M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans ce débat sur le Grenelle de l'environnement, je souhaite souligner combien toute mesure nouvelle en matière de développement durable ne peut se concevoir sans une articulation étroite avec une recherche fondamentale de long terme.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi de m'appuyer sur les recherches conduites dans les régions polaires.

Comme vous le savez depuis votre passage au Groenland, monsieur le ministre d'État, ces recherches sont du plus haut intérêt. J'ai pu moi aussi en prendre toute la mesure à l'occasion d'une mission d'audit de cinq semaines sur le continent antarctique organisée à la fin de l'année 2005. En effet, j'ai le privilège d'être le premier parlementaire à m'être rendu à l'endroit de notre planète où s'élabore la connaissance des archives de l'évolution du climat, sur la base Concordia au dôme C, au coeur du continent antarctique, appelé le « continent des extrêmes » en raison de la rudesse des conditions de survie. Cette mission d'expertise, effectuée dans le cadre d'un rapport sur la recherche en milieu polaire pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, m'a permis de prendre conscience de la responsabilité qui nous incombe en matière d'efficience dans l'utilisation de nos énergies, comme de l'urgence à ouvrir des perspectives autour des énergies renouvelables.

Si je prends appui sur la recherche en milieu polaire, c'est parce que ce sont en grande partie les découvertes qui ont été réalisées aux pôles qui expliquent notre débat d'aujourd'hui. J'en prendrai trois exemples : la couche d'ozone, le climat et la biodiversité.

Le protocole de Montréal de 1987, dont nous avons célébré le vingtième anniversaire voilà quelques semaines, apparaît comme un modèle de mobilisation de la communauté internationale en matière de développement durable. En effet, il a permis d'organiser l'élimination progressive des CFC et d'autres substances nuisibles à l'ozone stratosphérique afin de revenir dans quelques dizaines d'années à un état naturel. On s'est même aperçu récemment que les gains induits en termes d'effet de serre étaient nettement plus importants que ceux qui étaient attendus du protocole de Kyoto s'il était parfaitement appliqué !

Or, mes chers collègues, il faut se rappeler que le trou de la couche d'ozone a été découvert en Antarctique aux cours de recherches fondamentales ne portant pas directement sur ce sujet.

Pour la connaissance du climat ensuite, le legs des recherches en milieu polaire n'est pas moins important. On peine à se figurer la faiblesse de nos connaissances avant que ne soient exploitées par les scientifiques les carottes de glace issues des forages antarctiques de Vostok et de Concordia. Celles-ci et d'autres encore contiennent les archives infalsifiables du climat et de l'atmosphère de notre planète depuis près d'un million d'années. En effet, les microbulles d'air qu'elles contiennent sont autant d'atmosphères fossiles rendant compte des conditions du passé. La composition physico-chimique de la glace et les isotopes des différents atomes sont autant de thermomètres permettant de remonter le temps.

Or ce sont ces recherches qui permettent de montrer, par comparaison avec l'état naturel, l'influence de l'homme au cours des dernières décennies, et de prévoir l'avenir par l'étalonnage des modèles climatiques.

En matière de biodiversité enfin, les pôles sont de véritables sentinelles des changements en cours.

En raison du phénomène d'amplification polaire qui veut que la hausse de la température soit environ deux à trois fois plus rapide aux hautes latitudes que dans nos régions tempérées, l'environnement polaire connaît des bouleversements rapides faisant peser une menace directe sur les espèces qui y vivent. Les études les plus récentes montrent qu'une hausse de seulement 0,3 degré Celsius de la température de l'océan peut conduire à une baisse de 10 % de certaines populations de manchots !

Certes, le manchot empereur ou l'ours blanc sont de splendides animaux, mais cela suffit-il pour vouloir les préserver ? Dans le fond, mes chers collègues, pourquoi financer la recherche sur ces animaux, alors qu'il y a tant à faire sur le cancer et d'autres maladies qui nous touchent si durement ?

C'est justement parce que ces animaux nous apportent des solutions. Vous serez surpris d'apprendre que l'étude du système digestif du manchot nous a déjà permis d'améliorer considérablement la lutte contre les maladies nosocomiales, si dangereuses dans nos hôpitaux. Ces mêmes recherches offrent des perspectives extrêmement prometteuses pour la lutte contre le cancer. Ces animaux ont des métabolismes très particuliers leur permettant de faire face aux conditions extrêmes dans lesquelles ils vivent.

