M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.

En outre, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Enfin, le Gouvernement dispose au total de quarante minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. André Vallet.

M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M. le rapporteur pour avis l'a souligné - il faut le dire et le redire aux Français - la mission « Enseignement scolaire » constitue, en volume de crédits et en effectifs de personnels, la plus importante part du budget général de l'État : 21,8 % de crédits de paiement, 59,26 milliards d'euros...

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Jusque là, nous sommes d'accord !

M. André Vallet. ... et pratiquement un fonctionnaire sur deux, avec 46,3 % des emplois de fonctionnaires, soit 1,022 641 million de temps plein.

Ce budget augmente de 2,03 %, soit de 1,17 milliard d'euros.

Pour notre éducation nationale, l'urgence - monsieur le ministre, je sais que vous en êtes convaincu - est, non pas de donner toujours plus, mais d'utiliser autrement et mieux le potentiel de moyens et de compétences de l'éducation nationale. C'est ce que M. le rapporteur spécial appelait tout à l'heure la « démarche qualitative ».

C'est parce que ce projet de budget paraît aller dans ce sens, qu'il tend à créer une nouvelle conjonction entre la responsabilité de l'État et la responsabilité locale, qu'il semble, tout au moins partiellement, renoncer à une gestion centralisée et anonyme, que le groupe de l'UC-UDF auquel j'appartiens l'approuvera, tout en vous demandant quelques éclaircissements sur un certain nombre de points, monsieur le ministre.

Le premier concerne la méthode d'apprentissage de la lecture dite globale.

Je suis de ceux qui ont approuvé votre prédécesseur lorsqu'il a condamné cette méthode. Si, effectivement, la méthode globale pose moins de problèmes pour certains enfants, généralement les plus favorisés, elle amène des difficultés précoces chez le plus grand nombre. Il a été rappelé tout à l'heure que 20 % des enfants arrivaient en sixième sans savoir lire ou comprendre un texte. C'est énorme ! Selon le classement de l'OCDE auquel il a été fait allusion, publié hier dans la presse, la situation empire.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas vrai !

M. André Vallet. Il faut, à l'évidence, pour atténuer ce très mauvais chiffre, appliquer une méthode de lecture qui soit à la portée de tous, une méthode qui a déjà fait ses preuves.

M. Jean-Luc Mélenchon. Arrêtez de le répéter !

M. André Vallet. En êtes-vous, monsieur le ministre, convaincu ?

Le deuxième point concerne l'école primaire.

Vous venez, monsieur le ministre, de supprimer - ce n'est pas une mauvaise chose en soi - les cours du samedi matin. Le Président de la République souhaite une heure de sport supplémentaire. Une heure sera affectée à l'enseignement d'une langue étrangère. Pourriez-vous nous donner aujourd'hui la nouvelle répartition horaire de l'école primaire, sans tenir compte, bien entendu, des heures que vous envisagez de faire dispenser auprès des élèves en difficulté, ce qui est une initiative que je me permets de saluer ?

Je tiens également à aborder le problème du collège unique.

Je disais à l'instant à propos de l'apprentissage de la lecture que trop d'élèves arrivent aujourd'hui au collège sans maîtriser la lecture, mais sans maîtriser non plus les fondamentaux et sont, dès le départ, noyés par l'enseignement dispensé.

Le système actuel de passage les amène automatiquement, malgré leurs carences, en classe de troisième, quel que soit leur niveau réel, et crée, de ce fait, l'échec scolaire. Du fait de leur extrême hétérogénéité, les classes de collège sont parfois ingérables. Le moule unique impose le même enseignement à tous sans tenir compte des goûts, des aptitudes, des rythmes d'apprentissage ou de l'environnement socio-culturel de chaque élève, voire des désirs de la famille.

L'égalité des chances connaît au collège, plus qu'ailleurs, sa caricature. Sa caricature, monsieur le ministre, c'est l'égalitarisme, qui vise à ce que soient appliquées à tous des pédagogies identiques et qui conduit alors, inéluctablement, à l'échec et à l'exclusion.

