Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Laissez-moi terminer !

Au-delà de l’État, il y a la responsabilité pénale des agents de l’État pour des fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. De telles mises en cause peuvent être envisagées : elles l’ont été dans le cadre du procès de l’Erika, puisque des agents de l’État ont pu faire l’objet de poursuites avant d’être finalement relaxés par le tribunal.

En ce qui concerne les navires étrangers, nous nous heurtons au principe de l’immunité de juridiction des États en droit international public : un État ne peut juger un autre État. Dans un conflit de ce genre, la solution peut consister en un règlement par voie diplomatique, d’arbitrage ou par l’entremise de la Cour internationale de justice. Mais on ne peut pas s’affranchir de ces contraintes.

Par exemple, si un navire de guerre ne respecte pas les réglementations de l’État dont il traverse les eaux territoriales, l’État côtier peut l’inviter à quitter immédiatement ses eaux territoriales. Il n’existe pas d’autre type de règlement dans un tel cas de figure. Je comprends que vous estimiez qu’une telle situation ne soit pas complètement satisfaisante, mais le droit international public n’autorise actuellement rien de plus.

Vous l’avez compris, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 90.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 64, je comprends très bien l’argument de M. de Richemont, car il est tout à fait imparable.

Il y a une grande mauvaise foi…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Non, de la mienne ! (Sourires.)

C’est faire preuve de mauvaise foi, disais-je, que de vous renvoyer à la convention de Montego Bay. Cela dit, nous ne pouvons pas agir autrement. M. le rapporteur l’a d’ailleurs excellemment rappelé, nous ne pouvons pas revenir sur les stipulations d’une convention internationale, pas plus dans cet hémicycle qu’à l’Assemblée nationale.

Cette situation est extrêmement frustrante, mais il arrive assez souvent, en matière de droit de l’environnement, que l’on se heurte, par exemple, aux règles de l’Organisation mondiale du commerce qui sont peu adaptées aux problèmes environnementaux. L’envie de les changer est grande, mais c’est impossible dans le cadre du Parlement.

Je reconnais donc l’extrême mauvaise foi de cette réponse, que vous avez d’ailleurs anticipée. Il m’est impossible de vous en faire une autre. L’avis du Gouvernement sur ce sous-amendement n° 90 ne peut donc qu’être défavorable.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. J’avais émis le souhait d’entendre les explications du Gouvernement sur le sous-amendement n° 62.

La commission des affaires économiques avait largement débattu sur ce point. Je ne m’étais pas montré insensible à la rationalité de la réflexion de notre collègue Henri de Richemont. Cela dit, le juge n’est pas contraint dans sa décision quant au montant des peines. Il peut fort bien ne pas aller jusqu’au maximum.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Il n’y va d’ailleurs jamais !

M. Jean Bizet, rapporteur. Dans la mesure où nous intervenons dans le cadre de la transposition de la directive n° 204/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux – il serait d’ailleurs plus pertinent de l’appeler : directive relative à la prévention et à la réparation des dommages causés aux biens « inappropriables » tels que l’environnement – plafonner le montant des amendes reviendrait à lancer un mauvais message à nos concitoyens, puisque les plus graves atteintes à l’environnement que notre pays ait connues – j’espère qu’il ne s’en reproduira pas demain – ont été des pollutions marines.

Je me range donc à l’avis du Gouvernement et je demande à notre collègue Henri de Richemont de bien vouloir retirer son sous-amendement ; dans le cas contraire, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Monsieur de Richemont., le sous-amendement n° 62 est-il maintenu ?

M. Henri de Richemont. Oui, monsieur le président. Je souhaiterais m’expliquer brièvement car j’ai écouté avec grand intérêt les explications de Mme la secrétaire d’État et de M. le rapporteur.

Madame la secrétaire d’État, vous nous avez parlé de réparation. Or, dans le cas présent, il ne s’agit pas de la réparation de dommages mais d’une amende.

M. Henri de Richemont. En matière de réparation, vous savez bien que la responsabilité du propriétaire du navire et de l’affréteur est limitée, ce qui n’est pas le cas en matière d’amende. Or nulle part ailleurs dans le monde sont prononcées des amendes pouvant atteindre 12 milliards d’euros ! Vous me dites que le juge peut ne pas monter à ce niveau de sanction, mais il en a la faculté !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Il ne le fait jamais !

