Article additionnel avant l’article 23
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 23 bis

Article 23

Le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase, le mot : « texte » est remplacé par les mots : « projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale » ;

1° bis Dans la deuxième phrase, le mot : « texte » est remplacé par le mot : « projet » ;

2° Il est ajouté une phrase ainsi rédigée :

« Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, sur l’article.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, je me suis inscrit sur l’article 23, mais ayant constaté que j’étais également le premier à défendre un amendement sur cet article, je m’exprimerai en même temps sur l’un et l’autre.

J’ai également noté que l’amendement suivant, qui n’a pas la même portée, avait été déposé par d’autres membres du RDSE, ce qui signifie que des sensibilités différentes coexistent au sein de notre groupe.

Pour ma part, je souhaite que le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution soit rétabli dans sa rédaction initiale.

Le Gouvernement a décidé d’en réduire les modalités d’exercice – trois fois par an - et il a tenté de vendre auprès de l’opinion cette disposition comme étant un rétablissement des droits du Parlement en ce qui concerne le vote de la loi.

Nous ne partageons pas ce sentiment. Cette impression de rééquilibrage nous paraît être un leurre. J’insiste sur le fait que la disposition prévue à l’article 49-3 n’est ni de droite ni de gauche. Dans l’esprit du constituant de 1958, elle avait simplement pour objet de lutter contre des majorités rétives, en tenant compte de l’expérience antérieure.

Je sais bien que M. Balladur, lors de son audition devant la commission des lois, nous a expliqué, à travers une vision selon moi quelque peu « notariale » et tout à fait comptable, qu’ayant fait le compte du nombre de fois où avait été mise en jeu la responsabilité du Gouvernement au titre de l’article 49-3 – plus de quatre-vingts fois en près de cinquante ans – il en avait conclu que cette modification ne poserait pas trop de problèmes.

Ces propos doivent être nuancés. En effet, à la lecture du rapport de la commission des lois, on constate, malgré tout, que le recours à l’article 49-3 a connu, d’une certaine façon, des variations en accordéon et que cette disposition a été fortement utilisée sous le gouvernement de Raymond Barre et plus encore sous celui de Michel Rocard.

On a le sentiment que, au fond, le Gouvernement prend le pari qu’avec l’inversion du calendrier il ne sera plus nécessaire d’utiliser l’article 49-3.

C’est à ce stade que mes réserves apparaissent dans la mesure où personne ne peut affirmer que, dans l’avenir, des majorités étriquées ne réapparaîtront pas à l’Assemblée nationale.

Imaginons – c’est de la politique-fiction - que le Président de la République - même s’il a dit qu’en 2012 il renoncerait peut-être au pouvoir pour vivre une autre vie - veuille briguer un autre mandat et qu’en 2012 il n’ait pas réalisé l’ensemble du programme actuel. Si une dose de proportionnelle était introduite dans le régime électoral de l’Assemblée nationale – cela peut paraître paradoxal, mais c’est justement parce que je suis favorable à la proportionnelle que je souhaite le maintien de l’article 49-3 – et si, encore une fois, des majorités étriquées se dégageaient, comment pourrait-il gouverner, engager l’ensemble des réformes qu’il n’aurait pas pu réaliser au cours de la mandature actuelle, sans recourir à l’article 49-3 ?

Voilà autant de raisons qui me conduisent à penser que cet article 49-3 doit être maintenu, que c’est un leurre de suggérer à l’opinion ou de lui laisser penser que, désormais, les pouvoirs du Parlement vont être accrus. Je le répète, l’article 49-3 n’est ni de droite ni de gauche, il permet au Gouvernement de gouverner. C’est la raison pour laquelle je souhaite la suppression de l’article 23 de ce projet de loi.

Au demeurant, le président de la commission des lois - dont nous connaissons tous l’habileté – a déposé une proposition qui le « pulvérise ».

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Nous sommes souvent en accord avec Nicolas Alfonsi, mais, en ce qui concerne l’article 49-3, nous sommes en désaccord absolu.

