M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Claude Saunier. Deuxièmement, monsieur le ministre d'État, vous ne pourrez pas vous dispenser de donner des gages à l'opinion publique, et ce dès le projet de loi de finances pour 2008. Il faudra des actes forts, impliquant des engagements financiers dès les premières semaines.

Troisièmement, et je crois que vous êtes d'accord, il faudra rendre au Parlement une place centrale dans la réflexion sur la nouvelle politique. Nous préconisons l'ouverture d'un chantier législatif sous la forme de l'élaboration d'une grande loi-cadre dès le premier semestre de l'année 2008. En effet, il faut, me semble-t-il, poser les fondements d'une réorientation de l'ensemble des grandes politiques nationales.

Quatrièmement, et je terminerai par cette proposition, il sera, je le crois, nécessaire d'affirmer les positions novatrices de la France au plan international. Nous en avons déjà l'occasion au niveau européen, mais il faut, me semble-t-il, aller plus loin, notamment au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, et du Fonds monétaire international, le FMI. À cet égard, peut-être pourrons-nous profiter des circonstances actuelles. (Sourires.) Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas imaginer que les décideurs monétaires et commerciaux mondiaux continuent de négliger les conséquences environnementales de certains choix.

Nous le voyons, le chantier est immense. Monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, soyez assurés que nous continuerons d'être vigilants, mais également constructifs. À présent, la balle est dans votre camp. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu'aucune intervention ne doit excéder dix minutes. Or vous venez de vous exprimer pendant quinze minutes, mon cher collègue.

J'en appelle donc à la discipline de chaque orateur pour respecter le temps de parole qui lui est imparti.

(M. Roland du Luart remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre d'État, le 6 juillet dernier, vous avez lancé un grand débat national pour définir les enjeux de l'écologie et du développement durable. Dans cette perspective, ont été mis en place six groupes de travail, qui sont chargés d'émettre des propositions concrètes. De nombreuses réunions ont ainsi été organisées.

Le 27 septembre dernier, des mesures concrètes ont été présentées. Ensuite, le Parlement a été amené à débattre du Grenelle de l'environnement. La discussion a débuté hier à l'Assemblée nationale et se continue aujourd'hui au Sénat.

Certes, les difficultés d'organisation ont été nombreuses.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Et ce n'est pas fini !

Mme Fabienne Keller. Mais - je tiens à le préciser à M. Saunier - elles ont tout de même été surmontées tant bien que mal.

En l'occurrence, il fallait déterminer les organisations non gouvernementales représentatives, établir les listes de participants, constituer les groupes et choisir les thèmes qui seraient abordés.

Paradoxalement, les contraintes de calendrier ont peut-être permis de densifier le débat. Depuis le 27 septembre, nous avons en effet une centaine d'actions opérationnelles sur la table. Ainsi, les éléments sont prêts pour amorcer une véritable rupture et un changement de paradigme.

Concernant la démocratie extraparlementaire, disons que les groupes de travail ont associé la représentation nationale, traditionnellement souveraine, à une concertation avec la société civile, et non l'inverse... Certains députés ont pu s'offusquer de cette démocratie extraparlementaire. Les sénateurs, un peu moins, si l'on en juge par la contribution importante fournie par leurs représentants au sein du Grenelle.

Cet élan est en tout cas facilité par l'extraordinaire maturité écologique des Français ; cette participation citoyenne dans une forme organisée l'a parfaitement reflété.

Permettez-moi de relever quelques propositions qui ont été formulées au sein des groupes de travail auxquels je n'ai pas participé et qui me semblent particulièrement intéressantes.

Le premier groupe propose de diviser par cinq la consommation énergétique des constructions neuves d'ici à cinq ans et de basculer à moyen terme vers des bâtiments à énergie positive. Cette dernière proposition, ambitieuse, est réalisable, nous le savons, puisqu'elle est pratiquée outre-Rhin, dans un quartier entier de la ville de Freiburg.

S'agissant du deuxième groupe, permettez-moi de relever son idée d'introduire un critère « biodiversité et carbone » dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement. Commençons à introduire cette dimension très positive dans les financements !

En ce qui concerne le troisième groupe, je retiendrai l'interdiction des produits phytosanitaires les plus dangereux, bien que le délai de cinq ans qui a été retenu me paraisse bien trop long.

Pour le quatrième groupe, je relève la démarche de certification ou notation environnementale pour les exploitations agricoles.

