M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les interventions du président de la commission des affaires étrangères, du président de la commission des affaires économiques et du président de la délégation pour l'Union européenne ont bien marqué que nous sommes aujourd'hui entrés dans une période nouvelle pour l'Europe.

Il fallait sortir de l'impasse dans laquelle nous étions et que personne ne pouvait nier. Rendons ici hommage au Président de la République, qui a osé dire, pendant sa campagne, qu'il fallait un traité simplifié pour redonner toutes ses chances à l'Europe.

Mesurons les avancées que le Conseil européen de juin, avec M. Nicolas Sarkozy et Mme Angela Merkel, a permises. Félicitons les Portugais d'avoir été capables de traduire dans les textes les volontés qui avaient été exprimées.

Le traité va être signé ! C'est un élément majeur, qui doit nous redonner l'espérance. L'Europe ne sera plus bloquée. Elle pourra désormais aborder les problèmes dans leur réalité, même s'ils sont parfois angoissants.

En ce qui concerne ce nouveau traité - le rapport de M. Hubert Haenel est très intéressant à ce sujet -, je soulignerai l'évolution des objectifs de l'Union, qui répond aux attentes des Françaises et des Français.

Certes, le traité prévoit des modifications de gouvernance, mais aussi un élargissement des objectifs de l'Union en matière d'économie sociale de marché, de lutte contre l'exclusion et la discrimination, de justice sociale, de solidarité entre les générations, de protection des droits de l'enfant, de cohésion territoriale, ce qui s'apparente, si je puis dire, à une révolution culturelle !

En tant que président du Comité des régions d'Europe, j'avais organisé une conférence régionale à Amsterdam avant le vote du traité. Je n'avais pas réussi à faire passer l'idée d'un nécessaire aménagement du territoire, qui n'était peut-être pas encore très bien perçue par tout le monde.

Aujourd'hui, la cohésion territoriale est affichée comme un objectif au même titre que la cohésion économique et sociale, et nécessite des équilibres dans le développement des régions en Europe. Il faut affirmer que c'est une chance et même une force pour l'Europe d'avoir des territoires qui, tous, ont vocation à aller de l'avant et à vivre.

La liste des objectifs de l'Union européenne comprend notamment la promotion du progrès scientifique et technique, pour laquelle nous avions déjà pris des engagements, le respect de la diversité culturelle et linguistique, la sauvegarde et le développement du patrimoine culturel.

Ces objectifs seront peut-être des réponses à ceux qui étaient opposés à la constitution européenne et qui n'avaient pas mesuré que de telles avancées étaient possibles. Cela sera fait demain lorsque le traité sera signé. On ne peut que s'en féliciter et s'en réjouir.

Avec ce traité, l'Europe se donne les moyens non pas de régler toutes les difficultés, mais au moins de les aborder avec l'espoir d'apporter des solutions.

MM. Hubert Haenel et Jean François-Poncet ont évoqué la question, qui nous interpelle tous, du Kosovo et des Balkans. Il s'agit incontestablement de l'un des problèmes majeurs d'équilibre sur le continent européen.

Aujourd'hui, parce que nous avons tourné une page grâce à ce traité, je ne dis pas que nous pourrons régler le problème du Kosovo, mais nous pourrons l'examiner en ayant plus de chances d'être efficaces. On s'aperçoit ainsi - je le dis à l'intention de ceux qui l'avaient peut-être oublié - que l'Union européenne est une exigence pour assurer la stabilité et la paix. Sans une intervention européenne forte, personne ne peut écarter l'hypothèse d'un drame, avec toutes les conséquences qu'il pourrait entraîner. L'Union européenne s'est donc donné les moyens de mieux répondre aux attentes des uns et des autres.

J'évoquerai maintenant la politique de voisinage, qui est reprise dans le traité, et dont on ne parle pas beaucoup, en tout cas pas assez. Or cette démarche importante, qui permet à l'Europe d'aller vers les pays voisins, implique qu'il y ait des frontières. Or l'Europe s'est interdit jusqu'à présent d'en fixer. À cet égard, M. Barroso a indiqué à Lisbonne, lors de la réunion des commissions des affaires étrangères des parlements de l'Europe, que chaque génération définissait des frontières et qu'il ne fallait donc pas anticiper sur ce que feraient les générations futures, sous réserve - et M. Haenel l'a rappelé - que soit bien définie la finalité de l'Union européenne. Les réponses ne sont pas toutes identiques, car l'Europe se cherche.

