M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est très juste !

Mme Bernadette Dupont. D'où le travail important sur l'insertion ou la réinsertion, qu'il faut également mettre en oeuvre au plus tôt, avec des moyens accrus.

J'ai noté en visitant une prison le taux d'illettrisme des personnes incarcérées, en l'occurrence des femmes : la scolarisation de certains détenus me semble donc indispensable pour leur réinsertion dans la société.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est évident ! Nous sommes obligés de prendre ces mesures parce que rien n'a été fait depuis quarante ans !

Mme Bernadette Dupont. Donc, « principe de précaution nécessaire » - c'est indéniable ! -, « mesure de sûreté », « nouvelle peine », « privation de liberté » : il convient que le terme soit clair, et le verdict prononcé dans l'intérêt général, dans le respect des libertés essentielles et de la protection de la société.

J'ose cependant former des voeux pour que ce projet de loi ne trouve à s'appliquer que dans des cas extrêmes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mon intervention portera uniquement sur la rétention de sûreté, à travers laquelle plusieurs questions fondamentales sont posées.

Au préalable, je souhaiterais indiquer que notre rôle de législateur me semblait devoir nous tenir à l'écart des turbulences émotives et de la « politique-spectacle ». Je pensais que la loi, dans son humble définition, avait pour vocation de répondre à des enjeux sociétaux, sans surfer sur l'émotion véhiculée par les médias. Naïvement, je me faisais la même idée de la politique, une politique qui ne soit pas le relais de coups de force médiatiques ou d'une instrumentalisation de faits divers dramatiques au service d'un affichage politicien. Mais je dois me rendre à l'évidence : ce temps est révolu !

M. Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, utilisait déjà cette méthode - comme il l'a fait durant la campagne présidentielle - pour créer des peurs afin de se présenter en seul défenseur de la sécurité.

Je suis d'ailleurs choquée, madame, choquée de vous entendre citer dans cet hémicycle, pour justifier votre projet de loi, les prénoms de victimes. Certes, je comprends parfaitement la souffrance des familles ; mais cette personnalisation n'est pas concevable quand il s'agit de légiférer dans un domaine aussi important et aussi sensible.

Oui, je suis choquée, madame le garde des sceaux, que l'on puisse, pour justifier un texte législatif, s'en référer à l'actualité la plus brûlante. Ce n'est pas ainsi, ce n'est pas dans l'émotion, la colère ou la souffrance qu'on légifère : la justice n'est pas la vengeance.

Dorénavant, à chaque fait divers son projet de loi !

Permettez-moi de vous rappeler qu'une loi est au service de l'intérêt général et non de l'intérêt individuel. Ce n'est pas ainsi, ce n'est pas dans l'urgence que l'on construit un projet de société, alors que, au contraire, la concertation et la maturité sont les clés de voûte du système judiciaire et juridique.

Ce projet de loi, l'un des plus scandaleux qui nous aient jamais été soumis, madame, est la traduction fidèle de votre urgence à légiférer. Pourquoi cette urgence, lorsque l'on sait que ce texte ne sera applicable que dans quinze ans, sauf à violer, mais c'est d'ailleurs ce que souhaite votre gouvernement, le principe de non-rétroactivité ?

Cette urgence qui anime la moindre des initiatives du Gouvernement est préjudiciable non seulement au travail législatif, mais également à la qualité de la loi. À ce rythme, nous ne serons bientôt plus un Parlement, mais un simple appareil d'enregistrement !

Aujourd'hui, toujours dans l'urgence, vous nous présentez un texte qui, au détour d'un seul article, remet en cause tous les principes fondamentaux de notre droit pénal.

Encore un texte relatif à la prévention de la récidive qui prône la répression au détriment de la prévention ! Encore une tentative déplorable de surfer sur l'émotion des Français pour installer une politique de l'enfermement ! Encore un affichage médiatico-législatif qui n'apporte aucune réponse au véritable problème !

Ce projet de loi marque à lui seul un revirement sans précédent dans notre conception du droit pénal. Il ouvre une brèche qui deviendra une plaie béante dans la politique pénale française, jusqu'à ce jour régie par les principes des Lumières.

Ce que vous nous proposez, madame, n'est ni plus ni moins qu'une mise à mort sociale des personnes dangereuses. Après le bagne, voici revenue dans notre droit une méthode d'exclusion sociale, au mépris du sens de la peine !

Vous nous proposez après la prison, la rétention. Autant dire : la peine après la peine.

Notre droit pénal est pourtant clair sur ce point : toute peine doit être nécessaire et proportionnelle au fait reproché. Elle doit normalement intervenir à l'issue d'un jugement et être fondée sur un acte contraire à la loi.

La juridiction que vous créez de toutes pièces aura la lourde tâche de priver de liberté des personnes en raison de leur état. Cette privation de liberté sera fondée non plus sur l'acte commis, mais sur la dangerosité de l'individu, notion très complexe. Mais de quelle dangerosité parlons-nous ? De la dangerosité psychiatrique ou de la dangerosité criminologique ? Il est important de ne pas les confondre !

