compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a été informé du rejet par le Conseil constitutionnel, dans sa séance du 25 octobre 2007, de la requête contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé le 26 août 2007 dans le département de l'Hérault pour l'élection d'un sénateur.

Acte est donné de cette communication.

3

saisines du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, le 25 octobre 2007, par plus de soixante députés, et le 26 octobre 2007 par plus de soixante sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Acte est donné de ces communications.

Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

4

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 52 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

Je signale par ailleurs que ce rapport fera l'objet d'une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, lors de la séance du Sénat du 8 novembre.

5

retrait d'une question orale

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 72 de M. Jean-Pierre Chauveau est retirée du rôle des questions orales et de l'ordre du jour de la séance du mardi 6 novembre 2007, à la demande de son auteur.

6

approvisionnement électrique de la france

Discussion d'une question orale avec débat

Ordre du jour réservé

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 1 de M. Bruno Sido à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur l'approvisionnement électrique de la France.

Cette question est ainsi libellée :

M. Bruno Sido interroge M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur les suites que le Gouvernement pourrait donner aux propositions de la mission commune d'information du Sénat sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver.

Si les travaux de la mission ont permis de démontrer que cette sécurité était garantie dans des conditions satisfaisantes en France, aussi bien à court qu'à moyen terme, ils ont toutefois ouvert les pistes pour en assurer la préservation à long terme, tant dans le domaine de la production que dans celui du transport et de la distribution ainsi qu'en matière de maîtrise de la demande d'électricité. Plusieurs des quarante propositions adoptées par la mission visent à atteindre cet objectif et rendent nécessaires des décisions rapides au plan national. Mais l'existence d'une plaque électrique interconnectée européenne impose aussi l'examen de la dimension communautaire de la question de la sécurité d'approvisionnement du pays. À cet égard, la situation apparaît plus préoccupante et plusieurs constats établis par la mission ont conduit cette dernière à préconiser des initiatives qui ne peuvent s'inscrire que dans un cadre européen.

Dans ces conditions, M. Bruno Sido souhaiterait connaître tant les traductions législatives et réglementaires que pourraient prochainement recevoir les préconisations du rapport de ses collègues, rapporteurs de la mission commune d'information du Sénat sur l'électricité, que les initiatives qui pourraient être prises par la France dans ce domaine à l'occasion tant de la discussion du nouveau paquet énergétique communautaire que de sa présidence de l'Union européenne.

La parole est à M. Bruno Sido, auteur de la question.

M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 novembre 2006, voilà presque un an, se produisait l'une des plus importantes pannes électriques subies par les Européens tant par son étendue géographique - toute l'Europe occidentale - que par le nombre des personnes touchées - plus de 15 millions de foyers. Mais cette panne n'eut heureusement que des conséquences pratiques bénignes en raison de sa durée limitée - de quelques dizaines de minutes à une heure selon les réseaux - et de la période à laquelle elle survint - un samedi soir à vingt-trois heures.

Il n'en reste pas moins que cette panne révéla brutalement la fragilité des réseaux électriques nationaux, qui est due à leur interconnexion d'un bout à l'autre du continent ainsi qu'à la dépendance très forte de notre organisation sociale et économique à ce bien si particulier et si vital qu'est l'électricité. C'est pourquoi il apparut rapidement nécessaire qu'une mission commune d'information se penche sur le dossier de l'approvisionnement électrique de la France, afin que le Sénat puisse disposer d'abord d'une analyse des causes réelles de l'incident, ensuite d'une évaluation des risques pesant sur la sécurité de cet approvisionnement, enfin de préconisations pour préserver cette sécurité, voire l'améliorer.

Du mois de janvier au mois de juin dernier, la mission que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider a mené six mois de travaux passionnants. À Paris, trente-deux auditions lui ont permis de rencontrer plus d'une cinquantaine de personnalités représentatives du secteur de l'électricité et de couvrir l'ensemble du champ de la réflexion qui s'ouvrait à elle. Afin d'inscrire sa réflexion dans une dimension européenne, des délégations se sont rendues à Bruxelles et dans six pays européens pour y rencontrer plus d'une centaine d'interlocuteurs. Enfin, quelques déplacements en région parisienne et à Dunkerque ont également donné l'occasion d'observer in situ des installations et des sites de production, donnant ainsi un caractère concret à nombre de propos entendus lors des différents entretiens.

