Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, j’apprécie beaucoup votre effort de clarification. Pour autant, l’adoption d’une telle proposition risquerait de créer un vrai problème et de rendre la situation ingérable sur le terrain.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Dans les situations d’urgence, en cas de marée noire, par exemple, la mobilisation sur le terrain des associations et des bénévoles doit être immédiate. Comment voulez-vous alors que le préfet organise une concertation ? Cela semble pour le moins compliqué !

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Certes, votre intention est louable, et le fait de prévoir une concertation présente assurément un intérêt lorsqu’il n’y a pas d’urgence. Toutefois, dans le cas contraire, l’adoption de cet amendement aboutirait à compliquer encore davantage la tâche du préfet. À la limite, je préférais la version initiale, sans la concertation !

Au demeurant, nous en revenons toujours au même point : on ne peut pas évaluer ex ante le coût exact des mesures de réparation. Le projet de loi est très précis, c’est l’autorité administrative compétente qui fixera, in fine, le montant à rembourser.

Mme Évelyne Didier. Absolument !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, cet amendement pose donc véritablement un problème de cohérence temporelle.

Mme Évelyne Didier. Quelle usine à gaz !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, j’avais pourtant le sentiment que cette légère modification rédactionnelle était de nature à mieux encadrer le dispositif et à satisfaire tout le monde. En effet, imaginez, a contrario, que l’exploitant soit mal identifié et que les coûts dérapent : qui prendra en charge le travail des associations ?

Je sais bien que les préfets seront parfois confrontés à des situations d’urgence, qui pourront prendre un tour conflictuel, mais je ne vois pas en quoi cela les empêcherait d’organiser assez rapidement une concertation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, ce n’est pas parce que les tiers concernés demanderont des sommes excessives que celles-ci leur seront attribuées de droit. En tout état de cause, c’est l’autorité administrative compétente qui arrêtera, in fine, la somme que l’exploitant devra verser aux tiers. Elle engagera les consultations et recueillera les avis nécessaires pour lui permettre de prendre une décision appropriée, en fonction du montant réellement dépensé et dans des limites raisonnables. Elle n’aura absolument aucune obligation de faire droit aux demandes des tiers.

Encore une fois, le plafond que vous proposez d’introduire pose un problème de cohérence temporelle.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je souscris aux propos de Mme la secrétaire d’État et je voterai contre l’amendement.

Monsieur le rapporteur, vous donnez l’impression que l’argent va sortir de votre poche ! Sous couvert de clarification, vous mettez en fait des barrières au dispositif pour ne pas faire payer les exploitants fautifs. Cela ne nous surprend pas, tant nous connaissons votre détermination à limiter autant que possible les frais pour les entreprises.

Mais, je vous le rappelle, vous êtes le rapporteur d’un projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, qui vise à consacrer le principe pollueur-payeur. Que je sache, les pollueurs sont tout de même faciles à identifier ! Pourquoi donc voulez-vous plafonner la somme qu’ils devront rembourser pour la réparation ? C’est aberrant !

Là où vous êtes très fort, c’est que, pour les situations d’urgence et de crise, vous privilégiez la concertation. Autrement dit, quand c’est l’exploitant qui, au final, doit payer, il faut faire durer les choses…

Un peu de décence, je vous en prie ! Vous n’êtes pas à ce banc pour défendre les intérêts du grand capital ! (Exclamations amusées.) Cessez donc de vouloir instaurer des blocages, acceptez que les pollueurs paient, et qu’ils paient le juste prix !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur Desessard, permettez-moi de prendre la défense de M. le rapporteur ! Le problème n’est pas ce que paie ou ne paie pas le grand capital. Il s’agit de prévoir les modalités concrètes de remboursement des tiers et des bénévoles. Cela peut concerner, par exemple, une association qui s’est occupée du « démazoutage » des oiseaux et qui, pour ce faire, a mobilisé et équipé un certain nombre de bénévoles.

M. Jean Desessard. Dans ce cas précis, le pollueur est connu !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Certes, mais les réparations que le pollueur doit payer sont un autre problème, et elles peuvent atteindre des montants bien plus considérables. En l’espèce, il s’agit de verser un dédommagement à l’association qui, en organisant l’opération de dépollution, a notamment acheté des gants en caoutchouc.

