Sommaire

Présidence de M. Philippe Richert

1. Procès-verbal

2. Décision du Conseil constitutionnel

3. Dépôt de rapports en application de lois

4. Rappel au règlement

Mme Odette Terrade, M. le président.

5. Modernisation de l’économie. – Discussion d’un projet de loi déclaré d’urgence.

Discussion générale : Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ; M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission spéciale ; Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale ; MM. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale ; Gérard Larcher, président de la commission spéciale ; Mme Nathalie Goulet, MM. Jean Boyer, Bruno Retailleau, Daniel Raoul, Gérard Longuet, Mme Odette Terrade, MM. François Fortassin, Claude Biwer, Mme Nicole Bricq, M. Alain Fouché.

M. le président de la commission.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

Organisation des débats

MM. le président de la commission, Mme le ministre.

Discussion générale (suite)

Mme Anne-Marie Payet, MM. Richard Yung, Philippe Leroy, Thierry Repentin, Éric Doligé, Jean Desessard, Philippe Dominati, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Ambroise Dupont.

Mme la ministre.

Clôture de la discussion générale.

6. Dépôt de rapports d'information

7. Clôture de la session ordinaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 26 juin 2008, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui déclare conforme à la Constitution la résolution actualisant le règlement du Sénat afin d’intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes.

Acte est donné de cette décision.

Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets, et à la suite du compte rendu de la présente séance.

3

Dépôt de rapports en application de lois

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport pour 2007 sur les opérations de la Banque de France, la politique monétaire et ses perspectives, établi en application de l’article L. 143-1 du code monétaire et financier.

M. le président du Sénat a également reçu de M. Luc Machard, président de la Commission de la sécurité des consommateurs, le rapport d’activité pour 2007 de cette commission, établi en application de l’article L. 224-5 du code de la consommation.

Acte est donné du dépôt de ces deux rapports.

Le premier sera transmis à la commission des finances, et le second, à la commission des affaires économiques. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour un rappel au règlement.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.

Le 23 juin dernier, le Premier ministre lançait officiellement une campagne médiatique du Gouvernement en direction de nos concitoyens sur la question du pouvoir d’achat. Il faut dire que le désamour des Français à l’égard du Président de la République et leur insatisfaction face à une vie de plus en plus chère commençaient à peser lourd. Il vous fallait agir ; c’est chose faite !

Ces encarts publicitaires seront diffusés à hauteur de 1 630 diffusions, pour la modique somme de 4,63 millions d’euros. Cela fait cher la propagande d’État ! En effet, sous ses apparences de publicité, ressemblant d’ailleurs beaucoup à celle d’une grande enseigne commerciale ayant largement inspiré ce projet de loi, il s’agit d’une manœuvre politicienne visant à montrer que le Gouvernement est sensibilisé au sujet. Comment passer sous silence cette dépense astronomique pour ne rien dire, si ce n’est pour constater que la situation se dégrade ?

C’est à croire que ce n’est pas le gouvernement de M. François Fillon qui a fait adopter, en moins d’un an, pas moins de trois lois censées augmenter le pouvoir d’achat dont, visiblement, aucune n’a été efficace : preuve en est le débat sur le projet de loi qui nous occupe aujourd’hui et un autre, à venir, sur les revenus du travail !

Le Gouvernement se dit impatient, comme le seraient les Français. Mais si les Français les plus riches sont satisfaits de la politique que vous menez, les Français les plus modestes, eux, ne sont pas seulement impatients, ils sont mécontents ! Ils sont mécontents des 15 milliards d’euros accordés aux plus riches l’été dernier (Protestations sur les travées de lUMP.), …

M. Philippe Marini. C’est faux ! C’est une légende !

M. le président. Ma chère collègue, veuillez en venir au fait, car j’ai beaucoup de mal à établir le lien entre vos propos et le règlement du Sénat !

Mme Isabelle Debré. Exactement !

Mme Odette Terrade. … mécontents en apprenant qu’on va vider leurs poches, une fois encore, en supprimant la prise en charge intégrale des affections de longue durée, mécontents de constater que le Gouvernement s’est toujours refusé à prendre les seules mesures favorables au pouvoir d’achat que les collègues de mon groupe ont défendues devant la commission des affaires sociales, à savoir l’augmentation des salaires, des retraites et des allocations de solidarité !

Vous vous dites impatients. C’est à croire que M. Fillon et ses ministres ne sont pour rien dans la politique de notre pays. Ces spots les transforment en simples témoins d’une politique dont ils ne seraient pas responsables !

Mais vous ne vous défausserez pas de votre propre responsabilité ! Ce sont bien vos politiques qui plongent les citoyens dans la misère et la précarité. C’est bien le dogme du libéralisme tout puissant, que vous défendez, qui contraint les salariés de notre pays à travailler pour des salaires de misère, alors même que le revenu des employeurs français se classe parmi les premiers d’Europe.

En ce sens, votre publicité est mensongère, tout comme l’a été la campagne présidentielle d’un certain Nicolas Sarkozy qui disait vouloir aider la France qui se lève tôt !

C’est pourquoi, par décence et par respect envers tous nos concitoyens qui souffrent du manque de pouvoir d’achat, le groupe communiste républicain et citoyen demande au Gouvernement de supprimer la diffusion de ces publicités. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. Madame Terrade, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre en quoi le règlement du Sénat était concerné par votre déclaration.

Mme Isabelle Debré. Moi aussi !

Mme Odette Terrade. Nous parlons aujourd’hui du pouvoir d’achat !

M. le président. Nous allons entamer la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie qui vous permettra, à vous-même et à votre groupe, de vous exprimer sur l’économie et sur la façon dont le Gouvernement gère cette dernière.

Mme Odette Terrade. Croyez bien que nous ne manquerons pas de le faire !

M. le président. Cela dit, je vous donne acte de votre rappel au règlement, ma chère collègue !

5

 
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Discussion générale (suite)

Modernisation de l’économie

Discussion d’un projet de loi déclaré d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie (nos 398 et 413).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’UC-UDF.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Organisation des débats

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, croissance et plein emploi : c’est pour atteindre ces deux objectifs, en réformant profondément la France, qu’une large majorité de nos concitoyens a élu Nicolas Sarkozy Président de la République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Ils s’en mordent les doigts !

Mme Christine Lagarde, ministre. Sous l’autorité du Premier ministre, le Gouvernement se consacre à cette tâche de tous les instants et, madame Terrade, il sait prendre ses responsabilités, comme nous vous le démontrerons au fil des débats ! Beaucoup de travail a déjà été accompli : la France est en mouvement. Même le Fonds monétaire international le reconnaît, commençant par ces mots sa déclaration de fin de missions au titre de l’article IV de ses statuts : « France is on the move », ou « la France est en mouvement ». Et je suis heureuse de le dire devant les enfants qui, des tribunes du Sénat, assistent en ce moment à nos travaux !

De grands chantiers sont encore devant nous pour les années à venir. Aujourd’hui, le projet de loi de modernisation de l’économie, sur lequel nous travaillons ensemble depuis plus de dix mois, engage d’importantes réformes de structure et consolide le socle de notre stratégie économique.

Comme l’Allemagne dans les années 2000, comme les États-Unis dans les années 1990, comme l’Espagne dans les années 1980, la France entreprend aujourd’hui de moderniser son économie. Il était temps…

M. Jean Desessard. Il n’y a que vous à le penser !

Mme Christine Lagarde, ministre. En effet, dans un monde en croissance perpétuelle, où tous les pays bougent, ne pas avancer, c’est prendre le risque de reculer. Ainsi, toujours selon le FMI, la France était encore dixième dans le monde en 1985 en termes de PIB par habitant ; vingt ans plus tard, elle est seulement vingt et unième. Est-ce à dire qu’elle a reculé ? Pas nécessairement, mais d’autres, entre-temps, ont pris la peine d’avancer.

Nous connaissons tous la volonté, l’énergie, les talents de nos concitoyens, ce « génie français » qui a si souvent étonné le monde. Ce potentiel, il faut maintenant en faire une réalité économique, car nous voulons donner à la France et aux Français le visage heureux d’une « nouvelle croissance », pour reprendre l’expression du Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

L’été dernier, nous avons pris des mesures d’urgence pour le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat. Elles ont commencé à porter leurs fruits, si j’en crois le chiffre des créations d’emplois – un chiffre record, inégalé, avec 352 000 créations nettes d’emplois pendant l’année 2007 –, la baisse continue du taux de chômage – elle devrait se poursuivre cette année – ou la progression régulière des heures supplémentaires depuis sept mois, utilisées en avril 2008 par 55 % des entreprises qui mensualisent le paiement de leurs cotisations de sécurité sociale.

Certes, il ne s’agit pas de nier la réalité : le contexte international est difficile, mais pas tragique. Il n’est plus question, comme voilà quelques mois, de stagflation ou de récession aux États-Unis : le FMI, encore lui, vient de réviser sa prévision de croissance à plus de 1 % pour ce pays.

Notre économie résiste bien. J’aimerais vous rappeler trois bonnes nouvelles, alors que nous sommes si souvent inondés de mauvaises nouvelles, sélectionnées de manière habile par les uns ou les autres. Ces trois bonnes nouvelles ne fournissent pas une preuve absolue du succès de nos politiques, mais elles constituent trois signes supplémentaires qui ne peuvent que nous encourager dans notre volonté de poursuivre plus avant les réformes voulues par le Président de la République.

Première bonne nouvelle, le nombre de créations d’emplois salariés des secteurs marchand et non marchand au premier trimestre 2008 a été sensiblement revu à la hausse voilà une dizaine de jours, ce qui porte le nombre total de créations d’emplois à plus de 70 000 pour ce trimestre et confirme la tendance observée aux troisième et quatrième trimestres de 2007.

Deuxième bonne nouvelle, apprise la semaine dernière, la consommation de produits manufacturés par les ménages a augmenté de 2 % au mois de mai.

Troisième bonne nouvelle, le crédit aux entreprises demeure très dynamique. Sur les douze derniers mois, il augmente de 15,5 % en avril, après une hausse de 15,4 % en mars. Les établissements bancaires continuent ainsi à prêter aux petites et moyennes entreprises, alors que nous craignions tant un resserrement des conditions du crédit.

Timidement, le cercle vertueux de l’activité et de la consommation s’est mis en marche. Naturellement, nous ne saurions nous satisfaire de ces seuls résultats. La politique économique a toute sa place quand des vents contraires se lèvent : elle doit faire en sorte que, quand le vent de la croissance soufflera de manière un peu plus soutenue, grâce à une conjoncture internationale que nous espérons plus favorable, notre vaisseau national soit prêt à prendre le vent afin d’améliorer la situation de nos concitoyens.

Tel est exactement le sens de ce projet de loi de modernisation de l’économie. Il répond à la lettre de mission que m’ont adressée le Président de la République et le Premier ministre, demandant de lever « les contraintes qui empêchent certains secteurs économiques de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ». Ce projet contient des mesures de fond, structurelles, courageuses – nous le verrons au cours du débat à venir – mais relativement peu coûteuses : selon nos dernières estimations, ce texte, après son passage à l’Assemblée nationale, engage 450 millions d’euros de dépenses annuelles.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale. On va essayer de réduire un peu cette somme !

Mme Christine Lagarde, ministre. Il vise deux objectifs essentiels, plus d’entreprises et plus de concurrence, pour trois résultats concrets, à savoir plus de croissance, plus d’emplois et plus de pouvoir d’achat.

Plus d’entreprises, plus de concurrence : tels sont nos objectifs. Avec le Président de la République, avec le Premier ministre, avec les secrétaires d’État qui sont à mes côtés, Luc Chatel, Hervé Novelli et Éric Besson, nous sommes déterminés à faire souffler un peu plus de liberté sur notre économie.

La liberté est une idée qui a été souvent défendue au sein de cette Haute Assemblée, à droite comme à gauche : je sais que je peux vous faire confiance, mesdames, messieurs les sénateurs, pour donner à ce texte la portée qu’il mérite !

Plus de concurrence et moins de blocages, cela signifie aussi moins de surcoûts pesant in fine sur le consommateur. Pouvons-nous en particulier accepter que notre système de distribution soit organisé de telle manière que les yaourts, les boissons gazeuses ou les pâtes à tartiner, pour ne prendre que quelques exemples, coûtent plus cher à un Français qu’à un Allemand, un Espagnol ou un Néerlandais ? Je ne le pense pas.

Mme Nicole Bricq. Les pâtes à tartiner, c’est mauvais pour la santé !

Mme Christine Lagarde, ministre. Notre projet de loi s’articule autour de trois principes : la croissance, la liberté et l’équilibre. Il ne saurait y avoir de croissance durable sans la liberté pour chacun de créer et d’entreprendre, et il n’y a pas de liberté acceptable sans un minimum de régulation permettant d’établir l’équilibre entre les droits et les devoirs des différents acteurs de l’économie.

L’équilibre, il se situe entre le titre II, consacré à la concurrence et à l’occasion duquel des efforts seront demandés aux uns et aux autres, et le titre Ier, dédié aux entreprises et prévoyant de nouveaux moyens pour avancer.

Il se situe également au sein de chacun des titres, entre liberté de négociation et transparence, entre une implantation plus aisée et le renforcement de l’autorité de la concurrence.

Il se situe enfin entre les titres III et IV consacrés à l’attractivité et au financement de l’économie et permettant d’assurer l’équilibre des différentes forces économiques, sur le plan tant international que territorial.

Moderniser l’économie, ce qu’il vous appartiendra de décider au sein de la Haute Assemblée, ce sera tout simplement, en un sens, rendre l’économie à ceux qui la font.

L’ambition qui nous mobilise tous depuis plus de dix mois autour de ce projet de loi s’incarne en quatre temps.

Il y eut le premier temps, celui des experts. Il y eut le deuxième temps, celui du débat, et vous avez su prouver que la coproduction se concilie fort bien avec le bicamérisme. Je tiens ici à remercier profondément Gérard Larcher d’avoir su mener nos discussions avec tant d’énergie, d’habileté et de bonne humeur.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

Mme Christine Lagarde, ministre. J’espère que la bonne humeur sera toujours au rendez-vous !

Il y a maintenant le troisième temps, celui de la décision : après l’examen de 1 600 amendements, deux semaines de débats et huit nuits passées dans l’hémicycle, les députés ont finalement voté ce projet de loi à une très large majorité, puisque ce dernier a remporté 323 voix. Ils l’ont considérablement enrichi, le nombre d’articles ayant presque triplé ! Cela rend d’autant plus nécessaire votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs, car je suis persuadée, contrairement à l’adage, que le mieux peut être l’ami du bien !

Mme Isabelle Debré. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. Je compte sur la sagesse et la rigueur auxquelles vous nous avez habitués pour améliorer autant que possible ce texte au service de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Mme Isabelle Debré. Comptez sur nous !

Mme Christine Lagarde, ministre. Sachez, en tout état de cause, que le Gouvernement est très sensible au fait qu’une commission spéciale réunissant des sensibilités et des spécialités variées ait été créée pour l’occasion, et qu’elle ait travaillé à un rythme soutenu en menant 93 auditions depuis le 26 mars dernier. Je sais quelle énergie les trois rapporteurs, Laurent Béteille, Elisabeth Lamure et Philippe Marini, ont consacré à l’examen de ce projet de loi, et je les en remercie. Cela va nous permettre non seulement d’améliorer notre texte, mais aussi d’accélérer son application : je sais que vous proposez d’intégrer directement certains projets d’ordonnance sous la forme d’amendements, en ce qui concerne notamment l’Autorité de la concurrence, la fiducie ou la réforme des incapacités commerciales.

Après le temps des experts, le temps de la préparation et le temps de la décision, viendra, demain, celui de la mise en œuvre, ou de la « postproduction », pour reprendre l’expression employée par les députés, avec le sens de la formule qui les caractérise, au moment du Festival de Cannes.

Pour que la future loi de modernisation de l’économie rencontre véritablement l’écho qu’elle mérite et produise tous ses effets sur le terrain, je souhaite, d’une part, que l’ensemble de nos services publient la totalité des décrets avant la fin de l’année 2008. Je sais, comme tous ceux d’entre vous qui ont participé à l’exercice, que la tâche sera lourde, et je lance ici un défi à nos administrations !

D’autre part, je m’engage à ce que des instances de suivi, où tous les parlementaires pourront trouver leur place, soient créées afin que les dispositions que vous aurez adoptées soient effectivement appliquées sur le terrain et que nous puissions ensemble, en toute loyauté, mesurer les effets de ce texte.

Je pourrais résumer notre projet en quelques chiffres : trente mesures fondamentales, au moins 0,3 % de croissance par an – l’effet sur celle-ci du statut de l’auto-entrepreneur a, me semble-t-il, été considérablement sous-estimé –,…

M. Daniel Raoul. C’est un aveu ?

Mme Christine Lagarde, ministre. … soit approximativement 6 milliards d’euros de plus en croissance permanente à partir de 2009, et ce sur les cinq prochaines années, enfin, 50 000 emplois supplémentaires pour un investissement initial de 450 millions d’euros.

Après vous avoir rapidement présenté sous forme de propos introductif notre démarche, qui fut aussi la vôtre, et le bilan en termes d’investissement et de retour escompté sur investissement, j’aimerais m’arrêter à présent sur les quatre grands titres de notre projet de loi, qui correspondent à quatre principes : encourager les entrepreneurs, relancer la concurrence, renforcer l’attractivité de notre économie et améliorer son financement.

Le titre Ier « Mobiliser les entrepreneurs », qui sera défendu avec talent par Hervé Novelli, concerne toutes les étapes de la vie de l’entrepreneur, depuis la création de l’entreprise jusqu’à sa transmission en passant par toutes les étapes de son fonctionnement.

Cinq mesures phares sont prévues pour la création d’entreprise, dont le statut de l’auto-entrepreneur, qui constitue une véritable nouveauté dans la qualification juridique de l’activité. De nombreuses entreprises ont été créées depuis le début de l’année et un véritable record a été atteint en 2007. Nous espérons poursuivre et amplifier ce mouvement, qui répond à une véritable demande sociale, et je sais que vous contribuerez à simplifier encore cet élan pour l’entreprise, en permettant un certain nombre de simplifications, notamment lors de la création de ces entreprises.

Le texte instaure, vous le verrez, un régime fiscal particulièrement incitatif, puisque chaque entrepreneur pourra s’acquitter en une seule fois de ses impôts et cotisations sociales aux taux fixes de 13 % et 23 %, selon qu’il s’agit d’une activité de commerce ou d’une activité de service.

Sans doute avez-vous reçu un cadeau de la part d’Hervé Novelli, le « kit de l’auto-entrepreneur », et peut-être l’avez-vous examiné avec curiosité ? (Exclamations.)

M. Jean Desessard. Je ne l’ai pas reçu !

Mme Isabelle Debré. Il devait être réservé aux rapporteurs !

Mme Christine Lagarde, ministre. Pour ceux d’entre vous qui ne l’auraient pas reçu…

Mme Nicole Bricq. Nous avons eu une mallette avec une cravate ! (Sourires.)

Mme Christine Lagarde, ministre. … – j’entends des voix qui s’élèvent à droite comme à gauche –,…

M. Jean Desessard. Nous n’avons pas reçu de cadeau !

M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser Mme la ministre s’exprimer !

Mme Christine Lagarde, ministre. …soyez assurés qu’Hervé Novelli se fera un plaisir de vous en remettre un, et vous pourrez ainsi constater la simplicité des conditions d’installation et de fonctionnement d’un auto-entrepreneur.

Lorsque la version définitive de ce texte aura été votée, ce « kit de l’auto-entrepreneur » sera beaucoup plus largement diffusé auprès du grand public afin que tous ceux qui souhaitent s’installer à leur compte puissent le faire plus facilement.

L’Assemblée nationale a enrichi ce texte en relevant le seuil de la micro-entreprise à 80 000 euros pour les activités commerciales et à 32 000 euros pour les activités de service.

Je me réjouis également de constater que la commission des lois du Sénat a imaginé de nouvelles mesures de simplification, et je suis certaine que ce statut de l’auto-entrepreneur correspondra à une véritable nouveauté, un peu comme la loi de 1901 avait en son temps constitué un tremplin pour les activités des associations.

La deuxième mesure vise à renforcer la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur, en protégeant les actifs immobiliers qui ne sont pas consacrés à son activité professionnelle.

La troisième mesure tend à faciliter l’utilisation du local d’habitation comme local professionnel. Hervé Novelli et moi-même comptons sur le Sénat pour faire preuve de créativité et d’audace en la matière.

La quatrième mesure consiste à créer un cadre fiscal favorable aux sociétés en amorçage, en permettant à l’entrepreneur d’imputer d’éventuelles pertes sur son impôt sur le revenu.

La cinquième mesure, enfin, est la réforme du système des sanctions commerciales, la décision sur l’incapacité étant laissée à l’appréciation du juge, au cas par cas ; il ne faut en effet pas sanctionner systématiquement celui qui aura purgé une peine en lui déniant la faculté de créer une nouvelle entreprise.

Après les mesures visant la création d’entreprise, j’examinerai l’amélioration du fonctionnement de celle-ci.

À cet égard, nous envisageons tout d’abord la réduction des délais de paiement ; ces derniers sont en effet supérieurs de dix jours à la moyenne européenne et placent la France largement en retard par rapport au reste des pays membres de l’Union. Le minimum serait de réduire ces délais à soixante jours, et des accords complémentaires sectoriels pourront intervenir pour aller encore plus loin dans ce sens.

La deuxième mesure importante est la prolongation jusqu’au 1er juillet 2010 du tarif réglementé transitoire d’ajustement au marché pour l’électricité, permettant une transition souple vers des régimes…

M. Jean Desessard. Moins souples !

Mme Christine Lagarde, ministre. … plus élevés de tarification, ainsi que l’élimination des conséquences financières brutales à l’occasion du passage des seuils de dix et de vingt salariés.