La recherche sur la biodiversité est un domaine majeur insuffisamment connu et exploité. Chaque espèce est un trésor unique dont nous ne mesurons que trop rarement l'importance.

Ainsi, je souhaite vivement que le débat public engagé à l'occasion de ce Grenelle de l'environnement soit l'occasion de prendre pleinement la mesure de l'apport décisif de la recherche fondamentale pour nos sociétés, que ce soit dans les sciences de l'univers ou dans les sciences de la vie. Ces recherches ont changé et changeront notre manière de vivre et de voir le monde.

« Nous ne sommes savants que de la science présente », écrivait Montaigne. Au moment où nous réfléchissons à l'avenir de nos sociétés, préparons le futur de la science, car il ne peut y avoir de développement durable sans développement de la science. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est une première dans notre pays : depuis maintenant trois mois, l'État et les représentants de la société civile se sont réunis autour d'une même table pour réfléchir ensemble à une nouvelle approche qui place le développement de notre société dans une perspective durable.

La préparation de ce Grenelle de l'environnement est une occasion unique de fonder un véritable pacte écologique, qui donnera aux générations futures la chance de vivre dans un environnement préservé et un monde plus équilibré.

Nous le constatons, les ressources de notre planète s'épuisent et nous franchissons chaque jour un seuil critique dans leur consommation et leur dégradation. Le temps presse.

Dans ce contexte, la prise en compte de cette fragilité croissante autant qu'inquiétante est cruciale et la reconnaissance des écueils de notre développement économique désormais essentielle.

Cette révolution écologique est aussi culturelle. Elle demande à chacun de changer de comportement dans sa relation personnelle à l'environnement, que ce soit dans son travail, dans ses loisirs, dans ses habitudes de déplacement comme dans ses gestes quotidiens les plus simples.

L'action publique associée à la mobilisation de tous est au coeur de ce débat. Et c'est précisément sur ce point que je souhaite développer mon propos. En effet, la refonte de notre politique de l'environnement nécessite une action collective qui doit s'inscrire dans un cadre tout aussi nouveau, celui d'une démocratie écologique et d'une nouvelle gouvernance.

Cette gouvernance environnementale fut d'ailleurs le maître mot du sommet mondial sur le développement durable qui eut lieu à Johannesburg en 2002, comme il l'avait été du livre blanc présenté par l'Union européenne en 2001. Cette gouvernance environnementale fut aussi l'objet des travaux du groupe de travail remarquablement présidé par Mme Nicole Notat et auquel j'ai eu le plaisir de participer.

Pour assurer une meilleure efficacité des actions et une meilleure cohérence des décisions, les éléments clefs d'une bonne gouvernance écologique doivent être réunis : l'accès à l'information, l'accès à l'expertise, l'évaluation préalable, la participation du public à la décision, la responsabilisation des acteurs. C'est sur ces bases que ce groupe de travail a proposé une série de mesures sur lesquelles je ne reviendrai pas car notre collègue Paul Raoult les a déjà présentées.

Ces propositions m'amènent néanmoins à vous faire part de quelques réflexions relatives aux politiques territoriales, puis aux aspects institutionnels du développement durable.

Les collectivités, par la nature des compétences qu'elles exercent, sont au coeur de cette gouvernance environnementale, notamment les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, qu'il s'agisse de la gestion de l'eau, de la gestion des déchets, de la gestion de l'espace, du droit des sols, de l'urbanisme, pour ne citer que ces exemples... Ces compétences en matière d'environnement s'exercent le plus souvent en partenariat avec les départements, les régions, les agences de l'eau et l'État.

Cependant, force est de constater qu'à l'exception de quelques expérimentations locales la lisibilité de ces pratiques est insuffisante. En effet, les partenariats institutionnels sont organisés plus au coup par coup sur des projets ponctuels que sur des axes stratégiques dont on pourrait évaluer les résultats à long terme. Or c'est bien dans le cadre de programmes concertés et contractualisés que l'on peut mesurer l'efficacité dans le temps des actions engagées.

Cette démarche a déjà été expérimentée avec les chartes départementales d'environnement sur la base de contrats de cinq ans signés entre les départements et l'État. Elles avaient été très appréciées sur le terrain et avaient permis aussi de mobiliser tous les acteurs locaux autour de thèmes fédérateurs adaptés à chaque territoire. J'ai en ma possession la charte départementale du Cantal, qui a permis de réaliser plus de 30 millions d'euros d'actions. Je me ferai un plaisir de vous l'offrir tout à l'heure.