M. Jean Desessard. M. le rapporteur veut limiter la quantité de gants en caoutchouc : un seul gant par personne, pas deux ! (Sourires.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur Desessard, je vous laisse libre de vos appréciations sur le grand capital. Mais, franchement, ce n’est pas le sujet !

Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.

Mme Odette Herviaux. Nous ne suivrons pas M. le rapporteur sur cet amendement et, pour ma part, je suis tout à fait satisfaite des explications données par Mme la secrétaire d’État. Pour avoir malheureusement vécu à plusieurs reprises de telles situations dans ma région, je sais qu’il est très difficile d’évaluer a priori les frais engagés par les associations dans ce domaine. L’instauration d’un plafond pour les dédommagements rendrait la situation absolument ingérable.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. J’avoue avoir été beaucoup plus sensible aux arguments de Mme la secrétaire d’État qu’à ceux de notre collègue Jean Desessard !

En présentant cet amendement n° 28 rectifié, je n’avais aucunement la volonté de prendre les associations et les bénévoles en otage. Mon souci était simplement de pouvoir donner plus de visibilité aux exploitants, sans pour autant les exonérer des responsabilités qui sont les leurs et des sommes qu’ils devront payer en cas d’atteinte grave à des biens « inappropriables ».

Cela étant, madame la présidente, je retire cet amendement.

MM. Jean Desessard et Paul Raoult. Ah !

Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié est retiré.

L’amendement n° 29, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l’article L. 162-25 du code de l’environnement :

«  Art. L. 162-25 - L’autorité visée au 2° de l’article L. 165-2 peut engager contre l’exploitant ou le tiers responsable une procédure de recouvrement des coûts dans une période de cinq ans à compter de la date à laquelle les mesures prescrites ont été exécutées ou de la date à laquelle l’exploitant responsable ou le tiers ont été identifiés, la date la plus récente étant retenue.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement vise à compléter le dispositif prévu par le texte proposé pour l’article L. 162-25 du code de l’environnement, en ouvrant la possibilité au préfet de recouvrer les coûts non seulement auprès de l’exploitant, mais aussi, le cas échéant, auprès du tiers responsable, afin d’éviter de contraindre l’exploitant à exercer une action récursoire.

Cette modification est conforme à l’article 10 de la directive, qui précise que l’autorité compétente est habilitée à engager contre l’exploitant ou, selon le cas, contre un tiers, une procédure de recouvrement des coûts.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, cet amendement me pose problème dans la mesure où l’article L. 162-25 fixe le délai durant lequel l’autorité administrative compétente est habilitée à engager l’une des procédures de recouvrement des coûts, mais il ne concerne pas celles qui sont engagées contre des tiers.

Par conséquent, l’adoption de l’amendement introduirait une ambiguïté, car il serait fait mention de procédures qui ne sont pas prévues par ailleurs. Les procédures de recouvrement des coûts à l’encontre de tiers sont exercées non seulement par l’autorité administrative compétente, mais aussi par toute personne qui y a intérêt, dans les conditions de droit commun.

Craignant un risque d’interférence, j’émets a priori un avis défavorable sur cet amendement. Mais peut-être M. le rapporteur peut-il m’apporter des éclaircissements ?

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Nous souhaitons simplement ouvrir une possibilité au préfet en la matière.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Mais quelle est-elle ?

M. Jean Bizet, rapporteur. Pouvoir précisément requérir contre un tiers. Je ne vois donc pas où est le problème !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Odette Herviaux. Un travail plus approfondi en commission n’aurait pas été inutile pour accorder vos violons…

M. Thierry Repentin. Vous auriez dû accepter la motion tendant au renvoi à la commission !

Mme Évelyne Didier et M. Jean Desessard. Une semaine de plus n’aurait pas fait de mal !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Cela n’aurait rien changé !

