M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le budget de la justice pour 2008 est ambitieux.

Je tenais tout d'abord à saluer M. du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances, ainsi que MM. Lecerf, Détraigne et Alfonsi, rapporteurs pour avis de la commission des lois, pour la qualité de leur rapport. J'associe à mes félicitations M. Simon Sutour, également auteur d'un rapport.

Comme vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur Portelli, ce budget témoigne de l'engagement du Gouvernement.

Engagement d'abord à l'égard des Français, qui attendent que la justice s'améliore et se modernise.

Engagement ensuite à l'égard des magistrats et des fonctionnaires du ministère de la justice, auxquels le Gouvernement a voulu donner les moyens de remplir leur mission.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur spécial, ce budget bénéficie d'une forte augmentation à la fois de ses crédits et de ses emplois.

Les crédits de la mission « Justice » sont de 6,519 milliards d'euros, soit une augmentation de 4,5 %, alors que le budget de l'État ne progresse que de 1,6 %. Sont ainsi créés 1 615 emplois, qui viendront s'ajouter à ceux qui sont prévus pour le remplacement de tous les départs en retraite.

Monsieur Sueur, je vous précise que le ministère du budget a procédé à des « corrections techniques » des plafonds d'emplois de tous les ministères au printemps de l'année 2007

Dans de nombreux ministères, il y avait des emplois vacants, parfois depuis des années ; ils étaient souvent gelés. Et il n'y avait pas de crédits en face de ces postes. En réalité, de tels emplois n'existaient plus. Les plafonds d'emplois des ministères ont donc été mis à jour, et ce avant même notre arrivée.

C'est sur cette base nouvelle que s'apprécient les créations d'emplois pour 2008 pour tous les ministères.

Les 1 615 créations sont donc réelles et certaines et il suffira de constater sur le terrain qu'il y aura bien 1 615 recrutements supplémentaires.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j'ai engagé une importante réforme de l'institution judiciaire. Dès l'été, d'importants chantiers de modernisation ont été lancés. La Parlement y a pris toute sa part.

Je vous demande aujourd'hui de soutenir l'effort engagé. Le budget de la justice pour 2008 permettra de continuer la réforme entreprise.

Notre réforme répond à quatre objectifs. Nous voulons rendre la justice plus humaine, plus ferme, plus efficace, mais également plus ouverte.

La justice est humaine quand elle accorde de l'attention aux victimes, qui ont souvent le sentiment d'être délaissées par l'institution judiciaire. J'ai reçu la semaine dernière les représentations d'associations de femmes victimes de violences. Elles m'ont fait part des difficultés rencontrées lors du parcours judiciaire. Il ne faut pas ajouter de la souffrance à la souffrance.

La justice doit être plus à l'écoute des victimes. Nous devons mieux les accompagner tout au long de la procédure judiciaire. Nous devons garantir aux victimes que les peines prononcées seront bien exécutées. Il faut améliorer et simplifier les conditions de leur indemnisation.

Le fonctionnement actuel de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions n'est pas satisfaisant. Les trois quarts des victimes n'y sont pas éligibles et il n'y a pas de véritable suivi de leur indemnisation. J'ai annoncé une série de mesures qui seront mises en oeuvre dès 2008.

Nous créerons un service d'assistance au recouvrement des indemnisations, afin d'aider les victimes non éligibles à cette commission, qui ne devront donc plus effectuer de démarches pour être indemnisées et n'auront aucun frais à avancer pour obtenir les dommages et intérêts auxquels elles ont droit. Elles n'auront plus de contact avec leur agresseur ou avec la personne condamnée : ce service servira d'intermédiaire entre la victime et la personne condamnée.

La Commission d'indemnisation des victimes d'infractions sera donc rendue plus accessible. Son président recevra les attributions de juge délégué aux victimes. Il pourra être saisi par toute personne ayant été victime d'une infraction ou par un avocat. Il sera en contact avec le juge de l'application des peines et le procureur de la République. Le décret sur le juge délégué aux victimes est paru au Journal officiel le 15 novembre dernier et il entrera en vigueur le 2 janvier 2008.

L'action des associations d'aide aux victimes sera plus soutenue. En 2008, les crédits qui leur sont destinés augmenteront de près de 15 %, pour atteindre 10,9 millions d'euros.

L'accès au droit est une nécessité pour tous. L'an passé, 905 000 justiciables ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. La dépense devrait atteindre 320 millions d'euros en 2007. En 2008, 327 millions d'euros seront disponibles.