Cette illusoire égalité des chances connaît aussi son revers antidémocratique : par sa complexité, le système scolaire devient opaque pour le citoyen ignorant les astuces réservées aux seuls initiés, qui peuvent bénéficier à plein des divers moyens de contourner la règle commune.

Êtes-vous, monsieur le ministre, favorable à une profonde réforme du collège unique ?

Je tiens également à vous interroger au sujet des cours de morale et d'instruction civique. Peut-on espérer la restauration de ces cours tels que nous les connaissions dans l'école que je suis obligé d'appeler « l'école d'autrefois » ? Dans l'esprit de ses fondateurs, l'école républicaine devait, bien entendu, assurer l'instruction de chacun, mais aussi développer le savoir-vivre collectif.

Nous avons trop légèrement oublié cette dimension, d'autant que l'essor de conceptions anti-autoritaires et parfois libertaires a accru la défiance à l'égard des pédagogies directives.

N'est-on pas allé trop loin dans la pédagogie purement critique ? Un esprit « post soixante-huitard » mal placé a fait oublier à trop de maîtres que leur rôle ne se limite pas à dispenser des connaissances ponctuelles, que l'école doit former l'individu comme citoyen, c'est-à-dire comme homme ou femme vivant dans la cité parmi d'autres citoyens.

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez lu cela dans le Journal de Mickey ?

M. André Vallet. Morale et instruction civique peuvent y contribuer.

Il faut revoir notre système d'orientation. Ce qui est en cause, c'est notre incapacité à éclairer les choix des jeunes vers des voies de formation qui ne soient pas des impasses. C'est l'ensemble du processus d'orientation qui est en cause, car c'est à travers les choix et stratégies d'orientation que se fait, pour partie, la distinction entre les milieux sociaux.

Le maquis que constitue notre système scolaire aux yeux de bien des élèves et de bien des parents, l'ignorance trop fréquente des professeurs de l'enseignement général pour la réalité de la formation technologique et professionnelle comme de la vie économique des entreprises doivent, monsieur le ministre, vous amener à revoir notre système d'information et d'aide à l'orientation, dès le collège.

Qu'en est-il, enfin, d'une plus grande autonomie des établissements et d'une réforme de la nomination des chefs d'établissement ? Pouvons-nous nous attendre à quelques initiatives en ces domaines ?

Le Président de la République a lancé un certain nombre de réformes. J'espère qu'une profonde refonte de l'éducation nationale sera entreprise en 2008, afin d'empêcher le mammouth d'accumuler de la mauvaise graisse. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de l'actualité récente, à savoir la démonstration malheureusement éclatante que la crise des banlieues en difficulté persiste et même s'aggrave, je souhaite profiter de mon intervention sur le projet de budget pour 2008 de l'enseignement scolaire pour rappeler que le coeur de la mission de l'école de la République, c'est l'égalité des chances pour tous les élèves.

Plus les inégalités sociales se creusent, plus cette mission se complique ; encore faudrait-il utiliser les outils qui permettent d'assumer ensemble les défis de la ghettoïsation et de la paupérisation de certains quartiers. Or, les choix budgétaires et politiques accélèrent le processus de fracture sociale.

Je commencerai par la suppression de la carte scolaire. La majorité permet une dérogation à tous les élèves issus d'une zone d'éducation prioritaire, notamment à ceux qui sont titulaires de la mention « très bien » au brevet.

L'ambition de ces élèves est désormais claire : gagner leur ticket pour enfin changer d'établissement. L'« ambition réussite » de ces jeunes ne doit pas se résumer à partir de leur collège ou de leur cité.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Pourquoi pas ?

M. Yannick Bodin. Le Gouvernement invoque la liberté de choix des parents, le mérite, la volonté de l'enfant.

Cependant, faut-il rappeler l'évidence ? La liberté de choix produit bel et bien de l'inégalité. Que se passe-t-il ? Les enfants des familles informées, initiées, et quelques bons élèves boursiers vont rejoindre les établissements « de bonne réputation ». Quand les demandes seront trop nombreuses, ce sera la sélection, et, dans la plupart des cas, l'affectation, j'allais dire le retour, dans le lycée de la zone d'origine.

