compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures quinze.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Conseil européen du 14 décembre 2007

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen du 14 décembre 2007.

Avant de donner la parole à M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes, je voudrais me féliciter une nouvelle fois avec vous, mes chers collègues, que l'organisation d'un débat préalable au Conseil européen soit devenue une tradition de notre assemblée.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de le souligner M. le président Christian Poncelet, je me félicite de l'occasion qui nous est donnée, comme avant chaque Conseil européen, de débattre des affaires européennes.

La semaine qui s'ouvre est marquée par trois événements européens importants : aujourd'hui, la proclamation de la Charte des droits fondamentaux ; demain, la signature du traité de Lisbonne ; après-demain, la réunion du Conseil européen. Je vais revenir sur ces trois événements.

Je me rends à Strasbourg, dès l'issue de notre débat, pour participer à la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Avec ce texte, l'Union européenne affirme haut et fort ses valeurs en leur donnant pleine force juridique grâce au traité de Lisbonne. Elle disposera ainsi de la déclaration des droits la plus complète et la plus moderne au monde.

Cette Charte garantira notamment la dignité humaine, la protection des données personnelles, des droits en matière de bioéthique, tels que l'interdiction de vendre des parties du corps humain ou l'interdiction de l'eugénisme et du clonage reproductif, mais également de nombreux droits sociaux, notamment l'accès aux services d'intérêt économique général ou la protection contre les licenciements injustifiés.

Nous avons déjà longuement parlé du traité de Lisbonne. Il adapte les institutions de façon efficace dans le cadre d'une Union européenne qui compte désormais 27 membres.

Ce traité sera ratifié par voie parlementaire, car il ne comporte pas de dispositions d'ordre constitutionnel, mais adapte les traités existants. Il représente une étape importante dans l'histoire de l'Union européenne, qui, sans ce traité, serait encore uniquement centrée sur le développement du marché intérieur. C'était le principal risque lié à la panne institutionnelle que nous avons connue.

Ce traité est un moyen et non une fin en soi : il nous donne les instruments pour développer de nouvelles ambitions et traiter les défis de l'avenir, comme la gestion des migrations, la sécurité énergétique, le développement durable, la recherche, l'espace et le renforcement des capacités européennes de défense, autant d'éléments nouveaux qui pourront connaître des avancées significatives. Il permet également de développer des coopérations renforcées dans le domaine de la défense ou de la politique extérieure, notamment pour nos relations avec nos voisins méditerranéens. Grâce à ce traité, nous pouvons unifier la Méditerranée tout en veillant à la solidarité européenne. Je le répète devant vous, toutes les bonnes volontés seront nécessaires pour relever ce défi.

Cinquante ans après la signature du traité de Rome, l'espérance européenne est donc de nouveau présente. Cet instrument efficace permettra d'organiser une Union européenne de 500 millions d'habitants. Comme vous le savez, nous souhaitons que la France figure parmi les premiers États à procéder à la ratification de ce traité, qui devrait pouvoir intervenir au début de l'année 2008, si vous le décidez. Le Conseil européen devrait donner mandat à la présidence slovène et à la présidence française pour préparer l'entrée en vigueur du nouveau traité.

Le Conseil européen du 14 décembre comportera trois volets essentiels que je vous présenterai brièvement, avant de répondre à vos questions.

Le premier volet portera sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux. Ce Conseil européen fournira d'abord l'occasion de remettre en perspective les avancées récentes, qui ne sont pas minces. Un certain nombre de projets concrets ont progressé ces dernières semaines : je pense à Galileo et aux initiatives technologiques conjointes. Mandat sera également donné à la présidence de préparer le Conseil européen de mars prochain, consacré à la « stratégie de Lisbonne », qui devrait adopter des conclusions importantes, notamment en ce qui concerne le développement des PME, avec la mise en place d'un Small Business Act, si vous voulez bien excuser cet anglicisme...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. On le comprend !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ... mais il exprime bien ce que nous voulons réaliser. Le Conseil européen de mars 2008 devra également poursuivre la modernisation du grand marché intérieur, en lien avec les travaux sur les services d'intérêt général auxquels nous sommes tous attachés, et développer des orientations relatives aux politiques d'inclusion active sur le marché du travail, en pleine cohérence avec l'action conduite par le Gouvernement, notamment sur la base des propositions de mon collègue Martin Hirsch.

