M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il a été assez largement diffusé !

M. Jean-Pierre Sueur. Si vous le permettez, je lui fais une publicité complémentaire !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Je vous remercie, mais je ne touche pas de droits d'auteur ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. En tout état de cause, je trouve que vous dites tout en peu de mots, comme le recommandait Boileau.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Merci !

M. Jean-Pierre Sueur. J'ai entendu, dans mon département du Loiret, que l'on allait remplacer les tribunaux d'instance qui auront été fermés par des maisons de la justice et du droit. Là encore, je n'ai pas de désaccord de principe avec vous, madame la ministre, sur l'installation de ces maisons. Il en existe une dans la ville où je réside, Orléans, qui accomplit un remarquable travail.

Seulement, on nous a aussitôt indiqué que ces maisons de la justice et du droit ne fonctionneront pas forcément avec un greffier, parce que l'on manque de ces personnels. Attention ! Si vous supprimez des tribunaux d'instance pour les remplacer par des maisons de la justice et du droit dépourvues de personnels formés, vous risquez de ne pas répondre aux attentes de nos concitoyens et de les duper.

Pour ce qui est du coût de votre réforme, je relève qu'il y a tout de même un certain flottement. Madame la ministre, vous avez déclaré, sur Radio Monte-Carlo, qu'elle coûterait 500 millions d'euros.

Ensuite sont apparus deux documents de la direction des services judiciaires, qui à ma connaissance dépend de votre ministère et selon lesquels le coût de la réforme était estimé, à la fin de septembre, à 247,6 millions d'euros pour les suppressions de tribunaux de grande instance et à 657,8 millions d'euros pour les suppressions de tribunaux d'instance, de conseils de prud'hommes et de tribunaux de commerce.

Enfin, un communiqué de la Chancellerie, qui relève également de votre autorité, madame la ministre, conteste les chiffres de la direction des services judiciaires.

Vous admettrez que ces flottements sont la marque même de l'improvisation qui caractérise votre démarche !

Pour ce qui est du projet de franchise relatif à l'aide juridictionnelle, je tiens à redire le désaccord total de notre groupe avec cette mesure. Après la franchise sur les dépenses de soins, qui impose aux malades de financer l'assurance maladie, voilà que surgit cette idée nouvelle de faire financer par les victimes l'aide juridictionnelle, ou du moins une partie de celle-ci. Nous sommes en complet désaccord, je le répète, avec cette idée de franchise, qui fait fi de la solidarité.

Après la réforme de la carte judiciaire et la franchise concernant l'aide juridictionnelle, le troisième thème que j'aborderai est celui des personnels.

Le programme « Justice judiciaire » prévoit 29 349 équivalents temps plein travaillé pour 2008, contre 30 301 en 2007. Ces chiffres reflètent donc une diminution des moyens humains.

M. Jean-Paul Garraud, député, explique dans un rapport pour avis que j'ai lu que, derrière cette baisse, se cache en réalité une progression de 389 emplois en ETPT, équivalent temps plein travaillé. Si le plafond d'emplois autorisés pour 2007 a été fixé à 30 301, il a été ramené à 28 960 pour 2007, 1341 postes n'ayant pas été « consommés ». La terminologie en vigueur me semble quelque peu bizarre : que peut donc bien signifier l'expression « consommation de postes » ?

Compte tenu du manque de personnel dans la justice judiciaire et de la mise en oeuvre des différentes lois votées récemment, on comprend mal cette absence de consommation de postes sur laquelle je souhaite vous interroger. Madame la ministre, quelles garanties pourriez-vous nous fournir de votre engagement à « consommer » effectivement les postes, c'est-à-dire à les pourvoir physiquement, durant l'année 2008 ? De même, il m'est difficile de comprendre que la diminution optique du nombre de postes se traduise en réalité par une augmentation.

Par ailleurs, on ne peut que déplorer la dégradation du ratio entre le nombre de magistrats et celui de fonctionnaires des services judiciaires. Ce ratio est passé de 2,85 en 1997 à 2,53 en 2007 ...

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C'est 2,57 !

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a qu'un écart de 0,04 % entre nos deux chiffres, ce n'est pas vraiment un problème !

Mme Dati a déclaré devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : « Sans greffier, aucun magistrat ne peut prendre de décision. »

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Sueur. Le temps qui vous est imparti est écoulé.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, je voulais aussi vous interroger sur vos intentions concernant le nombre de greffiers.