En fait, la coupure sociale se trouvera accentuée : d'un côté regroupement des meilleurs, de l'autre, ghettoïsation achevée des plus défavorisés.

Ce qu'il faut, monsieur le ministre, si vous voulez revenir sur la carte scolaire - cela peut être utile - c'est, au contraire, plus de mixité sociale. Il s'agit aussi d'accroître le nombre de personnels d'encadrement dans les collèges « ambition réussite ». Il n'y a pas d'autre méthode que l'accompagnement individualisé, personnalisé. Il faut donc un nombre plus important d'adultes auprès de ces élèves.

À côté de ce faux « libre choix », qui va concentrer tous les problèmes dans certains établissements sous pression, pour ne pas dire sous haute tension - sans parler du moral des professeurs affectés sur place - vous avez décidé, monsieur le ministre, de supprimer, purement et simplement, 11 200 emplois dans l'éducation nationale pour la seule année 2008.

Je dois pourtant rappeler que, dans aucun pays d'Europe, le nombre moyen d'élèves en classe de mathématique, à l'âge de quinze ans, n'est aussi élevé qu'en France. Il y est de vingt-sept élèves, alors que la moyenne des autres pays se situe entre vingt-quatre, au maximum, et dix-huit, au minimum.

Faut-il rapprocher ces chiffres de ceux qui viennent d'être révélés par la dernière enquête PISA - programme international pour le suivi des acquis des élèves - qui, même s'ils doivent être pris avec toutes les précautions de rigueur en cas d'enquêtes internationales, laissent cependant apparaître un nouveau recul du niveau de nos élèves ? Il y aurait ainsi une année de retard, notamment en sciences, entre les jeunes Finlandais et les jeunes Français.

Comment imaginer, face à de telles comparaisons, des suppressions supplémentaires de postes ? Ce choix politique est lourd de conséquences, et montre une fois de plus que la réduction des inégalités sociales ne pourra pas se faire à l'école.

De plus, la baisse de 16,4 % des crédits d'action sociale compris dans le programme 230 « Vie de l'élève » est à ce titre inadmissible. De même, dans les crédits d'intervention, en 2008, les crédits destinés aux associations ne retrouvent même pas leur niveau de 2006.

Je passe à un autre sujet. Il est nécessaire, s'agissant de la généralisation de l'accompagnement éducatif entre seize heures et dix-huit heures, que des mesures soient mises en oeuvre pour accompagner les élèves qui en ont le plus besoin.

Vous décidez, monsieur le ministre, de vous en remettre au volontariat. Nous constatons, pour le moment du moins, que ne sont volontaires - ou ne sont d'abord volontaires - que les élèves qui ont le moins besoin de soutien. Il faut un encadrement et un tutorat forts pour les élèves qui en ont le plus besoin.

S'il est bon que cette mesure soit généralisée dans les collèges, il convient toutefois qu'elle le soit d'abord pour tous les élèves en difficulté. Cela exige de votre part un renforcement de l'encadrement, une présence plus importante et plus nombreuse des adultes, avant tout pour éviter que ces heures ne soient perçues par un certain nombre d'élèves comme des heures de punition ou des heures de colle. Il faudra bien accompagner ces élèves et leur expliquer.

Ce n'est donc vraiment pas le moment de supprimer des postes au budget de l'éducation nationale.

On ne peut qu'approuver le principe d'un dispositif qui fait de l'école son propre recours, au grand dam - c'est tant mieux ! - des officines de cours privés.

M. Yannick Bodin. Je crois savoir que vous êtes d'accord.

Toutefois, une telle mesure, décidée sans concertation préalable avec la communauté éducative ou les institutions concernées, notamment les collectivités territoriales, et sans compensation financière pour ces dernières qui sont pourtant mises à contribution, est tout de même problématique.

Sa mise en oeuvre, faut-il le rappeler, nécessite, d'une part, l'organisation d'une vaste logistique permettant, surtout dans les départements comprenant des zones rurales, le transport des élèves à des horaires différés et, d'autre part, une nouvelle organisation de travail des personnels techniciens, ouvriers et de service. C'est, il faut bien le dire, un nouveau transfert de compétences sans transfert des moyens financiers correspondants.

