Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

Mme Muguette Dini. L'écart est le même en ce qui concerne les masseurs-kinésithérapeutes.

Il se révèle nettement plus important chez les infirmiers libéraux, leur densité variant de 1 à 7, puisqu'elle est de 30 dans le département le moins bien pourvu et de 231 dans le mieux pourvu.

D'une façon générale, il apparaît que les zones périurbaines défavorisées et les zones rurales sont les plus désertées.

Une telle hétérogénéité dans la répartition territoriale des professionnels de santé emporte, comme première conséquence pour nos concitoyens, un accès inégal aux soins.

L'assurance maladie indique également une envolée des dépenses des soins de ville dans les zones surdotées en professionnels de santé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

Mme Muguette Dini. Pour l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, une offre de soins pléthorique générerait une demande de soins « injustifiée » des patients.

On peut donc affirmer qu'une maîtrise des flux des professionnels de santé dans ces zones à forte densité conduirait, à coup sûr, à une maîtrise des dépenses de santé. En moyenne, par exemple, les soins infirmiers par patient s'élèvent annuellement à 223 euros. Cependant, ce montant s'étire de 100 euros dans le Centre à plus de 450 euros en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Pendant longtemps, pour remédier à ces déséquilibres territoriaux, les seules mesures prises ont été, d'une part, la hausse globalisée du nombre des professionnels de santé et, d'autre part, la modulation régionale. Plus récemment, des aides financières à l'installation ou au maintien en exercice ont été mises en place.

De ce fait, au sein des hôpitaux, ont été créés dans les régions déficitaires des postes de praticien hospitalier dits « prioritaires », donnant droit à une allocation spécifique de 10 000 euros pour un engagement d'une durée de cinq ans, et, par ailleurs, des postes d'assistant hospitalo-universitaire et de chef de clinique donnant accès au secteur 2.

Concernant l'exercice libéral, des exonérations fiscales et de charges sociales sont accordées dans le cas d'un exercice ou d'une installation dans les zones franches urbaines, les zones de revitalisation rurale, les zones de redynamisation urbaine ou dans les communes de moins de 10 000 habitants.

L'assurance maladie propose également des aides financières dans le cadre de sa politique conventionnelle. Récemment, à destination des omnipraticiens, elle a mis en oeuvre deux nouvelles formes d'incitation : les soins dispensés ou prescrits sont exonérés des pénalités dues pour le non-respect du parcours de soins pendant une durée de cinq ans et le montant des consultations et des visites réalisées par lesdits professionnels exerçant en cabinet de groupe est majoré de 20 %.

À l'échelle régionale, les mesures en faveur d'une meilleure répartition géographique des professionnels de santé sont, quant à elles, axées principalement sur la formation et les conditions d'exercice. Selon une récente enquête menée auprès des comités régionaux de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, l'ONDPS, ces mesures sont essentiellement les suivantes : une sensibilisation des étudiants à des stages en hôpital local ou en zone rurale ; des bourses d'études sous conditions de stage ou d'installation ; le financement de formes d'organisation de soins innovants, telles que les maisons de santé pluridisciplinaires et certains dispositifs de permanence des soins.

Toutes ces politiques publiques nationales et régionales ont pour but d'inciter les professionnels de santé à s'installer dans les zones sous-dotées.

À ce jour, les résultats sont très décevants et, dans leur grande majorité, les mesures en place n'ont pas été évaluées. Toutefois, l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé, l'IRDES, les a mises en perspective avec les expériences de pays étrangers telles qu'elles sont retracées dans des publications internationales et les enseignements qui découlent de cette étude sont d'un grand intérêt.

L'IRDES souligne en effet les limites des deux dispositions les plus prometteuses, à savoir l'augmentation globale du nombre de médecins, jugée inefficace, et les incitations financières, considérées comme insuffisantes.

Les exemples du Royaume-Uni, des provinces canadiennes et des États-Unis montrent sans équivoque qu'agir sur les effectifs globaux des médecins ne constitue pas une solution au problème de leur répartition territoriale.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est certain !