Je ferai plusieurs commentaires d'ordre juridique sur le fondement de cette peine, car il s'agit bien d'une peine, et non d'une mesure de sûreté comme on souhaite nous le faire croire, puisqu'il y a privation de liberté.

D'abord, cette peine intervient à l'expiration de la peine du condamné. Elle n'est pas une modalité d'exécution de celle-ci puisqu'elle ne s'intègre pas dans le quantum de la peine. Ainsi, alors qu'un condamné aura payé sa dette à la société, qu'il n'aura pas commis de nouveau crime, il sera tout de même privé de sa liberté.

Cette mesure aurait pu se concevoir si elle s'était en partie substituée à la peine. C'est d'ailleurs sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a considéré que la surveillance de sûreté était conforme à la Constitution.

Mais la rétention de sûreté que vous nous proposez dans ce texte ne se confond pas avec la peine ; elle s'y superpose. Elle est par conséquent contraire à la Constitution : elle ne se fonde ni sur un jugement initial ni sur un jugement intervenant à l'issue de la peine. L'objectif est de mettre en place un sas de sécurité entre sortie sèche et libération surveillée. En réalité, c'est un véritable couloir de la mort que vous construisez !

L'individu pourra ainsi être enfermé à vie sur le simple fondement de sa dangerosité et sur la probabilité qu'il commette un crime !

Cette « peine après la peine » est contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit pénal.

D'abord, cette mesure est contraire au principe du droit à la liberté et à la sûreté garanti par l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. Selon cet article, nul ne peut être privé de liberté, sauf dans des cas énumérés. Pardonnez-moi de vous rappeler que la dangerosité n'est pas considérée dans cet article comme un motif légitime de privation de liberté. Seule une condamnation judiciaire peut entraîner une privation de liberté. Or la rétention de sûreté qui nous est ici proposée n'a rien à voir avec la condamnation initiale pour l'un des crimes énumérés, car, pour ces crimes, l'individu a déjà purgé sa peine !

La rétention de sûreté est fondée sur une appréciation de la dangerosité de l'individu et sur la probabilité - pour ne pas dire la virtualité - qu'il commette un nouveau crime. Or il n'y a pas de lien de causalité entre le crime initial et la mesure de sûreté. Cette dernière n'est pas une conséquence de la condamnation initiale.

Afin de contourner cet écueil, votre projet de loi prévoit que la mesure de sûreté est possible lorsque « la juridiction a expressément prévu dans sa décision le réexamen de la situation de la personne ». Mais vous savez bien que le réexamen de la situation de la personne conduit normalement à des aménagements de peine ou à une libération conditionnelle. Cet examen est toujours profitable au condamné et n'a jamais pour effet d'aggraver la peine ni d'en augmenter le quantum ou la durée.

Le Conseil constitutionnel nous rappelle qu'une mesure de sûreté est, dans tous les cas, prononcée pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine ou aux réductions de peines supplémentaires dont le détenu a bénéficié et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de retrait.

S'agissant en l'occurrence d'une personne condamnée à quinze ans de prison minimum, le réexamen a justement pour objectif soit la libération conditionnelle, soit l'aménagement de la peine, mais il ne peut jamais en prolonger les effets au-delà de la peine prononcée. Or ce projet de loi permet un réexamen dans le seul but de prolonger la peine après la prison, en tentant vainement de rattacher la décision à la peine initiale. Mais dans ce cas, la rétention de sûreté n'est pas une conséquence de la condamnation initiale. Elle en est un prolongement arbitraire, indigne et contraire au droit à la liberté et à la sûreté.

Dans un arrêt de 2002, la Cour européenne des droits de l'homme dit clairement qu'une mesure de privation de liberté fondée sur la dangerosité d'un individu ayant déjà purgé sa peine de prison est contraire à l'article 5 de la Convention. Ainsi, elle fixe l'état du droit positif dans ce domaine.

Ce dispositif est également contraire au principe de la présomption d'innocence, comme l'a indiqué M. Badinter. Dans la mesure où le condamné qui a déjà purgé sa peine a par la force des choses fait amende honorable et a acquitté sa dette à l'égard de la société, le placement en rétention de sûreté est une atteinte flagrante au principe de la présomption d'innocence puisque la décision de rétention se fonde sur une dangerosité virtuelle et non sur un acte matériel.

On ne punit pas un futur délinquant. Il n'y a pas dans ce domaine de plasticité établie d'un point de vue scientifique. Celui qui a purgé sa peine de prison est un homme libre. L'enfermer, sans avoir établi qu'il a commis un crime ou en tentant de rattacher sa privation de liberté à un crime commis quinze ans plus tôt, est absurde et contraire à l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en vertu duquel tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable.

