projet de loi et, plus globalement, par la politique du Gouvernement dans ce domaine.

Mes observations se concentreront sur quatre points : l'absence d'orientation sur la famille, les manques de ce projet de loi, les aspects financiers et le télescopage de deux textes antinomiques.

Vous-même, monsieur le ministre, en prenant toutes les précautions afin de parer aux éventuelles remarques sur le manque d'envergure de ce texte, avez reconnu à Angers, en avril dernier, que cette réforme était largement en deçà de ce qui était annoncé.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Ah bon ?

M. André Lardeux, rapporteur. Je n'ai pas lu cela dans la presse !

Mme Claire-Lise Campion. Effectivement, lorsque l'on comptabilise les rapports, les missions, le travail des départements, la mobilisation des professionnels, l'appel des cent, force est de constater qu'il ne s'agit pas de la loi refondatrice de la protection de l'enfance tant attendue.

Nous regrettons l'absence d'innovation et d'orientation de ce texte, dont la portée reste trop limitée.

Donnant une sécurité juridique à des pratiques qui existent déjà, il demeure insuffisant si l'on veut modifier les comportements et envisager de nouveaux moyens d'action.

Par exemple, mettre la prévention au coeur du dispositif nécessite un changement d'orientation, qui implique que la protection de l'enfance soit associée à une véritable promotion de la famille par la garantie de droits fondamentaux dans des domaines très concrets, tels l'emploi, le logement, l'éducation ou la santé.

Elle exige également une mobilisation de l'ensemble des partenaires et non de la PMI seule... sauf à dire que la prévention spécialisée n'existe pas, ou qu'il n'y a pas d'autre prévention que la prévention précoce.

Or, la prévention, c'est aussi mettre en place une politique de logement adéquate, une justice suffisamment pourvue en personnel, un système scolaire capable de répondre aux besoins.

Nous en sommes malheureusement loin. Les effectifs ne cessent de baisser. Ainsi, chaque collège devrait avoir une infirmière et une conseillère d'orientation. Qu'en est-il dans les faits ? Pour obtenir un rendez-vous avec une psychologue affectée à un collège, il faut attendre plusieurs mois. Rien dans ce projet de loi ne permet d'espérer une amélioration de la situation ; or, nous le savons tous, c'est à l'école que la souffrance d'un enfant est la mieux détectée.

Encore une fois, si nous ne saurions contester les nécessaires adaptations depuis la mise en oeuvre des lois de décentralisation, il nous faut bien relever que ce texte se contente trop de modifications à la marge, quand il y a nécessité d'instaurer une véritable politique de l'enfance.

Élus, professionnels, parents, nous espérions un texte d'orientation à la mesure du débat qui s'était engagé depuis plusieurs mois.

Hier, le CPE, l'apprentissage à quatorze ans, la convention de reclassement personnalisé : toutes ces mesures ont été vécues comme une défiance à l'égard de notre jeunesse, qui apparaît comme un risque à contenir et non comme une chance et une richesse pour notre société. La lenteur pour nommer le nouveau Défenseur des enfants, le report de la conférence de la famille en juillet sont autant d'éléments qui marquent le malaise du Gouvernement dans sa relation avec les jeunes et son manque d'ambitions pour une véritable politique familiale.

Cela m'amène à ma deuxième observation concernant les manques de ce texte. Je n'en relèverai que deux, les autres feront l'objet d'échanges lors de l'examen des amendements.

Le premier manque a trait à la protection des mineurs étrangers isolés. Aucune amélioration de leur situation n'est apportée par ce projet de loi, alors que les modifications de la loi de novembre 2003 ont porté atteinte à ces jeunes en exigeant dorénavant une prise en charge de trois ans par les services de l'ASE afin de pouvoir prétendre à une régularisation.

Le risque de voir ces mineurs entrer dans la clandestinité est réel et a plusieurs fois été dénoncé, notamment par la Défenseure des enfants.

Contrairement à ce que l'on a pu entendre en commission, ces enfants ne sont pas intégrés automatiquement dans ce texte. Ils n'ont pas le même statut. Pour ceux arrivés en France, l'État est chargé de l'accueil jusqu'à l'autorisation de séjour, condition sine qua non pour accéder à l'intégration scolaire ou à la formation professionnelle.

Le deuxième manque concerne la pérennisation des espaces rencontre parents-enfants.

Le texte intègre des dispositions relatives à l'organisation et à la prise en charge de structures dédiées à des rencontres médiatisées entre parents et enfants. Néanmoins, elles n'existent que corrélativement à la mise en oeuvre d'une mesure d'hébergement exercée par le conseil général.

Or la majorité des mesures de rencontres médiatisées est ordonnée en dehors de ce cadre, par le juge aux affaires familiales. Ces mesures, parfois indispensables afin de maintenir l'effectivité du lien parental, et garanties par la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne font l'objet d'aucune reconnaissance législative. Elles sont, de ce fait, soumises aux aléas des pratiques locales et à la fragilité des mesures de financement.

J'en viens à ma troisième observation. Ce projet de loi n'apporte ni soutien financier ni nouveaux moyens humains suffisants, alors que, lors de votre audition devant notre commission, vous vous étiez engagé à ce que l'État compense les dépenses supplémentaires pour les départements. Vous l'avez d'ailleurs confirmé dans votre propos liminaire. Nous vous proposerons donc, par un amendement, de revenir sur ce manque.

Jusqu'à présent, les conseils généraux ont fait face à leurs responsabilités. Ils ont su anticiper, souvent bien au-delà de ce qu'exigeait la législation, animés par le souci de remplir au mieux les missions qui leur étaient confiées.

Cependant, le projet de loi contient, pour ces collectivités territoriales, de nombreuses dispositions et obligations dont le coût tant financier qu'humain a été largement sous-estimé.

Le Gouvernement a évalué la réforme à 150 millions d'euros, au terme de sa montée en charge prévue sur trois ans, dont 115 millions d'euros seront supportés par les conseils généraux.

Vous avez, monsieur le ministre, par ailleurs annoncé la création de 150 postes de médecins scolaires.

Tous les partenaires sont unanimes pour reconnaître l'insuffisance de ces prévisions.

J'aurais aimé, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez de façon plus précise comment vous envisagez de financer concrètement cette maigre participation de l'État.

La branche famille affiche un déficit qui ne cesse d'augmenter, en raison, sans aucun doute, de la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, non financée.

Enfin, certaines mesures du projet de loi semblent pour le moins difficiles à mettre en place, en ce qui concerne tant le plan financier que la possibilité de trouver le personnel qualifié - M. Philippe Nogrix vient d'évoquer ce point.

L'instauration d'un référent pour chaque enfant, par exemple, apparaît comme une solution idéale.

Mais comment les conseils généraux trouveront-ils le personnel nécessaire pour mettre en oeuvre une telle mesure ? Une étude d'impact aurait été pour le moins nécessaire. Les manques dans le domaine de la pédopsychiatrie sont criants et, là encore, vos annonces ne nous laissent espérer aucune amélioration.