Le cinquième groupe - plusieurs d'entre nous l'ont évoqué - a souligné l'intérêt de transformer le Conseil économique et social en « Conseil du développement durable ».

Le sixième groupe, auquel j'ai eu la chance de participer, avait pour mandat de dégager les voies de nouveaux modes de développement écologiques favorables à l'emploi et à la compétitivité. Je trouverais d'ailleurs intéressant qu'une synthèse du rapport de Jean-Pierre Landau sur les instruments économiques du développement durable soit rendue publique.

Au final, le sixième groupe a listé huit programmes et une vingtaine d'actions. Les mesures les plus visibles sont : l'instauration d'un indicateur de croissance qui constituerait une solution alternative au PIB, la généralisation des étiquettes environnementales, l'instauration d'une taxe carbone aux frontières et la création d'une contribution domestique baptisée « climat-énergie », dont l'assiette reste à préciser ; je citerai aussi l'instauration d'un péage kilométrique poids lourds et la vignette automobile, ou « éco-pastille », modulée sur les émissions de CO2 des voitures.

Je voudrais souligner à mon tour l'excellente ambiance de travail qui a régné ainsi que l'effort remarquable du président Roger Guesnerie et des rapporteurs pour parvenir à faire la synthèse de propositions variées.

Deux convictions étaient en tout cas très largement partagées dans le groupe : premièrement, on peut concilier environnement et développement économique ; deuxièmement, cette conciliation passe par une réorganisation profonde de nos modes de production et de consommation. Il n'y a donc pas eu de tabous !

Permettez-moi de rappeler trois propositions que j'ai formulées à titre personnel et qui répondent au principe « pollueur-payeur », en allant plus loin dans le développement des éco-redevances et l'intégration des coûts cachés liés à la pollution, parfois appelés, en termes quelque peu technocratiques, les « externalités ». La facture cachée de la pollution finit toujours par être réglée, mais pas forcément par les bons acteurs, et pas forcément au juste coût.

Mes propositions vont dans le sens d'une affectation claire des recettes tirées des redevances au financement de solutions alternatives et compatibles avec un développement durable pour entrer dans un cercle écologiquement vertueux.

Premier point d'application : les déchets. Il s'agit d'intégrer dès le prix de vente d'un produit le coût global de son élimination. J'ai préconisé de revoir la politique des déchets, afin que, plus systématiquement, le coût d'un produit industriel incorpore la totalité de son cycle de vie, de sa conception à son élimination physique. Un tel dispositif nous permettrait de favoriser l'éco-conception.

Deuxième point d'application : les pesticides. Je voudrais plaider ici pour des mesures vraiment dissuasives. Au-delà des interdictions qui ont été évoquées, il faudrait revoir tout de suite à la hausse les taux de la redevance pour pollutions diffuses de l'eau par les pesticides. On me dit que c'est trop tôt, qu'il faut attendre les premiers résultats de la loi sur l'eau qui vient d'être votée, que l'on doit observer les premiers effets de l'éco-conditionnalité des aides de la politique agricole commune, qu'il vaut mieux compter sur le volontariat et la contractualisation que sur la contrainte...

Mais permettez-moi, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, de continuer à tirer la sonnette d'alarme ! La France est le troisième utilisateur mondial de produits phytosanitaires. Nous avons une obligation communautaire de restaurer la qualité des eaux d'ici à 2015 et les pesticides constituent le principal polluant de l'eau. C'est également la principale préoccupation environnementale de nos concitoyens.

Les redevances sont loin de couvrir l'ensemble des coûts cachés des pesticides pour la nature et la santé de l'homme. De plus, elles ne sont pas assez dissuasives. L'inertie des milieux aquatiques est terrible. Les atteintes à la biodiversité et à la santé humaine sont de plus en plus certaines. Elles relèvent de moins en moins du principe de précaution et de plus en plus du principe de prévention.

Les agriculteurs sont d'ailleurs les premières victimes des effets néfastes des produits phytosanitaires. Il ne s'agit pas de stigmatiser la profession. Les consommateurs eux-mêmes doivent s'interroger. Lorsque la pomme que l'on achète est tellement brillante que l'on peut se voir dedans, c'est à quel prix ! Elle a alors subi entre huit et quinze traitements suivant les conditions climatiques et sanitaires. Acceptons de revoir nos attentes en termes de calibrage et d'apparence au profit de nouvelles exigences qualitatives et gustatives.