En fait, le problème ici est similaire à celui que nous avons rencontré en débattant, lors de l’examen de l’amendement n° 25, sur le partage des responsabilités entre les fabricants et les utilisateurs. J’ai fait valoir tout à l’heure que, selon le droit commun, les utilisateurs sont responsables, mais peuvent se retourner contre les fabricants.

En l’espèce, le droit commun prévoit également des procédures récursoires. Le fait d’introduire une certaine automaticité dans le dispositif ne me semble donc pas opportun.

Pour ces raisons, je suis pour le moins réservée sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous rappeler les termes exacts de l’article 10 de la directive : « L’autorité compétente » – c’est-à-dire le préfet – « est habilitée à engager contre l’exploitant ou, selon le cas, contre un tiers, qui a causé un dommage ou une menace imminente de dommage une procédure de recouvrement des coûts relatifs à toute mesure prise en application de la présente directive dans une période de cinq ans à compter de la date à laquelle les mesures ont été achevées ou de la date à laquelle l’exploitant responsable ou le tiers ont été identifiés, la date la plus récente étant retenue. »

Il s’agit donc bien, pour le préfet, d’une possibilité, et non d’une obligation.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L’amendement n° 58 est présenté par Mme Didier, MM. Billout, Danglot et Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L’amendement n° 80 est présenté par MM. Desessard et Muller et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.

L’amendement n° 93 rectifié est présenté par Mme Keller et M. Retailleau.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article L. 162-27 du code de l'environnement.

La parole est à M. Gérard Le Cam, pour présenter l’amendement n° 58.

M. Gérard Le Cam. Le texte proposé pour l’article L.162-27 exonère l’exploitant du régime de responsabilité au motif que l’état des connaissances scientifiques n’était pas, au moment de l’accident, suffisamment avancé pour justifier la responsabilité de l’activité économique en question. Si cette théorie du risque de développement est déjà inscrite dans le droit français, elle ne s’applique qu’aux produits défectueux, selon le principe de responsabilité pour faute présumée. La disposition du projet de loi, en étendant cette théorie aux dommages environnementaux, constitue une grave régression du droit de l’environnement et doit donc être supprimée.

Ainsi, le patronat a obtenu satisfaction sur l’exonération de l’exploitant pour risque de développement. Les représentants du MEDEF ont expliqué, lors du colloque sur la responsabilité environnementale qui s’est tenu à la Cour de cassation, que cette exonération était une condition nécessaire au maintien de la compétitivité des entreprises françaises, dans la mesure où les investisseurs ne peuvent pas supporter un facteur de risque comportant un aléa « non assurable et non auto-assurable ». Enfin, ils ont avancé l’idée que, si cette exonération n’avait pas été retenue, son absence aurait constitué un frein à la recherche et à l’innovation des entreprises basées en France, ainsi qu’un obstacle majeur pour les investisseurs étrangers.

Ces arguments ne tiennent pas. L’activité d’une entreprise présente des risques, qu’elle prend pour faire des bénéfices, et comporte des choix. Les entreprises ne sauraient s’abriter, pour s’exonérer de leur responsabilité, derrière un « on ne pouvait pas savoir ». De plus, il sera difficile d’établir l’état des connaissances scientifiques au moment du dommage lors d’un procès qui pourra se dérouler plusieurs années après !

L’amendement n° 58 tend donc à la suppression du texte proposé pour l’article L.162-27.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 80.

M. Jean Desessard. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de l’argumentaire développé par M. Gérard Le Cam. Ce qui est en cause ici, c’est le principe de précaution : quand on ne sait pas, on ne fait pas ! (Sourires.)

Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution. Ce n’est pas simplement une lubie des Verts, des écologistes ou d’autres plaisantins ! Il a été voté par la majorité. Et ce principe étant inscrit dans la Constitution, on doit en tenir compte !

Deux attitudes sont possibles par rapport à la responsabilité environnementale.

Pour certains, cette responsabilité ne s’applique qu’au délinquant environnemental, celui qui sait que ses actes sont nuisibles à l’environnement et qui doit donc réparer.

