compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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MODES DE GESTION DES CRISES AFRICAINES

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 18 de M. André Dulait à M. le ministre des affaires étrangères.

Cette question est ainsi libellée :

M. André Dulait appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur les modes de gestion des crises africaines.

L'ampleur des désastres humanitaires et la déstabilisation régionale que suscitent les crises africaines actuelles, qu'il s'agisse de la Côte d'Ivoire, du Darfour ou du Congo, nécessitent une implication extérieure qui soit à la fois légitime et efficace.

La France prend une part active dans la gestion de ces crises en privilégiant l'intervention de l'Organisation des Nations unies et de l'Union africaine. Force est de constater que, sur le terrain des opérations, elle se retrouve souvent en première ligne, par défaut de volonté ou de capacité d'autres acteurs (UA, UE, ONU...). Elle ne peut se désintéresser du sort de l'Afrique et des Africains, mais elle est parfois desservie par sa tradition de présence sur le continent.

Devant ce constat, quels instruments privilégier ?

L'exemple de la FINUL renforcée peut-il être le prélude à une rénovation attendue des opérations de maintien de la paix des Nations unies en Afrique, qui pourrait entraîner l'engagement sous casques bleus de forces armées occidentales ?

Quelle coopération militaire devons-nous développer face aux besoins des organisations sous-régionales africaines ?

Quelle place et quel rôle doit avoir l'Union européenne, qui paraît bien absente sur le terrain politique, alors qu'elle occupe le premier rang des bailleurs internationaux ?

Quelles formes d'aide au développement la France doit-elle soutenir, l'impératif premier de la réduction de la pauvreté ne pouvant être mis en oeuvre que dans des conditions de sécurité minimale des populations, servies par des formes d'organisations politiques légitimes et reconnues comme telles ?

Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. André Dulait, auteur de la question, je voudrais vous rappeler que ce débat constitue le premier effet de la réflexion que nous avons engagée au sein de la conférence des présidents sur l'amélioration de nos méthodes de travail.

Sur l'initiative du président Serge Vinçon, nous avons mis en place pour les conventions internationales, et sous réserve de l'accord unanime des groupes, une procédure simplifiée d'examen en séance publique, de manière à dégager, en contrepartie, du temps pour l'organisation chaque année de deux débats, l'un de politique étrangère, l'autre de défense.

Je vous rappelle que la commission des affaires étrangères avait porté son choix sur le rôle de la France dans la gestion des crises africaines dès le mois de mai.

Cette initiative est emblématique de notre volonté de développer la fonction de contrôle, ce qui suppose de parvenir à un meilleur équilibre entre travaux législatifs et débats de contrôle en séance plénière.

Je tiens à remercier Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, d'avoir répondu à notre demande et d'être venus en personne participer à ce premier débat.

La parole est à M. André Dulait, auteur de la question.

M. André Dulait. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, en travaillant sur la gestion des crises africaines, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n'avait pas l'intention de réduire le continent africain, riche de nombreuses potentialités, à la seule dimension des conflits qui l'affectent, mais elle avait pour objectif de dresser le constat des évolutions intervenues dans ce domaine où notre pays prend une part très active.

Il s'agit d'un sujet complexe aux implications nombreuses, et je me réjouis tout particulièrement de la présence de Mme la ministre de la défense, de Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie et de M. le ministre des affaires étrangères.

Il s'agit d'un sujet dont nous ne pouvons nous désintéresser quand bien même nous le souhaiterions : le continent africain est notre voisin et nous ressentons les conséquences des secousses qui l'affectent. Ce n'est pas notre sensibilité historique à ce qui se passe sur ce continent qui est en jeu, mais c'est bien notre intérêt actuel, en tant qu'Européens, à voir l'Afrique prendre place dans la mondialisation et à entrer dans un processus vertueux de développement.

J'ajouterai qu'à l'heure où le continent africain intéresse tant les grands partenaires de l'Union européenne, qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Inde ou de la Chine, dans le domaine économique mais aussi dans celui de la sécurité, un désengagement de ces questions serait particulièrement malvenu.

Les conflits africains, qu'ils soient interétatiques ou intra-étatiques, ont diverses origines et relèvent de divers registres : identitaires, politiques, pour la prise du pouvoir, militaires - violence publique, violence privée -, économiques, et je pense notamment aux questions foncières.

Je citerai un seul chiffre : de 1963 à 1998, 474 millions d'Africains ont été affectés par ces conflits, soit 60 % de la population.

Ces crises ont favorisé les pandémies, entraînant une mortalité très élevée des populations civiles, un blocage du développement économique ainsi que d'importants déplacements de population. Plus de 20 millions d'Africains ont ainsi été déplacés au cours de ces années.

La grande complexité de ces conflits rend très difficile toute tentative de prévention ou de résolution des crises.

À l'évidence, il est préférable qu'une crise politique et sécuritaire puisse trouver une solution endogène. Nous en avons quelques exemples. Mais, lorsque des drames humanitaires surviennent et que l'équilibre régional est menacé, une intervention extérieure peut être nécessaire.

En République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, au Soudan, l'urgence s'est imposée. En Somalie, pays devenu symbole des difficultés de l'intervention extérieure, au Darfour, l'instabilité menace toute la sous-région. Or, une intervention est souvent, et même le plus souvent, mal reçue, qu'elle vienne d'une ancienne puissance coloniale, comme la France, alors que la rhétorique de la « seconde décolonisation » rencontre un écho profond auquel nous devons être attentifs, ou qu'elle vienne de l'Organisation des Nations Unies, parfois présentée comme l'instrument de puissances extérieures, comme c'est le cas dans la crise du Darfour.

La gestion des crises africaines est donc une double quête, celle de la légitimité et celle de l'efficacité. Quel peut être le rôle de la France dans la recherche de cet équilibre ?

Conscient de ces difficultés, notre pays a fait le choix du multilatéralisme et de l'appropriation africaine, un choix qu'il s'efforce de promouvoir et d'appliquer. Le multilatéralisme, c'est, en premier lieu, l'Organisation des Nations Unies, qui est à même de qualifier une situation et de rendre légitime l'emploi de la force. Toutefois, les reproches faits aux capacités d'action des casques bleus sont connus ; ils ont été rappelés lors de la crise libanaise et ont conduit les armées occidentales, notamment européennes, à privilégier d'autres voies, comme des interventions sous mandat ou des interventions nationales en appui aux casques bleus.

L'exemple de la FINUL - la force intérimaire des Nations unies au Liban - renforcée peut-il trouver d'autres applications ? Je souhaite que les conséquences puissent être tirées pour renforcer l'efficacité des opérations de maintien de la paix.

Le multilatéralisme s'exerce également à l'échelon régional. Profondément réformée, l'Union africaine est une source indéniable de légitimité, même si les vicissitudes de son intervention au Darfour illustrent ses difficultés à la fois politiques et capacitaires. Elle est le signe d'une volonté d'appropriation de leur destin par les Africains, que notre pays a choisi de soutenir. Le NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, projet né en Afrique et porté par les Africains, comporte un important volet de gestion des crises, qui s'articule aujourd'hui avec les institutions de l'Union européenne et de l'Union africaine. Il faut qu'il puisse prendre corps.

Les organisations sous-régionales, bien qu'encore faiblement intégrées et équipées, commencent, à des degrés divers, à se structurer. Les capacités des États membres étant très diverses, il y a un risque à ce que la régionalisation n'aboutisse, dans certains cas, à la consécration d'une puissance régionale donnée ou à la rivalité entre plusieurs candidats à ce leadership.

La coopération avec les organisations sous-régionales me paraît représenter une voie prometteuse pour la coopération française sur les questions de sécurité. Elle permettrait de promouvoir des solutions régionales, d'apporter un soutien opérationnel qui ne soit pas seulement bilatéral et de diversifier nos partenariats en matière de sécurité.

Il faut souligner que les évolutions sensibles du rôle de la France dans la gestion des crises s'opèrent sur le fond d'une continuité de la présence militaire française, ce qui les rend parfois peu perceptibles par nos partenaires.

On a su faire évoluer le rôle des bases françaises et, de facto, la présence militaire en Afrique a été réorientée : les forces en présence ont fait place à des soutiens à la projection pour la gestion de crises, notamment des crises africaines. Elles ont permis le déploiement d'opérations autonomes de l'Union européenne.

Cependant, leur fondement juridique repose aujourd'hui encore sur des accords de défense conclus dans les années soixante, dans un contexte de guerre froide où l'adversaire était bien identifié. Dans le contexte des crises actuelles, qui ne sont que rarement des différends frontaliers et des conflits interétatiques, l'application de ces accords est problématique, comme l'a illustré la crise ivoirienne. Est-il possible de les moderniser ?

En Côte d'Ivoire, la France a soutenu l'intervention de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, puis l'ONUCI, l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire. Mais, du fait de sa présence militaire sur place, elle s'est retrouvée en première ligne pour les évacuations de ressortissants, puis pour le soutien opérationnel aux forces de l'ONU, alors qu'elle n'avait pas souhaité s'impliquer directement. Après avoir demandé la mise en oeuvre de l'accord de défense au début de la crise, le président ivoirien semble désormais réclamer le retrait non seulement de la force Licorne, mais aussi du BIMA, le bataillon d'infanterie de marine.

Quelles seront à l'avenir les missions de nos bases en Afrique, alors que le Président de la République a clairement indiqué que la France ne resterait pas là où sa présence n'est plus souhaitée ? Comment rénover notre coopération militaire ? Comment intégrer la prévention, mais aussi l'après-conflit dans nos outils de coopération ?

Une plus grande implication de l'Union européenne paraît s'imposer. Mais, alors que le lien entre sécurité et développement a été établi par la mise en place de la Facilité pour la paix en Afrique, elle suscite à l'évidence de nombreuses réticences.

Les échanges entre l'Union européenne et l'Union africaine se multiplient, comme en témoigne la réunion des deux commissions à Addis-Abeba, ce dont il faut se féliciter. Quelle coopération concrète en matière de sécurité les deux organisations pourraient-elles mettre en place ?

La réussite de l'opération au Congo, à laquelle l'Allemagne a pris une part active nous apparaît déterminante. Quel premier bilan les ministres de la défense des États membres, récemment réunis en Finlande, en ont-ils tiré ? Cette opération pourrait-elle en annoncer d'autres, notamment avec la mise en place des groupements tactiques ?

Quel est aujourd'hui le projet que peut porter notre pays pour la sécurité et la stabilité de ses partenaires africains ? Il a su convaincre de la nécessité de réduire la pauvreté, pourra-t-il persuader, dans les débats internationaux, que la condition première en est la paix civile et qu'elle appelle une implication plus efficace de l'ensemble des partenaires du continent africain ?

C'est l'ensemble de ces questions, mesdames les ministres, monsieur le ministre, que nous souhaitons aborder aujourd'hui, et nous vous remercions par avance des réponses que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir organisé ce débat général sur l'Afrique et surtout à saluer la qualité, la justesse et la pertinence de l'important rapport d'information que M. Dulait a consacré à la gestion des crises africaines.

C'est bien sûr à ma collègue Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, qu'il revient de répondre aux principales questions que vous avez posées, monsieur Dulait, dès l'introduction de votre rapport : Faut-il intervenir militairement dans les crises en Afrique ? Qui peut intervenir militairement en Afrique ?

Avant de lui laisser la parole, ainsi qu'à Brigitte Girardin, chargée des questions relatives au développement, et qui suit personnellement le difficile dossier ivoirien, je vous remercie, monsieur le président, de me donner l'occasion de dire pourquoi le fait d'apporter une réponse aux crises africaines constitue aujourd'hui une des grandes priorités de notre diplomatie et pourquoi elle suscite de notre part un engagement résolu et renforcé.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'Afrique est vouée au chaos ou à l'enlisement et qu'il importe seulement par précaution ou par devoir moral d'en limiter les effets ou la contagion.

L'Afrique de ce début de siècle, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est d'abord un continent dont la population a été multipliée par cinq en cinquante ans, passant de 150 millions à 800 millions d'habitants entre 1950 et 2000, et dont les deux tiers de la population ont aujourd'hui moins de vingt-cinq ans.

C'est aussi un continent dont la croissance moyenne est désormais durablement supérieure à la croissance mondiale et atteint même le triple de la croissance européenne. En 2006, selon le FMI, le Fonds monétaire international, la croissance de l'Afrique subsaharienne dépassera 5 % pour la neuvième année consécutive. Les investisseurs ne s'y sont d'ailleurs pas trompés puisque les flux internationaux et financiers vers le continent africain ont doublé depuis trois ans.

L'intervention croissante des grands partenaires du Sud, au premier rang desquels la Chine, mais aussi le Brésil, l'Inde et l'Iran, l'ampleur nouvelle des financements des pays arabes sont des signes tangibles.

En ce début de siècle, l'Afrique devient donc un enjeu stratégique de premier plan.