Troisième point d'application du principe pollueur-payeur : les poids lourds. J'ai souhaité réaffirmer fortement la nécessité d'instaurer rapidement un péage kilométrique pour les poids lourds.

M. Bruno Sido, président du groupe de suivi. C'est le cas en Alsace.

Mme Fabienne Keller. Il faut dire qu'en Alsace nous sommes bien encadrés, entre la Suisse, qui applique déjà ce dispositif, et l'Allemagne, qui vient de l'adopter récemment. Nous profitons d'ailleurs du report de la circulation des poids lourds.

Les groupes de travail nos 1 et 6 se sont intéressés à l'éco-redevance ; ils affichent cette mesure dans leur programme d'actions.

Nous pouvons nous appuyer sur la directive Eurovignette pour mettre en place le dispositif, cela a été dit. Nous pourrions rattraper ainsi l'expérimentation alsacienne, adoptée en décembre 2005, et dont les décrets d'application ne sont toujours pas publiés, voire l'appliquer tout de suite à la France entière.

Pour éviter tout risque de distorsion de concurrence, je voudrais, comme Bruno Sido l'a proposé, que nous appliquions immédiatement cette mesure au niveau européen, même si nous connaissons la difficulté des prises de décision sur les questions ayant trait à la fiscalité, du fait de l'application de la règle de l'unanimité. Il existe quelques résistances en Europe, mais la prochaine présidence française devrait nous permettre d'avancer dans ce domaine.

Après ces trois propositions, je voudrais évoquer quelques points qui me semblent devoir être améliorés.

M. Jean-Paul Emorine rappelait tout à l'heure la part des transports dans les émissions de gaz à effet de serre et leur taux de croissance tout à fait inquiétant.

Permettez-moi de souligner que le Grenelle de l'environnement n'a pas fait de propositions très concrètes pour garantir le financement du réseau ferré. Je pense en particulier aux lignes ferroviaires à grande vitesse. Le TGV n'émet que 5,7 grammes de CO2 par voyageur et par kilomètre, contre 111 grammes pour le transport individuel par la route et 180 grammes pour le transport aérien !

Cher Dominique Bussereau, au nom des Strasbourgeois, je suis très heureuse de dire que, depuis le 9 juin dernier, nous pouvons circuler en ne contribuant qu'à l'émission de 5,7 grammes de CO2 par kilomètre. Le rapport est de un à trente par rapport au transport aérien ! Le réseau français de lignes à grande vitesse doit continuer à être développé, or cela ne ressort pas très clairement des débats actuels.

Le deuxième thème qui me semble prioritaire, vous n'en serez pas surpris, monsieur le ministre d'État, c'est le financement des transports publics urbains.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique, le bruit, la congestion automobile, il est indispensable d'opérer un transfert modal de la voiture particulière vers les transports doux. Les groupes de travail nos 1 et 6 ont émis des idées intéressantes, mais il s'agit de trouver des modalités de financement durable. Je forme le souhait que, d'ici à la fin du Grenelle de l'environnement, nous ayons des engagements précis.

Je fais l'hypothèse que, dans le domaine des transports de pondéreux, l'éco-redevance sur le transport routier permettra de financer le fret ferroviaire, ainsi qu'un plan d'urgence pour redonner un positionnement économique viable à ce mode de transport aujourd'hui en grande difficulté.

Il s'agit donc pour nous tous de trouver des ressources nouvelles, pérennes, pour l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. L'AFITF pourrait être tout naturellement le réceptacle de ces ressources. Je me permets un peu tristement de rappeler qu'une occasion a été perdue, voilà quelques années, de faire de l'AFITF le récipiendaire de l'ensemble des titres des sociétés d'autoroute.

Sur la question des OGM, il faut entendre le profond malaise de l'opinion française et les critiques sur l'absence de transparence et de débat. Il y a bien eu un projet de loi, mais le Parlement n'est pas allé jusqu'au bout de la navette parlementaire. Les efforts déployés par notre collègue Jean-François Le Grand n'ont pas permis d'obtenir un consensus.

Pour ma part, je suis favorable au moratoire sur les cultures en plein champ, tout en continuant, bien sûr, les travaux de recherche. Cependant, je ne suis pas persuadée de l'innocuité des OGM pour la santé des consommateurs ni de leur utilité en matière environnementale dans leurs usages actuels.