Monsieur Détraigne, vous avez évoqué la question de la refonte du système de l'aide juridictionnelle. M. le rapporteur spécial a présenté un rapport sur ce sujet le 9 octobre dernier. Vous proposez tous deux de faire évoluer le dispositif. C'est une réflexion que nous pourrons mener ensemble en 2008.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur spécial, je tenais à vous rassurer au sujet du recouvrement des 8,9 millions d'euros que vous avez évoqués. À ce jour, 8,7 millions d'euros ont déjà été recouvrés au titre de l'année 2007 et nous parviendrons à faire encore mieux en 2008.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C'est très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La justice est également plus humaine quand elle garantit la dignité des personnes détenues.

Cette volonté, vous l'avez exprimée. Ainsi, la loi du 30 octobre 2007 a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel vous avez accordé hier 2,5 millions d'euros de crédits.

Le projet de loi pénitentiaire redéfinira le rôle des prisons. Il améliorera les conditions de prise en charge des détenus. Le 19 novembre dernier, le comité d'orientation restreint m'a remis sont rapport définitif, qui comporte 120 propositions.

Certaines concernent le régime de l'incarcération, ainsi que les droits et devoirs des détenus. Les autres s'attachent à améliorer les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire. Elles sont actuellement examinées par les services du ministère.

Un projet de loi est en cours d'élaboration. Je souhaite que vous puissiez l'examiner au cours du premier semestre de l'année 2008.

J'ai entendu les remarques de M. Lecerf sur les limites de la prise en charge psychiatrique dans les prisons. Nous examinerons ce sujet dans le cadre de la future loi pénitentiaire.

Pour répondre à votre question, monsieur Détraigne, cette réforme s'appuiera sur une étude d'impact. Vous avez raison de le rappeler, la mise en oeuvre des lois doit se faire dans de meilleures conditions. Il nous faut plus systématiquement réaliser des études d'impact.

Dans le projet de budget pour 2008, il est prévu la création de 1 100 postes supplémentaires dans l'administration pénitentiaire. C'est un effort tout à fait significatif. Il s'accompagne d'un renforcement de la sécurité des personnels. J'ai signé, le 12 septembre dernier, une convention avec les représentants des exploitants d'hélicoptères. Ce partenariat devrait permettre de réduire le nombre d'évasions par voie aérienne. Parallèlement, des travaux de sécurisation continueront à être réalisés dans les établissements pénitentiaires.

Je précise, s'agissant de ces créations de poste, que l'administration pénitentiaire comprend non seulement le personnel affecté aux établissements pénitentiaires, autrement dit les surveillants, mais aussi les services d'insertion et de probation.

Il n'est pas prévu de transférer à la justice les missions d'escorte et de garde des détenus dans les hôpitaux. Le Président de la République l'a indiqué hier devant les forces de police et de gendarmerie. Ces missions font peser des charges importantes sur ces services, il faut en avoir conscience et tout faire pour les alléger. Une véritable réflexion doit être conduite. Je pense, par exemple, au recours à la visioconférence. Cette technologie limite les déplacements et les escortes. Ce n'est que l'une des pistes qui sont actuellement examinées.

En 2008, sept nouveaux établissements ouvriront leurs portes. Trois d'entre eux seront des établissements pour mineurs.

M. Lecerf a appelé mon attention sur la nécessité de préserver des crédits d'entretien pour l'administration pénitentiaire. Je fais mienne cette préoccupation, tout en notant que cela n'a pas toujours été une priorité. C'est souvent, en effet, l'un des premiers postes budgétaires sacrifiés, mais les choses sont en train de changer. Entre 2003 et 2006, la moyenne des crédits d'entretien a été deux fois et demie supérieure à celle de la période 1999-2002. Ce n'est pas suffisant, mais l'effort sera poursuivi.

Monsieur Alfonsi, compte tenu de l'ouverture de ces établissements, vous m'avez interrogée sur l'opportunité de fermer davantage de quartiers pour mineurs. Dans un premier temps, il est nécessaire de conserver ces quartiers pour mineurs afin d'assurer un maillage territorial. Il est également important que les mineurs puissent rester proches de leurs familles ; c'est aussi un facteur de réinsertion.

Créer des places en détention ne réglera pas tout, vous avez raison de le rappeler. Nous devons mettre en oeuvre une politique ambitieuse d'aménagement des peines. C'est un outil qui facilite la réinsertion et qui limite la récidive.