Ainsi, parmi tous les grands sujets qui sont aujourd'hui au coeur non seulement de l'agenda diplomatique international, mais également des préoccupations croissantes de nos concitoyens et de nos opinions publiques, j'en citerai cinq, qui tous me paraissent prioritaires et concernent très directement l'Afrique.

Il s'agit d'abord du terrorisme, et n'oublions pas que, avant d'atteindre New York en septembre 2001, Al Qaida avait déjà frappé, il y a près de dix ans, le Kenya et la Tanzanie. Il s'agit aussi des migrations, de la sécurité énergétique, de l'environnement et de la santé.

Ces thèmes représentent des enjeux majeurs et comportent des risques partagés. À ce titre, ils impliquent de notre part une mobilisation accrue et, surtout, collective. Ils ne seront gérés de façon efficace qu'en liaison étroite avec l'ensemble des partenaires concernés, ceux du Nord comme ceux du Sud. Au même titre que les conflits régionaux, la gestion de ces risques transversaux doit être un axe fort de notre action diplomatique.

C'est tout l'objet de l'initiative UNITAID, lancée par le président Chirac et le président brésilien Lula, pour faciliter la mise à disposition de médicaments adaptés aux besoins des pays du Sud, grâce à la mise en place d'une « contribution citoyenne » sur les billets d'avion. Elle a d'ores et déjà suscité l'adhésion de quarante-trois pays et illustre tout l'intérêt d'un partenariat nouveau, fondé non plus sur la compassion et le don, mais sur un intérêt mutuel.

Cette nécessité accrue d'une action collective et coordonnée de la communauté internationale est aussi au coeur du règlement des conflits qui secouent aujourd'hui de nombreux pays du continent africain.

Aucune crise aujourd'hui ne peut se résoudre indépendamment des intérêts et des préoccupations des pays voisins ; on le voit bien au Soudan, la situation du Darfour déstabilisant ses neuf pays voisins, notamment le Tchad et la République centrafricaine, dont j'ai encore rencontré le président hier matin.

Aucune crise ne peut trouver de solution en dehors d'un cadre collectif, qui garantit l'appui et l'engagement de la communauté internationale. Aucune crise ne sera résolue sans la prise en compte de l'ensemble des facteurs qui y contribuent, notamment ceux qui touchent au partage des ressources naturelles et aux équilibres de développement.

Généralement de faible intensité militaire, les crises africaines s'inscrivent, en revanche, souvent dans la durée. Elles s'étendent sur de vastes territoires au sein desquels l'autorité des États ne s'exerce plus. Elles sont entretenues par des acteurs le plus souvent imperméables au dialogue. Les premières victimes sont les populations civiles, notamment les jeunes, qui n'ont d'autre perspective que l'enrôlement dans les milices ou les rébellions, avec le risque de provoquer, comme je viens de l'évoquer, une déstabilisation régionale.

Les crises qui frappent ce continent sont de plus en plus complexes, leur stabilisation de plus en plus coûteuse. C'est pourquoi il est indispensable, comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, de poursuivre la réflexion, afin d'adapter notre politique aux évolutions rapides de l'Afrique contemporaine.

La France n'entend pas se désengager d'un continent dont elle est proche, et avec lequel elle entretient depuis si longtemps des relations privilégiées. Elle entend continuer à exercer pleinement son rôle dans cette région du monde à laquelle elle est liée non seulement par l'histoire, par des liens culturels et humains tissés dans la durée, mais surtout par un avenir nécessairement commun.

Aujourd'hui, il faut adapter notre politique à la nouvelle donne géopolitique du XXIe siècle, à l'apparition de nouveaux enjeux, à l'entrée en scène de nouveaux acteurs et de nouveaux partenaires. Il faut associer nos moyens à ceux de nos partenaires et des institutions multilatérales, afin de construire un partenariat durable, garant d'un intérêt mutuel.

La France a longtemps privilégié le cadre bilatéral. Ce type d'intervention est désormais révolu parce qu'il est tout simplement inefficace. Comme vous le rappelez dans votre rapport, monsieur le sénateur, la France n'a plus vocation à être « le gendarme de l'Afrique ».

Nous privilégions aujourd'hui la démarche multilatérale, qui seule garantit la légitimité de notre action. Les interventions militaires françaises sont désormais menées dans le cadre de mandats confiés à l'ONU, l'Organisation des Nations unies. Cette approche présente plusieurs avantages. Elle assure un partage non seulement des risques et des coûts bien sûr, mais également des responsabilités opérationnelles sur le terrain.

Depuis le début de cette législature, la France s'est ainsi efforcée de mobiliser l'ensemble des grandes organisations internationales dont elle est membre - le Conseil de sécurité, le G 8, l'Union européenne et le FMI - en les sensibilisant notamment au risque collectif que constitue désormais l'enlisement ou la contagion des crises africaines.

En Côte d'Ivoire, nous avons saisi, dès 2002, le Conseil de sécurité, qui s'implique depuis lors pleinement dans ce dossier difficile, ainsi que les bailleurs multilatéraux. En République démocratique du Congo, c'est la France qui a accepté de fournir, sans délai, l'essentiel du contingent de l'opération Artémis et d'en être la nation-cadre. Première opération européenne effectuée en dehors du continent européen et sans l'appui de l'OTAN, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, l'opération Artémis a permis d'éviter une crise qui aurait pu conduire à une remise en cause de l'ensemble du processus congolais. L'opération EUFOR, conduite actuellement pour assurer la sécurité du déroulement du processus électoral, s'inscrit dans la continuité de cette action.

Depuis le conflit des Grands Lacs, qui a déstabilisé une partie de l'Afrique centrale puis, plus récemment, avec la crise ivoirienne et surtout le conflit du Darfour, qui représente pour moi le conflit le plus grave et le plus lourd de menaces pour le continent africain, la mobilisation de la communauté internationale s'est considérablement renforcée.

Oui, je le répète, le Darfour est pour moi le conflit le plus préoccupant du continent africain dans la mesure où il présente un triple risque.

Ce conflit risque d'entraîner tout d'abord une crise humanitaire majeure, avec près de 300 000 morts, essentiellement des civils, et près de 2 millions de déplacés, dont 200 000 à 300 000 réfugiés au Tchad.

Il présente également un risque politique, à savoir l'implosion du Soudan avec la remise en cause de l'accord Nord-Sud, conclu en 2004, après vingt ans de guerre civile.

Il peut aussi créer une déstabilisation de toute la région, au Tchad et au sein de la République centrafricaine tout d'abord, mais également au-delà, suivant le phénomène de dominos bien connu. En outre, l'Union africaine a accepté, le 21 septembre dernier - j'étais alors à New York -, de prolonger sa mission sur le terrain jusqu'en décembre prochain. Cette décision est sage et responsable. Nous travaillons à renforcer les moyens dévolus à cette opération en particulier avec nos partenaires de l'Union européenne et en liaison avec les Nations unies.

Enfin, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, avec la résolution 1706, de mettre en place une opération de maintien de la paix de 17 000 hommes destinée à appuyer la mise en oeuvre de l'accord d'Abuja et à assurer la sécurité des populations civiles.

À cet égard, nous devons travailler dans trois directions : augmenter et améliorer l'équipement de l'Union africaine, afin d'accroître son efficacité jusqu'au 31 décembre ; faire en sorte que cet accord de paix soit signé par d'autres groupes rebelles qui l'ont refusé - j'en ai d'ailleurs parlé avec le président de l'Union africaine il y a quarante-huit heures à Brazzaville - ; et engager le dialogue avec Khartoum. Nous devons nous mobiliser aux côtés des membres de la Ligue arabe et de tous ceux du Conseil de sécurité des Nations unies pour expliquer aux autorités de Khartoum qu'elles doivent accepter le dialogue et le processus de paix.

Monsieur le président, je me suis permis de parler du Darfour, car il me semble que l'on ne peut pas aujourd'hui, au Sénat, dans le cadre du débat relatif à la gestion des crises africaines et au multilatéralisme, ne pas parler de ce sujet. Khartoum refuse les forces de l'ONU, à nous d'expliquer qu'il faut faire au nord ce qu'elle a accepté au sud.

Aujourd'hui, plus des deux tiers de l'agenda du Conseil de sécurité des Nations unies sont consacrés aux conflits africains. Quant au coût annuel moyen des opérations de maintien de la paix sur ce seul continent, il atteint désormais près de 5  milliards de dollars par an.

Face à cette évolution, la France a travaillé à renforcer tant l'implication de l'Union européenne que l'engagement des Africains en faveur de leur propre sécurité.

À cet égard, si l'Union européenne dispose, certes, de moyens importants et fournit un cadre de premier ordre à cette ambition multilatérale, il convient toutefois de renforcer encore la cohérence de ses instruments d'intervention.

Dans cette perspective, le Conseil européen de décembre 2005 a adopté une « Stratégie de l'Union européenne pour l'Afrique ». Celle-ci comporte un volet essentiel concernant la paix et la sécurité. Par ailleurs, une réflexion portant sur un « concept européen de renforcement des capacités africaines de prévention, de gestion et de résolution des conflits » se poursuit. Il s'agit de construire dès maintenant un partenariat stratégique avec l'Union africaine et les organisations régionales.

Parallèlement, l'Union européenne s'est dotée de nouveaux instruments d'intervention. La Facilité européenne pour la paix en Afrique a ainsi autorisé l'utilisation des moyens du fonds européen pour le développement, le FED, permettant ainsi de financer les efforts faits par les pays africains en matière de gestion des crises ou les opérations africaines de maintien de la paix.

Cela étant dit, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Dulait, il importe que les interventions européennes soient mieux perçues et mieux comprises par nos partenaires, notamment les États africains. Il est nécessaire qu'elles soient plus lisibles, notamment dans leurs modes de financement.

Il n'est pas rare que la complexité de certaines opérations entraîne l'action prépondérante d'une ou deux nations, ce qui conduit à diminuer grandement la visibilité de l'Union européenne sur la scène africaine. Un effort prioritaire devra donc être mené à l'avenir pour faciliter la mise en place rapide des opérations souhaitées.

Le règlement des crises africaines suppose également que la capacité des Africains à gérer leur sécurité collective soit confortée.

La politique française en Afrique repose désormais en grande partie sur l'appropriation. C'est dans cette optique que le projet RECAMP de soutien aux capacités africaines de prévention et de gestion des crises a été conçu. Je me réjouis de constater que nos partenaires de l'Union européenne nous rejoignent désormais sur ce programme d'initiative française.

C'est dans cet esprit que le Président de la République a décidé de faire évoluer le dispositif des forces prépositionnées, afin d'accompagner au plus près la montée en puissance de la force africaine en attente, la FAA, de l'Union africaine.

Parallèlement, nous poursuivons notre appui spécifique auprès de chacune des organisations régionales comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, CEDEAO, la Communauté économique et monétaire des États d'Afrique centrale, CEMAC, et la Communauté de développement de l'Afrique australe.

La mission de nos forces s'oriente ainsi vers des partenariats régionaux en lien étroit avec les grandes puissances que sont l'Afrique du Sud et le Nigeria et dont vous avez d'ailleurs, à juste titre, souligné l'importance, monsieur Dulait.

L'Union africaine apporte une légitimité indispensable à l'appropriation et son rôle ira croissant dans l'intégration de ce continent, j'en suis convaincu. Il est vrai qu'elle est encore à ses débuts et qu'elle se heurte, dans l'immédiat, ce qui est normal, à un manque de capacités et de coordination. Les résultats limités de sa mission au Darfour, dont vous avez rappelé tout à l'heure les vicissitudes, illustrent l'ampleur de la tâche qui reste à accomplir. Il est donc essentiel de proposer des solutions rénovées et adaptées afin de soutenir l'engagement des États africains.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire ce matin.

Il est essentiel de mesurer que le règlement définitif des crises passe par le renforcement de notre effort en faveur du développement.

Comme ma collègue Brigitte Girardin vous le dira tout à l'heure, dans la plupart des pays concernés, c'est l'absence de perspectives concrètes qui contribue à enliser les conflits. Dès lors, il est indispensable de tout mettre en oeuvre pour que, vis-à-vis de tous les acteurs concernés, et en premier lieu les jeunes, les dividendes de la paix apparaissent définitivement supérieurs aux intérêts de la guerre.

Il faut rompre le cercle vicieux qui conduit les bailleurs de fonds à suspendre leur coopération dès l'éclatement d'une crise, en attendant la conclusion du processus politique. Il est, au contraire, essentiel que les bailleurs, par un appui spécifiquement ciblé sur la sortie de crise - et nous sommes encore insuffisamment énergiques et dynamiques en la matière -, contribuent, dès le début du processus, à construire ces perspectives sans lesquelles aucune sortie de crise dans un pays pauvre ou détruit n'est possible.