J'aborderai maintenant le dernier point, portant sur l'ambiguïté de la politique gouvernementale concernant la protection de l'enfance.

Le débat sur la jeunesse et la protection de l'enfance fait l'objet actuellement de deux projets de loi, issus de deux ministères différents et sous-tendus par deux philosophies diamétralement opposées.

Si le texte qui nous est présenté aujourd'hui était, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, attendu des milieux associatifs et professionnels, le projet de loi sur la prévention de la délinquance ne relève absolument pas de la même approche et suscite à juste titre de réels remous dans la classe politique et chez les spécialistes de l'enfant et de l'adolescent.

Deux conceptions s'affrontent donc au sein du Gouvernement : une conception qui fait de l'enfant un être en devenir et qui cherche à mettre en oeuvre les moyens de son épanouissement et une conception dont la préoccupation principale est la protection de la société, fondée sur le déterminisme et la traque du délinquant en devenir.

Ce ne sont pas des thèses qui se complètent, comme on voulait nous le faire croire.

Il ne s'agit pas, à mes yeux, de ne pas sanctionner un délinquant mineur. Mais un mineur en difficulté sociale, éducative ou matérielle n'est pas un délinquant potentiel. Le meilleur rempart contre la délinquance n'est-il pas d'aider chacun à entrer dans une dynamique d'insertion ?

Le projet de loi réformant la protection de l'enfance est examiné avant le projet de loi sur la prévention de la délinquance, et je m'en félicite. Cependant, il ne faudrait pas que ce dernier texte ne vienne vider petit à petit la réforme qui nous est soumise aujourd'hui.

C'est la raison pour laquelle je m'attarderai sur le secret professionnel, le bilan pour les enfants âgés de trois à quatre ans et la mesure d'accompagnement en matière économique et sociale.

Le projet de loi apporte une clarification indispensable en ce qui concerne le secret, délimite les informations susceptibles d'être partagées en fonction de leur objectif et prévoit les modalités d'information des parents.

Cependant, il aurait été plus prudent de définir les catégories socioprofessionnelles concernées.

Au cours de nos auditions, la question a été posée d'associer les maires à ce secret partagé - les maires auxquels le projet de loi sur la prévention de la délinquance accorderait, semble-t-il, une place prépondérante.

Une telle déviance provoque une réelle inquiétude. Introduire les élus au sein de ce partage du secret professionnel n'est pas raisonnablement envisageable.

Il y a à cela plusieurs raisons, la première d'entre elles étant que le maire n'a pas à être informé par principe, mais doit rester un recours conservant une certaine distance pour traiter, selon ses pouvoirs propres, de situations délicates où se mêlent vie privée et ordre public.

De plus, cette intrusion constituerait une source de complexité supplémentaire. Dans quelle mesure les professionnels pourraient-ils obtenir la confiance des familles ainsi que des enfants et instaurer un climat serein si la confidentialité n'est pas respectée ? Et même si le maire était soumis au secret professionnel, il n'en demeure pas moins que ce n'est pas sa fonction.

Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, un engagement fort afin que cette idée soit totalement écartée.

Mme Claire-Lise Campion. De la même façon, le bilan des enfants âgés de trois à quatre ans nécessitera le recours à un nombre beaucoup plus important de professionnels.

Par ailleurs, ce dépistage, ou suivi, ne doit pas devenir un outil de prévention précoce de la délinquance, en s'appuyant sur une vision déterministe des troubles du comportement du petit enfant.

Dernier point, l'article 12 du projet de loi institue une mesure d'accompagnement éducatif en matière économique et sociale exercée par les services de l'Aide sociale à l'enfance, sur demande des intéressés.

La mise en place de cette mesure est très positive et va dans le bon sens à partir du moment où elle se trouve en amont de toute mesure de tutelle.

D'ailleurs, elle est complétée par une rédaction nouvelle des dispositions relatives à la tutelle aux prestations familiales, intégrées comme un nouveau type de mesure éducative ordonnée par le juge des enfants lorsque les prestations familiales ne sont pas utilisées dans l'intérêt du mineur.

À vocation de soutien pour les parents dans l'exercice de leurs responsabilités, sans dérive vers la sanction, cette approche est diamétralement opposée au contrat de responsabilité parentale issu de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, qui, lui, instrumentalise les prestations familiales pour en faire un outil de sanction des comportements parentaux.

Une fois de plus, avec ces deux dispositifs, nous sommes face à une incohérence, sur laquelle nous vous demanderons de revenir.

En conclusion, monsieur le ministre, ce projet de loi dans sa rédaction actuelle fait l'objet d'un relatif consensus.

À mon sens, le texte n'atteint pas totalement la cible visée et ne permet pas de remédier aux discontinuités entre les partenaires. La clarification des modes de fonctionnement demeure insuffisante.

Ce texte reste donc perfectible. Aussi, nous espérons que vous accepterez les améliorations que nous vous proposerons. Monsieur le ministre, mes collègues et moi-même serons très vigilants, et nous nous opposerons à toute modification qui pourrait dénaturer l'esprit du texte. En l'état actuel du projet de loi, le groupe socialiste s'oriente vers une abstention positive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Philippe Nogrix applaudit également.)

Mme Marie-Thérèse Hermange. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous convoquez notre assemblée sur une question primordiale : notre avenir, puisque nous débattons de nos enfants.

Développer la prévention, renforcer le dispositif d'alerte, diversifier les modes d'intervention, tels sont les trois axes du projet de loi que vous nous présentez.

C'est un beau projet, une belle réforme, que je soutiens dans sa globalité. Pour cette raison, et vous le comprendrez aisément j'en suis sûre, monsieur le ministre, je n'ai déposé aucun amendement, considérant que la plupart des mesures contenues dans ce projet de loi venaient concrétiser des propositions émises dans de nombreux rapports et que les amendements qui ont été déposés par le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales permettaient d'améliorer le texte en renforçant son efficacité.

Au-delà des modalités techniques de ce projet de loi, je veux en invoquer l'esprit.

De quoi parlons-nous, en fait, lorsque nous cherchons nos mots, comme le souligne l'article 2 du projet de loi, qui passe de la situation de mauvais traitement issue de la loi de 1989 à la situation d'enfance en danger ?

En fait, ce dénominateur commun institutionnel ne fait qu'exprimer ce qui est blessure d'amour, blessure d'enfance.

Blessure d'amour, blessure d'enfance, parce qu'un père est trop autoritaire ou trop absent, parce qu'une mère est trop fusionnelle ou dépressive, parce qu'un décès brutal, un handicap ou une maladie bouleverse, parce que le foyer déserté devient tombeau, parce que la pauvreté, et avant tout la pauvreté de vie, progresse.

Nous voulons classifier en catégories tous ces « parce que », mais nous n'y arrivons pas tant ils traduisent à l'infini cette incapacité fondamentale d'aimer. Comme si je ne pouvais aimer comme je le veux, et à plus forte raison aimer mon enfant !

