Mme Odette Terrade. À écouter certains, le circuit actuel de financement du logement serait obsolète et ne répondrait plus aux exigences du temps. Le taux actuel de rémunération du livret A serait même un obstacle pour proposer aux organismes d’HLM des prêts tels qu’ils faciliteraient une construction peu coûteuse.

Outre qu’il en faudrait sans doute bien plus pour que les coûts de construction des logements sociaux neufs entrent dans le cadre fixé par le plafonnement des loyers, une telle affirmation laisse songeur ! Ne sont-ce pas, en effet, des gouvernements appartenant à l’actuelle majorité qui ont largement défiscalisé les investissements immobiliers privés et encouragé les ventes à la découpe, favorisant par là même la spéculation immobilière effrénée ? Comment, alors, pouvez-vous parler d’un « taux anormalement élevé du livret A » ? N’est-ce pas vous qui avez transformé la politique d’accession sociale à la propriété en crédit d’impôt pour les établissements de crédit distribuant des prêts complémentaires à taux zéro, le principal étant le plus souvent constitué par un prêt à taux variable qui a tout du subprime à la française ?

Une fois de plus, l’État fait un cadeau généreux aux entreprises privées, sans avoir la moindre garantie qu’il y gagnera quoi que ce soit en retour. Vous vous en remettez à leur bon vouloir, à l’espoir, à la croyance que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes et que cela sera en fin de compte bénéfique pour notre économie.

Or le rôle de l’État n’est pas de prendre ce genre de risques avec l’argent public, qui est le bien commun des Français. Son rôle est de garantir la meilleure gestion de cet argent, au profit du plus grand nombre.

Et au profit de qui va se faire cette modernisation? Qui va bénéficier de ces cadeaux, sans avoir à faire preuve de patience ?

Certes, dans ce « moderne » magma de mesures, on peut déceler quelques points positifs, comme la volonté de développer la fibre optique – bien que ce développement soit, là encore, laissé au bon vouloir des opérateurs et à la sacro-sainte concurrence –, l’élargissement du rescrit social ou le recours élargi à des organismes du type OSEO pour encourager la recherche industrielle, mais ils ne sont pas suffisants pour faire de ce « blob » une construction solide et efficace.

À qui fera-t-on croire, par exemple, que, du jour au lendemain, les grands groupes de la distribution feront une croix sur une partie de leurs marges en payant plus rapidement qu’aujourd’hui leurs fournisseurs et en traitant avec eux de manière équitable ?

Si, demain, avec ce texte, Carrefour ou Auchan, ou même Leclerc, doivent payer plus vite leurs fournisseurs, ils exigeront immédiatement de ces derniers des conditions de prix encore plus difficiles à tenir, transformant leur défunte « marge arrière » en ristournes et remises diverses de montant équivalent. Il ne restera plus, dès lors, aux fournisseurs des grandes chaînes de distribution qu’à adapter leurs coûts de production aux nouvelles conditions de prix faites par ces clients si particuliers. Et ce sont, en dernière instance, les salariés des secteurs de l’agroalimentaire, de la production de biens de consommation, qui paieront la facture !

S’agissant des mesures d’incitation fiscale que vous proposez dans ce texte, se pose la question de l’égalité devant l’impôt des différents revenus catégoriels.

C’est une véritable zone franche fiscale, une validation de la fraude fiscale qui se profile derrière les articles relatifs à la fiscalité des entrepreneurs individuels, de même qu’une distorsion manifeste de concurrence entre entrepreneurs, selon la date du démarrage de leur activité.

Il s’agit, là encore, de développer une vision purement idéologique de la société, où l’on fait croire que l’esprit d’entreprise, l’audace économique et le risque financier sont l’alpha et l’oméga de la réussite individuelle, comme de l’économie du pays.

Comment ne pas noter que cette vision, selon nous dogmatique, se double d’une nouvelle mise à contribution du budget de l’État, au travers des allégements d’impôt sur le revenu, par exemple, ou des comptes sociaux, au travers d’allégements de cotisations sociales, pour financer des mesures assez proches, dans leur essence, de dispositifs déjà mis en œuvre dans le passé – loi Madelin, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, loi Dutreil pour l’initiative économique, loi en faveur des petites et moyennes entreprises de 2005 – et dont l’efficacité, en bien des domaines, n’a pas été validée par la moindre évaluation, ainsi que plusieurs collègues l’ont rappelé avant moi ?