C'est dans ce cadre que de nouvelles priorités ont été définies pour notre coopération et notre aide au développement. L'accent a été mis en particulier sur la restructuration des forces armées et de police, la réforme de la justice, le soutien aux administrations financières, la réinsertion des ex-combattants et des enfants soldats, ainsi que le retour des populations déplacées et réfugiées. Nous devons, par conséquent, persévérer dans cette voie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre politique de gestion des crises africaines est parfois mal comprise.

À travers le maintien d'une présence militaire et l'implication de forces françaises dans le cadre d'opérations internationales de stabilisation, nous sommes accusés à la fois d'abandonner l'Afrique, en laissant le champ libre aux institutions multilatérales, et de continuer à mener une politique qualifiée par certains de « néocolonialiste ».

Aucune de ces deux lectures ne correspond à la réalité. C'est non pas d'un abandon de poste qu'il s'agit, mais d'un changement de posture. Le seul souci de la France est un souci d'efficacité. Sa seule ambition est de contribuer à l'avenir du continent africain, et, par là même, au nôtre.

Je souscris à vos préoccupations, monsieur Dulait, lorsque vous soulignez la nécessité de mieux communiquer. Cela implique de faire oeuvre de transparence et de pédagogie à l'attention non seulement des Africains, mais aussi de l'opinion publique française tout entière.

Aujourd'hui, je suis convaincu que l'Afrique peut et doit être la « nouvelle frontière » de ce XXIe siècle. C'est là un enjeu stratégique, qui exige audace, ambition et respect. Il s'agit de construire un nouveau partenariat entre le continent européen et le continent africain, de créer de nouvelles relations, plus équilibrées, respectueuses et confiantes.

Notre passé commun, notre histoire commune - avec, il est vrai, ses complexités, ses incompréhensions, voire, parfois, ses déchirures - doivent nous amener à construire un avenir partagé pour faire face, ensemble, aux risques de fractures du monde contemporain, mais aussi à ses formidables enjeux.

Tout doit être entrepris pour faire de la jeunesse, de la vitalité et de la créativité de cet immense continent une chance, pour lui d'abord, bien sûr, mais aussi pour l'Europe et pour la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. André Ferrand.

M. André Ferrand. Monsieur le président, mesdames les ministres, débattre du mode de gestion des crises africaines, c'est s'interroger sur le rôle que joue la France dans le règlement de ces crises aujourd'hui et sur celui qu'elle jouera demain.

C'est également étudier les évolutions observées depuis une dizaine d'années dans ce domaine, je pense, notamment, à la place tenue par les organisations multilatérales, telles que l'Union européenne, l'ONU ou l'Union africaine.

C'est, enfin, se poser la question de la prise en charge de la sécurité du continent par les Africains eux-mêmes.

Le rôle de la France dans la gestion des crises africaines pose la question plus générale de la politique africaine de notre pays, de son histoire, de sa légitimité et de son avenir.

Les relations entre la France et l'Afrique sont traditionnellement marquées par un fort bilatéralisme, d'abord dans un contexte exclusivement francophone, puis -  ce dont il faut se féliciter - dans le cadre d'un périmètre plus large, anglophone ou lusophone.

Cette logique traditionnelle de relations bilatérales s'articule autour de trois volets interdépendants : les questions de sécurité, c'est-à-dire la défense des États et la résolution des conflits ; les questions politiques, et, enfin, les questions économiques.

En matière de défense des États, il existe, à leur base les accords de défense et les accords de coopération militaire technique. Or nous assistons depuis plusieurs années à une évolution qui réside dans la désuétude de ces deux types d'accords.

En effet, les références aux premiers sont de plus en plus rares, même si certains sont encore en vigueur.

Quant aux seconds, à savoir les accords de coopération militaire technique, leur importance diminue depuis quelques années avec la réduction du nombre des coopérants, des forces prépositionnées et des stagiaires militaires africains en France.

Cette situation nouvelle permet de laisser place à des concepts innovants, dont le RECAMP, c'est-à-dire le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. Ce programme, lancé en 1997, consiste en un appui à la formation et à l'entraînement, voire, parfois, à des engagements opérationnels.

Désormais, la politique française en matière de sécurité en Afrique s'attache fortement au maintien de la paix et de la sécurité régionale. La France a choisi de renforcer les capacités africaines de maintien de la paix ; il s'agit de former des unités au sein des armées africaines au maintien de la paix et de la sécurité essentiellement régionales, en vue d'un déploiement en cas de conflit. Cette évolution ne se fait plus dans un cadre strictement francophone et reçoit le soutien financier et logistique de la France.

La France n'entend donc plus - on l'a dit et redit  - être le « gendarme de l'Afrique », même si elle maintient une présence militaire importante sur le continent. On ne peut, en effet, ignorer que l'armée française est concernée au quotidien par les crises africaines, puisque quelque 11 000 hommes sont actuellement stationnés sur le continent.

Depuis septembre 2002 et le développement de la crise ivoirienne, elle met en oeuvre un mode nouveau de règlement des crises qui associe l'engagement direct des troupes françaises, placé sous mandat de l'Organisation des Nations Unies, et l'appui aux organisations régionales.

Comme le montre l'excellent rapport de nos collègues de la commission des affaires étrangères, sur l'initiative de son président André Dulait, l'enjeu consiste désormais à construire un partenariat sécuritaire à la fois légitime et efficace, dans un contexte politique africain de rejet global des interventions extérieures. L'ONU, l'Union africaine, l'Union européenne et les organisations sous-régionales africaines doivent trouver leur place dans le dispositif.

En matière de questions politiques, deux éléments nouveaux apparaissent : la démocratisation et l'État de droit.

La France s'attache à la promotion de la démocratie dans les États africains en soutenant les pays qui ont déjà franchi le pas avec l'instauration d'un pluralisme politique et l'organisation d'élections régulières.

L'évolution vers un État de droit constitue l'autre dimension des questions politiques et consiste en la mise en place d'un système juridique destiné à protéger les individus et les institutions contre toute ambition politique dictatoriale.

Dans cette optique, la coopération se concrétise par la pression que la France exerce en vue de l'instauration d'un État de droit au sein duquel la Constitution protège les institutions et consacre les libertés fondamentales, où la liberté d'expression et d'opinion prend corps dans un pluralisme politique responsable et par le refus des coups d'État, conformément au principe de l'Union africaine de prohibition des changements anticonstitutionnels.

Quant au volet économique de la politique africaine de la France, s'il est souvent considéré à travers l'aide publique au développement, il faut aussi et surtout prendre en compte la participation importante de nos entreprises aux économies africaines.

À cet égard, je souhaite mettre l'accent sur une initiative française particulièrement heureuse, à savoir l'organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires, l'OHADA. Cette organisation regroupe aujourd'hui seize pays, dont les quatorze de la zone franc, et sa version Internet représente le portail du droit des affaires en Afrique.

À cette logique traditionnelle de relations bilatérales, qui connaît, nous venons de le voir, une évolution vers un partenariat fort dans une perspective de stabilité, de solidarité et de développement durable, il convient d'ajouter une nouvelle logique de relations multilatérales.

En effet, notre pays collabore de plus en plus avec les regroupements africains, notamment en matière de sécurité. Par ailleurs, la France inscrit cette politique dans le cadre plus large d'organisations internationales auxquelles elle participe. C'est le cas de l'Union européenne avec la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, qui s'attache à la prévention et au règlement des conflits.

En la matière, une coopération très avancée a été mise en place avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et avec la Communauté de développement de l'Afrique australe.

Par ailleurs, hormis cette assistance financière, la PESC débouche essentiellement sur des prises de position commune des États de l'Union européenne et des déclarations de la présidence, auxquelles s'associent souvent d'autres pays européens non membres de l'Union.

Les positions de l'Union européenne sont en adéquation avec la nouvelle dynamique de la politique africaine de la France, s'agissant notamment des questions politiques. À cet égard, le cas de la crise ivoirienne est exemplaire.

La nouveauté de la politique africaine de la France réside dans le développement de sa dimension multilatérale. Notre pays, d'une part, collabore de plus en plus avec les regroupements d'États africains et, d'autre part, inscrit sa politique dans le cadre plus large d'organisations internationales, telles que l'Union européenne ou l'Organisation internationale de la francophonie.

La francophonie, en effet, c'est avoir en partage non seulement la langue française, mais également des valeurs universelles, à savoir la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l'homme. Elle constitue indiscutablement un périmètre d'influence pour notre pays, qui doit jouer un rôle dans le cadre de la gestion multilatérale des crises africaines.

La politique africaine de la France est donc en pleine évolution, à deux égards.

D'une part, on observe depuis quelques années une rationalisation des ressources de notre pays et de l'action africaine, qui correspond à l'impératif d'intérêt national. Celui-ci caractérise les relations extérieures de tous les États et contraste nettement avec la politique fondée sur des liens personnels, qui était le propre des rapports franco-africains jusqu'au milieu des années 1990.

D'autre part, on constate une responsabilisation implicite des dirigeants africains issus des nouvelles générations, qui souhaitent mettre fin aux relations traditionnelles de parrainage et n'hésitent pas à se tourner vers de nouveaux partenaires.

Aujourd'hui, nous sommes convaincus que, malgré la rationalisation de sa politique étrangère, dans un cadre bilatéral comme à travers le multilatéralisme, la France doit rester présente en Afrique. Elle ne doit en aucun cas se désengager des théâtres africains, car le vide qu'elle laisserait alors serait comblé par d'autres, souvent moins bien intentionnés.

Les événements de ces dernières années ont montré que la dimension stratégique de la présence française en Afrique permettait à la fois de protéger les quelque 200 000 ressortissants français qui y résident et d'aider les Africains à gérer les crises, tant qu'elles n'atteignent pas un degré d'intensité trop élevé.

Toutefois, la France ne peut se trouver en position de devoir régler seule les crises africaines. Toute intervention militaire française suppose une décision et un mandat de l'ONU, ainsi qu'une demande des organisations régionales. La responsabilité des opérations doit être rapidement confiée à d'autres acteurs, européens ou africains.

Le rôle de notre pays est de mieux impliquer ses partenaires européens en Afrique, car - soyons-en certains, mes chers collègues -, ce continent constitue plus que jamais une région propice aux crises. Or celles-ci ont des effets de plus en plus intenses hors d'Afrique, par le biais de l'immigration, des trafics de drogues ou d'armes ou encore des extrémismes religieux.

La communauté internationale doit donc s'impliquer de plus en plus fortement dans ces crises, comme le fait l'Union européenne en République démocratique du Congo avec l'opération Artémis. Les Nations unies, pour leur part, ont plus assuré des fonctions d'interposition que contribué à la résolution militaire des crises. Quant à l'OTAN, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, elle souhaite s'engager davantage en Afrique, sous l'impulsion, notamment, des États-Unis.

Il serait souhaitable de mettre fin à la rivalité qui oppose, principalement au Soudan, l'OTAN à l'Union européenne, d'autant que l'action internationale, il faut le reconnaître, n'est pas toujours très efficace, tant les sorties de crises sont lentes et les règlements politiques difficiles à conclure.

Les Africains doivent-ils s'approprier la gestion des crises ? Une telle démarche volontariste a été engagée par l'Union africaine, les organisations sous-régionales et leurs différentes instances, sur l'initiative de l'Afrique du Sud, en particulier. Il existe donc une réelle volonté d'agir, mais le décalage entre les très grandes ambitions affichées et les résultats limités obtenus, du fait de la faiblesse des moyens et des rivalités entre États et dirigeants, apparaît pour l'instant insurmontable.

Une nouvelle fois, il faut souligner le rôle joué par l'Afrique du Sud, qui bénéficie d'une aura politique incontestable et possède un poids militaire important. Ce pays est une véritable démocratie aux fondements solides. Il constitue sans nul doute un partenaire important, souvent encore potentiel, pour la France : nos objectifs peuvent coïncider, dans la mesure où ils correspondent à ceux des autres pays africains, ce qui, malheureusement, n'est pas toujours le cas.

La gestion des crises, particulièrement en Afrique, est donc de plus en plus difficile, car elles sont plus longues et leur résolution est plus complexe. La communauté internationale, c'est-à-dire les États qui disposent de la volonté et des moyens d'intervenir, a atteint ses limites en termes d'engagement financier et de capacités d'action.

Certaines crises, comme au Congo, posent des problèmes immenses, et leur résolution n'est pas à la portée de la France seule, ni même de l'Union européenne. Leur règlement global relève aujourd'hui du Conseil de sécurité des Nations unies. La conséquence en est simple : le règlement définitif d'une crise n'est jamais exclusivement militaire, mais toujours fondamentalement politique.

Je suis persuadé, comme le note fort bien le rapport de la commission, que la France doit réaliser un vrai travail d'explication et de pédagogie à propos de sa politique en Afrique. Nous devons afficher notre stratégie, nos objectifs et nos méthodes pour ce continent. La réorientation de la politique française sur les questions de sécurité en Afrique doit être lisible par tous.