Enfin, je voudrais souligner, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, que l'eau a peut-être été trop absente de ces débats. Je n'ai pas compris l'absence de groupe spécifique sur la problématique de l'eau, même si celle-ci a été abordée, ici et là, dans les groupes nos 2, 3 et 4. Quelques groupes transversaux ont été constitués sur les déchets et les OGM, mais pas sur l'eau. Or la restauration de la qualité de l'eau est un thème stratégique. Le pilotage de la politique de l'eau, monsieur le ministre d'État, nécessite en outre une réforme en profondeur.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, les quelques réflexions que je souhaitais vous soumettre.

Il y aura, en termes de décision publique, un avant et un après le Grenelle de l'environnement. Vous avez en effet décidé en engageant cette démarche, monsieur le ministre d'État, de mettre à plat l'ensemble des enjeux de l'écologie et du développement durable, d'en faire clairement une priorité des politiques publiques et de faire largement participer à ce débat la société civile, sans court-circuiter le Parlement.

Vous avez fait le choix, réussi, de rassembler autour d'une même table des acteurs parfois très opposés ; ils ont discuté, ils se sont écoutés. Vous avez recensé l'ensemble des actions possibles en seulement trois mois. Je tiens à saluer ici la force de cette démarche.

Cher Jean-Louis Borloo, cher Dominique Bussereau, chère Nathalie Kosciusko-Morizet, nous connaissons votre ténacité et votre détermination. Je crois, chers collègues, que nous pouvons indiquer aux membres du Gouvernement qu'ils peuvent compter sur l'engagement du Sénat pour contribuer à l'élaboration des textes et des réponses nécessaires face aux défis qu'ils ont décidé de relever. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans une rentrée morose et parfois marquée par des débats vifs, pour ne pas dire houleux, au Sénat, le débat d'aujourd'hui sur le Grenelle de l'environnement offre une pause et l'occasion d'une échappée vers l'avenir.

Pour un moment, nous quittons les sujets du quotidien pour penser à la planète, à notre planète, et revenir aussitôt à notre quotidien. Mais nous revenons le regard neuf, comme lavé des scories, des préjugés et des facilités qui trop souvent surdéterminent nos décisions.

Oui, l'initiative du Grenelle de l'environnement, malgré son intitulé quelque peu restrictif, est heureuse dans son principe et, jusqu'ici, efficace dans son déroulement.

J'ai lu avec intérêt les synthèses des groupes de travail. J'y ai constaté la hauteur de vues et la confrontation des points de vue divergents. C'est une bonne base de départ. Qu'en sortira-t-il au moment des décisions politiques ? Évidemment, là est toute la question.

Dans le peu de temps qui m'est imparti et puisque Pierre Laffitte a traité le sujet avec sa hauteur de vue habituelle, je n'aborderai qu'un seul thème, et encore très partiellement, à savoir le changement climatique et la maîtrise de la demande d'énergie, sous l'angle de l'urbanisme durable.

En effet, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, une révolution des esprits et un changement de nos pratiques est en train de cheminer, que vous impulsez et dynamisez.

Le lien entre l'urbanisme et le développement durable constituait un chantier jusqu'ici inentamé, ou presque. Grâce au Grenelle de l'environnement, il devient manifeste pour l'opinion publique. Le réseau des élus qui s'était déjà impliqué dans ces questions peut désormais s'y consacrer pleinement.

Dans la synthèse du premier groupe de travail, j'ai lu avec bonheur, notamment, qu'il était temps de rendre largement autosuffisantes en matière énergétique nos résidences principales et secondaires. J'ai noté avec satisfaction que le moment était venu de lutter contre l'étalement urbain qui dévore nos paysages et couvre la France d'un habitat pavillonnaire sans âme, sans qualité architecturale et gaspilleur d'énergie. Enfin, j'ai été heureux de retrouver dans ce document la notion d'éco-quartier, dont certains maires se sont emparés voilà quelques années, dans l'indifférence ou le scepticisme des décideurs.

Toutefois, ces trois orientations supposent une prise de conscience qui, pour une part, reste à accomplir, ainsi qu'un soutien sans faille aux maires, aux présidents de conseils généraux et aux présidents de conseils régionaux qui se sont portés à la pointe de ce combat. Et bien sûr se pose aussitôt le problème d'une nouvelle répartition des ressources financières entre les collectivités territoriales.