Enfin, un mandat sera donné à la Commission pour préparer un agenda social, en vue de la présidence française de l'Union européenne, portant sur la mobilité des travailleurs, sur le développement de la santé et de la sécurité au travail, sur l'égalité des chances et la lutte contre toutes les formes de discrimination et sur l'expression de solidarités concrètes, notamment en faveur de la mobilité des jeunes dans le cadre du programme Erasmus.

Une déclaration sur la mondialisation sera annexée aux conclusions du Conseil : elle fera droit à un certain nombre de nos priorités et de nos revendications, notamment une meilleure maîtrise de la mondialisation grâce à l'affirmation du multilatéralisme et des intérêts de l'Europe, la nécessité de fonder les relations économiques sur des bénéfices réciproques, l'attention portée à la stabilité financière internationale et le renforcement de l'aide au développement, qui sera accrue pour atteindre les objectifs dits du Millénaire.

Le deuxième volet du Conseil européen du 14 décembre concerne les politiques de sécurité et de justice. À cet égard, je voudrais signaler un élément important à l'attention de votre Haute Assemblée : l'élargissement de la zone Schengen à neuf nouveaux États membres interviendra le 21 décembre 2007. La zone Schengen comptera ainsi 23 membres, et sans doute bientôt 25, grâce aux accords qui seront signés avec la Suisse et le Liechtenstein en 2008. Elle devient une zone de liberté de circulation de 3,6 millions de kilomètres carrés, la plus vaste au monde, tout en étant sécurisée grâce aux mesures de coopération policière et au système d'information de Schengen, basé à Strasbourg.

Ce Conseil européen traitera également du renforcement des capacités européennes en matière de protection civile et de l'établissement de nouveaux principes dans la gestion équilibrée des migrations, en développant les accords entre les États membres de destination et les États membres d'origine. Une conférence euro-africaine sur les migrations devrait être organisée pendant la présidence française.

Le troisième et dernier volet du Conseil européen aura trait aux relations extérieures. Je répondrai bien sûr à vos questions sur ces sujets délicats. Je souhaiterai simplement m'attarder sur les Balkans, et rappeler que tous les pays de cette région se sont vu offrir une perspective européenne et que leur avenir est dans l'Union européenne.

En ce qui concerne le Kosovo, nous regrettons que les négociations n'aient pas permis d'aboutir à un accord entre Serbes et Albanais kosovars. Il faudra juger l'unité de l'Union européenne sur sa compétence et sa capacité à consolider la stabilité régionale. C'est sur ce sujet que l'Union devra se montrer unanime !

Le Conseil européen devra également encourager la Serbie à progresser dans son rapprochement avec l'Union européenne, ce qui suppose, de sa part, une coopération pleine et entière avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. La signature d'un accord de stabilisation et d'association avec ce pays, qui a aussi vocation à devenir candidat à l'adhésion, devra intervenir le plus rapidement possible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'Europe est de nouveau en marche. La sortie rapide du blocage institutionnel est à mettre au crédit des présidences allemande et portugaise qui ont joué un rôle fondamental. L'implication du Président de la République a également joué un rôle important, elle s'est manifestée par une coopération franco-allemande déterminante, je vous l'ai déjà dit. Depuis six mois, la relance de l'Europe institutionnelle est intervenue avec la mise au point du traité et plusieurs dossiers industriels et stratégiques majeurs ont été débloqués, je pense à EADS et à Galileo.

Il convient également de souligner que ce Conseil européen sera déterminant pour l'avenir de l'Union européenne. En effet, le groupe de réflexion restreint que nous avons souhaité réunir devrait être mis en place pour présenter des propositions aux chefs d'État sur notre projet européen à l'échéance 2020-2030, sur une meilleure définition des valeurs européennes et sur l'approfondissement des relations de l'Union européenne avec ses citoyens, mais aussi ses voisins et ses partenaires. Bref, il lui appartiendra d'indiquer quel acteur global sera l'Europe du xxie siècle.