Un comité restreint, le comité des sages, sera chargé de définir un projet global européen et, libéré des aléas et des contraintes immédiates, de donner un grand dessein européen, qui doit être reformaté et perceptible par les uns et par les autres.

Le rôle de ce comité sera-t-il bien de définir la grande espérance européenne ? Dans une société qui se cherche, où il est difficile d'avoir des repères notamment spirituels, qui a besoin de retrouver une éthique et un environnement naturel répondant à l'attente des hommes, comme en témoignent les démarches visant à lutter contre les effets du réchauffement climatique ou à favoriser le développement durable, les femmes et les hommes sont en quête. Le comité restreint pourra-t-il leur apporter une réponse ?

Enfin, comment le Conseil européen abordera-t-il la question du projet de l'Union méditerranéenne ? Il n'y a pas d'opposition entre l'Union méditerranéenne et le processus de Barcelone, entre la mise en oeuvre de la politique de voisinage et la volonté de créer une nouvelle capacité d'action et de partenariat entre l'ensemble des pays de la Méditerranée. À mes yeux, l'Union européenne et l'Union méditerranéenne sont complémentaires. L'Union méditerranéenne est un plus par rapport à Barcelone et à la politique de voisinage.

Le projet d'Union méditerranéenne répond en tous les cas à une ambition très forte, que le Président de la République a eu l'intelligence, le courage et la volonté de porter. Nous partageons cette ambition, qui, je l'espère, mobilisera les énergies, tant au nord qu'au sud de la Méditerranée.

Nous vivons un moment formidable. Certes, il y a des interrogations, mais, grâce à votre action, monsieur le secrétaire d'État, et à celle du Président de la République, l'Europe est sortie de l'impasse et peut répondre à nos espérances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la veille de la signature par les chefs d'État et de gouvernement du traité modificatif, force est de constater que la stratégie censée relancer la construction européenne consiste à contourner les problèmes en déclarant les avoir résolus !

Quels enseignements les dirigeants européens ont-ils tirés du rejet du traité constitutionnel par les Français et les Néerlandais en 2005, monsieur le secrétaire d'État ? Ils ont tous simplement essayé de faire passer ce « non » pour un incident de parcours, de le nier, de l'effacer, comme si de rien n'était. Surtout, les dirigeants européens ont décidé une reprise en main loin des peuples, ce qui s'est traduit très clairement dans la méthode choisie pour élaborer le traité de Lisbonne.

Tout est allé très vite, comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne : « Il s'agit sans doute de la Conférence intergouvernementale la plus courte de l'histoire de la construction européenne. Les délais d'élaboration du traité ont été particulièrement rapides entre mai 2007 et mi-octobre ».

En effet, après l'échec de la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe, la relance de l'Union européenne a été décidée en contournant les peuples. Les États membres ont tout orchestré sans consulter ni informer les citoyens européens.

Pour la première fois dans l'histoire des révisions des traités, la Conférence intergouvernementale a été chargée non pas d'élaborer les modifications du nouveau traité, mais simplement de « retranscrire » les principes et règles arrêtés par les chefs d'État et de gouvernement réunis lors du Conseil européen de Bruxelles les 21 et 22 juin 2007.

Autrement dit, monsieur le secrétaire d'État, après l'échec de la constitution européenne, les dirigeants européens ont décidé d'abandonner l'expérience qui avait été mise en place pour l'élaboration du traité constitutionnel européen. Je rappelle qu'une Convention sur l'avenir de l'Europe avait élaboré le projet de constitution européenne. L'originalité de la méthode conventionnelle résidait dans sa mixité organique : des membres des parlements nationaux et européens côtoyaient les représentants des exécutifs nationaux et de la Commission européenne.