Les agendas 21 locaux, initiés par le sommet de la terre de Rio en 1992, permettent de définir, à partir d'un diagnostic de territoire, un programme stratégique d'actions en faveur du développement durable. Ils ont vocation à répondre aux grands enjeux environnementaux et aux attentes des acteurs du territoire qui participent à leur élaboration.

Ces agendas 21, comme les chartes départementales, sont en phase avec les nouvelles notions de gouvernance. Ils sont bâtis, en garantissant un juste équilibre entre l'action publique et la participation réelle des acteurs du territoire, sur la base d'un engagement contractuel.

Mais, il faut bien le reconnaître, ces démarches sont trop peu nombreuses. Seuls 200 agendas 21 existent dans notre pays aujourd'hui, malgré l'engagement des associations d'élus, notamment de l'Association des maires de France, pour les promouvoir. Aucune charte départementale de l'environnement n'a été cosignée par l'État depuis plusieurs années.

Il manque, en effet, le nerf de la guerre : l'accompagnement de l'État et son engagement financier au côté des collectivités locales pour encourager ces politiques de partenariat. C'est un point très important car les collectivités font preuve de volontarisme en la matière et les effets levier d'une contribution de l'État seraient évidemment déterminants.

Mais pour que ce partenariat avec l'État soit efficace sur le terrain, dans un contexte réglementaire de plus en plus contraignant, il faut aussi que les collectivités disposent d'un interlocuteur identifié, d'un guichet unique de l'administration dans chaque département pour faciliter l'instruction des dossiers.

Or, sur ce point, le constat est aujourd'hui plus que mitigé car les nombreuses consultations de services interviennent à l'échelon départemental pour certaines, régional pour d'autres, voire national. Ce sont autant de démarches qui perturbent les calendriers et qui nuisent à la lisibilité de l'action de l'État.

Une organisation territoriale déconcentrée des services de l'État dans chaque département, instaurée autour du préfet, et la mise en oeuvre d'un budget opérationnel pour toute question touchant au développement durable seraient donc de nature à améliorer considérablement les relations entre l'État et les collectivités. Une telle mesure favoriserait en outre une meilleure évaluation des résultats obtenus.

Enfin, la sensibilité environnementale du public et sa volonté d'être plus associé aux politiques de développement durable menées par les collectivités sont aujourd'hui une réalité.

Dans ce contexte en pleine évolution, l'amélioration de l'information et la transparence des décisions deviennent donc incontournables. C'est en outre un moyen efficace d'éviter des contentieux qui perturbent considérablement la vie locale et qui sont dus à des malentendus qu'il serait pourtant possible de dissiper.

Pour cela, une réforme des enquêtes publiques - tout comme l'indispensable formation des commissaires enquêteurs évoquée précédemment - favorisant la concertation et l'information en amont des projets est sans doute nécessaire. Cette méthode existe déjà dans les procédures d'élaboration des documents d'urbanisme. Elle a fait ses preuves et pourrait donc être facilement mise en place dans certaines enquêtes publiques qui touchent particulièrement la population.

J'en viens aux aspects institutionnels des politiques de développement durable.

L'adoption de la Charte de l'environnement a permis de poser les principes constitutionnels qui doivent guider une gouvernance écologique. C'est donc une nouvelle stratégie nationale de développement durable qui, comme dans nombre de pays d'Europe, constitue la clef de voûte de la mise en cohérence de nos politiques publiques.

Dans cette perspective, le groupe de travail sur la gouvernance écologique a proposé d'associer les acteurs représentatifs de la protection de l'environnement aux travaux du Conseil économique et social pour favoriser leur contribution à l'élaboration des politiques publiques.

Mais il faut rappeler que l'implication des différents niveaux de collectivités locales est tout aussi essentielle dans la mise en oeuvre des politiques de développement durable sur le terrain. Cette contribution s'exerce aujourd'hui au sein du Conseil national du développement durable, le CNDD, au côté des partenaires environnementaux et de l'État.

Aussi, dans cette hypothèse, une représentation des collectivités ou de leurs associations d'élus au sein d'un organisme consultatif - à l'image du comité des régions à l'échelon européen - s'avérerait indispensable. Ce comité d'élus, qui pourrait aussi prendre la forme d'un CNDD réformé, garantirait la consultation des élus au même titre que celle des acteurs environnementaux au sein du Conseil économique et social.