La troisième catégorie de mesures est essentiellement d’ordre fiscal et concerne la reprise et la transmission d’entreprises. Les droits de mutation à titre onéreux des cessions de droits et des mutations de fonds de commerce seront abaissés de 5 % à 3 %. De plus, les cessions entre membres d’une même famille ou entre un employeur et ses salariés seront totalement exonérées de droits de mutation à titre onéreux jusqu’à 300 000 euros. L’Assemblée nationale a transformé ce seuil en abattement, ce qui rend le dispositif plus progressif et donc plus juste.

Le titre II, qui concerne la mobilisation de la concurrence comme nouveau levier de croissance, sera défendu avec non moins de talent par Luc Chatel.

M. Jean Desessard. Avec un cadeau ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Les cadeaux, ce seront les Français qui les recevront, car ce titre a véritablement pour objet de rétablir les conditions d’une concurrence saine et effective, dont chacun pourra sentir les effets !

Cette concurrence est le moyen le plus naturel et le plus sain d’agir sur les prix, dans une économie de marché, par opposition à une économie administrée. Renforcer la concurrence suppose de trouver un équilibre entre l’assouplissement des conditions de négociation des prix et l’augmentation du nombre d’acteurs présents sur le marché, et de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. C’est ce point d’équilibre que j’évoquais tout à l’heure entre les différents comportements des acteurs présents sur le marché.

J’espère que cet équilibre pourra être conservé. L’enjeu sera de ménager tout à la fois la liberté d’établissement et de fonctionnement des commerçants, petits ou grands, et la régulation nécessaire à l’équilibre du tissu commercial dans notre pays.

Côté liberté, nous proposons, à l’article 27, de supprimer le critère de densité commerciale par zone de chalandise, qui est contraire à l’article 14 de la directive européenne « services », et de relever le seuil d’autorisation des surfaces commerciales de 300 à 1 000 mètres carrés, tout en maintenant pour les autres une procédure d’autorisation collégiale, dans laquelle le rôle des élus se trouvera considérablement renforcé par rapport à la composition actuelle des commissions départementales d’équipement commercial, les CDEC. En effet, les élus détiendront la majorité des sièges au sein des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC, qui viendront remplacer les CDEC.

Il n’est en effet pas normal qu’aujourd’hui les quatre premières enseignes de distribution détiennent plus de la moitié des parts de marché. Ce que nous voulons à travers cette mesure, c’est donner le choix au consommateur entre différents modes de distribution et parmi des opérateurs en plus grand nombre, pour lui permettre d’acheter les produits de son choix où il veut, à l’endroit où ils sont les moins chers, et pour inciter les distributeurs à baisser leurs prix. Dans la guerre des prix, le consommateur, on le sait bien, est finalement le grand gagnant.

L’Assemblée nationale a voté cette disposition et ouvert la possibilité pour les maires des communes de moins de 15 000 habitants de saisir la commission départementale d’aménagement commercial pour les projets compris entre 300 et 1 000 mètres carrés, afin de mieux tenir compte des spécificités locales.

Nous avons également établi, aux articles 21 et 22 du texte, le principe de libre négociation des prix entre producteurs et fournisseurs, en mettant fin au système désuet des marges arrière, auquel Luc Chatel s’était déjà attaqué dans un texte précédent.

En consacrant ces pratiques, nous rejoignons ainsi les pays les plus développés autour de nous parmi lesquels figurent l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, ou le Royaume-Uni. Luc Chatel, qui connaît mieux que moi ce sujet, pourra vous en donner la liste complète.

Pour autant, nous devons continuer à assurer la loyauté des négociations de prix. C’est dans ces conditions que les députés ont exigé que la convention annuelle reprenne bien l’ensemble des obligations qui auront été convenues dans le cadre de la négociation tarifaire. Il s’agit donc non pas d’un chèque en blanc donné aux négociateurs des centrales d’achat, mais bien d’un rapport contractuel équilibré dans le cadre duquel, une fois par an, l’ensemble des prestations sont précisément décrites pour être ensuite déclinées de manière systématique à l’occasion des facturations.

L’augmentation de 20 % du FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, permettra aux petits commerçants de trouver le ressort nécessaire pour affronter cette nouvelle concurrence et pour exercer à de meilleures conditions financières le droit de préemption.

En outre, l’article 24 prévoit d’autoriser tous les commerçants, petits et grands, à pratiquer deux semaines complémentaires de soldes par an, à des dates qu’ils voudront bien choisir, dans un esprit de liberté.

Parallèlement, nous réduisons d’une semaine les deux périodes officielles de soldes : chacun s’accorde en effet à considérer que la dernière semaine est de trop, peu de produits restant à la vente et les amateurs de soldes en ayant déjà bien profité. Les commerçants pourront ainsi pratiquer deux semaines de soldes « flottantes ».

Côté régulation, le texte tend à proposer, à l’article 23, la création d’une Autorité de la concurrence aux compétences élargies. Nous le savons, il ne sert à rien d’édicter des lois en faveur de la concurrence si elles ne sont pas pleinement respectées et si une autorité forte, munie tout à la fois de pouvoirs d’enquête et de sanctions, n’est pas là pour pouvoir s’en assurer.

L’Assemblée nationale a souhaité aller plus loin, afin que soient mieux surveillés les trois principaux dysfonctionnements du marché. Nous ne laisserons en effet pas la loi du plus fort s’installer dans les négociations, et le législateur a parfaitement vocation à intervenir pour mieux réguler ce jeu de la concurrence.

Tout d’abord, les abus de situation dominante, qui ont pour conséquence de faire augmenter les prix sans raison, pourront être dénoncés par les maires devant l’Autorité de la concurrence, laquelle sera en droit, quand les premières sanctions n’auront pas été suivies d’effet, de prononcer des mesures structurelles allant jusqu’à la cession du magasin concerné.

Ensuite, les pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs seront plus fermement sanctionnées, notamment en reprenant dans le code de la consommation, conformément aux exigences européennes, la liste des trente et une pratiques qui doivent être considérées comme déloyales en toutes circonstances.

Enfin, les clauses abusives pourront être plus facilement combattues, grâce à l’institution d’un double régime de clauses abusives, à savoir une liste des clauses « grises », celles qui sont présumées abusives, et des clauses « noires », celles qui sont considérées, quelles que soient les circonstances et de manière irréfragable, comme abusives.

De plus, les députés ont souhaité que les maires disposent d’un véritable droit de préemption renforcé sur certaines zones commerciales. Le Gouvernement s’est également engagé à intégrer les règles de l’urbanisme commercial dans le code de l’urbanisme. Monsieur le président de la commission spéciale, je vous indique que nous sommes très ouverts aux propositions que le Sénat pourra émettre en ce sens.

Le titre III est relatif au renforcement de l’attractivité de notre économie, laquelle tient à un ensemble de facteurs, au premier rang desquels figure la fluidité de la communication des produits, des services, de la finance et, bien évidemment, de l’information.

Renforcer l’attractivité du territoire, cela suppose d’abord de moderniser ce dernier. La France est connue pour son avant-gardisme en matière technologique, notamment dans le domaine de l’information. Pour le téléphone comme pour le minitel, la France a toujours été aux avant-postes.

Aujourd’hui, avec Éric Besson et Luc Chatel, nous voulons gagner le pari du très haut débit en étendant l’usage de la fibre optique : je souhaite que, en 2012, au moins 4 millions de ménages puissent bénéficier notamment de la télévision haute définition, de la téléassistance à domicile pour les personnes âgées, de l’e-enseignement, du web 2.0. Éric Besson et Luc Chatel vous décriront en détail les bienfaits que nous pouvons attendre de l’implantation sur notre territoire du très haut débit. Sachez en tout cas que ce dernier est vecteur d’une croissance nouvelle et meilleure.

Notre projet de loi généralise donc le pré-câblage des immeubles neufs et facilite le raccordement des immeubles existants, en incitant les opérateurs à prendre à leurs frais le coût du câblage et en réalisant dans les immeubles un réseau unique de fibre optique ouvert à tous les opérateurs.

Toutefois, il ne sert à rien d’avoir accès au très haut débit quand on n’a pas les moyens de s’offrir ce qui est devenu une nécessité dans notre société, à savoir un téléphone mobile. C’est pourquoi l’Assemblée nationale a voté l’instauration d’un tarif social pour ce type de produit, comme cela existe déjà dans les domaines de l’électricité et du gaz : c’est une véritable innovation ! Nous réunirons les différents opérateurs, dont beaucoup nous ont déjà témoigné leur bonne volonté, afin d’aboutir avec eux à une convention précise en termes de tarifs et de niveau de service, et de leur permettre d’utiliser un label « offre sociale ».

Être attractif, c’est non seulement pouvoir faire circuler l’information, mais aussi attirer sur notre territoire des talents et des financements. Aux articles 31 et 32, nous prévoyons, d’une part, d’assouplir le régime des impatriés, en étendant ce statut à tous les recrutements directs de salariés à l’étranger, et, d’autre part, de faciliter la délivrance d’un titre de résident pour les cadres étrangers de haut niveau qui apportent une contribution particulière à l’économie française.

Les députés ont complété très logiquement cette mesure par une exemption de certaines cotisations d’assurance vieillesse pour les salariés étrangers qui viennent en France dans le cadre d’une mobilité temporaire et adhèrent chez eux à des régimes de retraite, leur relation avec la France n’étant pas couverte par une convention de sécurité sociale.

À l’article 37, nous mettons en place des fonds de dotation qui permettront d’attirer des financements privés pour des missions d’intérêt général, telles que celles qui sont assurées par les laboratoires de recherche, les hôpitaux, les bibliothèques ou les musées. Nous espérons que ces fonds connaîtront le même succès que les fondations pour les universités. Depuis que la loi sur l’autonomie des universités a été votée, la fondation de la Toulouse school of economics – c’est ainsi qu’elle se dénomme, pour rivaliser avec la London school of economics and political science – a ainsi pu lever 33 millions d’euros de fonds : c’est la preuve qu’il existe de la part des entreprises, y compris des entreprises françaises, une véritable volonté de mettre de l’argent au service de l’intérêt général, notamment au service de l’économie telle qu’elle est brillamment enseignée par l’université de Toulouse.

Le titre IV, qui est le dernier, a pour but d’améliorer le financement de l’économie, ce qui nécessite la mobilisation de deux circuits : le circuit interne, pour mieux gérer l’épargne disponible, et le circuit international, pour attirer des capitaux.

S’agissant du circuit interne – c’est l’objet des articles 39 et 40 –, nous proposons de généraliser à toutes les banques la possibilité de distribuer le livret A, qui devrait donc être disponible dans 40 000 agences bancaires au lieu de 22 000 aujourd’hui. En effet, peut-on continuer à tolérer que le produit d’épargne privilégié, et même plébiscité, par nos concitoyens ne soit disponible que dans trois grandes enseignes, aussi excellentes fussent-elles ?

Désormais, chacun pourra ouvrir un compte d’épargne défiscalisé dans sa banque, aux mêmes termes et conditions que ceux qui sont applicables aujourd'hui. Je n’ai pas l’intention de faire un quelconque cadeau aux banques à cette occasion. La renégociation de la commission actuellement versée aux trois établissements, qui va être diminuée pratiquement de moitié, permettra d’augmenter le financement mis à la disposition du logement social.

Mme Christine Lagarde, ministre. L’Assemblée nationale a choisi de renforcer l’obligation pour les banques d’utiliser pour le financement des PME les ressources du livret A et du livret de développement durable – l’ancien CODEVI – qui ne sont pas centralisées à la Caisse des dépôts et consignations. C’est une bonne chose. Je vous expliquerai en détail lors de l’examen du titre IV de quelle manière nous garantissons au minimum la collecte actuelle et, de toute façon, plus que le financement nécessaire au logement social.

M. Jean Desessard. Et comment ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Le projet de loi précise bien que l’épargne collectée sur le livret A restera utilisée pour financer en priorité le logement social et la politique de la ville, et ensuite les PME. Les contrôles à cet égard seront renforcés.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

Mme Christine Lagarde, ministre. L’Assemblée nationale a également renforcé le droit opposable au compte, qui existait déjà mais dont l’application n’était pas satisfaisante. Grâce aux nouvelles dispositions du projet de loi, que vous serez, je l’espère, nombreux à voter, ce droit pourra s’apprécier dans toute sa portée. Demain, un consommateur ne pourra plus sortir d’une agence bancaire sans avoir pu ouvrir un compte ou s’être engagé dans une procédure de « droit au compte en 24 heures ».

L’article 41 prévoit une réforme mesurée de la Caisse des dépôts et consignations, réforme qui me paraît essentielle non seulement pour améliorer le circuit de financement du logement social, mais, au-delà, pour renforcer la participation de cette institution publique à notre économie. Nous allons donc préciser le rôle de la Caisse des dépôts et consignations comme investisseur de long terme au service du développement des entreprises, et moderniser sa gouvernance, quasi inchangée depuis 1816, sans remettre en cause d’une quelconque manière le contrôle et l’autorité du Parlement sur cette noble institution.

J’en viens au circuit international du financement de l’économie, visé par l’article 42. Nous voulons moderniser la place financière française, dans le droit fil du travail d’amélioration de l’attractivité de notre pays entrepris depuis près d’un an, avec notamment la suppression de l’impôt de bourse votée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007 et pour laquelle je rends hommage à la persévérance de M. Philippe Marini, rapporteur général du Sénat.

Mme Christine Lagarde, ministre. Nous mettons aujourd’hui en œuvre les mesures préparées dans le cadre du Haut comité de place que j’ai installé dès mon arrivée au ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Nous sommes à un moment particulièrement critique sur la scène internationale, en particulier européenne, pour entrer en véritable concurrence avec la place de Londres. Nous devons saisir cette occasion maintenant. Il n’est plus l’heure d’attendre, il est temps d’agir !

L’enjeu principal auquel nous sommes confrontés est celui de la simplification de notre réglementation et de la mise en conformité de cette dernière avec les standards internationaux connus des investisseurs dans le cadre d’un système de supervision et de coordination entre les régulateurs qui est particulièrement exemplaire en Europe.

C’est pourquoi j’ai souhaité engager avec ce projet de loi une réforme en profondeur de la notion historique qui fonde notre droit financier : l’appel public à l’épargne. Il faut nous adapter pour que notre longue tradition financière ne devienne pas un handicap. C’est ainsi que nous pourrons attirer les capitaux de pays émergents qui sont de nouveaux acteurs sur la scène financière internationale, qu’il s’agisse de fonds détenus et administrés par les États ou de fonds souverains gérés de manière plus ou moins indépendante.

Dans la même optique, je vous propose également d’habiliter le Gouvernement à moderniser par ordonnance le cadre juridique de la gestion d’actifs, afin de faciliter l’exportation de fonds d’investissement depuis la France. La France est l’un des champions d’Europe de la gestion d’actifs : nous devons garder cette position et surtout lui donner une dimension internationale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. Concrètement, nous allons simplifier les règles de fonctionnement des fonds qui sont réservés aux investisseurs avertis, en laissant plus de place à la liberté contractuelle et en éliminant un certain nombre de contraintes qui ne sont pas nécessaires.

L’Assemblée nationale a proposé de renforcer le contrôle interne des banques, afin d’empêcher que ne se reproduisent des défaillances comme celles que la Société générale a connues l’an dernier. Elle a également adopté un amendement habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive européenne anti-blanchiment, ce qui va nous permettre, je l’espère, de rejoindre rapidement les standards européens en matière de lutte contre l’argent sale.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les trente principales mesures du projet de loi de modernisation de l’économie qui correspondent aux engagements pris par le Président de la République en matière économique et sur la base desquels il a été élu.

C’est un texte courageux, qui examine sans tabous les problèmes structurels de l’économie française.

C’est un texte bien peu coûteux au regard du retour sur investissement que nous envisageons puisqu’il se chiffre à 450 millions d’euros en l’état actuel du projet de loi et à 0,3 % de point de croissance en année pleine à partir de l’exercice 2009.

Sur ce montant, 100 millions d’euros vont à la baisse des droits de mutation, 60 millions d’euros au gel des seuils financiers, 60 millions d’euros aux sociétés en amorçage à responsabilité limitée et 60 millions d’euros au prélèvement fiscal et social de l’auto-entrepreneur.

Les amendements adoptés par l’Assemblée nationale – je pense notamment au dispositif relatif au relèvement des seuils de l’auto-entrepreneur, qui passent dorénavant à 80 000 euros par an et à 32 000 euros par an selon les cas – entraînent un surcoût de 150 millions d’euros, parmi lesquels 125 millions d’euros consacrés au relèvement et à l’indexation du seuil micro et 25 millions d’euros affectés à la transformation du seuil de 300 000 euros en un abattement pour les droits de mutation.

Vous le voyez, ces 450 millions d’euros sont bien dépensés. Cette loi, outre le retour sur investissement qu’elle nous procurera en termes de croissance et de créations d’emplois, profitera clairement à tous nos concitoyens. En effet, la vie des entrepreneurs sera simplifiée, les consommateurs auront plus de choix et bénéficieront – nous l’espérons – de prix plus bas ; les petits fournisseurs disposeront de plus de marges de manœuvre et, surtout, de délais de paiement raccourcis. Quant aux petits commerçants, ils profiteront de remises de la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, qui s’appellera peut-être différemment si certains amendements sont adoptés, d’aides complémentaires du FISAC ou de la réforme des baux commerciaux.

Comme vous pouvez le constater, de telles mesures bénéficieront donc à tous nos concitoyens.

M. Jean Desessard. Tout va très bien ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Christine Lagarde, ministre. Elles sont le fruit d’un travail de coproduction important que je vous invite à poursuivre tout au long de l’examen de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui proposé s’inscrit dans la continuité des mesures prises dès le début de la législature en faveur de la croissance et du pouvoir d’achat.

S’appuyant sur une réflexion menée depuis plusieurs mois, ce texte ambitionne d’offrir à nos concitoyens des dispositifs novateurs, afin de développer notre économie. À ce titre, il concerne à la fois les petites et moyennes entreprises, dont le tissu constitue l’une des caractéristiques principales de l’économie française, et des entreprises plus importantes de secteurs très différents de notre économie, qu’il s’agisse de la distribution, de la finance ou des nouvelles technologies.

Après son examen par l’Assemblée nationale, le projet de loi a été considérablement étoffé. Pour autant, ses grandes orientations ont été maintenues. Il s’agit de simplifier – à mon sens, c’est le maître-mot – l’exercice par nos concitoyens d’une activité économique, d’assurer une protection aux consommateurs et de renforcer l’attractivité de notre pays dans un contexte marqué par la mondialisation.

La commission spéciale m’a confié la charge des dispositions du présent projet de loi relatives à trois thèmes.

S’agissant tout d’abord de la simplification des conditions d’exercice de l’entrepreneur individuel – c’est le premier point –, le texte du Gouvernement, tel qu’il a été adopté par les députés, est particulièrement novateur.

Cela a été souligné, le projet de loi crée un véritable statut de l’auto-entrepreneur, dont il définit les conditions d’exercice. En pratique, il s’agit d’inciter nos concitoyens à entreprendre une activité économique dans des conditions simples et souples, afin que l’envie d’entreprendre ne soit pas bridée par des contraintes ou des complexités inutiles et rebutantes, comme nous en avons souvent l’habitude.

Dans cette perspective, le statut de l’auto-entrepreneur se caractérise essentiellement par des mesures d’allégement en matière fiscale, sociale et administrative.

En matière fiscale, le régime fiscal et social des micro-entreprises sera amélioré par la création d’un prélèvement fiscal et social libératoire calculé en pourcentage du chiffre d’affaires.

En outre, le texte réactualise les seuils définissant les micro-entreprises, « statut » fiscal permettant de bénéficier d’un régime d’imposition particulier, de contraintes déclaratives allégées et d’une franchise de TVA. Il prévoit également que ces seuils seront désormais actualisés chaque année dans des proportions identiques à la première tranche de l’impôt sur le revenu.

En matière sociale, le projet de loi élargit le champ du rescrit social bénéficiant aux employeurs du régime général de sécurité sociale et du régime agricole, et institue un rescrit social au bénéfice des ressortissants du régime social des indépendants, le RSI. L’Assemblée nationale a complété fort utilement ces dispositions par un dispositif de rescrit fiscal élargi. Au regard du droit social et du droit fiscal, ces mesures de sécurisation de l’activité économique profitent non seulement aux micro-entreprises, mais également à l’ensemble des entreprises.

En matière administrative, des personnes exerçant à titre complémentaire une activité artisanale ou commerciale pourront être dispensées de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Pour autant – je le précise dans un souci de clarté –, les auto-entrepreneurs ne seront pas affranchis des règles de base qui s’imposent à tout commerçant ou artisan, notamment en matière de protection des consommateurs, de qualification professionnelle et d’assurance.

Le projet de loi comporte également plusieurs mesures qui concernent l’ensemble des entrepreneurs individuels.

Pour faciliter l’exercice professionnel des entrepreneurs individuels, le texte vise à assouplir le régime des changements d’usage des locaux, ainsi que celui des usages mixtes, en particulier dans les locaux situés au rez-de-chaussée des immeubles. Il élargit le champ des biens pouvant être déclarés insaisissables par l’entrepreneur individuel et permet à ce dernier de bénéficier de la procédure de surendettement des particuliers lorsqu’il engage ses biens personnels pour garantir son activité entrepreneuriale. Il prévoit l’extension, par voie d’ordonnance, de la qualité de constituant d’une fiducie aux personnes physiques.

Par ailleurs – c’est le deuxième thème que je souhaite aborder –, le projet de loi comporte également de nombreuses dispositions en faveur de la simplification du fonctionnement des petites et moyennes entreprises. À cet égard, je mentionnerai cinq mesures particulières.

Premièrement, une simplification fondamentale consiste à neutraliser, à titre expérimental, les effets de seuil.

Mes chers collègues, vous savez combien le droit français souffre incontestablement d’une multiplication des seuils, qui sont souvent des obstacles à la croissance des PME. C’est pourquoi le projet de loi permet de geler, puis d’étaler les conséquences du franchissement par les entreprises des seuils de dix et de vingt salariés en matière de financement de la formation professionnelle, de cotisations sociales sur le salaire des apprentis, de cotisations patronales de sécurité sociale, d’exonérations de charges au titre des heures supplémentaires, de contribution au fonds national d’aide au logement et de contribution au financement des transports en commun.