Je rappellerai à cet égard que la franchise d’ISF liée à la participation du contribuable à un pacte d’actionnaires, mesure contenue dans la loi Dutreil, n’a, quatre ans et demi après sa promulgation, séduit que 2 % des contribuables de cet impôt.

Un examen approfondi du texte fait apparaître, à défaut d’une authentique logique, un fil conducteur : votre foi sans limite dans le dogme libéral, auquel vous vous en remettez entièrement, sans aucune nuance, une foi qui ne tolère pas les sceptiques, dont je suis.

Le secteur de l’économie de l’immatériel, où, par définition, les facteurs de production sont eux-mêmes immatériels et qui n’a d’autres coûts que le temps et l’intelligence, peut être à la source de profits considérables – une véritable manne ! – si l’on s’approprie une idée et qu’on dénie à tout autre le droit de l’utiliser sans avoir à payer. Or, par le biais d’une modification de la législation sur les brevets, vous remettez en cause un principe fondateur de la République française : le bien commun. Pis, vous ouvrez la porte à la possibilité de breveter un usage et non un principe, ce qui est susceptible de rapporter énormément d’argent, mais aussi de provoquer une catastrophe au regard de l’évolution des connaissances ; mon collègue François Autain y reviendra au cours de la discussion.

L’évolution des connaissances ne peut se faire sans partage de celles-ci, sans qu’elle soit appropriée par le plus grand nombre, de manière à la faire grandir. Modifier ces principes, c’est mettre l’évolution humaine entre les mains des entreprises, qui ne céderont la connaissance que sous conditions. Est-ce là la modernité dont vous vous gargarisez tant ?

La « modernisation de notre économie » consiste-t-elle aussi à proposer aux chômeurs et aux travailleurs à faibles revenus de travailler encore plus, en prenant plus de risques, par le biais de l’auto-entreprise ?

Que sera cette « auto-entreprise » après que vous aurez augmenté de façon insupportable les contraintes pesant sur les chômeurs avec votre « offre raisonnable d’emploi », présentée comme une alternative, mais qui n’est en réalité qu’un choix entre la peste et le choléra : se faire radier des ASSEDIC ou être auto-entrepreneur, sans pouvoir être sûr d’avoir les moyens de se verser un réel salaire ?

Comment ne pas penser qu’il s’agira là, une fois de plus, d’un cadeau aux grandes entreprises, qui, plutôt que d’avoir à assumer les charges d’un salarié, pourraient lui demander d’être une entreprise « externe » ?

De plus, quelle est la garantie d’effet bénéfique de ce dispositif sur l’économie française, sur la croissance, alors que la plupart de ces nouvelles très petites entreprises ne survivent pas plus de quatre ans ?

Enfin, malgré la croissance exponentielle du nombre d’articles de ce projet de loi – le texte initial, présenté à l’Assemblée nationale, en comptait quarante-quatre, et celui que nous avons aujourd’hui à examiner en compte plus de cent vingt –, nous devons noter l’absence de l’« action de groupe », maintes fois promise au consommateur et une fois encore reportée.

En revanche, le recours presque systématique aux ordonnances et aux décrets d’application, même réduit par notre commission spéciale, n’a pas été oublié ! Cela ressemble à une fuite en avant.

Les quelque cent cinquante amendements déposés par la commission spéciale avant la séance semblent confirmer cette tendance lourde.

Il nous apparaît que nombre de dispositions répondent à des demandes précises émanant de grandes entreprises : j’en veux pour preuve un amendement en faveur de Numéricable, un autre en faveur d’Auchan, de Leclerc et de Carrefour, pour ne citer que ceux-là.

On peut donc se poser la question : pour qui a été fait ce texte ?

