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souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Japon

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune d'une délégation de la Chambre des Conseillers du Japon conduite par M. Guiichi Tsunoda, vice-président du Sénat japonais, accompagné par trois de ses collègues sénateurs des départements de Sizuka, Okayama et Aichi.

Cette délégation est invitée au Sénat par le groupe sénatorial d'amitié France-Japon, présidé par notre collègue Jacques Valade. La venue de nos collègues japonais fait suite au déplacement de notre groupe d'amitié au Japon en avril dernier.

Je me réjouis, comme tous mes collègues, des liens étroits qui se sont tissés entre nos deux groupes parlementaires ainsi qu'entre nos collectivités territoriales au fil des années. Ils ne peuvent que contribuer au renforcement des relations bilatérales entre la France et le Japon, deux pays amis.

Je souhaite à M. Tsunoda et à ses collègues une cordiale bienvenue au Sénat et un excellent séjour dans notre pays, où nous sommes heureux de les accueillir. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

(M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Discussion générale (suite)

Eau et milieux aquatiques

Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, sur l'eau et les milieux aquatiques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est sans doute un lieu commun que de dire que le problème de l'eau est à la fois important, complexe, délicat, dès l'instant où les intérêts des utilisateurs sont variés et souvent antinomiques.

Sur la forme, l'examen de ce projet de loi, maintenant un peu ancien, me paraît soulever quelque difficulté dans la mesure où il intervient après le vote d'un certain nombre de textes consacrés tant à l'énergie qu'à l'orientation agricole.

Quant au fond, ce texte a le grand mérite d'exister et je tiens à rendre particulièrement hommage à notre rapporteur qui l'a considérablement amélioré, notamment à la suite de diverses auditions, et qui a associé à son travail l'ensemble des élus de toute sensibilité. Toutefois, à titre personnel, je regrette la connotation essentiellement écologique du texte, résultant de la transposition de la directive européenne. Dès lors, je déplore un certain manque de souffle, malgré une bonne volonté incontestable.

Un certain nombre d'éléments devraient y figurer et, tout d'abord, la notion de solidarité. Le partage de l'eau n'en est-il pas la plus belle illustration ?

Autre notion importante, l'augmentation de la ressource. C'est une nécessité : la prudence et le bon sens commandent de stocker l'eau disponible pour la restituer dans les périodes de pénurie. De plus, sur le plan économique, c'est une bonne affaire, si vous me permettez l'expression. En effet, le stockage d'un mètre cube d'eau coûte environ 2 euros, sinon il ne présenterait aucun intérêt. Sachant qu'un stockage bien fait peut durer un siècle, voire plus longtemps, et qu'il ne réclame que des investissements relativement légers, cet élément devrait être mis en avant dans le texte, d'autant que des emprunts à très long terme, sur soixante-dix ou quatre-vingts ans, pourraient être envisagés, afin de rentabiliser l'opération.

Par ailleurs, un dispositif d'incitation forte, par le biais de subventions majorées, devrait être prévu en faveur de la mise en place de systèmes gravitaires lorsque c'est possible. Ce système, qui est le moins cher à long terme, sur vingt-cinq ou trente ans, garantit la qualité de l'eau...

M. François Fortassin. ...car les sources sont généralement moins vulnérables que les nappes phréatiques. Et que l'on ne me dise pas que ce n'est pas possible !

Permettez-moi de citer le cas du Syndicat des eaux Barousse Comminges Saves, dont je suis vice-président depuis vingt ans. D'une importance moyenne en termes d'abonnés - quatre-vingt mille -, ce syndicat compte dix mille kilomètres de réseau, les abonnés les plus lointains se situant à plus de cent quarante kilomètres des sources. Quatre-vingts pour cent du réseau repose sur le système gravitaire, le reste provenant du forage afin de garantir la ressource dans les périodes de relatif tarissement des sources. Les coûts sont inférieurs à la moyenne départementale dans les départements concernés de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées et du Gers.