Les dirigeants européens ont pourtant opté pour le retour à la méthode intergouvernementale, totalement opaque, caractérisée par des négociations à huis clos, sans représentation des institutions démocratiques que sont les parlements.

Sans surprise donc, la Conférence intergouvernementale et le sommet de Lisbonne ont donné lieu à des marchandages interétatiques, qui se sont faits au détriment de la défense de l'intérêt général européen. Les tractations pour obtenir un siège supplémentaire au Parlement européen, un poste d'avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes ou encore pour se voir accorder quelques dérogations témoignent, monsieur le secrétaire d'État, que la définition d'une grande ambition pour l'Union européenne n'est pas encore à l'ordre du jour.

Nous regrettons le renoncement des dirigeants européens à la transparence et à la simplification. Nous pouvons également mesurer les limites de leur unité pour relever les défis de la mondialisation.

Au-delà de la méthode choisie pour l'élaboration du traité, son contenu, sur lequel les chefs d'État et de gouvernement se sont mis d'accord lors du Conseil européen informel de Lisbonne des 18 et 19 octobre 2007, ne répond pas aux attentes que notre peuple a majoritairement exprimées.

Comme son nom l'indique, le traité modificatif amende les traités existants, c'est-à-dire le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne.

Pendant la campagne pour l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé qu'il ferait ratifier par voie parlementaire un « mini-traité » ou un « traité simplifié » prenant en considération les attentes des Français ayant rejeté le traité constitutionnel européen.

En fait de prétendue « simplification », le texte amoncelle les amendements apportés aux traités en vigueur avec des modifications d'articles renvoyant elles-mêmes à d'autres articles. Le nouveau traité est tout simplement illisible pour les non-spécialistes. L'ambition initiale de simplification a donc été écartée. L'illisibilité du traité rend ainsi impossible tout débat citoyen. Je ne sais pas si c'était l'objectif recherché, mais si tel est le cas, c'est un franc succès, monsieur le secrétaire d'État !

Plus précisément, comme tous les observateurs peuvent le constater, le traité de Lisbonne reprend en règle générale le contenu du traité constitutionnel. Ainsi, au lendemain du Conseil européen de juin, le principal auteur du traité constitutionnel, Valéry Giscard d'Estaing, reconnaissait que ce texte était, en fait, « le retour d'une grande partie de la substance du traité constitutionnel ».

Certes, le terme « constitution » a été abandonné, de même que la référence aux symboles, comme l'hymne ou le drapeau. En revanche, le déficit démocratique et l'orientation libérale de toutes les politiques européennes demeurent intacts.

D'un point de vue institutionnel, rien n'est fait pour combler le déficit démocratique de l'Union.

La Banque centrale européenne restera indépendante du pouvoir politique et continuera d'avoir pour seule mission de rendre crédible la zone euro aux marchés financiers.

Les pouvoirs seront toujours concentrés dans les instances non élues, comme la Commission européenne et la Cour de justice des Communautés européennes.

S'agissant de l'évolution du rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel communautaire, le traité de Lisbonne, comme le traité établissant une Constitution pour l'Europe, semble, à première vue, apporter une évolution positive, mais si faible.

Ainsi, force est de constater que les prérogatives reconnues aux parlements nationaux sont absolument insuffisantes.

Tout d'abord, rappelons que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution n'ont aucun caractère contraignant.

Ensuite, concernant l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, le protocole n° 2 annexé au traité de Lisbonne ne fait pas des parlements nationaux les nouveaux garants de son respect, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire.

En outre, la faculté reconnue aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et, en aucun cas, un pouvoir de proposition.

Par ailleurs, l'opposition peut seulement intervenir dans le cadre du Parlement national, c'est-à-dire via une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui donne un droit de veto à ce dernier quand la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas de la même couleur politique.

De surcroît, nous contestons que cette procédure ne soit pas soumise au peuple souverain. Selon nous, le recours à ces « clauses passerelles » exigerait une consultation des Françaises et des Français.

