Articles additionnels après l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 2

Article additionnel avant l'article 2

M. le président. L'amendement n° 166, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 6 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 6. - Le Président de la République est élu pour cinq ans par le Parlement réuni en Congrès.

« Il ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mes chers collègues, il s’agit d’un amendement de cohérence, non pas avec la présente réforme constitutionnelle, mais avec notre position constante en faveur d’un régime parlementaire.

Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel. Nous nous étions résignés à ce mode d’élection. Toutefois, au vu de l’expérience acquise depuis maintenant plus de trente ans, nous sommes amenés à remettre en cause notre propre résignation.

Cet amendement est très éloigné de la volonté des auteurs du projet de loi constitutionnelle. Nous considérons que son adoption permettrait une véritable revalorisation du rôle du Parlement ainsi que la restauration, souhaitable, de sa primauté dans nos institutions. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Cet amendement vise à remettre en cause l’élection du Président de la République au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Rien que cela ! (Rires sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas la peine de vous esclaffer, vous l’auriez su si vous aviez lu notre amendement.

M. Alain Gournac. Nous l’avons lu !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’existence de deux légitimités issues du suffrage universel provoque inévitablement une concurrence dont pâtit l’un des deux pouvoirs.

L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, qui ne nous agréent pas, ont accentué encore la domination du Président de la République.

La prééminence d’un seul homme sur les institutions d’un pays apparaît contraire aux principes démocratiques. Les pères de la République seraient d’ailleurs sans doute bien étonnés de voir l’émergence d’une sorte de monarchie présidentielle. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Mme Isabelle Debré. C’est excessif !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans doute, me direz-vous, notre peuple est-il très attaché à la fonction présidentielle. La participation élevée à ce scrutin en est la preuve.

Nos concitoyens savent que le chef de l’État détient les clés du pouvoir. Ils constatent que le Parlement n’est plus qu’un pouvoir exécutant, que rien ne se décide vraiment dans ses enceintes.

J’ai été choquée à la lecture des résultats d’une enquête d’opinion. Certes, on peut toujours dire que ces enquêtes ne sont pas représentatives. Je conçois qu’elles ne reflètent pas exactement l’état de l’opinion, mais elles donnent des indications. Vous le savez d’ailleurs fort bien, friands que vous êtes des enquêtes d’opinion et, au-delà, de la démocratie d’opinion. La preuve ? À chaque remous dans le pays, vous proposez le vote ou la modification d’une loi !

Selon donc cette enquête, qui portait sur l’image des élus, nos concitoyens considèrent en majorité que les parlementaires ne servent pas à grand-chose. Ce résultat, à la fois triste et choquant, devrait nous inciter à réfléchir.

Nos concitoyens savent que l’élection présidentielle est déterminante. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, avec le quinquennat et l’inversion du calendrier, le Président de la République est le chef de l’exécutif, le chef de la majorité, le chef du parti majoritaire ! Ce ne sont pas les meilleures conditions pour une république démocratique.

Cet amendement est une invitation à réfléchir. Il faut parfois savoir poser des actes qui montrent que l’on veut quelque chose, en l’occurrence, un régime parlementaire.

La pratique de la fonction présidentielle par l’actuel Président doit nous faire réfléchir. L’opinion – puisque l’on se préoccupe de l’opinion – manifeste d’ailleurs un certain agacement à le voir partout courir après la moindre proposition qu’il veut faire passer dans les médias, dans le pays, dans le Gouvernement, au Parlement. En l’autorisant à venir devant le Parlement réuni en Congrès, on contribue à accentuer encore l’hyperprésidentialisation de nos institutions, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.

En tout état de cause, il n’y a pas de mystère : revaloriser le Parlement exige une réduction du pouvoir du chef de l’État, laquelle passe par une modification de l’actuel mode de scrutin. Certes, dans certains pays, le Président de la République est élu au suffrage universel, mais force est de constater qu’il n’a pas alors les pouvoirs du Président français. Il existe en France une tradition bonapartiste et autoritaire. La modification du mode de scrutin mérite donc un débat. Pourquoi ne pas en poser les bases aujourd’hui ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nos collègues du groupe CRC sont cohérents dans leur analyse des institutions en proposant l’élection du Président de la République par le Parlement réuni en Congrès.

Les Français sont attachés à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Ils y sont très attachés !