Enfin, cette mesure est également contraire au principe non bis in idem, en vertu duquel une personne ne peut être punie deux fois pour les mêmes faits, sauf dans des cas très précis, comme la réouverture d'un procès pénal. Cette règle répond à une double exigence d'équité et de sécurité juridique. Ainsi, la Convention européenne des droits de l'homme n'autorise pas la réouverture d'un procès, sauf en cas de survenance de faits nouveaux ou de découverte d'un vice fondamental de la procédure précédente. Hormis ce cas, un jugement ayant autorité de la chose jugée ne peut être complété par une mesure complémentaire ou un nouveau jugement. Le réexamen de la situation d'une personne condamnée n'a rien à voir avec la réouverture de son procès et ne doit jamais emporter violation du principe de la chose jugée, notamment en ce qui concerne le quantum de la peine prononcée.

Si, comme cela est prévu dans le texte, la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté statue sur une mesure de sûreté à l'expiration de la peine, elle agira au-delà du jugement initial. Elle jugera donc une seconde fois.

Madame le garde des sceaux, la juridiction hybride que vous souhaitez mettre en place est une aberration juridique. Elle n'est ni une juridiction de jugement ni une autorité administrative. De manière détournée, vous instaurez dans notre droit une justice d'exception, une justice contraire à tous les principes de notre droit pénal, une justice qui se prononce non plus sur les faits, mais sur des hypothèses et des virtualités, une justice indigne de notre République.

Encore une fois, la seule réponse que vous proposez face à la récidive est l'enfermement. Et vous faites d'une pierre deux coups : vous psychiatrisez la criminalité tout en criminalisant la psychiatrie.

Madame le garde des sceaux, pourquoi ne pas avoir songé, avant de nous soumettre ce texte, aux raisons pour lesquelles le personnel psychiatrique refuse d'exercer en milieu pénitentiaire ? Pourquoi ne pas avoir réfléchi aux conditions déplorables de détention, au problème de la surpopulation carcérale comme au manque de moyens de l'administration pénitentiaire ? La loi pénitentiaire n'était-elle pas une priorité ? Votre seule préoccupation est l'enfermement, qui est devenu le modus operandi de votre politique pénale.

Pour conclure, nous regrettons que ce projet de loi mette en place une relégation, une mort sociale, lente et assurée des individus les plus dangereux. Voilà pourquoi nous voterons contre ce texte, même si nous soutenons l'effort de M. le rapporteur pour tenter de le rendre acceptable moralement et juridiquement au regard de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est des jours où l'on ressent le besoin irrépressible de s'exprimer parce que l'on a le sentiment que les règles très importantes qui fondent notre droit depuis 1789 sont remises en cause.

C'est un principe essentiel de notre droit - cela a été dit, et brillamment - que, lorsqu'un être humain a purgé sa peine, il a purgé sa peine.

Vous nous proposez aujourd'hui, madame le garde des sceaux, de condamner des êtres humains à une rétention de sûreté sur le simple fondement d'une éventualité, d'une possibilité, d'une virtualité, de l'hypothèse d'un crime toujours imaginable ! C'est contraire au droit, et, comme tout le monde ici, vous le savez bien !

La rétention de sûreté que vous proposez est grave et dangereuse. On en vient à se demander si Michel Foucault n'a pas écrit des centaines de pages sur la prison en vain, inutilement !

Dix jours après avoir promulgué une loi sur la prévention de la récidive, le Président de la République a annoncé sur le perron de l'Élysée qu'une nouvelle loi était nécessaire derechef, alors même que la première n'avait pas été mise en oeuvre, qu'aucun décret n'était paru. Est-ce là une bonne façon de légiférer ? Tout le monde sait bien que non.

Permettez-moi de vous lire ce que Mme Elisabeth Guigou a écrit à propos de l'affaire Evrard : les « lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu'il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses 12 lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n'a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d'application des peines (JAP) que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu'un JAP traite 750 dossiers ! Était-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l'obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non ! Cela aurait évité que la justice perde sa trace, qu'il se déplace dans sept départements différents et qu'il récidive une nouvelle fois. Enfin, il y a l'hospitalisation d'office dans un hôpital psychiatrique ». Bien entendu, cela n'a pas été mis en oeuvre. Mme Guigou ajoute qu'elle « a demandé un bilan avant tout nouveau texte. Refus ! ».

Madame le garde des sceaux, vous le savez, car tout le monde le dit, il y a beaucoup à faire pour appliquer la législation déjà existante. Il n'est donc pas nécessaire de recourir à des dispositions portant atteinte aux fondements de notre République.

Des aumôniers de prison ont écrit ceci : « Aumôniers de prison, la rencontre régulière des personnes détenues nous rend bien conscients de la gravité des problèmes que soulève le projet de loi relatif à la rétention de sûreté. Le manque d'un suivi sérieux, indispensable aux auteurs d'actes graves à l'égard d'enfants, explique sans doute, pour une grande part, que ces personnes peuvent représenter un risque réel de récidive à la fin de leur peine. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut entourer leur remise en liberté de précautions adaptées qui limitent ce risque.