Qui d'entre nous ici, parcourant son histoire d'enfance ou sa mission de parent n'en a pas fait l'expérience et ne s'est pas posé la question : puisque je l'aime tant, comment se fait-il que je ne sache pas toujours ce qui lui fait mal ?

Cependant, lorsque l'expérience d'insuffisance d'amour atteint son paroxysme, retentissent rupture, désespoir, carence de soins, sévices et maltraitance.

Ils prennent l'enfant pour cible, l'atteignant dans son coeur d'homme, imprégnant en lui des blessures béantes, comme le dit Caroline : je viens de toucher le fond. Je ne suis pas au bout de mes souffrances qui rejaillissent aujourd'hui. J'avais oublié l'humiliation et le corps et le coeur blessé. Dix ans après je revois tout. Je me sens aspiré par la mort sans vouloir mourir.

Parce que vous avez pour mission, monsieur le ministre, d'alerter l'opinion publique comme la représentation nationale, c'est pour toutes les petites Caroline que vous nous présentez ce projet de loi. Car n'y aurait-il qu'une seule Caroline battue, violée, humiliée, que cette situation insupportable pour qui entend se réclamer de la race humaine nécessite une mesure de protection de l'enfance adaptée au moment adéquat.

De cela, la Haute Assemblée vous sait gré, monsieur le ministre, comme en témoigne l'excellent rapport de notre collègue Lardeux.

Il faut une mesure adaptée pour nos enfants, mais aussi pour les parents. En ce sens, les nouveaux dispositifs d'intervention prévus notamment aux articles 11, 12 et 13 du projet de loi, qui donne une dimension familiale à l'aide sociale à l'enfance, me paraissent fondamentaux. Ils rejoignent la proposition 39 d'un rapport remis au Président de la République et au Premier ministre de l'époque dans le cadre de la préparation du sommet mondial de l'ONU.

Monsieur le ministre, vous avez pour mission d'entourer et de mieux prendre en charge nos familles et nos enfants, mais également de « soigner » la grande famille des professionnels de l'enfance, sur laquelle rejaillit la souffrance des parents comme celle des enfants carencés. À ne pas être parent de ces petits enfants, peut-on se mettre dans un état de disponibilité émotionnelle totale ? À trop s'attacher l'enfant, ne s'épuise-t-on pas ? À se protéger de l'attachement, ne devenons-nous pas mécanique ?

Cette souffrance individuelle se traduit sur l'ensemble de la famille qu'est la protection de l'enfance. Comme toutes les familles, elle a des difficultés, notamment d'entente du couple entre un père - le juge - soit trop protecteur, soit trop sévère, et son épouse - l'aide sociale à l'enfance -, à laquelle il ne parle pas toujours et qui se sent reléguée au rôle d'intendance.

Ils ont des petits amis à protéger - les enfants qui leur sont confiés -, alors ils font semblant de s'aimer et élaborent des schémas départementaux.

Unis, ils le sont, mais ils sont tout autant libres, vivant chacun dans des maisons séparées, sous la tutelle lointaine de leur grand-père - le ministère de la justice - et de leur grand-mère - le ministère des affaires sociales. (Sourires.)

Comme de nombreuses familles actuelles, leurs enfants que sont les professionnels ne sont pas tous du même lit.

Quant aux pièces rapportées - éducation et santé -, elles ne sont pas du même univers social. Leurs cousines que sont les associations ne sont pas de la même lignée, mêmes si elles doivent obéir à l'autorité des parents qui les nourrissent.

En bref, c'est une famille complexe, où chacun vit à distance, enfermé dans sa maison, au nom du secret, du pouvoir qu'il détient sur les familles des petits qu'ils veulent protéger.

Alors, subsistent des enfants non protégés, maltraités, voire en danger. Nous nous interrogeons : comment comprendre ces mailles du filet, comment comprendre ces violences institutionnelles ?

Laissons parler Hervé Hamon : la circonscription observe, fait une évaluation technique assez rapide, essaie de passer à la prévention administrative qui réobserve, qui ne peut pas signer avec des parents qui ne veulent par reconnaître leur défaillance - c'est un peu l'histoire du contrat pervers - qui « refile » au judiciaire parce qu'effectivement le risque devient grand.

Comment expliquer autrement l'histoire de Pascal qui a mobilisé dix-sept intervenants et qui a effectué un parcours de huit ans avant d'arriver à l'Aide sociale à l'enfance ? Médecin de famille, directrice de l'école maternelle, médecin et infirmier de la protection maternelle et infantile, assistante sociale de secteur, psychologue du dispensaire, psychologue scolaire, éducateur de l'action éducative en milieu ouvert, l'AEMO, commandant de la gendarmerie, médecin et psychologue du centre de pédopsychiatrie, juge des enfants, et au bout de huit ans, arrivée à l'Aide sociale à l'enfance !

Des petits Pascal, toutes celles et tous ceux qui ont eu ou ont encore des responsabilités au sein des conseils généraux en connaissent beaucoup ! Ces situations inquiètent les responsables locaux comme le ministère des affaires sociales, la grand-mère du dispositif, qui continue à écrire la loi même si elle a demandé à ses filles de construire ses maisons ailleurs.

Tuteur de cette autorité, au-delà des rapports demandés, vous avez décidé, après avoir porté le diagnostic, monsieur le ministre, de poser à cette famille la même question lancinante : puisque votre mission est de les aimer pourquoi, malgré tous vos efforts, leur faites-vous mal ?

Vous y répondez en renforçant notre dispositif d'alerte et d'évaluation grâce à l'institution d'une cellule opérationnelle ayant pour mission d'assurer la visibilité du dispositif ainsi qu'une meilleure articulation entre la protection sociale et protection judiciaire de l'enfance.

Les articles 7, 8 et 10 viennent compléter ce dispositif. Ils légalisent des initiatives prises dans certains départements, notamment celle que je connais le mieux et qui a été mise en place à Paris en 1995.

Vous le savez, monsieur le ministre, j'aurais aimé que l'on aille plus loin en mettant en place la cellule opérationnelle dans tous les lieux fréquentés par les enfants. Peut-être y parviendra-t-on dans dix ans !

Toujours est-il que vous ne devez pas sous-estimer le fait que la réussite d'une telle cellule repose aussi sur les relations personnelles que tissent entre eux les différents intervenants. Dans ces conditions, l'absence de moyens humains, la mobilité de l'un des partenaires peuvent se faire ressentir cruellement, rendre le partenariat difficile, réveiller les craintes de dépossession d'un dossier administratif à l'autre.

Il vous faudra donc de la détermination pour insuffler cette nouvelle organisation, plus encore, cette nouvelle culture du savoir être et du savoir construire ensemble tant il est vrai qu'en ce domaine, comme le dit le proverbe africain, proximité des coeurs vaut mieux que proximité des cases, a fortiori quand ces cases sont administratives et impliquent des financements qui ne relèvent pas de la même compétence.