La Charte de l'environnement précise aussi : « Les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable. »

Cette affirmation nous conduit aujourd'hui à envisager au sein des deux assemblées parlementaires la création d'une commission ou d'une délégation de l'environnement pour veiller à la mise en oeuvre des politiques publiques de développement durable.

Enfin, pour assurer une mise en oeuvre réelle du développement durable à une échelle appropriée, les régions, les départements, les EPCI et les communes doivent pouvoir s'engager ensemble aux côtés de l'État.

Ce partenariat nécessite l'exercice de compétences partagées qui devront faire l'objet de nouvelles dispositions législatives. C'est bien leur mise en réseau qui conditionnera l'efficacité de l'action publique territoriale.

Je ne peux terminer ce propos sans rappeler que la construction d'une démocratie écologique ne peut se concevoir en dehors de l'Europe. En effet, n'oublions pas que 80 % du droit français de l'environnement dépend directement du droit européen. Sur ce point, force est de reconnaître que nous avons beaucoup de travail.

Monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà des aspects que j'ai évoqués succinctement, le chantier qui s'ouvre nous concerne tous parce qu'il conditionne l'avenir de nos enfants et les grands équilibres naturels de notre planète. Chacun d'entre nous en est bien conscient et la qualité des débats qui ont eu lieu dans les groupes de travail l'a prouvé.

Maintenant, à partir d'un constat qui est partagé, nous devons converger tous ensemble vers un consensus ambitieux, dépassant les corporatismes, les préjugés, les opinions politiques. Ce consensus peut être exemplaire et faire école en Europe et dans le monde. Ce ne sera pas une utopie si chacun, dans son domaine, y contribue en faisant preuve de responsabilité solidaire face à cet enjeu universel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà de la seule problématique environnementale, le développement durable est devenu un enjeu fondamental dans le débat sur l'avenir des sociétés humaines. Chacun en est maintenant persuadé. Qu'il s'agisse des organisations écologistes, bien sûr, mais également des associations de protection du cadre de vie, de défense des consommateurs, des organisations syndicales de salariés et du patronat, des entreprises, des milieux agricoles, tous ont intégré l'idée que le développement durable pouvait être non seulement une contrainte, mais aussi une véritable opportunité économique.

Il s'agit donc de faire face à plusieurs défis qui nous imposent de modifier nos comportements et de réorienter notre modèle de développement. Nous avons une obligation de réussite, qui dépasse les clivages politiques et impose de mobiliser tous les talents.

Le contexte était donc favorable au lancement d'un grand débat avec un ensemble de partenaires qui, au niveau national au moins, n'avaient pas toujours eu l'occasion de se rencontrer, de se parler, de s'écouter. C'est en remettant au coeur du processus l'exigence démocratique que le Grenelle de l'environnement a fait preuve de sa pertinence.

Cependant, avant de nous féliciter ou non de sa réussite, il faudra bien attendre sa clôture, vos décisions et leurs implications.

L'une de nos principales craintes, à nous, représentants des collectivités locales - à titre personnel, j'ai représenté l'Association des régions de France au Grenelle de l'environnement -, est de vous voir transférer des responsabilités supplémentaires sans moyens adéquats, et je ne parle pas seulement des moyens financiers. Voilà pourtant bien des années que nombre d'entre nous sont engagés, par le biais d'actions concrètes, dans la promotion du développement durable.

Parmi ces collectivités, les régions, dans la limite de leurs compétences et avec des budgets serrés - c'est la norme -, ont dépassé le stade de l'incantation et sont dans le « faire ». En moyenne, elles ont augmenté leur budget consacré à l'environnement de 20 % et ont développé des politiques ambitieuses dans tous les secteurs. Notons la mise en place d'agendas 21, le soutien aux constructions ou aux rénovations en vue de répondre aux normes HQE, les aides aux économies d'eau et au maintien de sa qualité, les aides aux économies d'énergie, aux agricultures respectueuses de l'environnement, la promotion de circuits courts et de repas « bio » dans les lycées, le développement très significatif du nombre et de la qualité des TER. Ce sont autant de mesures proposées par les groupes de travail.

Dans ces domaines, comme dans beaucoup d'autres, une sorte de « politique par la preuve » démontre le rôle stratège de nombre de collectivités et confère ainsi aux régions et aux départements une responsabilité importante. Encore faut-il que le Gouvernement reconnaisse et valorise réellement leurs actions et leur place, en clarifiant les compétences de chacune de ces collectivités et en leur donnant les moyens de mener à bien leurs missions. J'espère que tel sera le cas lors des débats décentralisés.