Mme Muguette Dini. Malgré la concurrence exacerbée et la saturation de l'offre dans les zones à forte densité, les médecins britanniques, canadiens ou américains continuent de s'y établir et ne s'installent pas pour autant dans les zones déficitaires.

C'est aussi ce que nous pouvons observer en France.

Quant aux aides accordées sous forme de bourses d'études, mises en oeuvre depuis les années soixante-dix aux États-Unis, au Canada et en Australie, elles ont un impact notable à court terme, mais sont inefficaces à plus long terme. En effet, dans de très nombreux cas, les professionnels de santé procèdent au rachat de ladite bourse afin de se soustraire, avant son terme, à l'obligation d'exercice.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

Mme Muguette Dini. De plus, ces bourses d'études suscitent d'importants effets d'aubaine et, surtout, une compétition accrue entre les régions.

De même, la majoration de la rémunération des professionnels de santé exerçant en zone déficitaire n'a qu'une influence modérée à court terme et très faible à long terme. En effet, dans les zones de faible densité, les professionnels de santé ont une « patientèle » et des revenus plus importants que leurs confrères situés en zone pléthorique. C'est aussi ce que l'on constate chez nous.

Le système de prime à l'installation, appliqué notamment au Royaume-Uni entre 2001 et 2005, a depuis lors été abandonné.

L'efficacité très relative, voire nulle, de ces mesures incitatives doit-elle pour autant nous amener à envisager des mesures coercitives ?

Sur ce point, le protocole d'accord du 22 juin 2007 conclu entre l'assurance maladie et les quatre syndicats représentatifs des infirmiers libéraux est souvent cité en exemple. Ce texte met en place un dispositif de régulation territoriale de la population infirmière libérale fondé notamment sur le non-conventionnement à l'assurance maladie de tout infirmier libéral s'installant dans des bassins de vie à forte densité.

Nous connaissons sur ce sujet la position de certains autres professionnels de santé libéraux, notamment des médecins, qui n'hésitent pas à parler de casus belli.

Surtout, l'étude de l'IRDES sur les exemples étrangers conclut à la faible efficacité de la politique de limitation de l'installation des professionnels de santé en zone excédentaire.

L'IRDES se réfère notamment au cas de l'Allemagne, où, depuis 1993, le conventionnement à l'installation est limité dans les zones où la densité médicale est supérieure de 10 % à la moyenne nationale. Inversement, l'installation est encouragée dans les zones où cette densité est inférieure de 10 %.

Cette politique a eu notamment pour effet de détourner les étudiants des filières médicales au profit d'autres filières universitaires, sans qu'il soit bien sûr remédié, même partiellement, à l'inégalité de leur répartition géographique.

À la lumière de toutes ces données, notre groupe propose deux orientations, qui figurent parmi les propositions avancées par l'ONDPS et qui semblent plébiscitées par les professionnels de santé.

En premier lieu, il est fondamental que la question du choix du lieu d'installation et du maintien dans l'activité des professionnels de santé soit replacée dans un contexte de développement local et d'aménagement du territoire.

La problématique simplement sanitaire doit être dépassée. Dans un récent rapport, l'ONDPS fait état de la crainte de l'isolement des professionnels de santé.

L'accès à un plateau technique performant et l'intégration dans une équipe médicale de masse critique suffisante sont des facteurs d'attractivité indéniables pour un exercice médical efficace et rassurant.

Le travail exploratoire d'un groupe de recherche interdisciplinaire en santé de l'université de Montréal, dont l'IRDES se fait l'écho, souligne aussi l'importance d'associer l'analyse des critères professionnels à celle des critères personnels, en particulier les attentes en termes de qualité de vie familiale, sociale et culturelle.

Il est difficile pour un médecin de s'installer avec sa famille dans une zone où son conjoint a peu de possibilités de trouver un emploi, où ses enfants manquent d'infrastructures scolaires, où services publics et commerces disparaissent.

Ainsi, pour lutter contre l'isolement des professionnels de santé dans leur pratique et leur vie quotidiennes, il est primordial de favoriser le regroupement, la coopération et la coordination entre les établissements de santé et entre les professionnels de santé.