J'ajoute que le réseau est géré exclusivement par des élus, ce qui nous évite de subir les dérives des sociétés fermières, dérives à propos desquelles, soit dit en passant, le projet de loi me paraît bien pudique !

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut redonner aux élus, à la puissance publique, la maîtrise du contrôle de l'eau.

M. Jean-Marc Pastor. Très bien !

M. François Fortassin. Je veux également insister, à la suite des intervenants précédents, sur la nécessité de redonner aux maires la possibilité d'exercer toutes les responsabilités dans le domaine de l'assainissement non collectif, aussi bien en matière de diagnostic que de contrôle.

À cet égard, je souhaite vivement que la disposition du projet de loi résultant de l'amendement du député Flajolet - je ne le connais pas, mais je peux vous dire qu'il n'est pas Tarbais (sourires.)  -...

M. Paul Raoult. Il est du Pas-de-Calais !

M. François Fortassin. ...soit totalement supprimée par le Sénat, qui a la chance d'avoir des élus locaux qui savent de quoi ils parlent ! Ne créons pas de grosses difficultés aux maires dans ce domaine ! (Applaudissements sur différentes travées.)

Autre préconisation, il me paraîtrait judicieux que les programmes pluriannuels des agences de l'eau, qui sont certes très compétentes, mais très indépendante -, soient soumis au contrôle du Parlement. Une telle décision ne me paraîtrait pas déraisonnable et serait certainement très bien comprise par la population.

Par ailleurs, madame le ministre, je milite pour la mise en place d'un véritable ministère de l'eau. N'y voyez pas une quelconque atteinte à vos prérogatives, mais une telle structure me semblerait la meilleure pour prendre en compte toutes les préoccupations liées à l'eau, l'ensemble des composantes à la fois écologiques, environnementales et économiques, à l'abri de toute influence dominante.

Enfin, dernière suggestion, nous devrions nous inspirer des pratiques de nos prédécesseurs. Permettez-moi de citer l'exemple du canal de la Neste, que Jean-Marc Pastor connaît bien, qui prélève les eaux de la haute Neste pour alimenter le département du Gers, privé d'eau. Alors que treize mètres cubes d'eau étaient prélevés dans la Neste voilà plus d'un siècle - il ne lui en reste aujourd'hui qu'un peu plus de trois en période de basses eaux - sans qu'il en résulte une catastrophe écologique. Aujourd'hui, un tel prélèvement serait chose impossible.

J'ajoute que, dans les années cinquante, sur la demande de nos prédécesseurs, EDF a lâché gratuitement cinquante millions de mètres cubes d'eau afin de réalimenter le canal de la Neste et permettre de fournir de l'eau potable aux populations du Gers qui en étaient fortement dépourvues.

En 2006, je ne suis pas certain que nous soyons capables d'en faire autant ! En tout cas, je suis personnellement très heureux d'appartenir à un département qui est un château d'eau et où la notion de partage de l'eau a toujours été bien perçue par la population. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l'eau constitue l'une des principales richesses de notre pays, de nos territoires, mais on en prend difficilement la mesure et l'on n'en maîtrise pas la production. L'eau n'est ni un produit manufacturé, ni un produit cultivé, ni une ressource naturelle régulière.

L'eau est indispensable à la vie humaine. Elle est le garant de certains équilibres naturels, particulièrement sur le plan de l'environnement et du cadre de vie, car elle participe de manière extraordinaire aux différents cycles naturels.

Chaque année, les Français consomment quelque seize millions de mètres cubes d'eau pour les cultures, les industries, les nettoyages, mais aussi comme boisson.

L'eau existe, mais le problème fondamental est incontestablement d'assurer et de bien utiliser les ressources.

Cette richesse en eau est encore sauvage. L'homme ne peut ni la créer ni la remplacer. L'eau étant l'élément fondamental de toute vie, il est capital que nous sachions la préserver et la transmettre aux générations futures. Il faut donc créer des ressources et des réserves.