Le rapport d'information que Michel Billout, Marcel Deneux, Jean-Marc Pastor et moi-même avons « tiré » de ces rencontres aborde successivement les trois domaines dans lesquels il faut agir pour garantir la sécurité d'approvisionnement électrique de la France : la production d'abord, le transport et la distribution ensuite, la maîtrise de la consommation enfin.

Bien que distinctes, ces trois parties sont assises sur un socle commun que mes trois collègues rapporteurs et moi-même approuvons et que je résumerai ainsi : un constat, deux observations et trois principes fondamentaux.

Le constat, c'est que le système électrique français fonctionne correctement, dans un cadre garantissant aux consommateurs une fourniture d'électricité d'excellente qualité, avec une grande régularité et à un coût satisfaisant ; c'est une bonne nouvelle. La sécurité d'approvisionnement électrique du pays est donc réelle aujourd'hui, ce qui n'interdit évidemment pas de chercher à la préserver, même à l'accroître.

La première observation, c'est que les caractéristiques intrinsèques de l'électricité sont si particulières - je vous rappelle que l'électricité est un bien indispensable, qui ne se stocke pas, qui, dans de nombreuses circonstances, n'a pas de substitut, et qui restera à jamais soumis à des lois physiques incontournables - que, d'une part, elles justifient pleinement la notion de service public qui est traditionnellement attachée en France à la fourniture d'électricité, et que, d'autre part, elles semblent rendre inadaptées à cette fourniture les règles habituelles de fonctionnement des marchés libéralisés.

La seconde observation, c'est que notre réflexion sur la sécurité d'approvisionnement s'inscrit dans un cadre communautaire sur l'énergie fixé par le Conseil européen au mois de mars dernier. Or celui-ci a retenu deux autres axes qui peuvent parfois apparaître contradictoires avec la recherche de la sécurité d'approvisionnement : l'amélioration de la compétitivité du marché et la lutte contre le réchauffement climatique.

De ce constat et de ces observations résultent les trois principes directeurs de notre rapport d'information.

D'abord, il est absolument nécessaire pour la France de conserver une maîtrise publique dans le domaine électrique et pour l'Europe de bâtir un système où la régulation, par nature publique, permettra d'anticiper les problèmes et d'éviter les crises.

Ensuite, il est essentiel d'affirmer que la composition des bouquets énergétiques des différents pays interconnectés n'est pas uniquement une question d'ordre national et que l'interconnexion des réseaux électriques doit faire primer les préoccupations de sécurité et de solidarité sur les intérêts commerciaux.

Enfin, un aspect majeur de la sécurité d'approvisionnement passe par la maîtrise de la demande d'électricité : je pense ici à la gestion des « pointes », aux mécanismes dits « d'effacement » ou encore à l'efficacité énergétique des processus industriels, des bâtiments et des équipements. À l'avenir, nombre de nos comportements doivent changer, non pas forcément pour moins consommer d'électricité, mais pour toujours la consommer mieux.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les bases sur lesquelles est structuré le rapport avec ses quarante propositions, adopté le 27 juin dernier par l'ensemble des membres de la mission commune d'information, à l'exception de Mme Voynet.

Depuis, quatre mois se sont écoulés, au cours desquels trois événements ont renforcé l'actualité de nos travaux.

Je pense tout d'abord au Grenelle de l'environnement, monsieur le secrétaire d'État. En tant que président du groupe de suivi de la commission des affaires économiques du Sénat, j'ai pu apprécier très directement la richesse et la qualité des débats que cette initiative du Président de la République et du Gouvernement a suscités. Nous avons discuté ici même, voilà quelques semaines, tant de la démarche que de ses premiers résultats. Des décisions essentielles ont été adoptées la semaine dernière à l'issue des trois journées de tables rondes et le Président de la République a publiquement annoncé, jeudi dernier, ses engagements en la matière.