S'agissant des hôpitaux, cet objectif se traduit par leur organisation en pôles interhospitaliers au moyen de conventions ou par la constitution de groupements de coopération sanitaire.

L'actuel projet de loi de financement de la sécurité sociale contient une avancée en la matière - ce qu'il faut saluer.

En revanche, tout reste à faire en secteur ambulatoire, où l'accent doit être mis sur les maisons de santé pluridisciplinaires. Celles-ci rassemblent différents professionnels médicaux et paramédicaux qui proposent une prise en charge globale du patient. Il en résulte une amélioration de la qualité des soins et de l'organisation du travail médical du fait d'une activité planifiable, d'une continuité des soins assurée, d'investissements financiers et de contraintes administratives partagés.

Ces maisons de santé pluridisciplinaires doivent dépasser le stade de l'expérimentation et leur financement, assuré de façon aléatoire par le fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins, le FIQCS, doit être rendu pérenne.

Nous regrettons donc que notre amendement relatif à ce dernier point ait été rejeté par la commission des finances.

En second lieu, il conviendrait de transférer de nouvelles compétences médicales vers des professionnels paramédicaux.

Le professeur Yvon Berland, président de l'ONDPS, parle de la nécessité de « recentrer les médecins sur le coeur de leur métier » ou encore de « libérer du temps médical ».

Quinze projets expérimentaux ont été lancés en ce sens en milieu hospitalier et en secteur ambulatoire. La majorité d'entre eux portent sur la délégation de compétences et d'actes médicaux au profit des infirmières. Il s'agit essentiellement de la mise en place de consultations de dépistage, de missions de promotion, d'éducation et de suivi des personnes atteintes de pathologies chroniques et de la réalisation d'examens spécialisés complémentaires.

Notre groupe vous propose donc, madame la ministre, d'avancer maintenant à grands pas, et en étroite concertation avec les professionnels de santé, dans les deux voies que sont la réorganisation territoriale de l'offre de soins et le transfert de compétences médicales aux professionnels paramédicaux.

Par ailleurs, et sans développer ce deuxième point, j'estime qu'il faudrait se reposer la question du numerus clausus.

On devrait compter, de nos jours, non plus le nombre de médecins sortis des facultés, mais le nombre d'heures de présence médicale qu'une promotion annuelle de médecins est en mesure d'assurer.

Il est fini le temps où les médecins étaient taillables et corvéables à merci, de jour comme de nuit, en semaine, le samedi, le dimanche et les jours de fête.

Nombre de jeunes médecins n'envisagent pas de sacrifier vie de famille et vie personnelle à l'exercice de leur profession. Cela est d'autant plus vrai pour les jeunes femmes mères de famille qui, au moins en début de carrière, souhaitent exercer leur profession à temps partiel.

Il faudrait se donner les moyens de réfléchir à cette question. Une enquête suffisamment représentative nous apprendrait beaucoup et nous serions certainement amenés à revoir notre position sur le nombre de médecins qui, à l'avenir, devraient être diplômés chaque année.

Peut-être faudrait-il former les médecins non en fonction de leur nombre idéal par habitant, mais plutôt par temps moyen consacré par chacun d'entre eux au temps médical tel qu'il a été défini tout à l'heure par le président About.

Nous aimerions, madame la ministre, qu'une enquête soit diligentée sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que les problèmes de démographie médicale étaient connus et débattus sereinement depuis quelques années - mon groupe et moi-même avons régulièrement interrogé votre prédécesseur à ce sujet, madame la ministre, parfois sans recevoir de réponse -, le débat d'aujourd'hui a lieu dans un climat particulier, pour ne pas dire qu'il est faussé, biaisé.

Comment se fait-il qu'un article ne prévoyant qu'une discussion entre les acteurs conventionnels et l'assurance maladie ait déclenché une telle mobilisation ? Il faut bien le dire, madame la ministre, c'est votre attitude qui en est largement responsable. C'est bien parce que vous avez négligé de consulter préalablement les acteurs concernés, puis tenté de garder le cap avant de reculer complètement, que le débat d'aujourd'hui, aussi intéressant soit-il, n'apportera rien de concret à court terme.