M. Henri de Raincourt. Ils l’ont dit par référendum !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si nous avions plus de temps, il serait sans doute intéressant de savoir combien de parlementaires se rallient à cet amendement.

La commission est elle aussi cohérente dans son attachement à la Ve République et à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, instituée en 1962. Vous comprendrez donc que j’émette un avis défavorable…

M. Alain Gournac. Très défavorable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … sur la proposition du groupe communiste.

Madame Borvo Cohen-Seat, votre amendement comprend une seconde partie qui porte sur le nombre des mandats. Vous proposez deux dispositifs différents dans le même amendement, ce qui complique la discussion. La commission est favorable à cette seconde partie de l’amendement, je le précise pour la clarté des débats.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame Borvo Cohen-Seat, vous souhaitez que le Président de la République soit élu par le Congrès du Parlement.

La révision constitutionnelle du 6 novembre 1962 a mis fin à l’élection du Président de la République au suffrage universel indirect. Dans son discours du 20 novembre 1962, le général de Gaulle expliquait que : « le pouvoir d’assurer la charge suprême est celui qui résulte de la confiance explicite de la nation ».

L’élection du Président de la République au suffrage universel direct est un élément fondamental de la Ve République. Elle a été décidée par le peuple français par la voie du référendum. Elle confère au chef de l’État une autorité et une légitimité incontestables. Elle crée un lien personnel et fort entre le Président de la République et le peuple français, lequel, M. le rapporteur vient de le rappeler, est très attaché à cette forme de désignation. Il serait donc inconcevable de remettre en cause ce mode d’élection, qui fut une avancée majeure réalisée en 1962.

La seconde partie de votre amendement, relative au nombre des mandats, sera discutée ultérieurement.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. En somme, ma chère collègue, vous remettez en question la souveraineté du peuple. Venant de vous, venant de votre parti, cela me paraît quelque peu étonnant.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Robert del Picchia. Pourquoi vouloir priver le peuple de la possibilité de s’exprimer ?

M. Robert Bret. Et que faites-vous d’autre ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ils ont la nostalgie de la Constitution de 1946 !

M. Robert del Picchia. J’ai essayé de comprendre le pourquoi de votre proposition, et je n’y ai pas trouvé d’explication, sauf une : peut-être, les chances de votre parti d’avoir un élu à la présidence de la République paraissant assez minces, cherchez-vous une autre voie ? (Rires sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur del Picchia, je n’obtiens jamais votre soutien, en aucune circonstance. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) J’y suis habituée et ne suis donc pas surprise !

Nous sommes profondément opposés au bipartisme, nous sommes opposés à un régime présidentiel.

M. Alain Gournac. Nous, nous sommes pour que le peuple s’exprime !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes effectivement attachés au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Et au parti unique !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais on voit ce que vous en faites : quand le peuple dit « non », vous passez outre ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Alors, pas de leçon sur le suffrage universel, s’il vous plaît, surtout après le référendum de 2005, surtout après le référendum irlandais : vous n’êtes vraiment pas habilités à le faire ! Vous allez bientôt m’expliquer que, quand le peuple vote mal, il faut changer le peuple ! (Protestations sur les travées de l’UMP.).

M. Gérard Longuet. Ah, Brecht !…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or là n’est pas la question ! (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)

Oui, mes chers collègues, vous estimez que le peuple peut avoir tort, et qu’il faut alors lui faire la leçon, lui dire qu’il commet une erreur, qu’il n’a rien compris, qu’il est stupide… (Protestations sur les travées de lUMP.)

Je l’ai dit, nous nous sommes résignés à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Or nous sommes très attachés à la souveraineté populaire, et nous avons l’occasion de le montrer.

Je constate cependant que l’évolution de nos institutions ne va pas dans le sens d’une plus grande démocratie, il s’en faut de beaucoup. C’est pourquoi, au nom de mon groupe, je prends la responsabilité d’affirmer que cela mérite réflexion. (Rires sur les travées de l’UMP.)

Mme Isabelle Debré. C’est tout réfléchi !

M. Alain Gournac. Ça suffit ! Pas de leçon de la part des communistes !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement est sans doute le plus important pour nous. (Rires sur les travées de l’UMP.)

En effet, il repose essentiellement sur un système parlementariste que nous revendiquons depuis fort longtemps.