En effet, nous avons un rôle crucial à jouer dans cette partie du monde, qui nous est si proche, grâce à notre expérience, notre connaissance des hommes et du terrain, notre réseau diplomatique, nos moyens militaires et, surtout, notre capacité à convaincre nos partenaires européens de l'importance des enjeux, même si nous savons que le chemin sera long et difficile avant que l'Union européenne ne soit perçue comme un acteur majeur en Afrique.

Il nous faut donc soutenir la présence de nos partenaires européens sur le terrain, dans les opérations et dans la formation des armées locales. Ce mouvement qui s'amorce doit être porté par notre pays au nom de la stabilité et de la sécurité en Afrique. Il doit permettre la mise en place d'un partenariat équilibré entre l'Europe et ce continent. C'est la seule façon d'apporter une réponse crédible et durable aux crises africaines. C'est la meilleure solution dont nous disposons pour que la place de notre pays en Afrique soit assumée et respectée.

Mes chers collègues, je voudrais conclure en évoquant la situation en Côte d'Ivoire. L'intervention française dans ce pays mobilise plus de 4 000 hommes, ce qui est considérable. Cette opération, placée sous mandat des Nations unies, visait à mettre en place, en appuyant les forces africaines de la CEDEAO, les conditions nécessaires à la recherche d'une solution politique.

Le choix de nous interposer militairement entre les deux camps en présence nous place dans une situation difficile, et nous n'avons pu, malheureusement, éviter de nous impliquer directement dans le conflit. Une résolution des Nations unies a créé le groupe de travail international sur la Côte d'Ivoire, qui doit définir un processus de sortie de crise.

Mesdames les ministres, pouvez-vous nous éclairer sur la situation actuelle en Côte d'Ivoire ? Comment imaginez-vous qu'elle puisse évoluer ? Jusqu'à quand durera l'opération Licorne ?

Madame la ministre de la défense, comment créer les conditions d'un retrait militaire, dans le respect de nos engagements, puis comment le gérer, tout en continuant à assurer la sécurité de nos compatriotes ?

Madame la ministre déléguée, s'agissant de la crise politique en Côte d'Ivoire, où des élections auraient dû être organisées en ce mois d'octobre 2006, quel est le scénario qui vous semble le plus plausible ? Qu'en pensent vos partenaires du groupe de travail international, au sein duquel vous jouez un rôle dont nous connaissons l'importance ?

Pour la France, bien plus que pour tout autre pays engagé en Côte d'Ivoire, la résolution de cette crise est essentielle, tant nos positions et nos intérêts politiques, stratégiques, économiques et culturels sont demeurés importants dans ce pays.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, parce que je suis leur représentant, je profite de l'occasion qui m'est offerte pour saluer avec chaleur l'engagement de tous nos compatriotes, encore nombreux, qui sont restés en Côte d'Ivoire et y assurent la présence de la France. Il était important, me semble-t-il, de leur rendre un hommage particulier au cours de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je me réjouis qu'un débat sur la gestion des crises en Afrique soit inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée.

Mme Catherine Tasca. Il était temps !

M. Robert Hue. Ce débat doit nous permettre d'analyser les conditions nouvelles de l'implication de la France sur ce continent, notamment sur les plans militaire et politique. Toutefois, il n'aurait guère de signification s'il ne se centrait pas sur les nouveaux rapports qu'il convient d'établir entre la France, l'Europe et l'Afrique.

« La mondialisation a oublié l'Afrique », écrit Joseph Stiglitz, prix Nobel américain d'économie.

De fait, la mondialisation libérale a accentué la pauvreté, qui concerne aujourd'hui deux fois plus de personnes que vingt ans plus tôt.

Mesdames les ministres, cinq ans après l'adoption des objectifs du Millénaire pour le développement, destinés à combattre la pauvreté en fournissant aux pays pauvres une aide financière égale à 0,7 % du PIB des pays développés, où en sont les engagements de la France et de l'Europe ?

En fait, on est loin du compte ! Plus de 300 millions d'Africains vivent avec moins d'un dollar par jour, 240 millions souffrent de carences alimentaires et près de 200 millions de malnutrition.

Mesdames les ministres, sans anticiper sur d'autres débats, quels crédits le budget de la France de 2007, ou celui de l'Union européenne, consacreront-ils à nos engagements dans ce domaine ?

Les conclusions de la mission d'information, présidée efficacement par André Dulait, indiquent que « l'Afrique et les crises qui l'affectent doivent demeurer l'une des priorités de l'action extérieure de la France, par nécessité pour l'Afrique et pour l'Europe ».

Je partage cette analyse. Toutefois, j'ajoute qu'au-delà de la nécessité il est indispensable de mettre fin à un comportement qui continue, à bien des égards, d'être perçu comme post-colonial par les Africains, et qui consiste à envisager souvent les problèmes de leur continent du seul point de vue de l'Europe.

À ce propos, je le souligne, le vote par la majorité parlementaire d'une loi affirmant le rôle positif du colonialisme a fortement altéré l'image républicaine et universelle de la France.

Avant d'entrer dans le coeur de notre débat, il me semble indispensable d'analyser les véritables mobiles des conflits en Afrique.

L'Afrique, aujourd'hui, se trouve au centre des enjeux de la mondialisation libérale, puisqu'elle renferme près du tiers des réserves en matières premières de la planète, telles que le pétrole, l'or et l'uranium. Or, les multinationales, sous couvert de neutralité, jouent souvent le pourrissement des conflits, qui permet l'exploitation des richesses et l'accomplissement d'actes répréhensibles.

Ce n'est donc pas un hasard si ce continent détient le triste record des conflits armés dans le monde. Rien ne sera durablement possible si l'on ne reconnaît pas à l'Afrique son statut d'acteur essentiel de la civilisation mondiale, sur lequel nous devrons bâtir de nouvelles relations.

Ainsi, en Afrique du Sud, un pays dont le rôle s'étend sur le continent bien au-delà de l'Afrique australe - la mission de la délégation de la commission des affaires étrangères à Dakar en a fait le constat -, la France est attendue : elle pourrait y devenir un partenaire stratégique beaucoup plus engagé. Au demeurant, si elle n'est pas là, d'autres prendront la place.

M. Robert Hue. C'est malheureusement un fait : à cause de ses ressources, l'Afrique attise les convoitises, au tout premier rang celles des États-Unis. Ainsi l'administration Bush, animée d'une ambition impériale et particulièrement intéressée par les ressources énergétiques de l'Afrique, développe-t-elle une politique qui participe à la mise en concurrence des peuples.

Nous ne pouvons pas non plus, dans la perspective d'échanges mutuellement avantageux avec l'Afrique, ignorer que d'autres pays, telles la Chine et l'Inde, sont de plus en plus stratégiquement présents sur ce continent. Ils y sont déjà très actifs sur le plan économique, mais ils ne manqueront pas, à mon avis, de développer des relations d'une autre nature.

Réorganiser sur des bases différentes l'aide publique au développement, entreprendre les chantiers de l'alphabétisation, de la santé, du logement, développer l'agriculture et l'agro-industrie vers l'autosuffisance alimentaire, voilà autant de priorités pour la mise en place desquelles nous devrons, dans un avenir proche, construire des partenariats d'un type nouveau.

L'annulation totale et immédiate de la dette, qui s'élève à plus de 40 milliards de dollars, est évidemment un préalable à tout engagement. Elle faisait d'ailleurs partie des conclusions de la réunion du G8, au cours de l'été 2005. Aucune suite n'y a été donnée, pour le moment du moins.

Pourtant, de généreuses paroles ont été prononcées, notamment par le Président de la République, en faveur d'un engagement prochain des pays riches en faveur des pays les plus pauvres, parmi lesquels se trouvent de nombreux pays d'Afrique.

Que valent ces paroles si, dans les faits, nous profitons de la vulnérabilité des pays d'Afrique pour y exporter à moindre coût nos déchets polluants, nos déséquilibres économiques, nos conflits de puissance, au mépris des moyens de subsistance, de la santé ou de la vie même des Africains, qui pèse parfois bien peu face au fanatisme du marché-roi ?

Et que dire de la récente loi relative à l'immigration et à l'intégration ! Elle a souvent été reçue par les Africains, je peux en témoigner, comme une agression et un rejet, comme une nouvelle volonté de pillage et de ségrégation à l'égard de l'Afrique et de ses habitants.

À l'inverse, la proposition de la France d'instituer une taxe de solidarité prélevée sur les billets d'avion internationaux paraît positive. La France a obtenu le soutien de nombreux pays. Il s'agit d'un pas important, qui serait un préalable à tout engagement de la communauté internationale envers ce continent pour lutter contre les pandémies, notamment le sida et le paludisme.

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Robert Hue. Les forces militaires françaises sont activement présentes sur le sol africain. Ainsi, avec 11 000 hommes répartis dans différents pays, dont 4 000 soldats en Côte d'Ivoire, notre pays a pour objectif de contribuer au maintien de la paix.

La France pourra d'autant mieux jouer un rôle reconnu par les Ivoiriens et l'Union africaine qu'elle participera, sous l'égide de l'ONU, à la mise en oeuvre du dispositif proposé par l'ONU et l'Union africaine en faveur d'une issue politique à la crise, et ce dans le respect scrupuleux de la légalité et du processus électoral retenu, même s'il convient encore de prévoir d'autres aménagements.

Mon sentiment est que, compte tenu de l'ampleur de cette crise, l'heure n'est pas venue d'envisager un retrait. Celui-ci, que ne pourrait expliquer que telle ou telle difficulté conjoncturelle, créerait un vide qui serait vite comblé par d'autres et conduirait à une situation dangereuse.

Mes collègues du groupe CRC et moi-même souhaitons une augmentation sensible des crédits alloués pour les opérations extérieures. Elle nous paraît plus que jamais nécessaire.

Concernant la Côte d'Ivoire, l'ampleur de la catastrophe écologique et sanitaire survenue à Abidjan illustre une logique libérale poussée à l'extrême, qui consiste à exporter à bon compte les déchets polluants des pays industrialisés vers une Afrique « poubelle ». Où en sont les nombreuses propositions visant à mettre en place un véritable plan d'urgence international et des moyens de prévention de ces catastrophes ?

Par ailleurs, s'agissant de notre présence militaire en Afrique, l'heure n'est-elle pas venue de renégocier les traités de défense existants, qui datent d'une période qui n'a plus rien à voir avec la réalité politique et militaire d'aujourd'hui, et de revoir le contenu des missions traditionnellement affectées aux forces françaises présentes en Afrique ?

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Robert Hue. Nous voulons que la France contribue à l'instauration d'un système de sécurité fondé sur le désarmement, la prévention des conflits, et que, ce faisant, elle participe au renforcement du rôle de l'ONU et à une réforme de son fonctionnement.

La situation au Darfour illustre mon propos de façon dramatique. L'ONU doit s'engager avec force dans ce conflit et prendre des mesures concrètes et immédiates, en augmentant l'aide internationale et en assurant la protection des civils.

Tout doit être entrepris pour créer les conditions d'un règlement politique de la crise, par une négociation placée sous l'égide de l'ONU entre les parties et les pays concernés, le Soudan, bien sûr, mais aussi le Tchad

Malgré sa faible efficacité jusqu'à présent sur le terrain - de ce point de vue, notre aide est essentielle : le dispositif RECAMP, renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, est tout à fait efficace et va dans le sens d'un nouveau type de démarche -, l'Union africaine a prouvé sa légitimité et sa crédibilité, en étant la seule à être intervenue dans ce conflit oublié par tous. Son rôle doit donc être renforcé. Enfin, les responsables des massacres perpétrés doivent être jugés par le Tribunal pénal international.

Par ailleurs, l'action extérieure de la France doit se traduire par le renforcement de son réseau diplomatique. C'est d'autant plus vrai que les zones qui sont considérées comme stables et dans lesquelles sont déployés nos militaires peuvent connaître, à l'occasion d'échéances électorales ou de crises de gouvernance, de possibles troubles. Je pense notamment au Sénégal.

Vous l'aurez compris, je souhaite que la France intensifie son engagement, avec le soutien et sous le commandement de l'ONU, mais aussi avec celui de l'Europe, sachant que les relations entre les pays africains et les pays européens restent le plus souvent, trop souvent, bilatérales.

À l'image de l'opération Artémis en République démocratique du Congo, l'Union européenne doit poursuivre, au-delà de l'aide publique, ses efforts pour contribuer à la stabilité politique du continent africain et à sa croissance. Cela passe surtout par une aide à la reconstruction d'un système sanitaire qui, seul, permettra d'éviter un drame gravissime, après cette terrible période de violence.