Quant aux états généraux annoncés, j'espère sincèrement qu'ils permettront d'avancer sur cette question, même si je crains que la crise que vous avez déclenchée et la réponse que vous apportez à travers les deux articles modifiés n'aient durablement braqué les organisations syndicales de médecins et d'étudiants en médecine.

Cela est d'autant plus surprenant pour nous que le présent PLFSS, tout comme le précédent, est en fait bien plus contraignant à l'égard des assurés sociaux que des professionnels de santé. Une fois encore, comme mes collègues l'ont déjà démontré dans la discussion générale, il existe une disproportion entre les efforts imposés aux assurés sociaux et ceux qui le sont aux autres acteurs de l'assurance maladie. Ce projet de loi de financement accroît les déséquilibres et les effets pervers de la réforme de 2004, qui pénalise les malades, faute de s'attaquer à une véritable réorganisation de notre système de soins, fondée sur la qualité et l'égalité d'accès aux soins.

Il semble bien que le caractère obligatoire ne présente pas de difficulté, madame la ministre, lorsqu'il s'agit de maintenir une politique de fermeté à l'encontre des assurés sociaux, qui sont contraints, chaque année, à des efforts financiers supplémentaires.

Au contraire, il semble que cette même politique témoigne immédiatement d'une véritable timidité, pour ne pas dire plus, lorsqu'il s'agit d'imposer aux professionnels de santé une obligation minimale d'intérêt général. Il est vrai que, si les étudiants en médecine peuvent perturber le fonctionnement des hôpitaux - et on comprend leurs raisons -, les millions d'assurés sociaux qui ont signé une pétition contre les franchises n'ont pas les mêmes moyens.

J'en reviens à notre sujet d'aujourd'hui. Comme le rappelle notre collègue Jean-Marc Juilhard dans son rapport d'information, le nombre de médecins en exercice n'a jamais été aussi élevé. Pourtant, les disparités entre régions deviennent trop importantes pour que soit garanti sur l'ensemble du territoire un accès à des soins de qualité. Et cette situation devrait s'aggraver dans les années à venir.

Dans ma région, la Basse-Normandie, les cas de sous-démographie médicale sont nombreux, qu'il s'agisse des généralistes ou des spécialistes. Sans même parler des inégalités infrarégionales ou infradépartementales, les chiffres qui ont été rappelés dans le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard sont clairs : généralistes et spécialistes confondus, la Basse-Normandie a la troisième densité la plus faible, derrière la Picardie et la Haute-Normandie ; pour les généralistes, la Basse-Normandie arrive en deuxième position, derrière la région Centre ; pour les spécialistes, nous sommes en septième position, mais la situation varie selon les spécialités.

Aussi, je suis quelque peu surpris qu'une étude sur la surmédicalisation de certaines zones n'ait pas été réalisée, d'autant que l'exercice n'a rien d'insurmontable : je m'y suis moi-même livré.

J'ai pu ainsi constater une différence extraordinaire entre l'agglomération de Cherbourg, que je connais très bien, et le Ve arrondissement de Paris, tout près d'ici. À Cherbourg, qui compte 100 000 habitants, il n'y a aucun pédiatre en libéral.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je le sais !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je n'en doute pas, madame la ministre.

Dans le Ve arrondissement, où le nombre d'habitants est deux fois moins important, il y a onze pédiatres libéraux...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... et deux fois plus de gynécologues qu'à Cherbourg. Il en va de même pour les médecins généralistes.

Mais j'ai gardé le meilleur pour la fin, et n'y voyez de ma part aucune hostilité envers ce très bel endroit qu'est le Ve arrondissement : pour les 100 000 habitants de Cherbourg, il n'y a que deux psychiatres, alors que dans le Ve arrondissement, où vivent 60 000 habitants, ils sont 114 !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela prouve que les habitants de Cherbourg sont beaucoup plus stables que les autres ! (Sourires.)