Je veux y revenir un instant, car, dans le domaine de l'électricité, cette fructueuse réflexion collective n'a pas manqué d'aboutir à des propositions identiques ou très similaires à nombre de celles que la mission avait elle-même suggérées et qui s'appuyaient sur le principe de bon sens suivant : la meilleure façon de sécuriser l'approvisionnement électrique est encore de ne pas gaspiller l'électricité.

Dans cette perspective, les préconisations les plus importantes du groupe de travail n° 1 du Grenelle de l'environnement, intitulé « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie », me semblent celles qui concernent le secteur du bâtiment : rendre obligatoires les normes de construction haute performance environnementale, dites « HPE », pour toutes les constructions neuves, d'une part, procéder à la rénovation thermique progressive du parc ancien de logements et de bureaux pour en améliorer l'isolation, d'autre part. Compte tenu de la place qu'occupe ce secteur dans le bilan énergétique national - près de la moitié de l'énergie finale consommée en France -, il s'agit évidemment d'une piste prioritaire.

Notre mission l'avait elle-même considérée comme telle puisque, dans ce bilan, la part de l'électricité est prépondérante : représentant les deux tiers de la consommation du secteur résidentiel-tertiaire, elle a fortement augmenté en trente ans, en raison de cette particularité française qu'est le chauffage électrique, qui équipe encore 70 % des constructions récentes.

C'est ce constat qui a conduit notre mission à proposer pour le bâtiment une demi-douzaine de mesures complémentaires et, me semble-t-il, parfois originales : favoriser, dans les bâtiments nouveaux, l'installation de systèmes de chauffage alternatifs aux convecteurs électriques ; modifier l'assiette et certains taux du crédit d'impôt dédié aux économies d'énergie ; moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant des labels « HPE » et haute qualité énergétique, dites « HQE », et imposer l'utilisation de ces labels pour toutes les constructions ou rénovations de bâtiments appartenant à l'État ; instituer, pour les particuliers, un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d'énergie et, pour les collectivités publiques, un fonds de déclenchement des investissements immobiliers efficaces en énergie pour les bâtiments publics.

Ces encouragements, ces obligations, ces facilités resteront lettre morte si deux difficultés essentielles, pointées tant par notre mission que par le Président de la République, ne sont pas résolues très rapidement, l'information des professionnels du bâtiment et de leurs clients sur les nouveaux matériaux, techniques et appareils favorisant la maîtrise de la demande d'énergie, ainsi que la qualification desdits professionnels à ces technologies. La méconnaissance et l'incapacité à savoir faire sont autant de freins aux pratiques vertueuses que les questions de coût de l'investissement et de fiscalité. Il faut donc agir également en ce domaine et très rapidement.

C'est pourquoi la mission a également suggéré d'établir un plan national de formation des professionnels à la performance énergétique du bâtiment et de réaliser, dans le cadre du programme de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans le bâtiment, PREBAT, des études sur les facteurs socio-économiques de la sous-utilisation des technologies d'amélioration de cette performance.

Ainsi, à l'évidence, les mesures pratiques à mettre en oeuvre dans le secteur du bâtiment, en application des conclusions du Grenelle de l'environnement, devront aussi s'appuyer sur les propositions de la mission d'information et les reprendre.

Mais, au-delà de ce secteur, le groupe 1 du Grenelle de l'environnement a également formulé d'autres propositions identiques à celles de la mission, qui ont été reprises dans les décisions finales et expressément approuvées par le Président de la République dans son intervention de jeudi dernier, ce dont je me félicite vivement. Il s'agit d'étendre l'étiquetage énergétique à tous les appareils de grande consommation électrique et d'imposer des régimes de veille peu consommateurs, d'interdire la vente des lampes à incandescence à l'horizon 2010 et, bien entendu, de développer la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.

Le seul point d'achoppement entre nos travaux et ceux du Grenelle de l'environnement, concerne, évidemment, le recours à l'énergie nucléaire. La mission recommande le maintien de l'option nucléaire et le remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées. J'ai déjà eu l'occasion de dire à cette tribune, le 4 octobre dernier, à quel point je juge essentielle cette option pour faire face au défi du changement climatique ; je le répète aujourd'hui en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement électrique du pays.