Cette demande récurrente nécessite de repenser les modes de financement de leurs compétences et les règles fiscales. À cette occasion, il serait souhaitable que cessent les contradictions les plus flagrantes, comme l'affectation d'une part de la TIPP aux régions, alors même que ces dernières encouragent le recours aux transports collectifs et sont donc partie prenante à la réduction de la consommation de carburants. Du fait de ce mode de financement, plus les régions sont efficaces, plus elles voient se réduire leurs ressources.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Odette Herviaux. Plus globalement, dans le domaine fiscal, nous ne pourrons faire l'impasse d'une réflexion approfondie et générale ni sur la possibilité d'internaliser les surcoûts sociaux et environnementaux, ni sur le problème central, à savoir qui doit payer ? Est-ce le consommateur, le citoyen, le producteur, les entreprises, le réseau de la grande distribution ? Il faudra bien, à un moment ou à un autre, reconsidérer le principe pollueur-payeur en remontant jusqu'à la source des profits.

Je n'ai évidemment pas le temps d'énumérer toutes les propositions sérieuses, concrètes, réalistes, présentées par les représentants des collectivités que sont l'AMF, l'ADF, et surtout l'ARF. Cette dernière, en raison de la précipitation dans laquelle a été organisé le Grenelle de l'environnement n'a pu transmettre ses propositions qu'au moment où les groupes présentaient déjà leurs conclusions. J'espère très sincèrement qu'il sera quand même tenu compte des contributions de ces associations, car c'est bien dans la proximité et grâce au rôle moteur des collectivités que le développement durable pourra devenir une réalité sur l'ensemble du territoire français. La réorientation de notre modèle de développement ne passera que par une revitalisation de la décentralisation.

En attendant, il faudra accélérer l'exécution des contrats de projets et, peut-être, envisager la négociation de compléments à ces contrats pour renforcer les actions en faveur d'un développement et d'un aménagement plus durables ; je vous rappelle que lors de la négociation, l'État, en l'occurrence le ministère de l'aménagement du territoire, avait diminué son budget de 50 % sur cette ligne.

Il faudra aussi organiser, car c'est indispensable, une meilleure cohérence entre les diverses politiques publiques, notamment celles de l'État.

N'y a-t-il pas urgence à signer les décrets d'application de textes qui vont dans le bon sens, comme celui qui concerne les modalités d'application d'un dispositif contenu dans l'article 40 de la loi de finances rectificative, voté au Sénat le 18 décembre 2006 à la suite de l'adoption de l'un de nos amendements, présenté par notre collègue Jean-Marc Pastor, qui reconnaissait le rôle de la biomasse dans le traitement des déchets ménagers et assimilés par méthanisation, selon le principe du bioréacteur ?

N'y a-t-il pas urgence également à faciliter les démarches administratives en ce qui concerne cette même méthanisation dans le circuit agricole ? Actuellement, les bonnes volontés sont présentes en grand nombre mais se heurtent à un délai d'au moins trois ans entre le commencement de l'étude du projet et le début de sa réalisation.

Bien sûr, les grandes tendances et les orientations des politiques environnementales dépendent également de la communauté européenne, voire de l'international à travers l'OMC, surtout dans le domaine des productions agricoles, et cette dimension a parfois été peu ou pas présente lors des premiers débats.

Pourtant, l'année prochaine va voir se dessiner les nouvelles propositions concernant la PAC, et les orientations prises auront un impact très fort sur l'avenir de notre agriculture. Il n'est pas sûr, par exemple, que la suppression des jachères aille dans le bon sens en ce qui concerne la biodiversité. Même les chasseurs ont fait connaître leur opposition à leur suppression totale.

M. Bruno Sido, président du groupe de suivi. C'est vrai !

Mme Odette Herviaux. De la volonté du Gouvernement dans les négociations dépendra le maintien ou non d'un grand nombre de nos exploitations et l'aménagement équilibré de nos territoires. La régionalisation des aides pourrait contribuer à favoriser une approche plus équilibrée des soutiens en les adaptant aux enjeux environnementaux et économiques locaux et en encourageant davantage toutes les formes de production qui vont dans le sens du développement durable.

Une politique offensive à l'égard des productions génétiquement modifiées, prenant la forme d'un moratoire ou d'une loi - le Gouvernement en prendra la responsabilité à un moment où la biodiversité n'a jamais été autant menacée - suppose un soutien actif aux productions certifiées et aux réseaux oeuvrant pour la promotion des filières respectueuses de l'environnement, de la diversité, de la santé et des équilibres Nord-Sud.