M. Éric Doligé. C'est l'air de la mer ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Cela peut avoir en effet quelque chose de rassurant, mais on ne me fera pas croire que cette situation n'est pas à l'origine de certaines dérives au regard de l'assurance maladie. Nous sommes là dans un système concurrentiel qui ne s'accorde pas forcément très bien avec les préoccupations que nous exprimons aujourd'hui.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Il faut changer de maire, il y aura moins besoin de psychiatres ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Ces propos n'engagent que vous, monsieur le rapporteur. Je ne me mêlerai point de ce problème. (Nouveaux sourires.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous avez raison !

M. Jean-Pierre Godefroy. Merci, madame la ministre.

Plus sérieusement, nous entendons souvent parler, à juste titre, de sous-médicalisation dans les zones rurales. Mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que ce phénomène touche aussi les villes - je viens de citer Cherbourg - qui disposent pourtant de tous les éléments d'aménagement du territoire nécessaires. Les zones en difficulté ne sont donc pas les seules concernées.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Exactement !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dans certaines agglomérations pourtant bien équipées, on manque aussi de médecins. Il faut absolument que cette situation cesse.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il faut le reconnaître, depuis deux ans, des mesures ont été prises pour tenter d'y remédier, même si, comme le rappelle la Cour des comptes, elles ne sont pas suffisamment efficaces et sont souvent mal connues des bénéficiaires potentiels. Ces mesures consistent essentiellement en des incitations financières assumées principalement par l'assurance maladie et les collectivités locales. Pourtant, dans ce domaine, il me semble que l'État a un rôle primordial à jouer.

À cet égard, je ne peux que rejoindre la position de la Cour des comptes, qui considère que « les questions touchant notamment aux droits des malades, à l'accès aux soins et à la permanence des soins devraient rester de la compétence principale de l'État ». Or ce n'est plus le cas puisque, une fois de plus, le PLFSS prévoit de déléguer aux négociations conventionnelles non seulement ce qui relève de la démographie médicale, mais aussi la question de la permanence des soins ou des modes de rémunération.

M. François Autain. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Selon nous, garantir l'accès aux soins sur tout le territoire et la qualité d'exercice des médecins et des professionnels de santé de proximité ne peut pas et ne doit pas relever des seules négociations conventionnelles, même si elles sont indispensables.

M. François Autain. Exactement !

M. Jean-Pierre Godefroy. En agissant ainsi, le Gouvernement méconnaît la responsabilité de l'État s'agissant tout autant de l'aménagement du territoire que de l'ordre public, car aujourd'hui, c'est l'égalité d'accès aux soins pour tous qui est menacé.

Bien évidemment, on ne réglera pas ces questions sans l'implication et la participation des professionnels concernés, ce qui suppose de prendre en compte leurs aspirations légitimes quant à l'organisation de leur vie professionnelle et la conciliation avec leur vie personnelle. Néanmoins, c'est à l'État de prendre les décisions de régulation dans ce domaine, au nom de l'intérêt général et de la solidarité nationale, ce que vous renoncez à faire pour l'instant.

Dans son rapport, notre collègue Jean-Marc Juilhard propose déjà quelques pistes, que nous partageons pleinement : la régionalisation des épreuves classantes pour l'accès au troisième cycle des études médicales, afin de stabiliser les étudiants dans la région où ils auront achevé leurs études ; l'adéquation entre le nombre de postes ouverts à l'examen et celui des candidats, afin d'éviter les postes non pourvus qui sont toujours ceux de médecine générale, et c'est bien ce qui se passe dans les grandes écoles, comme l'a dit M. le rapporteur ; la rationalisation des incitations financières, notamment en ce qui concerne les zonages de référence ; la simplification des démarches administratives pour l'obtention de ces aides à l'installation ; le développement des centres de santé ; la labellisation des maisons de santé, etc.

Cela étant, je pense qu'il faut aller encore au-delà de ces propositions. À cet égard, des mesures de régulation de l'installation me semblent, à terme, inévitables.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Eh bien voilà ! On y est !

M. Jean-Pierre Godefroy. Les infirmiers libéraux ont accepté de s'engager dans cette voie ; les médecins ne peuvent rester les seuls à ignorer les réalités territoriales de l'accès aux soins. Une profession, même libérale, dès lors qu'elle est financée par l'argent public a des obligations, il faut le rappeler.