« Qu'on sanctionne encore des coupables qui ont fini de payer leur dette à la société pose problème. »

Je pourrais poursuivre et évoquer également le climat général, le rapport Ginesti, celui de l'INSERM, les déclarations très lourdes faites par M. Nicolas Sarkozy au cours d'un dialogue avec Michel Onfray : la génétique prédisposerait au crime. Lorsque l'on pense cela, on en tire naturellement un certain nombre de conséquences, comme en témoigne la philosophie qui, malheureusement, inspire ce texte.

Avant de conclure, madame le garde des sceaux, je vous poserai une question. Si une personne récidive après avoir purgé sa peine et qu'elle n'a pas « bénéficié » du dispositif inscrit dans ce texte, ne dira-t-on pas alors que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté a failli, qu'elle est coupable ? Que dira l'opinion si, après avoir subi la rétention de sûreté, une personne ayant retrouvé la liberté récidive ? Que dira alors le Président de la République sur le perron de l'Élysée ? Ira-t-on jusqu'à remettre en place des solutions extrêmes contre lesquelles notre civilisation s'est élevée, aidée en cela par le talent de Robert Badinter ?

M. About nous a déclaré que les personnes placées en rétention ne seraient pas des détenus. Mais que seront-elles alors ?

Mon dernier mot sera pour les victimes - oui, mes chers collègues, nous pensons d'abord à elles -, car elles méritent mieux. Elles méritent que, du premier au dernier jour de la détention, tout soit fait non seulement, certes, pour surveiller et pour punir, mais également pour amender, guérir, préparer l'avenir et prévenir la récidive. Elles méritent ensuite que tout soit fait avec le soin nécessaire pour accompagner la personne qui recouvre la liberté. Voilà ce que les victimes attendent et méritent. C'est cela que notre société doit exiger pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, je tiens vous remercier d'avoir rappelé les enjeux du présent projet de loi et d'avoir évoqué la nécessité de prendre en charge les délinquants les plus dangereux.

Comme vous l'avez souligné à juste titre, de tels enjeux sont extrêmement complexes.

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je souhaite vous rassurer.

Tout d'abord, je vous rejoins sur la nécessité de s'entourer de toutes les garanties qui s'imposent avant de placer des individus en rétention de sûreté. Le texte que nous présentons aujourd'hui répond à cette exigence.

Je vous rejoins également sur la nécessité d'assurer une prise en charge psychiatrique adaptée en prison. Nous travaillons donc avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, en vue d'améliorer cette prise en charge. Aujourd'hui, nous avons 971 personnels de santé, dont 288 psychiatres, qui travaillent dans de telles unités spécialisées.

Afin d'améliorer encore cette prise en charge, nous souhaitons instituer des groupes de parole dans les prisons. Comme vous le savez, des unités hospitalières spécialement aménagées seront instituées d'ici à 2011, afin de disposer à terme de 700 places.

En outre, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a également décidé de mettre en place une équipe mobile dans chaque service médico-psychologique régional, ou SMPR, afin d'assurer une prise en charge dans tous les établissements.

Sept centres de ressources sur la prise en charge des auteurs de violences sexuelles ont été mis en place depuis la fin de l'année 2007 pour diffuser des conseils aux professionnels de la psychiatrie. Leur nombre sera porté à vingt-six dès cette année.

Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous-même et Mme Bernadette Dupont avez également évoqué la nécessité de renforcer les personnels qui assurent le suivi de l'injonction de soins, en application de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Au demeurant, nous avons différé l'entrée en vigueur de certaines dispositions, afin d'avoir les personnels nécessaires. Un plan spécifique de formation est prévu au bénéfice de tous ces professionnels.

Par ailleurs, l'arrêté portant l'indemnisation des médecins coordinateurs de 470 euros à 700 euros a été publié le 24 janvier dernier. Actuellement, nous avons 203 médecins coordinateurs, contre seulement 150 au mois d'août, lors de l'entrée en vigueur du texte que je viens d'évoquer. Mme Roselyne Bachelot-Narquin et moi-même souhaitons - c'est un engagement du Gouvernement - que ce nombre atteigne 500 d'ici à la fin de l'année.

Mais vous savez que l'on ne peut pas forcer une personne à se soigner. C'est précisément à cette faille que la rétention de sûreté vise à répondre. Je vous le rappelle, d'un point de vue juridique, si une personne n'est pas condamnée à une obligation de soins, elle ne peut pas être contrainte à en suivre.

Certains ont mentionné le cas de Francis Evrard. En l'occurrence, il s'agit d'un individu qui avait commencé à suivre des soins, puis qui a catégoriquement refusé de continuer.

Actuellement, il n'existe aucun moyen de contraindre une personne placée en détention à se soigner. C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi est précisément destiné à inciter beaucoup plus fermement des individus dangereux à suivre une thérapie.

Monsieur Portelli, je vous remercie d'avoir clarifié les termes du débat juridique. La rétention de sûreté est non pas une peine, mais une mesure de sûreté destinée à assurer la sécurité des citoyens face à des délinquants dangereux qui présentent encore une grande dangerosité à la fin de leur peine.

J'entends ici ou là nombre de commentaires définitifs sur l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Pourtant, le Conseil constitutionnel est seul compétent pour en juger. À mon sens - je partage votre point de vue, monsieur le sénateur -, la position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande sur la question ne peut pas être écartée au seul motif que les décisions allemandes ne s'appliquent pas en France.