Enfin, comme tout un chacun, vous vous êtes interrogé pour savoir si notre logique institutionnelle ne conduisait pas à une prise en charge trop tardive.

Ainsi, si un certain nombre de facteurs avaient été pris en considération très en amont dans l'histoire de Pascal - les problèmes de violence dans l'enfance de son père, d'alcoolisme et d'abus sexuels de sa mère, elle-même placée en institution, l'incertitude sur la filiation de Pascal, la dépression de la mère âgée de vingt ans lors de la grossesse -, le cercle vicieux des souffrances de ce jeune garçon aurait peut-être pu en grande partie ne pas le conduire à l'Aide sociale à l'enfance. C'est donc aussi pour éviter aux 90 000 petits Pascal d'entrer dans cette déferlante que vous avez la volonté d'instiller une politique de prévention précoce.

Je veux le dire ici, il n'est pas abusif de devancer le besoin manifesté par certains parents d'être aidés à assumer leur fonction éducative. La non-intervention et l'inattention aux fragilités qui s'expriment sont dangereuses pour les enfants comme pour les parents. À cet égard, le temps de la mise au monde, le temps de l'itinéraire de la maternité sont d'une importance capitale, car ils peuvent laisser présager une vulnérabilité, réveiller une douleur méconnue, cachée et honteuse.

Selon une étude de l'INSERM, 15 % des femmes après un accouchement font non pas un baby blues, mais une véritable dépression. C'est dire qu'au confluent de plusieurs structures, le lieu et le temps de la maternité sont bien ceux qui peuvent permettre d'assurer une politique de prévention du lien parental. Tel est l'objet de l'entretien du quatrième mois et d'une plus grande collaboration entre PMI et structures hospitalières.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Pour connaître l'impulsion qui a été nécessaire à Paris pour monter ce dispositif, avec une centaine de réunions dans huit maternités, il vous faudra, là aussi, monsieur le ministre, de la détermination. Les maternités n'ont en effet pas toujours pris conscience qu'elles sont un carrefour privilégié pour cette politique, sans doute parce que les situations de maltraitance ne font pas appel aux schémas de pensée classiques ni aux pratiques que requièrent les situations médicales ordinaires.

En effet, en ce qui concerne le diagnostic, il n'y pas de marqueur thérapeutique, pas de traitement valide sur le plan préventif. La nécessité d'agir à long terme fait que l'efficacité est plus difficile à mesurer que le résultat d'un vaccin. Le professeur Frydman traduit autrement cette notion en disant que, en médecine hospitalière, si l'obstétricien peut entendre une souffrance, son approche reste organique.

C'est la raison pour laquelle, au-delà de l'inscription dans un texte et des moyens afférents à sa mise en oeuvre, il vous faudra faire preuve d'une véritable pédagogie pour insuffler ce que je nomme une politique périnatale « développementale ».

La mise en oeuvre d'une telle pédagogie serait sans doute l'occasion de faire naître l'espoir d'une culture d'enfance. C'est d'ailleurs sans aucun doute pour avoir oublié que l'essentiel du lien social et national se construit dès l'enfance dans cet espace d'accueil que nos sociétés sont aujourd'hui en souffrance.

Saint-Exupéry nous le dit autrement : « Ce qui m'émeut si fort dans ce petit prince endormi, [...], c'est l'image d'une rose qui rayonne en lui comme la flamme d'une lampe, même quand il dort ». Le musicien ajoute : « Il faut bien protéger les lampes : un coup de vent peut les éteindre ».

Au-delà de ce texte, ayons donc conscience que la meilleure mesure de prévention consiste à aimer nos enfants. Certains d'entre eux m'ont fait remarquer lors d'un colloque que j'ai récemment organisé : le seul droit que n'ont pas énoncé explicitement nos déclarations, conventions et législations, c'est le droit à l'amour. Pourtant, n'est-ce pas le premier d'entre les droits, le seul qui permet de voir l'enfant maltraité, en danger, en souffrance sous les traits d'un être humain et non d'un cas social prévu dans nos lois et nos règlements ? C'est sans doute aussi, par notre texte, ce que vous voulez nous signaler ce soir, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le ministre, on ne peut que saluer la démarche consensuelle et concertée qui a présidé à l'élaboration du projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui. Le sujet, qui est difficile, réclamait une approche respectueuse de tous les partenaires concernés. Je salue d'ailleurs le travail de M. Lardeux, qui, fort de son expérience d'élu départemental, nous proposera d'enrichir ce texte par des amendements de bon sens.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Valérie Létard. Mon intervention sera volontairement brève, car notre groupe compte dans ses rangs un expert parfaitement au fait de l'ensemble de la problématique de la maltraitance des enfants, je veux parler de M. Philippe Nogrix, président du GIPEM, le groupement d'intérêt public « Enfance maltraitée ». (MM. Louis de Broissia et Louis de Broissia applaudissent.). Avec clarté et conviction, comme à son habitude, il a présenté la position de notre groupe sur cette réforme.

Les premières lignes de l'exposé des motifs du projet de loi font référence à la nécessité pour l'État d'être le garant de la cohérence du dispositif en matière de protection de l'enfance. Le mot « cohérence » est juste. Assurer la cohérence entre les politiques menées par les différents ministères devrait en effet être l'un des objectifs prioritaires de l'action gouvernementale.

M. Philippe Bas, ministre délégué. C'est vrai !

Mme Valérie Létard. À ce mot, j'en ajouterai un autre, qui me paraît tout aussi important et qui lui est consubstantiel, c'est le mot « articulation ». Pour assurer la cohérence du dispositif de protection de l'enfance, il faut que les différentes actions menées en direction des enfants en danger ou susceptibles de l'être s'articulent les unes avec les autres.

Or, quand on regarde le panorama actuel, c'est là que le bât blesse. Sans aucunement être opposée aux nouvelles dispositions introduites dans le projet de loi, qui sont remarquables sur le plan tant de la méthode que du contenu, je m'interroge sur ce nouvel apport législatif : il va venir s'ajouter à plusieurs textes récents dont nous ne mesurons pas encore l'impact avec précision.

Je pense tout d'abord aux dispositifs de réussite éducative, instaurés par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, qui visent au développement et au soutien éducatif, culturel, social et sanitaire des enfants des quartiers sensibles. Depuis lors, l'article 48 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a instauré un contrat de responsabilité parentale rappelant aux parents leurs obligations. Ce contrat, piloté par le président du conseil général, s'il n'est pas respecté, peut entraîner la suspension du versement des prestations familiales.

Pour être exhaustive, je devrais également mentionner les outils de la politique d'accompagnement à la fonction parentale des caisses d'allocations familiales, notamment les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents et la médiation familiale, sans compter avec les efforts entrepris par l'éducation nationale pour devenir un partenaire à part entière.

En outre, nous avons en perspective l'avant-projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, qui contient lui aussi une série de mesures pour « traquer la délinquance » dès le plus jeune âge.

Convenons-en, cela fait beaucoup de textes à appliquer !