Cette régulation territoriale ne pourra être efficace que si elle s'accompagne d'une adaptation de la formation initiale des étudiants en médecine. Dans cette optique, même si Mme Dini nous a dit que ce dispositif n'était pas efficace, il nous paraîtrait intéressant de généraliser une mesure déjà mise en oeuvre par certains départements, dont celui de la Manche - je parle sous la responsabilité de notre collègue Jean-François Le Grand -, qui attribuent des bourses aux étudiants en médecine acceptant de s'installer durablement sur leur territoire.

Bien sûr, il s'agit là d'une pratique qui n'en est qu'à ses débuts et il peut y avoir des dérives. Mais c'est une piste qu'il ne faut pas fermer avant de l'avoir expérimentée.

Qui attribue les bourses aux étudiants en médecine ? Les collectivités locales. Or la généralisation d'une allocation d'études versée par l'État en contrepartie d'un engagement des étudiants à s'installer dans une zone sous-médicalisée mérite d'être étudiée. C'est le sens de l'un de nos amendements.

Au-delà, il me semble nécessaire de clarifier le rôle, notamment, du médecin généraliste afin de redonner de l'attractivité à ce métier essentiel - sur ce point la réforme de 2004 est restée à mi-chemin -, mais aussi de faire évoluer les modes d'exercice des praticiens libéraux : il reste encore beaucoup à faire pour rendre l'exercice groupé, ou en réseau, véritablement intéressant pour les praticiens concernés. Les règles fiscales et sociales liées aux charges de fonctionnement d'un cabinet de groupe ne sont pas suffisamment attractives, de même que les modes de rémunération des professionnels de santé.

En effet, c'est l'autre chantier à ouvrir d'urgence dans ce domaine. Non seulement le paiement à l'acte est porteur d'inflation des dépenses de santé, mais il favorise l'isolement et la concurrence entre praticiens. À mon sens, le paiement à l'acte doit devenir la variable d'ajustement de la rémunération des professionnels de santé,...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. J'ai ouvert quelques pistes dans le projet de loi !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je ne dis pas le contraire, madame la ministre ! Si l'on peut cheminer en ce sens, je n'y vois aucun inconvénient.

Le paiement à l'acte, disais-je, doit devenir la variable d'ajustement de la rémunération des professionnels de santé, qui doit reposer principalement sur un système forfaitaire reflétant la mission de service public accomplie par les médecins libéraux.

La création du médecin référent par le gouvernement de Lionel Jospin constituait un premier pas vers de nouvelles règles de rémunération, sur la base du volontariat. Vous y avez mis fin pour des raisons purement idéologiques, et aujourd'hui vous ne pouvez que constater votre erreur, même si j'admets volontiers que le système du médecin référent était très perfectible.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Et il n'a intéressé que moins de 7 000 médecins !

M. Jean-Pierre Godefroy. Bien sûr, mais ce dispositif reposait sur le volontariat.

Sans en reprendre l'appellation, ce PLFSS prévoit le retour à un système qui s'apparente pratiquement à celui du médecin référent.

En fin de compte, on ne réglera la question de la démographie médicale qu'en changeant profondément la pratique médicale et l'esprit qui la guide. À cet égard, les articles 32 et 33 du projet de loi initial ont indéniablement été mal conçus : créer un mécanisme de conventionnement à géométrie variable était une mauvaise solution tant pour les médecins que pour les assurés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ce sont vos préconisations !

M. Jean-Pierre Godefroy. La réécriture proposée par le Gouvernement à l'occasion de l'examen du texte à l'Assemblée nationale n'est ni meilleure ni pire. Elle ne règle aucun des problèmes soulevés par ce débat. Espérons que les états généraux annoncés permettront d'aborder ce problème de manière globale et constructive.

Il y a urgence, je sais que vous en êtes consciente, madame la ministre, car les jeunes étudiants en médecine doivent être précisément informés des conditions futures d'exercice de la profession. Il faut que la règle du jeu soit claire dès le départ ; tout retard ne fera qu'aggraver la situation des zones sous-médicalisées et reporter, du fait de la longueur des études médicales, son règlement pour de nombreuses années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Juilhard.