Certainement pas pour les agents contractuels de droit local du ministère des affaires étrangères ! Certainement pas pour les salariés de RFI, soumis aux économies de structure par le plan Benamou-Levitte ! Certainement pas pour les fonctionnaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, appelés à voir leur mission de service public diluée dans l’activité de la nouvelle autorité de la concurrence ! Certainement pas, non plus, pour les agents de l’INSEE, dont l’indépendance professionnelle et l’objectivité vont être mises en cause par une nouvelle autorité, qui n’a d’autre raison d’être que de fournir au Gouvernement les statistiques dont il a besoin pour promouvoir sa politique ! Encore moins pour les fonctionnaires de la Caisse des dépôts et consignations, dont l’entreprise va voir ses missions dévoyées au profit de la loi d’airain des marchés financiers ! Pas davantage pour les agents de La Poste, dont l’entreprise va être confinée au rôle de « banque des pauvres » ! Et je ne parle pas des 4 500 emplois qui vont être supprimés dans le réseau des Caisses d’épargne ni des milliers de licenciements qui devraient frapper, sous prétexte d’allégement des contraintes des entreprises, le secteur de l’expertise comptable et du commissariat aux comptes.

Alors, pour favoriser quels intérêts ce projet de loi a-t-il été élaboré ? Ceux de tous les consommateurs, donc l’intérêt commun, ou bien les intérêts de quelques grandes entreprises, qui, jusqu’à présent, ne se sont d’ailleurs pas signalées par leur politique en faveur de l’emploi et de la revalorisation des salaires ?

M. Jean Desessard. Ce serait plutôt cela !

Mme Odette Terrade. On est tenté de penser que ce texte arrive en session extraordinaire, et avec des conditions de débat limitées, puisque déclaré d’urgence, pour récompenser lesdites entreprises.

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, alors que, pour leur pouvoir d’achat, nos concitoyens attendent des solutions immédiates et simples – l’augmentation de leurs salaires et le relèvement de leurs retraites et pensions –, il leur est proposé, à travers ce projet de loi, d’attendre et d’espérer des cadeaux faits aux grands groupes un abaissement des prix à la consommation, en s’en remettant aux promesses d’un avenir libéral et radieux.

Dans tout ce texte, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’ont trouvé que la marque de cette idéologie libérale qui vous est chère : on y cherche vainement des mesures offrant la moindre garantie d’efficacité quant au développement de notre économie ou laissant présager des répercussions positives sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens. En conséquence, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à adresser mes remerciements aux membres et aux rapporteurs de la commission spéciale, qui ont réalisé un travail remarquable sous la houlette de Gérard Larcher.

Pour autant, j’ai eu le sentiment que le texte initial était un peu battu en brèche… Toutefois, si cela se traduit par une amélioration, je ne saurais que m’en féliciter !

Bien sûr, on peut avoir plusieurs lectures de l’économie, mais il en est une que, pour ma part, je privilégie : s’il y a une économie, dans un pays, c’est parce qu’il y a des consommateurs et des producteurs ; s’il n’y avait rien à distribuer, il n’y aurait pas de distributeurs ! Mon analyse m’a donc conduit, tout naturellement, à m’intéresser aux consommateurs, qu’il convient d’informer et de protéger, puis aux producteurs, notamment aux plus petits d’entre eux, qui ne doivent pas être taillés en pièces.

Il est clair qu’il faut donner des repères aux consommateurs. Aujourd’hui, ces repères sont brouillés : dans le jeu de l’évolution des prix et du pouvoir d’achat, ils ne s’y retrouvent pas. Il paraît – c’est sans doute vrai – que l’euro a permis de faire baisser le prix des produits de haute technologie ou des produits à forte valeur ajoutée. Cependant, il a surtout permis d’alléger le panier de la plupart des ménagères, car le pouvoir d’achat ne s’en est pas trouvé amélioré. (M Jean Desessard sourit.) C’est une évidence que tous ceux qui font parfois leurs courses ont pu mesurer.

M. Jean Desessard. Moi, je les fais souvent !

M. François Fortassin. Nous vivons dans une société d’hyperconsumérisme – et je crains que le présent projet de loi n’accentue ce caractère –, une société dans laquelle les plus fragiles de nos concitoyens, en particulier les enfants, voient chaque jour à la télévision des reportages ou des publicités faisant croire que les produits de luxe sont à portée de main : les médias, au lieu d’informer, sont en train de créer une société de frustrés et d’envieux. Malheureusement, dans le même temps, le prix des produits de base, lui, ne baisse pas ; en tout cas, j’attends qu’on me démontre le contraire.

De la même façon, soit les petits producteurs sont une variable d’ajustement pour les distributeurs, soit – et c’est le cas le plus fréquent – ils sont laminés par les centrales d’achat, qui, à coup d’ententes parfois illicites, les massacrent complètement, ne leur laissant très souvent pas d’autre solution que de gagner en productivité, jusqu’aux limites du supportable.