Je terminerai, monsieur le président, en m'étonnant que les alternatives à la détention soient en régression. Depuis trois mois, le placement sous surveillance électronique a diminué de 13 % et, depuis cinq mois, le placement à l'extérieur sans hébergement pénitentiaire a baissé de 17 %.

M. Tournier, directeur de recherches au CNRS, dans de récents travaux sur la libération conditionnelle, évoqués, à juste titre, par M. Jean-René Lecerf, dans son rapport pour avis, relève que le taux de recondamnation est plus faible pour les condamnés ayant bénéficié d'une libération conditionnelle que pour ceux libérés à la fin de leur peine.

Cela montre bien que la libération conditionnelle a des effets très positifs. Nous ne pouvons donc que nous inquiéter de voir que le nombre de ces libérations régresse.

Par ailleurs, M. du Luart, dans son rapport, souligne que « à supposer que le nombre de détenus reste au niveau actuel et que les prévisions en matière de création de places de détention soient respectées, le nombre de places en prison ne pourra pas égaler à terme le nombre de personnes détenues ».

C'est bien la preuve que la question des alternatives à l'incarcération est centrale. Votre budget n'y répond malheureusement pas.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, vous ne vous étonnerez pas que notre groupe ne puisse voter votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, nous pouvons pour cet exercice saluer un budget de la justice en très forte progression. Les crédits de la mission « Justice » se trouvent ainsi augmentés de 4,5 % par rapport à 2007, soit la plus forte croissance après celle d'un autre secteur emblématique, l'enseignement et de la recherche.

Une telle progression est considérable au regard de la croissance globale du budget de l'État pour 2008 qui s'élève à 1,6 % ; nous devons vous féliciter, madame le garde des sceaux, d'avoir réalisé une promesse du Président de la République, alors candidat.

Ce chiffre est surtout la traduction du caractère prioritaire de la politique menée par le Gouvernement en matière de justice. Longtemps parent pauvre des ministères régaliens, le ministère de la justice est désormais traité en fonction de la place centrale donnée aux politiques judiciaires et pénitentiaires dans la mise en oeuvre d'un État de droit moderne, où le droit n'est pas simplement l'affaire de professionnels qui monopolisent et filtrent les rapports entre l'État et le citoyen, mais le cadre dans lequel le citoyen, et pas seulement le justiciable, défend ses droits et respecte ses devoirs.

S'agissant tout d'abord de l'impératif d'assurer une meilleure efficacité de la justice, le projet de loi de finances envisage une augmentation d'effectifs des magistrats et des greffiers des juridictions. Face à une diminution globale du nombre de fonctionnaires de l'État, ce choix de pourvoir 187 postes de magistrats, et autant pour les greffiers, démontre une nouvelle fois que, dans l'esprit du Président de la République et de la majorité, la nécessaire sortie de la société française de l'enfermement bureaucratique n'est pas incompatible, au contraire, avec un renforcement de l'État dans ses missions essentielles qui doivent demeurer les siennes.

Par ailleurs, une augmentation des crédits des frais de justice est envisagée ; elle aura pour objet d'améliorer la qualité des services rendus au justiciable.

Ensuite, en ce qui concerne la sécurité des tribunaux, le dispositif de surveillance se trouvera renforcé, comme vous vous y étiez engagée à Metz, madame le garde des sceaux, à la suite de l'agression d'un magistrat. En effet, le projet de budget pour 2008 prévoit l'affectation de 39 millions d'euros à cette action contre 15 millions d'euros en 2007.

Quant à l'administration pénitentiaire, les crédits qui lui sont alloués connaissent une très forte augmentation de 6,4 %. Le programme « Administration pénitentiaire » représente par ailleurs 36,6 % de la mission « Justice ». Cette importante progression permettra la création de 842 emplois supplémentaires en ETPT pour l'ouverture de sept nouveaux établissements pénitentiaires, dont trois pour les mineurs. Par ailleurs, la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 avait prévu la création de 13 200 nouvelles places.

Ce budget est dans la continuité de l'effort particulier engagé pour la création de postes au sein du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car ce service joue un rôle primordial au sein de la prison en assurant le contrôle et le suivi des peines exécutées en milieux ouvert et fermé et parce qu'il favorise également la réinsertion sociale des détenus.

En ce qui concerne l'état de notre parc pénitentiaire, qui est encore indigne d'une démocratie moderne comme la nôtre, nous ne pouvons qu'encourager la poursuite de la rénovation des grands établissements pénitentiaires.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, dont la mission essentielle est la prise en charge et l'accompagnement éducatif sur décision judiciaire des mineurs et des jeunes majeurs, les crédits de paiement ont un taux de croissance équivalent à celui des dépenses de l'État.