Ensuite, je regarde et j'écoute. Par exemple, dans mon département, les acteurs de terrain m'ont expliqué qu'ils seraient bien en peine de donner leur opinion sur les contrats de responsabilité parentale. Pour l'instant, ils concentrent leurs efforts sur la mise en route des dispositifs de réussite éducative, et ils s'interrogent sur la façon de les appliquer. En s'attelant d'emblée aux situations les plus difficiles, ce qui se comprend, et aux priorités ciblées par l'éducation nationale, peut-être est-on passé à côté d'un travail en parallèle qui aurait pu être davantage axé sur la prévention.

Le point positif, c'est que chacun semble avoir désormais compris qu'il ne pourra pas tout faire seul. Le partage des pratiques est en marche, et c'est une avancée considérable que votre texte facilitera grâce à ses dispositions sur le partage d'informations.

Le point négatif, c'est le risque d'empilement et de dysfonctionnement si l'articulation entre tous ces nouveaux outils et les acteurs impliqués par chacun, à un titre ou à un autre, ne se met pas en place harmonieusement.

Notre législation sur la protection de l'enfance est à l'image de toute notre législation sociale : on accumule strates sur strates avec plein de bonnes intentions. Tout cela gagnerait à être revisité afin d'élaguer les textes et de concentrer les moyens sur l'essentiel. En clair, monsieur le ministre, je serais satisfaite si, ayant confié définitivement aux départements le soin d'être les chefs de file de l'aide sociale à l'enfance, nous leur offrions la certitude qu'ils pourront travailler dans la durée avec les moyens correspondants.

Si, en utilisant la méthode partenariale que vous avez adoptée pour élaborer le projet de loi, vous vous attachiez à avancer ensuite sur la nécessaire articulation des politiques publiques qui ont été ou qui vont être mises en place en matière de prévention de la délinquance et d'action éducative, l'ensemble y gagnerait en efficacité et donnerait tout son sens à la réflexion et à l'action globale que nous devons tous mener en direction des enfants en situation de grande fragilité. Je sais que c'est ce qui vous anime, monsieur le ministre. Je vous en remercie, et j'espère que vos collègues du Gouvernement partageront cette volonté et l'orientation humaine que vous avez voulu insuffler. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Intervention concise et de qualité !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je limiterai mon intervention à trois points qui me paraissent importants.

Le premier est l'affirmation du rôle central de la famille ou, plutôt, des familles. Aujourd'hui, on ne peut plus employer un seul terme tant les structures entourant un enfant sont diverses. Il faut donc prendre en compte ces familles.

Cela étant, le champ des maltraitances à enfants ne se circonscrit pas à la famille, contrairement à ce que l'on dit trop facilement. Il ne faut pas oublier les violences en institutions, y compris celles de la protection de l'enfance, et bien évidemment les violences au quotidien imposées aux enfants dans leurs conditions de vie. Pour ne retenir que cette donnée, doit-on rappeler qu'un million, voire deux millions d'enfants vivent en France sous le seuil de pauvreté ? Leurs conditions de logements sont désastreuses, leur accès aux soins est souvent contestable, des maladies réductibles sont trop souvent propagées, et ne parlons pas des développements modernes et prévisibles de l'obésité.

Non seulement il faut lier la prévention et la protection de l'enfance, mais il faut encore promouvoir la bientraitance - à travers, par exemple, le respect des droits des enfants - et tenter de cerner ce que seront, pour la période à venir, les actions d'une bientraitance de nature à guider toute politique à développer territoire par territoire.

Cependant, la famille doit être une priorité. Il faut mettre en place une stratégie d'accompagnement des familles en ce qui concerne l'approche et l'exercice de leurs responsabilités afin d'éviter de mettre en oeuvre des dispositifs répressifs relevant de l'exorcisme et dont personne n'a pu affirmer l'efficacité jusqu'à ce jour. C'est pourquoi les réseaux d'aide à la parentalité doivent être en priorité renforcés par rapport aux dispositifs coercitifs et répressifs.

Le deuxième point consiste à dire que la protection de l'enfance relève d'une mission du service public au regard des enjeux qu'elle recouvre.

C'est le rôle de la puissance publique d'offrir la protection aux enfants qui en ont besoin. Le secteur marchand doit être fermement exclu de ce champ, comme de celui du handicap et des personnes âgées. En revanche, il convient de mieux associer les acteurs publics dépendant de l'État, le conseil général - qui devient le centre de votre dispositif - et les intervenants associatifs.

Nous devons travailler mieux que cela n'a été fait jusqu'à présent sur les articulations au quotidien entre ces différents acteurs, et ce à l'échelon tant national que local.

S'agissant du plan local, je rappelle d'ailleurs que le décret du 10 janvier 2001, dont je n'ose pas dévoiler ici le nom de la signataire, visait à une coordination locale des administrations d'État, sous l'autorité du préfet, avec le président du conseil général.

En effet, l'État doit mieux coordonner les actions de ses intervenants, qu'il s'agisse de la police, de la justice, du tribunal, de la protection judiciaire de la jeunesse, du service social scolaire, du service de santé scolaire, ou encore de la psychiatrie. Il doit également mieux combiner ses actions avec les politiques départementales.

Redonnons donc vie à cet esprit et faisons en sorte que les intervenants déconcentrés de l'État veuillent bien participer à la politique qui sera mise en oeuvre sous l'autorité ou la tutelle du président du conseil général.

Il faut également mieux articuler les interventions judiciaires entre elles au sein du tribunal.

En effet, le rapport 2005 de la Défenseure des enfants pointait à juste titre l'intervention, qui s'effectue le plus souvent sans véritable cohérence, de l'autorité judiciaire dans le champ de la protection de l'enfance.

Outre le parquet, les juridictions civiles - je mentionne le juge des enfants, le juge aux affaires familiales, les juges d'instance pour les tutelles et le tribunal de grande instance - et les juridictions pénales - c'est le cas du juge d'instruction, du tribunal correctionnel, de la cour d'assises, voire de la cour d'appel - interviennent dans le champ de l'enfance et de la famille. Chacune a sa légitimité, mais il serait illusoire de penser aller plus loin dans le regroupement des compétences.

Par conséquent, votre collègue le garde des sceaux doit, me semble-t-il, donner des instructions, voire introduire une disposition dans le code de l'organisation judiciaire, pour instituer une cellule enfance au sein de chaque tribunal de grande instance. De mon point de vue, le coordinateur et l'animateur doit en être le juge des enfants.

Je souhaitais évoquer un troisième point. Dans le cadre de la protection de l'enfance, l'intervention judiciaire ne doit être que subsidiaire.

Afin de lutter contre la judiciarisation croissante à laquelle nous assistons ces dernières années, nombreux sont ceux qui proposent d'affirmer le principe de la subsidiarité de l'intervention judicaire. Pour réduire le champ de cette dernière, des rédactions plus ou moins explicites sont avancées. Certains suggèrent ainsi de changer le critère de compétence pour passer du « danger », notion qui est jugée trop flou, à « l'intérêt de l'enfant ».