Il en va ainsi d’un bon nombre d’agriculteurs : s’ils ne se résolvaient pas à vendre à des promoteurs une partie de leurs terrains, amputant ainsi leur outil de travail, à l’évidence, ils disparaîtraient ! Cela n’est pas acceptable, notamment au regard de l’aménagement du territoire.

Précisément, c’est l’aménagement du territoire qui, avec le sort des consommateurs et celui des petits producteurs, aurait dû être placé au cœur de ce texte. Or c’est loin d’être le cas !

J’ai déjà souligné l’importance qui s’attache à l’information des consommateurs. Celle-ci devrait reposer sur des principes simples, mais il semble qu’ils n’aient pas été véritablement pris en compte.

Selon moi, il faudrait revoir le modèle dominant de la société de consommation. Plutôt que de faire la part belle à toutes ces publicités vantant les mérites de tel ou tel produit, mieux vaudrait se fixer pour objectif de faire apprendre à mieux consommer et à mieux choisir. Par exemple, pourquoi n’inciterions-nous pas nos concitoyens à consommer plutôt les fruits et légumes de saison, qui sont à la fois de meilleure qualité et moins chers ? Ainsi, nous soutiendrions les producteurs locaux tout en contribuant à la sauvegarde du goût, bien malmené au moment où la primauté est accordée aux saveurs standardisées.

Or c’est tout le contraire qui en train de se passer. Il est donc urgent de mettre en place des mesures de protection en faveur non seulement des consommateurs, mais aussi des producteurs.

L’information des consommateurs passe aussi par la traçabilité des produits, qui, quoi qu’on en dise, n’est pas toujours transparente.

Serait-il donc si déraisonnable de préciser sur les étals, chaque fois que cela est possible, le prix qui a été payé aux producteurs ? Certes, madame la ministre, vous allez me rétorquer : mais comment donner une telle information à ceux qui mangent une boîte de cassoulet ou de choucroute ? (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. En boîte ? (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Il n’est évidemment pas possible de faire apparaître, d’un côté, le prix des haricots et, de l’autre, celui du confit !

Mme Christine Lagarde, ministre. N’oubliez pas la saucisse ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Cela va de soi, madame la ministre !

Mme Nicole Bricq. Ça dépend du cassoulet ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. En revanche, pour les fruits, les légumes et la viande, si l’on m’affirme qu’un tel étiquetage n’est pas possible, c’est que, véritablement, on n’a pas envie de le faire !

Serait-il déraisonnable de prévoir également l’inscription des dates de cueillette ? Cela permettrait de savoir si un fruit a été cueilli après avoir mûri au soleil ou s’il a passé trois semaines ou un mois dans je ne sais quel entrepôt avant d’arriver sur la table du consommateur.

De même, par quel artifice est-on parvenu à ne pas indiquer les dates d’abattage des animaux sur les emballages de viande ? D’aucuns présentent comme de la viande fraîche un animal qui a été abattu trois mois auparavant ! Cela est impensable, sauf à considérer qu’on a recouru à certains « adjuvants ». Mais je n’ai jamais pu le savoir !

Mme Nathalie Goulet. En tout cas, de telles pratiques n’existent pas en Normandie !

M. François Fortassin. Je pensais notamment à toutes ces carcasses d’agneau en provenance de Nouvelle-Zélande.

M. François Fortassin. Tout cela ne doit pas être très naturel, car, si je laisse une entrecôte au réfrigérateur pendant quinze jours, elle n’aura pas, à la sortie, un aspect très engageant !

Or, telle est la triste réalité : entre la date d’abattage et la date de vente, il peut s’écouler jusqu’à trois mois. Le consommateur est donc en droit de savoir à quelle date l’animal a été abattu : c’est à la fois une information légitime et un problème de santé.

Par ailleurs, il importe de rappeler cette évidence : l’ouverture effrénée à la concurrence n’entraîne pas forcément une baisse des prix.

Madame la ministre, vous affirmez que ce projet de loi est à la fois ambitieux et courageux. Je veux bien vous croire, mais est-il assez audacieux pour prendre en compte les aspirations des consommateurs et des petits producteurs ? Je n’en suis pas tout à fait certain !

À cet égard, le nouveau statut de l’auto-entrepreneur est un élément intéressant, surtout du point de vue… conceptuel. (M. Jean Desessard s’esclaffe.) En réalité, on va plutôt illustrer le vieil adage selon lequel il faut autoriser ce que l’on ne peut empêcher.