Le choix qui a été fait par le Gouvernement est de donner des moyens supplémentaires à l'ouverture d'établissements pénitentiaires pour mineurs et de centres éducatifs fermés, et de créer une centaine de nouveaux postes. Madame le garde des sceaux, permettez-moi de regretter que les moyens financiers alloués à ce programme soient inadéquats au regard de l'augmentation des réponses pénales apportées à la délinquance juvénile.

Enfin, en ce qui concerne l'accessibilité de la justice, la refonte de la carte judiciaire, dont le coût s'élève à 1,5 million d'euros pour l'exercice 2008, marque une étape décisive. Ainsi, l'installation des pôles de l'instruction, le regroupement des conseils prud'homaux en 2008, suivis de la nouvelle répartition des tribunaux d'instance et de commerce en 2009 et la nouvelle carte des tribunaux de grande instance en 2010, permettront d'adapter enfin l'implantation des tribunaux aux réalités d'une société urbaine tout en rationalisant le travail judiciaire par une meilleure mutualisation de ses services et de son personnel. Nous l'approuvons totalement.

Dans cet esprit, il serait cependant utile que la carte judiciaire comprenne un quatrième volet qui étendrait l'implantation des maisons de la justice et du droit, actuellement au nombre de 123, sur l'ensemble du territoire en prenant comme référence les intercommunalités.

Ces structures qui ont été créées dans le Val d'Oise, en 1990, sur l'initiative de M. Moinard, à l'époque procureur de la République, et que j'ai moi-même contribué à installer sur le territoire de mon intercommunalité, sont des instruments particulièrement efficaces dans le rapprochement de la justice et du citoyen.

En conclusion, le groupe de l'UMP du Sénat est fier de vous apporter son soutien et votera sans hésitation ce projet de budget ambitieux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Tout d'abord, je tiens à remercier Mme Borvo Cohen-Seat d'avoir bien voulu me laisser sa place en cet instant.

Le budget de la mission « Justice » connaît maintenant depuis plusieurs années - cette tendance ayant été amorcée du temps de votre prédécesseur - un taux de croissance significatif. Je tiens à saluer ce bon budget.

Petit à petit, la justice sort du premier de ses problèmes, le manque de moyens, pour aborder la question plus profonde, dont les aspects sont multiples, de sa rénovation et de sa réorganisation. Madame le garde des sceaux, je vous félicite de vous attaquer à cette vaste tâche avec une résolution à laquelle tout le monde rend hommage.

Le préalable absolu de cette réorganisation de la justice est la réforme de la carte judiciaire. Nous en sommes conscients depuis longtemps, puisque nous avions déjà soulevé ce problème il y a dix ans dans un rapport que j'avais rédigé avec M. Jolibois, au nom de la commission des lois. À l'époque, nous avions souligné que rien ne pouvait être entrepris pour réorganiser notre système judiciaire sans une révision préalable de la carte judiciaire.

Cette révision est nécessaire pour deux raisons, qui sont aussi évidentes l'une que l'autre.

Première raison, notre carte judiciaire, qui est un héritage non pas d'un demi-siècle, mais bien de l'Ancien Régime, voire pratiquement des anciens baillages, ne correspond plus du tout aux nécessités actuelles et à la géographie réelle des contentieux.

Je demande régulièrement que l'on publie la carte des juridictions et les volumes de contentieux pour chacune de ces juridictions. On pourrait y ajouter la carte des villes moyennes ou importantes qui ont un nombre d'affaires très important, mais qui n'ont jamais eu de TGI.

J'évoquais avec M. Philippe Nogrix l'exemple de la ville d'Avranches, où j'ai été élevé, qui avait un TGI pour 7 000 habitants alors qu'à Fougères, où il y avait trois fois plus d'habitants et donc d'activité, il y avait simplement un tribunal d'instance.

La situation était donc très inégalitaire. Nous ne parlons que des communes qui perdent des juridictions sans évoquer celles qui n'en ont jamais eu et qui donc n'ont pas l'occasion de pleurer sur ce qu'elles perdent ! Quelle maigre consolation !

Ce n'est pas la différence entre les situations qui soit choquante en elle-même, puisqu'elle est bien souvent utile. Ce qui est un mal, c'est l'insuffisant volume d'activité de certaines juridictions et la surcharge de certaines autres. Le mal le plus grave, c'est que la charge de travail puisse varier considérablement. À l'époque où nous avons mené notre enquête - je ne pense pas que la situation ait beaucoup changé -, le rapport était de 1 à 5, d'autant que cette disparité en engendre d'autres, notamment en termes de délais de traitement des contentieux.