Sur tous les dossiers clés de l'agenda communautaire, la France se prépare à jouer un rôle moteur, durant sa présidence, pour nourrir cette dynamique nouvelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean François-Poncet.

M. Jean François-Poncet, en remplacement de M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen du 14 décembre prochain s'ouvrira sous d'heureux auspices. En effet, depuis un an, l'Europe a beaucoup progressé. Le traité réformateur aura été signé la veille à Lisbonne et on peut espérer qu'il sera ratifié par l'ensemble des signataires avant la fin de 2008.

La France pourra compter sur le bon vouloir de la Commission européenne, à laquelle le Président de la République a eu la très bonne idée de tendre la main au lieu de s'opposer à elle, comme la France en avait la regrettable habitude.

Les sympathies que le Président de la République s'est acquises auprès des nouvelles démocraties d'Europe de l'Est complèteront utilement la relation, pas toujours facile mais qui doit rester privilégiée, avec l'Allemagne. N'oublions jamais que l'entente entre les deux pays est l'axe central de la construction européenne.

En outre, le projet Galileo, élément essentiel à la présence de l'Europe dans l'espace, semble enfin tiré d'affaire, EADS a été remis sur la bonne voie et l'aire de libre circulation créée par les accords de Schengen s'est élargie ou s'élargira à de nouveaux États membres.

Ces progrès ouvrent un vaste champ aux initiatives de la présidence française de l'Union européenne, qui débutera en juillet de l'année prochaine.

Cependant, il y a des problèmes, monsieur le secrétaire d'État, qui n'attendront pas jusque-là, en particulier celui du Kosovo, dont le Conseil européen ne pourra pas ne pas débattre. Aucun accord n'a été trouvé avec la Serbie et la Russie, et le gouvernement kosovar ne cache pas qu'il a la ferme intention de proclamer l'indépendance de la province, proclamation qui peut être retardée, mais qui, même si c'est le cas, interviendra au plus tard dans les premiers mois de 2008.

Cela pose un certain nombre de questions, monsieur le secrétaire d'État.

Tout d'abord, la France a-t-elle l'intention de reconnaître l'indépendance du Kosovo ?

Ensuite, sur quelle base juridique reposera l'indispensable présence des soldats de l'OTAN si, comme tout l'indique, le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies est paralysé par un veto russe ?

Enfin, les pays européens se diviseront-ils sur cette question ? Je comprends que ce sera le cas. Ceux dont l'unité est menacée par des mouvements irrédentistes, comme l'Espagne, parmi d'autres pays, ne reconnaîtront pas l'indépendance du Kosovo, craignant qu'elle ne fasse figure de précédent. On peut juger ces réactions légitimes. Mais, si l'Europe est incapable de s'unir à propos d'un sujet qui la concerne aussi directement que le Kosovo, comment peut-elle espérer construire une politique étrangère commune ?

Ce sont autant de questions, monsieur le secrétaire d'État, sur lesquelles nous souhaiterions bénéficier de vos lumières.

J'évoquerai maintenant brièvement la préparation de la présidence française de l'Union européenne.

La France exercera la dernière des présidences semestrielles de l'Union européenne. Pour cette raison, cette présidence aura un caractère stratégique. Notre pays aura la possibilité de peser sur la configuration des institutions nouvelles créées par le traité réformateur - peut-être faudrait-il dorénavant parler du traité de Lisbonne ? - et qui se mettront en place au début de 2008.

Nous verrons alors prendre forme la présidence durable du Conseil européen, et le Haut Représentant pour la politique étrangère et la défense aura un rôle accru. Que pouvez-vous nous dire des intentions de la France concernant ces institutions ?

Par ailleurs, les initiatives que prendra la France orienteront la façon dont l'Union européenne abordera les problèmes auxquels elle se trouvera confrontée après la mise en oeuvre du traité. Or ces problèmes sont précisément de ceux auxquels l'opinion publique s'intéresse le plus directement : je pense bien entendu à l'immigration et à la sécurité, aux perspectives budgétaires de l'Union européenne et à la place que celles-ci réserveront à la politique agricole commune, aux relations entre l'OTAN et l'Union européenne, qu'il est urgent de clarifier, à la politique européenne de l'énergie et à la lutte contre le réchauffement climatique, domaine dans lequel l'Union européenne peut et doit montrer la voie à la communauté internationale.