Avant de conclure, je souhaite me faire le porte- parole de mon collègue d'outre-mer Claude Lise, qui considère que ces territoires ont été tenus à l'écart du Grenelle de l'environnement, alors même que leur participation aurait dû s'imposer comme une évidence - vous l'avez vous-même reconnu, monsieur le ministre d'État -, compte tenu de la richesse de leur biodiversité ainsi que de la situation préoccupante créée aux Antilles par l'usage de pesticides et des menaces qui pèsent sur les écosystèmes.

Pour bien connaître ces territoires, je peux dire qu'en Martinique aussi le conseil général n'a cessé d'innover : agenda 21, pôle de référence en matière de prévention des risques naturels sismiques, montée des eaux, phénomènes de houle ou de raz-de-marée, gestion de la biodiversité, organisation d'un colloque international sur le réchauffement climatique.

Claude Lise souhaite, comme beaucoup d'entre nous, que votre démarche n'ignore pas ces initiatives et les avancées déjà réalisées localement.

En conclusion, et au-delà de la seule logique de communication, je souhaite, ainsi que les membres de mon groupe, que les moyens politiques et financiers soient rapidement précisés, car nous avons une responsabilité collective sur les propositions, mais vous assumerez ensuite, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, avec l'ensemble du Gouvernement, l'entière responsabilité soit d'une véritable réorientation de vos politiques, soit de quelques mesures marginales, donc peu efficaces ou financées par d'autres.

Si vous vous engagez vers ce qui nous paraît être le bon choix, les collectivités territoriales seront à vos côtés pour réussir le pari du développement durable, et mon groupe s'en réjouira, tout en étant - c'est son rôle - très attentif à son évaluation et à sa prise en compte dans l'ensemble de vos politiques.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, trois minutes d'intervention, vous l'aurez compris, ne peuvent donner lieu qu'à un témoignage.

Nous n'héritons pas de nos parents, nous empruntons à nos enfants, c'est classique !

De nombreux instruments votés par l'ONU et ses divers démembrements ont évoqué la responsabilité des générations présentes à l'égard des générations futures.

Voilà cinq ou six ans, nous rentrions du sommet de la terre à Johannesburg... Vous vous rappelez : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » ! Mon mari, Daniel Goulet, vous recevait ici même, madame la secrétaire d'État, pour vous parler d'un projet qui lui tenait déjà à coeur - en Normandie, nous sommes têtus ! -, celui de la création d'une commission pour les générations futures. Monsieur le ministre d'État, toutes les opérations que vous suggérez aujourd'hui, il faudra bien les institutionnaliser !

Cette commission serait formée au sein de nos institutions. Elle pourrait constituer une pièce intéressante dans le nouveau dispositif que le Président de la République veut mettre en place. Elle procéderait à une évaluation systématique et a priori des politiques qui vont être exercées, c'est-à-dire qu'elle pourrait statuer en matière d'environnement, de sécurité alimentaire, de choix énergétiques, de démographie, d'éducation, de bioéthique. Il s'agit donc d'institutionnaliser l'étude d'impact préventive, car nous n'avons aucun moyen, ni au Sénat ni à l'Assemblée nationale, d'avoir cette évaluation. Évaluer à mi-parcours ou après coup serait tout de même un peu dommage. Il serait extrêmement intéressant d'avoir cette évaluation a priori. La composition et les pouvoirs de cette commission dépendront évidemment de ce que vous voudrez en faire.

Gouverner c'est prévoir, et non pas travailler au gré d'événements en général tragiques : chiens méchants, manèges fous, abus de sucrerie et de responsabilisations en tous genres, tous aléas compensés par un législateur aux aguets de sa cote de popularité et des sondages.

La commission pour les générations futures permettrait de protéger les générations futures en étant composée de non élus, plus préoccupés par l'avenir de ces générations futures que par leur réélection.

Je ne doute pas, monsieur le ministre d'État, que vous étudierez avec bienveillance l'implantation dans notre ossature juridictionnelle, administrative et législative de cette commission, que nous avons appelée de nos voeux bien des fois et qui doit être une commission à part entière. C'est dans nos institutions, au quotidien, qu'il faut imprimer notre souci de développement durable et de protection des générations futures.