Comme vous le savez, madame la ministre, mes chers collègues, d'ici à 2050, les besoins mondiaux en eau auront doublé.

Même s'il est vrai que l'agriculture est gourmande en eau - il faut par exemple, en moyenne, deux tonnes d'eau pour produire un kilogramme de nourriture -, n'oublions pas pour autant que l'industrie est elle aussi très vorace à cet égard. Elle représente en effet déjà 20 % de la consommation mondiale, car l'eau est indispensable à la réalisation des produits finis : il faut ainsi 11 000 litres d'eau pour produire une tonne d'acier, et 8 000 litres d'eau pour fabriquer une voiture.

Il nous appartient, mes chers collègues, de nous rassembler dans une démarche claire, limpide et transparente, soit dit sans jeu de mots ! au regard d'un enjeu crucial pour l'avenir.

En effet, l'eau forme, avec l'air, les termes d'une équation simple mais exceptionnelle : la vie. En prenant en compte l'eau, de l'amont jusqu'à l'aval, nous prenons aussi en compte notre vie.

À cet instant, monsieur le rapporteur, permettez-moi de souligner une nouvelle fois vos qualités. Après vous être intéressé aux impératifs du désenclavement, s'agissant de la téléphonie mobile ou des moyens d'accès à l'Internet, vous vous êtes consacré à un sujet d'une importance considérable, à la fois pour le présent et pour l'avenir.

Certes, mes chers collègues, une rivière comporte une rive droite et une rive gauche, mais l'eau n'a que faire de considérations partisanes ! Les lits de nos rivières, porteurs de cette richesse naturelle, appartiennent à chacun d'entre nous.

Cette question nous fournit l'occasion de nous rassembler au service de l'intérêt général et de celui de nos collectivités territoriales, en particulier. L'eau engendre et alimente la vie, au coeur de nos plaines, sur nos plateaux ou dans nos montagnes. Elle est universelle.

En tout état de cause, même si la demande est croissante et la pollution galopante, l'optimisme doit rester le maître mot : à la différence de celle de pétrole, la consommation d'eau ne diminue pas le stock ; l'eau est empruntée à la nature, elle n'est pas détruite. Autrement dit, il y aura toujours de l'eau dans cinquante ans.

Autre sujet de satisfaction, les technologies pour traiter, distribuer et assainir l'eau existent. Elles ont largement fait leurs preuves. La France ne compte-t-elle pas, à cet égard, les premiers opérateurs mondiaux dans le domaine des services liés à l'eau ?

Au coeur de nos collectivités territoriales, l'eau s'inscrit dans les grandes politiques publiques, constituant ainsi un élément essentiel du service public local. Cependant, l'eau est une richesse exigeante. Pour nos communes, les budgets de l'eau et de son assainissement deviennent de plus en plus importants, au gré d'évolutions techniques successives, parfois contrariantes parce que quelque peu incohérentes, et souvent onéreuses. L'État restera demain un partenaire indispensable.

Pour nos collectivités territoriales, en particulier pour nos communes rurales, le prix de l'eau, compte tenu du ratio entre longueur des réseaux et nombre d'habitants, représente à la fois un investissement lourd et une forte inquiétude.

En outre, compte tenu des engagements importants pris par les départements en matière de politique de l'eau, le rétablissement de l'autorisation de création facultative, dans chaque département, d'un fonds départemental pour l'alimentation en eau et l'assainissement, prévu par un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 28, me paraît indispensable.

Une source d'eau impose, nous le savons, la délimitation d'un périmètre immédiat, qui ne pose pas trop de problèmes. En revanche, la définition des périmètres rapproché et éloigné obéit à des réglementations dont l'application gèle souvent des surfaces agricoles importantes. Les normes se superposent, elles deviennent inquiétantes, parfois décourageantes.