Monsieur le secrétaire d'État, mettre les vingt-sept États membres d'accord sur de réelles avancées, alors que la durée utile de la présidence française n'excédera pas quatre mois, en raison des vacances d'été, tiendra du tour de force. (M. Alain Gournac approuve.)

Cela est d'autant plus vrai que les opinions publiques ne nous pardonneraient pas de nous contenter de projets timides, alors que nous devrons, dans le même temps, veiller à ne pas compliquer, par des initiatives trop audacieuses, la tâche des gouvernements britannique et danois, qui seront occupés à faire ratifier le traité réformateur par des parlements et des opinions publiques quelque peu rétifs.

Les obstacles à surmonter seront donc à la mesure de nos ambitions, qui sont grandes.

Quant aux questions que les citoyens se posent sur l'avenir à plus long terme de l'intégration européenne, la présidence française n'aura évidemment pas le temps d'en traiter. Toutefois, elles ont été posées avec trop d'insistance, lors du débat ayant précédé le référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, pour que l'on puisse durablement les ignorer.

À cet égard, je suis heureux que le Président de la République ait pris l'initiative de proposer que ces questions soient examinées par ce qui devait être un « comité des sages » mais qui est devenu, semble-t-il, un groupe de réflexion. Je voudrais savoir, monsieur le secrétaire d'État, si les travaux de ce groupe de réflexion, lorsque celui-ci aura publié son rapport, quelque deux années après sa mise en place, permettront vraiment d'ouvrir un débat, que l'opinion attend, sur les frontières de l'Union européenne, dont certains de nos partenaires ne veulent pas entendre parler.

Monsieur le secrétaire d'État, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vous souhaite énergie et succès dans l'accomplissement de votre haute et difficile mission, qui, si elle réussit, pèsera lourd dans l'histoire de l'intégration européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen du 14 décembre prochain est important à plus d'un titre, mais il convient surtout de souligner, pour s'en féliciter, qu'il prend acte de l'accord intervenu sur le traité de Lisbonne mettant fin à une période d'incertitude politique gravement préjudiciable à la construction européenne.

L'engagement sans faille du Président de la République, depuis son élection, aux côtés des présidents des autres États membres de l'Union européenne a permis d'aboutir à un texte d'équilibre. Il est important que désormais la France montre l'exemple et que le Parlement ratifie ce nouveau traité dans des délais rapides. L'examen de ce texte aura donc lieu en janvier prochain et le Congrès se réunira le 4 février 2008.

À propos des autres sujets à l'ordre du jour de ce Conseil européen, je souhaite insister sur deux points qui intéressent la commission des affaires économiques : la stratégie de Lisbonne et les questions relatives au changement climatique.

Le Conseil européen doit faire le bilan des travaux préparatoires et lancer le prochain cycle des lignes directrices intégrées de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, qui doivent être approuvées par le Conseil européen du printemps de 2008.

À ce stade, il m'apparaît important de réaffirmer toute l'actualité de ce processus, qui recouvre l'ensemble des objectifs et des moyens dont s'est dotée l'Europe pour devenir, à l'horizon de 2010, « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».

Après des débuts que l'on peut qualifier de décevants, faute d'une gouvernance adaptée et en raison de la multiplicité des objectifs affichés, le recentrage opéré au printemps de 2005 a permis de relancer efficacement le processus, qui demeure un cadre de référence pertinent.

En effet, l'Europe doit relever le défi de la mondialisation, par la pleine mobilisation de ses ressources en travail, par des investissements accrus en matière de recherche et de développement, par des efforts dans le domaine de l'éducation et de la formation et par le développement des petites et moyennes entreprises.

En vue d'atteindre un taux de croissance de 3 %, l'objectif d'un taux d'emploi de 70 % et celui d'une part de 3 % des dépenses de recherche et développement dans le produit intérieur brut ont été confirmés.