Monsieur le secrétaire d'État, le traité de Lisbonne ne change rien non plus au contenu des politiques économiques et sociales européennes. Contrairement aux déclarations de Nicolas Sarkozy, le nouveau traité reconduit la « concurrence libre et non faussée ». En effet, si la mention ne figure plus parmi les objectifs de l'Union, elle est reprise dans un protocole annexé au traité et reste la référence de toutes les politiques. Prétendre avoir fait un geste fort en faisant disparaître cette mention de la concurrence des objectifs de l'Union européenne ne constitue rien de moins qu'une simulation d'acte politique, un simulacre de rupture.

Et, comme le traité constitutionnel européen, le nouveau traité reprend intégralement le carcan du pacte de stabilité et de croissance, en enlevant aux États toute marge de manoeuvre pour conduire des politiques de croissance et d'investissements publics, sans compter que les services publics restent soumis aux règles de la concurrence.

Dans ce cadre, la lutte contre le changement climatique, qui a été évoquée ce matin, ou le renforcement du marché de l'énergie, objectifs pointés par l'Union européenne, ne pourront pas s'accomplir, monsieur le secrétaire d'État.

En effet, laisser la régulation du secteur de l'énergie aux mains des entreprises privées et des impératifs de marché de court terme place de fait les pouvoirs publics en dehors de la recherche d'une réponse aux enjeux de préservation de l'environnement et d'accès de tous à un bien universel.

Pour cette raison, nous demandons régulièrement qu'un bilan soit réalisé sur les conséquences de l'ouverture aux marchés imposée par les politiques menées par l'Union européenne.

Par ailleurs, la Charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000, qui faisait partie intégrante du traité constitutionnel européen, a été retirée du corps du texte. Le nouveau traité en fait seulement mention à l'article 6, précisant tout de même que la Charte a « la même valeur juridique que les traités ».

Un protocole annexé au traité prévoit que la Charte n'est pas applicable à la Pologne ou au Royaume-Uni, ce qui est bien regrettable.

En outre, il est rappelé que « les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union ».

De plus, la version de la Charte qui sera retenue est celle qui figure dans l'ex-projet de traité constitutionnel, dont nous savons qu'elle vide certains articles de toute substance.

Voilà comment les droits et libertés inscrits dans la Charte des droits fondamentaux sont restreints ou mis purement et simplement à l'écart.

S'agissant de la politique de sécurité et de défense commune, comment ne pas faire mention de sa subordination directe à l'OTAN ? Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 42 du traité dispose que la politique de l'Union européenne « respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord » et qu'elle est « compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». Nous contestons cette allégeance.

Permettez-moi également d'aborder brièvement les opérations extérieures. Au-delà de ce qui a été évoqué pour le Kosovo - je pense notamment au devenir de la KFOR -, nous verrons bien quelles initiatives seront prises pour assurer la sécurité des réfugiés du Darfour au Tchad, sujet qui devrait être abordé demain lors du Conseil européen. Pour ma part, compte tenu des positions des différents pays européens, notamment du Royaume-Uni et de l'Allemagne, j'ai les plus grandes inquiétudes à cet égard.

Par ailleurs, des signes clairs sont donnés pour la course à l'armement. Ainsi, selon le troisième alinéa de l'article 42 du traité, les États membres « s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ». Ce type de dispositions avait alimenté les craintes d'une dérive militariste de l'Union et consolidé le « non ». Nous restons donc sur nos positions, puisque rien n'a changé de ce point de vue.

Ce nouveau traité, dit « simplifié », est présenté comme une étape historique par certains et le Président de la République souhaite obtenir sa ratification par voie parlementaire. Or il est admis que l'essentiel du traité constitutionnel européen rejeté par les Français au mois de mai 2005 est maintenu par le traité de Lisbonne. Dès lors, comment comprendre que le Président de la République décide seul d'une ratification par voie parlementaire ?

Il s'agit là d'un choix inacceptable, qui s'apparente à un déni de démocratie. On ne peut pas ainsi revenir sur le choix des Français sans les consulter. Le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne ne sera certainement pas résorbé en contournant le peuple ou par la création d'un « comité de sages » dont le manque de légitimité démocratique traduit, au contraire, l'aggravation du fossé entre les dirigeants européens et les peuples.