Le deuxième événement intervenu depuis la remise de notre rapport, c'est l'adoption par la Commission européenne, le 19 septembre, du troisième paquet énergie, dont l'un des objectifs est précisément de renforcer la sécurité de l'approvisionnement de l'Union. Face à ce nouveau train de propositions législatives, ma position est mitigée. Elle est partagée entre la satisfaction, une fois encore, de voir traduites en décisions positives plusieurs des préconisations de la mission et l'inquiétude suscitée par la fixation d'objectifs inopportuns, voire dangereux, car inadaptés au cas très particulier de l'électricité, dont je vous ai déjà rappelé les caractéristiques.

Au chapitre des satisfactions, je citerai la création d'une agence de coopération des régulateurs nationaux de l'énergie habilitée à arrêter des décisions de nature obligatoire, comme le suggérait notre proposition n° 17 , le renforcement de l'indépendance des régulateurs nationaux dans les États membres assorti des mécanismes garantissant cette indépendance, qui répond en partie à notre proposition n° 16, et la mise en place d'une nouvelle organisation de collaboration des gestionnaires européens de réseau de transport chargée, notamment, d'élaborer des normes de sécurité et des codes commerciaux et techniques communs, de planifier et de coordonner les investissements nécessaires au niveau de l'Union, conformément à nos propositions nos 13 et 14.

Mais j'éprouve aussi des inquiétudes. Il en est ainsi, bien entendu, à l'égard de l'obligation de séparation patrimoniale entre producteurs d'électricité et gestionnaires de réseaux de transport, le fameux « unbundling ». Pour régler un problème qui se pose, à l'évidence, dans certains pays, la Commission s'enferre dans une seule direction, faisant fi du modèle français, qui démontre par l'exemple, au quotidien, qu'il est parfaitement efficace pour garantir, grâce à un contrôle et une régulation publics rigoureux, l'indépendance du gestionnaire du réseau, l'accès non discriminatoire au réseau et les investissements de capacité. Il me semble que la Commission se rend en l'espèce coupable d'un raisonnement strictement idéologique bien regrettable. Aussi, j'encourage le Gouvernement à poursuivre, au sein du Conseil, son entreprise pédagogique pour obtenir qu'une majorité d'États se prononce pour la reconnaissance de l'organisation française comme alternative à l'unbundling.

Mais le biais de l'idéologie ne se niche pas simplement dans cette option ; il colore l'ensemble du paquet énergie, non pas tant dans ce qu'il propose que dans ce qu'il ne propose pas. Conformément à sa doxa traditionnelle, la Commission estime que l'approfondissement de la libéralisation du marché de l'énergie va améliorer la situation. Or, en ce qui concerne l'électricité, je suis convaincu - je ne suis pas le seul - qu'elle fait fausse route et qu'au contraire il est nécessaire que ce secteur connaisse une forte maîtrise publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Daniel Raoul. Tout arrive !

M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. En France, notre système électrique, dont la performance est enviée pour la puissance de son parc productif, l'étendue et la sûreté de ses réseaux, la qualité de sa fourniture, le niveau raisonnable de ses prix, s'est construit dans ce cadre. Cette efficacité résulte du programme nucléaire, du bilan prévisionnel entre l'offre et la demande réalisé par Réseau de transport d'électricité, RTE, de la programmation pluriannuelle des investissements, PPI, bref, d'un ensemble de mécanismes qui impose des responsabilités à la puissance publique. Du reste, notre système est tellement efficace que nos voisins ne seraient pas mécontents d'en avoir l'usufruit sans en supporter les contraintes.

M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Nous nous en sommes rendu compte lors de nos déplacements à l'étranger. Ainsi réclament-ils, par exemple, un renforcement des interconnexions transnationales, non pas tant pour accroître la solidarité entre les pays en cas de difficultés que pour bénéficier de l'électricité nucléaire française à bas prix !