Mais y a-t-il danger partout, mes chers collègues ? Ceux de ma génération - il y en a quelques-uns sur ces travées - ont consommé, dans leur jeunesse, une eau dont la qualité ne serait pas conforme aux normes actuelles. Dieu merci, nous n'en sommes pas morts ! Il faut donc sécuriser, certes, mais le faire avec bon sens.

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Jean Boyer. L'eau est un produit renouvelé en permanence. Il n'est pas trop tard pour prendre en compte cette réalité. Partout dans le monde, nous sommes entrés dans une ère d'économie et de qualité de l'eau.

Toutefois, les élus sont surpris, choqués, parfois déconcertés par les changements successifs qui affectent le traitement de l'eau ou celui des eaux usées. En effet, des propositions techniques diverses se sont succédé depuis des décennies. Nous souhaitons vivement, madame le ministre, qu'une cohérence soit assurée en matière de prescriptions et de méthodes, qu'elles soient individuelles ou collectives.

Je l'ai dit, l'eau est universelle. Elle est présente aussi, et même particulièrement, dans les zones de production agricole, à vocation céréalière ou d'élevage. Malgré les aides compensatrices ou compensatoires, l'agriculture, tout en respectant certaines exigences réglementaires, doit garder sa vocation de production, et donc pouvoir utiliser l'eau.

Pour cela, il faut envisager la création de réserves dans le cadre d'une gestion collective, en n'oubliant pas que les petits irrigants devraient bénéficier, s'agissant de la taxe frappant les prélèvements sur la ressource en eau, de la mise en place d'une franchise ou d'un seuil de perception.

Par ailleurs, en ce qui concerne la redevance pour les élevages, ne faut-il pas mettre en place une différenciation entre zones vulnérables et zones non vulnérables, en prenant en compte le taux de chargement, avec comme référence 1,4 UGB - unité gros bétail - à l'hectare ?

Oui, la bataille de l'eau est un enjeu crucial. Véritable richesse à protéger, pas encore en voie de disparition ou d'extinction, Dieu merci ! l'eau constitue véritablement un réservoir, un poumon pour l'ensemble des territoires de France.

Cela étant, la bataille de l'eau relève d'abord d'un état d'esprit, de la détermination de priorités pour aujourd'hui et pour demain.

Madame le ministre, nous avons eu, dans cette assemblée, l'occasion d'apprécier vos compétences, ainsi que votre courage, votre détermination pour établir un consensus constructif. Il en est résulté un texte équilibré permettant de poser des jalons pour l'avenir, mais aussi et surtout d'engager sans délai des actions en faveur de l'eau et des milieux aquatiques.

Cet état d'esprit que j'évoquais ne se construira pas seulement par des textes, des directives ou de la répression. Il repose sur une prise de conscience individuelle autour d'un intérêt collectif : les petits ruisseaux font les grandes rivières...

La récupération des eaux pluviales, par exemple, peut constituer une avancée utile et nécessaire. Faut-il prévoir des incitations fiscales en la matière ?

Que ce soit pour l'eau potable, l'eau usée ou l'eau meurtrière, par le biais des inondations - je suis élu d'un département qui en a connu -, la recherche de solutions doit être menée conjointement et en partenariat par les techniciens, les administrations et les élus locaux, lesquels ne disposent pas de moyens de contrôle, certes, mais ont le bon sens du terrain, la sagesse de l'expérience.

La compétence, mais aussi l'accompagnement des agences de l'eau doivent permettre d'engager un véritable débat sur la ressource en eau, de favoriser l'émergence de projets structurants au service des différents bassins composant notre territoire. Il est fondamental que l'ensemble des élus locaux soient associés à ce type de démarche, ainsi qu'aidés financièrement.

Aborder brièvement le thème de l'eau pouvant causer des sinistres, ravager ou tuer, c'est rappeler d'abord un vieil adage : « On éteint le feu, on n'arrête pas l'eau. »

Votre projet de loi, madame le ministre, a le mérite non seulement d'éveiller à la citoyenneté, mais aussi d'éduquer nos jeunes générations, nos concitoyens, à la problématique de l'eau, y compris dans le cadre de la maîtrise des inondations.