Non, monsieur le secrétaire d'État, la page n'est pas tournée et les doutes ne sont pas levés sur cette construction européenne qui s'impose aux peuples ! À vouloir faire sans eux, on finit toujours par faire contre eux. C'est pourquoi nous appelons tous les parlementaires attachés à la démocratie et à une Europe fondée sur l'adhésion des peuples, qu'ils soient pour ou contre ce nouveau traité, à exiger la tenue d'un référendum !

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, chaque époque connaît ses défis.

Dans cette perspective, il nous incombe de tenter de saisir le sens éminent de l'Histoire. Face à la mondialisation des échanges et aux mutations profondes de notre environnement, la France doit désormais considérer l'Europe comme son horizon essentiel.

Dans un contexte de crise, le déblocage institutionnel constitue un préalable indispensable. L'option du traité modificatif porté par la France exprime son volontarisme. Le choix du pragmatisme institutionnel nous semble la solution, dès lors que les conditions d'une renégociation globale pour une nouvelle architecture constitutionnelle ne sont pas, et ne seront vraisemblablement plus jamais, réunies.

En outre, dans l'immédiat, la lourde procédure qu'exigerait la tenue d'une nouvelle convention pour l'avenir de l'Europe n'est plus guère possible, une ratification devant intervenir avant les échéances électorales du mois de juin 2009. La négociation doit désormais s'opérer à vingt-sept. Bon nombre des nouveaux États entrants d'Europe centrale et orientale ne veulent pas de nouvelles normes européennes. Ils sont également réticents au renforcement des politiques sociales de l'Union.

La « Constitution bis » était bien une chimère. Aujourd'hui, une ligne d'opposition à la constitutionnalisation de l'Europe, au-delà le Royaume-Uni, à qui cette tradition juridique est étrangère, comprend la Tchéquie et, dans une moindre mesure, le Danemark et la Suède.

Le choix de la ratification par voie parlementaire avait été clairement énoncé par le Président de la République dans son projet pour la France, puis scellé par l'élection. De plus, cette ratification consacre in concreto la légitimité de la représentation nationale.

Sur le fond, les choix opérés vont dans le bon sens. Le refus de l'option d'un simple abandon de la partie III du traité constitutionnel européen, au profit d'une reprise des dispositifs relatifs à l'amélioration de la codécision et du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, de même que l'agencement général des pouvoirs rendront possibles le fonctionnement à vingt-sept.

Les récents acquis sont préservés, la nature juridique contraignante de la Charte des droits fondamentaux étant entérinée par la création du poste de Haut représentant pour la politique étrangère.

Le maintien formel de deux traités ouvre les possibilités d'un approfondissement à venir des politiques européennes. Il prend en compte les réticences exprimées à l'égard d'une inscription des principes néolibéraux de libre concurrence dans le marbre institutionnel.

La politique d'intégration ne signifie pas l'Europe à tout prix, au risque d'une fracture citoyenne aux effets difficilement mesurables. Sur ce point, le « non » au projet de traité constitutionnel européen au mois de mai 2005 fait figure de piqûre de rappel très douloureuse, mais, espérons-le, salutaire.

En ce sens, le pragmatisme institutionnel ne fait pas une politique. Au-delà d'une pérennisation de l'Union européenne, le groupe du RDSE souhaite défendre les conditions d'un approfondissement du processus d'intégration.

La présidence française de l'Union doit être l'occasion de poser les termes de la réforme à venir de la politique agricole commune, la PAC, en 2009, des enjeux énergétiques et du développement durable et de l'innovation. J'y reviendrai. Un renforcement des politiques concertées est indispensable.

Deux impératifs doivent guider ces réformes : ne pas contraindre et ne pas bloquer. Les citoyens ne souhaitent pas que la supranationalité induise une perte de souveraineté, ce qui peut paraître paradoxal. Dès lors, il faut faire preuve d'habileté afin de pouvoir agencer une Europe à la carte. Une « intégration multi-niveaux » permet cette possibilité.