Deuxièmement, le projet de loi prévoit, notamment depuis son adoption par l’Assemblée nationale, de simplifier quelques aspects de la réglementation des baux commerciaux, dont tout le monde s’accorde pour condamner la complexité, qui en fait, nous le savons, un véritable nid à contentieux.

Troisièmement, plusieurs mesures de simplification du droit des sociétés sont prévues. Cet effort est mené depuis plusieurs années. Le texte qui nous est soumis poursuit cette tâche, avec quelques mesures qui sont particulièrement utiles. Les sociétés à responsabilité limitée, ou SARL, auront la possibilité de recourir à la visioconférence lors de la tenue des assemblées d’associés. Pour les sociétés anonymes, ou SA, l’obligation de la détention d’actions par les administrateurs et les membres du conseil de surveillance sera supprimée. Et, dans le cas des sociétés par actions simplifiées, ou SAS, les apports en industrie seront autorisés et le contrôle des comptes sera assoupli.

Quatrièmement, afin d’assouplir le régime des incapacités commerciales, celles-ci seront soumises à un principe de proportionnalité. Le Gouvernement est ainsi autorisé à assouplir par ordonnance le régime des incapacités commerciales en permettant au juge de prononcer une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité industrielle ou commerciale, ainsi qu’une peine alternative d’interdiction.

Cinquièmement, le projet de loi devrait permettre l’adaptation du droit des procédures collectives et du droit des sûretés. La loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises pourrait être toilettée par voie d’ordonnance, afin de la rendre plus attractive, tout en conservant les traits fondamentaux des procédures collectives que nous avions imaginées voilà trois ans. Le renforcement de l’efficacité de certaines sûretés, comme la fiducie et le gage sans dépossession, est également prévu par le projet de loi.

J’en viens à présent au troisième thème de mon intervention : plusieurs dispositions du projet de loi tendent à renforcer l’activité économique de notre pays. Mais celles-ci devant en majeure partie être évoquées par mon collègue rapporteur Philippe Marini, j’aborderai seulement deux mesures.

D’une part, le droit au séjour pour les étrangers pouvant apporter une contribution économique exceptionnelle à la France sera aménagé. Le projet de loi prévoit la délivrance d’une carte de résident d’une durée de dix ans pour des étrangers susceptibles d’apporter à la France une telle contribution.

D’autre part, une base légale pour la délégation de la gestion des fonds structurels européens sera instaurée.

La commission spéciale a souhaité enrichir ce texte sur plusieurs points.

Tout d’abord, elle a cherché à rendre plus cohérents les dispositifs adoptés par nos collègues députés.

Ainsi, s’agissant du champ d’application de la dispense d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, elle a préféré prévoir une voie générale plutôt que l’énumération des bénéficiaires du régime ; elle a en effet considéré que cette dernière était longue et laissait de côté des catégories de personnes pour lesquelles un tel dispositif pouvait se révéler utile, comme les étudiants et les chômeurs.

En matière de changements d’usage et d’usages mixtes, la commission spéciale s’est attachée à simplifier le dispositif adopté à juste titre par les députés, qui transfère la compétence des autorisations du préfet vers les élus locaux. Nous avons souhaité faire du maire le véritable pivot du système, en le rendant seul responsable de ces autorisations et en donnant compétence aux conseils municipaux pour fixer les conditions générales de délivrance de ces dernières. Enfin, nous avons rétabli la suppression de l’autorisation pour les locaux situés au rez-de-chaussée.

Nous avons également estimé que l’examen de ce projet de loi nous offrait une occasion bienvenue de nous pencher sur les entreprises de taille moyenne, dont la spécificité par rapport aux grandes entreprises, avec lesquelles on a souvent tendance à les assimiler, méritait d’être affirmée. Si une entreprise cesse d’être une moyenne entreprise à partir de deux cent cinquante salariés, elle ne devient pas pour autant une major internationale ni même une grande entreprise. Nous devons le reconnaître pour pouvoir en tirer ensuite les conséquences. En effet, le problème de la croissance des PME et du manque d’entreprises de taille moyenne se pose de façon de plus en plus aiguë. Il est important que la France rattrape son retard et surmonte son déficit en la matière. Nous proposons de nous donner les moyens de mieux les connaître pour mieux les accompagner.

Enfin, par souci de simplification et par cohérence avec la position du Sénat en 2006, la commission spéciale a entendu élargir la faculté de délégation par l’État aux collectivités territoriales de la gestion des fonds structurels européens, sans que cette mesure remette en cause les programmations déjà intervenues pour la période 2007-2011.

La commission spéciale a ensuite entendu assouplir certaines contraintes pesant sur les entreprises.

Sur le fondement des propositions émises dans un rapport datant de 2004, elle a adopté plusieurs améliorations juridiques au statut des baux commerciaux, afin de moderniser ce régime en le débarrassant d’un certain nombre de scories, tout en ayant le souci de ne pas déstabiliser ses grands équilibres entre les bailleurs et les preneurs.

La commission spéciale a également supprimé la prohibition pour une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou EURL, d’en détenir une autre.

Elle a élargi la possibilité de faire des apports en industrie dans le cadre d’une société par actions simplifiée.

Elle a ouvert aux avocats la possibilité d’être fiduciaires, en précisant que, dans le cadre de cette activité, ces professionnels seraient soumis à l’ensemble des obligations incombant à tout fiduciaire en termes de lutte contre le blanchiment.

Elle a enfin étendu le champ d’application de la norme simplifiée d’exercice professionnel des commissaires aux comptes au-delà des seules sociétés par actions simplifiées, afin qu’elle s’applique, en dessous de certains seuils fixés par décret, aux sociétés à responsabilité limitée, aux sociétés en nom collectif et aux sociétés en commandite simple. Seules sont écartées les sociétés par actions.

Votre commission a ensuite souhaité assurer un équilibre entre les mesures favorables à l’entrepreneur et la nécessaire protection des tiers.

Cette volonté s’est traduite par une acception plus stricte des biens de l’entrepreneur individuel pouvant faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité.

La commission spéciale a également cherché à renforcer notre droit des sûretés, avec l’attribution d’un droit de rétention au créancier titulaire d’un gage sans dépossession et avec la possibilité pour l’agent des sûretés de constituer lui-même des sûretés réelles pour le compte d’une collectivité de créanciers. Pour autant, elle s’est efforcée de concilier la mise en œuvre de ces sûretés avec les objectifs des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire qui visent à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise en difficulté.

La commission a également entendu prendre en compte la spécificité du contrôle des comptes dans la société par actions simplifiée, en élargissant l’obligation de désigner un commissaire aux comptes lorsque la société par actions simplifiée est contrôlée ou contrôle une ou plusieurs sociétés.

Enfin, du point de vue de la procédure parlementaire, la commission spéciale a souhaité, chaque fois que cela était réalisable, substituer des dispositions d’application directe aux habilitations à légiférer par ordonnance.

Tel est le cas, en particulier, de l’habilitation concernant l’extension de la qualité de constituant d’une fiducie aux personnes physiques. Il en est de même de l’habilitation concernant le régime des incapacités commerciales, car il n’est pas acceptable que des modifications de notre droit pénal interviennent par voie d’ordonnance. Notre assemblée ne saurait se satisfaire d’une telle solution.

Telles sont les mesures que je souhaitais vous présenter concernant le domaine qui m’a été réservé par la commission spéciale. Nous nous sommes efforcés de faire entendre la voix de la simplification, tout en écoutant les nombreuses observations qui sont parvenues jusqu’à nous. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, il me revient de rapporter des dispositions qui se répartissent entre les titres Ier, II, III et V du projet de loi. Sans revenir sur les objectifs de ces dispositions, qui ont été très bien exposés par Mme la ministre, j’insisterai sur quelques points saillants.

Concernant tout d’abord le titre Ier, la commission a prêté la plus grande attention à l’une de ses mesures essentielles : le plafonnement légal des délais de paiement, proposé à l’article 6.

La commission spéciale est pleinement convaincue du bénéfice macroéconomique que la France et particulièrement ses PME peuvent retirer d’une réduction des délais de paiement, que ce soit en matière de compétitivité, d’investissement ou de croissance.

Le délai de paiement est un élément central de la relation commerciale, dont il reflète le déséquilibre, et c’est pourquoi seule la loi est en mesure d’obtenir sa réduction effective. Le succès concret de la disposition spécifique adoptée en 2006 pour le secteur des transports en apporte la preuve.

Toutefois, la commission spéciale tient à ce que le passage d’une moyenne de soixante-sept jours de délai de paiement à un plafond, et non plus à une moyenne, de soixante jours se fasse de manière progressive. Il n’est pas possible, en effet, de bouleverser en six mois le modèle économique autour duquel se sont construites plusieurs filières en France. La réduction à soixante jours calendaires du délai de paiement va mécaniquement accroître le besoin en fonds de roulement des entreprises, et donc leurs frais financiers dans un contexte où le financement bancaire coûte cher et n’est pas facile d’accès.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale. Tout à fait !

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Le choc que constitue le transfert de milliards d’euros de trésorerie, spécialement pour les entreprises dont la structure de bilan est construite sur un délai fournisseur supérieur au délai client, ne peut être absorbé qu’en plusieurs années.

C’est pourquoi la commission se montre particulièrement attachée aux dérogations que le Gouvernement a heureusement prévues pour permettre à des secteurs qui en ont objectivement besoin de n’appliquer le délai de soixante jours calendaires qu’au 1er janvier 2012.

Dans cet esprit, la commission vous proposera un amendement permettant aux signataires d’un accord interprofessionnel autorisant cette dérogation de bénéficier d’emblée du délai de paiement supérieur qui a fait l’objet de cet accord.

Elle vous proposera également d’ouvrir une ultime voie de recours aux secteurs qui échoueraient à conclure un accord interprofessionnel d’ici à la fin de l’année, mais qui seraient néanmoins prêts à améliorer les délais de paiement au bénéfice des PME.

Sur ce point, je conclurai en invitant le Gouvernement à laisser le temps nécessaire à la négociation et à l’adaptation des différents secteurs au nouveau cadre légal qui sera issu du présent texte.

En outre, la commission spéciale, notamment son président, considère qu’il serait risqué de précipiter le passage à une seconde étape législative qui ramènerait trop brutalement le plafond légal de paiement à trente jours.

L’article 9 permettra aux associés des jeunes sociétés de capitaux d’opter, sous certaines conditions, pour le régime fiscal des sociétés de personnes, et ce pour une durée de cinq ans. Il s’agit là encore d’une bonne proposition, susceptible de soulager la trésorerie des entrepreneurs pendant la période délicate des premières années de leur entreprise, souvent déficitaire.

J’en viens maintenant au titre II, qui a largement retenu l’attention de l’opinion publique, des professionnels concernés et de nos collègues députés. Le Gouvernement a conçu ce titre du projet de loi dans un souci d’équilibre : équilibre entre la libéralisation de la négociabilité, et l’accroissement du contrôle et de la sanction des abus – il s’agit de donner plus de liberté, mais avec plus de responsabilités ; équilibre entre cette évolution des relations commerciales et la modernisation du dispositif d’aménagement commercial ; équilibre, au sein des dispositions sur le commerce, entre l’assouplissement et la simplification du contrôle de l’aménagement commercial, d’une part, et le renforcement du FISAC, d’autre part ; équilibre de l’ensemble, enfin, avec la perspective proche de la création d’une autorité de la concurrence dotée des moyens correspondants.

L’Assemblée nationale s’est inscrite dans ce souci d’équilibre en enrichissant d’abord le début de ce titre de dispositions relatives à la protection des consommateurs ; nous vous proposerons du reste d’aller plus loin dans cette voie.

Deux amendements auront ainsi respectivement pour but, l’un de rendre directement applicables en droit interne les mesures de suspension de mise sur le marché des produits dangereux prises par la Commission européenne, l’autre de faire financer le coût des tests et des expertises sur les produits importés par les personnes responsables de la mise sur le marché.

Concernant ensuite l’article 21 et la négociabilité, votre commission spéciale a considéré que l’équilibre auquel l’Assemblée nationale était parvenue était, pour l’essentiel, satisfaisant. C’est pourquoi je ne vous proposerai pas de modifications très importantes à cet article, il s’agira simplement d’en améliorer encore la rédaction.

De même, sur l’article 22, relatif au contrôle et à la sanction des abus dans la relation commerciale, et sur l’article 24, qui modifie le régime des soldes, nous nous satisfaisons pour l’essentiel du texte adopté par l’Assemblée nationale.

S’agissant de la création de l’autorité de la concurrence, nous nous sommes longuement interrogés sur l’opportunité de recourir à une ordonnance pour procéder à une réforme aussi lourde politiquement que fondamentale sur le plan économique.

Nous avons, en effet, estimé qu’un débat parlementaire en bonne et due forme s’imposait sur ce sujet. Surtout, nous avons considéré que le renforcement du système de régulation de la concurrence, qui repose essentiellement sur la transformation du Conseil de la concurrence en autorité dotée de compétences élargies, constituait la clé de voûte de l’édifice législatif présenté au Parlement par le titre II du projet de loi, contrepartie essentielle à d’autres dispositions du texte renforçant la concurrence dans de nombreux secteurs économiques.

C’est pourquoi, compte tenu du caractère quasi abouti du projet d’ordonnance transmis par le Gouvernement, nous avons procédé à l’insertion de deux articles additionnels avant l’article 23.

Le premier propose la création de cette autorité de la concurrence et définit sa composition et son organisation. Dans le même temps, nous renforçons les pouvoirs du Parlement en matière de suivi des activités de cette instance.

Le second procède au transfert du contrôle des concentrations économiques du ministre chargé de l’économie vers cette autorité. En conséquence, nous proposons de réduire de manière concomitante le périmètre de l’ordonnance prévue à l’article 23 pour le limiter à la seule réforme du contrôle des pratiques anticoncurrentielles, afin notamment de mieux articuler cette compétence entre l’autorité et la DGCCRF.

Mme Nicole Bricq. C’est sage !

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. J’en viens maintenant à l’article 25, qui a pour objet de réformer la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA. Nous savons tous que de nombreux magasins ont souffert du quasi-triplement de cette taxe, depuis 2004, pour compenser l’abandon de la taxe sur les achats de viande.

La réforme proposée se ferait à produit constant pour l’État mais rééquilibrerait l’effort entre catégories d’assujettis. Les « petits » magasins, les plus fragiles et les moins rentables, bénéficieraient ainsi de diminutions parfois conséquentes de leur taxe, alors que les très grandes surfaces, essentiellement alimentaires, contribueraient davantage. C’est d’autant plus normal que ce sont ces mêmes magasins qui étaient auparavant assujettis à la taxe sur les achats de viande.

À la suite de l’Assemblée nationale, je vous proposerai un ultime ajustement de ce dispositif, afin d’exclure de l’assiette de la taxe les petits magasins indépendants de toute enseigne nationale situés dans un centre commercial. Je vous suggérerai également de tirer la conséquence du caractère budgétaire de cette taxe en changeant son nom : elle deviendrait alors la taxe sur les surfaces commerciales, ou TASCOM.

Sur l’article 26, la commission spéciale vous présentera une modification qu’elle juge très importante. Le Gouvernement, puis les députés ont tâché de conforter le FISAC. Nous vous proposons d’aller beaucoup plus loin dans cette logique, d’une part en garantissant le financement de ce fonds en lui affectant par la loi une fraction de la TASCOM, d’autre part en lui adjoignant un conseil stratégique assez resserré et une commission d’orientation plus élargie, afin de doter cet outil très important d’un véritable pilotage politique.

Ces deux points sont l’occasion de mieux associer le Parlement à l’orientation du FISAC.

Quant à l’article 27, il va de soi que nous aurons l’occasion d’y revenir de façon très approfondie, puisque l’ensemble des sénateurs a déposé près d’une centaine d’amendements sur cet article, à la fois très long et très important, qui porte une réforme de l’ensemble du dispositif relatif à l’équipement commercial.

Je voudrais insister sur plusieurs points qui me paraissent essentiels et qui expliquent les propositions que j’ai été amenée à formuler à votre commission spéciale.

Tout d’abord, il nous faut bien prendre en compte le fait que la Commission européenne a établi de façon assez claire que notre dispositif actuel est contraire au droit européen, en particulier à la liberté d’établissement.

Il est donc logique et souhaitable de nous réformer nous-mêmes avant d’être condamnés par la Cour de justice des Communautés européennes. Il me semble qu’il faut saluer le courage du Gouvernement sur ce point.

Sans vouloir intervenir trop longuement sur ce sujet, sur lequel nous reviendrons au cours de la discussion des articles, je vous dirai cependant qu’il est de notre responsabilité de parlementaires de ne pas laisser croire aux Français en général, et au monde du commerce en particulier, que nous pouvons tout simplement ignorer le cadre juridique européen, car nous sommes inscrits dans ce cadre, et nous le sommes parce que nous l’avons choisi.

Pour ces raisons, il ne me semble ni réaliste ni souhaitable de vouloir repousser la réforme proposée par le Gouvernement qui tire les conséquences des évolutions du droit européen.

Il est un fait qui s’impose à nous : notre législation sur le commerce ne peut plus reposer sur ce que l’on appelle les tests économiques, c’est-à-dire sur une analyse des commerces déjà implantés qui conduit à prendre en compte l’effet sur ces commerces de tout nouveau projet avant de l’autoriser.

C’est pourquoi la commission spéciale proposera de maintenir le relèvement du seuil légal d’autorisation de 300 à 1 000 mètres carrés, comme le propose le Gouvernement.

En revanche, à côté de cette réalité juridique incontestable, il y a une réalité géographique et sociale tout aussi incontestable : je veux parler de cette réalité qui nous marque tous et dont notre Haute Assemblée est l’expression politique et institutionnelle, à savoir la diversité de nos territoires.

Parce que nos territoires sont différents et sont riches de leurs particularités et de leurs spécificités, il m’a semblé, et votre commission a bien voulu partager cette analyse, qu’il était important de donner aux élus locaux la possibilité, dans certains cas, d’adapter le dispositif général aux exigences locales.

Comme il nous a semblé que l’élément politique important de ce dispositif reposait sur l’idée qu’en matière d’aménagement commercial l’ensemble de la décision ne devait pas reposer sur le seul maire mais qu’il fallait laisser une place à la construction d’un projet collégial pour le territoire, nous proposons de donner aux schémas de cohérence territoriale – SCOT – la possibilité de définir des zones d’aménagement commercial en fonction des trois critères autorisés par le droit européen, à savoir l’aménagement du territoire, la qualité de l’urbanisme et la protection de l’environnement.

Puis, dans un second temps, nous proposerons d’articuler ce dispositif avec celui qu’ont introduit les députés pour permettre, dans certains cas limités, le passage en commission départementale d’aménagement commercial – la CDAC – des projets compris entre 300 et 1 000 mètres carrés.

Il me reste enfin sur ce point à vous dire ma forte interrogation sur l’idée avancée à l’Assemblée nationale d’élaborer dans six mois un nouveau projet de loi pour intégrer l’urbanisme commercial à l’urbanisme de droit commun.

Il me semble qu’il y a dans cette formule une lourde ambiguïté et je me demande si tous nos collègues députés ont bien conscience qu’un tel projet consisterait en réalité à supprimer les CDAC.

Pour notre part, nous ne nous plaçons pas dans cette perspective et nous considérons assez largement, au sein de la commission spéciale, qu’il n’y a pas lieu de légiférer pour dire qu’on légiférera plus tard.

En conclusion sur cette question de l’équipement commercial, je voudrais vous dire ma conviction que le commerce de proximité, s’il ne peut représenter la majorité du commerce en chiffre d’affaires, a néanmoins un bel avenir devant lui.

Faisons un peu de prospective, mes chers collègues, et plaçons-nous dans vingt ans, c’est-à-dire dans un pays dont la population aura une moyenne d’âge plus élevée, dans lequel les transports se seront profondément transformés, dans lequel les zones rurales se seront redynamisées et auront vu leur population augmenter, dans lequel les services, de façon générale, et les services capables d’apporter des réponses individualisées aux consommateurs, en particulier, occuperont une part toujours croissante : dans cette société française de 2030, les activités de proximité auront un rôle important à jouer.

J’en viens enfin au titre III. Il me revient de rapporter les articles du chapitre Ier, qui m’apparaît viser un objectif essentiel pour la croissance de notre économie et pour la cohésion sociale. Il s’agit du développement de l’accès au très haut débit et, plus généralement, au numérique sur le territoire.

Les amendements que la commission proposera sur ces articles répondent à deux préoccupations principales. Ils visent, d’une part, à assurer la plus grande équité possible entre les opérateurs concurrents pour le déploiement de ce nouveau réseau que constitue la fibre optique. Ils visent, d’autre part, à permettre de ne jamais perdre de vue les Français qui habitent en zone rurale…

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. … et qui souffrent d’une mauvaise couverture en téléphonie mobile de deuxième génération, ne sont pas couverts par les réseaux de troisième génération, ne captent pas la TNT, ne sont pas éligibles à l’ADSL, ou encore voient la fibre optique comme un privilège réservé aux citadins.

C’est dans cet esprit que la commission proposera plusieurs amendements importants. Ceux-ci viseront, par exemple, à revenir au texte du Gouvernement qui assurait un déploiement équilibré du très haut débit dans les immeubles ou à donner aux collectivités territoriales le moyen de mettre en œuvre une utilisation partagée des infrastructures publiques de génie civil déployées pour les réseaux câblés.

J’espère que le Sénat soutiendra les propositions que je lui ferai, au nom de la commission spéciale sur l’ensemble des articles que je viens d’évoquer, afin d’aboutir à un texte équilibré, réaliste, mais également prospectif. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, rapporteur.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale. Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’état, mes chers collègues, nous examinons ce texte à un moment d’incertitude pour notre économie. En ce milieu de l’année 2008, les meilleurs observateurs ont de la peine à apprécier les indicateurs internationaux. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets dans peu de temps, notamment lors du débat d’orientation budgétaire, car les perspectives de nos finances publiques demeurent préoccupantes – comme chacun le sait – et la sensibilité de notre pays à la croissance internationale est grande.