Mes chers collègues, nous ne nous en tirerons pas en votant l'exemption de l'impôt local, sur le foncier bâti par exemple, pour tout habitat qui répondrait aux normes de la HQE, la haute qualité environnementale, car ce serait prendre le risque de limiter les initiatives, les chantiers et les avancées aux seules villes riches.

Faute de temps, je ne lancerai qu'une idée : l'une des pistes à explorer pourrait être une refonte ambitieuse de la DGF, la dotation globale de fonctionnement, qui reste la première ressource de nos collectivités.

L'introduction d'un critère HQE dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement constituerait un geste significatif et efficace. (M. Pierre Laffitte acquiesce.) Elle indiquerait que les schémas d'urbanisme des années 1980 sont désormais périmés et que les élus qui s'engagent dans la bonne voie, parfois à contre-courant de leur opinion publique, trouvent l'appui financier de la puissance publique.

Pour conclure, monsieur le ministre d'État, je rappellerai que c'est grâce à votre action, précédée, il est vrai, de celle des ONG, que, pour la première fois, nous pouvons parler d'urbanisme durable dans l'enceinte du Sénat sans donner le sentiment d'être hors sujet. Ne serait-ce que pour cette raison, je vous adresse un grand merci. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lancement d'une véritable politique environnementale ou thérapie de groupe ? Les avis sont partagés.

En organisant le Grenelle de l'environnement, le Président de la République montre qu'il a bien compris l'inquiétude de l'opinion publique face aux atteintes portées à l'environnement. Est-ce à dire qu'il est prêt à mettre en place une véritable politique environnementale publique pour répondre à cette préoccupation ? C'est toute la question.

Désignée pour représenter le Sénat dans le collège des collectivités territoriales, j'ai participé volontiers à ces travaux. C'était pour moi une exigence démocratique, car là où se trouvent les forces vives de la société civile, les politiques se doivent d'être présents - même si, j'y reviendrai, l'exercice peut être critiqué.

Je ferai quelques remarques. Sur la forme, tout d'abord, le terme de « Grenelle », même s'il est issu d'une proposition des ONG ou des associations, me semble impropre au regard de l'histoire.

En effet, le véritable Grenelle constitua une avancée historique pour le pouvoir d'achat, les conditions de travail et la représentation des salariés. S'il s'agit de souligner l'urgence environnementale, je suis d'accord ; mais si, finalement, les résultats ne sont pas au rendez-vous, nous aurons inutilement confondu les références historiques, me semble-t-il. On parle aujourd'hui d'un Grenelle de l'insertion. Y aura-t-il des Grenelle sur tous les sujets ? Ce serait un peu abusif, à mon avis.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Dont acte !

Mme Évelyne Didier. Surtout, les partenaires qui se trouvent autour de la table n'ont pas le même statut. Certains disposent de budgets, d'autres non. Tous ne peuvent s'engager - puisque ce verbe a été employé -, au sens contractuel du terme. Et pour tout dire, je crains qu'une nouvelle charge ne vienne peser sur les collectivités territoriales si l'on n'alloue pas à ces dernières les moyens correspondants. J'insiste sur ce point : oui à la proximité, mais pas sans la solidarité ni la péréquation des moyens. Les collectivités savent faire et elles font déjà beaucoup, mais sans moyens nouveaux elles ne pourront pas supporter de nouvelles charges.

Monsieur le ministre d'État, dans votre intervention liminaire vous avez rejeté le « tout-fiscalité », mais vous avez souligné aussi le besoin de moyens. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ? Ce n'est pas seulement l'affaire de l'État, affirmez-vous. Certes, mais pour ma part, je soutiendrai que c'est aussi l'affaire de l'État !

Quant à la méthode utilisée, elle illustre une nouvelle forme de gouvernance, qui s'appuie sur l'opinion et se construit en lien direct avec la société civile. Elle traduit la reconnaissance d'un statut d'interlocuteur, voire de décideur, pour les acteurs intermédiaires. Sans doute faudra-t-il s'interroger sur la qualité et la légitimité de ces nouveaux intervenants. Comment construire leur représentativité durable par le biais d'une autorité reconnue ? La question de la responsabilité des uns et des autres se pose, en tout cas.