Dans notre pays, depuis une trentaine d'années, les inondations font plus d'une dizaine de morts par an. Là aussi, il faut mettre en place une action de prévention, mais également de sensibilisation à des dangers qui peuvent être et sont parfois mortels. Mieux vaut prévenir que guérir !

En France, le risque lié aux inondations est le plus important. Telle n'est pas la situation dans d'autres pays d'Europe. M. Fortassin le dirait mieux que moi, notre territoire compte d'importants massifs montagneux. Quand des précipitations les touchent, l'eau dévale leurs pentes avec une rapidité et une puissance inquiétantes. Ces massifs sont des réserves d'eau, mais aussi des dangers pour l'aval.

Quoi qu'il en soit, l'eau n'a ni couleur ni odeur. Elle n'est ni de droite, ni de gauche, ni du centre, dont je suis membre.

M. Michel Mercier. Pourtant, elle coule souvent au milieu ! (Sourires.)

M. Jean Boyer. L'eau est universelle. Faisons donc en sorte que ce projet de loi nous rassemble.

Même si, au départ, les équipements existants en matière d'assainissement étaient limités et sommaires, depuis dix ans, selon les statistiques de l'INSEE, le prix de la distribution et de l'assainissement de l'eau a grimpé de 40 %, soit un rythme deux fois supérieur à celui de l'inflation.

En conclusion, j'indiquerai qu'il est à mon sens primordial de lutter contre le gaspillage sous toutes ses formes, d'éduquer dès leur plus jeune âge les enfants à considérer la qualité de l'eau comme source d'une richesse précieuse.

Vous avez, madame le ministre, cet objectif ; nous sommes à vos côtés. Votre présence à la tête de ce ministère marque une ambition très nette : construire l'écologie autour du développement durable, c'est aussi construire l'avenir. Merci de le faire. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. L'eau est un bien public mondial d'intérêt vital pour la santé publique, comme nous avons pu le voir à Mexico, madame la ministre, lors du quatrième forum mondial de l'eau, auquel nous avons participé ensemble au sein d'une délégation française très présente autour d'un ministre très impliqué.

Cependant, l'eau est aussi une ressource naturelle écologiquement fragile et peu renouvelable. Même dans notre beau pays, la France, pays tempéré, la sécheresse récurrente de ces dernières années a mis en évidence la crise de la ressource, le caractère fini et contingenté de celle-ci, et les nécessaires efforts à mettre en oeuvre pour réapprendre l'usage rationnel de l'eau.

À cet appel au partage des responsabilités, chacun a répondu, avec sa sensibilité, ce matin encore, comme en première lecture. Beaucoup de grandes villes, de Paris à Mulhouse, dont je suis maire, mettent en oeuvre, toutes sensibilités politiques confondues, des politiques économes et solidaires qui peu à peu portent leurs fruits.

Il faut, je crois, profiter de l'examen de ce projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques pour amplifier, comme nombre d'entre nous l'ont souhaité, le dialogue avec les agriculteurs et les industriels, revoir les pratiques d'irrigation, encourager le recyclage et le stockage et organiser les interconnexions de réseaux.

Certes, le Gouvernement a lancé cet été, sur votre initiative, madame la ministre, une grande campagne à travers les médias pour demander aux Français de préserver la ressource. Cela est bien, toutefois les ménages consomment moins de 10 % de la ressource, et on ne peut affirmer que le principe pollueur-payeur s'applique comme il conviendrait à l'heure actuelle.

Cela étant, ce projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, nécessaire et attendu, monsieur le rapporteur, doit aussi insister sur une autre crise latente, celle de la ressource disponible, de la qualité de l'eau souterraine et de surface.