Dans un tel contexte, le texte que vous nous présentez a beaucoup d’ambition. Je retiens surtout sa volonté d’accroître, sur une série de sujets concrets, la compétitivité de notre économie. Il est certain que, lorsqu’on veut donner libre cours aux forces de l’entreprise, on lèse forcément des intérêts établis et on crée des difficultés chez certains groupes, si respectables soient-ils.

Il est donc inévitable, madame le ministre, que la loi dite de modernisation de l’économie ait suscité bien des débats, voire bien des inquiétudes.

En ce qui me concerne, en tant que sénateur de base (exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste) et élu local, j’éprouve des inquiétudes, comme chacune et chacun d’entre vous. En écoutant « mon » excellente chambre de commerce, « mon » union commerciale – je mets des guillemets autour de ces pronoms trop possessifs – j’entends naturellement des inquiétudes s’exprimer. Il est nécessaire de les prendre en compte.

M. Thierry Repentin. Vous êtes inquiet comme nous !

M. Philippe Marini, rapporteur. La commission spéciale a su trouver le chemin ardu, délicat, parfois contradictoire,…

M. Jean Desessard. Que de précautions oratoires !

M. Philippe Marini, rapporteur. … entre les expressions de nos territoires et la nécessité de libérer et de libéraliser de nombreuses composantes de notre économie.

Chers collègues, prétendrez-vous que cette réalité soit simple ? Souhaitez-vous en rester à un statu quo intégral dans tous les domaines ? C’est la question que nous devons nous poser.

La commission spéciale entame donc un chemin délicat et je voudrais rendre un hommage particulier à mes collègues rapporteurs et, plus spécialement, au rapporteur en charge des structures commerciales. Je crois effectivement qu’Élisabeth Lamure a su trouver des dispositions qui permettent de rassembler l’urbanisme commercial dans l’urbanisme. Elle a ainsi pu répondre à de nombreuses questions que se posent nos collègues des différents départements et les élus locaux, dans leur généralité.

Je vais en venir, plus précisément et brièvement, aux trente et un articles que la commission spéciale m’a demandé de rapporter. Je suis heureux, au demeurant, de ne pas rapporter les dispositions sur les délais de paiement. Celles-ci me rappelleraient la première tâche que, jeune fonctionnaire, j’ai réalisée voilà trente ans. On m’avait demandé, alors que j’étais membre du Commissariat général du plan, de rapporter un groupe de travail interministériel sur le crédit interentreprises. J’ai le sentiment que, dans ce domaine et malgré bien des législations, la situation n’a pas véritablement évolué depuis lors !

J’en viens donc aux trente et un articles qu’il m’est demandé de rapporter. Ces articles font apparaître sept progrès essentiels en matière de compétitivité, en quelque sorte, sept marches supplémentaires sur le grand escalier de la compétitivité.

M. Jean Desessard. Vous êtes un poète !

M. Philippe Marini, rapporteur. Je vous remercie de votre appréciation, cher collègue. Les débuts d’après-midi dans notre assemblée peuvent parfois être délicats. Je vois que vous m’écoutez avec grande attention et je m’en réjouis.

Première marche vers la compétitivité : l’article 42, qui concerne l’habilitation donnée au Gouvernement pour moderniser, sur un grand nombre de sujets le droit financier et la place financière de Paris.

M. Daniel Raoul. C’est un comble pour un parlementaire !

M. Philippe Marini, rapporteur. J’allais justement vous dire qu’il peut paraître paradoxal d’émettre un tel jugement sur une habilitation très large. Néanmoins, ce point de vue doit être aussitôt nuancé, car nous avons les projets d’ordonnance sous la main et nous serons capables de préciser, sur le plan des principes, la portée des habilitations.

De la même manière, nous serons en mesure, d’ici peu de mois, de ratifier les ordonnances et, le cas échéant, de les amender. Comme vous le savez, madame le ministre, c’est possible. Le Sénat l’a déjà fait à plusieurs reprises. L’habilitation n’est pas synonyme de confiance aveugle. Il s’agit d’une méthode de travail qui permet de bien répartir les rôles entre le législateur qui oriente, le Gouvernement et ses services qui écrivent.

Concernant la seconde marche de la compétitivité, j’observe avec plaisir et grand intérêt, madame le ministre, que nous envisageons d’aller plus loin dans la définition d’un régime fiscal et social des compétences qui viennent s’installer dans notre pays.

Aurions-nous trop de compétences ? Aurions-nous trop de richesses pour que l’on ne s’intéresse pas à ceux qui viennent de l’extérieur pour investir dans notre économie ? Que ceux qui le pensent s’opposent effectivement au dispositif ! La commission spéciale, quant à elle, a bien voulu suggérer, sur ma proposition, que celui-ci soit élargi aux non-salariés et à l’impôt sur le patrimoine.

Au passage, je tiens à évoquer les réflexions communes auxquelles nous nous sommes livrés, madame le ministre. Je crois que, dans ce domaine, nous pouvons parler d’une certaine coproduction avant même que le terme ne soit appliqué, au cours des dernières semaines, à l’élaboration parlementaire.

À l’origine, une mission commune d’information du Sénat a travaillé. Notre collègue Christian Gaudin en était le rapporteur, Nicole Bricq la vice-présidente, Élisabeth Lamure un des membres éminents. J’avais le plaisir et l’honneur d’en assurer la présidence.

Nous avions mis l’accent sur ce sujet et il est heureux que le Gouvernement et vous-même tout particulièrement, madame le ministre, ayez bien voulu tenir compte de nos remarques.

J’observe, au sein du Haut comité de place que vous avez créé et que vous faites fonctionner régulièrement, que vous avancez opiniâtrement sur le chemin de la compétitivité de la place financière de Paris.

C’est ce qui me fait souhaiter que nous puissions emprunter une troisième marche de la compétitivité : je veux parler des adaptations nécessaires de notre système de régulation financière.

Nous ne sommes pas sortis de la crise. Les banques, les compagnies d’assurance, les différents fonds et organismes de marché savent que de nombreuses opérations sont encore bloquées et qu’il est techniquement impossible de valoriser de très nombreux actifs. Le marché qui le permettrait n’existe plus et les valeurs qu’il faut inscrire dans les bilans se réfèrent à des modèles, des raisonnements mathématiques, voire à quelques artifices intellectuels. Il ne peut pas en aller autrement.

Dans ce cadre, bien marqué par la « marchéisation » du risque, c’est-à-dire par son transfert des banques aux compagnies d’assurance et à tous les organismes de marché, il est clair que la régulation doit s’adapter. Notre vision verticale et corporative a son avenir derrière elle.

Si nous voulons, notamment dans le cadre européen, progresser et assurer la supervision des différents acteurs de manière cohérente, il paraît indispensable d’adapter cette architecture et de commencer par un rapprochement du contrôle prudentiel, que celui-ci soit exercé pour des compagnies d’assurance, d’un côté, ou pour des banques, de l’autre. Je me permets d’indiquer à M. le gouverneur de la Banque de France que cela ne limite en rien les responsabilités de cette dernière ni la proximité qu’elle doit entretenir avec les services en charge des investigations au sein des banques et des compagnies d’assurance.

La quatrième marche de la compétitivité vous est totalement due, madame le ministre. Il s’agit, en vérité, d’une grande réforme qui concerne les fonds de dotation. Ceux-ci offrent un vrai levier de compétitivité en permettant à des donateurs, à des entreprises, à des particuliers de créer, pour servir une finalité d’intérêt général, de nouvelles personnes morales au statut très souple et concentré sur le respect de la volonté du donateur. Nous disposons là de moyens qui peuvent être puissants.

Au cours de la réunion de la commission spéciale, j’ai évoqué le cas des équipements hospitaliers. Il est tout à fait concevable de donner une somme pour que celle-ci soit investie dans un équipement hospitalier, tout comme elle pourrait l’être dans un équipement culturel.

Le fonds de dotation peut être soit durable, c’est-à-dire constituer une institution qui vivra de ses revenus, soit au contraire limité à la réalisation d’un outil, d’un objet ou d’un équipement particulier.

La cinquième marche de la compétitivité, c’est l’amélioration de la fiducie. Dans la continuité des positions de la commission des lois, c’est notre excellent collègue Laurent Béteille qui nous permettra de la franchir.

C’est grâce à Dominique de Villepin que cet outil a vu le jour dans notre législation, parce qu’il était d’urgent d’attendre en matière d’action de groupe et que l’ordre du jour de l’Assemblée nationale s’est ouvert à bon escient. (Sourires.)

Aujourd’hui, avec ce texte, je le répète, dans la continuité de ce que souhaitait la commission des lois et son rapporteur de l’époque, Henri de Richemont, il doit être possible de consacrer par la loi que la qualité de constituant est reconnue à une personne physique, celle de fiduciaire, ouverte aux membres de professions judiciaires réglementées et la durée maximale de la fiducie allongée. Il s’agirait de progrès considérables dans le sens de la compétitivité.

La sixième marche de la compétitivité consiste à banaliser le livret A en abaissant les taux de commissionnement, c’est-à-dire les frais généraux imputés par la profession bancaire. Nous exercerons ainsi une pression sur le coût des ressources affectées au logement social et à la politique de la ville en particulier. Nous allons d’ailleurs sécuriser le fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations sans qu’il soit, loin de là, indispensable d’inscrire dans la loi le taux de centralisation de la ressource.

M. Thierry Repentin. La porte est ouverte !

M. Philippe Marini, rapporteur. Quant à la Caisse des dépôts et consignations elle-même, comme vous l’avez dit, madame le ministre, sa gouvernance sera légèrement adaptée. Elle va progressivement faire son chemin vers plus de clarté dans la définition de ses missions et dans l’exercice de ses responsabilités.

Enfin, la septième marche de la compétitivité, c’est en matière de statistiques publiques que je voudrais vous inciter à la franchir, mes chers collègues, car les méthodes en la matière sont essentielles. Le sujet peut paraître technique et rebutant.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Point du tout ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur. Cependant, vous le savez, lorsque l’on évoque la cherté de la vie ou les structures du commerce, que fait-on ? On commente des statistiques !

Selon quelle méthode sont-elles établies, au terme de quel programme de travail, quelle est la signification des concepts en la matière ? Ces sujets absolument essentiels doivent pouvoir être traités en toute indépendance. C’est la raison pour laquelle vous nous avez proposé, madame le ministre, une autorité de la statistique publique. Il s’agissait même d’une Haute autorité. Toutefois au Sénat, nous défiant de l’inflation et de ses risques, il nous paraît suffisant de nommer cet organisme « Autorité » tout court, avec une majuscule. (Sourires.)

À nos collègues députés, nous disons cependant qu’un système hybride dans lequel un groupe d’experts fonctionnerait au sein de l’INSEE ne répondrait pas véritablement aux critères de l’indépendance.

Mes chers collègues, avec ce texte et aux côtés de Mme le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, nous allons pouvoir franchir ensemble – je l’espère et je m’en réjouis par avance – ces sept marches de la compétitivité. Je ne sais pas si le projet de loi permettra la modernisation de l’économie dans son ensemble, mais je crois qu’il y contribuera concrètement, dans l’intérêt général et dans l’intérêt des entreprises, des investissements et de l’emploi en France. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les trois rapporteurs viennent de présenter de manière claire, complète et poétique – je pense à la référence biblique au chiffre sept, par exemple (sourires) – les analyses et les amendements de la commission spéciale sur le projet de loi qui est soumis au Sénat. Je ne reviendrai donc pas sur ces sujets, sauf en ce qui concerne quelques points.

Je tiens, moi aussi, à souligner l’important travail qui a été mené. À cet égard, je veux remercier nos collègues du groupe de travail, puis de la commission spéciale ainsi que les rapporteurs de l’engagement qui a été le leur tout au long des trois mois d’audition. Je souhaite également remercier le président Jean-Paul Emorine d’avoir suggéré la mise en place d’une telle commission spéciale.

Je veux maintenant vous faire part du regard que je porte sur ce texte et des réflexions qu’il m’inspire.

Au-delà des mesures qu’il propose, le projet de loi lance un appel à une adaptation accentuée de notre pays à la mondialisation.

M. Jean Desessard. Au moins, c’est clair !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Ceux d’entre nous qui ont accompli des missions hors de nos frontières n’en reviennent-ils pas souvent avec le sentiment que le reste du monde bouge plus vite que nous ?

Il suffit d’entendre ceux qui ont vu les chantiers ouverts en Russie, au Brésil, en Inde, mais aussi dans le reste de l’Asie ou de l’Amérique du Sud, pour se rendre compte de ce décalage. Il suffit d’avoir perçu l’appétit au travail, à la création de richesses pour ressentir l’impression d’un certain assoupissement français.

Il y a quelques années, cet assoupissement paraissait participer d’un engourdissement européen. Aujourd’hui, une telle explication n’est plus pertinente. Les États providence d’Europe du Nord ont fait leur aggiornamento budgétaire ; l’Allemagne a rétabli sa productivité et a repris ses conquêtes exportatrices ; la Grande-Bretagne a reconstruit ses services publics et Londres est le pôle magnétique de la finance européenne ; les pays d’Europe de l’Est et du Centre avancent à bon pas dans la voie du rattrapage économique et social.

En comparaison, malgré des efforts conduits depuis quelques années, notre pays semble encore engoncé dans des problèmes que d’autres ont résolus.

Nos finances publiques portent le poids de la dette, notre déficit extérieur se réduit trop peu, nos grandes réussites industrielles – le nucléaire, le train à grande vitesse ou l’avionique – reposent sur des percées de notre appareil de recherche qui remontent à deux, trois, voire quatre décennies. Nos concitoyens perçoivent d’ailleurs davantage la constitution d’un marché mondial comme une menace dont il convient de se protéger que comme une opportunité à saisir. C’est une vraie différence avec nombre de nos partenaires de l’Union. Je le constate dans les pays que je visite dans le cadre de la mission sur la flexsécurité que je conduis actuellement, à la demande du conseil des ministres du travail des Vingt-sept, en observant la manière dont les partenaires sociaux abordent la globalisation.

Nous sommes encore trop frileux, alors même que la globalisation peut constituer un outil de sortie du sous-développement pour les trois quarts de la planète.

Nous avons besoin de services publics efficaces, expression de la solidarité collective et ciment de la cohésion territoriale et nationale. C’est indéniable ! Mais, dans le tourbillon concurrentiel qui balaye le globe, nous avons aussi besoin d’entrepreneurs et d’entreprises à même d’assurer le maintien et le développement non seulement de notre niveau de vie, mais également de notre influence. Ayons-le à l’esprit !

De ce point de vue, le projet de loi dessine les conditions d’un réveil de la vitalité économique nationale.

Face à la menace d’assoupissement économique, il nous faut organiser la levée en masse d’entrepreneurs ; depuis cinq ans, le nombre de créations d’entreprises est un signe positif. Nous avons donc besoin de plus de liberté.

Un tel objectif suppose une pédagogie, une valorisation de l’esprit d’entreprise et de ses réussites afin de favoriser l’évolution des mentalités.

Un tel objectif impose une facilitation de la vie de l’entrepreneur, une politique plus favorable à l’éclosion des petites et moyennes entreprises et à leur croissance afin d’encourager également le « rebond », c’est-à-dire l’acceptation d’un éventuel échec, qui n’est pas la condamnation définitive de l’entrepreneur.

Il exige une plus grande ouverture des marchés publics et privés aux petites entreprises. Celles-ci en sont souvent écartées pour cause de taille et, du coup, elles ne peuvent pas grandir. Il commande aussi des stratégies de développement de nos entreprises de taille médiane, à l’instar, comme le disait Laurent Béteille, du modèle allemand d’entreprises moyennes fortes, innovantes et exportatrices. Ces Mittelstand, dont le tissu serré fait la force industrielle de notre grand voisin, ne sont pas directement « avalées » par les multinationales et, grâce à leur identité, elles peuvent répondre au combat de la globalisation.

Cette orientation structure l’un des volets du projet de loi. Néanmoins, je ne crois pas que le dispositif proposé épuise le sujet. Il constitue un pas dans la bonne direction. D’autres devront suivre.

Aujourd’hui, pour assurer notre avenir, il nous est nécessaire d’opposer au choc de la mondialisation des bataillons d’entreprises inventives et libérées de certains carcans. Pour cela, il nous faut alléger les feuilles de marche des entreprises conquérantes à l’export.

Ayons aussi conscience que, pour mieux se projeter dans le lointain, notre économie doit davantage s’enraciner dans les activités de proximité. Cette économie de proximité est en effet un concept qu’il nous paraît essentiel de prendre en compte.

Le territoire national est le socle à partir duquel nos entreprises peuvent se déployer hors de nos frontières. C’est ma conviction. C’est aussi une conviction largement partagée par la commission spéciale. Il importe donc, avec un double souci d’équilibre, comme le soulignait Élisabeth Lamure, et de spécialisation optimale, de valoriser nos territoires urbains tout comme nos territoires ruraux.

La plus large diffusion de l’Internet à haut débit et une meilleure couverture des régions par les technologies de l’information et de la communication sont des moyens qu’il s’agit de promouvoir en priorité. L’irrigation financière en est une autre. De ce point de vue, la volonté de faire figurer Paris parmi les places financières mondiales les plus attractives est essentielle. L’objectif poursuivi par ce texte de lui donner les moyens de concurrencer directement Londres me semble particulièrement bienvenu. Il n’y a pas de grand pays sans grande capitale économique, et comment avoir l’ambition d’une capitale économique de rayonnement international sans place financière de premier plan ?

L’irrigation commerciale des territoires est, elle aussi, un facteur de leur développement et de maîtrise des prix. Cependant, quand il s’agit de grandes surfaces, c’est un flux qu’il convient de canaliser avec doigté, car il ne faudrait pas qu’il fasse plus de ravage que d’usage ! C’est pourquoi la commission spéciale proposera en la matière un triptyque équilibré de mesures qui se complètent : la prise en compte de la diversité de nos territoires dans le cadre des schémas de cohérence territoriale, pour donner aux élus locaux les moyens d’exercer leurs responsabilités en matière d’aménagement ;…

M. François Fortassin. On vous rejoint !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. … la création d’une Autorité de la concurrence dotée de pouvoirs importants pour contrôler efficacement les concentrations et les pratiques anticoncurrentielles qui pénalisent le pouvoir d’achat des Français ; un FISAC renforcé par des moyens financiers garantis et la création d’un conseil stratégique composé d’élus ainsi que de représentants du monde économique.

M. Jean Desessard. Oh là là !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Le commerce n’est pas la seule activité de proximité à privilégier, même s’il peut être un vecteur majeur de la diffusion des bénéfices de la globalisation dans tout le pays, notamment au travers des avantages de prix. Les services à la personne, notamment à celles de grand âge, les prestations touristiques qui mettent en valeur le patrimoine local, la logistique agricole, si nécessaire dans nos territoires ruraux, les transports, collectifs ou individuels, doivent notamment être intégrés dans nos schémas de développement.

J’y ajouterai les activités de recherche. Le projet de loi les aborde de manière limitée. Mais elles sont « le carburant de notre croissance » : sans elles, le moteur de l’activité économique se grippera. C’est pourquoi je tiens à saluer le succès de l’ancrage de notre effort de recherche dans les territoires. Je veux parler des pôles de compétitivité mis en place il y a trois ans. Cette formule nouvelle et originale paraît fonctionner.

C’est ce que confirme l’évaluation rendue il y a quelques jours par un grand cabinet international. C’est ce que démontre également la décision que vient d’annoncer le Président de la République de reconduire, pour trois ans, les soutiens budgétaires qui leur sont apportés.

Il me semble, d’ailleurs, que la Haute Assemblée gagnerait à dresser le bilan de l’autre volet de cette politique d’enracinement territorial de la recherche, je veux parler des pôles d’excellence rurale.

L’objectif à atteindre est la construction d’une économie de services encore plus efficace, mais qui continue à s’appuyer sur une base industrielle forte. Ayons présent à l’esprit que le premier consommateur de services est le secteur industriel. Ne l’oublions pas dans nos réflexions d’aujourd’hui ni dans celles de demain ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Bricq. Mais c’est absent du texte !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Le grand chantier de la modernisation économique de la France ne sera pas achevé avec ce texte.

M. Daniel Raoul. C’est sûr !

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Il devra être remis sur l’ouvrage dans les prochaines années.

De fait, il ne s’agit pas seulement d’ajuster en permanence nos structures et nos règles économiques à leur nouvel environnement international. Il s’agit également d’aider nos concitoyens à accomplir une « mue culturelle » à travers le regard qu’ils portent sur l’entreprise et sur le monde qui les entoure. Dans notre vieux pays colbertiste, c’est une œuvre à multiples facettes et de longue haleine.

C’est pourquoi le débat sur la modernisation de nos relations sociales est si important pour accomplir ensemble cette mutation. Le concept de flexsécurité, qui n’en est qu’à ses débuts dans notre pays, doit devenir une réalité qui contribuera à réaliser cette mue afin que les perdants de la globalisation ne soient pas toujours les mêmes, ce qui est source d’incompréhension. C’est, me semble-t-il, un rendez-vous tout à fait essentiel, car on ne peut pas parler de modernisation de l’économie sans modernisation de nos relations sociales.

Notre assemblée peut dans le domaine du développement économique jouer un rôle important. Beaucoup d’initiatives très diversifiées ont déjà été prises en ce sens au cours des dernières années. Nous devons les amplifier et les coordonner avec les travaux législatifs de notre assemblée, pour mieux épauler l’implantation de petites et de moyennes entreprises françaises dans les régions, en Europe et hors de nos frontières.

Nous pourrions, par exemple, mettre à disposition des créateurs d’entreprise les dernières informations législatives pouvant leur être utiles, notamment sous forme de base de données ciblée.