« Victoire de l'optimisme sur l'expérience ! », telle est la formule qu'employa Henri VIII lors de son sixième mariage. Je puis reprendre à mon compte cette phrase célèbre, car je suis persuadée, monsieur le ministre d'État, que cette proposition vous séduira et que vous réagirez avec enthousiasme, volonté et promptitude.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

M. Jean Desessard. Spécialiste de l'environnement !

Mme Dominique Voynet. Monsieur le ministre d'État, invité de nos journées parlementaires à Nantes la semaine dernière, vous avez tressé une couronne de lauriers aux écologistes, particulièrement aux Verts, dont le travail a contribué à sensibiliser la société à la réalité, à la gravité, à la complexité de la crise écologique. Vous avez affirmé que notre pays avait changé, que nos citoyens aspiraient à vivre mieux et se disaient à une écrasante majorité prêts à adopter d'autres comportements. Ce qui n'était pas possible hier est désormais à notre portée.

Je vous crois, monsieur le ministre d'État ; quand je vous écoute, je bois du petit-lait, et je ne souhaite qu'une chose : que vous réussissiez.

Pour réussir, la première des vertus nécessaire, c'est la lucidité.

La mutation vers une société conciliant gestion responsable des ressources, justice sociale et efficacité économique sera tout sauf simple et consensuelle. Je sais que vous n'êtes pas de ceux qui en tireraient argument pour ne rien faire du tout.

Elle sera tout sauf simple, parce que, la bonne volonté des acteurs économiques et des citoyens étant acquise, il sera difficile de leur demander de changer si des alternatives concrètes, accessibles, ne sont pas mises en place. Il ne suffira pas d'encourager nos concitoyens à laisser chaque fois que c'est possible leur voiture au garage si les bus sont rares et bondés, si les projets de transport public restent dans les cartons faute de financement.

L'amputation sévère de la marge de manoeuvre budgétaire de l'État à laquelle il a été procédé cet été sans aucune contrepartie sociale et environnementale constitue une faute grave. Il y avait de quoi financer des TGV, des tramways, des bus en site propre, des logements sociaux bien isolés, des tunnels ferroviaires pour franchir les Alpes ou les Pyrénées, les trains remplaçant les camions.

Cette mutation sera tout sauf consensuelle. En effet, la transformation en profondeur des façons de vivre, de produire, de travailler, de consommer, va heurter des intérêts puissants, remettre en cause des rentes de situation, parce qu'on ne pourra pas faire tout et son contraire : concilier l'inconciliable, donner satisfaction à ceux qui, depuis toujours, s'arrogent le droit de consommer, sans les payer à leur juste prix, de l'eau, de l'air, de l'espace, de l'énergie, des matières premières, ceux qui font payer par d'autres les conséquences sanitaires, sociales et environnementales de leurs activités polluantes et dont le profit n'est pas - c'est un euphémisme ! - largement partagé par tous, ceux enfin qui, en situation de quasi-monopole et sur la base de contrats léonins, facturent à prix fort les services rendus en matière de dépollution.

Comment ne pas s'alarmer alors que remontent au créneau les lobbies les plus divers, dans les ministères, dans les médias, auprès des parlementaires, avec la complicité active de quelques-uns d'entre eux ? Ils détestent qu'on le leur rappelle, mais nous savons tous nommer ceux qui représentent de façon parfois explicite les intérêts de tel ou tel secteur d'activité. Selon les cibles, on mettra en avant le caractère dérisoire des politiques nationales, on fera du chantage à l'emploi, on négociera des délais, on fera mine de craindre le désaveu des citoyens à quelques mois d'échéances électorales, forcément sensibles.

La tâche de ces lobbies serait moins facile si le Président de la République et le Gouvernement n'avaient pas constamment donné l'impression de décider au coup par coup, sous la pression des habitudes, des clientèles, des amis politiques : le réacteur EPR se construit, tout comme l'incinérateur de Fos-sur-Mer, le ministre de l'agriculture s'abstient à Bruxelles sur un dossier d'autorisation d'OGM, donnant ainsi toute latitude à la Commission européenne de prendre la décision à sa place.

Où est alors la cohérence entre les ministères et, au sein de chacun d'eux, entre les politiques, entre l'État au niveau central et l'État au niveau local, entre l'État et ses établissements publics ?

Est-il normal, monsieur le ministre d'État, que les préfets réunissent les services qui instruisent les autorisations d'extension d'élevage avant même que ne se tiennent les réunions des comités départementaux d'hygiène ?

Savez-vous que plusieurs des experts chargés par l'AFSSE, l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, d'un rapport sur l'impact sanitaire des téléphones mobiles avaient un lien professionnel avec les grands opérateurs ?