M. Jean-Marc Juilhard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais vous dire tout d'abord que je suis particulièrement heureux de l'accueil réservé à mon rapport d'information.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Excellent rapport !

M. Jean-Marc Juilhard. Je suis très touché par cette appréciation, madame la ministre.

La mission d'information qui m'a été confiée par la commission des affaires sociales a été l'occasion d'étudier au cours de cette année l'offre de soins et la démographie médicale. Je ne peux m'empêcher de partager cette satisfaction devant vous avec le talentueux administrateur qui m'a accompagné tout au long de cette mission.

Cela étant dit, je tiens à vous remercier, madame la ministre, de nous donner l'occasion de débattre d'un sujet essentiel pour nos concitoyens : l'égalité d'accès aux soins.

Plus personnellement, si vous le permettez, madame la ministre, je voudrais vous dire que j'ai été très heureux et très sensible à votre accueil et à votre écoute, le mercredi 17 octobre, lors de la présentation de mon rapport dans votre bureau.

Mon intervention risque de rependre les propos de certains de mes collègues, mais il est parfois intéressant d'enfoncer le clou.

L'égalité d'accès aux soins est l'un des principes fondamentaux de notre système de santé. Il est donc de notre responsabilité de contribuer à la mise en place de la meilleure répartition possible de l'offre de soins sur l'ensemble de notre territoire.

Avec 252 746 praticiens inscrits au conseil de l'ordre au 1er janvier 2007, dont 213 995 en activité, la France compte plus de médecins que la moyenne des pays d'Europe, cela a déjà été dit à plusieurs reprises.

Depuis 1979, le nombre de ces praticiens, qui était de 112 066 à l'époque, a presque doublé. Pourtant, au fur et à mesure des départs massifs à la retraite, les prévisions laissent craindre une crise dans l'organisation du système de soins et l'apparition de « déserts médicaux » dus à une répartition déséquilibrée des praticiens sur le territoire.

Selon les éléments de l'atlas de la démographie médicale en France présentés en juin dernier par le conseil national de l'ordre des médecins, les inégalités géographiques ont tendance à s'aggraver.

Nous sommes donc face à un paradoxe : alors que la France n'a jamais compté autant de praticiens en activité, les disparités entre les régions sont trop importantes pour garantir à tous nos concitoyens une offre de soins satisfaisante. Aujourd'hui, 4 millions de Français ont des difficultés pour accéder aux soins dispensés par un médecin généraliste.

Un exemple éloquent : le nombre de généralistes par habitant varie respectivement du simple au double entre la Seine-Saint-Denis et les Hautes-Alpes, ce qui démontre au passage que l'insuffisance de la densité médicale ne concerne pas uniquement les territoires ruraux.

Nombre de nos concitoyens sont confrontés à des délais trop longs pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, et l'hôpital public ne peut à lui seul compenser cette désorganisation.

Afin d'éviter l'aggravation de cette rupture dans l'égalité des citoyens devant l'accès aux soins de qualité, il est nécessaire de remédier très rapidement à une situation qui ne cesse de se dégrader.

La tâche nous est rendue d'autant plus difficile que cette crise comporte plusieurs aspects : la baisse des effectifs des professionnels de santé, l'accentuation des inégalités territoriales en matière d'offre de soins, le vieillissement de la population et l'augmentation du niveau d'exigence des patients.

Plusieurs mesures ont été prises ces dernières années, mais force est de constater qu'elles n'ont pas suffi à contenir l'aggravation de la fracture territoriale en matière d'offre de soins.

Les pouvoirs publics ont procédé à une augmentation régulière du numerus clausus depuis 2002, mais nous ne pourrons en constater les effets que dans une dizaine d'années.

Nous avons également voté, en 2004, la loi relative à l'assurance maladie, qui a permis aux unions régionales des caisses d'assurance maladie de conclure des contrats avec les professionnels de santé libéraux dans le but de les inciter à se regrouper.