À l'heure actuelle, seulement 10 % des personnes condamnées bénéficient d'un aménagement de peine. Ce n'est pas suffisant. Le décret que j'ai pris le 16 novembre dernier permet d'aller beaucoup plus loin. Il facilite les aménagements de peine et assouplit le régime des permissions de sortir pour favoriser les démarches de logement et d'emploi. Désormais, le juge de l'application des peines pourra déléguer à l'administration pénitentiaire les permissions de sortir, par exemple pour un rendez-vous à l'ANPE ou à la mission locale. Il ne sera plus nécessaire d'attendre une audience avec le juge.

Aujourd'hui, 2 307 personnes sont placées sous bracelet électronique, 1 724 personnes sont en semi-liberté et 800 personnes en placements extérieurs.

L'effort pour développer les aménagements de peine se poursuivra en 2008. Le budget du ministère de la justice consacrera 5,4 millions d'euros au financement des bracelets électroniques, fixes ou mobiles ; 3 000 bracelets seront donc disponibles dès 2008.

Comme M. Lecerf, je souhaite développer la libération conditionnelle. Au cours du premier semestre de l'année 2007, je le dis notamment à l'intention de M. Sueur, le nombre de libérations conditionnelles a augmenté de 6 %.

Le taux d'aménagement des peines a donc augmenté de plus de 38 % en un an, ce qui est sans précédent.

Enfin, 1 million d'euros sera destiné au financement des associations qui accueillent des détenus et les accompagnent tout au long de leur aménagement de peine. En leur offrant un logement et un travail, elles augmentent considérablement les chances de réinsertion.

C'est par ces moyens que la justice deviendra plus humaine pour nos concitoyens.

La justice doit également veiller à la sécurité des Français, c'est même sa mission essentielle. Elle doit faire preuve d'autorité et de réactivité quand la situation l'impose.

Mardi dernier, à la suite des événements survenus dans le Val-d'Oise, j'ai demandé aux procureurs de la République de faire preuve de fermeté. Quarante-deux personnes impliquées dans des faits de violences et de dégradations ont déjà été déférées ; vingt et une personnes ont été jugées en comparution immédiate et treize peines d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience ont été prononcées.

J'ai également demandé aux parquets d'assurer une information complète et immédiate des victimes. Il est nécessaire de les informer sur leurs droits et sur les suites judiciaires données.

Ces violences ne sont pas acceptables et la justice doit y répondre fermement.

Cette fermeté, nous l'avons manifestée aussi dans la lutte contre la récidive. Vous avez voté la loi du 10 août 2007. Sur son fondement, près de 2 500 décisions ont été rendues à ce jour. Cette loi respecte le pouvoir d'appréciation des juges et le principe d'individualisation des peines. Il n'y a pas d'automaticité de la sanction pénale, il y a seulement la volonté de sanctionner plus sévèrement et plus systématiquement ceux qui multiplient des actes de délinquance.

Chacun est responsable de ses actes. C'est aussi vrai pour les mineurs. J'ai posé un principe clair : « une infraction, une réponse. ». Il ne faut pas que la délinquance des mineurs s'installe. Les mineurs ne doivent pas avoir le sentiment d'être à l'abri de la justice. Entre les mois de juillet et d'octobre, les jugements de mineurs sur présentation immédiate ont augmenté de 30 %.

Le projet de budget améliore la prise en charge des mineurs délinquants. Elle sera plus rapide et plus efficace.

Les centres éducatifs fermés sont une réponse adaptée. Il est vrai, monsieur du Luart, qu'ils ont un coût, mais celui-ci ne tardera pas à se stabiliser. Il convient également de prendre en compte les résultats de ce dispositif : 61 % des mineurs qui en sortent ne récidivent pas. Les centres fermés permettent aux mineurs de réfléchir aux actes qu'ils ont commis. Ils leur donnent la possibilité de suivre un programme scolaire ou d'effectuer une formation. Ils offrent aux jeunes une nouvelle chance. Ils leur donnent les moyens d'affronter plus sereinement l'avenir.

Ainsi, dix nouveaux centres éducatifs fermés ouvriront en 2008. Nous en aurons donc au total quarante-trois d'ici à la fin de l'année 2008.

Par ailleurs, cinq centres à dimension pédopsychiatrique seront également opérationnels. Ils permettront de renforcer l'accompagnement des mineurs en difficultés. Ils ont vocation à accueillir des jeunes de toute la France, monsieur Alfonsi, pour une prise en charge adaptée.