Dans cet ordre d’idée, le Sénat aurait à être un observateur prospectif et un incubateur législatif, mais aussi un promoteur de l’innovation et des modèles de réussite entrepreneuriale. Il devrait également, bien sûr, être attentivement à l’écoute des acteurs économiques et des partenaires sociaux, pour s’appuyer sur les leçons de l’expérience et dégager des consensus.

Pour conclure, je tiens à remercier de leur contribution les trois rapporteurs de ce texte, Élisabeth Lamure, Laurent Béteille et Philippe Marini, et à leur exprimer ma gratitude pour le travail qu’ils ont conduit, dans des conditions qui n’étaient pas faciles ; nous allons maintenant passer avec eux quelques heures de débat sans doute nourries et passionnantes ; mes remerciements vont également à tous les membres de la commission spéciale, de quelque sensibilité politique soient-ils.

Les conditions de notre travail n’ont pas été si aisées car si, en effet, nous avons entamé notre réflexion il y a trois mois, le temps s’est précipité à la fin. Or, le temps se précipitant, l’examen serein d’un certain nombre d’articles s’en est trouvé compliqué, d’autant que, partis 44, ils arrivèrent 122 ! (Sourires.)

Nous espérons qu’au bout du compte nous arriverons à libérer des énergies : tel est l’intérêt de notre pays et de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui est important. Pour ma part, je ne vous parlerai que des points concernant l’attractivité du territoire. D’autres sujets seront évoqués dans la discussion des articles, mais j’ai préféré concentrer mon propos.

En ma qualité de membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que de vice-présidente du groupe France-Arabie saoudite-Pays du Golfe, présidé par Philippe Marini, j’ai une assez longue expérience de ces questions, ayant accompagné le sénateur Daniel Goulet en mission pendant près de huit ans.

Pour défendre ce dossier de l’attractivité, il faudrait à tout le moins que la moitié du Gouvernement soit sur ces bancs, car l’attractivité du territoire est une action transversale, interministérielle et, si possible, coordonnée.

L’attractivité de notre pays commence aux portes de nos ambassades. Nous devons veiller au recrutement de nos postes consulaires et de nos ambassades. Chaque année, lors du vote du budget du ministère des affaires étrangères, je fais le même constat, comme d’autres avant moi, et je pose les mêmes questions.

Pourquoi envoyer des ambassadeurs non arabisants dans les pays arabes et ceux qui parlent arabe en terre anglophone ?

Pourquoi de très brillants ambassadeurs qui parlent des langues rares sont-ils confinés dans des ministères comme conseillers diplomatiques alors que le terrain les appelle ?

Quels sont les critères de sélection pour nos postes d’expansion économique et surtout pour des postes d’attachés culturels ?

Nous savons à quel point les relations culturelles et universitaires sont essentielles au soutien des relations économiques. On ne dira jamais assez les effets majeurs de l’implantation de la Sorbonne, du Louvre à Abu Dhabi ou de Saint-Cyr en Arabie Saoudite.

Daniel Goulet avait coutume de dire à cette tribune que notre action extérieure n’était pas une agence de recyclage pour des personnels en mal d’exotisme, pour des parlementaires ayant perdu leur circonscription ou pour d’anciens ministres par ailleurs notoirement non anglophones propulsés au plus haut d’organisations internationales.

J’ai plaisir à le citer, car rien n’a changé dans ce domaine : la France d’après est bien celle d’hier et d’avant-hier sur ce point !

Compétences linguistiques et culturelles, obligations de résultats : voila qui devrait améliorer de beaucoup les chiffres de notre commerce extérieur.

Si nous continuons de faire comme nous avons toujours fait, nous aurons ce que nous avons toujours eu, soit un commerce extérieur qui enregistre 38 milliards d’euros de déficit !

Qu’en est-il maintenant de l’information sur notre politique d’attractivité ?

L’attractivité, c’est aussi, on l’a dit, une fiscalité attrayante. Mais comment répercuter l’information ?

Les exemples sont nombreux de pays à forte capacité contributive dont les ressortissants n’ont aucune information quant aux possibilités d’investissements en France et où le moindre conseil fiscal est simplement inexistant.

J’ai déposé un amendement par lequel je propose de créer, en partenariat avec les professionnels français – les barreaux, les experts-comptables et les commissaires aux comptes – un pool de consultants volants qui officierait dans les postes ciblés à forte capacité d’investissements ; je pense aux pays du golfe Persique, mais aussi à certains partenaires importants comme la Chine et l’Inde.

Il s’agit d’une mesure de simple bon sens, la chose du monde la moins bien partagée ! (Sourires.)

Le texte nous parle également de cartes de séjours. Mais, avant la carte de séjour, il faut s’occuper de la politique des visas.

Avec cette politique, nous jouons contre notre propre camp. La politique des visas va actuellement à contre sens de l’attractivité de notre pays ! (Oui ! sur diverses travées du groupe socialiste.)

J’en ai parlé au Président de la République lorsqu’il a reçu notre groupe politique. Je vous renvoie également à l’excellent rapport de M. Gouteyron sur les casse-têtes en matière de visa.

Vous savez, bien entendu, qu’à la suite de dispositions européennes, que nous sommes non seulement les premiers mais les plus sévères à appliquer, seuls les chefs d’État et les Premiers ministres sont dispensés de demandes de visa avec empreintes digitales.

Imaginez notre amie commune, monsieur Marini, Shekha Lubna Al Qasimi ou, tel Sheikh des Émirats ou tel membre de la famille royale du Qatar se rendre dans notre consulat pour déposer ses empreintes, puis attendre une dizaine de jours pour obtenir un visa ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

J’ai donc déposé quelques amendements pour essayer de dispenser les acteurs économiques majeurs de cette obligation qui engendre incompréhension et humiliation !

Mme Bariza Khiari. Et les autres !

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’une disposition européenne qu’il faudra régler dans le cadre de la présidence française, qui est déjà bien chargée. Nos amis anglais ont résolu cette question : c’est leur ambassadeur qui se déplace muni d’une valise et recueille lui-même les empreintes digitales.

J’ai sollicité de Brice Hortefeux qu’une mesure similaire soit appliquée. Il m’a répondu, le 20 juin dernier, par la négative. Pourtant, cette question est absolument incontournable et il faudra trouver une solution.

Le quatrième point que je souhaite aborder a trait aux outils de notre action extérieure.

Notre boîte à outils du commerce extérieur est mal rangée. Elle contient trop d’outils et ils sont mal coordonnés.

Une réforme d’UBIFRANCE, que nous évoquerons au détour d’un article, sera sûrement l’occasion de débattre de cette question.

Par ailleurs, que faisons-nous de l’Agence française pour les investissements internationaux, l’AFII ?

J’ai souligné au début de mon intervention que la transversalité et la cohérence étaient nécessaires à l’action extérieure de l’État.

Or 0,2 % de nos élèves apprennent l’arabe, 0,5 % étudient le russe. Comment préparer une génération d’acteurs compétitifs dans ces conditions et pourquoi ne pas utiliser l’excellent Centre de formation interarmées, le CIFAR, situé à Strasbourg, comme centre de formation linguistique interministériel ? C’est une proposition que d’autres avant moi ont faite.

La réalité, c’est que, sans une vraie politique d’attractivité économique de notre territoire, certaines de nos Alliances françaises continueront d’utiliser le slogan « it’s so chic to speak french » pour leur campagne d’adhésion, mais uniquement pour faire du shopping dans les grandes avenues de Paris et chez les couturiers, et sûrement pas pour investir en France !

Parmi les outils de notre rayonnement, je n’oublie pas l’audiovisuel extérieur, mais j’y reviendrai lorsque nous discuterons de l’article 37 ter.

Comment faire comprendre et partager à l’étranger notre action politique et l’attractivité de notre territoire sans diffusions en langues étrangères ? Vous ne pouvez pas ignorer que RFI supprime aujourd’hui des postes de journalistes en farsi, en arabe et en bien d’autres langues. C’est un non-sens, c’est une fausse économie de plus qui nous coûtera cher !

Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, pour que l’équipe « France » soit au complet, il faut aussi qu’elle puisse compter sur les Parlementaires.

Cette diplomatie parlementaire, dont le président Poncelet, est un acteur infatigable, s’exerce aussi dans le cadre des groupes d’amitié, qui constituent un relai et un atout important, mais elle est, hélas, négligée ! Ce n’est certes pas Philippe Marini qui me démentira.

Nous travaillons tous au rayonnement de la France, avec nos moyens et avec notre caractère. Nous souhaitons tous que l’équipe « France » gagne. Nous attendions avec beaucoup d’impatience ce débat qui débute aujourd’hui, même si l’urgence a été déclarée. J’aurais pour ma part souhaité que l’hémicycle soit un peu plus rempli alors que nous abordons un sujet important.

Monsieur Marini, lors du vote du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, vous vous êtes emporté à juste titre, faisant montre d’une ire légitime et cinglante contre ceux qui souhaitaient conserver quelques privilèges fiscaux et autres niches ! Notre action extérieure, fer de lance de l’attractivité des territoires, est engluée dans des mentalités, des habitudes et autres archaïsmes qui sont autant de « niches ».

Je pense que nous sommes nombreux sur ces travées à souhaiter que sur ce sujet, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, nous puissions unir nos efforts et réussir à rendre à la France la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUC-UDF, de lUMP et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a été – reconnaissons-le – considérablement modifié à l’Assemblée nationale.

Peut-être l’a-t-il été même un peu trop puisque le projet de loi initial comptait 44 articles et que le texte transmis au Sénat en comprend 122 !

Les députés avaient dénoncé le caractère hétéroclite des mesures qui sont proposées. Il y a eu inflation, mais c’est aussi cela la démocratie !

Reconnaissons que ce texte s’apparente désormais quelque peu à un inventaire à la Prévert pouvant prêter à sourire : des voitures de petite remise au câblage à très haut débit du territoire, même s’il s’agit de mesures très importantes, en passant par l’urbanisme commercial, le statut de l’auto-entrepreneur, sans oublier le livret A et la modernisation de la place de Paris, il est bien malaisé de s’y retrouver !

Je sais, madame le ministre, qu’il est facile de critiquer et plus difficile d’agir pour se rapprocher de l’idéal.

Vous nous proposez donc aujourd’hui de moderniser l’économie. C’est un objectif ambitieux. À vrai dire, nous l’avons déjà fait plusieurs fois au cours des dernières années, notamment si l’on en croit les intitulés des lois qui nous ont été soumises.

Nous assistons à une accélération et à une inflation législative sur le problème des relations commerciales et nous ne laissons pas aux mesures que nous avons adoptées le temps de faire leur effet. C’est un point important.

Je pense notamment à la loi Chatel, que nous avons discutée en décembre dernier et dont l’application a réellement débuté en mai. Cette situation crée un climat d’insécurité juridique dont les plus petits des acteurs économiques, ceux que justement nous essayons de protéger, sont les premiers à pâtir.

Le pouvoir d’achat est la première et légitime priorité des Français, mais nous ne sommes pas maîtres de tous les paramètres. Ce texte apporte un certain nombre de réponses, promeut des initiatives dont seule la mise en œuvre permettra de vérifier le bien-fondé. Je pense notamment à la négociabilité des conditions générales de vente, ainsi qu’à la libéralisation, poussée un peu loin à notre goût, de l’urbanisme commercial.

Nous regrettons que le Gouvernement ne nous ait pas laissé suffisamment le temps de mener nos travaux de législateur avant de commencer sa campagne de communication sur le thème du pouvoir d’achat, alors que cette thématique sous-tend le titre II de ce projet de loi.

Il est en de même des annonces sur le kit de l’auto-entrepreneur, ce nouveau statut qu’il est proposé de créer à travers ce projet de loi, mais qui n’est pas encore adopté. Il est indispensable, alors que la réforme des institutions nous promet un Parlement aux pouvoirs renforcés, de respecter la navette parlementaire et le bicamérisme.

Le Sénat a son mot à dire et le texte que nous examinons est encore grandement perfectible. Nous regrettons donc la déclaration d’urgence et l’examen précipité de ce projet de loi, qui plus est en session extraordinaire. Madame le ministre, ce texte aurait pour le moins mérité deux lectures, vu la variété des thématiques abordées.

Nous regrettons également le large recours aux ordonnances, d’autant plus qu’il s’agit de réformes d’ampleur. Certes, les domaines traités sont techniques, mais ce n’est pas ce critère qui doit être pris en compte. Ou nous sommes dans le domaine de la loi, ou nous n’y sommes pas. Le texte que nous examinons aujourd’hui est lui-même très technique, mais, nous, sénateurs, comme les députés, sommes prêts à en aborder les difficultés.

Au demeurant, ce texte apporte de réelles avancées, il faut le reconnaître.

Le titre Ier, consacré à la mobilisation des entrepreneurs, est crucial. L’auto-entrepreneur bénéficiera désormais d’un régime simplifié et libératoire de prélèvement.

La protection du patrimoine est renforcée. Les députés ont notamment adopté des amendements permettant l’insaisissabilité de l’immeuble à usage mixte pour les artisans et les professions libérales et prorogeant cette insaisissabilité jusqu’au décès du conjoint survivant. Nous proposons de compléter ce dispositif en l’étendant aux logements sociaux en accession à la propriété.

En matière de délais de paiement également, ce projet de loi représente des avancées importantes. Je me félicite du plafonnement prévu par le projet de loi, qui ramène la France dans la moyenne européenne.

L’article 6 du projet de loi préserve également, à titre transitoire, un minimum de souplesse, afin de laisser aux secteurs à rotation de stock lente le temps de s’adapter. Il est indispensable, madame le ministre, que l’État adopte également un comportement exemplaire en la matière, ce qui n’est pas acquis pour l’instant.

L’article 6 bis, adopté par les députés, complète utilement le dispositif. Les commissaires aux comptes auront désormais l’obligation de transmettre une information sur les pratiques des entreprises en matière de délais de paiement. Cette publicité autour des délais de paiement, notamment des grands groupes de distribution vis-à-vis de leurs petits fournisseurs, ne peut qu’avoir des effets incitatifs positifs et faire évoluer les comportements plus rapidement qu’un régime purement répressif.

J’attire cependant votre attention sur l’article 14, qui tend à supprimer le recours obligatoire aux commissaires aux comptes pour les petites sociétés par actions simplifiées, de même que l’obligation de disposer d’un capital minimum et celle de publier chaque année les droits de vote.

Les sociétés par actions simplifiées étaient jusqu’à présent dans l’obligation de faire systématiquement certifier leurs comptes. Ce n’est plus vrai avec ce projet de loi. Structure juridique créée pour les entreprises à haut potentiel de développement, les sociétés par actions simplifiées bénéficient déjà d’une plus grande liberté de fonctionnement. Or, en les faisant sortir du champ d’application de la certification des comptes, vous les ferez échapper à la procédure d’alerte, qui favorise la prévention des difficultés des entreprises ainsi qu’à la procédure de révélation des faits délictueux.

C’est la raison pour laquelle nous proposons deux amendements visant à adapter le projet de loi en permettant aux entreprises artisanales de moins de dix salariés d’être exclues du champ de la certification, tout en maintenant l’obligation pour toutes les entreprises plus importantes et surtout toutes les filiales.

Ce projet de loi porte également les prémices d’un Small Business Act à la française, pour employer un terme américain qui qualifie les dispositions d’une loi votée en 1953. Les États-Unis étaient, à cette époque, des précurseurs en matière de défense des petites et moyennes entreprises. Les centristes avaient défendu une position volontariste sur cette problématique. Nous avons donc déposé un amendement reprenant nos propositions.

Nous savons qu’il ne répond pas aux contraintes européennes et internationales. Il s’agit d’un amendement d’appel visant à conforter le Gouvernement dans sa volonté de faire du Small Business Act européen un des points forts de la présidence française de l’Union européenne et, plus encore, lors des négociations internationales qu’il faudra mener sur cette question, à lui indiquer où nous souhaitons placer le curseur.

En ce qui concerne le déploiement du très haut débit en fibre optique, le texte est positif mais reste, malgré tout, un peu timide. Il s’agit de l’un des chantiers des années à venir, pour nos concitoyens et pour les entreprises. Le très haut débit s’appuie en effet sur des réseaux entièrement nouveaux.

La fibre optique constitue ainsi un enjeu économique et financier considérable, comparable au déploiement du téléphone dans les années soixante-dix. Nous devons être extrêmement vigilants pour que le déploiement du très haut débit ne soit pas limité aux seules zones urbaines et donc rentables. Il y aurait là un risque majeur de nouvelle fracture numérique et donc de concurrence accrue entre territoires. Les territoires ruraux, dont je suis un élu, ne demandent pas de privilèges particuliers mais ils souhaitent simplement une parité, y compris une parité technique.

Chacun doit avoir un droit d’accès au numérique, avec des réseaux bien dimensionnés et équitablement répartis. N’oublions pas que 3 % des foyers, répartis sur 20 % du territoire, demeurent non éligibles au haut débit.

En tant que représentants des collectivités locales, nous nous devons d’être extrêmement vigilants sur le déploiement du très haut débit. Les sommes qu’il faudra y consacrer sont colossales, et je ne vois pas comment, à l’heure actuelle, des opérateurs privés pourraient s’intéresser aux zones rurales qui ne sont pas rentables.

C’est pourquoi les amendements de mon collègue et ami Claude Biwer instituant un fonds dédié à l’équipement très haut débit sur le territoire constituent un apport très positif. On voit, là aussi, les hommes de bon sens.

Je me félicite également de l’amendement adopté par les députés permettant l’itinérance locale sur les zones grises, ce qui permettra de réduire les inégalités en matière de téléphonie mobile.

Enfin, je terminerai mon intervention en évoquant la réforme de l’urbanisme commercial proposée par ce texte.

Il est vital pour les zones rurales de préserver les petits commerces. Alors que la population vieillit et est de moins en moins mobile, que le coût du carburant incite à calculer chaque kilomètre parcouru, il est indispensable de garder des commerces de proximité.

Les amendements adoptés par les députés qui permettent au maire de saisir l’autorité de la concurrence ou de préempter des terrains pour empêcher le développement de nouvelles moyennes et grandes surfaces vont dans le bon sens.

Il en est de même de la disposition permettant aux maires des communes de moins de 15 000 habitants de saisir la commission départementale d’aménagement commercial pour les nouveaux projets d’implantation de magasins de 300 à 1 000 mètres carrés.

Le groupe UC-UDF propose d’autres amendements visant à sécuriser le dispositif mis en place à travers ce projet de loi. Notre législation en matière d’urbanisme commercial repose sur des équilibres qui sont remis en cause par ce projet de loi. Si le renforcement de la concurrence entre enseignes de la grande distribution est une mesure de bon sens, il ne faut pas qu’elle se fasse au détriment du petit commerce et des petits fournisseurs des centrales d’achat. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, le débat qui, en France, domine toutes les discussions économiques et sociales, est celui du pouvoir d’achat.

Malheureusement, ce débat a souvent été profondément faussé. Il l’a été non pas sur la réalité de ce qu’éprouvent de très nombreuses familles françaises face à ce qu’on appelle « la vie chère », mais sur l’analyse, sur les liens de causalité et donc sur les remèdes à apporter aux problèmes.

Bien sûr, la cause immédiate des difficultés, c’est l’augmentation du prix de l’énergie, des matières premières, des produits alimentaires. Mais la cause la plus profonde, la plus lointaine aussi, c’est - ainsi que vous l’avez sous-entendu tout à l’heure dans votre exposé, madame la ministre - le décrochage de la France depuis vingt ans.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Bien sûr !

M. Bruno Retailleau. Vous avez souligné que nous sommes désormais pratiquement en queue de peloton. Lorsqu’on rapporte la richesse nationale de la zone euro par habitant, on constate que la France est 20 % en dessous du chiffre irlandais. Il est clair que le blocage que ressentent les Français sur le pouvoir d’achat vient de la croissance molle.

Un autre chiffre est encore plus évocateur que celui que vous avez cité : le niveau de vie. Au rythme actuel de cette croissance molle enregistré depuis 2000, il faudra pratiquement trois générations pour doubler en France le niveau de vie. Dans les années soixante-dix, c’était trois fois moins ; en Irlande, il faudra treize ou quatorze années.

M. Philippe Marini, rapporteur. Visiblement, cela ne leur suffit pas !

M. Bruno Retailleau. Effectivement !

La croissance molle est liée non pas à une insuffisance de la demande, mais au problème de l’offre, qui est un sujet spécifiquement français. Nos entreprises supportent trop de charges, subissent trop de réglementations, qui changent trop fréquemment ; elles sont confrontées à une véritable pénurie de main-d’œuvre due, notamment, aux trente-cinq heures. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Madame la ministre, votre tâche est lourde et difficile. Au moment où il faut à tout prix réformer la France sans se décourager – la critique est facile ! -, nous devons affronter trois chocs extérieurs difficiles à surmonter : le choc financier – le risque est de plus en plus général et son coût de plus en plus important ; le choc monétaire, avec un euro trop cher ; le choc économique, avec l’augmentation du prix de l’énergie et celui des matières premières.

Comme l’a souligné M. Marini tout à l’heure, la seule voie qui permette au pays de se redresser et au niveau de vie d’augmenter rapidement et durablement est celle de la productivité.

Sur ce point, votre texte contient de nombreuses dispositions qui sont de nature à conforter la productivité pour libérer les énergies des entreprises. Outre, bien sûr, la mesure concernant les délais de paiement, qui est importante, je citerai deux dispositions qui me semblent fondamentales.

La première concerne l’atténuation des effets de seuil. C’est une mesure qui est très positive, à tel point d’ailleurs que je me demande pourquoi, sur la lancée, on n’a pas été jusqu’au seuil de cinquante salariés.

Mme Nicole Bricq. Bien sûr, pourquoi se gêner !

M. Bruno Retailleau. Vous savez, madame la ministre, qu’il nous manque 30 % des entreprises entre celles qui emploient quarante-huit salariés et celles qui emploient cinquante et un salariés. Comme le soulignait M. le président de la commission spéciale, ce premier pas devra être suivi de beaucoup d’autres.