Par ailleurs, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a permis aux collectivités locales d'attribuer aux étudiants, à partir de la première année du troisième cycle, une indemnité d'études et une indemnité de logement pour les stagiaires.

C'est le cas, entre autres, de l'Allier, cher à Gérard Dériot, président du conseil général et sénateur de ce département, de la Lozère et de la Lorraine.

Le conseil général de l'Allier a décidé de créer une bourse « d'études et de projet professionnel ». Elle s'adresse aux étudiants en médecine de troisième cycle qui ont opté pour la spécialisation « médecine générale ». En échange, ils s'engagent à s'installer pour une durée minimale de six ans dans une zone déficitaire du département. L'aide peut atteindre jusqu'à 36 000 euros par volontaire.

Par ailleurs, le champ d'action des collectivités locales a été élargi le 1er janvier 2006 afin que des locaux professionnels ou des logements puissent être mis à disposition des médecins s'installant ou exerçant dans ces zones prioritaires.

Toutefois, dans la mesure où toutes ces incitations financières n'ont pas suffi pour résoudre les problèmes de démographie médicale que connaît notre pays, il convient de traiter cette question avec la plus grande acuité.

Madame la ministre, je souhaite vous rendre hommage pour votre volonté. Vous avez compris que nous ne pourrions pas améliorer l'accès aux soins si nous nous contentions de mesures économiques. Votre texte initial a été caricaturé. Vous aviez pourtant rappelé à maintes reprises, ici même, votre attachement à la liberté d'installation. Je regrette que vous n'ayez pas été mieux entendue.

Nous savons que les décisions d'avenir devront être prises en étroite concertation avec les jeunes médecins. C'est d'ailleurs ce que vous avez proposé en annonçant, pour le début de l'année 2008, la tenue d'états généraux auxquels l'ensemble des organisations d'internes sont invitées à participer.

Vous pouvez compter sur notre soutien, sur notre participation aux travaux de ces états généraux et, bien entendu, sur mon engagement personnel.

Quelles sont, au-delà, les orientations qu'il conviendrait de prendre ?

Dans son rapport annuel pour 2007, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, instance qui réunit l'ensemble des acteurs du système de santé, estime indispensable de dépasser la politique actuelle de « moindre contrainte ».

Madame la ministre, à ce stade de nos débats, permettez-moi de vous présenter quelques propositions qui ont été débattues et adoptées par la commission des affaires sociales.

J'attache beaucoup d'importance à l'essor des maisons de santé pluridisciplinaires. Les pouvoirs publics seraient bien inspirés de favoriser la généralisation de ces expériences nées du terrain, grâce à l'initiative de quelques professionnels de santé entreprenants. Ce sujet a été largement évoqué par les intervenants qui m'ont précédé.

Pour assurer le développement de ce mode d'organisation de l'offre de soins, il apparaît nécessaire de créer un label spécifique « maison de santé pluridisciplinaire ». Le développement de ces établissements devra être accompagné de la sécurisation de leur cadre juridique et de l'harmonisation des aides dont ils bénéficient pour leur fonctionnement.

Les mesures incitatives qui ont d'ores et déjà été prises devront être évaluées et optimisées.

Comme cela a été souligné par nombre d'orateurs, il apparaît nécessaire de mieux informer les étudiants en médecine sur les mécanismes d'aide et, surtout, de mieux les accompagner pour éviter que leur doute ne se transforme en renoncement.

Il faudra aussi revoir le système de formation des professionnels de santé - là encore, j'enfonce le clou ! -, par exemple en réfléchissant à la transformation de l'examen classant national en examen régional.

Nous avons vu que les professionnels de santé eux-mêmes n'écartaient pas forcément le recours à de nouvelles mesures, le cas échéant financières. Les infirmiers libéraux y ont été sensibles, vous l'avez rappelé, madame la ministre. Les chirurgiens-dentistes que j'ai eu l'occasion de rencontrer n'y sont pas fermés, pas plus d'ailleurs que certains médecins.

En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous n'en serez pas surpris, je vous confirme que nous attendons beaucoup des futurs états généraux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

(M. Guy Fischer remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)