La protection judiciaire de la jeunesse bénéficiera de 100 emplois supplémentaires en 2008. Ils seront destinés à l'encadrement des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs. Ils contribueront à améliorer le travail éducatif et à diversifier les prises en charges. C'est un point extrêmement important.

Pour les personnels comme pour les justiciables, nous renforçons la sécurité des palais de justice. Nous avons tous en tête les drames de Metz et de Laon du mois de juin dernier. Ils ne doivent pas se reproduire. Cet été, j'ai débloqué 20 millions d'euros de crédits qui avaient été gelés. Grâce au plan de sécurisation, 209 juridictions ont maintenant un portique de sécurité et 92 % des équipes de surveillance sont aujourd'hui en place. L'effort sera poursuivi en 2008 ; nous y consacrerons 39 millions d'euros.

Madame Borvo Cohen-Seat, vous avez déploré la privatisation de la sécurité. Je vous rappelle qu'une partie de cette surveillance est assurée par les réservistes de l'administration pénitentiaire.

Les chefs de cour et de juridiction jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de ce plan. Vous avez souhaité, monsieur Détraigne, leur donner davantage d'autonomie dans la gestion de leurs crédits. Cela a été le cas pour la sécurisation des juridictions. Les chefs de cour et de juridiction disposent donc d'une marge de manoeuvre. Ils peuvent l'estimer insuffisante, mais nous ne sommes qu'au début de l'application de la LOLF.

Pour protéger les Français, il est également essentiel de prévoir des mesures de sûreté contre les pédophiles et les délinquants dangereux en fin de peine.

C'est l'objet du projet de loi que j'ai présenté mercredi en conseil des ministres. Il concerne les personnes qui, condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs, sont toujours reconnues comme dangereuses en fin de peine. Elles pourront être placées dans des centres fermés, où elles bénéficieront d'une prise en charge médicale. Le bien-fondé du placement sera réexaminé chaque année.

Le second volet de ce projet de loi concerne les irresponsables pénaux pour troubles mentaux. Il s'agit de mieux prendre en compte les victimes. La procédure judiciaire ne s'achèvera plus par un « non-lieu ». Ce terme est mal vécu par les familles des victimes. Il donne l'impression que les faits n'ont jamais eu lieu. Désormais, une audience publique sera tenue si les victimes le souhaitent. Les juges pourront ordonner des mesures de sûreté, comme l'interdiction de rencontrer les victimes.

Ce projet de loi est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale du 18 décembre prochain.

Comme vous l'avez souligné, monsieur du Luart, la justice est en pleine mutation et ses principes fondamentaux évoluent pour mieux s'adapter aux attentes de notre société. La justice doit gagner en fermeté, mais aussi en efficacité. Pour cela, nous devons moderniser l'organisation territoriale de la justice.

Le Parlement a voté la loi du 5 mars 2007 instaurant la collégialité de l'instruction. La collégialité est une réponse au drame d'Outreau. Cette affaire a montré que la solitude du juge pouvait être dangereuse. Il faut que les magistrats puissent échanger entre eux et que les plus expérimentés puissent conseiller ceux qui prennent leurs fonctions.

C'est pourquoi la loi du 5 mars 2007 a prévu en son article 6 que, « dans certains tribunaux de grande instance, les juges d'instruction sont regroupés au sein d'un pôle de l'instruction ». Le Parlement a confié au Gouvernement le soin de fixer par décret la liste des tribunaux concernés.

Il ne peut pas y avoir de pôle de l'instruction dans tous les départements, c'est la loi qui l'indique. Ces pôles seront installés dans les tribunaux de grande instance ayant une activité suffisante pour trois juges d'instruction, ce qui suppose nécessairement une réflexion territoriale. Nous avons recherché un équilibre pour chaque région.

Notre carte judiciaire date de 1958, elle n'a donc pas été modifiée depuis cinquante ans. Chacun connaît les difficultés de fonctionnement qu'elle engendre. Chacun comprend que l'on ne peut pas continuer à disperser nos moyens au sein de 1 200 juridictions, sur 800 sites. Cette réforme est une nécessité, comme l'a très justement souligné M. Pierre Fauchon, dont j'ai beaucoup apprécié la démonstration.