Certes, nous sommes parfois engagés dans des élections présidentielles,…

M. Gérard Longuet. Avec bonheur…

Mme Josiane Mathon-Poinat. … pour certains, d’ailleurs, à contrecœur, je le reconnais. Cependant nous sommes là pour reconnaître une République sociale.

Je voudrais tout de même, mes chers collègues, rappeler que si Giscard d’Estaing,…

De nombreux sénateurs de l’UMP. « Monsieur » Giscard d’Estaing !

Mme Josiane Mathon-Poinat. … dans son premier projet de Constitution européenne, demandait un président pour l’Europe, celui-ci n’était pas élu au suffrage universel direct ! Pourtant, vous le souteniez ! Je m’en étonne…

Cet amendement est donc à nos yeux le plus fondateur.

M. Alain Gournac. Votre affaire est géniale, madame !

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas mal, en effet !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Notre position est géniale ? Pourquoi ne lui avez-vous pas apporté votre soutien ?

Mme Isabelle Debré. Cela n’a rien à voir !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 166.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. Alain Gournac. La réponse est donnée !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Quand bien même !

Article additionnel avant l'article 2
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

Après le premier alinéa de l’article 6 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement. »

M. le président. L’amendement no 97, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le second alinéa de cet article :

« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le texte initial du projet de loi constitutionnelle prévoyait que « nul ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs ».

Les députés ont estimé cette rédaction ambiguë : le choix du verbe « accomplir » pouvait laisser entendre que la limite posée par la Constitution ne vaudrait pas si l’un des mandats était écourté.

Sur l’initiative de M. Gérard Charasse,…

M. Michel Charasse. C’est mon cousin !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … l’Assemblée nationale a donc retenu une formulation plus claire selon laquelle « nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement ».

Soucieux d’améliorer encore cette rédaction, je propose de revenir au texte du Gouvernement mais de remplacer le verbe « accomplir », qui comporte l’idée d’aller jusqu’au bout, par le verbe « exercer », qui ne suscite pas les mêmes objections. (M. Alain Gournac approuve.)

M. le président. Le sous-amendement no 350, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

À la fin du second alinéa de l’amendement no 97, supprimer le mot :

consécutifs

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le souhait de la commission des lois est de revenir à la rédaction initiale du projet de loi. Pourtant, comme nous l’avons indiqué – et M. Hyest l’a rappelé à l’instant –, l’amendement de M. Gérard Charasse, adopté par l’Assemblée nationale, avait un objet précis : empêcher qu’un Président de la République ne puisse être élu une troisième fois. La commission souhaite donc rétablir une ambiguïté qui avait été supprimée par l’Assemblée nationale.

Par ce sous-amendement, nous proposons de lever une seconde ambiguïté et d’empêcher que le Président de la République sortant ne puisse, à l’issue de deux mandats consécutifs, choisir d’attendre l’élection suivante et, après cinq années d’absence, se présenter pour un troisième mandat, voire pour deux nouveaux mandats consécutifs, comme le permet le texte en l’état. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Henri de Raincourt. Cela n’est jamais arrivé !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il convient donc de supprimer l’adjectif « consécutifs » afin de garantir définitivement qu’un Président de la République ne pourra pas, en fait, être élu plus de deux fois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ce sous-amendement ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le sous-amendement vise à interdire la possibilité pour un Président de la République de se présenter de nouveau à l’élection présidentielle plusieurs années après avoir exercé deux mandats consécutifs. Je ne vois pas au nom de quoi !

M. Henri de Raincourt. Où serait le problème ? Nous sommes en démocratie, tout de même !

Mme Isabelle Debré. Laissez les Français décider !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous ne sommes donc pas favorables à cette proposition, qui est contraire à la fois au texte initial du Gouvernement et à la position de la commission.

M. Henri de Raincourt. Nous y sommes même très défavorables !

M. Alain Gournac. C’est antidémocratique !

M. Robert Badinter. Il s'agit d’interdire plus de deux mandats !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Il s’agit d’interdire l’exercice de plus de deux mandats successifs !

L’histoire le montre, il peut arriver que des hommes politiques reviennent sur la scène publique.

M. Michel Charasse. Poincaré, Doumergue…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par exemple !

Je ne vois pas au nom de quoi on le leur interdirait, sauf à rétablir à leur égard la mort civile !