En ce qui concerne les objectifs, le texte fondateur est la déclaration du Président de la République du 21 mai dernier, qui succédait à la nomination d'un ministre d'État chargé de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables. Il s'agit de mots et d'actes forts ! J'ai même entendu parler de refonder une politique, réaliser une révolution écologique, produire autrement, changer nos modes de vie. Diable ! S'agirait-il d'une conversion ? (Sourires.)

Précisément, ce sont nos modes de production et de consommation qui sont en cause, car ils obéissent, de plus en plus, à une logique financière qui conduit à diminuer les investissements, à réduire les coûts salariaux, à considérer comme une charge inadmissible les précautions nécessaires à la sécurité et à la protection de l'environnement - en tout cas, tel était le discours tenu jusqu'à présent.

Si je ne doute pas de la capacité du Président de la République à bousculer les gens et à forcer la marche - c'est même l'une de ses spécialités ! -, je suis très sceptique quant à sa volonté de contraindre les acteurs économiques et le patronat à prendre en compte les intérêts sociaux et environnementaux du pays ; ces derniers mois, d'ailleurs, il a surtout cherché à alléger leur contribution à l'effort collectif.

Monsieur le ministre d'État, vous allez sans doute me trouvez soupçonneuse, mais l'expérience rend méfiant : je suis d'un pays en Lorraine où les mineurs et leurs descendants paient toujours pour une exploitation minière et sidérurgique prédatrice qui a laissé des sites pollués, des terrains encore aujourd'hui inconstructibles, dont certains menacent de s'effondrer, comme à Moutiers, en Meurthe-et-Moselle, et des territoires financièrement exsangues sous le poids des réparations à réaliser.

Jusqu'à présent, les politiques de droite ont toujours produit les mêmes effets. Par parenthèse, mes chers collègues, les petits pois donneront peut-être un jour des haricots, mais il faudra vraiment manipuler très fortement la génétique ! (Sourires.)

M. Dominique Braye. Non, il n'y a qu'à laisser pousser !

Mme Évelyne Didier. Plus précisément, les politiques mises en oeuvre par la droite ont toujours minimisé leurs conséquences environnementales et sociales, qu'elles refusaient de prendre en compte au nom de la rentabilité et de la productivité. Monsieur le ministre d'État, comment pouvez-vous, aujourd'hui, prétendre vouloir agir autrement ?

J'ai encore en mémoire nos débats lors de l'examen de la loi sur l'eau, auquel nombre de nos collègues ici présents ont participé. Or, vous le savez bien, les lobbies de toute sorte ont pesé afin de restreindre la portée de ce texte, qui allait trop loin à leur goût. Allez-vous désormais rompre avec cette façon de procéder ? Pour ma part, je ne demande que cela !

Le développement durable suppose une refonte radicale de nos modes de production et de consommation, mais aussi une lutte sans merci contre les inégalités grandissantes entre les peuples et entre les personnes.

En effet, la majorité des activités polluantes sont aujourd'hui délocalisées dans les pays pauvres. Chez nous, ce sont les mêmes personnes qui cumulent une mauvaise alimentation, un logement insalubre et des conditions de vie et de travail difficiles, voire dangereuses pour la santé.

Le respect de l'environnement et celui de l'homme sont intimement liés. Telle est notre conviction. Or, sauf à changer son logiciel de base, je ne vois vraiment pas comment la majorité actuelle pourrait mettre en cohérence ses déclarations et ses actes !

J'illustrerai mon propos à l'aide de plusieurs exemples. Ainsi, le groupe de travail sur les OGM a fait plusieurs propositions, avec lesquelles nous sommes d'accord d'ailleurs, telles que la remise en cause du seuil de 0,9 % d'OGM à partir duquel l'étiquetage est obligatoire, l'instauration d'une haute autorité pluridisciplinaire et indépendante chargée d'évaluer les intérêts et les risques des OGM, la création d'une ligne pérenne réservée à ces OGM dans le budget de l'Agence nationale de la recherche.

Tout cela est bel et bien, mais la véritable question est de savoir comment développer la recherche, en mesurant ses impacts sans pour autant disséminer les OGM. En effet, nous savons bien qu'une fois la dissémination réalisée plus personne ne pourra revenir en arrière ! C'est cette irréversibilité, notamment, qui est inacceptable et que nous refusons. C'est pourquoi nous demandons un moratoire sur les OGM, ce qui ne signifie pas qu'il faille arrêter la recherche - au contraire, il en faut plus.