La nouvelle carte judiciaire dessine une justice renforcée, dans l'intérêt des justiciables. J'ai entendu vos interrogations, monsieur Détraigne, madame Borvo Cohen-Seat, et je puis vous assurer que la future implantation des tribunaux correspondra aux réalités démographiques, sociales et économiques de notre territoire. Elle améliorera la qualité et l'efficacité de la réponse judiciaire, comme l'attendent les Français.

La réforme de la carte judiciaire n'a été ni mécanique, ni partisane, ni comptable.

Pour les tribunaux de grande instance, nous avons recherché les meilleurs équilibres locaux. Un tiers des départements en métropole continueront à compter au moins deux tribunaux de grande instance.

Par ailleurs, 176 tribunaux d'instance sur 462 seront regroupés, soit 38 % d'entre eux. Nous n'avons pas créé de « désert judiciaire » puisque nous ne supprimons aucun poste : nous en regroupons et nous en créons.

La proximité de 2007 ne correspond pas à la proximité de 1958.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Bien sûr !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Aujourd'hui, ce n'est plus la proximité physique du tribunal qui importe, c'est la qualité de la justice rendue.

M. Philippe Nogrix. C'est vrai !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame Borvo Cohen-Seat, vous indiquiez que les affaires familiales étaient des contentieux de proximité, mais celles-ci relèvent de la compétence des tribunaux de grande d'instance, et non pas des tribunaux d'instance. Il importe de le rappeler.

Justement, les tribunaux d'instance renforcés que nous créons auront dans leurs compétences les affaires familiales. Il faut donc dire la vérité aux Français : les contentieux jugés par les tribunaux d'instance ne correspondent pas forcément à la justice de proximité de 2007.

Nous allons expérimenter, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, les audiences foraines pour les affaires familiales, que ce soit dans une maison de justice et du droit ou dans un tribunal d'instance renforcé.

Par conséquent, s'agissant de la justice de proximité dont les Français ont besoin, que ce soit pour les affaires familiales ou pour les contentieux dits « civils », les contentieux seront traités par le tribunal d'instance renforcé ou au sein d'une maison de justice et du droit.

Monsieur Sueur, la proximité, c'est la satisfaction rapide du besoin de justice. Et M. Fauchon a raison de souligner que l'on ne va pas au tribunal comme au bureau de poste ou à l'hôpital.

Il convient de faire la différence entre l'accès au droit et l'accès au juge.

M. Jean-Pierre Sueur. Cent kilomètres, c'est tout de même une longue distance !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, en matière pénale, on vient généralement vous chercher. En matière civile, nous maintenons la proximité : le contentieux est traité au sein d'une maison de justice et du droit, d'un tribunal d'instance renforcé ou d'un tribunal d'instance regroupé. Pour les contentieux dits de proximité ou civils, je l'affirme à cette tribune, le justiciable n'aura pas à faire les kilomètres que vous indiquez.

M. Jean-Pierre Sueur. La victime, on ne vient pas la chercher !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Au pénal, comme vous le savez, la victime est prise en charge par la justice quand elle est amenée à se déplacer.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement visant à développer la politique de l'accès au droit en tenant compte des contraintes géographiques.

C'est pourquoi, je tiens à le dire une fois encore à cette tribune, le service public de la justice de proximité ne sera pas supprimé. Il faut dire la vérité aux Français. Nous les écoutons, et ils souhaitent une justice de qualité, rapide et lisible. Quand une décision de justice est rendue, ils souhaitent la comprendre.

Quand, dans une centaine de tribunaux d'instance, il n'y a pas de magistrats, pas de greffiers, pas de fonctionnaires, il faut expliquer aux Français concernés pourquoi ils n'ont pas accès à la justice de la même manière que sur une autre partie du territoire.

Il est donc important de renforcer la présence de la justice sur tout le territoire, pour des raisons d'égalité d'accès, mais aussi pour des raisons pratiques.

En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, quand il n'y a qu'un seul juge d'instance dans un tribunal et que celui-ci est appelé à prendre ses congés, part en formation ou, tout simplement, tombe malade, le tribunal d'instance ne peut plus fonctionner. Or il est important d'assurer la continuité du service public de la justice. C'est dans cette optique que nous procédons à des regroupements, à des renforcements et à une augmentation des moyens.

M. Jean-Pierre Sueur. Bref, tout le monde est content !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Mme la garde des sceaux vous aura au moins convaincu, monsieur Sueur !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour les tribunaux de commerce, 55 ont été regroupés sur 185, soit 30 %. Le transfert des compétences commerciales des tribunaux de grande instance aux tribunaux de commerce nous conduit à créer 56 nouvelles juridictions commerciales.