Le Gouvernement de Lionel Jospin a montré qu’il était possible de gouverner pendant cinq ans sans avoir une seule fois recours à l’article 49-3. La dernière fois que cet article a été utilisé, c’était sous le gouvernement de Dominique de Villepin à propos du contrat première embauche, le CPE. On a vu comment cette contrainte a amené le Parlement à voter une loi dont le Président de la République de l’époque a aussitôt constaté qu’elle était inapplicable, et comment mission a été donnée de trouver une solution différente.

L’article 49-3 est le symbole de ce que l’on appelle le « parlementarisme rationalisé », c’est-à-dire le parlementarisme diminué. Il a été créé au sortir d’une époque d’instabilité permanente et il est donc aisé de comprendre le contexte qui lui a donné naissance.

Mais, aujourd’hui, il ne se justifie plus. Vouloir le rétablir dans sa formulation initiale, c’est, en quelque sorte, affirmer qu’il n’y aura pas de droits nouveaux pour le Parlement, puisque, à tout moment, le Gouvernement pourra s’en servir pour mettre un terme à toute discussion à l’Assemblée nationale et trancher de cette manière.

Pour nous, au-delà de toutes les remarques de détail, des améliorations secondaires qui peuvent parsemer la révision constitutionnelle, il y a un problème de fond, celui de la prise en considération ou non du Parlement, en l’espèce de l’Assemblée nationale.

Je reconnais, bien sûr, toute l’habileté de Jean-Jacques Hyest, dont la proposition vise d’abord à limiter l’usage de l’article 49-3 au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui est aussi la position du groupe socialiste, mais, ensuite, à en proposer une application plus élargie soumise à une légère contrainte, et c’est là que nous divergeons.

En effet, aux termes de l’amendement de la commission, le Gouvernement aurait la faculté d’utiliser l’article 49-3 sur n’importe quel projet après consultation de la conférence des présidents. C’est quand même la moindre des choses ! Il serait curieux, dans un texte qui vise à magnifier les pouvoirs du Parlement, que le Gouvernement puisse recourir à la procédure de l’article 49-3 de manière clandestine, sans en avertir, ne serait-ce que par courtoisie, les instances de l’Assemblée nationale.

Dans la rédaction qui nous est proposée, on voit bien comment s’exprime le talent du compromis : on limite en apparence l’exercice de l’article 49-3, mais, en réalité, on le laisse en l’état. Peut-être vaudrait-il mieux, pour la clarté, éviter ces faux-semblants. Si vous voulez laisser cette arme au Gouvernement, dites-le clairement - je vous serai reconnaissant de votre franchise - sans chercher de faux-semblant ni de faux compromis.

Notre position, même si elle est différente, est tout à fait claire : nous sommes pour le maintien de l’article 49-3 uniquement en ce qui concerne le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. La base du régime parlementaire, c’est la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et le droit du Parlement de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Ces principes rappelés, je considère que le système ne peut fonctionner que si une loyauté absolue existe des deux côtés.

Le drame de la IVe République, c’est que des hommes et des femmes, qui avaient été courageux dans les maquis de la Résistance et les combats de la Libération et ont peuplé les assemblées qu’ils avaient créées, n’ont jamais eu le courage politique nécessaire pour renverser en bonne et due forme les gouvernements qui ne leur plaisaient pas.

M. Michel Charasse. C’est ainsi qu’on a vu, tout au long de la IVe République, des gouvernements tomber sur un ordre du jour refusé, sur un amendement ou un sous-amendement rejeté, sur un simple article de loi – et je ne parle pas des résolutions dont nous discutions hier.

Le gouvernement de Guy Mollet, issu de la majorité de Front républicain élue en 1956, est celui qui a duré le plus longtemps. Mais il a fini, lui aussi, par succomber, dans des conditions aussi irrégulières que précédemment.