Vraiment, mes chers collègues, il me semble qu’il ne faut pas aller trop loin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’amendement no 97 a pour objet d’interdire à un Président de la République de se faire réélire pour un troisième mandat consécutif.

C’est vrai, monsieur le rapporteur, le Gouvernement a été favorable à une modification, apportée par l’Assemblée nationale, destinée à lever toute ambiguïté dans le texte : il ne faut pas qu’un Président de la République puisse se faire élire une troisième fois consécutive, quand bien même il aurait démissionné avant le terme de l’un de ses mandats.

Vous proposez une nouvelle rédaction, plus proche de celle du projet d’origine du Gouvernement, et meilleure. Toutefois, il semble préférable de bien marquer que c’est la participation même à l’élection qui est interdite, avant même d’envisager l’exercice du mandat.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien mon avis !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La rédaction retenue par l’Assemblée nationale paraît donc mieux répondre à notre souci. C’est pourquoi nous souhaitons la conserver.

J’y insiste, il faut bien distinguer l’exercice du mandat de la participation à l’élection : on pourrait imaginer que le Président de la République sortant participe à l’élection, mais qu’on lui interdise ensuite l’exercice de ses fonctions ! Notre souhait est qu’il ne participe pas à une troisième élection.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame Boumediene-Thiery, vous proposez que la restriction soit encore plus forte que celle que souhaite le Gouvernement, puisque vous voulez exclure toute possibilité d’un troisième mandat, même non consécutif.

Nous n’y sommes absolument pas favorables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partons d’une situation dans laquelle il n’existe aucune limite du nombre des mandats. Il est, certes, important de prévoir un renouvellement à la tête de l’État au bout de dix ans : il s’agit de fonctions qui sont particulièrement lourdes et qu’il est difficile d’exercer pendant une très longue durée ; il faut également éviter qu’un Président de la République ne pense qu’à sa réélection au lieu de se consacrer au contenu même du mandat.

Cependant, dès lors que cette respiration démocratique a lieu, il n’est pas nécessaire d’interdire de façon absolue l’exercice d’un troisième mandat : c’est finalement au peuple, souverain, qu’il appartient de trancher, si un ancien Président de la République souhaite se présenter une nouvelle fois devant les électeurs. Sur ce point, je m’associe totalement aux arguments du rapporteur et de Michel Charasse.

C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement – j’en suis désolée, monsieur le rapporteur, car le désaccord porte sur la nuance bien plus que sur l’objectif – et, par voie de conséquence, sur le sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La situation est intéressante puisque, selon le texte issu de l’Assemblée nationale, avoir été élu deux fois consécutivement n’interdit pas de se présenter une troisième fois !

M. Robert Badinter. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien pour cela que nous sommes revenus à un texte proche de celui du Gouvernement !

On m’objecte qu’il ne serait pas autorisé à exercer un troisième mandat. Est-ce à dire que le Conseil constitutionnel expliquera au candidat qu’il ne peut pas se présenter parce qu’il a déjà exercé deux mandats ?

Franchement, je préfère nettement la rédaction de la commission.

M. Henri de Raincourt. Il a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais nous en discuterons avec l’Assemblée nationale ! Vous savez, la navette est une très bonne chose, surtout quand c’est une navette égalitaire (Sourires.)…

Bien entendu, je maintiens l’amendement de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. J’avais cru comprendre que, dans l’esprit de la réforme, l’objet de cette disposition était de limiter à deux le nombre de mandats, qu’ils soient consécutifs ou non.

Mme Jacqueline Gourault. Les explications de Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur montrent que je me suis trompée et que, assurément, j’ai mal compris ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je ne peux pas imaginer, monsieur le président, que ce soit le dépit qui ait conduit certains membres du comité Balladur à formuler cette proposition. (Sourires.) Quand on ne peut pas soi-même être élu, on a quelquefois la tentation d’empêcher les autres de l’être… (Rires.)

Pour ma part, je n’aime pas ces règles : dans la République, depuis toujours, quand on est électeur, on a le droit d’être élu.

Mme Isabelle Debré. Je suis d’accord !

M. Michel Charasse. Sinon, de proche en proche, ces dispositions seront étendues à tous les mandats, à toutes les fonctions, à l’âge des électeurs, à tout ce que vous voudrez ! Je suis contre ces principes-là.