Monsieur le ministre, concernant les réseaux « ambition réussite », nous proposons d'améliorer l'articulation entre le secondaire et les meilleures filières de l'enseignement supérieur, selon les résultats des élèves et non selon leur établissement ou leur milieu social d'origine.

Prenons l'exemple des classes préparatoires aux grandes écoles. Je connais bien cette « élite » pour avoir été le rapporteur de la mission d'information du Sénat sur la diversité sociale et l'égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, présidée par M. Legendre. Nous vous avons d'ailleurs remis le fruit de nos travaux.

À cet égard, la mission est parvenue à une double conclusion. Tout d'abord, les classes préparatoires sont, bien entendu, en France, l'un des moteurs du système de reproduction des élites. Or, leur accès ne paraît pas démocratique, les statistiques indiquant même une nette régression ces vingt dernières années : la proportion d'élèves de l'enseignement secondaire issus de catégories sociales défavorisées intégrant les grandes écoles est ainsi passée de 29 % à 9 %.

Monsieur le ministre, vous connaissez nos propositions pour lutter contre la dégradation de la mixité sociale dans les meilleures filières. Je vous pose donc simplement cette question : comptez-vous les prendre en compte ?

Lors de l'examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », je ne manquerai pas, bien entendu, d'aborder avec votre collègue chargée du dossier les autres aspects des pôles d'excellence qui doivent être mis en place dans l'enseignement supérieur.

Mes chers collègues, nous ne pouvons cautionner une telle baisse de moyens - 1,2 % en euros constants ! - pour l'éducation nationale par rapport à 2007. Ce projet de budget peut se résumer ainsi : une baisse considérable des moyens, doublée d'un aveu de renoncement, le tout dans un contexte de libéralisation de l'école. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous serons contraints de voter contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur ministre, un sujet aussi important que l'enseignement scolaire devant être abordé avec philosophie, vous voudrez bien me permettre de placer mon intervention sous le « haut patronage » de Socrate,...

M. Ivan Renar. Il faut se méfier des Grecs...

M. Jean-Claude Carle. ..., en reprenant l'une de ses formules résumant bien les enjeux intemporels qui nous occupent : « Le savoir est la seule matière qui s'accroît quand on la partage. »

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Jolie formule !

M. Jean-Claude Carle. La France a fait sienne cet aphorisme, elle qui a rendu l'école gratuite, laïque et obligatoire afin d'assurer la plus large diffusion du savoir au sein de notre jeunesse, et, partant, de notre société tout entière.

L'effort de la collectivité en faveur de cette tâche essentielle ne s'est jamais démenti jusqu'à nos jours, puisque le ministère de l'éducation nationale, premier employeur de l'État avec plus d'un million d'agents, assume actuellement la responsabilité de plus de 12 millions d'élèves. Avec un budget qui dépasse les 59 milliards d'euros, l'effort de notre pays pour l'enseignement scolaire atteint 4,1 % de notre PIB, soit un taux supérieur à la moyenne constatée dans les pays de l'OCDE, laquelle s'établit à 3,8 %.

Grâce aux moyens qu'elle a investis dans l'éducation de sa jeunesse, la France permet à de plus en plus d'élèves - 81 % contre 60 % vingt ans auparavant - de finir leurs études secondaires.

M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien ! Enfin une remarque positive ! Commençons par saluer ce qui marche !

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Il fallait en effet le rappeler !

M. Jean-Claude Carle. Mais cette réussite dans la « sphère des chiffres » ne doit pas éluder les graves difficultés rencontrées pas de trop nombreux élèves, contraints notamment de redoubler. Nous devons leur permettre de les surmonter, d'autant que les disparités entre les élèves tiennent trop souvent à la seule origine socioprofessionnelle et culturelle de leurs parents.