En effet, je vous le rappelle, la seule fois où il a été possible de dissoudre l’Assemblée nationale sous la IVe République, c’est lorsqu’Edgar Faure s’est rendu compte que le Gouvernement avait été renversé deux fois de suite dans les conditions de majorité prévues par la Constitution – ce qui était la condition pour dissoudre. Dans les autres cas, les crises étaient intervenues dans des conditions contraires aux procédures, empêchant le recours à la dissolution.

C’est pourquoi Guy Mollet, secrétaire général du parti socialiste de l’époque, ministre d’État dans le gouvernement du général de Gaulle chargé de rédiger la Constitution, ayant vécu ce combat permanent pour sauver l’ordre du jour, un article, un crédit budgétaire, etc. a imaginé la procédure de l’article 49 – 3. C’est lui qui en est l’inventeur !

Comme jeune secrétaire du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, je l’ai entendu des dizaines de fois nous raconter dans quelles conditions il avait « vendu » l’article 49-3 à Michel Debré et au général de Gaulle. Il ne s’agit donc pas d’une mesure abominable inventée par des partis dictatoriaux et antiparlementaires !

M. Michel Charasse. En fait, l’article 49-3 est une mesure de dissuasion, plus qu’une mesure d’action, parce qu’il n’est pas appliqué tous les jours – un certain nombre d’entre vous l’ont d’ailleurs relevé.

Permettez-moi de rappeler que j’ai été membre de trois gouvernements, entre 1988 et 1993, qui n’avaient pas la majorité. Nous constituions une majorité en additionnant les voix des groupes socialiste, des radicaux de gauche et communistes, mais le groupe communiste n’apportait pas toujours son soutien au Gouvernement sans aller jusqu’à voter la censure.

M. Josselin de Rohan. Est-ce possible ?

M. Nicolas About. Ils pratiquaient l’abstention positive !

M. Charles Revet. Ce sont de faux frères !

M. Josselin de Rohan. Plutôt de faux camarades !

M. Michel Charasse. Je ne les critique pas ! Nous étions donc obligés de recourir à l’article 49-3 ou de menacer d’y avoir recours.

Je dois vous dire que, pour les lois de finances – j’en parle bien qu’elles soient sauvées par l’amendement de M. Hyest, mais je les ai suivies particulièrement, compte tenu des responsabilités qui étaient les miennes –, nous avons été obligés de recourir à l’article 49-3 pour toutes les lectures puisque nous n’arrivions pas à un accord en commission mixte paritaire. J’ai réussi à faire voter mes lois de finances sans qu’aucune motion de censure soit jamais déposée, mais la procédure permettait de s’en tirer de cette manière. En effet, ce n’est pas parce que le Gouvernement annonce qu’il recourt à l’article 49-3 que les parlementaires déposent obligatoirement une motion de censure.

M. Bernard Frimat. L’article 49-3 est maintenu pour les lois de finances !

M. Michel Charasse. Cela a joué dans d’autres domaines !

Quand j’entends mon ami Bernard Frimat dire : « Lionel Jospin n’a jamais eu recours au 49-3 ! » – Ah, le grand moraliste ! Il avait la majorité ! Mais Michel Rocard doit être immoral, lui, puisqu’il a souvent employé le 49-3 ! Il faudra démêler ce drame entre socialistes, pour savoir quel est le plus moral des deux ! Aucun, à ce point de vue, mais c’est un autre problème ! (Sourires sur les travées de lUMP.) Il ne faut pas nous raconter d’histoires !

J’entends dire que l’article 49-3 ne se justifie plus. Mais qui peut lire dans le marc de café ? Comment pouvez-vous dire que, demain, surtout après le redécoupage des circonscriptions, vous ne vous trouverez pas dans une situation où ni la droite ni la gauche n’auront tout à fait la majorité, comme en 1988 ? Personne n’en sait rien !

Voulez-vous revenir aux pratiques, aux poisons et aux errements de la IVe République courageusement dénoncés par un socialiste Guy Mollet, dont certains ont peut-être honte aujourd’hui, mais pas moi ! – en tout cas, pas de tout ce qu’il a fait ! En plus, il était de votre région, monsieur Frimat ! (Rires sur diverses travées.) C’était un homme d’expérience qui a longtemps dominé le Nord – Pas-de-Calais !