Mesdames Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery, le projet de loi ne vise pas seulement à répondre à des faits d'une extrême gravité qui suscitent - sur ce point, vous avez raison - une vive émotion.

Que faites-vous des travaux de la commission présidée par Jean-François Burgelin, qui est un haut magistrat ? Que faites-vous du rapport de M. Garraud ? Que faites-vous des travaux de MM. Philippe Goujon et Charles Gautier ?

D'ailleurs, s'agissant de la nécessaire prise en charge des délinquants dangereux, il était même envisagé de créer des centres de protection et de prise en charge. (Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Alima Boumediene-Thiery s'exclament.)

Je ne peux donc pas vous laisser affirmer que nous instituons une peine à perpétuité. La rétention de sûreté fera l'objet d'une évaluation chaque année. De fait, elle sera ainsi d'emblée limitée à un an. Ses conditions de renouvellement seront extrêmement strictes - cela figure dans le projet de loi -, tout comme d'ailleurs les conditions de placement initial en rétention de sûreté.

Je peux également vous rassurer sur la loi pénitentiaire, attendue depuis l'époque où Mme Élisabeth Guigou ou Mme Marylise Lebranchu était garde des sceaux : elle sera soumise au Parlement avant la fin du premier semestre de l'année 2008.

M. François Trucy. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mesdames Borvo Cohen-Seat et Boumediene-Thiery, selon vous, la justice devrait rester à l'écart des faits divers.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas ce que nous avons dit !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Mais si la justice ne tenait pas compte de l'actualité et des drames qui surviennent, ce ne serait plus la justice !

À cet égard, permettez-moi d'évoquer un événement qui a marqué le monde entier, à savoir les attentats du 11 septembre.

M. Charles Gautier. Un fait divers ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Sans ces attentats, sans une telle tragédie, le mandat d'arrêt européen, qui est pourtant un outil extrêmement efficace au sein de l'espace judiciaire européen, n'aurait jamais vu le jour.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous justifiez également Guantanamo ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Othily, vous avez raison, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté. Je vous remercie de l'avoir précisé avec une telle clarté, et du soutien que vous m'apportez.

Monsieur Fauchon, je vous remercie d'avoir insisté sur le fait que le régime de sûreté ne peut être assimilé à un régime de détention.

Je voudrais vous rassurer, ainsi que Mme Boumediene-Thiery, sur la nécessaire prise en charge des personnes considérées comme dangereuses au sein des centres médico-socio-judiciaires de sûreté à l'issue de leur peine.

Les personnes retenues bénéficieront d'un suivi individualisé médico-social pour leur permettre de se réinsérer dans la société. Ce parcours personnalisé sera organisé autour d'activités quotidiennes, de groupes de parole, mais également de thérapies, y compris jusqu'à la prise médicamenteuse. Le centre médico-socio-judiciaire ne sera pas un lieu de relégation. Ce ne sera pas non plus un placement entre quatre murs. Telle n'est pas notre philosophie. Nous souhaitons nous appuyer sur ce que nous avons vu à l'étranger, et notamment au centre Pieter Baan, que nous avons visité aux Pays-Bas.

Monsieur Badinter, je sais que vous êtes très attaché à la condition pénitentiaire. Je le suis également, et nous en avons discuté à de nombreuses reprises.

Vous considérez que le dispositif est conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Vous considérez également qu'il n'y a pas de prison sans infraction.

Mais les centres médico-socio-judiciaires ne sont pas des prisons.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce sont des centres qui doivent permettre à des individus dangereux atteints de troubles graves de comportement de recevoir des soins pour pouvoir réintégrer la société.

Vous affirmez qu'il ne peut pas y avoir de privation de liberté sans infraction. Or, je vous le rappelle, dans notre droit, certaines mesures de privation de liberté ne sont pas nécessairement liées à des infractions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Justement ! Cela devrait suffire !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ainsi, des individus sont placés en hôpitaux psychiatriques, parfois même à vie, alors qu'ils n'ont pas commis d'infraction. Simplement, ils sont considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais ce sont des personnes qui ne sont pas responsables de leurs actes !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En outre, des personnes sont placées en détention provisoire dans le cadre d'enquête sur des crimes.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela n'a rien à voir !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pourtant, ces individus sont présumés innocents. Vous évoquiez tout à l'heure la présomption d'innocence. En l'occurrence, il s'agit de personnes dont il n'est pas prouvé qu'elles ont commis une infraction, mais dont le placement en détention provisoire se justifie, pour des motifs d'ordre public notamment.

La rétention de sûreté repose sur la même logique. C'est une mesure destinée à assurer la sécurité de la société et des victimes.

Pour ma part, j'affirme que cela change tout pour les victimes qui seront ainsi épargnées.