Le temps est venu de jeter les bases d'une nouvelle coopération, libérée de tout esprit de domination et de tout paternalisme, pour construire une dynamique fondée sur le respect et l'avantage réciproques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nos relations politiques, militaires, économiques, avec l'Afrique subsaharienne doivent être replacées dans une vision stratégique, qui fait aujourd'hui défaut, en particulier quand il s'agit de la question de l'aide au développement qui charrie, ici et là-bas, des scories historiques nombreuses. Pour avancer, nous devons chercher à dépasser aussi bien une vision technocratique qu'une vision néocoloniale de l'aide, afin de lui redonner tout son sens dans le cadre d'une politique globale.

Les pays, les peuples africains ne souhaitent pas tomber dans une nouvelle dépendance : ils savent que certaines aides, dans le domaine militaire par exemple, ont trop souvent des contreparties coûteuses pour l'indépendance du pays qui la reçoit.

Bien entendu, dans le domaine de la sécurité comme dans celui du développement, le défi majeur des politiques d'aide à l'Afrique est de concilier l'efficacité de l'intervention et le respect du droit des Africains à décider eux-mêmes de leur avenir. Dans l'un et l'autre domaine, la meilleure façon d'y répondre est d'inscrire résolument ces politiques dans un cadre multilatéral, en renforçant à la fois le système des Nations unies et celui des organisations africaines, autour de l'Union africaine.

Un récent rapport du Conseil d'analyse économique, du mois de septembre 2006, précisait : « Il ne s'agit pas de revenir à une gestion politique des relations entre la France et ses anciennes colonies, dont l'image de l'action de notre pays a pâti, mais de concevoir l'aide publique au développement (APD) comme le moyen privilégié d'associer les pays du Sud aux principaux flux économiques, financiers et commerciaux et à la production des biens publics mondiaux (BPM) que sont notamment la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, la préservation de la biodiversité, le maintien de la paix et de la sécurité internationale, ou encore la mise en place d'un cadre multilatéral plus complet et plus efficace. » J'ajouterai : dans le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme.

C'est dans cet esprit que je place mon intervention d'aujourd'hui.

Je commencerai par signaler que le rapport de la commission des affaires étrangères, présenté ici par notre éminent collègue André Dulait, dresse un constat lucide et pertinent de la situation en Afrique subsaharienne et des rapports que la France entretient avec les pays de cette région du monde. Je partage l'essentiel de ce constat et fais miennes les principales conclusions du rapport.

Je tiens aussi à affirmer encore une fois notre reconnaissance à l'égard du labeur effectué par les soldats français dans le cadre des différentes missions de protection de nos concitoyens résidant en Afrique.

Le rapport de la commission soulève les principaux problèmes, formule des propositions et suggère des pistes pour faire évoluer une situation qui n'est satisfaisante ni pour les Africains ni pour nous.

Il faut également préciser que ce rapport relève, en creux, les insuffisances de la politique française et, plus encore, l'incapacité du Président de la République et des différents gouvernements depuis 2002 à donner une nouvelle impulsion, à engager une nouvelle dynamique dans nos relations avec l'Afrique. Depuis 2002, la gestion des crises par ces gouvernements est devenue celle du statu quo.

La prise en compte des évolutions et des nouveaux éléments du contexte géopolitique nous oblige à adapter et à reformuler notre politique africaine ; dans ce domaine, nous n'avions que trop tardé. Ainsi, nos bases militaires sur ce continent, les accords de défense existants et les interventions de ces dernières années portent trop, à mon goût, le sceau d'une époque révolue.

La gestion des crises africaines est un vaste sujet que je me garderai d'aborder dans toute sa complexité. Je me contenterai ici de souligner trois aspects qui me semblent particulièrement importants.

Le premier concerne l'étroite relation qui existe, selon moi, entre sécurité et développement. J'attire votre attention sur le fait que les questions de sécurité sont, de nouveau, aujourd'hui, un élément central du débat international. Cela est valable pour les relations entre « puissances », mais aussi dans les rapports Nord-Sud, entre pays riches et pays pauvres, entre pays développés et pays émergents... Les étiquettes peuvent changer, mais la réalité subsiste.

Or axer la priorité exclusivement sur les questions de sécurité reviendra, je le crains, à occulter la nécessité de réformer et de renforcer la coopération internationale en matière de développement. Ainsi, nous pouvons tous constater que les États-Unis, par exemple, augmentent d'une manière considérable depuis 2003 leur aide aux pays africains... quand il s'agit de lutter contre le terrorisme. En revanche, l'aide économique et sociale stagne depuis des années et reste très en deçà des besoins exprimés.

C'est la raison pour laquelle je souhaite relayer le constat alarmant dressé par le Secrétaire général des Nations unies, au mois de septembre 2005, selon qui aucun des objectifs du millénaire ne serait rempli par l'Afrique si elle restait au rythme actuel de développement. Cet appel pressant à la communauté internationale ne semble pas avoir été entendu.

Or, sans développement, il n'y aura pas de sécurité, et les extrémismes - tous les extrémismes - trouveront dans la pauvreté et le désarroi des populations le bouillon de culture nécessaire à leur funeste croissance. Il ne sera plus temps, alors, d'augmenter les forces militaires ou de multiplier les interventions musclées : les incendies, sur fond d'indigence, de fragilisation des États, de famines, se propageront sans cesse.

La réduction de la pauvreté et le développement durable dans les pays africains constituent la première action de prévention des conflits que nous nous devons de réussir.

Certes, nous savons que le lien entre sécurité et développement est très complexe, et les remarques que je formule en cet instant ne vont pas épuiser le sujet. Toutefois, je souhaite encore signaler que la mise à l'écart de sociétés entières, l'enfermement de populations dans la pauvreté chronique et leur marginalisation à l'égard des bénéfices éventuels de la mondialisation sont de puissants facteurs d'instabilité politique, économique et sociale, susceptibles, de surcroît, de contribuer à développer les extrémismes violents, de conduire à des crises graves entraînant la faillite des États, des mouvements migratoires incontrôlés, et renforçant le cycle infernal de misère et de violence.

La réponse de notre pays ne peut pas être uniquement militaire. La multiplication de foyers de crises régionales exige une gestion européenne spécifique et globale des crises en Afrique. Ainsi, une caractéristique très préoccupante de certaines crises africaines est la progressive disparition des structures étatiques. Dans ce cas, il faut apporter une réponse européenne spécifique et adaptée.

Aider les pays africains à gérer leurs propres crises doit être plus qu'un simple slogan à la mode. La France ne peut et ne doit pas tout faire toute seule ; or j'ai l'impression que cela n'est pas encore compris de tout le monde et que souvent, « on fait comme si ». Nous devrions savoir que la tentation de poursuivre une politique autonome est incompatible avec la volonté, maintes fois affichée, de « partager le fardeau ».

L'action de prévention des conflits doit être notre priorité et, pour qu'elle soit plus efficace, un effort doit être réalisé en matière de renseignement.

Récemment encore, madame la ministre de la défense, vous évoquiez les crises en Afrique, indiquant que, « si elles se généralisent avec leur cortège de massacres et de génocides », elles « auront un jour ou l'autre un résultat immanquable : celui de nous retrouver avec 5, 6, 7 millions et peut-être davantage d'Africains qui iront chercher sur le continent le plus proche les moyens de survivre ».

L'une des facettes du lien entre développement et sécurité est ainsi exprimée avec franchise. La passivité face aux crises africaines serait contraire à nos intérêts.

En conclusion de ce premier point, il convient de dire que toute action internationale, toute action de notre pays et de l'Union européenne doit s'inscrire dans cette double préoccupation liant développement et sécurité, sécurité et développement, tout en veillant, en particulier en Afrique sub-saharienne, à ce que la lutte contre le terrorisme ne dérive pas vers une approche exclusivement sécuritaire, insensible aux aspects démocratiques, sociaux et économiques.

Le deuxième aspect que je veux évoquer a trait au lien entre nos institutions et la politique extérieure, en particulier la politique africaine.

Le rapport d'information signale à juste titre que « la politique française était mal comprise et parfois même qualifiée d'illisible », notamment en ce qui concerne les questions de sécurité et la stratégie qu'elle entend désormais poursuivre en Afrique. Je partage, bien entendu, cette remarque, mais je souhaite aller un peu plus loin.

Tout d'abord, il n'y a pas qu'en Afrique ou, d'une manière générale, à l'étranger que la politique extérieure française est « mal comprise ». Souvent, dans notre propre pays, cette même impression se fait jour, particulièrement pour ce qui est de nos interventions militaires en Afrique.

L'une des raisons de cette incompréhension, qui peut, sous certaines conditions, restreindre dangereusement l'adhésion des citoyens à la politique menée, réside dans la façon dont cette politique est élaborée, portée, appliquée et surtout expliquée aux Français.

Concrètement, l'absence du Parlement dans ce processus constitue un handicap sérieux, aujourd'hui incompatible avec les exigences d'une démocratie moderne.

Je veux parler, vous vous en doutez parce que ce n'est pas la première fois, de la question du contrôle parlementaire des opérations extérieures. À mon avis, il s'agit là d'un élément crucial du débat à venir.

L'actuel article 35 de la Constitution dispose : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. » Il n'a jamais été utilisé. En rédigeant cet article, le constituant de 1958 avait sans doute à l'esprit que le Parlement devait être saisi lorsque les forces françaises étaient engagées dans un conflit armé. Or la pratique a restreint un rôle que le texte de la Constitution, certes, n'avait pas bien défini.

L'actualité nous rappelle constamment l'importance de ces opérations.

Nos troupes ont été engagées en Côte d'Ivoire sans qu'un mandat soit clairement défini et, depuis, leur mission n'a cessé d'évoluer. Au Tchad, depuis vingt ans, nous avons une présence militaire importante. Encore récemment, les hommes du dispositif Épervier sont intervenus pour soutenir le gouvernement chancelant de M. ldriss Déby. Dans ces cas, le Parlement a été informé, et seulement informé, après coup.

Actuellement, les forces françaises s'engagent au Liban, avant même qu'un simple débat sans vote n'intervienne au Parlement.

Par ailleurs, l'absence du Parlement se fait sentir aussi en ce qui concerne l'ensemble de notre relation militaire avec l'Afrique, qu'elle prenne la forme d'accords de défense, de coopération militaire, etc. Comme l'a rappelé mon collègue Robert Hue, cette relation mériterait sans doute d'être réexaminée, voire élargie à d'autres partenaires de l'Union européenne ou, pourquoi pas, à l'Union européenne elle-même.

La situation actuelle ne saurait perdurer. Quel que soit le gouvernement, celui d'aujourd'hui comme celui de demain, le Parlement doit être saisi, informé et consulté sur toute intervention militaire des troupes françaises dans un cadre national, européen ou onusien. La confiance n'exclut pas le contrôle !

Ainsi, il me semble nécessaire d'ajouter aux propositions pertinentes avancées par le rapport de la commission cette exigence d'un nouveau rôle attribué au Parlement, lui permettant d'être partie prenante dans le processus décisionnel pour déclencher, maintenir ou faire cesser des opérations extérieures.

Le troisième et dernier aspect que je souhaite traiter concerne une réflexion plus générale sur nos relations avec les pays africains, avec les peuples de ce continent si riche et si malheureux.

Nous devons faire un effort pour analyser et comprendre les raisons pour lesquelles la politique de la France est si souvent mal comprise et parfois même durement critiquée par ceux-là mêmes que nous souhaitons aider.

Je pense que c'est notamment parce que notre pays, quelle que soit la majorité politique en place, n'a pas toujours soutenu ceux qu'il fallait. Nous avons permis que des situations peu ou pas démocratiques prolifèrent et que la volonté des peuples soit trop souvent bafouée. Nos interventions n'ont pas toujours été porteuses de liberté et de démocratie.

En conclusion, mes chers collègues, pour nous aider dans cet effort d'analyse, je voudrais vous citer les propos qu'un écrivain algérien, ancien militaire, Yasmina Khadra, a tenus lors d'un entretien accordé au journal Le Monde et publié le 29 septembre dernier, concernant les rapports entre le monde musulman et l'Occident. Toutefois, je considère qu'ils peuvent s'appliquer justement à nos relations avec l'Afrique.

Selon cet écrivain, « ce monde-là ne traverse pas une crise idéologique mais politique. Il y a une mal-gouvernance voire une non-gouvernance. Ceux qui sont censés protéger les peuples, les orienter, leur proposer un projet de société, ont d'autres chats à fouetter. Au lieu de bâtir des nations, ils se construisent des fortunes personnelles et des palais pour rois fainéants. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au cours de l'histoire, les liens qui unissent l'Afrique et la France ont été façonnés par une présence plus ou moins glorieuse mais continue de notre nation sur ce continent depuis plusieurs siècles.

De cette histoire, nous avons hérité une forte responsabilité envers le développement de ce territoire, compte tenu, notamment, de la richesse des apports culturels, économiques et humains qui ont tant aidé à hisser la France à la place qui est la sienne aujourd'hui et qui continue de faire vivre la francophonie sur une grande partie du continent.