Si vous voulez vraiment revenir à ces pratiques, c’est un mauvais coup porté à la France ! En ce qui me concerne, je ne marche pas ! (Vifs applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Bernard Frimat. Vous avez trouvé votre public !

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.

M. Josselin de Rohan. Si une chose apparaît certaine dans ce débat, c’est qu’il n’y a pas de demi-mesure possible. Soit on supprime l’article 49-3, soit on le maintient, mais le tronquer n’a aucun sens. Or le projet gouvernemental nous présente un 49-3 tronqué.

M. Patrice Gélard. Émasculé !

M. Josselin de Rohan. C’est pourquoi je ne voterai pas une telle mesure.

Nicolas Alfonsi et Michel Charasse ont très clairement expliqué les raisons pour lesquelles l’article 49-3 avait été introduit dans notre Constitution. Comme vous tous, mes chers collègues, j’ai particulièrement apprécié la manière dont Michel Charasse a expliqué la genèse de ces dispositions.

Une fois de plus, je note que quelqu’un qui a été très proche du président François Mitterrand défend la Constitution de la Ve République, que le défunt président avait lui-même fort bien défendue. Car jamais le président Mitterrand n’a demandé la suppression de l’article 49-3 durant les quatorze ans où il a été en fonction. Il était pourtant l’auteur du Coup d’État permanent

M. Michel Charasse. Il n’est pas impossible qu’on le lui ait demandé mais, une fois à l’Élysée, il a résisté !

M. Josselin de Rohan. De toute façon, cette arme est demeurée !

Qu’est-ce que l’article 49-3 ? C’est une arme de dissuasion. Son abus est évidemment la marque de la faiblesse d’un gouvernement. Mais ceux d’entre nous qui ont dit tout à l’heure que nous pourrions avoir un jour un mode de scrutin à la proportionnelle n’ont fait qu’émettre une hypothèse parfaitement réaliste.

D’ailleurs, de 1986 à 1988, nous avons vécu avec une Assemblée nationale élue à la proportionnelle et, si nos amis communistes et socialistes arrivent un jour au pouvoir, vous savez très bien qu’ils la rétabliront ! Nous nous trouverons alors dans la situation décrite par Nicolas Alfonsi, c’est-à-dire l’absence de majorité, la formation de coalitions douteuses. Que fera le Gouvernement qui devra gouverner dans de telles conditions ? Il sera obligé, s’il présente des textes difficiles et réformateurs, de recourir à la motion de confiance parce qu’il aura affaire à une Assemblée nationale qui, par définition, sera non seulement rétive mais essentiellement craintive, en l’absence de majorité. En effet, elle aura peur de la dissolution et des conséquences de ses votes.

L’article 49-3 est donc un article de moralisation de la vie publique. Michel Charasse l’a bien expliqué : il oblige la majorité à se solidariser avec le Gouvernement lorsque celui-ci estime qu’un texte est essentiel à la poursuite de son action.

M. Michel Charasse. Sinon, elle le renverse !

M. Josselin de Rohan. De la même manière, si l’opposition est contre le texte et considère qu’il est inacceptable, son devoir moral exige qu’elle dépose une motion de censure et là, chaque camp se compte ! Ceux qui sont pour se solidarisent avec le Gouvernement, ceux qui sont contre votent sa censure et appellent à sa démission et les choses sont claires !

Nous ne voulons pas voir revenir cette époque que Michel Charasse a dénoncée, où l’on pouvait renverser le Gouvernement sans en assumer la responsabilité, en s’abritant derrière la procédure pour miner l’autorité du Gouvernement ! On a même vu un gouvernement de la IVe République démissionner parce que le congrès du MRP n’était pas d’accord avec lui ! Voulez-vous revoir cette période-là ?