M. Jean Desessard. C’est exactement cela !

M. François Fortassin. En d’autres termes, comme vous avez beaucoup de mal à enrayer le travail au noir, vous le légalisez !

M. François Fortassin. Bien entendu, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, telle n’est pas votre intention, mais je crains que ce ne soit le résultat de ces mesures.

M. Jean Desessard. C’est ce qu’ils appellent « libérer les énergies » !

M. François Fortassin. Le travail au noir, il faut bien le dire, est un véritable fléau, auquel tous les gouvernements se sont heurtés. Or, avec le type de déréglementation que vous nous proposez, avec la méthode que vous employez, vous aurez un mal fou à éviter qu’il ne se développe encore plus.

J’en viens maintenant au relèvement de 300 mètres carrés à 1000 mètres carrés du seuil d’autorisation spécifique.

Il s’agit d’une disposition qui pourrait recueillir notre accord, à condition qu’elle soit encadrée. En effet, rien n’empêcherait un commerçant qui a été autorisé à s’installer sur 1000 mètres carrés de demander, immédiatement après, une nouvelle autorisation pour s’agrandir. Par conséquent, je crains que le remède ne soit pire que le mal.

Il conviendrait que le commerçant concerné soit tenu d’attendre un certain temps avant d’obtenir une deuxième autorisation. Je pense qu’il faudrait assortir le dispositif d’une clause excluant, pendant une période de six ou huit ans, toute possibilité d’agrandissement.

Cela a été souligné sur toutes les travées de cette assemblée, les commerces de centre-ville doivent être protégés, car ils sont doublement indispensables. D'une part, ils sont accessibles aux personnes qui éprouvent des difficultés pour se déplacer, telles les personnes âgées, lesquelles, compte tenu du vieillissement de la population, seront de plus en plus nombreuses.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

M. François Fortassin. D'autre part, ils jouent un rôle très important dans l’animation des bourgs-centres et des petites villes.

La protection et l’information du consommateur passent aussi par l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. À ce titre, je ne résiste pas au plaisir de citer ce qu’écrivait en 2003 M. Luc Chatel, devenu depuis membre du Gouvernement : « L’institution du recours collectif apparaît désormais comme la seule façon de garantir l’effectivité des droits des consommateurs dans certains types de litiges. »

M. François Fortassin. Bien entendu, il convient d’encadrer un tel recours, parce qu’il peut effectivement y avoir des abus. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire en la matière ! Qu’on ne vienne pas nous dire que l’action de groupe est une excellente chose et, en même temps, qu’il vaut mieux en remettre la création à plus tard !

À l’évidence, l’introduction en droit français d’une forme d’action de groupe serait de nature à moderniser les relations commerciales, en favorisant l’émergence d’une concurrence plus transparente et en responsabilisant les acteurs économiques. En effet, parmi ces derniers, il en est qui développent des comportements prédateurs vis-à-vis de leurs concurrents tout en flouant les consommateurs. Pour ma part, contrairement à certains, je n’ai aucune gêne à utiliser le mot « prédateurs », dans la mesure où, aujourd'hui, c’est bien ainsi que se comportent les acteurs de la grande distribution.

D’une manière ou d’une autre, il faudra bien mettre un terme à cette situation. On ne peut pas prôner la défense des consommateurs, des petits producteurs, soutenir une certaine conception de l’aménagement du territoire et, en même temps, laisser se développer la concurrence la plus sauvage. Il faut tout de même, à un moment, juguler la puissance des grands groupes de distribution et avoir le courage de leur dire : ça suffit !

Bien sûr, comme on dit, le soleil se lève pour tout le monde : chacun est en droit, dans ce pays, de gagner de l’argent, car l’argent, ce n’est pas honteux. Mais évitons les systèmes favorisant un peu trop ceux qui se sont constitué dans les quinze ou vingt dernières années les plus grosses fortunes françaises. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean Boyer applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, je voudrais, en tout premier lieu, féliciter et remercier le Gouvernement d’avoir pris l’initiative de déposer ce projet de loi, car c’est un texte important qui va sans doute permettre à notre pays d’engager une réforme d’une très grande ampleur de son économie.