Aujourd'hui, nous avons une double responsabilité envers les Africains : une responsabilité historique d'abord, mais aussi, une responsabilité humaine devant les drames quotidiens qui secouent leur continent et qui font trop souvent l'objet, au mieux, de la honte des nations les plus puissantes de la planète, au pis, de l'indifférence la plus totale, alors que ces pays riches sont, aujourd'hui plus que jamais, dans un contexte de renchérissement général des matières premières, intéressés par les ressources naturelles du continent africain.

De la même façon, nous savons très bien quel est, pour nous, le prix à court terme d'une régulation équilibrée des flux migratoires en provenance d'Afrique : il s'agit du codéveloppement.

De la même façon, nous sommes bien conscients que la paix durable dans le monde ne pourra intervenir que grâce à une stabilisation, elle-même durable, du continent africain, où, en 2003, près de 20 % de la population était touchée par la guerre.

Cette stabilisation dépend, à l'évidence, de notre capacité à gérer les crises qui secouent d'une manière bien trop régulière l'Afrique.

Le rapport d'information, à l'élaboration duquel j'ai participé, au nom du groupe UC-UDF, est suffisamment complet pour que je n'y revienne pas, afin d'éviter toute redondance. Cependant, je souhaite faire deux remarques.

Tout d'abord, la France a toujours pu compter sur une présence très importante en Afrique sub-saharienne, à la fois par le biais de son réseau diplomatique - c'est une tradition française -, mais aussi grâce à une présence militaire nécessaire au règlement des crises, dans le strict respect des mandats qui nous sont confiés par l'ONU.

Cette zone géographique est d'ailleurs souvent considérée comme un « pré carré » français, ce qui est un avantage pour nos capacités d'intervention sur ce territoire, mais aussi un handicap certain pour l'engagement d'autres nations dans ces missions.

Or je pense que nous devons dès aujourd'hui, et pour plusieurs raisons, sortir de cette vision simpliste du pré carré français, même si, force est de le constater, certains réflexes ont la vie dure. Il convient, en particulier, d'adopter une vision plus internationale et multilatérale pour la stabilisation et la résolution de crises, comme on l'a fait avec la FINUL, par exemple. Mais nous devons aussi cultiver une vision plus européenne, notamment en ce qui concerne l'optimisation et la mise en commun des hommes et des matériels.

Madame la ministre, il faudra que nous menions aussi un jour une véritable réflexion sur notre périmètre d'intervention. La question que nous devons nous poser est de savoir non pas tant si la France a ou non vocation à intervenir sur tous les territoires de la planète, mais surtout si elle en a les moyens. Tel est le cas à l'heure actuelle, mais cette situation ne saurait durer. Aujourd'hui, ce sont 11 000 hommes que nous avons envoyés en Afrique, soit près d'un tiers de nos effectifs sur ce seul continent.

Il faut que nous sachions si notre diplomatie et si le rôle que la France joue dans le monde sont au niveau des moyens dont elle dispose. Je pense personnellement qu'une action européenne dans laquelle la France aurait un rôle majeur à jouer n'affaiblirait pas notre présence et notre diplomatie. Au contraire, elle les renforcerait - et nous avons pu le constater notamment au Liban -, en particulier grâce à un élargissement du territoire couvert et de l'impact de cette force européenne. Encore faudrait-il que la politique européenne soit plus rationnelle et beaucoup plus forte. J'espère que les débats qui auront lieu à l'occasion de la campagne pour l'élection présidentielle aborderont ce point.

Je souhaite terminer mon intervention par une remarque qui m'est venue à l'esprit lors de la visite que mes collègues MM. Dulait et Hue et moi-même avons effectuée en Afrique. Il me semble que, en Afrique sub-saharienne, le Nigeria est un pays politiquement et économiquement très fort sur lequel nous devons concentrer nos efforts. Les contacts que nous avons eus avec des responsables africains donnent à penser que ce pays est devenu une clef des relations internationales dans cette région. Il s'agit d'une puissance économique, certes de moindre importance que l'Afrique du Sud, et ce malgré le « décollage » potentiel de l'Angola, mais aussi d'une puissance politique et militaire. Sans doute est-elle déstabilisée et déstabilisante, mais, dans ce contexte, il serait intéressant de pouvoir avoir une plus grande souplesse dans la gestion des postes et des effectifs des ambassades, voire des militaires, en fonction non seulement des missions qui leur sont attribuées, mais aussi et surtout de l'importance géostratégique du pays dans lequel elles sont implantées.

Pour conclure, je souhaiterais, mesdames les ministres, mes chers collègues, attirer votre attention sur la situation dramatique dans laquelle la population soudanaise semble être abandonnée par la communauté internationale. L'Occident donne vraiment l'impression d'être impuissant. Il faut pourtant agir rapidement pour trouver une solution à ce dossier complexe : en effet, les populations sont dans une situation humanitaire critique et les risques de déstabilisation pour les pays voisins - nous le voyons très bien avec le Tchad - sont importants.

Les seules déclarations d'intention de la part du président El Béchir sont scandaleuses, alors qu'il refuse catégoriquement toute discussion avec les Nations unies et que la guerre fait rage dans l'ouest du pays.

Pouvez-vous, mesdames les ministres, nous éclairer sur les intentions et les actions de la France s'agissant de ce dossier, dans lequel, je le sais, beaucoup d'efforts sont faits ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le continent africain est, vous le savez, une priorité dans le domaine de la coopération française, comme l'a souhaité le Président de la République.

Je tiens à remercier M. Dulait d'avoir traité de manière très pertinente ces questions qui, touchant un continent qui nous est si proche, intéressent non seulement le Gouvernement et le Parlement, mais aussi l'opinion publique en général.

La priorité française accordée à l'Afrique tient à la force des liens qui nous unissent à ce continent, mais également à la raison. En effet, on ne le répétera jamais assez, sans développement de l'Afrique, nous ne lutterons pas efficacement contre l'immigration clandestine, les grandes pandémies ou les atteintes à l'environnement.

Je voudrais surtout souligner que, contrairement à l'image souvent répandue, l'Afrique est un continent au fort potentiel. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'attitude des nouvelles puissances économiques, en particulier des nouveaux pays émergents, qui s'intéressent de plus en plus à ce continent. Et quand j'évoque ce potentiel, je ne parle pas uniquement des ressources naturelles, comme le pétrole, les mines ou les forêts, je parle également de la grande richesse de ses hommes et du dynamisme de sa jeunesse. L'Afrique connaît ainsi, sur la période 2005-2007, avec un chiffre de 5 % à 6 % par an, une croissance économique supérieure à la moyenne mondiale.

Nous évoquons aujourd'hui plus particulièrement les crises qui secouent ce continent. C'est un aspect qu'il ne faut pas négliger. Nos actions pour remédier à ces crises sont nombreuses, qu'il s'agisse de prévention ou de reconstruction.

Pour ne citer qu'un exemple, nos efforts dans le domaine du renforcement de la gouvernance et de la transparence peuvent avoir un effet décisif en la matière. Ainsi, rendre public le niveau des revenus des ressources pétrolières et minières, comme le prévoit l'initiative dite EITI de transparence des industries extractives, c'est réduire fortement l'intérêt d'une appropriation de ces ressources par la force. Car on sait bien qu'en Afrique de nombreux conflits ont trouvé leur origine dans la compétition pour l'exploitation des richesses de son sous-sol.

Nous soutenons aussi fortement, dans les pays en sortie de crise, les processus de démobilisation, de désarmement et de réinsertion.

Notre engagement en faveur de l'Afrique est d'abord financier. C'est principalement pour ce continent que le Président de la République a décidé, en 2002, de porter notre aide publique au développement, qui était inférieure à 5 milliards d'euros en 2001, à plus de 9 milliards d'euros en 2007. Vous le constatez, monsieur Boulaud, il s'agit, depuis notre arrivée au pouvoir, d'un quasi-doublement de notre effort.

Nous avons décidé de consacrer les deux tiers de notre aide bilatérale à l'Afrique. Aucun autre pays ne fait un tel effort. Nous aurons l'occasion d'en reparler en détail lors des prochains débats budgétaires. Dans cet effort, je tiens à rassurer M. Pozzo di Borgo, le Nigeria, qui est en effet une puissance importante de ce continent, n'est pas pour autant négligé.

Mais notre engagement en faveur de l'Afrique n'est pas seulement financier et budgétaire. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses initiatives prises, qu'il s'agisse de la mise en place d'une contribution de solidarité sur les billets d'avion affectée au secteur de la santé, des actions en faveur de la préservation de la biodiversité ou de la diversité culturelle, de la grande conférence sur la microfinance ouverte par le Président de la République il y a un an, de nos initiatives en matière de co-développement ou de l'annonce récente d'une enveloppe d'un milliard d'euros sur trois ans pour le secteur privé africain.

Vous le constatez, l'Afrique est et restera la priorité, je dirais même la première motivation, de nos actions particulièrement ambitieuses en matière de coopération.

Les Français ne s'y trompent d'ailleurs pas. Dans un sondage récent, 83 % d'entre eux considèrent que la France joue un rôle important dans l'aide publique au développement et 68 % approuvent notre priorité donnée à l'Afrique.

Je souhaiterais aborder un peu plus en détail le dossier de la Côte d'Ivoire, que j'ai été amenée à suivre depuis un an à la demande du Président de la République. Je me suis en effet rendue onze fois à Abidjan et dans le reste du pays depuis novembre dernier. La Côte d'Ivoire présente - de manière hélas « exemplaire » ! - tous les ingrédients et toutes les difficultés d'une sortie de crise avec ses composantes politique, diplomatique, militaire, économique et de sécurité de nos compatriotes encore présents dans le pays.

Nous sommes impliqués en Côte d'Ivoire pour des raisons historiques et politiques. Historiques, parce que la France entretient depuis longtemps une relation très étroite avec la Côte d'Ivoire, qui a compté la plus importante communauté française d'Afrique jusqu'aux événements de novembre 2004. Raisons politiques, car la France, de par sa connaissance du pays et son influence au sein de la communauté internationale, a une responsabilité particulière dans la résolution de la crise. Cette responsabilité nous est régulièrement rappelée par la plupart des Ivoiriens eux-mêmes, par les chefs d'État de la sous-région et par nos amis américains et britanniques, eux-mêmes impliqués respectivement au Liberia et en Sierra Leone.

Notre engagement politique, diplomatique et militaire reste fort.

Nous sommes engagés politiquement : la France est écoutée au sein des principales enceintes multilatérales, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et comme membre fondateur de l'Organisation internationale de la francophonie.

Nous sommes engagés diplomatiquement : la France ne ménage pas ses efforts pour faciliter, avec tous ses partenaires, une sortie de crise. Après les accords de Linas-Marcoussis du 24 janvier 2003, négociés sous l'égide de la France, nous participons activement, depuis novembre 2005, au groupe de travail international - GTI - mis en place par l'ONU à la demande de l'Union africaine.

Nous sommes engagés militairement avec l'opération Licorne, force d'interposition de 4 000 hommes, dont Mme Michèle Alliot-Marie vous parlera, et nous appuyons l'ONUCI, l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire, et cela représente pour la France un coût financier annuel de 250 millions d'euros.

Nos objectifs n'ont pas changé.

Nous voulons avant tout l'organisation d'élections libres, ouvertes et transparentes, dont la première condition est l'établissement de listes électorales renouvelées. Tel doit également être l'objectif de toutes les parties ivoiriennes. La transition engagée le 30 octobre 2005, sous la direction du Premier ministre, Charles Konan Banny, qui a été nommé par l'Union africaine, n'avait pas d'autre but. De nombreux blocages ont, hélas ! empêché la tenue du calendrier et donc l'organisation des élections dans les délais fixés par la résolution 1633, c'est-à-dire avant le 31 octobre 2006.

L'enjeu actuel est de définir les modalités d'une nouvelle transition qui permettra d'aboutir - enfin ! - à la tenue de ces élections, dont le résultat doit être incontestable et permettre ainsi aux Ivoiriens d'avoir un président légitimement élu.

Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins.

À chacun de mes déplacements en Côte d'Ivoire, je mesure combien la population est fatiguée de ce conflit dont elle subit les conséquences, qu'il s'agisse du chômage, de la déscolarisation massive ou encore de l'effondrement du système de santé.

Je note, d'ailleurs, que la présence de la France est bien perçue dans le pays. Les campagnes anti-françaises et anti-onusiennes sont très minoritaires. J'ai mesuré sur le terrain combien la population ivoirienne aspire à une reprise rapide et importante de la coopération française.

Il est donc nécessaire et urgent, au moment où la transition s'achève sur un constat d'échec, que les Africains et la communauté internationale tirent les leçons de cette expérience.

À cette fin, la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, se réunira le 6 octobre prochain, l'Union africaine les 16 et 17 octobre, et, enfin, le Conseil de sécurité de l'ONU vraisemblablement le 25 octobre. Il conviendra alors de décider de la mise en place d'un nouveau dispositif de transition remplaçant celui de la résolution 1633.