Il faut poser deux questions préalables. D'abord, à supposer qu'elle soit réellement excessive - environ 63 % des signalements sont transmis à la justice -, une telle intervention de la justice constitue-t-elle un mal en soi ? Ensuite, si cette tendance représente réellement un danger, comment y faire face ?

À mon sens, l'intervention judiciaire n'est pas nécessairement un mal si chacun respecte les critères de compétences prévues par la loi. Les gens ne s'y trompent d'ailleurs pas. Ils font appel au tribunal pour enfants afin de trancher les conflits les opposant à l'administration sociale. En revanche, la justice n'est clairement pas outillée pour faire face à l'accroissement des contentieux, phénomène que l'on constate depuis plusieurs années. Trop d'appels à la justice tuent la justice !

En outre, dans notre droit, la justice se situe non pas sur le même registre que l'action sociale, contrairement à ce que l'on avance communément, mais en aval de celle-ci. Contrairement à la présentation qui en est souvent faite, justice et action sociale ne sont pas en concurrence. Elles s'inscrivent simplement dans des registres différents.

Il faut réunir deux conditions : identifier une situation de danger et relever l'incapacité des parents à y faire face.

Dans nombre de cas, cette deuxième condition n'est aujourd'hui pas remplie. En effet, le service de l'aide sociale à l'enfance saisit la justice, en général le tribunal pour enfants, souvent pour se rassurer, pour demander une caution judiciaire et pour encadrer son intervention dans un tissu judicaire. C'est ainsi que l'on mobilise en urgence le parquet dans des cas où il ne serait ni nécessaire ni opportun de le faire.

Par conséquent, le dispositif de protection de l'enfance, pour important qu'il soit, n'est qu'un « deuxième rideau social ». Le premier réside dans la politique d'accueil de la petite enfance et dans la place qui est faite à l'enfance dans la vie et dans la ville.

Il s'agit d'abord de permettre à l'enfant de se faire une place dans sa famille et dans la cité et d'être confronté à des autorités qui le protègent sans le dénier dans sa personne. Dans ces conditions, il percevra réellement la loi dans sa dimension protectrice, alors que celle-ci est aujourd'hui trop souvent ressentie comme une atteinte illégitime à la liberté.

Le débat sur la protection de l'enfance est peut-être lié au débat sur la sécurité, mais il ne doit pas s'y résoudre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier M. Milon, qui a accepté d'inverser l'ordre de nos interventions respectives dans la discussion générale.

Dans la continuité des propos de Janine Rozier, je souhaite me faire l'écho de l'accueil favorable que reçoit ce projet de loi au sein du groupe de l'UMP - vous l'aviez d'ailleurs bien compris -, des présidents des 102 conseils généraux - j'appartiens moi-même à cette cohorte - et des signataires de l' « Appel des cent », dont je fais également partie.

Monsieur le ministre, il y avait nombre d'écueils sur la route de ce projet de loi. Grâce à une approche qui a été intelligente, efficace et habile, la plupart d'entre eux ont pu être reconnus, balisés, évités et dépassés.

Certes, d'autres écueils pourraient apparaître. C'est notamment le cas s'agissant du sujet du financement, sujet très terre-à-terre - que Marie-Thérèse Hermange ne m'en veuille point. Il en est de même de la question des compétences à mobiliser dans des délais extrêmement rapides, qui a été abordée par d'autres collègues.

Les départements - je crois pouvoir m'exprimer à ce titre - ont bien compris que l'objet du nouveau dispositif était non pas de mettre en place un nouveau transfert de compétences, mais bien d'améliorer notre politique publique de protection de l'enfance, qui est un sujet majeur pour nous. À mes yeux, le présent projet de loi propose en effet des réponses nouvelles, adaptées et innovantes à des missions qui relèvent depuis longtemps déjà des compétences départementales.

Permettez-moi d'effectuer un bref rappel. Comme chacun le sait, des lois adoptées en 1983 et en 1986 visaient à transférer aux 102 conseils généraux - il n'y en avait que 101 à l'époque, mais il y a désormais un conseil général à Mayotte -les compétences en matière de prévention et de protection des enfants.

En un peu plus de vingt ans, grâce à l'engagement de leurs équipes pluridisciplinaires - c'est l'occasion pour nous de le dire -, les départements ont acquis un savoir-faire exemplaire. Il s'est agi d'une action exemplaire, pas d'une action spectaculaire ! C'était une action discrète, et non une action inefficace ou sans effet sur la société. C'était enfin une action mobilisatrice en femmes et en hommes de coeur et de dévouement, mais également - j'y reviendrai avec M. Fischer, que j'ai écouté - en argent sonnant et trébuchant.

Depuis l'origine, les conseils généraux se sont efforcés de laisser l'enfant grandir au sein de sa famille chaque fois que cela était possible. Lorsque la séparation était devenue inéluctable, ils ont retenu des solutions humaines, individualisées et respectueuses du lien entre parents et enfants.

À cette fin, les 102 départements déploient des moyens colossaux. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres que l'on ignore souvent. Les dépenses des départements consacrées à la protection de l'enfance sont passées - c'est l'acte I de la décentralisation, monsieur Fischer - de 2,3 milliards d'euros en 1984 à 5,1 milliards d'euros en 2004 !

M. Philippe Nogrix. C'est vrai !

M. Louis de Broissia. C'est un effort considérable non compensé !

Toutefois, les 4218 conseillers généraux de France sont bien placés pour savoir que le domaine de la protection de l'enfance a considérablement évolué depuis 1983. Une telle évolution est liée aux mutations de la société, du rapport à l'autorité, de la cellule familiale et même du jeune lui-même, qu'il s'agisse d'un adolescent ou d'une adolescente.

Comme cela a été évoqué par plusieurs orateurs, l'exercice de l'autorité parentale est devenu difficile, voire impossible, dans certaines familles. On le constate malheureusement trop souvent. Certains parents qui sont pourtant pleins de bonne volonté se retrouvent confrontés à leurs propres difficultés. Ils ne savent alors plus comment élever leurs enfants dans le cadre stable et sain qui permettrait à ces derniers d'évoluer.

Le nombre des mauvais traitements est en augmentation constante. Les chiffres ont été rappelés.

Comme nous le disions ce matin, toujours dans l'enceinte du Sénat mais en dehors de cet hémicycle, nous avons le sentiment, concernant les relations avec la justice, qu'une partie des adolescents sont devenus insaisissables à force de comportements violents, déviants et, parfois, autodestructeurs. Ils vivent alors en marge de notre société ou, plus grave encore, s'apprêtent à le faire.

Ce sont donc de tels défis sociétaux majeurs que le projet de loi doit relever. Il vise à répondre aux multiples écueils que vous avez tenus à souligner, monsieur le ministre. Permettez-moi de les rappeler brièvement.

D'abord, la prévention est encore insuffisante.