M. Daniel Raoul. Ça commence mal !

M. Claude Biwer. Ça dépend pour qui, mon cher collègue ! (Sourires.)

Ce projet de loi est très ambitieux. Mais, lorsqu’on se préoccupe du devenir économique de son pays et de son peuple, on a le droit et même le devoir d’être ambitieux. Il ne vise ni plus ni moins qu’à favoriser l’esprit d’initiative, à dynamiser la concurrence au service des consommateurs et de leur pouvoir d’achat, à favoriser les investissements étrangers en France et à moderniser les instruments de financement de notre économie.

Je voudrais, en second lieu, remercier notre collègue Gérard Larcher d’avoir présidé avec brio le groupe de travail qui a préfiguré l’actuelle commission spéciale, et auquel j’ai eu l’honneur de participer. Nous avons procédé à plus de quatre-vingt-dix auditions de personnalités du monde économique, social et associatif, qui nous ont permis d’aller vraiment au fond des choses et d’être parfaitement éclairés sur les avantages et éventuels inconvénients des mesures aujourd'hui proposées à notre vote.

J’espère que ce texte permettra de changer profondément le visage économique de notre pays et qu’il le fera entrer par la grande porte dans l’économie du xxie siècle, en comblant les retards que nous avons accumulés, lesquels ont, à certains égards, altéré notre compétitivité.

Mon intervention portera plus particulièrement sur les relations commerciales, mais je souhaite tout de même rappeler, dans la mesure où le projet de loi est également consacré aux entreprises, une évidence qui a été particulièrement mise en lumière par les auditions des représentants de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et du ministère allemand chargé des PME.

Les premiers ont ainsi jugé regrettable que la France, depuis 1945, ait privilégié le développement des TPE et des grands groupes au détriment de celui des PME.

Comme pour leur faire écho, les seconds ont rappelé les points suivants : les PME allemandes sont au nombre de 4 millions ; les facteurs essentiels du succès économique sont la technologie, le financement des entreprises et la motivation des entrepreneurs, l’absence de seuils décourageant ces derniers de faire croître leurs affaires ; les PME ont besoin non pas d’un soutien permanent des pouvoirs publics, mais plutôt d’un cadre favorable à l’exercice de la liberté d’entreprendre, que la présence dans une société d’un grand nombre d’administratifs est souvent un facteur de passivité, comme l’a indiqué tout à l’heure en d’autres termes notre collègue Nathalie Goulet.

Je crois que l’Allemagne a pleinement profité de l’abandon des principes selon lesquels on peut faire mieux en travaillant moins, selon l’expression qu’ont employée les personnalités que nous avons entendues.

J’ajouterai que le système d’apprentissage industriel est, en Allemagne, un modèle du genre que nous n’arrivons toujours pas à égaler. Habitant d’une commune très proche de la frontière allemande, j’ai souvent l’occasion de faire des comparaisons. Or je trouve parfois décevantes les méthodes que nous avons retenues pour avancer, en particulier dans ce domaine.

Le titre II du projet de loi a pour ambition de mobiliser la concurrence comme nouveau levier de croissance. À cette fin, le Gouvernement propose une nouvelle étape dans la réforme des relations commerciales, souhaite développer la concurrence dans le secteur du commerce et crée une Autorité de la concurrence aux pouvoirs renforcés.

En l’espace de trois ans, nous avons voté deux lois modifiant les relations commerciales : la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel. À présent, nous nous apprêtons à adopter de nouvelles mesures visant à introduire davantage de concurrence dans les relations commerciales.

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, j’approuve pleinement votre démarche, et je ne manquerai pas de voter les diverses dispositions de votre projet de loi. Je crains toutefois que, nonobstant la sophistication des mesures que nous allons adopter et la mise en place d’une véritable Autorité de la concurrence, le profond déséquilibre qui prévaut entre la grande distribution et ses cinq surpuissantes centrales d’achat, d’une part, les PME, les coopératives agricoles et les petits producteurs, d’autre part, ne perdure.

Disons-le franchement, malgré la loi Royer de 1975, censée protéger le petit commerce pour répondre au mécontentement relayé à l’époque par le CID-UNATI, nous avons en France la plus grande concentration de grandes surfaces de toute l’Europe.