Une telle option est depuis longtemps choisie par certains experts. Le traité modificatif, qui maintient déjà l'existence de deux traités européens, rend possible l'édification d'un protocole social additionnel. Il permet à certains États membres de l'Union d'y échapper ou à un ensemble plus ambitieux d'« États fer de lance », inspiré de la zone euro et porteur d'une solidarité renforcée en matière de fonds de cohésion, de gouvernance économique et financière, de politique environnementale et d'innovation, de s'organiser.

Permettez-moi d'en mentionner une illustration concrète. M. Pierre Laffitte, par ailleurs président du groupe du RDSE, présidera un groupe d'experts chargé de proposer à la Commission européenne et aux États membres un mémorandum sur l'innovation fondé sur la coopération des pôles de compétitivité et des clusters européens. Ce mémorandum devrait être signé par les vingt-sept membres lors de la présidence française, à Sophia-Antipolis, les 13 et 14 novembre 2008. L'innovation constitue une des grandes priorités du programme de Lisbonne.

Mais l'intégration ne saurait se passer d'une légitimation populaire accrue des politiques engagées. Les récentes enquêtes sur les valeurs propres aux Européens, au-delà des spécificités nationales, démontrent que jamais les citoyens d'Europe n'ont été aussi proches et transnationaux dans leur rapport au politique et à l'action civique, leur exigence des droits de l'homme ou leurs principes moraux.

Le philosophe allemand Jürgen Habermas a même fait des manifestations européennes contre la guerre en Irak de 2003 la marque de l'édification d'une véritable opinion publique européenne. Cette identité européenne doit trouver sa traduction dans le renforcement du lien entre le citoyen et ses institutions. Voilà le nouveau défi politique de ce début du xxie siècle.

La légitimation de l'Union passe par une réaffirmation des liens entre les niveaux local et national, d'une part, et supranational, d'autre part. Le « mécanisme d'alerte précoce » des parlements nationaux, souvent évoqué par le Président de la République, ainsi que le renforcement de l'information en direction des parlements, entériné dans le traité modificatif, vont en ce sens.

Ce débat, voulu par le Gouvernement, s'inscrit dans cette démarche. Il faudra sans doute aller plus loin ; le rôle et la prise en compte des collectivités locales dans le cadre de la politique des fonds européens, mais pas uniquement - je pense à la réforme de la PAC -, doivent être renforcés. Toutefois, ce déficit de légitimité de l'Union ne pourra être comblé sans un renforcement du lien direct avec les citoyens.

Le groupe du RDSE soutient la proposition formulée en faveur d'un droit d'initiative citoyenne. Même si le choix d'abandonner les formules régaliennes de « lois » et de « règlements » pour le niveau européen se comprend, il n'en reste pas moins que l'architecture institutionnelle ne pourra se passer d'une simplification sémantique.

Comment un citoyen peut-il ne pas se perdre dans la double existence d'un « Conseil » des chefs d'État et de gouvernement, mais aussi de « Conseils » de gouvernement ?

Cette revitalisation de l'idée européenne devra passer par une meilleure communication, à laquelle la représentation nationale doit participer, afin de souligner les apports de l'Union et non pas tant ses contraintes.

L'un des pères du concept juridique contemporain d'« institution » indiquait, au milieu des années vingt, que l'existence d'organes ne suffisait pas à l'établir, mais qu'aux côtés d'une « idée d'oeuvre à accomplir » devait se réaliser une « manifestation de communion » en faveur de l'institution : les pères de l'Europe ont construit l'Europe pacifique comme une idée d'oeuvre. Il nous reste désormais à réenchanter le politique en faisant naître à nouveau une manifestation de communion citoyenne pour l'Europe.

Après avoir été portée par un véritable élan populaire, l'Europe fut trop longtemps ressentie comme réservée aux technocrates, puis seuls les technocrates la comprirent, enfin ils en firent leur domaine réservé.