Il est bien sûr difficile d'imaginer le meilleur scénario possible de sortie de crise, monsieur Ferrand, avant la tenue de ces réunions décisives, où la position des Africains sera déterminante.

Le GTI, auquel, vous le savez, je participe depuis bientôt un an, a, lors de sa dernière réunion du 8 septembre, dessiné les contours qu'il souhaitait pour la future transition. Il a fait quelques propositions visant à sortir de la dualité institutionnelle, à permettre au Premier ministre d'exercer réellement les pouvoirs qui lui avaient été conférés par la résolution 1633 ; il a également suggéré un renforcement du mandat du Haut représentant des Nations unies pour les élections.

Nous sommes cependant conscients de notre responsabilité particulière et de notre engagement vis-à-vis de la communauté internationale et de l'ONUCI : nous ne prendrons aucune décision unilatérale qui risquerait de créer une déstabilisation supplémentaire en Côte d'Ivoire. Nous continuerons de privilégier la concertation avec tous nos partenaires et nous gardons bien sûr à l'esprit notre devoir d'assurer la protection de nos ressortissants encore présents en Côte d'Ivoire au cas où des troubles apparaîtraient de nouveau à Abidjan ou dans le reste du pays.

Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter sur le dossier particulièrement difficile de cette crise ivoirienne, dont nous espérons tous qu'elle puisse être résolue dans les délais les plus brefs possibles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier à mon tour M. Dulait de la qualité de sa présentation et de son étude, et M. Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de l'écoute que chacun lui connaît pour les sujets concernant la sécurité de notre pays et notre défense.

Vous avez choisi, dans ce débat nouveau, d'aborder un sujet essentiel pour nous Français, pour nous Européens, pour nous citoyens du monde.

En 2006, près de la moitié des pays africains sont en état de guerre civile ou connaissent une crise politique grave.

Cela est dû à la montée des rivalités ethniques, qui tient tout simplement au renouveau du nationalisme ethnique dans quasiment tous les pays d'Afrique. Cela est dû aussi, Mme Girardin l'a mentionné, à la course à la préemption des richesses naturelles de l'Afrique. Cela est dû encore, ne le négligeons pas, à l'appétit de certains acteurs, intéressés par le seul profit : trafiquants d'armes, mercenaires et sociétés de mercenaires, trafiquants de tous ordres, grande criminalité.

Parallèlement, en 2006, nous constatons un afflux de plus en plus important d'immigrés clandestins sur nos côtes européennes, qui viennent tout simplement chercher chez nous la sécurité, la liberté, la justice, le bien-être.

En 2006, nous assistons au développement de la violence, qui devient le seul mode de règlement des conflits et de relations dans les pays africains.

En 2006, de la Somalie au Maroc, en passant par le Darfour et le Sahara, nous observons l'émergence de foyers du terrorisme se revendiquant d'Al-Qaida, qui se renforcent, s'arment et se font menaçants. Notre pays, comme d'autres, parfois plus que d'autres, apparaît comme l'une de leurs cibles.

Oui, monsieur Boulaud, la réponse à ces problèmes ne doit pas être que militaire ; mais elle est aussi militaire.

Nous n'avons pas le droit de nous désengager de l'Afrique. Sans nous substituer aux pays africains, nous devons développer avec eux de nouvelles formes de coopération susceptibles de répondre à ces défis en constante évolution.

Il convient que nous réaffirmions l'engagement de la France en Afrique. C'est un engagement psychologique et moral, mais également économique, physique et militaire.

Ainsi, nous continuons et nous continuerons d'être présents sur ce continent, pour respecter nos obligations, même si nous adaptons notre dispositif.

Notre obligation, comme notre intérêt, c'est d'abord la sécurité de nos deux cent quarante mille ressortissants français et celle de centaines de milliers de ressortissants européens. Je le rappelle, la plupart des opérations que nous avons menées en Afrique au cours des vingt dernières années avaient d'abord pour but de protéger nos ressortissants. Si nous sommes intervenus en Côte d'Ivoire, c'est bien, au départ, pour protéger les ressortissants français, mais aussi européens et mêmes américains - je pense notamment à des collégiens américains -, que nous avons « sortis » des combats et des massacres qui étaient en train de se produire dans le nord du pays.

Nous sommes d'abord intervenus pour eux. Ensuite, nous l'avons fait à la demande des autorités ivoiriennes, avant qu'interviennent, à notre demande, les autres pays africains et l'ONUCI.

Notre obligation, comme notre intérêt, c'est aussi que l'Afrique soit stable et prospère. Sur le continent africain, nos motivations ne sont pas différentes de celles qui nous animent par rapport aux autres parties du monde. Nous voulons, là aussi, la paix, la stabilisation de la sécurité, en particulier celle des populations civiles. Nous apportons notre aide quand surviennent des crises humanitaires et des catastrophes naturelles. Ainsi, tout récemment encore, à la suite du débarquement dans des conditions pour le moins douteuses de certains produits nocifs à Abidjan, nous sommes effectivement allés sur place pour aider les populations.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Oui, monsieur Hue, l'Afrique étant notre première voisine, nos liens humains n'en sont que plus forts. Ce sont bien eux qui nous conduisent à être attentifs à tout ce qui s'y passe et à essayer d'apporter notre aide.

C'est la raison pour laquelle, en nous appuyant sur nos bases prépositionnées, nous sommes actifs, et même réactifs, dans la plupart des crises majeures qui secouent ce continent.

L'implantation de telles bases se justifie d'ailleurs totalement : nous le savons bien, très souvent, surtout dans le contexte que j'ai décrit tout à l'heure, si nous laissons une crise se développer, les solidarités ethniques la rendent beaucoup plus difficile à régler quand il y a déjà eu trop de sang versé.

Le passé récent a encore prouvé l'importance de ces forces prépositionnées en Afrique. Sans elles, les opérations menées en Somalie, au Rwanda, en Ituri, au Darfour et, aujourd'hui, en République démocratique du Congo ou en Côte d'Ivoire n'auraient pas pu être conduites aussi rapidement.

Pour autant, là comme ailleurs, nous adaptons bien entendu en permanence notre dispositif, en tenant compte du renforcement des capacités africaines de maintien de la paix.

Les quatre commandements interarmées de Djibouti, de la Réunion, de Libreville et de Dakar, qui ont été créés cette année, sont des outils à notre disposition pour oeuvrer en ce sens. Ces bases pourront ainsi continuer à jouer un rôle majeur dans l'engagement opérationnel des contingents africains : nous les accueillons, nous les équipons, nous les entraînons, et, très souvent, nous les soutenons.

Demain, ces bases accueilleront également des unités, des conseillers et des équipements européens. Notre volonté, en effet, dans le même esprit et selon les mêmes principes qui nous animent, est de faire participer l'ensemble des Européens à la résorption des conflits africains.

Notre volonté est d'appuyer notre action en Afrique sur une politique de sécurité et de défense rénovée, qui passe notamment par l'appropriation par les Africains eux-mêmes de leur destin. Cela constitue vraiment le noeud du problème, afin de pouvoir trouver des solutions pour l'Afrique dans les prochaines années. C'est d'ailleurs aussi le noeud de notre politique.

Par ailleurs, nous devons prendre conscience des nouvelles et légitimes aspirations africaines.

Je le répète, nous ne voulons pas nous substituer aux pays africains, lesquels doivent être à même, sur le plan politique comme sur le plan militaire, d'assurer leur propre sécurité et la paix.

La volonté de la France à l'égard du continent africain est, de ce fait, monsieur Ferrand, sans aucune ambiguïté. Nous n'avons plus, et depuis longtemps, vocation à être le gendarme de l'Afrique. Pour notre part, nous souhaitons éviter les situations de face-à-face et de confrontation, qui sont génératrices de malentendus et de tensions.

Nous voulons placer notre action dans un esprit de solidarité et de coopération internationales. Et c'est bien ce que nous faisons, monsieur Boulaud, car telle est notre conception : soutenir, mais pas nous substituer.

Il se trouve que cela correspond à la volonté des Africains eux-mêmes de prendre en charge leur propre sécurité. Cette volonté est de plus en plus exprimée, et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Oui, monsieur Dulait, nous devons prendre en compte les multiples avancées en la matière, tant au sein de l'Union africaine que dans les communautés économiques régionales qui se dotent des mécanismes de sécurité nécessaires. Bien entendu, on ne va pas leur demander d'être capables, du jour au lendemain, de régler tous les problèmes. Il convient cependant de leur laisser de plus en plus la responsabilité des opérations, tout en continuant à les soutenir, mais de plus en plus discrètement.

Cette appropriation par les Africains est un gage de légitimité, non seulement pour eux mais également pour nous, s'agissant des actions de prévention et de gestion des crises en Afrique que nous pouvons être amenés à mener. L'Afrique acquiert progressivement les capacités opérationnelles effectives pour les conduire elle-même.

Mais il nous faut encore aider les initiatives en ce sens, comme le montrent la crise du Darfour, qui est toujours malheureusement une réalité, et les résultats de l'action des forces africaines au Soudan. À cet égard, je ne suis pas de ceux qui dénigrent l'action des forces africaines au Soudan. Je pense, au contraire, qu'il faut les valoriser, les encourager et les soutenir.

Une telle attitude montre bien le renouveau de nos formes de coopération. Aujourd'hui, notre action se fonde sur trois lignes directrices.

Premièrement, nous entendons donner à notre action une véritable dimension multilatérale. Dans cette optique, la France mène depuis plusieurs années une politique d'ouverture vers de nouveaux partenaires, européens mais aussi non européens, qu'il s'agisse des pays du Maghreb, du Machrek et de la péninsule arabique, lesquels sont directement concernés pour des raisons de voisinage géographique.

Bien entendu, notre action est d'abord menée en direction des pays européens. Oui, monsieur Pozzo di Borgo, nous les incitons, depuis quatre ans, à s'investir davantage dans le soutien à l'Afrique, dans le cadre de ces actions. Or, croyez-le bien, ce n'est pas toujours facile. En effet, pour un certain nombre de pays européens, l'Afrique, c'est loin : ils ne perçoivent pas toujours que ce qui s'y passe a et aura effectivement des répercussions sur nous et sur eux.

À l'évidence, lorsque des opérations européennes sont menées en Afrique, la France en est très souvent le moteur, et ce à un double titre. D'une part, elle est l'une des deux plus importantes puissances militaires européennes : par conséquent, quand nous ne prenons pas part à une opération, elle ne se fait pas. D'autre part, peut-être plus que de nombreux autres pays européens, nous avons des liens historiques et humains très forts avec l'Afrique.

Vous l'avez souligné, monsieur Dulait, la dernière opération que nous avons menée et que nous menons toujours se situe effectivement en République démocratique du Congo. Il s'agit, je le rappelle, de la deuxième opération autonome de l'Union européenne en Afrique. La première avait été menée dans ce même grand pays, à l'été 2003, en Ituri, où l'ONU nous avait appelés pour venir à la rescousse de la MONUC, la mission de l'ONU en République démocratique du Congo, qui rencontrait des difficultés eu égard à ses règles d'engagement et à la nature de sa mission.

La République démocratique du Congo est un immense pays avec beaucoup de richesses, qui, par là même, est indispensable à la stabilité de l'Afrique.

C'est la raison pour laquelle il nous a semblé impératif de répondre à la demande de la communauté internationale, pour garantir le bon déroulement du processus électoral dans ce pays, avant et pendant le scrutin.

Cela s'est bien passé pour le premier tour des élections. À l'échelle de ce pays et compte tenu des risques à craindre, nous avons effectivement réussi à éviter des drames majeurs, même s'il y a eu quelques incidents. Tout le monde l'a reconnu, les conditions d'un scrutin transparent et libre ont été obtenues. Dans l'immédiat, il faudra agir de même pour le second tour et pour les jours qui suivront, lesquels seront très importants. Bien entendu, j'en ai déjà parlé avec mes collègues européens ministres de la défense, à la fois dans le cadre strictement européen et, à titre d'information, dans le cadre de l'OTAN.

Oui, nous encourageons l'Union européenne en tant que telle à être plus présente et plus visible dans les organisations africaines, en particulier à l'Union africaine. C'est en effet notre façon de soutenir la « prise de pouvoir » de cette dernière.

C'est une immense responsabilité, à la dimension de nos deux continents. En effet, et cela a été dit, seul un continent peut intervenir en ce domaine, et non un simple pays.

La deuxième ligne directrice de notre politique consiste à favoriser l'engagement aussi autonome que possible des Africains dans les opérations de maintien de la paix.

Nous soutenons ce processus à travers le programme de formation, d'entraînement et d'équipement des forces africaines RECAMP, renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, cité par MM. Dulait, Hue et Pozzo di Borgo. Nous avons obtenu, il y a dix-huit mois, à la suite d'une négociation que j'ai menée avec mes collègues européens, que ce programme soit intégré dans l'Union européenne. Je me réjouis que les Vingt-cinq aient accepté le principe d'une intervention de l'Europe dans ce programme, même si seuls certains pays membres, les plus motivés, contribueront à cette action.