La loi dite Raffarin, qui rendait plus difficile les implantations commerciales a, contrairement au souhait de son auteur, je n’en doute pas, à peine ralenti les implantations commerciales. Ainsi, en Lorraine, pour la seule année 2007, les commissions départementales d’équipement commercial, CDEC, ont autorisé la création de 1 553 533 mètres carrés supplémentaires de surfaces commerciales. Elle a, surtout, figé la situation au profit des enseignes déjà installées, gêné l’implantation du hard discount sans pour autant ralentir la désertification commerciale des centres-villes, spécialement en ce qui concerne les commerces de bouche.

Au cours de l’une de nos auditions, nous avons eu confirmation de ce que nous constatons tous les jours dans nos régions : de plus en plus, les commerces de centre-ville sont remplacés par des agences bancaires, des cabinets d’assurance, des agences immobilières, voire des salons de coiffure. Comment voulez-vous maintenir une animation et une attractivité commerciale en centre-ville ou en centre-bourg avec ce type d’offre commerciale ?

Par ailleurs, reconnaissons que, malgré toutes les lois que nous avons votées depuis plus de trente ans, malgré toutes les réglementations successives, les relations commerciales entre producteurs et grande distribution ne se sont pas équilibrées.

Il faut évidemment faire la différence entre les grands groupes industriels et les PME.

En effet, quelle que soit la puissance d’une centrale d’achat, elle ne peut pas, en réalité, se passer de certains produits de marque, sauf à voir sa clientèle fuir vers la concurrence, lorsqu’elle existe.

En revanche, malheur aux responsables d’une PME qui doivent passer sous les fourches caudines du représentant d’une centrale d’achat ! L’entreprise devra, tout d’abord, payer pour être référencée. Autrement dit, avant de livrer la moindre marchandise, elle devra payer un ticket d’entrée. Elle devra, ensuite, consentir un rabais maximal, figurant ou non sur la facture. Et, si elle ne s’exécute pas, elle ne sera pas ou plus référencée, ce qui est souvent catastrophique pour ce genre d’entreprise. Puis, on lui demandera de payer pour figurer correctement dans les linéaires ; à défaut, ses produits se retrouveront hors de la vue immédiate des consommateurs. Évidemment, on lui demandera aussi de payer encore plus cher pour figurer en tête de gondole. On lui demandera, surtout, de payer pour la mise en place et le réassort de ses produits, opérations qui relèvent pourtant de la responsabilité du distributeur. Enfin, on lui demandera de financer des opérations promotionnelles du style « trois produits pour le prix de deux », voire l’anniversaire de l’ouverture de l’hypermarché ou du supermarché:

Je crois pouvoir dire, sans exagérer, qu’en certaines circonstances, pour un produit considéré, il arrive que le coût de la « coopération commerciale » soit supérieur à celui dudit produit !

Cet état de choses m’avait conduit à déposer sur le bureau du Sénat une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le rôle des centrales d’achat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations d’entreprises. Je regrette qu’elle ne soit pas venue en discussion, tout en reconnaissant que le texte que nous examinons aujourd’hui nous permet d’aborder très largement ce sujet.

Ces mauvaises pratiques ont, en effet, eu une autre conséquence : pressurées de toutes parts par les centrales d’achat, les entreprises françaises ont de plus en plus délocalisé leur production afin de demeurer compétitives. C’est ainsi que près de la totalité du textile vendu en grande surface provient, soit des pays d’Europe de l’Est, soit d’Asie.

Si toutes ces mauvaises pratiques avaient eu pour conséquence de faire véritablement baisser les prix et de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, elles seraient partiellement excusables. Malheureusement, il n’en est rien, et nos compatriotes constatent tous les jours la hausse des prix des produits de grande consommation dans les grandes surfaces. Ils subissent aussi la hausse des prix des fruits et légumes, à peine plus compétitifs que ceux qui sont pratiqués sur les marchés.

Si les producteurs souffrent des pratiques commerciales agressives des centrales d’achat et si les consommateurs ne bénéficient pas de prix bas, cela veut bien dire que la grande distribution empoche la différence. Et l’on comprend mieux, alors, les fortunes accumulées par les groupes qui sont à la tête de ces enseignes !

Je crois donc que le Gouvernement a raison de vouloir développer une « saine » concurrence et de ne pas laisser perdurer la « fausse » concurrence qui prévaut actuellement. Lorsqu’un consommateur se rend dans des magasins Champion, Ed, Dia, Proxi, 8 à 8, Shopi, il ne sait sans doute pas qu’ils relèvent tous du groupe Carrefour ! Et il en va de même pour les autres grands de la distribution.