Le président Barroso a réaffirmé, à juste titre, la volonté de l'Union européenne de progresser dans sept domaines d'action prioritaires pour répondre au défi de la mondialisation. Je citerai, à titre d'exemples, l'adaptation du marché intérieur au XXIe siècle, la défense des intérêts de l'Europe dans la mondialisation ou encore la promotion de nos normes sur le plan mondial.

Dans ce contexte, je me félicite de la volonté affichée par le Gouvernement d'inscrire notre programme de réformes à l'échelle nationale dans les objectifs de la stratégie de Lisbonne. Cette nouvelle convergence est un signe tangible du « retour de la France en Europe ».

Si la France a pu enregistrer quelques retards, les années passées, en matière tant de performances économiques que de respect du rythme des réformes à engager, je crois que les orientations adoptées ces derniers mois vont permettre de tourner la page.

Il en est ainsi des mesures assouplissant les règles du marché du travail, de la réforme des universités, des efforts en faveur de la recherche au travers de la réforme du crédit d'impôt recherche, ou encore de l'assainissement des finances publiques.

Il est également très positif que le Parlement soit étroitement associé au suivi de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne au plan national. Ainsi, la commission des affaires économiques du Sénat vous a entendu à ce sujet, monsieur le secrétaire d'État, le 22 novembre dernier, et nous sommes destinataires du rapport annuel de suivi du programme national des réformes établi pour 2005-2008, ce qui permet de rester mobilisés autour des objectifs à atteindre et des moyens d'y parvenir.

Pour l'avenir, je souhaite qu'un dialogue fructueux s'établisse avec le Gouvernement en 2008 s'agissant de l'actualisation des lignes directrices de la stratégie pour la période 2008-2011.

La Commission européenne a confirmé les quatre axes stratégiques suivant lesquels l'Union européenne doit progresser : la recherche et l'innovation, l'éducation et la formation, l'environnement des entreprises et, enfin, le changement climatique.

C'est sur ce dernier thème que je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, dire quelques mots, compte tenu de son actualité à l'échelle mondiale.

En effet, la conférence annuelle de l'ONU sur le changement climatique qui se déroule en ce moment même à Bali est l'occasion, tout à la fois, de faire le bilan de l'application du protocole de Kyoto, signé voilà tout juste dix ans, et surtout de définir le cadre des négociations pour l'après 2012.

Selon les uns, le bilan est très insuffisant, alors même que l'objectif fixé était limité. L'engagement portait, pour les pays signataires, sur la réduction du volume des rejets de gaz carbonique à hauteur de 5,2 % d'ici à 2012, par rapport au niveau de 1990. Or la baisse enregistrée pour l'Union européenne est très largement due aux difficultés économiques des anciens pays de l'Est. Surtout, les deux principaux émetteurs de gaz carbonique, les États-Unis et la Chine, n'ont souscrit aucun engagement de réduction. On peut également s'inquiéter du fait que l'aviation internationale, dont les émissions ont crû de 83 % entre 1990 et 2005, ne soit pas concernée par le protocole de Kyoto.

Mais, au-delà de ces chiffres, je souhaite souligner la dynamique vertueuse enclenchée par le protocole de Kyoto et le consensus qui se dégage, à l'échelon mondial, sur les enjeux du changement climatique.

Le climat est désormais reconnu comme un bien public global, dont la gestion doit être assurée au niveau planétaire. Le rapport de sir Nicholas Stern, l'ancien économiste en chef de la Banque mondiale, rendu public en octobre 2006, souligne les effets désastreux que l'inaction aurait sur l'activité économique et sociale, en faisant valoir que les pays les plus pauvres risquent d'être les premiers et les plus durement touchés. Le laisser-faire pourrait coûter jusqu'à 5 % du PIB mondial chaque année, alors qu'agir pour réduire les gaz à effet de serre suppose une dépense annuelle limitée à 1 % environ du PIB mondial.

Comme l'indique le rapport Stern, il ne s'agit plus d'avoir à choisir entre éviter le changement climatique et promouvoir la croissance et le développement. Bien au contraire, il faut encourager les mutations de nos systèmes économiques, à travers la promotion de nouvelles technologies sobres en carbone, afin de pérenniser les perspectives de croissance tant des pays riches que des pays pauvres.