Il est indispensable que nous comprenions le rejet du référendum de mai 2005 pour appréhender l'hostilité populaire à ce qui reste pour beaucoup un projet exaltant. Nous devons absolument retrouver l'élan originel, retrouver l'enthousiasme provoqué par un projet de paix dans une Europe dévastée, retrouver la conviction que l'Union détient une part du futur du monde. Alors les peuples qui la constituent lui redonneront leur confiance ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Charles Josselin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les parlements nationaux vont voir leur responsabilité européenne consacrée et amplifiée. Il était bon que nous ayons pris l'habitude de débattre à la veille des conseils européens ; par la suite, il faudra sans doute le faire « l'avant-veille » plutôt que la veille, en temps utile, donc, pour que nos suggestions ou nos observations puissent être complètement valorisées. Mais la veille, c'est déjà assez bien, car nous savons, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous écoutez.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Ah !

M. Denis Badré. Le Conseil de cette semaine - je l'espère et je le crois - devrait rester comme celui du traité, qui pourra donc se nommer « de Lisbonne », plutôt que « réformateur », ou « modificatif », ou « simplifié » parce qu'il ne l'est plus vraiment, ou « mini » parce que c'était un peu désobligeant pour l'Europe. Alors, souhaitons au traité de Lisbonne une destinée aussi féconde que celle qu'a connue le traité de Rome. Pour que l'Union à vingt-sept puisse exister en « portant du fruit », il fallait qu'elle dispose d'institutions lui offrant une réelle capacité de décider. Avec ce traité, ce sera le cas.

Ce sera le cas si le Conseil se passe bien. Nous avons longtemps craint, vous aussi sans doute, monsieur le secrétaire d'État, que le débat ô combien sensible sur le devenir du Kosovo ne vienne le bouleverser. Ce ne devrait finalement pas être le cas. Nous souhaitons donc, d'abord bien sûr pour les Balkans, mais aussi pour le Conseil, que celui-ci puisse se déterminer clairement sur la relève de la mission des Nations unies au Kosovo : une manière de « reprendre la main » dans une région qui aura vocation à s'intégrer un jour dans l'Union. Le succès de cette mission qu'assumera l'Union implique que celle-ci affiche dès cette semaine une unité sans faille au service de la paix dans la région.

Pour que le traité de Lisbonne porte du bon fruit, il sera également important qu'il soit ratifié rapidement, dans la clarté et par les Vingt-Sept.

À cet égard, nous pouvons voir un signe encourageant dans les récentes déclarations du premier ministre danois, M. Rasmussen, reconduit dans ses fonctions. Parlant de l'euro et de Schengen, il vient de marquer une volonté assez nouvelle de voir son pays jouer désormais sans réserves le jeu européen. Puisse cet exemple être entraînant et marquer la fin des dérogations et autres optings out, de ces sortes de « coopérations renforcées » à l'envers, pour ne pas faire ! On ne construit pas l'Europe pour s'en dispenser immédiatement ou pour choisir soi-même son menu à la carte.

M. Denis Badré. Je ne citerai pas ici les pays dans lesquels la ratification peut poser problème. La France n'est sans doute pas la mieux placée pour les montrer du doigt. Il vaut sans doute mieux leur tendre la main avec compréhension... Je sais que c'est ce que vous faites, monsieur le secrétaire d'État, patiemment, inlassablement, de pays en pays. La ratification doit unir et non diviser. Je ferai amicale mention, tout de même, de nos voisins belges, dont nous souhaitons évidemment, non seulement qu'ils ratifient, mais bien plus encore qu'ils surmontent leurs difficultés actuelles.

La France, donc, a opéré un retour en Europe. Je tiens ici à saluer l'engagement très actif du Président de la République à ce sujet. Il fallait que l'Europe sorte de la crise et il était nécessaire, pour cela, que la France y soit très présente C'est fait et c'est bien.

Je veux à mon tour saluer, après vous, monsieur le secrétaire d'État, l'admirable travail réalisé au premier semestre de cette année par la présidence allemande, par Mme Merkel personnellement et par la Chancellerie, ce superbe travail ayant été ensuite consacré, dans des conditions dignes d'éloges, par une présidence portugaise exemplaire ! Nous avons ici une nouvelle démonstration du fait que, si l'Europe peut s'arrêter du fait de tel ou tel de ses membres, elle ne peut avancer qu'à vingt-sept, chacun, petit ou grand, fondateur ou plus récent membre, contributeur net ou bénéficiaire, étant appelé de la même manière à apporter sa « part d'Europe » dans une oeuvre vraiment commune.