Toutes ces difficultés constituent autant de freins à l'objectif fixé à notre système éducatif, à savoir l'égalité des chances. Il s'agit non pas d'une simple ambition, mais d'un impératif. Cela correspond à notre tradition républicaine, qui a toujours placé l'éducation au coeur de l'action publique.

Chacun s'accorde sur le même constat : notre système éducatif traverse une grave crise. Cependant, il est temps d'en finir avec cette idée simpliste et longtemps défendue selon laquelle l'école pâtirait d'un manque de moyens, car ceux qui lui sont alloués sont suffisants.

J'insiste sur ce point : ce ne sont pas les moyens qui manquent, ce sont les résultats. Si les moyens étaient plus judicieusement utilisés, nous serions loin de la situation actuelle, dont quelques brefs exemples permettent de mesurer la gravité.

Ainsi, un jeune sur trois entre au collège avec des difficultés pour maîtriser les savoirs fondamentaux. Cette problématique méritant à elle seule une intervention, ma collègue Monique Papon la développera tout à l'heure en abordant la question de l'enseignement primaire. De plus, 160 000 élèves sortent du système scolaire chaque année sans diplôme et sans qualification. Par ailleurs, la première porte que poussera un jeune sur cinq à l'issue de son cursus sera non pas celle d'une entreprise ou d'une administration, mais malheureusement celle de l'ANPE.

Monsieur le ministre, une statistique m'interpelle tout particulièrement : un enfant d'ouvrier a quatre fois plus de risques de connaître l'échec scolaire et dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur. (M. le ministre en convient.)

Que déduire de cette contradiction entre l'ampleur des moyens et la faiblesse des résultats ?

Nous avons des capacités financières exceptionnelles, mais elles sont mal réparties.

Nous avons des capacités humaines exceptionnelles, mais elles sont mal employées.

Nous avons de longues plages horaires d'enseignement, mais elles ne sont pas assez efficaces.

Nous devons donc repenser l'organisation de notre système éducatif, pour permettre à l'éducation nationale de remplir sa mission première, c'est-à-dire éduquer notre jeunesse, en respectant la définition qu'a rappelée le Président de la République dans sa Lettre aux éducateurs : « Éduquer, c'est chercher à concilier deux mouvements contraires : celui qui porte à aider chaque enfant à trouver sa propre voie et celui qui pousse à lui inculquer ce que soi-même on croit juste, beau et vrai ».

Monsieur le ministre, la mission « Enseignement scolaire » inscrite dans le projet de loi de finances pour 2008 a été conçue pour répondre à cette exigence.

Ce budget permettra la mise en chantier de trois grandes priorités : l'accompagnement éducatif après les cours pour les collégiens, l'augmentation du taux de scolarisation des handicapés et la poursuite de la mise en oeuvre de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

Ce budget participera à l'effort de maîtrise des dépenses publiques : 11 200 postes d'enseignants ne seront pas remplacés. J'entends d'ici les cris d'orfraie que suscite la simple évocation de ce non-remplacement, alors que ce nombre représente moins de 1 % des emplois publics du ministère et qu'il s'agit simplement de répondre à l'évolution démographique du nombre des d'élèves. En effet, entre 1990 et 2007, celui-ci a diminué de 3,3 %, alors que les effectifs d'enseignants ont augmenté de 4,5 %.

En outre, loin de compliquer la vie des enseignants, le projet de loi de finances pour 2008 prévoit des dispositions pour les soutenir. Comme vous l'aviez annoncé, monsieur le ministre, un certain nombre de mesures catégorielles et la possibilité de faire des heures supplémentaires favoriseront la progression du pouvoir d'achat des enseignants.

D'une manière générale, vous proposez aux enseignants une nouvelle façon d'exercer leur métier, en leur offrant la possibilité de solliciter plus d'heures supplémentaires, qui seront d'ailleurs défiscalisées et exonérées de charges sociales. Ainsi, ceux qui le désirent pourront accroître leur pouvoir d'achat.