M. Henri de Richemont. Aujourd’hui, la construction navale n’est possible que grâce au financement des banques qui sont propriétaires des navires. En sachant qu’elles peuvent encourir de telles amendes, elles seraient complètement folles de vouloir continuer à financer des navires !

C’est la raison pour laquelle je propose, comme cela se fait ailleurs en Europe, de limiter le montant maximal de ces amendes à 5 millions d’euros – somme déjà considérable pour une amende – pour permettre à toutes les parties prenantes au financement des navires de poursuivre ce financement.

Nous souhaitons que des Français continuent à financer, à produire des navires et à porter notre pavillon. Si les Français sont les seuls à être pénalisés en ignorant les sanctions auxquelles ils sont exposés, vous détruisez la filière navale française !

C’est la raison pour laquelle je demande au nom de quoi nous devrions êtres plus sévères que tous les autres pays européens ! Plafonnons ces amendes à 5 millions d’euros – même si ce plafond est supérieur à ceux des autres pays – et les financeurs sauront au moins exactement quel est le montant maximal des amendes auxquelles ils s’exposent.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Je comprends votre souci d’harmonisation européenne, monsieur de Richemont. Il se défend et pourrait être plaidé devant les institutions de l’Union européenne. Mais, vous le sentez bien, l’amende de 12 milliards d’euros est très théorique ! Les choses ne fonctionnent pas ainsi !

Je le répète, nous nous trouvons face à un problème de principe : nous transposons une directive qui ne porte pas uniquement sur la réparation des dommages mais, d’une manière plus générale, sur la responsabilité environnementale. Dès lors, fixer un tel plafond pour ce type de pollution, qui est très emblématique, ce serait adresser un mauvais signal. Encore une fois, jamais des amendes de 12 milliards d’euros n’ont été prononcées !

M. Henri de Richemont. Cinq millions d’euros, c’est déjà considérable !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Certes, mais le coût des pollutions l’est aussi !

La directive porte plus encore sur la prévention que sur la réparation. Le risque de sanctions doit donc peser. Si le plafond est fixé à 5 millions d’euros, cela signifie que tout est assurable !

M. Henri de Richemont. Non, une amende n’est pas assurable !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Soit, mais c’est tout de même prévisible !

Notre objectif est de faire au maximum de la prévention pour éviter qu’un dommage ne survienne. Prévoir un plafond pour ce type de pollution reviendrait à délivrer un message qui ne serait pas cohérent avec le reste des dispositions du texte. Il y a bien là, au-delà du problème purement technique concernant le montant de l’amende, une question de cohérence politique du projet de loi. Je reste donc très défavorable à ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 62.

Mme Évelyne Didier. Je vais évidemment voter contre ce sous-amendement, mais je tiens à relever au passage qu’un montant de 5 millions d’euros pour une amende est considéré par des sociétés ou des banques comme « raisonnable » au regard de la valeur du navire et de sa cargaison. Et il s’agit dans tous les cas, je le rappelle, de multinationales ; je trouve donc, dans ces conditions, qu’il est un peu abusif de faire jouer la fibre patriotique en en appelant à la défense du pavillon français, comme s’y est employé M. de Richemont.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 62.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 88.

M. Jean Desessard. M. le rapporteur m’a invité à lire attentivement la rédaction proposée pour l’article L. 218-19 du code de l’environnement : quelle est-elle donc ? « Les peines prévues à la présente sous-section sont applicables soit au propriétaire, soit à l’exploitant ou à leur représentant légal ou dirigeant de fait s’il s’agit d’une personne morale, soit à toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ou de la plate-forme, lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l’origine d’un rejet effectué en infraction aux articles L. 218-11 à L. 218-18 ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter. »

Selon M. le rapporteur, l’affréteur ou le commanditaire du fret sont inclus parmi les personnes susceptibles, aux termes de cette rédaction, d’être sanctionnées. Selon moi, il n’y a qu’un cas de figure où ils sont inclus.