Lors de cette mission, nous avions rencontré le président du TGI de Meaux qui avait moitié plus d'affaires à traiter que le tribunal de Nancy avec moitié moins de chambres. Il ne pouvait pas ne pas souffrir de cette situation inéquitable et véritablement absurde.

Quant à la seconde raison, nous l'évoquions déjà dans notre rapport il y a dix ans, elle a depuis pris de l'ampleur. Il s'agit de la nécessité de créer des équipes spécialisées, performantes, car notre droit est beaucoup plus sophistiqué qu'il ne l'était auparavant.

Ayant connu la justice et les tribunaux à une autre époque, ce n'est pas sans regret que je vois disparaître les charmes de ce monde d'autrefois.

Nous devons voir les choses en face, car nous sommes aujourd'hui dans un monde nouveau qui se caractérise par des éléments très différents, comme la concentration urbaine, le développement du contentieux de masse, la sophistication du droit, la nouvelle culture des magistrats actuels, qui ont absolument besoin de travailler dans des équipes, et la diversification des modes de traitement.

Pour faire face à cette différence, il faut, c'est certain, restructurer notre appareil judiciaire. Il faut le repenser en profondeur et adopter de nouveaux modes de fonctionnement.

Cette démarche soulève naturellement un certain nombre de questions.

Je dois dire que je supporte mal la protestation des villes moyennes contre la perte de leur tribunal. Je rappelle en effet que de nombreuses villes moyennes, et même parfois de taille plus importante, n'ont jamais eu de tribunaux. Ce fait assez singulier mérite d'être constaté.

Par ailleurs, les temps ont changé : le tribunal d'une ville moyenne ne joue plus le rôle d'animation culturelle et sociale - c'était un milieu humain plein de vitalité - que nous lui avons connu.

Ainsi, la moitié des magistrats ne résident pas dans la ville où ils rendent la justice. Ils résident ailleurs ! Et ceux qui y résident ne sont que très peu liés à la vie locale. M. du Luart sait cela mieux que moi.

C'est à la décentralisation que nous devons aujourd'hui l'animation des villes moyennes. Elle est source de nombreuses activités, de prises de responsabilités, de potentialités. Cela dépasse de beaucoup ce que les tribunaux pouvaient apporter à ces villes, et qu'ils ne leur apportent plus de toute façon aujourd'hui.

On avance l'argument de la proximité, mais c'est un peu la tarte à la crème, enfin ! On ne se rend tout de même pas au tribunal comme on se rend au bureau de poste, ...

Mme Gisèle Printz. Il n'y a plus de bureaux de poste !

M. Pierre Fauchon. ... à l'école ou au marché ! Dieu merci, on y va tout de même moins fréquemment. Il y a même des gens qui n'y vont jamais de toute leur vie. Grand bien leur fasse, car il faut se garder des tribunaux : moins on les fréquente, mieux on se porte ! (Sourires.)

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Vous avez tout à fait raison !

M. Pierre Fauchon. Nous disposons aujourd'hui de modes de communication modernes, qui rendent tout plus proche. On n'est plus obligé de monter sur son cheval de bonne heure le matin pour se présenter devant une juridiction. Tout cela, c'est du passé ! Nous vivons dans le monde moderne !

Je peux vous en parler, madame la ministre, car j'ai exercé la justice dans un pays qui ne vous est pas indifférent, à savoir le Maroc. J'y ai reconstitué la justice sur le terrain, la justice de proximité. Je n'ai pas eu besoin pour cela de multiplier les juridictions. Il suffisait que la juridiction se déplace, tout simplement. Ce que l'on faisait à cette époque-là à dos de mulet ou de cheval, on le fait maintenant en voiture.

À cet égard, j'attache de l'importance à la préservation des audiences foraines, ...

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C'est très important !

M. Pierre Fauchon. ... car la présence physique d'une équipe de juges pendant une journée ou une demi-journée peut, d'un point de vue psychologique, être d'un très grand effet sans pour autant constituer une gêne réelle pour le fonctionnement de la justice ou représenter un coût excessif.

Par les temps qui courent, quand on ne sait pas trop quoi dire, on dit : « Ah ! Ce projet est intéressant, vous avez de bonnes raisons. Tout cela n'est pas mal, mais cela manque de concertation. » Cela manque toujours de concertation, l'argument est commode !