En d'autres termes, c'est toute une dynamique vertueuse que vous leur proposez d'enclencher. La revalorisation de leur condition leur permettra de s'investir dans des missions nouvelles et d'offrir des services nouveaux aux élèves.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les élèves doivent avoir la même chance de réussir en fonction de leurs mérites et de leurs talents, et ce quelles que soient leurs origines. Pour relever le défi d'une école fondée sur l'égalité des chances, le projet de loi de finances pour 2008 prévoit un encadrement renforcé des élèves, lesquels pourront bénéficier d'aides et de conseils plus personnalisés.

Trois axes seront privilégiés : l'offre d'accompagnement éducatif, la scolarisation des enfants handicapés et le développement de l'apprentissage. Nous souscrivons totalement à ces mesures, qui participent d'un projet global de rétablissement de l'égalité des chances.

Parmi ces axes privilégiés, figure donc la scolarisation des enfants handicapés, pour laquelle des moyens supplémentaires sont prévus afin que ces enfants puissent fréquenter les mêmes écoles que les autres élèves. Nous ne pouvons que nous réjouir des efforts faits en cette direction, qui concerneront 10 000 enfants handicapés pour l'année 2007. Dans le même esprit, le projet de loi initie un programme de création d'unités pédagogiques d'intégration, ou UPI. L'objectif est de parvenir à 2 000 UPI d'ici à 2010.

Je veux également rendre hommage à l'enseignement agricole, qui joue un rôle essentiel en faveur de notre agriculture, de notre économie et de la diversité de nos territoires.

Mme Françoise Férat et M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. Il contribue ainsi à donner à chacun la même chance. Je salue l'initiative de notre collègue député Yves Censi, que nous soutiendrons, qui a permis d'abonder les crédits en faveur des établissements de l'enseignement agricole, tout particulièrement des établissements privés.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. Cela étant, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur le financement de l'enseignement agricole privé, qui est malheureusement utilisé chaque année comme une « variable d'ajustement ».

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer le déblocage de 4 millions d'euros pour l'exercice 2007 ? Par ailleurs, pouvez-vous nous assurer qu'il n'y aura pas de gels de crédits sur l'exercice 2008, comme cela a été le cas depuis de trop nombreuses années ? (Mme Françoise Férat acquiesce.)

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Très lourds gels !

M. Jean-Claude Carle. Et pouvez-vous nous donner des éléments d'information sur l'état d'avancement de la négociation engagée avec l'enseignement agricole privé ?

De même, je me réjouis que les crédits affectés aux maisons familiales rurales soient en cohérence avec les engagements pris par l'État. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que ces crédits seront, eux aussi, bien engagés ?

À ce stade de mon propos, je voudrais rendre un hommage tout particulier à Mme Férat pour l'excellence de son travail dans le cadre tant du rapport pour avis de la commission des affaires culturelles auquel elle a participé que du rapport d'information qu'elle a publié sur la place de l'enseignement agricole dans le système éducatif français.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, et M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. C'est vrai !

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. J'en viens maintenant à un autre volet essentiel de la mission « Enseignement scolaire » : les aides financières aux élèves.

Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, d'avoir tenu compte des amendements sur ce sujet adoptés par le Sénat sur l'initiative du rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, Philippe Richert, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007.

Le projet de budget pour 2008 prévoit en effet la revalorisation de 2 % des taux de bourses de collège et lycée, de la part de bourse d'enseignement d'adaptation, de la part des exonérations de frais de pension et de la prime à l'internat. Les crédits inscrits pour 2008 permettront de couvrir l'effet en année pleine de la revalorisation des aides destinées aux collégiens, votée par le Parlement l'année dernière.

Une autre réussite est d'ores et déjà à mettre à l'actif de notre majorité, alors même que cette mesure avait été très contestée : il s'agit du transfert, sans heurt, des personnels TOS aux collectivités locales.

M. Jean-Claude Carle. Nous parlons trop souvent de ce qui ne marche pas, et je tenais à souligner ce qui a bien fonctionné ! (Mme Françoise Férat et M. Jacques Legendre manifestent leur approbation.)

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. C'est en effet une belle réussite !