Je m’adresse au Gouvernement – parce qu’il doit penser à ses successeurs lorsqu’il présente des textes constitutionnels : avez-vous l’assurance que vous aurez toujours une majorité dans les assemblées, celle-ci ou une autre ?

M. Michel Charasse. Il fait tout cela pour la presse !

M. Josselin de Rohan. C’est pourquoi il est extrêmement dangereux de toucher à l’article 49-3.

Si la Gouvernement ne l’utilise pas, c’est la meilleure solution car cela prouve qu’il a l’adhésion de sa majorité.

Mais, à un moment donné, il sera obligé de forcer cette adhésion car, pour ne pas gouverner dans la démagogie et la facilité, il sera obligé d’affronter sa propre majorité. Si vous le privez de cette arme, il ne pourra pas accomplir les réformes jugées nécessaires.

L’article 49-3, tel que vous nous le présentez, n’est plus qu’un fusil à un coup. Pendant le reste de la session, le Gouvernement ne pourra plus utiliser cette arme s’il l’a déjà utilisée une fois. Mais, s’il a affaire à une majorité très difficile, ce serait pourtant bien nécessaire qu’il y recoure une deuxième fois !

C’est pourquoi je voterai naturellement l’amendement de la commission. Je crois savoir que le Gouvernement n’y est pas favorable, mais je vous le dis honnêtement : mon vote sur le texte final dépendra des assurances que j’aurai pu recevoir sur le maintien de l’article 49-3. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Charasse applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Je souhaite abonder dans le sens de M. de Rohan. Nous avons débattu longuement, au sein du comité Balladur, puis dans cet hémicycle, pour savoir si nous devrions passer, un jour, d’un régime parlementaire à un régime de type présidentiel.

Le problème n’est pas là. Nous sommes dans un régime majoritaire : la Ve République est le régime qui a introduit la majorité non seulement comme concept politique, mais aussi comme concept constitutionnel. La preuve en est que la cohabitation n’a rien changé au fonctionnement des institutions : la question est simplement de savoir si le chef de la majorité est à l’hôtel Matignon, dans certains cas, ou au palais de l’Élysée, dans la plupart des autres cas. Mais dans tous les cas, c’est la majorité parlementaire qui fonctionne !

Tout le système de la Ve République est conçu pour permettre à la majorité non seulement d’exister, mais d’être consolidée. Le système électoral est conçu dans ce sens, ainsi que toute une série de dispositions dont nous avons malheureusement « détricoté » une partie.

Par exemple, en 1958, interdiction a été faite aux ministres d’être en même temps parlementaires pour remédier aux abus de la IVe République, alors que les ministres pouvaient tranquillement laisser renverser le Gouvernement, puisqu’ils restaient de toute façon parlementaires – après tout, leur indemnité n’était pas en cause ! La seule façon de faire échec à la tentation de laisser renverser le Gouvernement consistait à interdire aux ministres de retourner automatiquement au Parlement.

L’article 49-3 va tout à fait dans le sens d’une consolidation de la majorité. Le cas de Michel Rocard a été évoqué tout à l’heure, mais Pierre Mauroy était dans la même position. Rappelez-vous, il avait dit : « Quand j’ai un problème avec les communistes, je sors mon 49-3 ! »

M. Michel Charasse. Mais il n’en avait pas besoin, il avait la majorité !

M. Hugues Portelli. Michel Debré a eu la même attitude, comme d’autres Premiers ministres après lui.

Préjuger du fonctionnement de la Ve République dans cinq ou dix ans à partir de la conjoncture actuelle, c’est un crime impardonnable ! (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. L’intérêt d’un débat est de laisser exprimer des opinions diverses, parfois dans les mêmes rangs.

Je pense, en ce qui me concerne, que l’article 49-3 est extrêmement marqué par l’histoire de la IVe République. Il a été écrit en réaction à la pratique de ce que l’on appelait alors le vote « calibré » : les majorités parlementaires s’arrangeaient pour désavouer le Gouvernement à la majorité simple et non pas à la majorité absolue. Ils pouvaient ainsi éviter la dissolution qui ne pouvait être prononcée que si deux crises consécutives s’étaient produites dans un intervalle de dix-huit mois, avec un vote à la majorité absolue.