Le dernier rapport publié par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat confirme cette analyse en indiquant que l'on peut agir contre le réchauffement climatique avec des moyens relativement peu coûteux qui favoriseraient la croissance.

L'Union européenne s'affiche en position de leader pour entraîner le reste du monde sur le chemin d'une croissance vertueuse. La France s'inscrit dans cette dynamique, comme l'a affirmé le Président de la République lors de la conclusion du « Grenelle de l'environnement ». Rappelons que, pour la période après 2012, les vingt-sept États membres ont décidé de se fixer un objectif de réduction de 20 % de leurs émissions, objectif qu'ils proposent de porter à 30 % si un accord international est trouvé sur cette période.

Je mesure, à sa juste valeur, toute la difficulté qu'il y a à conduire une négociation globale, alors même que vingt pays concentrent 80 % des émissions et que les impacts négatifs de ces émissions vont frapper principalement les pays pauvres.

Il est donc impératif de progresser sur plusieurs thèmes et principalement sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre, les transferts de technologies et l'aide aux pays pauvres pour s'adapter au changement climatique.

Quant aux moyens à mettre en oeuvre dans le cadre d'un accord international, il convient d'en proposer plusieurs, à employer de manière pragmatique.

Il en est ainsi du mécanisme, défendu par la France, d'ajustement aux frontières taxant le contenu en C02 des importations provenant de pays hors protocole de Kyoto, ou encore de la mise en place d'un système international d'échange des droits d'émission de carbone. Il faut aussi innover pour lutter contre la déforestation, responsable de 20 % des émissions de carbone, - pourquoi pas ? - par un mécanisme de compensation pour dédommager les pays qui préserveraient leurs forêts. Enfin, une piste de réflexion à privilégier porte sur la conclusion d'accords sectoriels - sur le ciment, l'aluminium, ou encore l'acier - dans lesquels les pays émergents pourraient accepter de s'engager à limiter leurs émissions.

Les enjeux, au niveau mondial, de la lutte contre le changement climatique, me conduisent tout naturellement à plaider une nouvelle fois encore pour le nécessaire renforcement de la gouvernance mondiale en matière d'environnement.

C'est pourquoi la commission des affaires économiques soutient sans réserve la position de la France et de l'Union européenne sur la création de l'Organisation des Nations unies pour l'environnement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les deux aspects les plus marquants de la réunion du Conseil européen seront, sans nul doute, la signature du traité de Lisbonne et la position prise sur le Kosovo.

Il n'est d'ailleurs pas difficile d'établir un lien entre ces deux aspects.

Lorsque la guerre a éclaté dans l'ex-Yougoslavie, il y a plus de quinze ans, je me souviens de ce que me disaient la plupart des Alsaciens : « Que fait l'Europe ? Où est l'Europe ? »

De fait, à l'époque, les Européens n'avaient ni une volonté commune, ni une analyse partagée, ni les moyens de décision et d'action qui auraient été nécessaires. Et, malgré la présence européenne sur le terrain, c'est de l'extérieur de l'Europe qu'est venue en grande partie la solution. Ce ne serait sans doute plus vrai aujourd'hui. Les États-Unis ont d'autres centres d'intérêt et de préoccupation.

Les choses ont changé. La crise irakienne a certes montré que, devant un choix décisif, l'Europe pouvait se diviser profondément. Malheureusement, comme on le dit en Alsace, « l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». Il n'en reste pas moins que la construction européenne, en matière d'action extérieure et de défense, a considérablement progressé depuis quinze ans.

Cette évolution a été rythmée par les traités successifs : le traité de Maastricht a mis en place la politique étrangère commune ; le traité d'Amsterdam a renforcé le rôle du Conseil européen et institué le haut représentant ; le traité de Nice a institutionnalisé le comité politique et de sécurité et transféré à l'Union les structures et moyens de l'Union de l'Europe occidentale.

Sur ces bases, la politique européenne de sécurité et de défense n'a cessé de se développer au cours des dernières années : elle est aujourd'hui une réalité concrète, puisque l'Union s'est montrée capable de conduire des opérations sur différents théâtres. Le traité de Lisbonne va considérablement renforcer les instruments d'action de l'Europe en matière de politique étrangère et de défense.