Tout à l'heure, vous avez indiqué qu'il n'y avait pas eu tant de faits divers dramatiques que cela depuis une trentaine d'années. Vous en avez conclu que l'on pouvait s'interroger sur l'utilité réelle du projet de loi. (M. Robert Badinter s'exclame.) À mon sens, si nous pouvons sauver la vie d'un seul mineur, d'une seule jeune femme, si nous pouvons épargner la victime d'un crime barbare ou d'un viol ou si nous pouvons empêcher un pédophile de récidiver, ce texte sera non seulement utile, mais nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Madame Bernadette Dupont, vous avez appelé de vos voeux l'adoption d'une loi pénitentiaire. Vous le savez, je vous rejoins.

La justice doit être ferme. Elle doit aussi être humaine. Comme vous, je souhaite que la loi reconnaisse le travail de tous les acteurs qui interviennent dans les prisons. Je pense notamment aux associations ou aux aumôniers, dont le rôle est essentiel en la matière.

Madame Boumediene-Thiery, sans les faits divers auxquels j'ai fait référence, il n'y aurait pas non plus eu tant de travaux ou de débats sur les criminels dangereux.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n'est pas cela qui justifie votre loi !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour notre part, nous souhaitons prendre nos responsabilités.

Nous ne voulons plus déplorer à chaque fois des actes aussi atroces que des viols d'enfants, de jeunes femmes, comme nous en avons trop souvent connu, y compris récemment.

Mme Alima Boumediene-Thiery. N'utilisez pas ces drames pour justifier votre texte !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Sueur, j'ai simplement expliqué que la rétention de sûreté n'était en rien une « peine après la peine ». (Marques d'ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Vous êtes très attaché à la précision des mots et à des définitions rigoureuses ; ce n'est pas une « peine après la peine ».

Notre dispositif est une mesure de sûreté destinée aux personnes qui ont terminé leur peine, mais dont on a constaté la dangerosité. Nous débattrons de ces questions en examinant les différents amendements qui ont été déposés.

Mais je vous demande de ne pas travestir ce texte. Je ne crois pas que le crime ait une origine génétique. D'ailleurs, personne n'a jamais prétendu cela.

M. Jean-Pierre Sueur. Hélas, si !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En revanche, je considère qu'un criminel ayant démontré sa dangerosité pour des crimes odieux ne doit pas être remis en liberté sans que tout soit fait pour tenter de la réduire.

Certains se sont interrogés sur un éventuel problème de responsabilité de la commission ayant établi la dangerosité.

Je vous rappelle simplement que la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté constate d'ores et déjà la dangerosité de certains criminels ou de certains délinquants, au regard de la criminologie, et non pas de la psychiatrie.

C'est la raison pour laquelle le présent projet de loi est, me semble-t-il, absolument nécessaire, et ce non seulement pour protéger nos concitoyens, mais également pour permettre à des délinquants dangereux de se soigner pour mieux se réinsérer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Yung, Collombat, Badinter, Frimat, C. Gautier, Mermaz, Peyronnet et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°51, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, adopté par l'Assemblée Nationale après déclaration d'urgence (n° 158, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Richard Yung, auteur de la motion.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à nos yeux, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui apporte une bien mauvaise réponse à un problème grave qui émeut souvent l'opinion publique, même s'il ne concerne que quelques dizaines de cas.

Personne ne peut rester indifférent à de telles situations. Personne n'a le monopole de l'affliction auprès des victimes.

Mais, pour nous, la bonne législation pénale, la bonne justice pénale doivent se construire dans le temps et dans la réflexion, et non pas dans l'émotion et au coup par coup. Tel est le sens de notre approche.

La mauvaise réponse, c'est celle que vous apportez, c'est-à-dire l'évaluation a minima, l'enfermement sec et le manque de soins en prison pendant la peine.

Il y a une autre politique à mener, et plusieurs de mes collègues la développeront. Elle doit être construite en se fondant d'abord sur le bilan de l'ensemble des mesures considérables mises en place depuis une dizaine d'années, tant d'ailleurs par la gauche que par la droite. Il s'agit du suivi socio-judiciaire, du fichier électronique, de la surveillance judiciaire, de l'injonction de soins, du traitement de la récidive ou du bracelet électronique. Toutes ces mesures vont dans le même sens. Selon nous, avant d'élaborer une nouvelle législation, il faudrait d'abord se pencher sur la mise en place et sur les résultats de toutes ces dispositions.

C'est par là qu'il fallait commencer, au lieu de se précipiter à inventer de nouvelles mesures sans avoir les moyens de les mettre en oeuvre. D'ailleurs, vous n'êtes déjà pas en capacité de faire fonctionner convenablement les dispositifs existants. Je n'aurais pas la cruauté de souligner que M. le président de la commission des affaires sociales a bien présenté cet aspect du problème.

Mais il y a plus grave. Aussi, je voudrais à présent soulever un certain nombre de motifs d'irrecevabilité du projet de loi.

Madame le garde des sceaux, votre texte méconnaît manifestement plusieurs principes contenus dans le bloc de constitutionnalité et dans les conventions internationales auxquelles la France est partie. Pour nous, chacun de ces motifs est suffisant pour aboutir à la censure du projet de loi par le Conseil constitutionnel.