Ainsi, l'Union africaine aura les moyens de mettre en oeuvre militairement ses décisions politiques.

De ce point de vue, la situation du Soudan est exemplaire.

Depuis le début de la crise que connaît ce pays, nous avons veillé, notamment vis-à-vis de tous ceux qui souhaitaient intervenir directement, à ce que l'Union africaine soit mise en avant dans le domaine tant des négociations politiques que des capacités d'intervention sur le terrain.

Dans la crise du Darfour, la France intervient en fournissant un important appui humanitaire, mais aussi un appui politique ainsi qu'un appui militaire de soutien, et non de visibilité.

L'Union européenne, quant à elle, apporte un soutien financier - depuis 2004, 242 millions d'euros pour la mission AMIS, African mission in Sudan, via la « facilité de paix » - ainsi qu'un soutien opérationnel comprenant du transport aérien, des planificateurs, des conseillers « police », de la formation, de l'observation du cessez-le-feu. Sur le terrain, un soutien logistique important a également permis aux forces africaines de se déployer.

La troisième ligne directrice de notre action est l'enrichissement de notre coopération bilatérale avec les armées africaines.

L'effort multilatéral que nous accomplissons depuis plusieurs années ne gêne nullement, il ne vient en rien se substituer à des opérations bilatérales auxquelles les pays africains sont très attachés et que nous maintiendrons avec chacune des armées africaines. Ces coopérations bilatérales sont en effet fondamentales pour que ces armées puissent remplir leur contrat opérationnel et agir efficacement à nos côtés pour le maintien de la paix, au sein d'une interopérabilité très utile.

MM. Dulait, Ferrand, Hue et Boulaud ont évoqué les accords de défense et la nécessité de les réviser.

En réalité, les accords de défense prévoient, dans un certain nombre de cas, le soutien de l'armée française à la formation, voire une aide sur le plan logistique. Aujourd'hui, certaines clauses de ces accords continuent d'être appliquées, tandis que d'autres ont été abandonnées de facto.

Je dois cependant faire une mise en garde : en remettant sur le métier les accords de défense, nous reverrons certes ce qui a été abandonné, mais nous devrons aussi réviser l'ensemble des dispositifs. Je crains que l'on ne remette ainsi en cause un certain nombre de garanties juridiques et de sécurité dont bénéficient nos personnels et leurs familles. Ces accords de défense concernent en effet également la protection de l'installation des militaires et de leurs familles.

La modification de ces accords risque donc de présenter plus d'inconvénients que d'avantages s'agissant du statut même des militaires.

S'il est possible d'envisager une réactualisation des accords de défense pour modifier ou supprimer des dispositions caduques, nous ne devons le faire que lorsque les circonstances s'y prêtent, c'est-à-dire quand nous pouvons maintenir les garanties dont bénéficient nos militaires sur le terrain.

Nous sommes très attachés à la présence en Afrique de nos militaires, notamment de nos forces prépositionnées ou de celles qui interviennent au titre de la coopération.

Cette présence permet à nos unités d'acquérir, grâce aux contacts personnels qu'elles établissent tant avec les militaires africains qu'avec les populations, une connaissance qui facilite par la suite leur insertion dans le milieu humain des opérations. En effet, dans ce type d'opérations, qui restent militaires, la dimension du contact avec les populations est un facteur essentiel de réussite.

C'est dans le même esprit que nous voulons intensifier notre politique d'échanges de jeunes cadres avec les armées africaines, en immergeant quelques-uns de leurs jeunes officiers dans nos forces et en faisant de même chez eux.

Nous allons aussi mieux prendre en compte la dimension civile du maintien de la paix, ce qui favorisera également les conditions d'une sécurité durable. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé qu'un effort serait fait en direction de la force de gendarmerie africaine et de la réinsertion d'enfants soldats et d'orphelins de guerre. En effet, ce qui compte là aussi, c'est de travailler sur le facteur humain pour stabiliser directement la situation des pays africains.

Il me semble prioritaire de développer cette coopération enrichie, ce qui nous amène naturellement, comme nous le faisons régulièrement au ministère de la défense, à reconsidérer nos méthodes et à nous adapter constamment aux évolutions.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je voulais vous apporter.

Mme Girardin l'a évoqué : aujourd'hui, certains nous demandent de quitter l'Afrique. Ils sont peu nombreux et ont souvent des arrière-pensées bien éloignées de la sécurité, de la justice et du respect des hommes. Ils crient fort pour faire croire à leur nombre. Nos amis africains les écoutent mais, lorsque nous les rencontrons, ils s'excusent en leur nom.

Ceux qui veulent nous faire partir sont ceux qui ont le plus à cacher.

M. Charles Revet. Bien sûr !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Déni de justice, déni de bien-être, déni de sécurité, déni de transparence, déni de démocratie : voilà ce que recèlent souvent ces appels à notre départ.

Tous ces dénis entraînent l'Afrique dans la misère et la guerre. C'est pourquoi, écoutant ceux qui nous demandent au contraire de rester pour les aider à rétablir la stabilité, la paix et le développement, nous ne pouvons quitter l'Afrique.

Qui peut croire que notre désengagement du Tchad contribuera à la stabilisation de la région ? À cet égard, le passé est révélateur.

Reconnue comme un facteur de stabilité, notre présence oeuvre et doit oeuvrer - c'est notre légitimité - pour la sécurité dans le règlement de la crise au Darfour et dans la zone du Sahel.

En Côte d'Ivoire, M. Ferrand l'a indiqué, l'ONUCI est présente grâce au soutien de l'opération Licorne. L'ONUCI nous a dit très directement, ouvertement et publiquement que telle était d'ailleurs la condition de son déploiement.

Ne nous faisons aucune illusion : sans ce soutien et avec le départ de l'ONUCI, la Côte d'Ivoire connaîtrait de nouveau les luttes et les massacres que nous avons constatés au départ de l'opération. Mais la Côte d'Ivoire n'est pas le seul pays concerné. En effet, comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises ici même, toute la région risquerait, par contagion, d'être totalement déstabilisée.

La France inscrit résolument sa politique en Afrique dans le cadre d'un soutien à l'Union africaine et dans le respect de la Charte des Nations unies.

Licorne et l'ONUCI sont au service de la paix. La situation sera de plus en plus tendue à l'approche du 31 octobre, date qui avait été fixée dans le prolongement de la première résolution pour organiser des élections libres et démocratiques. En effet, des affrontements entre les jeunes des différents mouvements sont à prévoir durant cette période.

Par ailleurs, nous le savons, nous disposons d'éléments à cet égard, des provocations sont préparées à l'encontre de Licorne dans l'intention de créer des incidents susceptibles de neutraliser non seulement Licorne mais l'ensemble de l'ONUCI. Nous ne nous laisserons pas intimider !

Notre action est légitime car elle se fait entièrement au profit de l'Afrique, que ce soit en Côte d'Ivoire ou ailleurs.

Cette action, monsieur Boulaud, est comprise par les Français : les enquêtes dont nous disposons le montrent. Un effort de communication plus important doit sans doute être fait en direction des Européens.

Monsieur le sénateur, vous avez regretté qu'en la matière le Parlement ne soit ni informé ni décisionnaire. Je ferai quelques remarques à cet égard.

Tout d'abord, le Parlement est informé aussi rapidement, aussi souvent et autant qu'il le veut. Je n'ai jamais refusé de venir m'exprimer, que ce soit devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, ou en séance plénière. Par ailleurs, à chaque fois que sont posées des questions qui concernent mon ministère, je viens y répondre moi-même.

M. Robert Del Picchia. Effectivement !

M. Charles Revet. Tout à fait ! Il fallait le rappeler !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Donc, l'information du Parlement existe !

Vous avez ensuite évoqué l'autorisation parlementaire. La décision du Parlement n'intervient qu'en cas de déclaration de guerre. En effet, l'article 35 de la Constitution de 1958 dispose : « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Or nous ne menons pas des opérations de guerre, nous menons des opérations de paix, et toutes nos actions s'effectuent dans le cadre des résolutions de l'ONU ! Depuis que je suis ministre de la défense, nous ne sommes jamais allés faire la guerre, et il en était de même avant que j'occupe cette fonction. La question n'est donc pas celle du respect d'une quelconque règle.

Vous pourriez effectivement proposer que l'on instaure une procédure d'autorisation parlementaire préalable à tout envoi de soldats français sur un théâtre d'opérations à l'étranger. Mais nous risquerions de nous heurter au problème majeur que connaissent plusieurs pays européens et dont nous avons discuté encore dernièrement entre ministres de la défense : à cause de telles procédures, les forces armées de ces pays arrivent parfois sur le terrain quand l'opération est quasiment terminée.

Vous le savez, la réactivité est un élément essentiel de l'efficacité, surtout en matière d'interposition et de maintien de la paix, avant que ne se produisent trop de dégâts de part et d'autre.

Cette réactivité implique en effet que la décision puisse être prise immédiatement. Que se serait-il passé au Liban -  puisque vous avez cité cet exemple - si, pour intervenir, nous avions attendu la semaine dernière, moment où le Parlement était de nouveau en session ?

Nous sommes intervenus deux jours après le début de la crise parce que nous avons pu envoyer des militaires, dans le cadre de l'opération Baliste, pour aller chercher nos ressortissants et les ressortissants étrangers.

De même, nous avons pu intervenir dès la fin des hostilités pour apporter, à travers les ponts, de nouvelles possibilités de circulation, alors même que le Parlement n'était pas en session.

Tout cela appelle, à mon sens, pragmatisme, transparence et bonne foi.

Je le répète : je ne me dérobe jamais à une demande du Parlement. Je suis toujours prête à venir m'expliquer totalement sur les opérations, sur la façon dont elles sont décidées et conduites, comme sur leurs résultats.

Pour moi, c'est là, en effet, le jeu de la démocratie, une démocratie à laquelle je suis attachée, une démocratie qui est la marque de fabrique de notre défense, de nos militaires, qui est la marque de fabrique de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je voudrais remercier la conférence des présidents d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. C'est notre façon de marquer la présence du Sénat dans les grandes questions internationales, et pas seulement au moment où une crise se déclare. Je rappelle que nous avons réuni la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au mois d'août pour auditionner M. le ministre des affaires étrangères et vous-même, madame le ministre de la défense, sur la question du Liban.

Je remercie Mmes les ministres et M. le ministre des affaires étrangères d'avoir accepté cette invitation au débat et d'avoir apporté des réponses importantes et précises sur toutes les questions qui nous préoccupent à propos de l'Afrique.

Je remercie également M. André Dulait d'avoir posé cette question orale avec débat après la mission qu'il a conduite au nom de la commission des affaires étrangères en Afrique, et dont on a rappelé l'importance tout à l'heure.

Je remercie, enfin, l'ensemble des collègues qui ont participé au débat et ceux qui assistent à cette séance un peu inédite.

Il peut paraître paradoxal de parler de la situation africaine au moment où l'actualité internationale nous invite à nous intéresser au Proche-Orient, au chaos irakien ou aux crises nucléaires en Iran ou en Corée du Nord.

Toutefois, le paradoxe n'est en réalité qu'apparent puisque, en Afrique, les crises sont, hélas ! constantes, nombreuses, durables et graves.

On l'a dit, l'action de notre pays donne parfois l'impression d'être mal comprise. Pourtant, l'intérêt de la France pour l'Afrique est évidemment légitime. Membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, elle est en effet concernée par toutes les crises à travers le monde, notamment en Afrique, que ce soit sur le plan diplomatique ou militaire.

Comme beaucoup d'autres nations, nous avons, en outre, des intérêts légitimes en Afrique. À la lueur d'un travail récent sur la Chine, on a bien vu combien celle-ci est présente en Afrique, participant au développement et s'impliquant sur les plans militaire et diplomatique.

Nous avons aussi un intérêt partagé, Français, Européens et Africains, à faire en sorte d'apaiser les motifs de tensions pour se consacrer au développement et à la bonne gouvernance. Ainsi, ces peuples pourront enfin travailler utilement au progrès social, au progrès tout court, ce qui nous évitera d'avoir à gérer a posteriori des questions aussi graves que celle des migrations dues à la misère.

Je crois aussi que nous avons un intérêt commun avec l'ONU à faire en sorte que les décisions du Conseil de sécurité visant à porter assistance aux populations concernées soient mieux appliquées, mieux respectées et mieux comprises.

Ce débat a été utile. Il arrive à temps. Je vous sais gré de nouveau, mesdames les ministres, d'avoir permis qu'il ait lieu au Sénat, dont l'une des fonctions essentielles est de participer au dialogue avec le Gouvernement sur les grandes questions internationales. (Applaudissements.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)