L’institution d’un Small Business Act à la française est tout à fait positive. Certes, nous dépendons sur ce point de l’Union européenne, mais nous nous efforçons de trouver une solution française qui permette de donner à certaines PME de notre pays le libre accès aux marchés publics de haute technologie.

Ces dispositions sont tout à fait bienvenues. Toutefois, et vous le savez encore mieux que moi, madame la ministre, aux États-Unis le vote du Small Business Act s’est accompagné de la mise en place d’une Small Business Administration. Nous pourrions en France, sans avoir à solliciter l’accord de l’Union européenne, instituer un système qui permettrait d’atténuer les règlementations néfastes pesant sur le développement de nos entreprises.

Certes, ce projet de loi introduit dans notre législation la notion de « droit à l’erreur », ce qui est positif. Désormais, les entrepreneurs, quand ils sont de bonne foi, se verront notifier un « rappel à la loi » et non plus une sanction automatique tombant comme un couperet.

Toutefois, demain, grâce à une Small Business Administration, la liberté dans notre pays pourrait devenir la règle et l’interdiction l’exception. C’est ainsi que nous libérerons les énergies de nos PME !

Un autre volet du projet de loi concerne la concurrence, à travers trois dispositifs.

S’agissant des articles consacrés à la création de l’Autorité de la concurrence, je me félicite que la Haute Assemblée réduise le périmètre de l’habilitation accordée au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance. Élisabeth Lamure, rapporteur, défendra à cet égard d’excellents amendements qui, je l’espère, recueilleront un avis favorable du Gouvernement.

Quant aux deux autres thèmes abordés, à savoir l’urbanisme commercial et la négociabilité, qui posent des problèmes difficiles, certains de nos collègues ne manqueront pas de manifester leurs divergences.

En ce qui concerne l’urbanisme commercial, le constat est clair et sans appel. Depuis trente ans, aucune loi, aucune règle n’est parvenue à arrêter la progression des grandes surfaces et à enrayer le déclin du petit commerce. Dans le même temps, nous avons favorisé l’augmentation des prix.

Si les Français sont tellement rétifs au phénomène de la mondialisation, et souvent à juste titre, c’est, me semble-t-il, parce qu’ils profitent moins que d’autres peuples de ses bénéfices, c’est-à-dire de la baisse des prix. Il suffit de voyager à l’étranger pour s’en rendre compte !

Sur cette question, j’espère sincèrement, madame la ministre, que vous serez sensible aux arguments développées par Mme Élisabeth Lamure – j’ai cru deviner en écoutant vos propos que ce serait le cas – afin que nous puissions mieux articuler les impératifs de la concurrence et les contraintes de l’aménagement du territoire et rapprocher, sans les confondre, les règles de l’urbanisme commercial de celles du code général de l’urbanisme, que les élus connaissent bien.

S’agissant de la négociabilité, nombre d’entre nous craignent que le dispositif envisagé ne nuise aux PME familiales. En effet, nous voulons promouvoir le capitalisme à la française, le modèle économique français, qui est celui de la PME familiale, et non celui des pays Anglo-saxons, qui s’appuient surtout sur le capitalisme financier. Ce sont ces petites et moyennes entreprises qui constituent le maillage de nos territoires, assurent nos exportations et maintiennent l’emploi local.

Or nous redoutons que ces PME auxquelles nous tenons tant ne soient écrasées par ces mastodontes que sont les cinq principales centrales d’achat. En effet, ces grandes enseignes, ces groupements de distributeurs se trouvent en situation de monopole vis-à-vis des consommateurs et de monopsone à l’égard des fournisseurs.

Soyons donc très attentifs à ce qu’un peu plus de concurrence ne tue pas la concurrence, dans une situation où les rapports de force sont complètement déséquilibrés et où d’ailleurs aucune loi, me semble-t-il – faisons preuve d’humilité, mes chers collègues ! –, ne parviendra jamais à les modifier complètement.

Il est nécessaire d’avancer en ce sens, mais aussi de veiller avec soin – je crois traduire ici l’avis de la commission spéciale tout entière – à encadrer la relation commerciale, à prévoir de réelles contreparties, à définir des obligations – c’était l’objet d’un amendement présenté par M. Jean-Paul Charié, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale –, enfin à traquer, à détecter et à sanctionner lourdement les pratiques abusives.

En tout cas, s’agissant d’une question aussi difficile que celle-ci, il sera nécessaire d’évaluer le dispositif retenu dans un an, conformément d’ailleurs à une conception moderne de la législation, afin de nous assurer que les objectifs posés par la loi ont été atteints concrètement.

Monsieur le secrétaire d’État chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique, j’aborderai brièvement la question importante du très haut débit, qui constitue à la fois une « nouvelle frontière » et l’infrastructure de la société de l’information de demain.

Comme le Conseil d’analyse économique l’a souligné, nous avons aujourd’hui des atouts, mais nous accusons aussi un certain retard, notamment en matière de recherches et d’investissements dans les nouvelles technologies de la communication et de l’information, les NTIC. La part du produit intérieur brut consacrée aux technologies est moitié moins importante en France qu’aux États-Unis, ce qui entraînerait pour notre pays un retard annuel de croissance d’environ 0,7 point. Le demi-point ou le point de croissance qui nous manque peut être gagné grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication !

Le projet de loi crée un cadre favorable et définit un équilibre entre, d’une part, les copropriétaires et les opérateurs, et d’autre part, les opérateurs eux-mêmes. Nous devons nous fixer pour règle, me semble-t-il, de susciter la concurrence sans décourager l’investissement. À cet égard, nous corrigerons un certain nombre des dispositions que l’Assemblée nationale, emportée par son enthousiasme, a adoptées, afin de rétablir une concurrence saine, quel que soit l’opérateur concerné.

En revanche, comme l’a souligné à l’instant M. Jean Boyer, nous ne pouvons discuter du très haut débit sans évoquer en même temps la fracture numérique que celui-ci risque de créer sur notre territoire.

Mes chers collègues, la particularité de la France, c’est que 31 % de ses habitants résident dans des zones rurales, contre 10 % des Italiens et 4 % des Britanniques. Il faut tenir compte de cette réalité. On constate déjà une rupture d’égalité pour la téléphonie mobile de troisième génération, pour les 550 000 foyers qui ne disposent pas du haut débit, mais aussi pour la TNT, la télévision numérique terrestre.

En ce qui concerne le haut débit, on invoque souvent le service universel, mais il s’agit d’une notion européenne, sur laquelle les négociations entre les pays de l’Union ne font que commencer ; il faudra des années – au moins cinq ans – pour qu’elle puisse s’appliquer, et il sera alors trop tard.

Mes chers collègues, nous vous proposerons donc un amendement visant à demander à l’ARCEP, l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes, d’étudier la meilleure façon de mettre le haut débit à la portée de tous les Français. Toutefois, à court terme, il est nécessaire, me semble-t-il, de passer du concept de service universel à celui de couverture territoriale universelle, ce qui, monsieur le secrétaire d’État, est possible à un coût modéré, et en respectant le principe de neutralité technologique.

Enfin, nous présenterons quelques amendements qui auront pour objet la TNT. Vous le savez, il s’agit d’un chantier immense pour la France, qui doit entrer dans l’ère du tout numérique en 2012, avec l’arrêt de la diffusion analogique et le basculement vers le tout numérique.

Nous ferons en sorte que le déploiement de la TNT se poursuive et aille le plus vite possible, et que les opérations d’extinction de l’analogique se déroulent dans les meilleures conditions, avec une idée simple : clarifier les responsabilités pour le basculement vers le tout numérique.

Je ne m’étendrai pas sur ces questions, qui sont un peu techniques. Je soulignerai simplement la nécessité de libérer le dividende, ce qui permettra d’offrir à nos concitoyens encore plus de services audiovisuels, et de meilleure qualité, mais aussi de régler certains problèmes liés à la fracture numérique.

Pour conclure, je veux remercier le président et les trois rapporteurs de la commission spéciale, mais aussi les administrateurs du Sénat, qui – vous le savez sans doute, mes chers collègues – ont accompli la semaine dernière, en deux jours, au moins trente-cinq heures de travail ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, avant d’aborder avec vous le contexte politique et le contenu de ce texte, je souhaite revenir sur les conditions de notre travail.

En effet, le parlementarisme et le bicamérisme ne vivent que par la présence d’élus qui alimentent les textes de lois examinés de leur connaissance des réalités de notre population et de notre pays. Aussi, comment accepter les conditions dans lesquelles se présente à nous le projet de loi dit de « modernisation de l’économie » ?

Tout d’abord, le texte initial sur lequel la commission spéciale a travaillé, réalisant 93 auditions, comportait 44 articles. Or, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, il en compte désormais 122 !

Si je ne puis que me réjouir du respect du principe d’enrichissement des textes, je suis obligé de relever cette inflation galopante – une de plus ! (Sourires.) Votre projet de loi, madame la ministre, est devenu un DDOEF, c’est-à-dire un texte portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, un véritable fourre-tout. Le nombre des articles et leur accroissement auraient justifié que la commission spéciale ait plus de temps pour en débattre et les sénateurs pour l’analyser.

Le rapport rédigé par Mme Élisabeth Lamure et MM. Béteille et Marini n’est connu que depuis quelques jours ; il n’a pas été présenté et discuté en commission, ce qui constitue une première.

Sincèrement, comment peut-on faire croire aux Français que de telles conditions matérielles permettent un débat de qualité sur un texte que vous nous avez vendu, madame la ministre, comme la pierre angulaire de l’économie française des prochaines années ?

Mme Nicole Bricq. Ce qu’il n’est pas !

M. Daniel Raoul. Je rends toutefois hommage à la commission spéciale, présidée par M. Larcher, ainsi qu’aux collaborateurs des commissions et des groupes pour le travail qu’ils ont réalisé dans des délais aussi courts.

Qu’est-ce qui motive réellement cette urgence ? Celle-ci n’est pas simplement due au choix du Gouvernement de faire adopter définitivement ce texte au début de l’été. Elle est aussi, à mon avis, l’aveu navrant que les politiques économiques menées depuis 2002 n’ont entraîné aucun effet positif, bien au contraire, sur les créations d’emplois et le pouvoir d’achat des Français.

J’évoquais à l’instant le bicamérisme : je souhaite qu’il puisse fonctionner pleinement. Ainsi, j’aurais préféré que la navette parlementaire joue son rôle pour un texte aussi important. Et comment ne pas évoquer les sept habilitations à légiférer par voie d’ordonnance qui nous sont demandées, même si les rapporteurs proposent d’en supprimer deux ? Est-ce à dire que vous n’étiez pas prêts, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État ? Dans ce cas, où est l’urgence ?

Comment ne pas faire le lien avec le projet de modernisation de nos institutions, c’est-à-dire la réforme de la Constitution ? On nous rebat les oreilles des nouveaux droits du Parlement, mais où sont-ils, et dans quelles conditions matérielles s’exercent-ils ?

Au-delà de cette réalité, je regrette plus encore le manque de recul sur les lois votées ces dernières années. Il semble que la pratique du bilan ne soit pas courante au sein du Gouvernement, pas plus que la « démarche de projet », que j’ai connue dans une vie antérieure (Sourires), et qui nécessite une étude d’impact.

Mme Nicole Bricq. C’est exact !

M. Daniel Raoul. La loi Chatel n’est entrée en action que depuis le mois de mars dernier et déjà vous l’enterrez en nous annonçant un nouveau texte à la rentrée !

Loi Royer de 1973, loi Raffarin, loi Galland, lois Dutreil I et Dutreil II, loi Chatel, que je viens d’évoquer : nulle entreprise ne survivrait à une telle frénésie législative, d’autant qu’aucune évaluation n’a été faite après chaque « réorg », comme on dit dans le privé !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la politique menée et les mesures prises pour limiter la prolifération de la grande distribution sont un échec, nous le savons. La loi Dutreil, pourtant considérée à l’époque par son rapporteur, notre collègue Gérard Cornu, comme le « fin du fin », n’a pas eu les effets escomptés.

Ce bricolage permanent n’a rien stabilisé. Les sénateurs de l’opposition présentent des arguments qui sont toujours rejetés, mais qui, en définitive, se révèlent totalement justes dans les années qui suivent. Mes chers collègues de la majorité, quand serez-vous crédibles ? Combien de temps encore resterez-vous sourds ?

En effet, ces lois ont eu pour conséquence de faire disparaître les commerces viables des quartiers urbains et des bourgs-centres des communes rurales. Les grands groupes – la grande distribution, mais aussi les industriels, en particulier ceux de l’agro-alimentaire – se partagent le gâteau, et les PME, elles, sont étranglées.

De plus, le pouvoir d’achat des consommateurs se trouve en panne. Les prix restent élevés alors que la distribution se concentre, avec six centrales d’achat. La politique salariale de la grande distribution est drastique : en réalité, les marges sont réalisées sur le personnel, les petits fournisseurs, les délais de paiement et les produits importés de pays qui connaissent de faibles coûts salariaux.

Surtout, il y a accord entre grands industriels et grande distribution. C’est sans doute cette situation que vous avez appelé « l’équilibre » au cours de votre présentation, madame la ministre. À présent, après avoir légalisé ce que d’aucuns ont qualifié de « racket », vous introduisez le renard dans le poulailler.

M. Jean Desessard. Ils ne veulent plus payer le grillage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Daniel Raoul. Les conditions matérielles qui nous sont imposées ne permettent pas un débat de qualité. En outre, alors que c’est crucial, nous manquons cruellement d’un bilan sur les expériences menées et sur les résultats des précédentes lois votées par la même majorité. Malgré cela, le Gouvernement nous soumet ce nouveau texte en urgence.

Comme d’autres observateurs de la vie politique française, je constate que la communication est la première préoccupation de la majorité. Ce n’est pas que je m’oppose par principe ou a priori à cet exercice qui, en tant que scientifique, est pour moi un peu exotique (sourires), mais je constate que, depuis un peu plus d’un an, cette réalité revêt un caractère de plus en plus prononcé. Ainsi, le contenant est préférable au contenu et l’emballage de ce que d’aucuns souhaitent appeler une réforme est l’objet de toutes les attentions.

Syndrome sans doute des nouveaux temps de la communication, un projet de loi doit non plus porter le nom de son ministre – vous serez frustrée, madame la ministre ! (nouveaux sourires) –, mais avoir un acronyme court et porter dans son intitulé au moins un terme soulignant son caractère novateur. Ainsi les grands communicants du Gouvernement ont-ils décidé de mettre de la « modernité » à toutes les sauces, si vous me permettez l’expression, et il semble, madame la ministre, que vous ayez cédé à leurs sirènes. Le projet de loi que nous allons examiner ne déroge pas à cette règle : loi LME, « loi de modernisation de l’économie », que certains dyslexiques appellent loi « MEL » et les mauvais esprits, la loi « M et L ».

Fidèle à cette sémantique gouvernementale, la majorité a déjà essayé de moderniser le marché du travail et les institutions. Elle prétend aujourd’hui moderniser l’économie.

Je n’aborderai ici que quelques aspects de ce texte et laisserai à mes collègues Nicole Bricq, Richard Yung, Thierry Repentin et Jean Desessard le soin de préciser la position de mon groupe sur les autres points.

En 2005 a été adopté un projet de loi pour la confiance et la modernisation de l’économie. Nous avons tous remarqué que le mot « confiance » n’apparaissait plus dans le titre de ce nouveau texte. Je n’ose croire, madame la ministre, que c’est par objectivité au regard des résultats réellement attendus de cette loi ! Sans doute est-ce plutôt pour ne pas provoquer les 67 % de Français qui jugent mauvaise la politique économique du Gouvernement. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Mme Nicole Bricq. Il n’y en a pas !

M. Daniel Raoul. L’emploi du terme « modernisation » dans l’intitulé du projet de loi ne suffit malheureusement pas à garantir que le texte ira véritablement dans ce sens. En fait, comme je viens de le dire, ce projet de loi participe du phénomène d’empilement des textes législatifs dont nous n’avons pas pu encore mesurer les effets tout en créant pour les entrepreneurs une véritable insécurité juridique.

Lors des auditions de la commission spéciale, toutes les organisations représentatives des petites entreprises – les chambres consulaires, l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, la Confédération nationale de l’artisanat, des métiers et des services, la CNAMS, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la Fédération française du bâtiment – nous ont alertés sur les conséquences que pourraient avoir les dispositions de la loi de modernisation de l’économie. Toutes nous ont demandé de ne pas adopter ces mesures.

Il ne faut pas confondre simplification et déstructuration et, sous ce motif, créer la loi de la jungle. J’en veux pour preuve ces propos : « Avec le projet de nouveau statut d’"auto-entrepreneur", c’est un voyage dans le passé qui nous est proposé. Nous avons cru que nous pourrions éradiquer la misère en construisant notre avenir sur la qualification des hommes et des femmes, et que le monde des journaliers, des colporteurs, des tâcherons et "autres petits métiers" appartenait définitivement à une autre époque. Et voilà qu’il revient par la magie d’une loi dite "de modernisation de l’économie", qui nous ramène au début de la révolution industrielle.

« Nous avons cru aux discours sur l’entreprise, nous avons cru à sa citoyenneté, nous avons cru à l’élévation des individus par la formation. […] Or chacun va pouvoir travailler, quelques heures par jour, pour payer sa misère.

« De toute façon, ce n’est pas grave, car, grâce à la libéralisation totale de la grande distribution, les nouveaux "auto-entrepreneurs" pourront remplir leur panier pour "trois sous". […] Resteront sur "le carreau" les petites entreprises avec des hommes et des femmes qui auront cru que le travail de qualité et l’acquisition de savoir-faire pouvaient libérer leurs horizons et les faire rêver à un avenir heureux. »

Ces propos sont de M. Pierre Perez, président de la CNAMS. Ne sont-ils pas éloquents ?

Cette situation d’auto-entrepreneur peut permettre une insertion sous certaines conditions, mais en aucun cas, elle ne saurait être pérennisée. La création de ce statut créera en effet une grave distorsion de concurrence pour les entreprises artisanales et les petits commerçants et permettra à chacun de se mettre à son compte – d’ailleurs, quel compte ? – et d’exercer une activité indépendante en plus de son activité principale, sans immatriculation, sans frais, sans qualification professionnelle, sans assurances, sans comptabilité et, surtout, sans aucune sécurité pour le consommateur ! En d’autres termes, ce statut légalisera le travail au noir !

Madame la ministre, il existe des moyens de lever les difficultés actuelles pour permettre à des professionnels d’exercer une activité. Il est par exemple possible de mieux utiliser le chèque-emploi service, dont il faut améliorer le fonctionnement, afin de répondre aux préoccupations que vous avez invoquées pour justifier le statut de l’auto-entrepreneur.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre création d’entreprises et création d’activité.

Les conséquences des échecs seront graves : elles le seront pour tous les tiers des entreprises, pour les chefs d’entreprises eux-mêmes, car ils ne seront pas accompagnés, et pour l’équilibre de l’économie en général.

Vos mesures conduiront des centaines de personnes à la misère. Je vous le demande : soyez raisonnable, abandonnez ce projet de loi qui n’est demandé par personne et qui est tellement éloigné de la réalité du terrain économique et local dont les élus des collectivités sont les meilleurs connaisseurs, quand ils n’en sont pas d’ailleurs les acteurs.

Le Président de la République avait promis aux Français d’accroître leur pouvoir d’achat. La politique menée par le Gouvernement me semble aller dans la direction opposée.

Ainsi, après les mesures fiscales de la loi TEPA favorisant les Français les plus aisés, chaque projet de loi apporte sa pierre à un édifice de déréglementation généralisée. Le résultat est sans appel, nous l’avions d’ailleurs prévu dès les premiers textes : les inégalités sociales se creusent de plus en plus. J’ai rencontré ce matin, dans ma permanence, des responsables du travail social – Restos du cœur, Secours catholique, Secours populaire… Ils m’ont dit qu’ils étaient complètement débordés ! Depuis trois ou quatre ans, le problème s’aggrave considérablement.

Même la progression du pouvoir d’achat en 2007 a été immédiatement annulée par l’augmentation des dépenses contraintes – énergie, pétrole, logement –, et ce sont l’ensemble des classes modestes et moyennes qui la subissent le plus durement. Nous ne pouvons alors qu’être inquiets à la lecture de la note de conjoncture de l’INSEE pour le mois de juin, qui prévoit un ralentissement, voire sur une stagnation du pouvoir d’achat pour 2008. Les hausses des prix de l’alimentation et de l’énergie notamment ne suivront malheureusement pas cette évolution. C’est maintenant qu’un projet économique ambitieux et efficace aurait pu trouver toute sa place ; nous étions prêts à en discuter raisonnablement ! Il semblerait toutefois qu’un autre objectif soit visé, et il n’est pas anodin de constater la satisfaction du MEDEF et des grands groupes commerciaux.

Laurence Parisot estime en effet que, face à la flambée des prix des produits alimentaires, pour arriver « au prix vrai », il faut « créer les conditions d’une concurrence totale, libre, les conditions d’une négociation la plus libre possible entre fabricants, fournisseurs et distributeurs ».

Permettez-moi de rappeler cette formule de Lacordaire – cela va nous rajeunir : « Entre le fort et le faible, c’est la loi qui protège et la liberté qui opprime. » (Mme la ministre opine.)

Mmes Nicole Bricq et Bariza Khiari. Oui !

M. Daniel Raoul. Je vois que nous avons les mêmes lectures ! (Sourires.)

Après avoir lu ce projet de loi, je me suis demandé : où est le consommateur ? Madame la ministre, vous soutenez que ce texte est fait pour lui, mais est-ce vraiment le cas ? Quid de la défense du consommateur et de l’action de groupe ?

Vous appuyant sur le pouvoir d’achat qui est légitimement une question centrale et prégnante pour les Français, vous affirmez que le consommateur aura tout à gagner d’une plus grande concurrence. J’aimerais sincèrement en accepter l’augure, mais la réalité est tout autre !