Le texte pose le principe de la négociabilité des tarifs entre producteurs et distributeurs, en mettant cependant en place des garde-fous : interdiction de la revente à perte, négociation commerciale qui s’établit sur la base des conditions générales de vente du fournisseur et qui s’appuie sur la réalité économique du prix de revient, renforcement des garanties et des sanctions avec l’institution d’une Autorité de la concurrence.

Tout en partageant la volonté du Gouvernement de mettre fin à la fausse coopération commerciale qui a fait tant de mal, je tiens cependant à attirer l’attention de chacun sur le fait qu’il existe une vraie coopération commerciale sous la forme de prestations de service réellement exécutées : je pense, par exemple, aux différents secteurs de la distribution professionnelle ou des commerces de gros qui, en vue de la vente de produits, et non à l’occasion de cette vente, mettent en place des animations commerciales destinées à améliorer les ventes et à informer la clientèle professionnelle sur l’innovation des produits.

Je souhaite que, au cours de l’examen des articles, il nous soit possible de bien faire la part des choses entre la fausse et la vraie coopération commerciale. Il me semble utile de communiquer sur les qualités des quelques produits qui pourront, par la suite, être proposés à la vente aux professionnels. Je défendrai sur ce thème des amendements.

En tout état de cause, je souhaite de tout cœur que de ce nouveau dispositif se dégage un peu plus de transparence dans les relations entre producteurs et grande distribution. J’espère, surtout, que les consommateurs en sortiront gagnants.

S’agissant de la nouvelle Autorité de la concurrence, j’ai bien compris que le Gouvernement souhaitait lui octroyer de très larges pouvoirs. Encore faudra-t-il la doter de moyens humains et matériels suffisants afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle.

Vous avez déclaré qu’elle disposerait d’un pouvoir d’injonction en matière notamment de concentration. Je souhaite ardemment que tel soit le cas, car nos auditions nous ont montré que, dans de très nombreuses zones géographiques, il n’y avait pas de véritable concurrence entre distributeurs. Les prix payés par les consommateurs sont alors automatiquement plus élevés qu’ailleurs.

J’ajoute que l’Autorité de la concurrence pourrait aussi très utilement se pencher de manière approfondie sur les éventuelles ententes entre entreprises du BTP qui, lorsqu’elles sont avérées, coûtent cher, non pas au consommateur mais, cette fois-ci, au contribuable local !

Le raccourcissement des périodes normales de soldes, portées de six à cinq semaines, est une bonne chose, car elles étaient sans doute trop longues. Je crains, en revanche, qu’il ne soit très difficile de contrôler les périodes de soldes flottants dans la mesure où leurs dates seront laissées à la discrétion des commerçants. En tout état de cause, les périodes promotionnelles et les fins de série constituent déjà des entorses à la législation sur les soldes.

En ce qui concerne la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, l’Assemblée nationale a modifié le dispositif initialement proposé afin d’alléger cette taxe pour 24 000 petites et moyennes surfaces commerciales et de l’accroître pour les 1 000 plus grandes surfaces. Je souscris pleinement à cette nouvelle répartition, tout en continuant à regretter que le produit de cette taxe n’alimente pas directement le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, mais soit versé dans le budget général.

Je remercie d’ailleurs la commission spéciale de proposer de modifier la dénomination de cette taxe, qui s’appellerait désormais « taxe sur les surfaces commerciales » et d’affecter 100 millions d’euros au FISAC, même si je crains que cela ne soit pas tout à fait suffisant.

En effet, même s’il est utile de contrôler que les fonds du FISAC ne permettent pas aux bénéficiaires de venir concurrencer aux commerces en place de longue date, qui, eux, ne peuvent bénéficier de sa manne, je m’interroge : pourra-t-il répondre à toutes sortes de sollicitations, concernant les opérations de rénovation de commerces en milieu rural, dans les halles et marchés et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? D’autant que, à cette liste déjà longue, on a ajouté, à l’Assemblée nationale, le soutien des commerces de proximité en cas de travaux publics réduisant l’accès des centres-villes à la clientèle et la prise en charge d’une partie des intérêts d’emprunt contractés par les communes qui exercent leur droit de préemption ; ce sont autant d’éléments qui méritent d’être revus.