Disons les choses clairement : pour analyser le passé ou la situation actuelle, la concertation ne sert à rien ! Les chiffres sont là, nous les connaissons. Il n'est nul besoin de concertation pour s'apercevoir qu'un tribunal traite quatre fois plus ou moins d'affaires qu'un autre.

En revanche, la concertation a toute sa raison d'être s'agissant de la restructuration.

Pour l'avenir, il faut se garder du mythe des très grandes juridictions, comme du mythe de tout ce qui est très grand, en général. Il faut préserver un niveau moyen, où les gens se connaissent encore, où les responsables de juridiction peuvent assumer leurs responsabilités parce qu'ils connaissent leur monde.

Au-dessous de ce niveau moyen, il ne peut pas y avoir de spécialisation. On n'obtient pas l'efficacité voulue. Au-dessus de ce niveau moyen, on se retrouve avec de grandes juridictions, de vastes machines et, là où l'on pensait réaliser des économies d'échelle, on aboutit à une très grande déperdition en termes de qualité.

Madame le garde des sceaux, il faut s'attacher à trouver le bon niveau, la bonne dimension, afin de répondre aux conditions techniques actuelles. Il ne faut pas aller trop au-delà de ce niveau, sous peine de risquer une massification qui ne serait pas favorable à ce qui me paraît devoir être le point central de nos préoccupations : la restauration dans les juridictions, particulièrement de la part des chefs de juridiction et des chefs de cour, du sens de la responsabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice constitue, on le sait, un élément fondateur de notre République.

J'interviendrai assez brièvement et sur deux points : la carte judiciaire et les rapports entre la presse et la justice.

Je commencerai par évoquer la carte judiciaire.

Je dois vous dire, madame le garde des sceaux, que, sur ce sujet, en basse Normandie, la concertation avec les élus concernés, notamment ceux des communes de Flers et d'Argentan, sous l'égide du premier président de la cour d'appel de Caen, a été très efficace.

On ne peut pas dire - peut-être sommes-nous un cas isolé, mais nous existons, et je voulais en témoigner - que nous n'avons été ni informés ni entendus, je parle du moins de ceux des députés et sénateurs qui avaient bien voulu faire le déplacement, d'abord à la Chancellerie, puis dans les préfectures.

À titre personnel, j'ai été entendue puisque l'Orne conserve deux tribunaux de grande instance : Argentan et Alençon. Nous pouvons nous estimer très heureux de cette issue, qui n'était pas certaine, compte tenu de la faible population de notre département. Là encore, la réalité des territoires a sans doute gouverné ce maintien, et c'est très bien ainsi. Qui s'en plaindrait ?

S'agissant du reste des réformes que vous avez annoncées, j'aimerais réfléchir avec vous à une modification de la répartition des compétences entre les tribunaux d'instance et les tribunaux de grande instance, sur le modèle de ce qui prévaut à Nouméa, par exemple.

Dans le contexte actuel, nous n'avons que deux options : conserver les tribunaux ou les supprimer. Or nous pourrions très bien imaginer d'élargir les compétences du tribunal d'instance afin de mieux « coller » aux besoins des justiciables. Nous savons en effet que les litiges familiaux et les litiges relatifs aux tutelles représentent de 60 % à 80 % du volume des contentieux.

Pour mieux comprendre le sens de ma proposition, je précise que, en matière civile, le tribunal de première instance a la plénitude des compétences dans toutes les matières qui, en France métropolitaine, relèvent du tribunal de grande instance : divorce, adoption, protection de l'enfance, délinquance des mineurs, tutelles, baux d'habitation et saisies-arrêts.

Autrement dit, madame la ministre, une modification de fond des règles de compétence permettrait une réforme beaucoup plus proche et beaucoup moins violente que celle que vous nous proposez aujourd'hui et qui consiste parfois à supprimer les tribunaux.

En basse Normandie, la concertation a abouti à ce type de proposition. J'aimerais, madame la ministre, que vous vous exprimiez sur ce point, car je pense que le Sénat pourrait mener une concertation et réaliser un travail fructueux. Vous n'avez pas manqué de nous dire, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, combien le travail du Sénat et de sa commission des lois était précieux à la réflexion générale.

S'agissant maintenant des conseils de prud'hommes, la concertation prévue par les textes est en cours, et je tiens à plaider ici une fois encore pour le maintien du conseil des prud'hommes de Flers. Aucune décision n'est encore prise, et c'est tant mieux.