M. Daniel Raoul. Ah les hypocrites !

M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Or, la France n'a pas vocation à devenir le poumon nucléaire de l'Europe, pas plus que les Français n'ont de raison de supporter un prix de l'électricité déterminé par le coût marginal de la production de centrales à fioul étrangères. C'est exactement l'inverse de ce qui se passe sur les marchés ; c'est là que le bât blesse et que le paquet énergie est insuffisant. Il manque tout un pan des préconisations de notre mission d'information qui seules peuvent durablement assurer la sécurité d'approvisionnement électrique de l'Union européenne. Il faut, en particulier, obliger chaque État membre à élaborer un document prospectif indiquant la manière dont est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans, la Commission étant chargée par le Conseil d'en effectuer la synthèse au plan communautaire. Il convient également d'instaurer des normes minimales de production afin que chaque État soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme et de développer des interconnexions internationales aux seuls endroits où elles sont nécessaires pour améliorer la sûreté des réseaux et non les flux strictement commerciaux.

Sur ce dernier point, je veux souligner que la mission a également préconisé d'instituer une procédure de déclaration d'utilité publique européenne pour les grandes structures intégrées d'intérêt supérieur européen, et je regrette que cette idée ne figure pas non plus dans le projet de la Commission.

Le dernier événement que je souhaite relever vise la publication du rapport rédigé par le président de la « commission énergie » du Centre d'analyse stratégique, M. Jean Syrota, qui aborde aussi de nombreux aspects examinés par notre mission et formule des propositions similaires, sinon identiques, aux nôtres. Je veux en citer une, que nous avons développée dans le rapport d'information sans la faire apparaître comme telle dans nos quarante propositions finales. Il s'agit de l'extension accordée aux propriétaires-bailleurs des avantages fiscaux pour les dépenses favorisant les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables. Il nous semble indispensable, compte tenu de l'importance du parc locatif en France, de trouver un mécanisme incitant les propriétaires-bailleurs, qui n'ont eux-mêmes pas d'intérêt direct à la réduction des factures énergétiques de leurs locataires, à investir dans la performance énergétique de leurs biens.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la mission d'information du Sénat a oeuvré dans un contexte très propice à la réflexion. L'implication de nos trois rapporteurs - que je veux remercier très sincèrement et chaleureusement en cet instant et féliciter pour la qualité de leur travail - a permis de formuler quarante propositions importantes et nécessaires. Qu'elles rejoignent d'autres idées qui foisonnent en ce moment ou qu'elles s'en écartent, je souhaite qu'elles soient toutes mises en oeuvre, car je suis convaincu qu'elles sont indispensables à la sécurisation de l'approvisionnement électrique de notre pays et, plus globalement, de l'Union européenne.

C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, il serait utile, après avoir entendu les rapporteurs de la mission, puis les orateurs inscrits dans la discussion, que vous exposiez au Sénat les traductions législatives et réglementaires que le Gouvernement entend donner à celles de ces quarante préconisations qui peuvent être mises en oeuvre au plan strictement national.

Il serait également souhaitable que vous nous indiquiez les initiatives qu'il prendra, notamment quand la France exercera la présidence de l'Union européenne, pour favoriser l'adoption des propositions relevant du niveau communautaire afin de combler les insuffisances du troisième paquet énergie de la Commission européenne et de donner à l'Union les moyens d'une véritable stratégie de politique publique en matière électrique.

De même, le cas échéant, il serait judicieux que vous nous fassiez part des propositions de la mission d'information qui ne recueillent pas l'agrément du Gouvernement et que vous nous en précisiez les raisons.

Ce dialogue entre le Gouvernement et le Sénat sera, bien entendu, appelé à se poursuivre lorsque le Parlement examinera les textes résultant du Grenelle de l'environnement, ainsi que, vraisemblablement, une proposition de résolution sur le paquet énergie, mais je vous suis reconnaissant, monsieur le secrétaire d'État, de nous permettre de l'ouvrir dès à présent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor, rapporteur.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission commune d'information. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quelle heureuse initiative a prise notre collègue M. Sido de susciter ce débat sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité !

Monsieur le secrétaire d'État, vous risquez d'entendre des propos similaires, car nous étions tous en phase lors de nos discussions, surtout lorsqu'il s'agissait de défendre les intérêts de nos compatriotes en soutenant la maîtrise publique du secteur énergétique.