Ensuite, la procédure de signalement est mal identifiée et insuffisamment coordonnée, ce qui tend à allonger les délais. Cela peut avoir - nous l'avons vu dans des affaires récentes - des conséquences dramatiques.

Enfin, le mode de prise en charge est trop binaire. Il se résume souvent à un choix entre placement et non placement, qui ne privilégie pas toujours le maintien du lien pourtant essentiel entre l'enfant et ses parents

Au cours des derniers mois, ces difficultés ont été mises sur la table avec franchise par tous les acteurs concernés. Monsieur le ministre, qu'il me soit permis de vous dire en mon nom personnel, mais également au nom de tous ceux auprès desquels nous travaillons régulièrement, que votre démarche est tout à fait exemplaire. C'est ainsi que tout gouvernement devrait procéder.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

M. Louis de Broissia. En effet, la concertation a été un modèle en la matière. Ainsi, le projet de loi s'appuie sur des rapports parlementaires des deux assemblées, et le Sénat s'est taillé la part du lion.

Permettez-moi de mentionner l'excellent rapport de notre collègue Nogrix, le rapport hautement remarquable, les sommes dirai-je même, de notre collègue Marie-Thérèse Hermange, mais également les rapports de Valérie Pecresse et de Patrick Bloche à l'Assemblée nationale, les rapports de l'Inspection générale des affaires sociales, les études de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, les orientations de l'Observatoire national de l'enfance en danger et l'« Appel des cent ».

Monsieur le ministre, vous avez tenu à ajouter une vingtaine de journées de réflexion, que les départements ont saisies. Ainsi, en Côte-d'Or, vous avez pu partager les expériences de 300 enseignants, magistrats, assistantes sociales, médecins ou pédiatres à travers quatre ateliers thématiques dont ils vous ont rendu compte. Ces personnes ont travaillé avec une motivation exemplaire et ont montré leur passion pour ces métiers difficiles.

Dans la continuité de l'intervention de ma collègue Valérie Létard, nous souhaitons que cette méthode se poursuive en aval de l'adoption du projet de loi, dans la préparation des décrets d'application...

M. Louis de Broissia. ...et dans l'élaboration des guides et des référentiels très attendus par les professionnels.

M. Jean-Pierre Vial. Très bien !

M. Louis de Broissia. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'aborder ces questions dans la discussion des articles.

En outre, dans la mesure où le présent projet de loi s'inspire des expériences départementales qui ont réussi, nous souhaitons pouvoir identifier les bonnes pratiques et en proposer la généralisation.

En effet, monsieur Fischer, la décentralisation consiste à mettre en place non pas 102 protections de l'enfance identiques, mais 102 protections de l'enfance efficaces !

M. Louis de Broissia. Cela suppose de prendre en compte les méthodes qui ont réussi, par exemple en Ille-et-Vilaine, méthodes que la Côte-d'Or s'honorera de copier.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

M. Louis de Broissia. L'orateur du groupe CRC semblait ignorer les conséquences des lois de décentralisation voulues par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Les avantages de la décentralisation, ce sont l'émulation, la compétition et la recherche des bonnes pratiques !

Le présent projet de loi tend à conforter le département dans son rôle de chef de file des politiques de la protection de l'enfance. Vous l'aviez compris, monsieur le ministre, cette reconnaissance est essentielle à une meilleure coordination des actions des différents partenaires.

Comme vous le savez d'ailleurs, je plaide en d'autres lieux et à l'occasion de débats sur d'autres textes pour la clarification des compétences des différents niveaux de collectivités territoriales. Le projet de loi va dans ce sens. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

J'aimerais enfin insister sur trois axes principaux qui sont au coeur du présent projet de loi.

D'abord, seulement 4 % des 5,1 milliards d'euros consacrés par les départements à la protection de l'enfance sont destinés à la prévention. Cela représente 200 millions d'euros. Or, comme on le dit dans mon département, un euro consacré aujourd'hui à la prévention, c'est cent euros qui seront demain économisés s'agissant du placement puis des drames que les médias mettent en avant.

C'est pourquoi je soutiens le renforcement des actions de la PMI et de la médecine scolaire, le développement de lieux d'écoute pour adolescents et l'accompagnement dans l'exercice de la parentalité. Tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous menons de telles actions sans le dire.

Ensuite, la création d'un observatoire de la protection de l'enfance dans chaque département contribue à l'effort de prévention.

Je voudrais donc remercier la commission des affaires sociales, notamment son président et son rapporteur - ce dernier connaît particulièrement bien le sujet pour avoir exercé longuement des responsabilités dans son département -, d'avoir accepté d'ouvrir l'observatoire départemental de la protection de l'enfance aux représentants des associations familiales. En effet, il est important que cette structure rassemble tous les partenaires afin de pouvoir mieux évaluer la situation des familles.

Les observatoires départementaux de la protection de l'enfance travailleront étroitement avec l'ONED. Il est important qu'ils lui transmettent systématiquement leurs informations. À cet égard, je demanderai que l'Assemblée des départements de France, l'ADF, soit représentée officiellement au conseil d'administration de l'ONED, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

La cellule opérationnelle départementale de recueil des informations préoccupantes centralisera les signalements. Elle permettra de clarifier la procédure. Il faudra veiller, monsieur le ministre, - je sais que c'est votre préoccupation - à lui donner un cadre souple lui permettant de s'adapter à toutes les situations départementales, qui sont variables.

Sur le sujet délicat du secret professionnel - sujet que j'avais abordé dans un rapport que j'ai eu l'honneur de vous remettre -, il me semble qu'une position juste et consensuelle a pu être trouvée. Pour des raisons sémantiques, je préfère parler de « partage du secret professionnel » que de « secret professionnel partagé ».

Par ailleurs, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait accepté d'étendre les possibilités de formation en matière de protection de l'enfance aux professionnels de la jeunesse et des sports, autrement dit à l'ensemble de ceux qui concourent à l'éveil des enfants. Par leur proximité avec des enfants venus de tous horizons, ils détectent en effet des cas insoupçonnés de maltraitance. On le voit par exemple dans les centres de vacances et de loisirs. C'est un sujet important. Mme Christine Mame, présidente de Élus locaux contre l'enfance maltraitée, l'ELCEM, rappelle souvent à juste titre - cela doit être dit ici - que l'enfance en danger existe partout, également et de manière tout aussi cruelle dans les milieux dits « favorisés ».

M. Philippe Bas, ministre délégué. C'est vrai !

M. Louis de Broissia. Enfin, j'évoquerai la diversification des modes de prise en charge, qui est une question que je connais bien.

Je souscris pleinement aux mesures efficaces et concrètes qui sont proposées et qui donneront un fondement juridique solide à des expériences locales en matière d'accueil thérapeutique, d'accueil de jour, d'accueil temporaire et d'accueil d'urgence. Toutes ces solutions permettront également d'améliorer les conditions d'accueil en établissement.