J'ai entendu que nous n'aurions pas tenu compte des réalités du territoire. Vous constatez que nous avons créé de nombreuses juridictions non seulement civiles, mais également commerciales.

S'agissant des conseils de prud'hommes, le code du travail prévoit une consultation spécifique. Un avis du ministère du travail est paru au Journal officiel du 22 novembre. Les collectivités, les organismes syndicaux et professionnels ont un délai de trois mois pour faire connaître leurs observations aux préfets de département.

Madame Goulet, le conseil des prud'hommes de Flers a traité à peine une centaine d'affaires cette année - cent seize, je crois -, pour trente-deux conseillers prud'homaux...

Mme Isabelle Debré. Cela coûte cher !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme vous le voyez, il est important de regrouper les moyens de la justice afin qu'elle soit plus efficace.

Je souligne que le regroupement des conseils de prud'hommes n'a pas diminué le nombre de conseillers prud'homaux. Ainsi, les délais sur ces contentieux extrêmement importants pourront être réduits.

Monsieur Sueur, vous avez relevé que cette réforme suscitait des inquiétudes. Je les entends et je les comprends.

Quand une organisation n'a pas changé depuis plus de cinquante ans, voire, comme l'a rappelé M. Fauchon, depuis l'Ancien Régime, sa réforme peut susciter des inquiétudes et quelques mouvements de protestations. Après tout, c'est un signe de bonne santé démocratique !

Il faut tout de même relativiser ces inquiétudes. Hier, les « grévistes » étaient moins de 20 %, nombre « sans précédent », pour reprendre les termes de M. Badinter. Je rappelle qu'ils avaient été 44 %, en 2000, contre la loi relative à la présomption d'innocence présentée par Élisabeth Guigou. Or, à l'époque, il ne s'agissait non pas d'une réforme de structure, mais d'une réforme de procédure.

M. Christian Cambon. Rappel historique salutaire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Dans le même ordre d'idée, les dispositions relatives au suivi socio-judiciaire, issues de la loi de 1998, et la loi instituant le juge des libertés et de la détention ont été mises en oeuvre sans aucun moyen supplémentaire. On s'est contenté de procéder à un redéploiement, et les magistrats en ont beaucoup souffert, comme je peux en témoigner moi-même, car j'étais alors en juridiction.

Pour notre part, nous nous attachons à être extrêmement réalistes. Nous avons en effet un infini respect pour la justice, en particulier pour les magistrats. Nous ne réformons donc pas sans moyens : le budget de la justice est en augmentation, tous les départs à la retraite sont remplacés et nous réorganisons. L'objectif est d'avoir une justice plus efficace et de meilleure qualité.

Nous agissons de même avec les nouvelles technologies, j'y reviendrai, qui permettront d'améliorer les conditions de travail des magistrats et des greffiers. Ils attendaient ce geste depuis 1999 !

Monsieur Sueur, vous indiquez que les parlementaires n'ont pas été associés à la concertation.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ai rencontré plus de 235 élus !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela prouve leur inquiétude !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Tous ont été entendus lors des réunions régionales.

M. Jean-Pierre Sueur. Pas chez nous !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cela étant, beaucoup d'élus, notamment de l'opposition, ne sont pas venus à ces réunions pensant que nous ne conduirions pas la réforme à son terme. Ils ont commencé à réagir le jour où les chefs de cours ont remis leurs rapports.

Il est facile de dire ensuite qu'il n'y a pas eu de concertation quand les élus ne se sont même pas déplacés !

M. Jean-Pierre Sueur. Je suis venu !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant du comité consultatif, j'ai reçu, non des propositions au cas par cas et cour d'appel par cour d'appel, mais des orientations générales - vous pouvez les consulter en ligne - que j'ai intégrées dans les schémas que nous avons proposés.

Je me suis rendue dans chaque région pour expliquer les propositions fondées sur les rapports des chefs de cours, auxquels je souhaite rendre un hommage particulier. Ils se sont en effet fortement impliqués dans cette concertation. Dire qu'elle n'a pas eu lieu, c'est faire injure à leur travail ! Pendant trois mois, ils se sont mobilisés, ont rencontré tout leur personnel, les fonctionnaires, toutes les professions judiciaires afin de pouvoir rédiger leurs rapports, qu'ils m'ont remis entre le 30 septembre et le 15 octobre. Et c'est dans un souci de transparence que j'ai décidé de mettre en ligne nos propositions concernant la nouvelle organisation judiciaire.