Le candidat Sarkozy avait annoncé un traité simplifié et une ratification par voie parlementaire. Les Français ne sont donc pas pris en traîtres et la démarche, sans surprise, a de plus une évidente cohérence.

Le nouveau texte, en effet, est exclusivement consacré au fonctionnement institutionnel de l'Union. Même si certains, dont je suis, peuvent le regretter, il n'est plus question de Constitution pour l'Europe, ni de symboles, ni surtout des choix politiques plus ou moins libéraux que certains avaient cru lire dans la troisième partie du traité institutionnel. La ratification par voie parlementaire pour un tel texte se justifie donc parfaitement et ne constitue en rien une confiscation de la démocratie.

M. Denis Badré. Ne sommes-nous pas en démocratie parlementaire ? Le Parlement n'est-il pas précisément dans son rôle lorsqu'il s'agit de travailler sur des textes de cette nature et de les adopter au nom du peuple ? Simplement, il faut l'expliquer aux Français, afin qu'ils n'aient pas le sentiment qu'on ne les consulte plus par crainte de les voir apporter une réponse que l'on ne souhaite pas.

M. Robert Bret. C'est difficile !

M. Denis Badré. Dans ce contexte, il va nous falloir, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, faire oeuvre de pédagogie, sur la procédure, sur le contenu du traité et à nouveau et toujours sur l'Europe, en faisant vivre sereinement et de manière constructive le débat que les Français attendent - ils l'ont montré en mai 2005. L'Europe sera vivante si elle est la leur !

Heureusement, peu de Français lisent le Financial Times, monsieur le secrétaire d'État. À la une de son édition de lundi, il donne en effet la parole à un conseiller proche du Président de la République - les Britanniques ont bien vu l'aubaine que cela représentait - dans un sens tout différent et qui m'inquiète, mais qui fait sûrement la joie outre-Manche. Ce « conseiller » remet en cause en effet l'idée que des « règles préétablies » puissent sous-tendre l'action de l'Union, en souhaitant « des institutions plus pragmatiques, plus flexibles, réactives face à des circonstances changeantes et des revirements de l'opinion ». Il se situe donc dans une perspective radicalement différente de celle du traité que le Président de la République va signer et que nous nous apprêtons à ratifier.

Peut-on imaginer une Europe sans règles et sans respect du droit ? Pire, ce conseiller réintroduit la confusion entre le Traité - dont je rappelais à l'instant qu'il dit seulement comment on peut faire - et les politiques qui seront développées. Il réintroduit cette confusion quand il vient demander une renationalisation des choix fondamentaux déjà faits que sont les politiques commerciale, monétaire ou de concurrence de l'Union. Certains lecteurs britanniques n'en attendaient pas tant et vont se réjouir de ces « coups de boutoir », considérant que la PAC peut bien sûr être ajoutée à la liste des politiques à renationaliser.

Ces déclarations, monsieur le secrétaire d'État, sont-elles bien utiles et opportunes ? Est-ce bien le moment, à la veille du Conseil au cours duquel le Président de la République va signer le traité, à la veille de sa ratification par les Français ? Est-ce ce que nous voulons ? Cette prise de position ne va-t-elle pas nourrir l'argumentation de ceux qui veulent « détricoter » l'Union et compliquer la tâche du gouvernement britannique sur la voie de la ratification ?

Monsieur le secrétaire d'État, je n'ai pas le sentiment que ce soit dans ce sens que vous travailliez inlassablement en France et avec tous nos partenaires. Je souhaite évidemment que vous puissiez très vite nous rassurer en confirmant que ces prises de position n'engagent que leur auteur. Il va vous falloir aussi très vite recoller la « vaisselle » ainsi cassée outre-Manche.

Que cette malheureuse déclaration soit au moins l'occasion pour le Président et pour vous-même de réaffirmer fortement que la France est vraiment, et sans arrière-pensée, « de retour en Europe » !