En tant que corapporteur de la mission commune d'information, aux côtés de mes collègues MM. Bruno Sido, Michel Billout et Marcel Deneux, et ayant été plus particulièrement chargé de la partie liée à la production d'électricité, j'ai eu l'occasion de mener des investigations approfondies sur ce sujet. Je dois, d'ores et déjà, vous faire part d'un premier constat, le désordre qui semble régner aujourd'hui en Europe au sujet du problème énergétique. (M. Jean Desessard applaudit.)

Ainsi, en Allemagne, au sein d'un même gouvernement, certains prônent le recours au nucléaire alors que d'autres se déclarent favorables à l'éolien.

En Italie, le gouvernement a décidé de ne pas recourir au nucléaire, mais les responsables politiques seraient bien contents si deux ou trois centrales étaient implantées de l'autre côté des Alpes, de manière à pouvoir alimenter leur pays. De tels propos ont bel et bien été tenus !

M. Bruno Sido, président de la mission commune d'information. Absolument !

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur. L'Espagne s'étant, quant à elle, engagée dans un premier temps dans le secteur éolien, fait aujourd'hui une pause, après s'être rendu compte qu'on ne maîtrise pas l'énergie éolienne comme on le veut.

La Grande-Bretagne avait joué la carte du gaz venant de la mer du Nord. Aujourd'hui, elle s'interroge sur la diminution des réserves. Attendre que le marché apporte une réponse ne semble pas satisfaisant.

Et je ne parle pas de la Pologne qui nous a tendu les bras et nous a demandé de lui venir en aide. En effet, 90 % de son énergie nucléaire sont produits dans des centrales à charbon obsolètes qui dégagent du CO2, ce qui laisse ce pays démuni.

Voilà très schématiquement brossée une situation assez inquiétante. De surcroît, chaque État a son « code de la route » pour le transport de l'électricité et les règles sont parfois concurrentes.

En France, l'électricité est produite sur le territoire. C'est énorme ! Garantir la sécurité de l'approvisionnement électrique implique d'abord de s'assurer que des moyens de production adéquats sont disponibles à tout instant pour répondre à la consommation.

Il s'agit, en France, d'une règle de base du service public de l'électricité, consacrée dans la loi du 10 février 2000.

Ainsi, Réseau de transport d'électricité élabore tous les deux ans un bilan pluriannuel prévisionnel qui permet d'anticiper les risques de déséquilibre à un horizon de dix ans. Vient s'y superposer, comme M. Bruno Sido l'a indiqué, une programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité élaborée pour dix ans par le Gouvernement, ce qui permet de situer les projections en termes d'investissement.

La PPI, gage de diversité des sources de production, constitue l'une des traductions concrètes de la politique énergétique nationale.

Ces deux outils, qui relèvent pleinement de la maîtrise publique du secteur, permettent donc d'anticiper et de prévenir les risques de défaillance de l'offre d'électricité.

De même, le bilan de RTE met régulièrement en évidence les fragilités en matière de sécurité d'approvisionnement des deux régions françaises que sont la Bretagne et la région PACA, qui sont sous-équipées en moyens de production pour la première, et en moyens de transport pour la seconde.

La mission a d'ailleurs préconisé, à cet égard, de réfléchir à l'institution d'une obligation d'équilibrage régional entre production et consommation, qui pourrait être définie sur la base de grandes « régions électriques ».

Cette règle de bon sens - veiller à l'adéquation entre l'offre et la demande - est malheureusement loin d'être partagée en Europe, comme je l'évoquais à l'instant.

Nombre d'États de l'Union européenne n'ont pas une conception aussi active de la politique énergétique que nous et font preuve d'une foi quasi intangible dans les vertus du marché, qui, selon eux, est un outil efficace de régulation et d'incitation aux investissements. La Commission européenne partage au demeurant pleinement cette vision.

Je préfère le préciser, la mission s'est, à l'unanimité, déclarée en opposition complète avec ce modèle.

D'une part, ce modèle de « tout-marché » conduit nombre d'États à fonder le développement de leurs moyens de production en très grande partie sur des centrales à gaz, dont une majeure partie est située en Russie, faisant ainsi un pont d'or, indirectement, à cette dernière.