À l'heure où le rapport de l'IFEN, l'Institut français de l'environnement, montre que près de 80 % des eaux de source sont contaminées par des résidus chimiques, à l'heure où l'on sait que les résidus de l'atrazine, pesticide heureusement désormais interdit, vont polluer pendant vingt ans encore les nappes profondes, que dit le projet de loi ? Trop peu de choses, finalement, les quelques propositions initiales en la matière ayant été « rabotées », il faut le dire, à l'Assemblée nationale. Le seront-elles davantage encore ici, ou inverserons-nous la tendance ? Ce sera l'un des éléments de notre débat.

Pourtant, c'est d'un problème de santé publique qu'il s'agit. Sans faire de purisme concernant la qualité de l'eau, on ne peut que constater, quand on vit comme moi dans une région comme l'Alsace, où la nappe phréatique est durablement et gravement polluée par les nitrates, que la question est très grave.

En effet, ces nitrates interdisent la consommation d'eau aux femmes enceintes et aux nourrissons dans les zones rurales, comme par exemple en Seine-et-Marne, où l'eau n'est plus potable dans la moitié du département.

Il s'agit aussi d'un problème environnemental, la multiplication d'algues vertes dans la Manche ou l'Atlantique devant nous rappeler que l'océan n'est pas notre égout naturel.

Il s'agit, enfin, d'un problème économique. Il n'est plus possible de transférer uniquement à l'aval et aux collectivités urbaines ou rurales le coût exorbitant de la dépollution et du traitement des eaux, pour rendre celles-ci potables, puis pour les traiter avant rejet en rivière. Ainsi, en Île-de-France, les traitements contre les nitrates de l'usine d'Achères coûteront près de 1 milliard d'euros, ce qui renchérira le prix de l'eau pour 5 millions de consommateurs. Les eaux de source, même en montagne, doivent aujourd'hui faire l'objet d'investissements lourds, et cela faute de politique de prévention efficace en amont, faute de courage politique - ce de longue date - et faute d'attention portée aux ménages les plus démunis en bout de chaîne.

Un problème social apparaît dans nos villes, mais aussi dans nos campagnes. Les charges d'énergie et d'eau pèsent de plus en plus lourdement dans les budgets des familles modestes, et les fonds sociaux transférés aux collectivités prennent de plus en plus le relais des impayés. Face à ce problème aigu, les villes doivent organiser leur service public de l'eau pour mettre en place des politiques sociales innovantes et solidaires.

C'est pourquoi nous soutiendrons l'amendement visant à donner aux communes la possibilité d'instaurer des tarifs différenciés pour aider les ménages en difficulté et surtout d'offrir un service minimum de l'eau dont les premiers mètres cubes vitaux seraient dispensés à bas prix.

Nous soutiendrons aussi l'inscription dans le droit français d'un véritable « droit à l'eau ». Par cela, il faut entendre non pas un droit à la ressource, le Gouvernement n'ayant pas retenu cette proposition lors du débat à l'Assemblée, mais bien un droit d'accès au service public de distribution d'eau potable pour tous, qui vaudra qu'il y ait régie, comme dans mon département, ou gestion déléguée.

Je ne peux oublier, madame la ministre, la portée des propos que vous avez tenus à Mexico en mars dernier et qui allaient dans ce sens. Ils avaient fortement touché l'ensemble des délégations, en particulier celles des pays du Sud, dramatiquement concernés par ces questions.

Je voudrais dire encore un mot sur les fonds départementaux. Il faut les envisager comme une possibilité et non pas comme une obligation, les collectivités locales s'administrant librement. Ces fonds sont destinés à accompagner les communes. Pourquoi ne pas envisager un partenariat entre les départements et les EPCI qui permettrait une gestion de ces fonds par la structure intercommunale ad hoc ?

Pour conclure, comme d'autres avant moi, je réaffirmerai la nécessité de saisir l'opportunité qui nous est donnée encore aujourd'hui, en cette deuxième lecture, de faire de ce projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques un texte qui tienne réellement compte des enjeux et de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand.

M. Jean-François Le Grand. Avant de formuler quelques remarques de fond, je voudrais vous rendre hommage, madame la ministre, pour la qualité de votre travail et pour le courage - qui a été reconnu sur toutes les travées - que vous avez manifesté dans l'élaboration de cette loi.