Dans la majorité des cas, les rapports ont été suivis. Dans d'autres cas, des réajustements ont été nécessaires pour tenir compte de l'aménagement du territoire. J'ai également pris en compte les observations de certains élus. Au final, il est de notre responsabilité politique d'arbitrer et de décider de l'allocation des moyens.

Monsieur Sueur, vous demandez la création d'une nouvelle commission. Je vous rappelle qu'il y a déjà eu la commission Outreau.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela n'a rien à voir !

M. Jean-Pierre Sueur. C'était une commission d'enquête parlementaire ! C'est prévu par la Constitution !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mais nous n'avons même pas mis en oeuvre toutes les recommandations de la commission Outreau.

M. Jean-Pierre Sueur. Sur la carte judiciaire ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le rapport de la commission d'enquête comprend en effet un volet concernant la réforme de la carte judiciaire, ne serait-ce que s'agissant de la dispersion des moyens, qui, vous ne l'ignorez pas, nuit à la qualité de la justice.

On connaît la technique qui consiste à créer une commission ou un comité pour mieux enterrer une réforme.

M. Jean-Pierre Sueur. Les parlementaires sont inquiets !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cette réforme n'est ni de droite ni de gauche ! Je vous renvoie aux travaux, dont je me suis inspirée, de Mme Lebranchu, de Mme Guigou ou de M. Nallet.

M. Jean-Pierre Sueur. Mme Lebranchu n'est pas satisfaite de ce qui se passe à Morlaix !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. On n'est jamais satisfait d'une réforme que l'on n'a pas faite !

M. Henri Nallet est venu me voir, et il a salué le courage et le sens des responsabilités du Gouvernement. Il m'a lui-même dit que vous n'aviez pas pu réaliser cette réforme à l'époque, alors que tout le monde considérait qu'elle était indispensable.

Vous me parlez de concertation et d'aménagement du territoire. Mais savez-vous quels étaient les critères retenus à l'époque pour réformer la carte judiciaire ? Pour Henri Nallet, c'était la départementalisation : autrement dit - je réponds là à Mme Borvo Cohen-Seat -, fin de la justice de proximité, fin des tribunaux d'instance ! Pour Mme Guigou, c'était le seuil d'activité : au-dessus, on garde ; en dessous, on supprime !

Ce n'est pas notre méthode. Nous, nous avons choisi la concertation, les propositions des chefs de cours, et nous avons décidé de tenir compte de la réalité du territoire, de l'évolution démographique et du bassin économique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame le garde des sceaux, puis-je vous interrompre ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur le président de la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation de Mme le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le Sénat a consacré de nombreux travaux à la justice : je pense au rapport Haenel-Arthuis, au rapport Fauchon-Jolibois ou encore au rapport de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice : tous concluaient à l'urgente nécessité de réformer la carte judicaire.

On peut toujours dire qu'on est favorable à une réforme, puis ne rien vouloir changer. Cette fois-ci, la réforme est mise en oeuvre, ce dont nous nous réjouissons, car elle est indispensable à l'amélioration de la qualité de la justice.

Rassurez-vous, madame le garde des sceaux, j'ai connu par le passé des réactions à peu près comparables lorsque l'on a enfin réformé la répartition territoriale des commissariats de police et des gendarmeries. Vous, vous avez entrepris de moderniser la justice. Il fallait le faire, et je vous en félicite. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Très bien !

M. le président. Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Sans plus attendre, en effet, nous souhaitons agir. C'est pourquoi nous ne voulons pas de commissions ou de comités supplémentaires.

La réforme de la carte judiciaire se fera progressivement. Étalée sur trois ans, elle commencera en 2008, pour s'achever en 2010.

Un accompagnement social des personnels concernés par la réforme sera mis en place. Il est en cours d'élaboration. Dès 2008, une provision, prévue dans le cadre de ce projet de budget, de 1,5 million d'euros sera consacrée aux premières mesures d'aide aux personnels.

Nous étudions également les possibilités d'apporter des compensations financières aux avocats touchés par la réforme. À cet égard, j'ai rencontré, le 23 novembre dernier, tous les bâtonniers des barreaux concernés. Nous nous sommes mis d'accord pour examiner des pistes d'accompagnement. Nous devons nous revoir au début de 2008.