À quoi rime le discours sur le ferroutage quand la SNCF, incapable d'assurer le transport de wagons isolés, envisage de fermer 262 gares ?

Pourquoi la Commission nationale du débat public n'a-t-elle toujours pas de président ?

Les mesures suggérées par le groupe de travail sur les questions de gouvernance vont dans le bon sens. Elles permettraient de mieux reconnaître la place des associations, de garantir le pluralisme de l'expertise et de protéger les lanceurs d'alerte, de décider de façon plus transparente et plus argumentée.

Malheureusement, le groupe de travail reste timide pour ce qui concerne l'organisation de l'État lui-même, au niveau central et au niveau territorial, et la répartition des compétences. Il ne dit rien, ou presque, de ce cancer qu'est la corruption ou de la nécessité de revoir les procédures et contrats de délégation de service public.

Il faut que l'État donne l'exemple, qu'il transpose sans finasser les directives européennes, qu'il respecte lui-même la loi, la loi « littoral », la loi « montagne », la loi sur les études d'impact, la loi sur l'eau, et qu'il les fasse respecter avec une police de l'environnement digne de ce nom et une inspection des installations classées dotée d'effectifs suffisants.

Le terme de « Grenelle » est passé, dîtes-vous, monsieur le ministre d'État, dans le langage commun. C'est vrai ; encore faut-il admettre qu'il y a un doute sur le sens de ce terme. En 1968, dont j'assume sans problème l'héritage - comme vous, j'en suis sûre -, il s'agissait d'une vraie négociation. Aujourd'hui, il s'agit d'un dialogue inédit, de qualité, même s'il a été mené au pas de charge, même si les participants ne disposaient pas tous de la même connaissance des dossiers. On reconnaît les nouveaux convertis à leur enthousiasme et à l'ardeur avec laquelle ils accordent du crédit à des solutions magiques sans en identifier les effets pervers - je pense bien sûr au biocarburant, qu'il vaudrait mieux qualifier d'agrocarburant - avec l'espoir que tout cela reste indolore et ne dérange pas trop le business.

Ce dialogue a permis de valider un diagnostic, d'identifier un certain nombre de mesures consensuelles, gagnant-gagnant. On peut raisonnablement espérer qu'elles seront mises en oeuvre. Il a permis aussi de dresser le constat de désaccords persistants.

Qui arbitrera ? Le Président de la République, avez-vous dit. Je ne suis pas parfaitement rassurée, pas seulement parce qu'il ne se déplace qu'en avion au lieu de prendre le train, pas seulement parce qu'il confirme à tous les grands élus - sur ce point, il n'est pas vraiment différent de son prédécesseur - le caractère prioritaire de leur projet de rocade et de contournement routier, à Bordeaux, à Strasbourg et ailleurs, pas seulement parce qu'il propose de vendre des centrales nucléaires urbi et orbi, mais aussi parce que les décisions qui sortiront du Grenelle de l'environnement doivent être engagées, portées par tous les partenaires si nous voulons qu'elles survivent aux arbitrages budgétaires, à l'inertie administrative, au découragement même de ceux qui seront chargés de les mettre en oeuvre.

Avant de conclure, je veux, monsieur le ministre d'État, attirer votre attention sur l'espoir suscité par le Grenelle de l'environnement dans l'outre-mer.

On aime célébrer la beauté des paysages de ces régions, la richesse de la biodiversité, la fécondité des océans, la fertilité des sols. La réalité est tout autre : empoisonnement des sols par le chlordécone et le paraquat, prolifération des déchets, orpaillage sauvage, déforestation, embouteillages monstrueux, trafic d'espèces protégées.

On vous attend aux Antilles pour engager les îles des Caraïbes vers un développement plus responsable. Harry Durimel vous l'a demandé ; je veux vous entendre ici confirmer la promesse que vous avez faite.

Je vous envie, car vous avez un défi magnifique à relever ; je vous plains aussi, parce que j'ai écouté les interventions des députés, hier, à l'Assemblée nationale, comme celles de mes collègues sénateurs, cet après midi. J'ai mesuré à quel point le soutien de certains de vos amis politiques se limitait pour l'essentiel à de grandes envolées lyriques de caractère général, assorties de recommandations de prudence : n'empêchez pas les voitures de rouler ! Attention aux aliments « bio » dans les cantines ! Ne pénalisez pas nos entreprises !

Je vous souhaite sincèrement beaucoup de courage, car il vous en faudra ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)