Premier cas : les peines peuvent être appliquées à l’affréteur ou au commanditaire du fret s’il y a négligence quant au choix du transporteur. Ainsi, dans l’affaire de l’Erika, Total a été condamné parce que le bâtiment était trop vieux et que la compagnie n’avait pas pris assez de précautions. Mais cela ne pourra sans doute plus être le cas demain si la loi ne vise plus le commanditaire.

Sur ce point, madame la secrétaire d’État, vous vous êtes livrée à un véritable tour de passe-passe ! D’ailleurs, ne nous avez-vous pas dit vous-même que vous assumiez votre mauvaise foi ? (Sourires.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Pas sur ce sujet !

M. Jean Desessard. En effet, vous avez cité l’exemple de l’Erika pour vous opposer à mon sous-amendement, mais il devrait plutôt nous inciter à faire figurer le commanditaire du fret dans l’article L. 218-19.

Deuxième cas : le transporteur choisi n’offre pas les garanties permettant d’assurer totalement le paiement des réparations : il peut s’agir, par exemple, d’un défaut d’assurance. Le client ne peut pas le savoir, mais il doit prendre toutes les précautions nécessaires. La rédaction proposée par la commission exclut la condamnation du client dans ce cas de figure.

Troisième cas, l’affréteur ou le commanditaire du fret a imposé un cahier des charges incompatible avec le respect des normes environnementales. Monsieur le rapporteur, je vous l’accorde, on peut effectivement considérer que, dans cette hypothèse, la rédaction qui est proposée – « exerçant en droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou d’une direction dans la gestion » – permet bien de condamner l’affréteur ou le commanditaire : l’établissement d’un cahier des charges – lequel, en l’occurrence, ne serait pas assez contraignant – peut être considéré comme l’exercice d’un pouvoir de direction.

En revanche, dans les deux premiers cas de figure, l’affréteur ou le commanditaire ne seront pas condamnés : l’adoption d’une telle disposition conduirait à une situation dans laquelle la compagnie Total ne serait pas aujourd'hui condamnée.

Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je vous invite donc à mon tour à bien analyser les conséquences de la rédaction qui nous est proposée pour l’article L. 218-19. J’espère que vous allez entendre raison parce que je suis certain que, sur le fond, vous approuvez la condamnation de Total.

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont, pour explication de vote.

M. Henri de Richemont. Je voudrais simplement apporter une explication d’ordre technique. Nous ne discutons pas ici du cas de l’Erika, mais bien du problème des rejets en mer.

Les navires disposent de citernes pour stocker les boues et les eaux sales avant qu’elles soient déchargées. Un dispositif appelé « séparateur 18 ppm » permet de détecter, lors du rejet en mer, la présence d’hydrocarbures dans les eaux sales et de stopper le processus. Or certains chefs-mécaniciens, pour faire des économies, désactivent le séparateur 18 ppm ou ne l’entretiennent pas. L’affréteur, que ce soit Total ou un autre, est évidemment dans l’incapacité de savoir si le chef-mécanicien va « bidouiller » ou non le séparateur !

Sans me prononcer sur le fond de ce sous-amendement, je répète que nous ne sommes pas ici dans un cas semblable à celui de l’Erika. Le débat porte sur la question purement technique des instruments de bord destinés à permettre le rejet des seules eaux propres : en cas de déficience ou de négligence technique, il est normal que la personne qui est chargée de l’entretien du navire soit condamnée parce qu’elle n’a pas fait correctement son travail.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 88.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, le sous-amendement n° 89 n’a plus d’objet.

La parole est à M. Henri de Richemont, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 63.

M. Henri de Richemont. Que les choses soient bien claires : je suis absolument d’accord pour que tout comportement fautif, qu’il soit volontaire ou qu’il résulte d’une négligence, fasse l’objet d’une condamnation. Ce comportement doit être sanctionné, car toute négligence entraînant une pollution est totalement inacceptable.

Ce qui me pose un problème dans le premier alinéa du II de l’amendement n° 42 rectifié, c’est le fait qu’une alternative soit posée : si, je le répète, j’en approuve le premier terme, celui qui prévoit la sanction d’un comportement fautif qui est à l’origine d’un risque pour l’environnement, je conteste le bien-fondé du second terme, celui qui justifie la sanction par le fait que, même en l’absence de tout comportement fautif, de toute négligence, « un dommage irréversible ou d’une particulière gravité » a été causé à l’environnement.