Lorsque Edgar Faure a pu faire prononcer la dissolution par le Président de la République, la presse avait titré : « Une erreur de tir ». Effectivement, une majorité trop importante avait été constatée par deux fois.

Le régime actuel est fondamentalement différent. D’abord, la dissolution n’est plus soumise, que je sache, à aucune condition. Ensuite, le fait majoritaire est devenu une réalité de la Ve République. L’inversion du calendrier électoral, loin réduire l’importance du fait majoritaire, va le conforter très largement.

Je ne suis pas certain – mais je n’ai aucun don de voyance – que mes collègues socialistes, s’ils redevenaient majoritaires instaureraient immédiatement la représentation proportionnelle intégrale. Pour vous dire le fond de ma pensée, je ne le pense pas.

Je constate même que, pour les élections municipales, ils ont contribué, Pierre Mauroy étant Premier ministre, à mettre en place un mode de scrutin tout à fait pertinent, puisqu’il laisse une place à l’opposition tout en assurant une large majorité à la liste arrivée en tête. Il s’agit plutôt d’un scrutin majoritaire teinté de proportionnelle que l’inverse.

Les conditions me paraissent être radicalement différentes aujourd’hui : la dissolution sans conditions combinée au fait majoritaire et à un usage important de l’article 49-3 conduirait à une marginalisation totale du Parlement.

On nous oppose deux objections : la première, c’est qu’il faut bien lutter contre l’obstruction et donc contre la multiplication des amendements par l’opposition. (M. Josselin de Rohan fait un signe de dénégation.)

Mais il existe des moyens beaucoup plus simples de régler ce problème, notamment par les règlements intérieurs des assemblées.

La seconde, c’est que l’article 49-3 doit être soit supprimé, soit conservé tel quel. L’amendement du président Hyest – malgré toute l’estime que j’ai pour lui – ne fait d’ailleurs que maintenir cet article pratiquement en l’état, en ne proposant qu’une rédaction légèrement différente.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Ce n’est pas pareil ! Une consultation est organisée !

M. Jean-René Lecerf. Pour ma part, je ne pense pas que l’alternative soit absolue. À partir du moment où le 49-3 est gardé pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale et pour le projet la loi de finances, l’essentiel est maintenu. Je le rappelle, il a suffi d’utiliser l’article 49-3 lors de la discussion du projet de loi de finances, pour que la force de frappe soit installée sans débat et sans vote.

En outre, il serait possible d’utiliser cet article une troisième fois pendant la durée de la session, cette faculté pouvant très bien être conciliée avec le dispositif prévu à l’article 38 de la Constitution, pour le vote d’un autre texte. Dans les deux cas, cela aboutit à donner au Gouvernement des pouvoirs de législation déléguée. Tout cela me semble amplement suffisant.

Refuser de modifier l’article 49-3 conduit à supprimer purement et simplement l’essentiel de l’intérêt de la réforme constitutionnelle. Soyons francs : soit nous ne voulons pas de cette réforme constitutionnelle, soit nous y sommes favorables et, dans ce cas-là, nous ne devons pas laisser l’article 49-3 en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Dans cette discussion tout à fait intéressante sur cet article important, beaucoup de choses ont été dites. J’y ai particulièrement entendu un éloge très appuyé du fait majoritaire.

La Ve République fonctionne bien en raison du fait majoritaire. J’en mesure donc tous les bienfaits, mais je ne suis pas dupe de ses effets pervers. Je ne me fais guère d’illusions sur les droits que l’on envisage d’accorder, parcimonieusement, à l’opposition, en particulier concernant les propositions de loi.

L’exemple du Royaume-Uni, qui est le modèle de la démocratie à l’occidentale, est tout à fait éclairant sur ce point : si les propositions de loi émanant de l’opposition sont très nombreuses, leur vote effectif par le Parlement ne l’est pas. Personne, au reste, ne s’en plaint puisque l’opposition sait qu’elle deviendra majoritaire aux élections suivantes.