Flers constitue, madame la ministre, la seule création de tribunal d'instance en basse Normandie. Elle correspond à une activité économique majeure. On n'effectuera donc aucune économie d'échelle, aucune économie de personnels ou de locaux - aucune économie d'aucune sorte ! - en transférant ce conseil de prud'hommes à Argentan.

Quant au tribunal d'Alençon, il n'est pas menacé, même si certains élus agitent des peurs qui n'ont pas lieu d'être, pour des raisons électorales liées à l'approche des élections municipales.

Madame la ministre, je vous répète donc qu'on ne peut pas supprimer le conseil des prud'hommes de Flers. Ce serait une hérésie et une décision contre-productive.

Enfin, madame la ministre, je ne veux pas manquer l'occasion qui m'est offerte de vous saisir d'un problème de société, celui des rapports entre la presse et la justice.

Je pense que nous devons engager une véritable réflexion avec tous les acteurs afin de mettre un terme aux dérives d'un journalisme sans scrupule, sans déontologie, en quête de sensationnalisme. Or les journalistes qui sont poursuivis pour diffamation devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris ne risquent qu'une amende inférieure à 10 000 euros. Je pense que ces peines ne sont pas dissuasives.

Par ailleurs, les supports internet qui irradient la galaxie ne sont absolument pas conformes à notre droit de la presse. Madame la ministre, notre droit de la presse date de 1881 !

Je pense que, dans votre oeuvre de dépoussiérage de notre justice, vous seriez bien inspirée, aujourd'hui, de vous attaquer également au droit de la presse !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais également parler de la carte judiciaire. Nous ne pouvons évidemment pas rester insensibles au fort mouvement qui s'est déroulé hier dans les départements - il sera sans doute suivi par d'autres -, même si notre collègue Pierre Fauchon a déjà apporté une réponse à toutes les interrogations, à tous les mécontentements, à la fois des professionnels et de la population !

La réforme de la carte judiciaire concerne un nombre important de juridictions : 319 au total. Il est envisagé de supprimer 23 TGI, 178 tribunaux d'instance, 55 tribunaux de commerce et 63 conseils de prud'hommes.

Ces tribunaux sont supprimés pour des raisons comptables, mais les critères de choix sont flous et fluctuent bien évidemment en fonction des mécontentements des uns et des autres, et de leur poids respectif.

Ainsi la suppression du TGI de Moulins a-t-elle été annoncée à la dernière minute au lieu de celle du TGI de Montluçon. Moulins est pourtant la préfecture de l'Allier et la suppression de son tribunal n'était pas envisagée. De même, la suppression du tribunal d'instance d'Arles - qui perdra également son tribunal de commerce - a été préférée à celle du tribunal d'instance de Tarascon. Vous le voyez, tout cela est très bien pensé !

Vous n'avez cessé, madame la ministre, de parler de concertation. En réalité, les arbitrages ont été faits de manière pour le moins obscure et arbitraire. La réforme devait être le fruit d'un travail réalisé à partir des rapports rédigés par les chefs des trente-cinq cours d'appel. Ces rapports ont été officiellement remis à la Chancellerie le 30 septembre dernier. Or un document émanant de la direction des services judiciaires montre que la liste des vingt-trois villes concernées était déjà établie le 25 septembre !

Certes, d'autres arbitrages ont ensuite été réalisés, mais à la marge, pour des raisons d'opportunité.

Personne ne trouve cette réforme satisfaisante. Rarement un tel front de mécontentement s'est manifesté ! Vous avez réussi à mobiliser les professionnels de la justice, mais aussi les populations et les élus des villes concernées.

On peut toujours dire qu'une telle mobilisation est normale, que c'est toujours ainsi, qu'elle s'explique par les corporatismes des uns et des autres. Mais que dire du corporatisme des parlementaires de la majorité ? (M. Jean-Jacques Hyest s'exclame.)

Monsieur Hyest, ils sont tous en tête des manifestations pour défendre leurs tribunaux ! On les y a vus ! Ils défendent leurs tribunaux, tout comme leurs bureaux de poste et leurs hôpitaux, alors que, au Parlement, ils votent leur suppression. C'est bien connu !

Comment en est-on arrivé là ? Le point de blocage, c'est évidemment la forme, mais il y a toujours un rapport entre la forme et le fond.

Mme Isabelle Debré. Cela fait des années que nous savons qu'il faut faire cette réforme !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous dis simplement que les parlementaires et les élus de la majorité participent tous aux manifestations contre la fermeture de leurs tribunaux.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Pas partout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous en tirez les conclusions que vous voulez !