Si j'ai rappelé cette évolution, c'est parce que, face à la question du Kosovo, l'Union européenne devra assumer de lourdes responsabilités. Malgré les progrès accomplis, serons-nous capables d'y faire face ? Nous devons bien mesurer quel est l'enjeu pour la construction européenne. Une question comme celle du Kosovo est l'une de celles pour lesquelles nous avons voulu construire l'Europe. Si nous échouons, si nous nous enlisons, ce sera un échec pour l'idée européenne elle-même.

Cela suppose, tout d'abord, une réelle communauté de vues. À l'approche du Conseil européen, il semble que l'on progresse en ce sens. Mais pourrons-nous maintenir cette communauté de vues dans la durée, en acceptant toutes les conséquences du choix initial ?

Nous le voyons bien, nous nous acheminons à brève échéance vers une forme d'indépendance du Kosovo. Pendant une certaine période, ce ne sera sans doute pas une indépendance pleine et entière - nous manquons d'un Edgar Faure pour trouver le mot qui conviendrait -, mais les frontières de la Serbie auront de facto été modifiées.

Nous serons dans un cas de figure inédit. Certes, la carte de l'Europe d'aujourd'hui n'est plus celle qui résultait de la Seconde Guerre mondiale. L'Allemagne a retrouvé son unité, tandis que plusieurs ensembles fédéraux ont éclaté. Mais l'unité allemande s'est faite sans changement des frontières, et lorsque des fédérations ont éclaté, les frontières des entités fédérées ont toujours été respectées.

Bien sûr, nous affirmons haut et fort que le cas du Kosovo ne pourra en aucun cas servir de précédent. Mais il nous faudra beaucoup de force de conviction pour le faire admettre.

Paradoxalement, le type d'indépendance dont va bénéficier le Kosovo ne nous facilitera pas la tâche sur ce point. Il y a plus d'un territoire en Europe qui aspire, plus ou moins clairement, à une quasi-indépendance plus encore qu'à une indépendance pleine et entière. Prenons garde que les vocations à ce type d'indépendance ne viennent à se multiplier.

M. le président. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. J'espère que nous saurons décourager cette tentation, car il serait paradoxal que la construction européenne, faite pour unifier, ne conduise finalement à des séparations supplémentaires.

Le risque est d'autant plus grand que nos règles institutionnelles encouragent la balkanisation. Nous avons reconnu la vocation à l'adhésion de tous les États issus de l'ex-Yougoslavie, qui seront finalement sept. Or, ces sept États auront, au sein de l'Union, un poids sans commune mesure avec celui qu'aurait eu une Yougoslavie unie. Ainsi, une Yougoslavie unie aurait eu 37 ou 38 sièges au Parlement européen ; les sept États successeurs en auront au total plus du double, plus par exemple que la France ou le Royaume-Uni. Et que ce soit au Conseil européen, à la Commission, à la Cour de justice, ces mêmes États pèseront sept fois plus que n'aurait pesé une Yougoslavie unie. À l'encontre du proverbe, la division fait la force !

Il est vrai qu'il s'agit là de problèmes pour le long terme. Mais, à court terme, des difficultés redoutables risquent d'apparaître. Comment les Serbes du Kosovo réagiront-ils à une proclamation d'indépendance ? Serons-nous en mesure d'assurer leur sécurité, de les dissuader de choisir l'exode ? Que se passera-t-il dans la zone Nord, de peuplement serbe et contiguë à la Serbie ? Quelles seront les répercussions sur les fragiles équilibres de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine ?

À cela s'ajoute que, au Kosovo, tout reste à faire. Ce n'est pas parce qu'un nouvel État apparaît qu'il s'agit d'un État viable. Et l'on risque de rendre l'Europe responsable d'un échec. Je suis allé au Kosovo à plusieurs reprises, je sais donc de quoi je parle.

Il est vrai que le traité de Lisbonne, comme je l'ai déjà indiqué, apporte de nouveaux instruments.