M. Jean-Claude Carle. Cela étant, d'autres réformes pourraient être menées avec la même réussite et aboutir au même consensus. Je pense notamment à l'une des nombreuses mesures proposées par la mission commune d'information du Sénat sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, que j'ai eu honneur de présider. La mission a notamment insisté sur la nécessité de donner au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF, une valeur obligatoire, de sorte que ses signataires, notamment la région, l'État, mais aussi les partenaires socio-économiques, soient véritablement engagés par leur signature. Cela me paraîtrait une avancée considérable.

Monsieur le ministre, j'aborderai un dernier sujet.

Lors de la grève du 20 novembre dernier, vous avez rappelé que vous comptiez instaurer un service minimum dans l'éducation nationale. L'accueil des enfants, les jours de grève, est un sujet de préoccupation majeure pour les parents, ce qui conduit très souvent ces derniers à inscrire leurs enfants dans des établissements privés. Qu'envisagez-vous en ce sens ? Je me permets d'insister sur l'importance du problème, étant donné l'ampleur des difficultés qu'entraîne cette situation. Il devient évident que nous ne pouvons nous permettre de « figer » des modes de fonctionnement qui ont fait la preuve de leur échec.

Le Président de la République l'a souligné avec force dans sa Lettre aux éducateurs : « Ce que nous devons faire, c'est poser les principes de l'éducation du xxie siècle, qui ne peuvent pas se satisfaire des principes d'hier et pas davantage de ceux d'avant-hier. » J'ai le plaisir de constater, monsieur le ministre, que le projet de budget que vous nous proposez répond à cette exigence.

En conclusion, le groupe UMP votera le projet de budget pour 2008, avec les amendements proposés par la commission des finances, parce qu'il est innovant et ambitieux pour l'éducation nationale au sens large, en incluant donc la « petite souris verte » qu'est l'enseignement agricole. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le devenir de l'école constitue un enjeu de société qui concerne l'avenir de la jeunesse de notre pays.

Le projet de budget pour 2008 affiche comme ambition de « rénover l'école » et d'assurer la réussite de tous les élèves.

Pour y parvenir, votre préoccupation devrait être de mettre l'école en état de s'attaquer aux racines de l'échec scolaire. Ce n'est pas ce qui s'engage.

Une telle ambition nécessiterait, en effet, une véritable expertise des sources de l'échec, en concertation avec tous les acteurs de l'école - enseignants, parents, jeunes, chercheurs - et, plus largement, avec tous ceux qui aspirent à une école de l'égalité, de la justice et de la réussite pour tous.

Ce budget nous est présenté sous les auspices de « l'amélioration qualitative » et du « pragmatisme ». Un examen attentif montre qu'il est marqué en réalité par l'obsession récurrente de la réduction des dépenses et de l'emploi publics, et par de nouveaux transferts de responsabilités de l'État vers les collectivités territoriales et le privé.

Ce budget de transition prépare une nouvelle étape du démantèlement du système éducatif français, qui remet en cause l'objectif fondamental d'un service public laïc de l'éducation, dont l'ambition est l'égalité d'accès pour tous, sur l'ensemble du territoire, à un haut niveau de culture générale, un service public relevant le défi de l'émancipation de chacun et de chacune.

À la lecture de vos propositions, il est clair que nous ne partageons pas tous cet objectif.

Pour vous, il s'agit d'imposer « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », selon la formule consacrée par le texte dit de « la stratégie de Lisbonne ». Tout un programme, celui du MEDEF !

Comment ne pas faire le rapprochement entre cet objectif et les objectifs développés dans le rapport de Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy, intitulé L'économie de l'immatériel, la croissance de demain, qui présente la création, les patrimoines artistique et culturel comme un moyen d'engendrer « des profits supplémentaires » ? À cette vision utilitaire de l'éducation et d'employabilité immédiate pour l'économie, nous opposons celle d'une école destinée à transmettre, à fabriquer des savoirs et de la recherche, afin de s'approprier les nouvelles possibilités de l'immatériel.

Ce budget, vous l'aurez compris, ne recueille pas, loin de là, l'assentiment de mon groupe.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Dommage !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. J'observe d'ailleurs que, le 20 novembre dernier, un enseignant sur deux s'est mobilisé contre ce projet de budget.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Ce n'est pas vrai !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous nous parlez de « qualitatif ». Je vois surtout, pour ma part, du quantitatif. Et encore, en baisse !