Le fond et la forme finissent donc toujours par se rejoindre. Nombreux sont ceux qui plaidaient pour une réorganisation des juridictions en fonction des contentieux, souhaitaient le maintien des juridictions de proximité que sont les tribunaux d'instance et la concentration des contentieux plus complexes ou techniques nécessitant de véritables spécialités juridiques.

C'est d'ailleurs le point de vue que j'ai moi-même défendu, et ce tant dans cet hémicycle qu'à l'occasion de la dernière élection présidentielle. Au demeurant, pendant la campagne, certains membres de la majorité parlementaire, qui soutenaient alors un certain candidat, affirmaient qu'ils n'accepteraient jamais une modification de la carte judiciaire. Ils ont quelque peu changé d'avis depuis...

Madame la ministre, comme cela a été souligné à juste titre, votre réforme consiste à supprimer les juridictions de proximité, à commencer par les tribunaux d'instance, qui en sont l'illustration la plus évidente. Pourtant, nul ne peut nier que ces instances fonctionnent bien. Et si le critère de l'activité judiciaire, auquel M. le rapporteur spécial faisait référence, paraît simple a priori, il ne l'est pas dans les faits.

Mes chers collègues, nombre d'entre vous évoquent souvent, et en n'importe quelle occasion, la nécessité d'utiliser des « moyens modernes ». Honnêtement, traiter le surendettement des affaires familiales par vidéoconférence me paraît complètement surréaliste ! C'est méconnaître la situation concrète, précisément, de la justice de proximité.

En outre, cette réforme ne tient absolument pas compte de la réalité du territoire.

À cet égard, force est de constater que la question de l'aménagement du territoire n'est pas du tout prise en considération. Au nom de la réduction des dépenses publiques, la suppression de nombreux services publics autres que les tribunaux est également envisagée. À l'évidence, voilà un sujet qui mériterait au moins une réflexion d'ensemble.

Après la suppression de trésoreries, de bureaux de poste, de brigades de gendarmerie et, à présent, de tribunaux de proximité, on peut désormais s'attendre à la fermeture de sous-préfectures ou à la disparition de la moitié des brigades de gendarmerie qui existent encore. En clair, c'est la mort des services publics locaux qui est programmée !

Telle n'est pas notre vision du service public. D'ailleurs, comme la situation des territoires où ces suppressions ont déjà eu lieu en témoigne, de telles décisions ne sont pas très positives - c'est le moins que l'on puisse dire - pour le fonctionnement de notre société...

De surcroît, la réforme envisagée est particulièrement onéreuse. Certes, elle est destinée à réaliser des économies. Mais, en réalité, compte tenu de son étalement sur trois ans, elle aura un coût très élevé. En effet, elle va occasionner des dépenses liées au parc immobilier et des dépenses de nature sociale.

Madame la ministre, le 14 novembre dernier, lors de votre audition en commission, vous avez évoqué un programme immobilier portant sur un montant total de 800 millions d'euros sur six ans, hors projet relatif au tribunal de grande instance de Paris. J'ignore s'il s'agit du chiffre qu'il faudra retenir, sachant que nombre de tribunaux occupent aujourd'hui des locaux mis gratuitement à leur disposition par les collectivités locales.

Bientôt, il vous faudra acquérir ou louer de nouveaux bâtiments susceptibles de rassembler les juridictions qui auront été absorbées. À ce sujet, un emprunt est-il réellement envisagé auprès de la Caisse des dépôts et consignations ? Si c'était le cas, cela aurait évidemment un coût pour l'État.

Par ailleurs, la réforme aura également un coût élevé du point de vue des dépenses sociales. En effet, il faudra attribuer des indemnités de déménagement ou d'éloignement aux magistrats et aux fonctionnaires qui seront mutés. Mais, il ne faut surtout pas l'oublier, ce sont les justiciables qui en subiront véritablement les conséquences financières. En effet, ils devront parcourir une plus grande distance, ce qui leur créera des frais de déplacement. Au demeurant, ce sont précisément les plus modestes de nos concitoyens qui sont concernés par les contentieux traités dans les tribunaux de proximité.

Il est inquiétant de constater, et M. le rapporteur spécial le faisait remarquer, que le coût total de la réforme ne peut pas être évalué définitivement.

Je m'interroge également sur le fait que la réforme s'accompagne de mesures coûteuses et, parfois, incohérentes. Je pense notamment aux dépenses - tout de même 20 millions d'euros - engagées pour la sécurité des tribunaux, afin d'installer des portiques de sécurité et de recruter des vigiles, et ce dans des juridictions qui vont être fermées !