Avec la présidence stable du Conseil européen, l'institution d'un Haut représentant de l'Union, la mise en place d'un service européen pour l'action extérieure et l'attribution de la personnalité juridique, l'Union européenne aura désormais les moyens d'une action cohérente, jouant sur l'ensemble des leviers de l'action extérieure.

Cependant, il faudra du temps pour que le nouveau traité entre dans la réalité. Après son entrée en vigueur, prévue au mieux pour le 1er janvier 2009, il y aura nécessairement une période de rodage, car le traité de Lisbonne, sur certains points, laisse à la pratique le soin de trancher.

Comment vont se répartir les responsabilités entre le nouveau président stable du Conseil européen, le président de la Commission, et le Haut représentant ? Comment fonctionnera le nouveau service européen pour l'action extérieure ? Ce n'est pas dans le traité qu'on peut trouver des réponses précises à ces questions. C'est très largement la pratique qui le fera.

L'année prochaine, l'Union devra donc faire face au problème du Kosovo sans disposer de tous les instruments qu'elle a jugé nécessaire de faire figurer dans le nouveau traité. Seule une constante volonté commune pourra provisoirement les remplacer.

En conclusion, je voudrais dire quelques mots du « comité des sages », ou plutôt du « groupe de réflexion à l'horizon 2020-2030 » comme on l'appelle maintenant.

Tel qu'il est envisagé aujourd'hui, son mandat exclut les questions institutionnelles, et c'est bien. Le débat institutionnel a été tranché par le traité de Lisbonne : tâchons de faire vivre ce traité, avant de songer à revoir une fois de plus les règles de fonctionnement de l'Union.

Son mandat exclut également qu'il s'occupe de la révision des politiques communes et du futur cadre financier de l'Union : là encore, c'est justifié, car il s'agit d'un autre exercice.

En revanche, je suis quelque peu déçu que l'on souhaite, apparemment, cantonner ce groupe dans une réflexion sur l'avenir du modèle européen dans des domaines comme l'économie, la protection sociale, le développement durable, la sécurité intérieure. C'est assurément un aspect important de la question, mais il faudrait aller plus loin. C'est le sens même du projet européen qui fait problème depuis la fin de la guerre froide. Et c'est cette incertitude qui désoriente beaucoup nos citoyens. Pourquoi sommes-nous ensemble ? C'est à cette question qu'il faudrait d'abord répondre avant d'aller plus loin.

Il y a quelques semaines, le ministre des affaires étrangères britannique, David Milliband, déclarait que l'Union n'était pas et ne serait jamais une superpuissance. C'est bien là un aspect essentiel du débat : souhaitons-nous être l'un des pôles de puissance du monde globalisé, souhaitons-nous plutôt devenir une Suisse de 500 millions d'habitants, ou souhaitons-nous encore un autre modèle ?

Lorsque, il y a quarante ans ou cinquante ans, on parlait des « États-Unis d'Europe », le propos était clair : il s'agissait de construire une grande puissance à partir des puissances européennes amenuisées. Aujourd'hui, seul M. Verhofstadt ose encore employer ce terme : faut-il en conclure que ce projet est abandonné ?

Or, on ne peut pas dire que cette question n'a rien à voir avec celle des frontières de l'Europe, ou, si l'on préfère, des limites de l'élargissement. Si l'Union a vocation à réunir un jour à peu près tous les États membres du Conseil de l'Europe, sa vocation est donc celle d'une organisation régionale plus que d'un pôle de puissance. Il est même alors difficile d'expliquer pourquoi l'entreprise devrait se borner à la rive nord de la Méditerranée. Mais la philosophie de la construction européenne, est-ce uniquement de construire la plus vaste zone possible de paix et de commerce ? N'est-ce pas aussi d'incarner et de promouvoir une identité spécifique, et d'exercer une influence sur l'évolution du monde ? Sommes-nous, ou non, une civilisation ?

J'espère que le Conseil européen saura ouvrir la voie à la large réflexion qui est nécessaire. Nous n'arriverons à rien en continuant à éviter les sujets qui fâchent. Comme l'a dit le Président de la République lorsqu'il s'est exprimé à Strasbourg, il faut qu'au sein de l'Europe on soit enfin capable de parler de tout.

Monsieur le secrétaire d'État, parlons-en donc, et bon courage ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)