Tout d'abord, j'évoquerai le premier chapitre du texte, qui concerne la rétention de sûreté.

Les dispositions de l'article 1er instaurant une rétention de sûreté sont contraires au principe de légalité des délits et des peines, tel qu'il découle de l'article 34 de la Constitution. En effet, celui-ci dispose : « La loi fixe les règles concernant [...] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». C'est clair !

Contrairement à vos affirmations, madame le garde des sceaux - on comprend d'ailleurs que vous argumentiez dans ce sens pour défendre la constitutionnalité de votre texte -, la rétention de sûreté constitue bel et bien une peine, et ce pour plusieurs raisons que je vais développer.

Premier argument : il s'agit non pas d'une simple restriction mais bien d'une privation totale de liberté, ce qui qualifie différemment l'affaire et la réintègre dans le champ de l'article 34.

La rétention de sûreté n'entre pas dans le champ des mesures de sûreté qui ont été citées, qui comprend par exemple la suspension du permis de conduire, l'interdiction d'approcher la victime, l'injonction médicale, etc. Ces dernières mesures sont annexes à la peine principale, elles aident à sa mise en oeuvre, et c'est pourquoi elles ne sont pas des peines. La rétention de sûreté n'est pas de même nature : elle constitue une peine en elle-même par sa gravité, sa puissance, sa force.

Deuxième argument : en application du nouvel article 706-53-13 du code de procédure pénale, c'est une juridiction de jugement qui devra expressément prévoir, dans sa décision, le réexamen de la situation de la personne à la fin de sa peine ; mais cette décision sera prise quinze ou vingt ans en amont.

Dans la pratique, ce sont la commission pluridisciplinaire puis la commission régionale, qui ne sont pas des juridictions de jugement, qui apprécieront, sur des critères que nous ne connaissons pas - nous en avons parlé -, la dangerosité ou le risque de récidive de la personne, ces deux notions faisant d'ailleurs l'objet d'une certaine confusion dans votre projet de loi. Il s'agit d'une sorte de justice déléguée, qui oeuvrera essentiellement sur les recommandations des experts psychiatriques. Il y a donc un tour de passe-passe qui laisse rêveur et qui viole certainement l'esprit du code de procédure pénale.

Troisième argument : la rétention de sûreté revêt aussi le caractère d'une peine dans la mesure où, dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, vous indiquez que, pendant la rétention, les personnes concernées bénéficieront d'un régime similaire à celui des détenus « en matière notamment de visites, de correspondances, d'exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. »

Si un élément caractérise l'assimilation à la peine, c'est bien celui-là ! Il est tout de même assez choquant de considérer, comme le président Nicolas About l'a souligné, que des personnes qui n'ont commis aucune infraction seront soumises au même régime de détention que celles qui purgent une peine.

Quatrième et dernier argument : la rétention de sûreté pourra-t-elle faire l'objet d'une grâce ou d'une amnistie ? Si la réponse est négative, comment justifier que la peine qui aura conduit à cette rétention puisse, elle, faire l'objet d'une telle mesure ?

Ainsi caractérisée, la rétention de sûreté, telle qu'elle apparaît dans votre texte, viole allégrement, à notre avis, au moins à quatre reprises, le principe de légalité énoncé par notre Constitution : c'est donc elle-même une dangereuse récidiviste !

J'en viens à un autre point concernant la légalité de la peine : dans le système qui est proposé, la privation de liberté résulte non pas de la commission d'une infraction criminelle mais d'une « particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau » une infraction. On voit bien que vous avez buté sur la difficulté majeure de définir les critères qui s'appliqueraient à cette rétention de sûreté et que vous avez en quelque sorte contourné l'obstacle en disant que la dangerosité se mesure par le risque très élevé de récidive - « très élevé », on ne sait pas ce que c'est, mais c'est le risque de récidive qui est la base.

Dans ce cas, l'enfermement découle non plus d'un lien de causalité entre un fait matériel et un préjudice, mais d'un simple pronostic reposant sur la présomption de dangerosité criminologique. Ce concept n'étant défini nulle part - je viens de le dire -, son application sera forcément arbitraire et portera gravement atteinte à la présomption d'innocence, qui est pourtant l'un des principes fondamentaux de la procédure pénale.

C'est en quelque sorte la restauration - mais dans un autre esprit - de la lettre de cachet, symbole honni de l'arbitraire de l'Ancien Régime. Or, dans sa décision du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur doit « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ». Nous constatons donc deux éléments de violation, puisque l'infraction n'est pas définie en termes clairs et précis et qu'elle donne dans l'arbitraire. C'est un argument de plus pour dénoncer la violation du principe de légalité des peines.

Les dispositions instaurant une rétention de sûreté ne répondent pas non plus au principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Ce point a déjà été abordé à plusieurs reprises, mais je voudrais tout de même en dire quelques mots.