Au passage, il me semble - nous y reviendrons au cours de la discussion du texte - qu'une réflexion pourrait être utilement menée sur les fratries. Les frères et soeurs qui ont eu le malheur de connaître un cadre familial perturbé ne doivent pas être séparés, comme l'a d'ailleurs souhaité dans le premier texte qu'il a adopté le Parlement des enfants, lorsque je siégeais à l'Assemblée nationale.

Au cours de notre discussion, monsieur le ministre, nous serons attentifs à la manière dont nous aborderons ensemble la question budgétaire. Nous attendons des propositions financières concrètes et durables, s'inscrivant dans le temps. Il est vrai qu'après le plaidoyer très chaleureux de Marie-Thérèse Hermange sur le droit à l'amour, le droit à compensation financière fait un peu pâle figure, mais je suis là pour revenir à des considérations très terre à terre. (Sourires.)

Monsieur le ministre, qu'il me soit permis de vous dire que la discussion parlementaire qui s'ouvre passionne la Haute Assemblée. En effet, le texte dont elle entame l'examen engage des vies précieuses, celles d'enfants.

M. Louis de Broissia. Au fil de nos débats, quelles que soient nos préoccupations terre à terre, madame Hermange, nous garderons toujours à l'esprit, et surtout au coeur, ces enfants qui n'ont pas la même chance que les autres, parce que leurs parents ne font pas attention à eux, parce qu'ils ne savent plus quel chemin leur montrer, pis, parce qu'ils les traitent avec violence. Ce sont ces milliers de vies que votre texte s'attache à protéger. Nous aurons la fierté de vous soutenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la plupart du temps, l'enfant est censé trouver au sein du cocon familial écoute, compréhension, amour et marques d'affection. Il est également censé s'y structurer pour affronter l'avenir. Malheureusement, la réalité est bien souvent différente. Nous avons parfois peine à croire que la famille, ce lien sacré, puisse aussi être un lieu propice à la violence.

Aujourd'hui, nous avons le devoir d'ouvrir les yeux et d'évoquer certaines situations qui existent en France. Il est inconcevable de constater encore dans notre pays, patrie des droits de l'homme, de trop nombreux cas d'enfants victimes de violences.

Les chiffres publiés pour l'année 2004 par l'ODAS sont alarmants. En une année, le nombre d'enfants maltraités a progressé de plus de 5 %, tandis que celui des enfants « en risque » a enregistré une augmentation de plus de 7 %. Les carences éducatives des parents apparaissent comme les principaux motifs de signalement.

Ce sombre constat requiert de nombreux commentaires et suscite des interrogations. Tout d'abord, il révèle une société où la violence se diffuse dans tous les liens sociaux et familiaux. Ensuite, la mise en danger des enfants résulte de causes multiples d'ordre social, économique et sociétal. Enfin, les carences éducatives des parents sont autant un indicateur qu'un facteur de mise en danger. Elles renvoient à des pertes de repères, à des déracinements souvent traumatisants et à des déculturations.

En raison de la crise économique, de l'isolement social, de la pénurie de logements, des mouvements migratoires, des difficultés d'insertion professionnelle et de la monoparentalité, les conditions de vie des familles se sont considérablement dégradées. Cette société, confrontée à des facteurs économiques difficiles, est en nette régression et devient le théâtre de faits divers tragiques, qui illustrent la perte de repères essentiels. Ces problèmes interpellent la société dans son ensemble et exigent de la part des pouvoirs publics des réponses globales de qualité.

Monsieur le ministre, même si ce projet de loi traduit de bonnes intentions, il reste insuffisant en termes de moyens. Les mesures proposées paraissent bien symboliques face à l'étendue du problème et au vaste chantier que constitue la protection de l'enfance.

Pour répondre aux besoins des enfants, l'État doit leur offrir un environnement protecteur afin de leur permettre de vivre en toute dignité et en toute sécurité. Si avec la décentralisation, l'État se désengage de son rôle d'opérateur ou d'organisateur, il se doit parallèlement d'affirmer avec force sa volonté et sa capacité d'être un incitateur et un garant.

Une politique efficace de protection de l'enfance doit être accompagnée de moyens significatifs. Aujourd'hui, on peut s'inquiéter s'agissant de l'effort financier mis en oeuvre par le Gouvernement. En effet, monsieur le ministre, comment allez-vous financer toutes ces mesures ? Ce projet de loi confirme le rôle pleinement joué par les conseils généraux. Où allez-vous trouver le financement pour les accompagner ? Comment allez-vous financer la création de postes, les acteurs de terrain déplorant déjà un manque cruel de personnel ?

Par ailleurs, on parle souvent de prévention et de maltraitance, mais il faut aussi mettre l'accent sur la continuité : l'accompagnement du mineur doit en effet se poursuivre, afin de lui permettre de se construire progressivement, jusqu'à l'âge adulte.

De plus, en matière de prévention, le texte devrait aller beaucoup plus loin en mettant en place une action éducative qui puisse aider les parents pendant la durée de la crise que traverse leur enfant. Il est également nécessaire de mettre en oeuvre une aide intensive, en adéquation avec les besoins réels de la famille, par exemple un passage à domicile deux ou trois fois par jour, en soirée, durant le week-end.

Quant à la formation, elle est prévue pour tous les professionnels oeuvrant dans le secteur de la protection de l'enfance. Il serait plus opportun de rendre obligatoire la formation continue en faveur de tous ces acteurs. Il est essentiel que les professionnels confirmés puissent avoir connaissance des situations individuelles, des établissements et des services ainsi que des dispositifs départementaux.

Je souhaiterais également intervenir sur l'importance du vocabulaire utilisé. En effet, des modifications de vocabulaire, dont on sait la valeur symbolique, devraient être envisagées.

Par exemple, le mot « placer » pourrait être remplacé par un mot plus respectueux des enfants et des adolescents qui sont séparés de leurs parents. Le mot « accueil » serait plus adapté. Il vaut mieux « accueillir » que « placer » un enfant. (M. le président de la commission des affaires sociales acquiesce.)

M. le président. Très bien !

Mme Patricia Schillinger. L'expression « aide sociale à l'enfance », qui renvoie à une conception ancienne des interventions publiques dans le domaine social, pourrait être remplacée par celle d'« action sociale pour les enfants, les adolescents et leurs parents ».

Enfin, la notion de « danger ou de conditions d'éducation gravement compromises » pourrait être mieux définie, en utilisant l'expression « protection du développement intellectuel et affectif de l'enfant », ce qui serait une façon de traduire en droit français la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, qui figure dans la Convention internationale des droits de l'enfant.

En conclusion, il est important qu'aucune confusion ne soit faite entre ce débat sur la réforme de la protection de l'enfance et d'autres projets de réformes, plus politisés et plus sécuritaires, comme celui qui concerne la lutte contre la délinquance.

Monsieur le ministre, examiner la question de la protection de l'enfance est une excellente initiative, mais des moyens significatifs, c'est-à-dire humains et financiers, doivent absolument être fournis afin de pouvoir agir efficacement et de répondre ainsi aux attentes sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je précise simplement que la commission se réunira pendant la suspension.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)