Mais la situation de la planète n’exige-t-elle pas plus que cela ? Il existe de nombreux produits que l’on ne maîtrise pas. Or, au prétexte que l’on ne sait pas encore si ces produits sont véritablement nuisibles, on considère que l’on peut les utiliser. Non ! C’est trop dangereux ! Nous devons appliquer le principe de précaution, qui correspond à la seconde attitude.

Vous me rétorquerez que l’application de ce principe va nuire à l’économie. Néanmoins, si nous ne faisons pas attention à notre planète, les usines que vous ouvrirez ne se développeront pas longtemps, car il n’y aura plus ni ressources naturelles, ni air, ni sol, ni eau !

La responsabilité environnementale des entreprises consiste à se préoccuper de l’avenir. Ces dernières ne doivent pas continuer à produire en se disant : « Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais tout de même ! »

Avec cet amendement, nous voulons donc rappeler ce que sont le principe de précaution et la responsabilité environnementale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour présenter l’amendement n° 93 rectifié.

Mme Fabienne Keller. Le projet de loi exonère de l’application du principe de responsabilité tout dommage résultant d’une activité qui, au moment du dommage, n’était pas identifiée comme susceptible de causer des dégâts.

Le principe de précaution suppose que l’on agisse avec une certaine prudence lorsque l’on utilise de nouvelles technologies, de nouvelles molécules et de nouvelles techniques. C’est bien cette vigilance particulière qui doit donner lieu à une responsabilité, et donc au maintien de la responsabilité de l’exploitant. Même si la nuisance est prouvée a posteriori, elle peut être présumée a priori.

Il nous semble important de maintenir ce qui, comme l’a clairement dit M. Desessard, n’est qu’une déclinaison du principe de précaution, principe désormais inscrit dans la Constitution.

Mme la présidente. L’amendement n° 30, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 162-27 du code de l'environnement, remplacer les mots :

aux articles L. 162-6 et L. 162-7

par les mots :

aux articles L. 162-10 et L. 162-11

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 58, 80 et 93 rectifié.

M. Jean Bizet, rapporteur. L’amendement n° 30 vise à une coordination.

S’agissant des amendements identiques nos 58, 80 et 93 rectifié, la commission est très favorable à la reprise dans le projet de loi de l’exonération pour risque de développement, que la directive permet aux États membres d’instituer.

Dans un contexte communautaire marqué par des distorsions de concurrence, l’absence de cette exonération pourrait freiner les investissements extérieurs sur le territoire national ou inciter au transfert d’activité vers d’autres États. En outre, elle constituerait un obstacle majeur au développement de la recherche et de l’innovation des entreprises basées en France. Enfin, elle créerait des conditions favorables à la mise en place d’une offre assurantielle, dans la mesure où il apparaît très difficile d’assurer un risque qui n’est pas encore connu.

Je reconnais avoir évolué intellectuellement sur le sujet de l’exonération pour conformité au permis, sur lequel nous avons souscrit à l’analyse du Gouvernement. En revanche, je ne saurais accepter la suppression de l’exonération pour risque de développement, pour la simple et unique raison que cette suppression aurait pour conséquence de stériliser complètement l’évolution de notre société. Ce n’est pas par la décroissance, la frilosité ou la suspicion permanente que nous pourrons résoudre nos problèmes.

Monsieur Desessard, vous faites une mauvaise analyse du principe de précaution. C’est non pas un principe de suspicion, mais un principe d’action, proportionné, transitoire.

La commission est donc absolument défavorable aux amendements nos 58, 80 et 93 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Il s’agit d’une question fondatrice de ce projet de loi.

La directive ouvrait deux options : l’exonération pour risque de développement et l’exonération pour conformité au permis. Nous avons choisi de retenir la première, tout en encadrant très strictement les conditions permettant d’en bénéficier, et pas l’autre : l’exploitant doit démontrer qu’il n’a ni commis de faute ni fait preuve de négligence, et que son activité n’était pas considérée, à la date du fait générateur du dommage, comme pouvant engendrer un tel risque.

Mme Herviaux disait tout à l’heure qu’il était difficile de retrouver les éléments scientifiques permettant de démontrer cela. Ce n’est pas le cas ! On peut établir, me semble-t-il, grâce à la documentation existante, que les connaissances scientifiques faisaient état ou non d’un risque  au moment du fait générateur.