Monsieur le ministre d'État, qu'allez-vous faire ? Nous vous avons senti le Gouvernement très hésitant et partagé sur ce sujet. Voudrez-vous, pourrez-vous résister à la pression des lobbies de l'agro-alimentaire ? L'avenir nous le dira. Ajoutons que le candidat Nicolas Sarkozy s'est prononcé contre un moratoire sur les OGM. En tout cas, nous devrons exprimer clairement, à travers une loi, la volonté du pays sur cette question.

Mes chers collègues, on ne peut traiter des OGM sans évoquer également l'agriculture. Or, comme le montrent les débats tenus alors, la dernière loi d'orientation agricole a donné le coup de grâce à la multifonctionnalité de l'agriculture. Elle a ouvert la porte à l'entrée de capitaux extérieurs, qui échappent au contrôle des agriculteurs. Nous avons accepté une injuste répartition des aides, dont 80 % reviennent à 20 % des agriculteurs. Enfin, la loi d'orientation agricole pousse au rendement à tout prix, alors qu'il faudrait privilégier une agriculture durable en limitant l'utilisation des pesticides ainsi que la consommation d'eau.

Les milieux agricoles prétendent qu'ils sont prêts à s'engager à certaines conditions. Bien entendu, rien ne se fera sans eux, et encore moins contre eux, mais il est temps d'inverser la tendance et d'avancer.

Naturellement, cette vision de l'agriculture a laissé de côté les productions biologiques, considérées comme anecdotiques. En France, le moins que l'on puisse dire est que la culture biologique n'a pas été soutenue par les pouvoirs publics. L'idée avancée par l'un des groupes de travail est d'augmenter les surfaces consacrées à l'agriculture biologique et de promouvoir les circuits courts de commercialisation, car s'il faut s'interroger sur la production, il est aussi nécessaire de travailler sur la commercialisation.

Le résultat des politiques menées jusqu'à présent, ce sont des prix non rémunérateurs pour les paysans et des produits frais trop chers pour les familles, surtout celles qui ont de faibles revenus.

Monsieur le ministre d'État, quand arrive le moment de s'engager, cette question divise vos rangs puisqu'une partie des élus UMP, invoquant l'augmentation du prix des repas, affirment que leurs budgets ne leur permettent pas de soutenir le projet des « cantines bio ».

M. Dominique Braye. Nous ne sommes pas monolithiques !

Mme Évelyne Didier. Il s'agirait pourtant d'une mesure utile pour créer la demande et faire naître un marché. N'agissons-nous pas de cette façon pour les productions énergétiques non rentables ? Pour ces dernières, nous savons ajouter l'argent nécessaire, donc nous pouvons en faire autant avec le bio.

Monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, vous avez indiqué en d'autres lieux votre intérêt pour cette question. J'espère que vous poursuivrez dans ce sens.

Ces réflexions m'amènent tout naturellement à évoquer les biocarburants. Selon le prix Nobel de chimie Paul Crutzen, connu pour ses travaux sur la dégradation de la couche d'ozone, les agrocarburants pourraient contribuer à accroître les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, la plupart des agrocarburants seraient plus polluants que les combustibles traditionnels, exception faite de la canne à sucre !

Que déciderons-nous ? Quel rôle allons-nous assigner à l'agriculture ? Production alimentaire ? Production énergétique ? Les deux ? Dans quelles conditions ?

Il faut accroître la recherche et mieux évaluer l'efficacité environnementale et énergétique de ces productions. Plus de recherche et plus de transparence : voilà ce dont nous avons besoin.

Changement climatique, agriculture, OGM, pesticides, prix du blé, agrocarburants, ressource en eau, tout est lié. Peut-on se contenter de prendre seulement quelques mesures ? Ne faut-il pas plutôt revoir l'ensemble du système ?

Les scientifiques s'accordent à dire que les changements climatiques sont certains. C'est l'activité humaine qui a amplifié et accéléré le phénomène. La machine Terre, les espèces, ce que l'on appelle les écosystèmes, n'ont plus le temps de s'adapter, la machine se grippe et nous assistons à une désynchronisation des éléments constitutifs de cette machine.

La question des agrocarburants me conduit à aborder la problématique des modes de transports. La réduction de notre consommation d'énergie issue des hydrocarbures passe par la promotion des transports collectifs en utilisant l'énergie la moins polluante. Des investissements publics sont nécessaires pour développer ces transports sur l'ensemble du territoire.