Nous n'en sommes plus aux « petites » lois ni aux atermoiements qui désespéraient la communauté de l'eau. Non, aujourd'hui vous avez tenu à inscrire ce texte au nombre des « grandes » lois, la troisième en plus de quarante ans. Nous en sommes satisfaits à la condition que nous allions jusqu'au bout de la logique de clarification des objectifs et des responsabilités. Je reprends à mon compte ce qui a déjà été dit : il nous faut mener vite à son terme l'examen de ce projet de loi.

Je tiens également à saluer le travail de très grande qualité effectué par Bruno Sido, par la commission - je n'insiste pas puisque j'en fais partie -, ainsi que par le groupe de travail sur l'eau du Sénat. Un travail considérable a été fait. Comme M. le rapporteur l'a rappelé dans son propos liminaire, le nombre d'articles ajouté ne l'a pas été dans une volonté de légiférer pour légiférer, mais par souci de pragmatisme, pour clarifier les objectifs ainsi que les responsabilités dont je viens de parler.

Je ferai maintenant quatre remarques, rapidement puisque nous aurons l'occasion de revenir sur le fond à l'occasion de la discussion des articles. Je les ferai en tant que parlementaire bien évidemment, inspiré par le Cercle français de l'eau que j'ai l'honneur de présider, mais également en tant que président de conseil général. Notre collègue Fortassin, avec le talent qui l'anime - même s'il n'est que tarbais, on peut quand même apprécier ses qualités ! (Sourires.) - a exprimé le souci des présidents de conseils généraux qui, quelle que soit leur sensibilité, sont confrontés aux mêmes nécessités et aux mêmes problématiques. Nous devons leur apporter des réponses réelles, tangibles.

Ma première remarque concerne la notion de « bon état des eaux ». J'avais attiré votre attention lors de la première lecture sur le fait qu'il s'agissait d'un concept mal défini. Je voudrais, là encore, saluer le travail qui a été réalisé. Vos services, madame la ministre, avec l'expertise des agences de l'eau, ont donné un contenu technique à cette notion juridique. Nous en sommes satisfaits.

Vous avez fait prévaloir une approche pragmatique qui tient compte de la réalité des activités humaines au niveau local, et vous avez eu raison. Par ailleurs, comme cela a été démontré au cours du colloque que le Cercle français de l'eau a organisé sur la comparaison des situations au niveau européen, la situation française n'est pas exagérément dégradée par rapport à celle d'autres pays européens. Il faut donc arrêter de se mortifier inutilement.

Cela étant, je voudrais rappeler que les deux combats pour la qualité et la quantité de l'eau non seulement ne s'opposent pas mais sont indissociables. La gestion de la quantité impose à l'ensemble des usagers un comportement économe pour une utilisation rationnelle et intelligente de l'eau. Un certain nombre d'acteurs se sont déjà engagés dans cette voie. Les industriels ont ainsi réalisé un gros effort qui mérite d'être salué. Peut-être l'augmentation du prix a-t-elle été un encouragement à la vertu, ...

M. Jean-François Le Grand. Je suis heureux, monsieur Desessard, que nous puissions ensemble constater une amélioration. Peut-être pour une fois, pourrez-vous nous rejoindre... En tout cas, cette amélioration est une réalité.

Si les collectivités locales sont très sensibles à ce sujet, nos concitoyens, quant à eux, n'ont pas encore une juste conception de ce qu'est économiser l'eau. En effet, lorsque l'on vit dans un endroit où il pleut, où l'eau paraît ne pas manquer, on a plutôt tendance à se laisser aller. Or il s'agit d'un problème de solidarité non seulement nationale mais aussi internationale. Je profite de l'occasion pour inviter tous ceux qui le souhaitent à assister au colloque organisé par le Cercle français de l'eau au Sénat, le 16 novembre, sur la gestion raisonnée de l'eau, gestion qui nous oblige à adopter une nouvelle culture.