Une fois que cette nouvelle organisation territoriale sera stabilisée, il nous faudra réfléchir à une nouvelle répartition du contentieux au profit des justiciables.

Je l'ai évoqué tout à l'heure, pour renforcer son efficacité, la justice doit aussi utiliser les outils de son temps.

Les nouvelles technologies facilitent l'accès à la justice. Elles la rendent plus rapide, plus réactive, plus efficace. Un décret du 15 novembre 2007 prévoit la dématérialisation des procédures pénales ; elle sera donc effective en 2008. La dématérialisation des procédures civiles, quant à elle, interviendra en 2009.

Plus de 67 millions d'euros seront consacrés, en 2008, aux programmes informatiques de la justice.

Par ailleurs, nous souhaitons rendre la justice plus ouverte et faire en sorte qu'elle reflète plus la diversité de notre société.

L'École nationale de la magistrature sera modernisée. C'est la mission de son nouveau directeur. Comme l'ont souligné MM. Fauchon et Gautier dans leur récent rapport, cette école doit former des magistrats efficaces, responsables, ouverts sur le monde. Elle doit développer chez les auditeurs de justice les qualités humaines indispensables à l'exercice de leurs futures fonctions.

La formation des magistrats et des personnels judiciaires sera l'un des chantiers de la présidence française de l'Union européenne. J'ai d'ailleurs demandé à ce qu'un groupe d'auditeurs de justice puisse me suivre dans la préparation de la présidence française de l'Union européenne.

La justice prend également toute sa part dans la politique d'égalité des chances.

Ainsi, une classe préparatoire intégrée à l'École nationale de la magistrature ouvrira en janvier 2008. Elle est destinée à accueillir quinze étudiants de condition sociale modeste qui veulent préparer le concours de la magistrature. Nous avons déjà reçu à ce jour 176 candidatures de toute la France.

D'autres classes préparatoires ouvriront en 2008 à l'École des greffes, à l'École de l'administration pénitentiaire et au Centre national de la protection judiciaire de la jeunesse.

Je souhaite également que les femmes soient mieux représentées au plus haut niveau de responsabilités du corps judiciaire. Je me suis engagée à renouveler et à assurer la parité dans les nominations, en tenant bien évidemment compte des compétences. Dix nouveaux procureurs généraux ont été nommés le 14 novembre - c'est un mouvement sans précédent -, dont cinq femmes.

Cette politique d'ouverture sera encouragée par la mise en place d'une véritable politique des ressources humaines.

La gestion des carrières des magistrats et des greffiers doit être modernisée.

Il y a de nombreux talents dans les juridictions : talents dans l'organisation, talents dans certains contentieux, talents dans les perspectives d'une fonction en administration centrale. Il faut les valoriser. Je pense notamment aux possibilités offertes par les détachements de personnels. Ils donnent la possibilité d'une ouverture vers une autre administration, vers le secteur privé ou vers la sphère internationale. Ce sont toujours des expériences très riches.

En 2008, 400 emplois supplémentaires seront créés au profit des juridictions. Des emplois de magistrats sont destinés aux pôles anti-discrimination, au secrétariat général de tribunaux de grande instance, aux futurs pôles de l'instruction ; d'autres seront utilisés pour des missions de magistrats placés, qui remplacent leurs collègues absents.

Une bonne gestion des ressources humaines, c'est mettre les bonnes personnes aux bonnes fonctions et non pas attendre que celui qui s'est dévoué au service de la justice avec beaucoup de passion et de professionnalisme soit en fin de carrière pour lui proposer un haut poste à responsabilité.

J'ai créé cet été à la Chancellerie une véritable direction des ressources humaines pour améliorer les conditions de carrière des magistrats et des greffiers.

Pour répondre à vos préoccupations, messieurs du Luart et Détraigne, je peux vous dire qu'il y aura autant d'emplois nouveaux de greffiers que d'emplois nouveaux de magistrats, soit 187 magistrats et 187 greffiers. Je partage votre vision des choses : la qualité du travail judiciaire, c'est aussi l'assistance qu'apporte le greffier au magistrat.

Ces créations de postes et le recours aux nouvelles technologies permettront aussi, comme vous l'avez souhaité, de réduire le délai d'exécution des décisions de justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le voyez, la justice est en pleine modernisation. Le budget constitue l'un des outils de cette modernisation. Celle-ci demandera de grands efforts. Elle se fera grâce à l'engagement de toutes les forces, de toutes les volontés de notre pays, et donc de la vôtre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)