D’abord, avec le hard discount nous aurons peut-être des prix cassés, mais pour des produits de moindre qualité et surtout des salaires et un bilan social cassés eux aussi. Les salariés précarisés, subissant des temps partiels imposés, n’auront même pas les moyens de devenir consommateurs à leur tour. Une émission télévisée a diffusé récemment le témoignage d’une employée de hard discount qui en était réduite, pour survivre, à faire les poubelles ! C’est tout de même le monde à l’envers !

Ensuite, en termes d’urbanisme commercial, de nouvelles règles seront établies favorisant les grands groupes tout en mettant sous perfusion les commerces de proximité, alors que nous ne connaissons pas les capacités financières dont disposera le FISAC. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à être attachés aux commerces de centre-bourg ; c’est généralement l’une des réussites des élus locaux. Que deviendront-ils demain alors qu’ils participent grandement à notre qualité de vie, au moment où – il vous faut en prendre la mesure – la population vieillit ? Alors que les élus dont nous sommes les représentants se saisissent des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, pour irriguer et organiser le territoire, vous allez mettre à bas le petit commerce !

Enfin, et ce n’est pas la moindre des incohérences de ce texte, vous voulez introduire plus de concurrence, mais vous renforcez les distributeurs dans leur position dominante, asphyxiant encore un peu plus les fournisseurs et les petits producteurs.

Avant de conclure, je souhaite revenir plus précisément sur deux points.

En premier lieu, la disposition incitant à transmettre l’entreprise à des membres de la famille ou à des salariés de l’entreprise par une exonération partielle des droits de mutation, qui sont souvent un obstacle majeur à la transmission, part d’une bonne intention. Mais où est l’aménagement de la plus-value, fruit de toute une vie professionnelle ?

En second lieu, l’objectif de réduction des délais de paiement est également intéressant, mais il faut l’aménager sans que les dérogations conduisent à un immobilisme et à la mort de certaines professions qui se retrouveraient brutalement incapables de renforcer leur haut de bilan, c’est-à-dire de trouver la trésorerie nécessaire pour assumer ces contractions.

En revanche, il faut dénoncer la disposition portant à mille mètres carrés le seuil à compter duquel une demande d’implantation commerciale doit faire l’objet d’un examen en commission. Nous proposerons de limiter ce seuil à cinq cents mètres carrés. Il faut surtout abandonner la logique du « toujours plus de grandes surfaces » et miser plutôt sur la qualité et la diversité de l’offre commerciale.

La loi Chatel a autorisé l’ouverture des magasins d’ameublement le dimanche, le projet de loi de modernisation de l’économie favorisera l’implantation des grandes surfaces et, déjà, une nouvelle proposition de loi propose d’expérimenter l’ouverture des commerces le dimanche dans neuf départements français. Ce n’est pas en ouvrant les magasins le dimanche, je le dis sans animosité à notre collègue Isabelle Debré, qui est malheureusement absente de l’hémicycle,…

M. Gérard Longuet. Je le lui dirai !

M. Daniel Raoul. Je vous fais confiance, monsieur Longuet !

…que l’on augmentera le pouvoir d’achat des Français et que le chiffre d’affaires global du commerce augmentera.

Il faut défendre le principe d’un équilibre entre les différentes formes de commerce, dénoncer aujourd’hui l’accumulation des mesures destinées à la grande distribution, car elles sont néfastes non seulement pour l’artisanat et le commerce de proximité, mais surtout pour les consommateurs, qui, je le répète, me semblent les grands absents de ce texte.

Madame la ministre, vous comptez sur la multiplication des grandes surfaces commerciales pour améliorer le pouvoir d’achat. Les faits vous donnent tort : 20 millions de mètres carrés supplémentaires de grandes surfaces ont été accordés ces dix dernières années, au point que la France détient le record européen de mètres carrés de grandes surfaces. Pourtant, vous l’avez souligné, les prix dans les grandes enseignes françaises sont parmi les plus élevés d’Europe pour les produits de base, notamment les produits alimentaires.

Vous comptez aussi sur une généralisation de l’ouverture des commerces le dimanche pour accroître l’activité économique et créer des emplois. Cela n’augmentera pas le pouvoir d’achat. En outre, à chiffre d’affaires égal, la grande distribution emploie trois fois moins de personnel que l’artisanat et le commerce de proximité. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, a évalué entre 15 000 et 35 000 le nombre potentiel de pertes d’emploi dans l’artisanat et le commerce de proximité en cas de généralisation du travail le dimanche.

Comme je l’avais déjà dit lors de l’examen de la loi Chatel, l’impact de ces mesures va bien au-delà des questions de concurrence et de pouvoir d’achat. Qualité de vie, variété de l’offre, temps sociaux, sécurité des biens, environnement, lien social, aménagement des territoires sont autant de sujets justifiant un vrai débat pour choisir le type de société que les Français souhaitent.

Bref, cette loi LME, qui devrait, comme je l’ai dit, s’intituler « M et L », n’apportera aucune amélioration en termes de développement économique. Il ne s’agit pas d’un bon mot sur l’acronyme désignant ce texte, c’est une réalité. Il n’est qu’à lire le compte rendu des auditions de M. Leclerc et de M. Mulliez – président d’Auchan-France – à la veille de l’examen de la loi Chatel pour en être convaincu. La commande était très claire : « Il convient de pouvoir prochainement négocier les tarifs et les conditions générales de vente. Il faut également supprimer les marges arrière dans le cadre d’un contrat unique. »

Les résultats de la loi Chatel ne sont même pas connus, encore moins analysés, que vous voulez déjà aller plus loin, ou plutôt, devrait-on dire, ailleurs !

Le choix des ordonnances est un nouveau pied de nez aux parlementaires, au moment où vous dites vouloir valoriser le travail du Parlement. Ces sujets justifiaient pourtant pleinement une attention de sa part beaucoup plus étroite, en termes de pouvoir d’achat, d’aménagement du territoire, de structuration des PME et de l’artisanat.

Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, vous aurez compris que, pour ces raisons de contexte, de forme et de fond, nous n’envisageons pas de voter ce texte, dont l’affichage publicitaire est à des années lumière des objectifs réellement visés, même si nous allons travailler à le corriger sans trop d’illusions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les 1 210 pages que comportent les deux rapports de la commission spéciale laissent entendre que le projet de loi que nous examinons est un texte riche. Après son passage à l’Assemblée nationale, on peut même dire qu’il est un peu touffu.

Pour autant, monsieur Raoul, notre pouvoir de parlementaire est-il pris en défaut ? Non. Grâce à Gérard Larcher, qui a présidé activement, pendant près de trois mois, la commission spéciale, nous avons pu entendre tous les partenaires concernés directement et indirectement par ce texte, de telle sorte que les trois rapporteurs, Mme Élisabeth Lamure, MM. Laurent Béteille et Philippe Marini, ont pu être éclairés. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité de leur travail.

Une telle démarche préparatoire honore le Parlement. Il faut bien que, de temps en temps, il dise du bien de lui-même pour que cela soit répété ! (Sourires.)

M. Daniel Raoul. Pour une fois, nous sommes en phase !

M. Gérard Longuet. Cet honneur rejaillira sur l’ensemble des sénateurs présents dans cet hémicycle, qui se sont tous impliqués dans ce débat.

C’est un projet de loi courageux. Il fallait qu’il le soit parce que la France, depuis plus de deux ans, indépendamment de toute circonstance politique, se nourrit de rapports, le rapport Camdessus, le rapport Jacob sur les conditions de paiement, le rapport Attali, documents qui montrent à quel point notre pays est impatient de rattraper le retard qu’il a, hélas ! accumulé tout au long de ces dernières années. Il fallait donc un texte courageux, à la mesure de l’analyse lucide que des experts, de toutes origines, portent sur la situation de notre pays.

C’est un projet de loi réaliste. Comment en serait-il autrement alors que je constate, moi qui suis un ancien fonctionnaire, que les quatre membres du Gouvernement en charge de ce dossier viennent tous du secteur privé ? Pour la première fois, au banc du Gouvernement, pas un seul inspecteur des finances, pas un seul conseiller d’État n’est présent ; seuls y figurent des praticiens de l’économie privée.

M. Jean Desessard. Cela sera répété aux inspecteurs des finances !

M. Gérard Longuet. Je voudrais, en ma qualité d’intervenant au nom du groupe de l’UMP, aborder les sujets qui fâchent et traiter de questions plus politiques. Les questions de compétences ont été très bien présentées par les rapporteurs. Je souscris à la plupart de leurs conclusions.

Si nous avons examiné ce projet de loi, nous n’avons pas esquivé, pour autant, un certain nombre de problèmes posés, que ce texte a le mérite de traiter avec réalisme et bon sens. Comme fil conducteur, certes, pas très original, de mes réflexions, je suivrai l’ordre des titres.

Pour ce qui concerne le titre Ier, trois sujets fâchaient, lorsque les travaux de la commission spéciale ont débuté. Aujourd’hui, pour l’essentiel, les malentendus ont été dissipés.

Le premier sujet qui fâche sur le titre Ier, c’est le statut d’auto-entrepreneur. Monsieur Daniel Raoul, je ne pense pas comme vous qu’il constitue un retour en arrière ou entre en conflit avec celui des TPE, bien au contraire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

En réalité, il s’agit de développer un nouvel esprit d’entreprise, qui prépare l’accès au statut de TPE, pour les entrepreneurs qui débutent, qui doivent être encouragés, qu’ils soient jeunes – universitaires, étudiants -, demandeurs d’emploi, qu’ils décident de quitter le statut du salariat pour devenir entrepreneur à leur compte. Il s’agit, en quelque sorte, d’un démarrage sous des auspices de liberté, tout au moins de libre contrainte.

Mais peuvent être aussi concernés les retraités ou les salariés, dont la capacité de travail n’est pas saturée et qui veulent exercer une activité complémentaire. Dans les deux cas, il existe un butoir, qui a été relevé par l’Assemblée nationale.

Alors, de deux choses l’une : ou c’est un nouvel entrepreneur qui accède au statut de TPE en passant le seuil fatidique et il doit alors respecter l’ensemble des obligations, d’ailleurs considérablement allégées, et qui, j’en suis convaincu, continueront de l’être, ou c’est une personne qui décide de rechercher un revenu complémentaire et qui trouve sa place dans un interstice du marché. Toute offre créant sa propre demande, ces activités nouvelles créeront des richesses nouvelles. Dans de très nombreux cas, ces activités permettront de répondre à l’attente de clients que les TPE aujourd’hui ne sont pas en mesure de satisfaire. Ainsi, par exemple, nous savons que c’est le cas dans le secteur du bâtiment ou du second œuvre. Le système, qui n’est pas conflictuel, s’inscrit dans une logique soit de complément, soit d’initiation.

Comme l’a dit Jean Boyer, il ne faudrait pas qu’un monde gris se développe à côté des TPE institutionnalisées. Je suis certain, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, que vous pourrez nous apporter des réponses à ce problème au cours du débat.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit des mesures qui facilitent l’accès des salariés à l’acquisition de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. C’est une réponse à la crainte légitime de ceux qui, ayant développé un fonds de commerce ou une entreprise artisanale tout au long de leur vie professionnelle, penseraient que la cession de ce fonds serait rendue difficile par l’émergence de nouveaux concurrents subissant de moindres contraintes.

Parallèlement à la possibilité de démarrer une activité, le projet de loi permet, dans des conditions très généreuses et réalistes, au salarié qui travaille dans l’entreprise de devenir le successeur de son patron dans un objectif de coopération. Assurément, c’est une façon de réaliser rapidement un chiffre d’affaires non négligeable et d’accéder à une dimension auxquels l’auto-entrepreneur ne peut pas prétendre. J’estime que le malentendu pourra être dissipé et que les débats permettront de rassurer les organisations représentant les artisans et les commerçants, à juste titre sourcilleuses de ne pas voir apparaître une concurrence déloyale.

Le deuxième sujet qui fâche sur le titre Ier va sans doute vous surprendre puisqu’il s’agit du problème des délais de paiement, une faiblesse française constatée par tout le monde. Nous sommes un capitalisme sans capitaux et nos entreprises ont l’habitude de vivre sur le crédit fournisseurs, ce qui est malsain. Pour vous donner un ordre de grandeur, le délai moyen de paiement en France s’établit à 67 jours, alors qu’en Allemagne il est de 47 jours. Cette différence de 20 jours est, certes, faible. Mais, quand on sait que le crédit inter-entreprises est de 600 milliards d’euros, réduire d’un tiers cette somme représente 200 milliards d’euros. On comprend que l’on ne puisse remettre en cause qu’avec d’infinies précautions cette mauvaise habitude de délais interminables.

Pour autant, il ne faut pas se résigner. Le projet de loi vise donc à revenir à un délai raisonnable de 45 jours fin de mois, 60 jours calendaires, dans des conditions qui tiennent compte d’un certain nombre de réalités.

Sur ce point, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, soyons attentifs à ce que, une fois le principe posé par la loi, les dérogations proposées n’aboutissent pas à des situations dans lesquelles les rapports de force priveraient certaines entreprises de la possibilité de survivre. Si une entreprise est durablement condamnée à régler ses fournisseurs à 60 jours alors qu’elle est payée à 90 jours, à un moment donné, le système ne peut plus fonctionner. Je sais que certains secteurs connaissent des difficultés. Au cours du débat, nous entrerons très probablement dans le détail du sujet.

Je souhaite vraiment que la crédibilité du législateur ne soit pas démentie par l’octroi de dérogations meurtrières pour certains secteurs d’activité.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Gérard Longuet. Le troisième sujet qui fâche sur le titre Ier et qui a été évoqué par Jean Boyer est sur le point de trouver une solution. Il concerne l’intervention obligatoire des commissaires aux comptes dans les sociétés par actions simplifiées, les SAS. En vérité, la SAS a été détournée de son objet. C’était une formule juridique intéressante qui devait apporter une réponse aux sociétés membres de grands groupes. Les PME et les SARL en particulier ont très souvent choisi le statut de SAS qui, à l’origine, ne leur était pas destiné. Nous avons donc créé une sorte de marché captif pour les commissaires aux comptes en les faisant intervenir de manière obligatoire dans de petites sociétés.

Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’état, ce domaine est d’ordre réglementaire. Je souhaite que vous puissiez nous donner un éclairage précis sur le seuil à partir duquel le recours aux commissaires aux comptes serait obligatoire.

M’exprimant au nom du groupe de l’UMP et au moment même où le Gouvernement a décidé de permettre aux assujettis de l’ISF de se libérer de cet impôt en apportant des capitaux à des entreprises non cotées, je considère que le recours aux commissaires aux comptes est pertinent, même s’il n’est pas imposé par la loi. Pour celui qui investit dans une entreprise sans la diriger, ce recours lui donne la certitude d’être éclairé sur l’entreprise dans laquelle il investit.

Je défendrai donc les commissaires aux comptes, non pas au nom de la SAS et du passé, le statut de la SAS ayant été détourné de son objet, comme je l’ai déjà indiqué, mais au nom de la disposition fiscale en vertu de laquelle lorsque l’on place son argent dans une entreprise non cotée, il vaut mieux avoir ceinture et bretelles pour être certain de retrouver l’argent que l’on a investi.

Vous me rétorquerez que tel n’est pas le cas avec les impôts. Certes, on retrouve, en quelque sorte, son argent dans les équipements collectifs, mais la satisfaction n’est pas la même !

M. Daniel Raoul. Ce n’est pas si mal que cela !

M. Gérard Longuet. J’en viens maintenant au titre II et au contrat librement négocié, autre sujet qui fâche.

Nous revenons en fait à la réalité de l’économie de marché : l’acte de vente est un acte de liberté. D’aucuns soutiendront que cet acte est soumis à des rapports de force. Certes, mais qu’est l’économie, si ce n’est la recherche permanente d’un avantage au détriment d’un concurrent, d’un partenaire, et une promesse sur l’avenir ? L’économie est toujours conflictuelle et le contrat est l’expression de ce conflit.

Je sais que, actuellement, la presse économique aime beaucoup parler des « gagnants-gagnants ». En réalité, dans ce système, le rapport s’établit plutôt à 90-10 et rarement à 50-50. Nous devons accepter la réalité du contrat librement négocié.

En revanche, madame le ministre, je voudrais vous soumettre une proposition : aidons les producteurs, en particulier les plus petits, à valoriser leurs produits en leur permettant de développer la valeur immatérielle de ces produits, c’est-à-dire la notoriété, la marque, la labellisation, l’appellation d’origine contrôlée.

Ce qui fait la force d’un produit, pour un industriel, ce n’est pas l’intérêt que porte à ce produit le distributeur, mais celui que lui manifeste le consommateur final, celui qui, dans les rayons, désire acquérir ce produit labellisé, connu, bénéficiant d’une appellation du terroir ou ayant acquis au cours du temps une certaine notoriété. La marque cela existe ! C’est dans l’investissement immatériel des petits producteurs qu’il faut sans doute trouver des appuis.

Puisque, apparemment, la TACA rapporte plus d’argent que le FISAC n’en dépense,…

M. Daniel Raoul. C’est un euphémisme !

M. Gérard Longuet. …il serait intéressant, pour aider les petits producteurs, comme nous l’avions fait avec la certification ISO, de faciliter tout ce qui donne une valeur immatérielle, acceptée par le client, aux petits produits. De ce fait, l’acheteur en grande surface serait tenu de prendre en considération des produits prévendus, dont la vente représente 70 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces de distribution alimentaire. Il suffit, d’ailleurs, de se rendre avec ses enfants ou ses petits-enfants dans une grande surface pour savoir très rapidement quels produits ils veulent acheter et ceux dont ils ne veulent pas, même si le prix de ces derniers est plus attractif.

Pour ce qui concerne le contrat librement négocié, à propos duquel l'Assemblée nationale a adopté un amendement que le Sénat ne remettra probablement pas en cause, il convient d’aider les petits producteurs à proposer des produits valorisés de façon immatérielle, de sorte que les acheteurs les acquièrent, et à ne pas se battre sur le seul terrain des prix, sur lequel ils seront toujours battus.

Je ne crois pas que l’Autorité de la concurrence, créée au titre II, soit un sujet qui fâche. Comme Lacordaire, nous sommes tous convaincus qu’ « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Le libéralisme s’est toujours accompagné d’une organisation du marché et d’autorités de régulation. L’existence d’une autorité avec un grand A est donc, pour le libéral que je suis, une source de sérénité.

En revanche, pour l’urbanisme commercial, nous devons en revenir à une idée simple : ce ne sont pas les grandes surfaces qui ont détruit les petits commerces, mais ce sont l’automobile et, accessoirement, le travail des femmes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Odette Terrade. Et le pouvoir d’achat ?

M. Gérard Longuet. Je me souviens que, gamin, je faisais les courses pour ma mère, à pied, avec mon cabas. Aujourd’hui, cela n’existe plus !

Avec la démocratisation de l’automobile et l’évolution des modes de vie familiaux, les ménages font souvent leurs courses en famille, en général le samedi après-midi. Vous connaissez l’expression populaire bien connue : « Tais-toi et pousse le caddie ! » (Sourires sur les travées de lUMP.)

Nous sommes entrés dans une nouvelle logique de besoins, auxquels le grand commerce a apporté des réponses discutables et évolutives. Ce n’est pas la loi qui fixe le mode de vie, c’est le mode de vie qui aboutit à la création d’équipements commerciaux.

De la même façon, le renouveau des centres-villes n’a jamais été décidé par la loi, mais il l’a été par des élus qui, au contact de leur population, ont su promouvoir une qualité de vie, une attractivité du centre-ville. Ils ont ainsi créé les conditions permettant à des commerces plus spécialisés et bien identifiés d’équilibrer leur chiffre d’affaires et de dégager des résultats.

Il est souhaitable de laisser les élus locaux, femmes et hommes de responsabilité et de raison, placer le régime d’autorisation sous l’empire d’une réflexion plus large sur l’urbanisme commercial, mais sans leur donner la responsabilité, qu’ils ne peuvent pas assumer, du rééquilibrage économique. C’est respecter leur compétence et suivre une logique de bon sens : bâtir un urbanisme commercial pour composer un paysage harmonieux des territoires dont ils ont la charge.

L’Assemblée nationale a fait un cas particulier des communes de moins de 15 000 habitants. Pourquoi pas ? Nous la suivrons.

Le Sénat propose que les SCOT permettent la création de zones d’activité commerciale afin d’organiser l’urbanisme commercial sur des espaces plus grands, tant il est vrai qu’à l’heure actuelle on peut travailler dans une commune, résider dans une autre et faire ses achats dans une troisième. Seul le SCOT permet de restituer la réalité du bassin de vie. Le groupe de l’UMP soutient donc totalement cette proposition de la commission spéciale, qui constitue l’un des moyens de réintroduire du réalisme au sein des politiques d’autorisation.

Vous me pardonnerez si je suis un peu long, mes chers collègues, mais ces deux sujets qui fâchent ne fâchent plus et le bon sens l’emporte sur l’esprit de polémique et le blocage. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

Je traiterai rapidement des deux derniers titres, car je ne voudrais pas abuser de votre patience.

Monsieur le secrétaire d’État chargé de la prospective, s’agissant du titre III et du numérique,…

M. Jean Desessard. On écoute votre numéro !

M. Gérard Longuet. … il fallait trouver, comme l’ont évoqué les orateurs précédents, un équilibre entre, d’une part, une nécessaire concurrence, qui empêche l’abus de position dominante, monopolistique, héritée du passé, qui prive le consommateur du bénéfice d’un prix réel et, d’autre part, la couverture territoriale.

Cette question de l’équilibre entre concurrence et couverture territoriale est un sujet d’inquiétude pour les élus, et en particulier pour les sénateurs. Les travaux de la commission spéciale, à partir du texte amendé par l’Assemblée nationale, permettent manifestement d’espérer une solution. On peut s’attendre à des différences par rapport à la position de l’Assemblée nationale ; sans doute devrons-nous en débattre.

Je prendrai deux exemples précis.

Sur l’installation de la fibre optique dans les immeubles, nous avons une conception du « vertical » plus restrictive que l’Assemblée nationale, car nous ne souhaitons pas multiplier des équipements alors que nous pouvons rationaliser. L’amendement de la commission spéciale me paraît au plus près des réalités des immeubles, en évitant une mutualisation excessive qui ne serait techniquement pas souhaitable.