Ma deuxième remarque concerne les fonds départementaux. À ce propos, madame la ministre, vous avez souhaité faire appel à la sagesse du Sénat - ce qui est un quasi-pléonasme -, mais j'aurais préféré que le Gouvernement s'engage plus sur cette question. Comme nous sommes un certain nombre de présidents de conseils généraux sur ces travées, vous vous doutez bien que la réponse sera plutôt favorable. J'aurais souhaité pour ma part que le Gouvernement accompagne cette démarche car, au nom de quelle logique pourrait-on dénier aux départements le droit de se doter des moyens financiers indispensables à leur politique ?

Nous réalisons les péréquations au quotidien, mais il nous faut pour cela disposer de nos propres ressources. Il ne s'agit donc pas de taxer pour le plaisir, de constituer un fonds supplémentaire, il s'agit bel et bien d'utiliser cette nouvelle ressource sur un fléchage et un ciblage extrêmement précis.

À l'Assemblée nationale, nos collègues ont craint une sorte de « racket » - le mot est excessif, vous me le pardonnerez - par les départements. Mais jamais les départements ne se sont comportés ainsi ! Sans doute, forts du mauvais exemple donné par certains gouvernements -  je fais allusion à plusieurs faits, sans oublier, permettez-moi de le dire, 2004 - les députés ont-ils craint que les départements ne s'engagent dans cette voie. Il n'en est pas question.

Je proposerai, ce qui sera peut-être repris par la commission, que, grâce à un fléchage plus précis,...

M. Jean-François Le Grand. ... il soit bien clair qu'il s'agit de promouvoir la péréquation et la solidarité en faveur des communes rurales en matière de restauration ou de création de réseaux. S'il le faut, nous pourrons aller sans aucun problème vers un conventionnement avec les agences. Nous en reparlerons le moment venu. Mais sachez une chose : nous serons fermes sur notre position.

Ma troisième remarque porte sur le problème de la démocratie de l'eau. Un débat a été engagé, sur l'initiative de l'Union française des consommateurs, sur les prix de l'eau. Si la démocratie et la transparence avaient existé au niveau local, je suis persuadé que nous n'aurions pas eu cette polémique.

Pourquoi ne pas utiliser, pour améliorer la transparence, ce qui a été proposé dans la loi relative à la démocratie de proximité, c'est-à-dire les commissions consultatives des services publics locaux ? J'y reviendrai dans un amendement.

Si la transparence avait existé, la vérité des prix serait apparue. Certains prix peuvent sembler bas, mais ils ne comptabilisent pas la future restauration des réseaux, ce qui signifie que l'on reporte sur les générations futures le soin de cette restauration. C'est inadmissible. Nous avons donc besoin d'assurer une véritable transparence des prix. J'ai déposé des amendements en ce sens. J'en ai déposé également sur l'amélioration de la présentation du budget de l'eau dans le cadre de la LOLF. On a tout à l'heure évoqué un ministère de l'eau, mais si déjà nous disposions d'une bonne présentation de ce qui concerne l'eau dans le budget, nous aurions franchi un grand pas.

Ma quatrième et dernière remarque porte sur un sujet qui nous tient tous à coeur : le droit à l'eau. Ce droit est un droit universel qui s'impose à tous. Ceux qui ont eu le plaisir comme moi, en tant que président du Cercle français de l'eau, de vous accompagner, madame la ministre, au forum mondial de Mexico y ont été sensibilisés.

Lors de la première lecture, j'avais déjà déposé des amendements sur ce point. Depuis lors, j'ai noté qu'un certain nombre d'organismes, dont des ONG, m'ont rejoint et je crois savoir, madame la ministre - mais je ne voudrais pas trop anticiper - que le Gouvernement propose de les reprendre à son compte. Ce sera tout à votre honneur comme ce sera le nôtre de vous accompagner dans cette voie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Discussion générale (suite)
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