L’article 49-3 est certes un élément efficace à la disposition du Gouvernement, mais c’est aussi un moyen de brider – de brimer dans certains cas – l’opposition. J’ai bien entendu M. Josselin de Rohan affirmer que c’est un élément de moralisation de la vie publique et, d’une certaine manière, je suis d’accord avec lui. Mais nous pouvons tout aussi bien suivre l’argumentation de M. Lecerf et estimer que cet article fait violence à l’Assemblée nationale en la forçant à adopter un texte dont elle ne voulait pas.

Les arguments avancés reposent, en partie, sur un passé révolu. La référence à la IVe République n’est donc que partiellement pertinente, car il s’agissait d’un système à la proportionnelle, dont vous avez mentionné tous les dangers, qui n’a pas grand-chose à voir avec les réalités actuelles. Un orateur a souligné que le parti socialiste n’était certainement pas prêt à rétablir un système proportionnel intégral : c’est effectivement le sentiment de la majorité d’entre nous, me semble-t-il. L’article 49-3 est donc historiquement daté.

Par ailleurs, des événements institutionnels récents – le quinquennat et l’inversion du calendrier – ont permis de faire évoluer la situation dans le sens d’un renforcement probable du système majoritaire.

Aussi, pour toutes ces raisons, il ne me semble pas utile de maintenir l’article 49-3 en dehors des actes essentiels que constituent les projets de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Mon intervention me permettra d’éviter de reprendre tout à l’heure la parole pour présenter mon amendement.

L’article 49-3 est un archaïsme profondément contraire à la réforme que nous menons actuellement. J’acquiesce bien volontiers aux propos de M. de Rohan : soit on supprime complètement cet article, soit on garde la possibilité d’y avoir recours à tout moment. N’autoriser son utilisation qu’une fois par session n’a pas de sens. En effet, si le Gouvernement connaît réellement les difficultés qui ont été évoquées par MM. de Rohan et Charasse, il risque d’en avoir besoin à répétition. Si ce n’est pas le cas, il n’en aura pas du tout besoin. Choisir la solution d’autoriser le recours à ce dispositif une fois par session ressemble à une demi-concession qui n’est vraiment pas satisfaisante.

Je le répète, l’article 49-3, est vraiment un archaïsme. Monsieur de Rohan, cet article correspond à une situation passée de l’opinion et de l’état des forces politiques et des institutions qui n’a plus cours. N’oublions pas que de nombreux dispositifs ont été inventés depuis le début de la Ve République pour « sécuriser » l’exécutif, comme l’élection du Président de la République au suffrage universel, le raccourcissement des mandats et le système de chronologie électorale que nous connaissons maintenant.

Monsieur Portelli, vous nous avez, quelque peu hardiment, mis en garde contre la suppression de l’article 49-3, en affirmant que ce serait, pour l’avenir, un « crime impardonnable ». Je vous invite, si vous me le permettez, à garder cette expression pour des cas plus caractérisés. Mon cher ami, si imaginer l’avenir peut peut-être nous amener à faire des erreurs, cela ne nous conduit certainement pas à commettre des crimes, encore moins impardonnables !

En réalité, personne ne sait ce qu’il en sera à l’avenir. L’état actuel des institutions et de l’opinion permet effectivement de renoncer à l’article 49-3, en dehors des deux hypothèses du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour le reste, ne l’oublions pas, nous maintenons à la disposition du Gouvernement des instruments qui lui garantissent une très grande sécurité, notamment l’article 44, que nous avons « revisité », et le droit de dissolution. L’article 49-3, que M. Lecerf a excellemment qualifié de « pierre de touche » de la réforme, présente un caractère véritablement inadapté par rapport à la démarche que nous menons pour revaloriser les pouvoirs du Parlement. Soyons donc cohérents : nous pouvons parfaitement limiter l’article 49-3 aux deux hypothèses susmentionnées.