Il est vrai que, dans cet article 1er, nous avons retenu le principe de cette exonération. Mais nous incitons également l’exploitant à faire preuve de prudence, sans pour autant sanctionner l’innovation.

J’en viens au principe de précaution. Nous avons déjà eu ce débat. Ce principe, tel qu’il a été « cristallisé » dans la Charte de l’environnement et dans la Constitution, opère une distinction entre la prévention, qui concerne tout un chacun,  et la précaution. En cas d’incertitude scientifique, ce sont les autorités publiques qui sont à l’initiative de l’action et décident d’engager ou non les mesures de précaution.

Je parle bien d’incertitude scientifique et non pas seulement de doute. Le doute signifie qu’il existe une distribution de probabilités connues. En cas d’incertitude scientifique, on ne connaît même pas la distribution des probabilités.

Le fait de retenir cette exonération pour risque de développement me paraît parfaitement cohérent avec le principe de précaution tel qu’il a été inscrit dans la Constitution, même si d’autres interprétations de ce principe peuvent exister.

Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements identiques nos 58, 80 et 93 rectifié. En revanche, il est favorable à l’amendement n° 30 de la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 58, 80 et 93 rectifié.

M. Jean Desessard. Je ferai plusieurs remarques sur l’intervention de M. le rapporteur.

Tout d’abord, il justifie la transposition a minima de la directive en invoquant la nécessité  pour notre pays de rester compétitif par rapport à d’autres pays n’appliquant pas les mêmes règles.

En fait, monsieur le rapporteur – et nous avons déjà fait cette analyse lors de la discussion générale –, vous transposez cette directive dans l’urgence, parce que nous sommes Européens et qu’il faut bien le faire, Europe oblige !

J’aurais préféré vous entendre dire que la France se doit d’être à la pointe du combat environnemental, de proposer des normes et de rattraper son retard en la matière. Nous avons une secrétaire d’État dynamique, un ministre de l’écologie au sommet de la hiérarchie gouvernementale. Nous pensions qu’il y aurait un élan ! (Sourires.) Certes, il y a eu le Grenelle de l’environnement mais, depuis, l’élan est retombé, et vous nous présentez un projet de loi de transposition a minima, examiné dans la précipitation.

Qu’allons-nous dire, en tant que pays développé, aux représentants des autres pays lors des rencontres internationales ? Que nous ne voulons pas faire d’efforts supplémentaires en matière de protection de l’environnement, car nous voulons rester compétitifs ?

Si nos pays, qui ont déjà prélevé bien des ressources naturelles, ne veulent pas faire d’efforts, pourquoi les pays en voie de développement en feraient-ils ? Qui fera ces efforts ?

Enfin, monsieur le rapporteur, vous n’avez pas le monopole du développement économique.

M. René Beaumont. Ni vous celui de l’environnement !

M. Jean Desessard. Si vous aviez écouté les écologistes qui annonçaient la hausse du prix du baril de pétrole et préconisaient l’orientation de l’économie, au besoin par des aides de l’État, vers la recherche d’autres types de ressources énergétiques,…

M. René Beaumont. Comme le nucléaire ?

M. Jean Desessard. … nous serions alors les rois non pas du pétrole, mais de l’énergie ! (Sourires.)

MM. René Beaumont et Charles Pasqua. Le nucléaire !

M. Jean Desessard. Je citerai deux exemples.

Monsieur Pasqua, vous n’êtes pas venu écouter le patron de Saint-Gobain lors de son audition par la commission des affaires économiques ! Je n’ai pas l’habitude de défendre les patrons dans cet hémicycle, mais je dois dire que c’était très intéressant. En effet, ce patron a dit non pas que les contraintes et des règles allaient empêcher l’économie de prospérer mais, au contraire, que nous étions obligés « d’y aller », et que plus nous anticiperions – « nous », c’est-à-dire la France, mais aussi l’ensemble des pays d’Europe et du monde –, mieux nous serions armés !