Au demeurant, nous regrettons les choix qui ont été faits en termes de privatisation de la sécurité des tribunaux. Désormais, la surveillance de ces établissements sera assurée non pas par des fonctionnaires de police, mais par des vigiles travaillant pour des sociétés privées. Nous déplorons également que les mesures d'accueil du public soient, elles, totalement oubliées.

En outre, les salariés ne seront pas non plus épargnés : en décidant de supprimer 63 conseils de prud'hommes, le Gouvernement n'a pas manqué l'occasion de remettre en cause leur droit à se défendre.

Madame la ministre, il n'est pas trop tard pour abandonner votre réforme de la carte judiciaire dans sa version actuelle et pour organiser des états généraux de la justice, ainsi que le réclament de nombreux professionnels.

De surcroît, même si la réforme de la carte judiciaire relève du domaine réglementaire, la mise en oeuvre d'une réorganisation aussi importante de la justice de notre pays impliquerait à tout le moins que le Parlement soit saisi.

D'une manière plus générale, si l'augmentation des crédits de la mission « Justice », à hauteur de 4,5 %, est indiscutable, elle masque sans doute à la fois le manque de moyens dont notre système judiciaire souffre, notamment par comparaison avec les autres pays européens - d'ordinaire, vous aimez bien les prendre en modèles, madame la ministre, mes chers collègues - et certains des choix qui sont opérés dans ce budget.

Ce sont les crédits affectés au programme « Administration pénitentiaire » qui connaissent la plus forte progression, en l'occurrence 6,4 %. Mais pour quoi faire, sinon pour augmenter encore et toujours le nombre de places de prison, dans un mouvement qui n'aura évidemment jamais de fin sans toutefois permettre l'encellulement individuel du fait de l'augmentation constante de la population carcérale !

Surtout, je ne vois dans ce projet de budget aucune mesure destinée à améliorer les conditions de détention.

D'ailleurs, madame la ministre, en 2005, j'avais interpellé votre prédécesseur sur des points à la fois précis et modestes, mais qui font le quotidien des prisons, à savoir les postes de télévision dans les cellules ou le prix des produits disponibles au titre de la « cantine ». Il m'avait été répondu que la Chancellerie envisageait la gratuité des téléviseurs et s'apprêtait à mettre en place une mission chargée de réfléchir au mode d'organisation le plus efficace. J'aimerais savoir si cela fera partie des dépenses prévues dans le programme « Administration pénitentiaire ».

Par ailleurs, même si les crédits consacrés à la justice judiciaire sont en augmentation, celle-ci n'est toujours pas en capacité de faire face à sa crise actuelle. Et aux retards actuels s'ajoutent les effets des départs à la retraite, qui, tout comme l'an dernier, ne seront pas rattrapés cette année.

Les objectifs en termes de créations d'emploi de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ne sont pas non plus atteints, puisque leur taux de réalisation est de 76 % pour les magistrats et de seulement 32,6 % pour les fonctionnaires.

S'agissant du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », la philosophie est la même que celle guidant le programme « Administration pénitentiaire ». La priorité a été accordée aux mesures d'enfermement, ce qui n'est pas nouveau, et les créations d'emplois permettront, entre autres, d'assurer le fonctionnement à pleine capacité des sept établissements pénitentiaires pour mineurs prévus par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

De tels choix sont-ils vraiment étonnants après l'adoption de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, qui ont instauré des peines plancher, et avant la discussion de futures lois qui auront certainement pour objet d'ajouter de nouvelles mesures d'enfermement ?

Enfin, permettez-moi d'exprimer ma très vive inquiétude s'agissant du programme « Accès au droit et à la justice », dont les crédits baissent de 2 % par rapport à la loi de finances pour 2007. Alors que la dotation consacrée à l'action « Aide juridictionnelle » avait fait l'objet d'une légère, mais néanmoins réelle, revalorisation l'an dernier, je suis au regret de constater qu'elle diminue de 2,7 % cette année.

Je suis encore plus inquiète du fait de l'annonce de l'instauration d'éventuelles « franchises juridictionnelles ». Cela a été souligné, nous sommes résolument contre la politique qui consiste à accorder toujours plus d'exonérations de charges aux plus riches et à créer toujours plus de franchises pour les plus pauvres. Cela, nous ne pouvons vraiment pas le cautionner !

Pour toutes ces raisons, je voterai, ainsi que les membres de mon groupe, contre les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)