Selon vous, les 11 200 suppressions de postes ne seraient qu'une goutte d'eau au regard des 1 2000 000 enseignants ; on pourrait faire mieux en donnant moins, et le problème se limiterait à une « rationalisation de l'offre pédagogique ».

Je rappelle que, depuis 2003, 35 000 postes ont été supprimés dans l'éducation nationale, et tous les éducateurs soulignent le manque d'encadrement par des adultes.

Avec ce projet de budget pour 2008, les collèges et les lycées paient un lourd tribut, puisqu'ils connaissent une diminution de 6 700 emplois. Quant à l'annonce d'une augmentation de 700 postes dans le premier degré, elle ne correspond en fait, si l'on y regarde de plus près, qu'à un solde de 310 emplois, compte tenu de la baisse de 670 postes proposés au concours.

En réalité, nous nous trouvons dans une situation de sous-recrutement, qui a posé des difficultés à la rentrée de 2007, à tel point que le recours aux listes complémentaires a été quatre fois plus important qu'en 2006. L'académie d'Amiens a même dû convoquer à nouveau le jury, la liste complémentaire étant épuisée.

Les personnels administratifs ne sont pas mieux lotis puisqu'ils connaissent une baisse de 1 000 emplois, chiffre qui s'additionne aux 2 000 emplois déjà supprimés au cours des cinq dernières années.

À toutes ces mesures, il faut ajouter les effets négatifs liés à la notion de plafond d'emplois qui, articulée au principe de la fongibilité asymétrique, conduit à ne pas recourir forcément à l'intégralité des effectifs budgétés et joue, au final, le rôle négatif de compresseur d'effectifs.

La même logique du « moins » est en jeu pour tous les crédits pédagogiques. On peut même parler de chute libre en préélémentaire. Après le recul net de la scolarisation dès l'âge de deux ans, c'est maintenant l'école maternelle qui est sur la sellette : l'absence d'indicateur de performance sur le sujet en dit long sur vos priorités.

Il serait grave de considérer la maternelle comme une variable d'ajustement budgétaire. Ces premières années sont en effet importantes pour la socialisation et pour l'acquisition du langage et des codes, gages d'insertion et de réussite en primaire.

La même logique s'applique également aux dépenses de formation, qui diminuent dans le premier et le second degré.

Quelle contradiction avec la nécessité de construire une école qui s'attaque aux sources de l'échec !

Cette école-là a besoin de personnels disposant d'acquis disciplinaires et de compétences professionnelles remises à jour pour tenir compte des acquis de la recherche pédagogique.

Aux enseignants qui demandent à travailler mieux et autrement, vous répondez par la généralisation des heures supplémentaires ! Or l'engagement, particulièrement remarquable, du corps enseignant ne s'arrête pas à la salle de classe. Il se traduit aussi par le déploiement bénévole de conseils et d'actions auprès des élèves. C'est ce qui caractérise la culture du service public de l'éducation, culture que le dispositif des heures supplémentaires, institutionnalisées comme un mode de gestion, risque de briser.

En ne répondant pas au défi fondamental d'acquisition et d'élévation des connaissances et des qualifications pour tous, ce budget ne permet ni de préparer l'avenir ni de s'attaquer aux inégalités.

Les nouvelles mesures que vous présentez - quinze jours de stage de remise à niveau et deux heures de soutien après la classe - se situent dans la même logique que les dispositifs précédents. Il s'agit d'externaliser les causes et le traitement de l'échec pour colmater les brèches plutôt que de s'attaquer vraiment au problème.

La gravité de la situation, le gâchis engendré et les menaces qui pèsent sur l'avenir ne doivent pas nous échapper. Chaque année, près de 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans aucune formation.

L'explosion des savoirs et la révolution de l'information ouvrent des perspectives radicalement nouvelles pour le développement des aptitudes humaines et la progression de l'humanité. Les métiers s'intellectualisent et requièrent toujours plus de qualifications.