Le patron de Saint-Gobain lui-même a donc déclaré qu’il fallait poser des règles et tenir compte de l’environnement ! Ce n’est donc pas seulement Jean Desessard, celui qui préconise la décroissance, qui tient un tel propos ! (Sourires.)

Autre exemple, le patron de Suez Environnement,…

M. Charles Pasqua. Mais cessez donc de soutenir comme cela le patronat ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. …lors d’un petit-déjeuner avec le président du Sénat, a déclaré que, en l’absence de contraintes et de règles, on ne s’en sortirait pas !

Aujourd’hui, le développement économique passe par le respect de l’environnement. Plus les entreprises seront en pointe sur ce sujet, plus elles se développeront. Préserver l’environnement, c’est une obligation européenne et mondiale. Et les entreprises qui s’adapteront à ces normes environnementales prendront de l’avance. Vous le voyez, monsieur le rapporteur, je ne vous laisse pas le monopole du développement économique !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 58, 80 et 93 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 30.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 121 rectifié, présenté par Mme Herviaux, MM. Raoult, Repentin, Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 162-27 du code de l'environnement, insérer un article ainsi rédigé :

« Art. L. ... - I. - Les associations ayant reçu l'agrément au titre de l'article L. 141-1 du présent code peuvent alerter l'autorité compétente au moyen d'une lettre recommandée avec accusé réception adressée mentionnant l'exploitant concerné et accompagnée des informations et données pertinentes venant étayer ses observations sur la présomption d'un dommage environnemental.

« II. - Lorsque la demande d'action et les observations qui l'accompagnent indiquent d'une manière plausible l'existence d'un dommage environnemental, l'autorité compétente donne à l'exploitant concerné la possibilité de faire connaître ses vues concernant la demande d'action et les observations qui l'accompagnent.

« III. - L'autorité administrative compétente peut constater à tout moment l'existence d'un dommage. Dans ce cas, les dispositions du présent titre sont applicables. Dans le cas contraire, elle informe l'association demanderesse dans un délai de trois mois du rejet de sa demande d'action. Dans ce cas, elle peut engager les procédures de recours de droit commun devant les juridictions appropriées.

II. - En conséquence, supprimer le 6° du texte proposé par cet article pour l'article L. 165-2 du même code.

La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Cet amendement a pour objet de créer un système d’alerte et de donner corps à l’article 12 de la directive, que ce projet de loi nie littéralement.

Conformément au souci constant de notre groupe de renforcer les moyens d’information et d’évaluation, nous souhaitons créer un dispositif d’alerte qui permette aux associations de porter à la connaissance de l’administration une présomption de dommage sans engager pour cela directement une action en justice.

C’est l’un des oublis fondamentaux du projet de loi que nous proposons ainsi de réparer par l’adjonction d’un article additionnel L. 162-28 visant à transposer dans notre droit les dispositions de l’article 12 de la directive non prises en compte par le texte qui nous est soumis.

Cet article 12 précise, en fait, que les États membres déterminent dans quels cas il existe un intérêt suffisant pour agir ou quand il y a atteinte à un droit.

Si nous vous avons bien compris, monsieur le rapporteur, vous préconisez de transposer cet article fondamental par un décret prévu à l’article L. 165-2. Il y aurait donc deux traitements différenciés dans la transposition : l’important par voie législative, le secondaire par voie réglementaire.

Nous vous proposons d’améliorer considérablement ce texte en créant une réelle procédure d’alerte. Les associations ayant reçu l’agrément au titre de l’article L. 141-1 du présent code pourraient alors alerter l’autorité à partir d’informations et données pertinentes sur la présomption d’un dommage environnemental.

Lorsque la demande d’action et les observations qui l’accompagnent indiqueraient d’une manière plausible l’existence d’un dommage environnemental, l’autorité compétente donnerait à l’exploitant concerné la possibilité de faire connaître ses propres vues s’agissant de la demande d’action et des observations qui l’accompagnent.

Ce serait l’esquisse d’une véritable démocratie écologique, l’un des objectifs annoncés du Grenelle de l’environnement. Ce serait pour nous un signe de reconnaissance et de considération à l’égard du monde associatif qui, dans les domaines de la protection de l’environnement, joue un rôle irremplaçable.