Certes, ces unités présentent l'avantage de pouvoir être mises en service rapidement, en moins de deux ans, et d'émettre moins de C02 que leurs concurrentes directes, les centrales à charbon.

Pour autant, cette évolution est assez inquiétante au regard de la sécurité d'approvisionnement et de l'indépendance politique de l'Union européenne, qui importe déjà près de 57 % de son gaz et devrait importer 84 % en 2030, si l'évolution actuelle se poursuit. La diversification permise par le gaz naturel liquéfié ne sera pas suffisante pour réduire le poids dominant de la Russie dans nos importations, avec toutes les conséquences politiques et économiques que cela suppose.

D'autre part, la plupart de ces mêmes pays refusent tout développement de capacités nucléaires sur leur territoire mais, dans le même temps, verraient d'un bon oeil l'installation de ce type d'unités chez leurs voisins, en l'occurrence la France pour l'Europe occidentale, ce qui leur permettrait d'importer de l'électricité « bon marché ».

Je le répète, la mission a la conviction que la France - M. Bruno Sido l'a indiqué - n'a pas vocation à devenir le « poumon nucléaire » de l'Europe et à être le seul pays à devoir gérer tous les à-côtés sociaux et environnementaux de cette option énergétique.

Pour ces raisons, il est indispensable de réorienter en profondeur la politique communautaire de l'énergie.

M. Bruno Sido a rappelé quelles étaient les principales propositions de la mission à cet égard : d'une part, obligation pour chaque État de réaliser des bilans prévisionnels d'équilibre entre l'offre et la demande, ainsi que d'élaborer un document prospectif indiquant comment est garanti cet équilibre, construit sur le modèle d'une programmation pluriannuelle française et, d'autre part, imposition de normes minimales de production afin qu'aucun État ne puisse fonder durablement la satisfaction de ses besoins en électricité sur les importations.

Cette réorientation devrait idéalement prendre corps au sein d'un pôle public européen de l'énergie.

Cette organisation, qui fonctionnerait sur la base d'une réelle solidarité entre pays, notamment pour les questions ayant trait au développement des énergies renouvelables ou pour le respect des engagements environnementaux, devra tenir compte des conceptions de chacun concernant le bouquet énergétique. Il nous semble que ces nouvelles fondations de l'Europe de l'énergie seront de nature à donner naissance à de nouvelles régulations du secteur.

Malheureusement, les dernières propositions de la Commission européenne ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique, ce que je ne peux que déplorer. Ce que l'on appelle « troisième paquet énergie » a précisément pour objet de renforcer la concurrence dans les secteurs de l'électricité et du gaz, en ce qu'il vise, notamment, à la séparation patrimoniale entre les entreprises de production et de commercialisation et celles qui sont chargées du transport.

Cette proposition est d'ailleurs très dangereuse, car elle va « casser » nos groupes énergétiques, alors qu'à l'étranger se constituent des mastodontes, Gazprom, pour n'en citer qu'un, qui n'auront pas à subir de telles contraintes. Tout est orienté sur le marché concurrentiel.

Quel bilan peut-on tirer des premières années d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques ?

Il faut reconnaître que les entreprises qui s'étaient engouffrées dans cette voie voilà maintenant deux ans ont pratiquement toutes demandé à faire marche arrière.

C'est la raison pour laquelle a été mis en place sur le territoire national le fameux tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TARTAM, qui permet un rééquilibrage entre prix régulés et prix du marché, ces derniers ayant explosé.

La Commission européenne plaide en faveur d'un recours accru aux marchés libres et considère que les prix de l'électricité ont vocation à converger en Europe au fur et à mesure des progrès de l'unification des marchés intérieurs de l'électricité.

Or, plusieurs raisons empêchent d'appliquer à l'électricité les règles habituelles du marché.

D'une part, ce bien est tout à fait hors normes en raison de ses caractéristiques physiques : il s'agit d'un bien non stockable, qui nécessite un équilibrage permanent entre l'offre et la demande.

D'autre part, les différentes techniques de production n'ont pas le même coût et rien ne justifie que l'électron nucléaire soit facturé le même prix que l'électron issu d'une centrale à charbon ou à gaz.