M. Dominique Braye. Il peut y avoir eu comportement fautif : c’est au tribunal d’en décider !

M. Henri de Richemont. Comment envisager qu’une condamnation pénale puisse être prononcée même en l’absence de faute, qu’elle le soit uniquement en raison des conséquences observées ?

Il peut survenir à bord d’un navire une innavigabilité soudaine, une avarie de barre ou un abordage, qui provoque une pollution. Et si cette dernière est importante, elle devrait entraîner une condamnation pénale ? Cela me paraît inconcevable !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 63.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Monsieur Desessard, le sous-amendement n° 90 est-il maintenu ?

M. Jean Desessard. Madame la secrétaire d’État, je suis très gêné par la réponse que vous m’avez, de bonne foi, apportée. (Sourires.) En effet, vous avez relevé une contradiction dans mon argumentation : les conventions internationales interdisent en effet qu’un État soit condamné pour défaut d’entretien ou de contrôle des navires ou des équipages.

Mais ne peut-on faire évoluer cette situation ? Doit-on attendre que les décisions se prennent au niveau international ? Le parlement d’un État a-t-il encore la possibilité d’être une force de proposition ? Je le souhaite. Actuellement, le Parlement ne peut confier à l’exécutif qu’une délégation sans mandat pour négocier au niveau international. Il faudrait peut-être donner aux assemblées la possibilité de délibérer des réformes qu’elles voudraient voir émerger au niveau européen ou international et de mandater le Gouvernement en ce sens.

C’est dans cet esprit, monsieur le président, que je maintiens mon sous-amendement.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 90.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 64.

M. Henri de Richemont. Madame la secrétaire d’État, loin de moi l’idée de penser que vous puissiez être de mauvaise foi, …

M. Jean Desessard. C’est elle-même qui le dit ! (Sourires.)

M. Henri de Richemont. … mais reconnaissez que nos propos à tous, sur ce sujet, sont empreints d’une grande hypocrisie.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. C’est vrai !

M. Henri de Richemont. Vous avez souligné qu’on ne pouvait pas toucher à la convention de Montego Bay. Rassurez-vous, ce n’est pas ce que je vous demande ! Je ne fais que réclamer l’alignement, en dehors de nos eaux territoriales, du régime des navires français sur celui des navires étrangers. Il faut supprimer toute discrimination à l’encontre du pavillonnement français. La convention ne vous oblige pas à infliger des sanctions pénales aux navires français alors que vous ne le faites pas pour les bateaux étrangers.

Ma proposition me paraît vraiment relever du simple bon sens ! Il s’agit uniquement de permettre aux armateurs et aux officiers français de bénéficier des mêmes avantages que leurs homologues étrangers.

En incitant les armateurs à choisir un pavillon français, nous créerons plus de sécurité maritime, ce qui correspond à votre objectif, madame la secrétaire d’État.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Monsieur de Richement, le dispositif que vous proposez est certes conforme au droit international – en l’espèce la convention de Montego Bay –, mais non à la directive communautaire.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Non ! Si ce sous-amendement était adopté, la France ne satisferait plus à l’objectif visé par la directive.

M. Henri de Richemont. La directive est muette sur le sujet !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Ce n’est pas mon interprétation, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Je ne suis pas avocat, et je suis encore moins spécialiste des problématiques que notre collègue Henri de Richemont manie avec beaucoup …

M. Roland du Luart. De talent !

M. Jean Bizet, rapporteur. … de finesse et de pertinence, mais également – je le dis avec toute l’amitié que je lui porte –, avec un peu de perversité. (Rires.)

M. Henri de Richemont. Pas du tout !

M. le président. Disons : de malice !

M. Jean Bizet, rapporteur. En effet, il est tout de même délicat de ne pas appliquer les mêmes sanctions aux capitaines et aux armateurs français selon que l’infraction incriminée a été commise dans les eaux territoriales ou dans les eaux internationales.