Comme le professeur Gilles Lebreton l'a souligné au cours de son audition devant la commission, la Convention européenne des droits de l'homme établit que le maintien en détention doit reposer sur un motif de même nature que la condamnation initiale. Il est clair que ce ne sera pas le cas puisque la condamnation initiale découle des faits alors que la mise en rétention de sûreté dépendra de l'évaluation de la dangerosité et du risque de récidive. De plus, si la rétention de sûreté est demandée au cas de manquement aux obligations de surveillance judiciaire, on peut craindre qu'il ne s'agisse d'une manière de contourner le principe de non-rétroactivité.

Le Conseil constitutionnel a admis que certaines mesures pouvaient produire des effets rétroactifs. Ainsi, dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981, il a autorisé le législateur à prévoir l'entrée en vigueur rétroactive de sanctions pénales plus douces. En outre, dans sa décision du 8 décembre 2005, le Conseil constitutionnel admet l'application immédiate d'une loi nouvelle instituant des mesures de sûreté : mais il s'agit de mesures de sûreté n'ayant pas la nature d'une peine.

Or, comme je me suis efforcé de le démontrer précédemment, la rétention de sûreté est une peine. Par conséquent, l'article 12 du projet de loi, modifié par l'amendement gouvernemental, viole ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Il viole un principe fondamental issu de la Révolution de 1789 et qui est énoncé à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Nous avons une argumentation extrêmement claire en la matière.

Je voudrais maintenant évoquer la déclaration d'irresponsabilité pour cause de trouble mental.

Les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental méconnaissent aussi certains principes constitutionnels. Ainsi, les articles 3 et 4 méconnaissent le principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 novembre 1978, a interdit que les fonctions d'instruction et de jugement soient exercées pour la même affaire et par les mêmes organes.

Or, dans la nouvelle procédure, les déclarations d'irresponsabilité pourraient être rendues non seulement par une juridiction de jugement - le tribunal correctionnel ou la cour d'assises - mais aussi par une juridiction d'instruction - le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction. Les déclarations d'irresponsabilité pourraient être ainsi rendues directement par un juge d'instruction et, le cas échéant, par cette chambre de l'instruction, sans faire l'objet d'un renvoi devant une juridiction de jugement. En l'absence d'un tel renvoi, ces décisions auraient pour effet de permettre à la juridiction d'instruction de se prononcer sur la qualification matérielle des faits commis. Il y a donc violation de ce principe de séparation.

J'avancerai un autre argument : les dispositions relatives à la déclaration d'irresponsabilité ne répondent pas non plus aux exigences constitutionnelles garantissant le droit à un procès équitable.

En effet, la procédure décrite à l'article 3 s'apparente à un procès public. Dans la mesure où c'est une juridiction d'instruction et non une juridiction de jugement qui se prononcerait à la fois sur l'irresponsabilité pénale et l'imputabilité des faits, la présomption d'innocence du malade mental ne serait pas garantie. Par conséquent, ces dispositions méconnaissent l'article 66 de la Constitution, ainsi qu'un certain nombre d'articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

L'article 3 du présent texte est également contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que « tout accusé a droit [...] à se défendre lui-même ».

La nouvelle procédure prévoit que la comparution de l'accusé est autorisée à la discrétion du président de la chambre de l'instruction, en quelque sorte, qui peut l'ordonner d'office ou à la demande du ministère public ou de la partie civile, mais qui peut aussi ne pas l'autoriser.

Je comprends parfaitement que, dans certains cas, la personne concernée ne puisse pas comparaître dans une procédure publique parce qu'elle n'est pas en état de comprendre ou de participer à la confrontation. Mais il peut également se trouver des cas de personnes qui voudraient se présenter, se défendre - après tout, on sait que les choses évoluent - et qui, pour des raisons diverses, ne seraient pas convoquées. Le caractère contradictoire de la procédure n'est donc pas assuré dans une telle situation.

Le texte proposé à l'article 3 méconnaît aussi le principe de la nécessité des peines posé à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il y a en effet une grande incohérence à rendre la personne qui a été déclarée irresponsable pénalement punissable de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende en cas de non-respect d'une mesure de sûreté : si elle est irresponsable, on ne peut lui imputer ce non-respect. Nous sommes donc confrontés à une violation de principe.

D'autres arguments pourraient être présentés, en particulier quant à l'inscription au casier judiciaire, mais je ne les développerai pas. Nous avons relevé plus d'une dizaine de causes d'inconstitutionnalité, même après les corrections demandées par le Conseil d'État. Les amendements et sous-amendements déposés sont la preuve des difficultés que vous rencontrez.

Il m'apparaît que votre texte fait eau de toutes parts. Je ne dirai pas que c'est un naufrage du droit pénal français sur les récifs de la Constitution, mais nous n'en sommes pas loin !

Je crains que vous ne connaissiez, au fond, toutes ces raisons d'inconstitutionnalité et qu'il vous importe surtout de faire des effets devant l'opinion publique ; ce sera au Conseil constitutionnel de prendre ses responsabilités en renvoyant votre mauvaise copie !

Pour tous ces motifs, mes chers collègues, il vous est donc proposé d'adopter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)