Et l’électeur n’est pas à ce point benêt : il est tout de même assez grand pour savoir ce qu’il a à faire et choisir librement ! Par conséquent, sur le fond, je conteste absolument cette mesure, qui contraint le libre choix de l’électeur.

Je voudrais en venir très brièvement à la rédaction même et rappeler le texte adopté par l’Assemblée nationale : « Nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement. » C’est donc que l’on peut se présenter trois fois, que l’on peut obtenir la majorité trois fois, mais que l’on ne peut pas être proclamé élu ! Il faut peut-être trouver une autre formule…

Le rapporteur nous propose ce libellé : « Nul ne peut exercer… » Là aussi, cela veut dire que le candidat peut être élu, mais qu’on lui demande ensuite de « circuler parce qu’il n’y a rien à voir », que la porte est fermée, qu’il ne peut pas entrer !…

Quant à la précision : « plus de deux mandats », si le Président de la République démissionne un mois avant la fin de son mandat, on ne peut plus dire qu’il a exercé deux mandats et il peut donc se représenter !

Ce ne sont là que des formules très compliquées pour arriver à quelque chose qui est, à mon avis, un outrage pour les électeurs et pour la démocratie française.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. La discussion terminologique est intéressante, mais je pense que la rédaction proposée par la commission est meilleure : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

Pour exercer, il faut être élu ! Si l’on doit choisir cette voie, il vaut mieux adopter cette rédaction, plus claire que celle de l’Assemblée nationale.

Sur le fond, la question a déjà été longuement évoquée, peut-être s’en souvient-on, en 2000.

Au moment où l’on a ramené la durée du mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, on s’est interrogé : faut-il mettre un curseur et interdire plus de deux mandats ?

Finalement, à ce moment-là, le sentiment commun a été de ne pas limiter les mandats. Il peut en effet y avoir des circonstances extraordinaires – on pense à un temps de guerre. Le pays a confiance dans le Président de la République. Se priver de lui dans de telles circonstances ne paraît pas la meilleure des solutions.

Par conséquent, laissons au peuple souverain le choix de décider et laissons au candidat le choix de se présenter ou non.

Simplement, quand on voit la situation actuelle de certains États qui ont inscrit dans leur Constitution cette limitation, on a envie de sourire !

La solution qu’a choisie M. Poutine …

M. Robert Badinter. … de devenir Premier ministre parce qu’il ne pouvait pas être de nouveau président et ne voulait pas avoir l’air de modifier la Constitution de son pays est singulière !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il peut redevenir président !

M. Robert Badinter. On voit également en Algérie le président s’interroger.

La question est là : faut-il inscrire ou non cette limitation dans la Constitution pour que les Présidents de la République soient ainsi prémunis contre la tentation de se présenter de nouveau ?

Revient-il vraiment à la Constitution de limiter une décision qui relève tout de même de l’exercice du pouvoir souverain du pays, à savoir le choix par l’électeur de celle ou celui qu’il souhaite mettre à la tête de l’État, même si la personne a déjà exercé deux mandats consécutifs ?

En tout état de cause, je ne suis pas convaincu de la nécessité de cette disposition.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 350.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. Michel Charasse. Je voudrais bien une réponse à la question du mandat interrompu : si le Président de la République démissionne avant la fin du deuxième mandat, peut-il se représenter ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour répondre à M. Michel Charasse.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la différence entre « exercer » et « accomplir », mon cher collègue.

Si le Président de la République n’a pas « accompli » la totalité de son mandat, il peut se représenter. En revanche, s’il a « exercé » deux fois un mandat, c’est la rédaction que nous proposons, il ne le peut plus.

M. Michel Charasse. Je me place dans l’hypothèse où, dans le courant du deuxième mandat, un mois avant la fin, il démissionne.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il aura « exercé » - et non « accompli » - deux mandats et ne pourra pas se représenter !

C'est la raison pour laquelle nous tenons beaucoup au terme « exercer » par rapport à celui d’« accomplir », qui laisserait planer des tas de questions ! (M. Michel Charasse manifeste son scepticisme.)

M. le président. Cette précision étant apportée, qu’elle vous convienne ou non, monsieur Charasse, …

M. Michel Charasse. En cas de nécessité, on trouvera des solutions !

M. le président. … je mets aux voix l'amendement n° 97.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 78, présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La situation des anciens Présidents de la République est déterminée par une loi organique. »

La parole est à M. Patrice Gélard.