Mon cher collègue, vous souhaitez une harmonisation des sanctions applicables aux navires français et aux navires étrangers en cas de pollution dans les eaux internationales.

M. Jean Bizet, rapporteur. Mais le système serait alors quelque peu pervers. Un navire français serait moins condamné pour une infraction commise dans les eaux internationales que pour la même infraction commise dans les eaux territoriales.

Notre débat d’aujourd'hui s’inscrit dans la perspective d’une transposition de directive communautaire.

M. Henri de Richemont. Mais la directive n’évoque pas ce sujet !

M. Jean Bizet, rapporteur. Or, en adoptant ce sous-amendement, nous irions à l’encontre de la directive que nous souhaitons transposer.

Reconnaissez qu’il y a tout de même dans votre proposition quelque chose d’un peu malicieux, et je ne peux pas vous suivre sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Mes chers collègues, admettez que le système actuel est tout de même problématique.

Alors qu’un navire étranger est passible d’une condamnation pénale seulement s’il pollue dans les eaux françaises, un navire français peut être soumis à telle sanction pour des dégradations causées aussi bien dans les eaux territoriales que dans les eaux internationales. Avouez qu’une telle situation dépasse l’entendement ! Par conséquent, j’ai soulevé ce problème non pas en raison d’une quelconque « perversité », mais bien au nom du bon sens !

Il s’agit simplement d’aligner le régime des navires français sur celui qui est applicable aux navires étrangers, afin, encore une fois, de défendre le pavillonnement français.

Si nous instituons une discrimination en défaveur des pavillons français, ne nous étonnons que tout le monde opte pour des pavillons de complaisance ! En revanche, si nous souhaitons garantir la sécurité maritime, il faut aider le pavillonnement français. C’est une simple question de bon sens, et cela ne remet nullement en cause les objectifs de la directive.

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat suscite une véritable interrogation, que nous sommes nombreux à partager.

Certes, je comprends bien l’argumentation de M. le rapporteur. Il est effectivement anormal qu’un navire français ne soit pas soumis aux mêmes sanctions selon qu’il commet une infraction dans les eaux territoriales ou dans les eaux internationales.

Pour autant, est-il normal qu’à infraction similaire, un navire français soit plus fortement condamné qu’un navire étranger ?

À cet égard, permettez-moi de formuler une observation. S’agissant du Grenelle de l’environnement, sujet que nous avons largement évoqué, nous sommes un certain nombre de sénateurs à partager le même point de vue. Selon nous, chaque fois que nous soumettons nos entreprises à de nouvelles contraintes, et ce alors que nos voisins les plus proches ne font pas de même, nous nous tirons une balle dans le pied.

Ainsi, actuellement, en matière de quotas d’émission de dioxyde de carbone, nous sommes particulièrement défavorisés par rapport à nos voisins allemands. D’ailleurs, les dirigeants du groupe Arcelor Mittal ont clairement brandi la menace de délocaliser la totalité de leurs activités françaises vers l’Allemagne, car les règles en matière d’émissions de CO2 y sont nettement moins contraignantes.

On ne peut plus continuer comme cela ! N’oublions pas que nous sommes un petit pays et que nous vivons tous sur la même planète !

Pour ma part, en compagnie de M. le président de la commission des affaires économiques, j’ai eu l’occasion d’aller négocier les règles applicables aux cimentiers en matière de quotas d’émissions de CO2. Nous avons alors dressé un constat simple : plus les contraintes qui pèsent sur les cimentiers français sont lourdes, plus notre pays est amené à importer du ciment de Turquie. Or celui-ci est fabriqué dans des conditions nettement moins respectueuses de l’environnement, avec des émissions de CO2 beaucoup plus importantes, sans compter celles qui sont liées au transport de ce matériau pondéreux.

Par conséquent, soyons raisonnables ! Nous sommes tous dans le même bateau ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Et ce bateau, il bat pavillon français ou étranger ? (Nouveaux sourires.)

M. Dominique Braye. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas soutenir un dispositif qui ferait peser une charge supplémentaire sur une activité française. Essayons tout de même de penser à notre économie !

Mme Évelyne Didier. Mais nous ne faisons que cela ! C’est à notre environnement que nous ne pensons pas suffisamment !