À l'inverse, vous n'avez eu de cesse de fermer les services publics de proximité. La SNCF ferme des gares et des points de desserte ; on démonte des lignes de chemins de fer dites non rentables. Ce faisant, c'est un patrimoine que l'on brade, sans voir qu'il sera impossible de revenir en arrière. Or il faut des mesures fortes pour favoriser le report modal de la route vers le rail. Cela ne se fera pas sans intervention publique.

Récemment, le groupe communiste républicain et citoyen a dénoncé les décisions prises par la SNCF de fermer 262 points de desserte de fret pour les wagons isolés à partir du 30 novembre prochain. Les marchandises vont évidemment se retrouver sur la route.

Le transport de fret par voie ferrée et par voie fluviale est la réponse au transport des marchandises sur l'ensemble du pays. Telle est notre conception de l'aménagement du territoire. Allez-vous remettre en cause les décisions prises ? Dans le même temps, il faudra bien poser la question de l'internalisation des coûts externes négatifs du transport. Il y a bien une différence entre le ferroviaire qui participe au financement des infrastructures et le routier qui ne paie rien. Là encore, comparons ce qui doit être comparé pour avoir une idée plus juste de la situation.

Je souhaite maintenant évoquer le dossier REACH. Certes - et c'est important -, la nouvelle réglementation européenne sur les substances chimiques comporte de belles avancées : ce ne sont plus les pouvoirs publics qui devront prouver la toxicité des substances chimiques utilisées, mais il incombera aux industriels de démontrer que celles-ci sont sans danger. Pour autant, comment justifier que les entreprises soient autorisées à continuer d'utiliser des substances reconnues très dangereuses, même si des produits de substitution moins nocifs existent sur le marché ?

Ma question est donc la suivante : la France va-t-elle demander un renforcement des mesures REACH au risque de déplaire à l'industrie chimique ? Mon collègue et ami Francis Wurtz a dit que REACH était à la fois une belle illustration de ce que l'Europe pourrait être et une malheureuse confirmation de ses contradictions.

Je terminerai en évoquant les cancers provoqués par une exposition aux substances dangereuses. Le Bureau international du travail estime à 1,7 million le nombre de travailleurs qui meurent chaque année d'une maladie professionnelle, ce qui représente presque 5 000 décès par jour.

Or les directions d'entreprises ont encore le droit de garder secrètes les informations dont elles disposent sur l'éventuelle toxicité des substances chimiques produites dans une quantité inférieure à dix tonnes par an, ce qui est le cas de la grande majorité d'entre elles. Après le terrible précédent de l'amiante, il est essentiel de les responsabiliser afin que la santé des salariés soit protégée.

Il a d'ailleurs été proposé de donner de nouvelles compétences au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur la formation des élus et sur de nombreux points. J'espère que ces mesures seront mises en place.

Le temps qui nous a été imparti ne me permet pas de porter une appréciation sur l'ensemble des mesures proposées. En parler aujourd'hui me semble d'ailleurs prématuré, puisque personne - sinon peut-être quelques initiés - ne sait ce qui sera décidé et retenu.

Tout ce qui permettra une avancée sera évidemment bienvenu. Mais, avant de parler de nouvelle politique environnementale ou de révolution, il est urgent d'attendre. De nombreuses préconisations sont intéressantes, certaines méritent d'être précisées, il faudra les hiérarchiser.

Je tiens surtout à souligner aujourd'hui l'importance et la qualité du travail effectué dans cette première phase. Les participants ont accepté la règle du jeu avec beaucoup d'enthousiasme mais aussi de lucidité. Je veux saluer particulièrement le savoir et le savoir-faire des associations environnementales qui ont apporté leur travail et leur expertise. Tous les collèges ont effectué un travail constructif.

En revanche, sur le fond, les démarches sont différentes : certains pensent que le marché peut infléchir ses choix si c'est son intérêt et si l'opinion publique le demande. C'est sans doute vrai à la marge. Mais cela permettra-t-il pour autant d'arrêter la machine infernale qui met toute la planète et tant de peuples en souffrance ? Permettez-moi d'en douter. Seule une volonté politique forte, s'appuyant sur le service public et l'intervention citoyenne, au nom de l'intérêt général, dans une logique de solidarité, dans un cadre national, européen et international, permettra de renverser la tendance. C'est notre conviction la plus profonde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)