M. Dominique Braye. L’environnement est un enjeu important, à condition que les progrès en la matière soient partagés par tous. Mais cessons de « plomber » notre industrie !

M. Jean Desessard. C’est l’industrie qui plombe l’air ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur. Les arguments avancés par nos collègues Henri de Richemont et Dominique Braye sont très pertinents. Une telle différence de traitement entre les navires français et les navires étrangers n’est effectivement pas satisfaisante. Simplement, elle relève de ce que j’appellerai la « loi du pavillon ».

Dès lors, la seule solution pour sortir de cette situation réside dans une éventuelle modification de la convention internationale de Montego Bay.

M. Henri de Richemont. Ça, c’est complètement utopique !

M. Jean Bizet, rapporteur. Je suggère donc à Mme la secrétaire d’État, qui rencontre le Président de la République beaucoup plus souvent que nous, de lui préciser que la représentation nationale ne pourra plus accepter longtemps de telles disparités.

À mon sens, c’est la seule solution pour le moment. En attendant, je prie notre collègue Henri de Richemont de retirer son sous-amendement.

M. Henri de Richemont. Sûrement pas !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Le sujet est, certes, difficile.

Simplement, comme d’autres sénateurs élus du littoral atlantique, je représente un département dont les plages sont régulièrement polluées par des boulettes de mazout.

Sans doute les règles françaises sont-elles beaucoup plus exigeantes que les dispositions internationales. Mais faut-il aligner les normes les plus rigoureuses sur les normes les plus faibles, ou l’inverse ? Devons-nous baisser la garde et donner raison à des pays bien moins rigoureux que nous en matière de défense de l’environnement ? En raison de son extraordinaire patrimoine maritime – notre pays est celui qui, au sein de l’Union européenne, dispose des plus vastes eaux territoriales – la France ne doit-elle pas au contraire porter des exigences environnementales fortes ? C’est mon sentiment.

Certes, je comprends bien le sens du sous-amendement de notre collègue Henri de Richemont. Selon lui, si nous adoptions un tel dispositif, qui est au demeurant astucieux, le système des sanctions applicables aux navires pollueurs serait mieux encadré.

Néanmoins, l’adoption de ce sous-amendement constituerait, me semble-t-il, un mauvais signal. Et je dis cela en tant qu’élu d’un département confronté pratiquement tous les deux ou trois ans à des dégazages.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Les arguments sur la compétitivité des entreprises et de notre économie sont parfaitement légitimes, et ce pour deux raisons.

D’abord, c’est l’économie qui nous fait vivre.

Surtout, en imposant des normes trop strictes, nous risquons de provoquer des délocalisations vers des pays dans lesquels il n’existe aucune règle environnementale. Ce serait susciter ce qu’on appelle des « fuites de pollutions ».

Mais comment devons-nous réagir face à un tel problème ? M. Retailleau a bien posé les enjeux du débat : nous ne pouvons pas répondre à ce phénomène par une baisse de nos exigences.

C’est pourquoi le Gouvernement garde une attitude de fermeté. Il maintient systématiquement ses exigences et essaye de les porter au niveau international, y compris en étant extrêmement innovant s’agissant des instruments.

C’est notamment le cas en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En l’occurrence, notre démarche est double. D’abord, nous négocions avec nos partenaires européens dans le cadre du paquet « énergie-climat » et nous prenons des engagements. Mais, dans le même temps, et afin que notre argumentation reste crédible, dans l’hypothèse où nous interlocuteurs ne prendraient pas d’engagements équivalents, en particulier pour l’après-2012, c'est-à-dire la période qui suivra l’application du protocole de Kyoto, nous étudions activement la possibilité d’instituer des systèmes de compensation à nos frontières, dans le respect des règles fixées par l’Organisation mondiale du commerce.

Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à nous accompagner dans cette démarche : ne renonçons pas à nos exigences environnementales et continuons au contraire à les défendre avec fermeté ; en revanche, soyons très innovants sur la scène internationale pour inciter nos partenaires à adopter de telles règles, le cas échéant au moyen d’instruments un peu énergiques, voire coercitifs, comme les systèmes de compensation à nos frontières en matière d’émission de CO2.