Nous proposons, en revanche, la libération des fourreaux, sujet de combat des municipalités. Cela signifie qu’il n’y aura pas de position dominante incontournable.

La commission spéciale est plus réservée à l’égard de l’itinérance locale, et je partage totalement son point de vue. L’itinérance locale a été définie comme une forme d’accès des zones grises, voire des zones blanches, aux nouvelles couvertures numériques. On peut craindre qu’elle ne devienne une desserte de deuxième qualité pour des secteurs qui ont pourtant le droit au même niveau de technicité. L’examen des positions respectives du Sénat et de l’Assemblée nationale devrait nous éclairer. Notre volonté est simple : nous ne souhaitons pas que les zones grises, et a fortiori les zones blanches, soient privées définitivement d’un équipement de haut niveau.

Dans la vie locale, les acheteurs d’un terrain qui veulent construire une maison ne nous demandent pas l’eau, l’électricité, l’assainissement ou des transports scolaires. Ils savent l’aisance avec laquelle les collectivités locales répondent à ces besoins. Même si ces services sont coûteux, les habitants les trouvent naturels sans même se poser de questions. En revanche, ils nous demandent l’accès au numérique. Si nous voulons une présence nouvelle en milieu rural profond ou périurbain, nous devons être en mesure de leur répondre. Il y a là une voie juste à trouver entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

La proposition de la commission spéciale sur le rôle en matière de couverture locale de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, est sans doute une réponse puisque cette instance fournira un diagnostic permanent qui nous permettra de suivre l’évolution de cette situation.

C’était le sujet qui fâche de ce titre III. Le débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat devrait permettre de garantir cet équilibre, en apparence impossible à obtenir, mais en réalité à notre portée, entre une concurrence effective et une couverture réaliste du territoire.

À titre personnel, je n’ai rien contre la proposition de l’Assemblée nationale relative au droit social au portable. Je veux bien qu’on l’accorde à celui qui travaille, celui qui cherche un emploi. Je pense aussi à la mobilité individuelle en milieu rural, condition de l’accès au travail, lui-même lié au portable. Mais je ne suis pas certain qu’il soit impératif de financer sur fonds publics tous les loisirs de la troisième génération accessibles à partir du portable. J’espère que M. Besson, qui a donné un avis favorable sur cet amendement à l’Assemblée nationale, nous éclairera sur ce sujet et nous convaincra.

Sur le titre IV, les batailles apocalyptiques et les conflits homériques que l’on nous annonçait à propos du livret A n’ont pas eu lieu, car vous avez présenté, madame le ministre, des propositions sages et pertinentes. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Après l’examen du texte à l’Assemblée nationale, nous pouvons considérer qu’il est possible, comme l’a souhaité le Président de la République en décembre dernier, à Vandœuvre-lès-Nancy, de faire évoluer le livret A sans compromettre la mobilisation de fonds pour le logement et la politique de la ville, en diminuant le coût de ce livret pour la puissance publique, et en permettant aux épargnants de continuer à transformer, de façon magique, une épargne liquide en épargne de long terme.

Quelle est, en effet, la légitimité du livret A, qui est d’abord et avant tout une niche fiscale ? (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Thierry Repentin. On en voudrait beaucoup des comme ça !

M. Gérard Longuet. Nous sommes tous pour les niches fiscales quand elles nous concernent directement. Mais, quand on observe le déficit du budget de l’État, alors on les condamne globalement !

M. Thierry Repentin. Le livret A, cela rapporte combien à l’État !

M. Gérard Longuet. La transformation du livret A a permis de financer le logement social, ce qui était une véritable nécessité. Les mesures que vous nous proposez garantissent la pérennité de ce financement, à un coût moins élevé pour la collectivité. On ne peut que s’en féliciter.

Madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, vous allez passer de longs moments avec nous, ce dont nous nous réjouissons par avance, (Sourires.) notamment sur le titre V, qui s’apparente à la voiture-balai du Tour de France, et dont les nombreuses dispositions mériteraient chacune un débat.

Je ne vous parlerai ni du tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TaRTAM, l’une de mes spécialités, ni de la perquisition fiscale, qui pose des problèmes en termes de liberté.

Si on avait pris plus de temps pour examiner le titre V, le travail parlementaire en aurait peut-être été amélioré. Mais l’expérience prouve que c’est toujours dans l’urgence que l’on fait les meilleurs textes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE ; exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, ce projet de loi de modernisation de l’économie est un texte dans lequel le Gouvernement place beaucoup d’espoirs : gagner 0,3 point de croissance, créer 50 000 emplois en un an, relancer le pouvoir d’achat de nos concitoyens ... Autant d’ambitions auxquelles, tous ici, nous souhaiterions souscrire et qui nous conduiraient presque à regretter que ce projet de loi soit discuté si tard, en session extraordinaire, au mois de juillet.

Si nous pouvons être d’accord sur le diagnostic – le pouvoir d’achat et l’emploi sont bien les principales préoccupations de nos concitoyens –, en revanche, vous l’aurez deviné, notre avis diverge sur les remèdes que vous proposez dans ce projet de loi, qui ressemble plus à un texte portant diverses dispositions d’ordre économique et fiscal qu’à un projet portant une réelle volonté de s’attaquer à la racine des causes.

Votre ambition va loin puisqu’il s’agit, aux termes de l’exposé des motifs, de « faire souffler un vent de liberté » sur l’économie de notre pays. Mais liberté pour qui ?

Au vu des dispositions, selon moi dogmatiques, et j’y reviendrai, que vous proposez dans ce texte, l’espoir de redonner du pouvoir d’achat aux Français qui en manquent le plus s’est malheureusement vite éteint.

Le Gouvernement est allé jusqu’à débourser 4,63 millions d’euros pour diffuser, à des heures de grande écoute, une publicité sur ce sujet. Mais le message est bien déprimant : il faut attendre !

Vous demandez aux familles qui ont du mal à payer leur loyer, qui comptent chaque pièce pour faire leurs courses, aux salariés qui sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler et voient leur budget très sérieusement amputé par la flambée des prix de l’essence, de patienter !

Alors que la précarité explose, vous demandez aux travailleurs pauvres, ceux qui ont un emploi, mais n’ont pas les moyens de se loger, ceux qui vivent dans l’urgence, de patienter. J’estime que c’est insultant pour toutes les personnes concernées au quotidien par cette question éminemment prégnante du pouvoir d’achat de leur famille.

Alors que les routiers manifestent leur mécontentement face à la flambée du prix du carburant, alors que tant de Français envisagent difficilement leur départ en vacances pour les mêmes raisons, votre publicité est décalée et dénote un travers de ce Gouvernement : communiquer plutôt qu’agir !

Comment ne pas être déçus quand on nous propose, au lieu d’une véritable « modernisation » – terme que le Gouvernement apprécie visiblement beaucoup puisqu’il apparaît comme une incantation dans le titre de plus de la moitié des lois que nous avons eu à examiner durant cette année parlementaire –, une simple compilation de dispositions, bien loin du compte, dans des domaines variés allant de l’immobilier commercial à la fibre optique dans les immeubles d’habitation, en passant par les brevets industriels et des dispositions fiscales pour les entrepreneurs.

À lire les différents titres des articles, on se demande ce qu’il peut bien y avoir de moderne dans un tel recueil de dispositions, alors même que l’une des réponses que vous apportez est le recours à l’ordonnance et aux décrets d’application, qui se multiplient au fil des articles. Si mes comptes sont exacts, huit articles font référence au recours à une ordonnance et soixante-trois à des décrets d’application. Méthode démocratique pour le moins discutable !

Votre définition de la modernité paraît également liée à une vision particulière de la « liberté de l’économie », qui consiste à réduire le pouvoir de l’État à sa portion la plus congrue quand il s’agit de poser des règles pour que l’économie fonctionne et, à l’opposé, à donner de l’argent public provenant des caisses de l’État, dont vous dites pourtant régulièrement qu’elles sont vides, par le biais de cadeaux fiscaux aux entreprises, et ce sans offrir aucune garantie sur l’effet supposé bénéfique de ces mesures à l’égard de notre économie.

L’une des illustrations symboliques de cette logique est la banalisation du livret A. Cette épargne, la plus appréciée des Français, même « plébiscitée », selon vos propres termes, madame la ministre, est centralisée jusqu’ici par la Caisse des dépôts et consignations, vous l’offrez en cadeau aux banques, en prenant le risque de voir les fonds mis à disposition du logement social détournés vers d’autres produits financiers qui ne servent qu’à la spéculation des banques privées.

Sur ce dossier, il faudrait d’abord faire la démonstration que l’économie actuelle n’a pas permis de faire évoluer positivement l’activité, la construction et la réhabilitation de logements sociaux ne devant pas faire partie des éléments concourant à la croissance du PIB !

Laisser croire que La Poste et la Caisse d’épargne, en disposant du monopole de collecte du livret A, font obstacle à la croissance économique est pour le moins surréaliste.

Mme Odette Terrade. À écouter certains, le circuit actuel de financement du logement serait obsolète et ne répondrait plus aux exigences du temps. Le taux actuel de rémunération du livret A serait même un obstacle pour proposer aux organismes d’HLM des prêts tels qu’ils faciliteraient une construction peu coûteuse.

Outre qu’il en faudrait sans doute bien plus pour que les coûts de construction des logements sociaux neufs entrent dans le cadre fixé par le plafonnement des loyers, une telle affirmation laisse songeur ! Ne sont-ce pas, en effet, des gouvernements appartenant à l’actuelle majorité qui ont largement défiscalisé les investissements immobiliers privés et encouragé les ventes à la découpe, favorisant par là même la spéculation immobilière effrénée ? Comment, alors, pouvez-vous parler d’un « taux anormalement élevé du livret A » ? N’est-ce pas vous qui avez transformé la politique d’accession sociale à la propriété en crédit d’impôt pour les établissements de crédit distribuant des prêts complémentaires à taux zéro, le principal étant le plus souvent constitué par un prêt à taux variable qui a tout du subprime à la française ?

Une fois de plus, l’État fait un cadeau généreux aux entreprises privées, sans avoir la moindre garantie qu’il y gagnera quoi que ce soit en retour. Vous vous en remettez à leur bon vouloir, à l’espoir, à la croyance que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes et que cela sera en fin de compte bénéfique pour notre économie.

Or le rôle de l’État n’est pas de prendre ce genre de risques avec l’argent public, qui est le bien commun des Français. Son rôle est de garantir la meilleure gestion de cet argent, au profit du plus grand nombre.

Et au profit de qui va se faire cette modernisation? Qui va bénéficier de ces cadeaux, sans avoir à faire preuve de patience ?

Certes, dans ce « moderne » magma de mesures, on peut déceler quelques points positifs, comme la volonté de développer la fibre optique – bien que ce développement soit, là encore, laissé au bon vouloir des opérateurs et à la sacro-sainte concurrence –, l’élargissement du rescrit social ou le recours élargi à des organismes du type OSEO pour encourager la recherche industrielle, mais ils ne sont pas suffisants pour faire de ce « blob » une construction solide et efficace.

À qui fera-t-on croire, par exemple, que, du jour au lendemain, les grands groupes de la distribution feront une croix sur une partie de leurs marges en payant plus rapidement qu’aujourd’hui leurs fournisseurs et en traitant avec eux de manière équitable ?

Si, demain, avec ce texte, Carrefour ou Auchan, ou même Leclerc, doivent payer plus vite leurs fournisseurs, ils exigeront immédiatement de ces derniers des conditions de prix encore plus difficiles à tenir, transformant leur défunte « marge arrière » en ristournes et remises diverses de montant équivalent. Il ne restera plus, dès lors, aux fournisseurs des grandes chaînes de distribution qu’à adapter leurs coûts de production aux nouvelles conditions de prix faites par ces clients si particuliers. Et ce sont, en dernière instance, les salariés des secteurs de l’agroalimentaire, de la production de biens de consommation, qui paieront la facture !

S’agissant des mesures d’incitation fiscale que vous proposez dans ce texte, se pose la question de l’égalité devant l’impôt des différents revenus catégoriels.

C’est une véritable zone franche fiscale, une validation de la fraude fiscale qui se profile derrière les articles relatifs à la fiscalité des entrepreneurs individuels, de même qu’une distorsion manifeste de concurrence entre entrepreneurs, selon la date du démarrage de leur activité.

Il s’agit, là encore, de développer une vision purement idéologique de la société, où l’on fait croire que l’esprit d’entreprise, l’audace économique et le risque financier sont l’alpha et l’oméga de la réussite individuelle, comme de l’économie du pays.

Comment ne pas noter que cette vision, selon nous dogmatique, se double d’une nouvelle mise à contribution du budget de l’État, au travers des allégements d’impôt sur le revenu, par exemple, ou des comptes sociaux, au travers d’allégements de cotisations sociales, pour financer des mesures assez proches, dans leur essence, de dispositifs déjà mis en œuvre dans le passé – loi Madelin, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, loi Dutreil pour l’initiative économique, loi en faveur des petites et moyennes entreprises de 2005 – et dont l’efficacité, en bien des domaines, n’a pas été validée par la moindre évaluation, ainsi que plusieurs collègues l’ont rappelé avant moi ?

Je rappellerai à cet égard que la franchise d’ISF liée à la participation du contribuable à un pacte d’actionnaires, mesure contenue dans la loi Dutreil, n’a, quatre ans et demi après sa promulgation, séduit que 2 % des contribuables de cet impôt.

Un examen approfondi du texte fait apparaître, à défaut d’une authentique logique, un fil conducteur : votre foi sans limite dans le dogme libéral, auquel vous vous en remettez entièrement, sans aucune nuance, une foi qui ne tolère pas les sceptiques, dont je suis.

Le secteur de l’économie de l’immatériel, où, par définition, les facteurs de production sont eux-mêmes immatériels et qui n’a d’autres coûts que le temps et l’intelligence, peut être à la source de profits considérables – une véritable manne ! – si l’on s’approprie une idée et qu’on dénie à tout autre le droit de l’utiliser sans avoir à payer. Or, par le biais d’une modification de la législation sur les brevets, vous remettez en cause un principe fondateur de la République française : le bien commun. Pis, vous ouvrez la porte à la possibilité de breveter un usage et non un principe, ce qui est susceptible de rapporter énormément d’argent, mais aussi de provoquer une catastrophe au regard de l’évolution des connaissances ; mon collègue François Autain y reviendra au cours de la discussion.

L’évolution des connaissances ne peut se faire sans partage de celles-ci, sans qu’elle soit appropriée par le plus grand nombre, de manière à la faire grandir. Modifier ces principes, c’est mettre l’évolution humaine entre les mains des entreprises, qui ne céderont la connaissance que sous conditions. Est-ce là la modernité dont vous vous gargarisez tant ?

La « modernisation de notre économie » consiste-t-elle aussi à proposer aux chômeurs et aux travailleurs à faibles revenus de travailler encore plus, en prenant plus de risques, par le biais de l’auto-entreprise ?

Que sera cette « auto-entreprise » après que vous aurez augmenté de façon insupportable les contraintes pesant sur les chômeurs avec votre « offre raisonnable d’emploi », présentée comme une alternative, mais qui n’est en réalité qu’un choix entre la peste et le choléra : se faire radier des ASSEDIC ou être auto-entrepreneur, sans pouvoir être sûr d’avoir les moyens de se verser un réel salaire ?

Comment ne pas penser qu’il s’agira là, une fois de plus, d’un cadeau aux grandes entreprises, qui, plutôt que d’avoir à assumer les charges d’un salarié, pourraient lui demander d’être une entreprise « externe » ?

De plus, quelle est la garantie d’effet bénéfique de ce dispositif sur l’économie française, sur la croissance, alors que la plupart de ces nouvelles très petites entreprises ne survivent pas plus de quatre ans ?

Enfin, malgré la croissance exponentielle du nombre d’articles de ce projet de loi – le texte initial, présenté à l’Assemblée nationale, en comptait quarante-quatre, et celui que nous avons aujourd’hui à examiner en compte plus de cent vingt –, nous devons noter l’absence de l’« action de groupe », maintes fois promise au consommateur et une fois encore reportée.

En revanche, le recours presque systématique aux ordonnances et aux décrets d’application, même réduit par notre commission spéciale, n’a pas été oublié ! Cela ressemble à une fuite en avant.

Les quelque cent cinquante amendements déposés par la commission spéciale avant la séance semblent confirmer cette tendance lourde.

Il nous apparaît que nombre de dispositions répondent à des demandes précises émanant de grandes entreprises : j’en veux pour preuve un amendement en faveur de Numéricable, un autre en faveur d’Auchan, de Leclerc et de Carrefour, pour ne citer que ceux-là.

On peut donc se poser la question : pour qui a été fait ce texte ?

Certainement pas pour les agents contractuels de droit local du ministère des affaires étrangères ! Certainement pas pour les salariés de RFI, soumis aux économies de structure par le plan Benamou-Levitte ! Certainement pas pour les fonctionnaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, appelés à voir leur mission de service public diluée dans l’activité de la nouvelle autorité de la concurrence ! Certainement pas, non plus, pour les agents de l’INSEE, dont l’indépendance professionnelle et l’objectivité vont être mises en cause par une nouvelle autorité, qui n’a d’autre raison d’être que de fournir au Gouvernement les statistiques dont il a besoin pour promouvoir sa politique ! Encore moins pour les fonctionnaires de la Caisse des dépôts et consignations, dont l’entreprise va voir ses missions dévoyées au profit de la loi d’airain des marchés financiers ! Pas davantage pour les agents de La Poste, dont l’entreprise va être confinée au rôle de « banque des pauvres » ! Et je ne parle pas des 4 500 emplois qui vont être supprimés dans le réseau des Caisses d’épargne ni des milliers de licenciements qui devraient frapper, sous prétexte d’allégement des contraintes des entreprises, le secteur de l’expertise comptable et du commissariat aux comptes.

Alors, pour favoriser quels intérêts ce projet de loi a-t-il été élaboré ? Ceux de tous les consommateurs, donc l’intérêt commun, ou bien les intérêts de quelques grandes entreprises, qui, jusqu’à présent, ne se sont d’ailleurs pas signalées par leur politique en faveur de l’emploi et de la revalorisation des salaires ?

M. Jean Desessard. Ce serait plutôt cela !

Mme Odette Terrade. On est tenté de penser que ce texte arrive en session extraordinaire, et avec des conditions de débat limitées, puisque déclaré d’urgence, pour récompenser lesdites entreprises.

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, alors que, pour leur pouvoir d’achat, nos concitoyens attendent des solutions immédiates et simples – l’augmentation de leurs salaires et le relèvement de leurs retraites et pensions –, il leur est proposé, à travers ce projet de loi, d’attendre et d’espérer des cadeaux faits aux grands groupes un abaissement des prix à la consommation, en s’en remettant aux promesses d’un avenir libéral et radieux.

Dans tout ce texte, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’ont trouvé que la marque de cette idéologie libérale qui vous est chère : on y cherche vainement des mesures offrant la moindre garantie d’efficacité quant au développement de notre économie ou laissant présager des répercussions positives sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens. En conséquence, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à adresser mes remerciements aux membres et aux rapporteurs de la commission spéciale, qui ont réalisé un travail remarquable sous la houlette de Gérard Larcher.

Pour autant, j’ai eu le sentiment que le texte initial était un peu battu en brèche… Toutefois, si cela se traduit par une amélioration, je ne saurais que m’en féliciter !

Bien sûr, on peut avoir plusieurs lectures de l’économie, mais il en est une que, pour ma part, je privilégie : s’il y a une économie, dans un pays, c’est parce qu’il y a des consommateurs et des producteurs ; s’il n’y avait rien à distribuer, il n’y aurait pas de distributeurs ! Mon analyse m’a donc conduit, tout naturellement, à m’intéresser aux consommateurs, qu’il convient d’informer et de protéger, puis aux producteurs, notamment aux plus petits d’entre eux, qui ne doivent pas être taillés en pièces.

Il est clair qu’il faut donner des repères aux consommateurs. Aujourd’hui, ces repères sont brouillés : dans le jeu de l’évolution des prix et du pouvoir d’achat, ils ne s’y retrouvent pas. Il paraît – c’est sans doute vrai – que l’euro a permis de faire baisser le prix des produits de haute technologie ou des produits à forte valeur ajoutée. Cependant, il a surtout permis d’alléger le panier de la plupart des ménagères, car le pouvoir d’achat ne s’en est pas trouvé amélioré. (M Jean Desessard sourit.) C’est une évidence que tous ceux qui font parfois leurs courses ont pu mesurer.

M. Jean Desessard. Moi, je les fais souvent !

M. François Fortassin. Nous vivons dans une société d’hyperconsumérisme – et je crains que le présent projet de loi n’accentue ce caractère –, une société dans laquelle les plus fragiles de nos concitoyens, en particulier les enfants, voient chaque jour à la télévision des reportages ou des publicités faisant croire que les produits de luxe sont à portée de main : les médias, au lieu d’informer, sont en train de créer une société de frustrés et d’envieux. Malheureusement, dans le même temps, le prix des produits de base, lui, ne baisse pas ; en tout cas, j’attends qu’on me démontre le contraire.

De la même façon, soit les petits producteurs sont une variable d’ajustement pour les distributeurs, soit – et c’est le cas le plus fréquent – ils sont laminés par les centrales d’achat, qui, à coup d’ententes parfois illicites, les massacrent complètement, ne leur laissant très souvent pas d’autre solution que de gagner en productivité, jusqu’aux limites du supportable.

Il en va ainsi d’un bon nombre d’agriculteurs : s’ils ne se résolvaient pas à vendre à des promoteurs une partie de leurs terrains, amputant ainsi leur outil de travail, à l’évidence, ils disparaîtraient ! Cela n’est pas acceptable, notamment au regard de l’aménagement du territoire.

Précisément, c’est l’aménagement du territoire qui, avec le sort des consommateurs et celui des petits producteurs, aurait dû être placé au cœur de ce texte. Or c’est loin d’être le cas !

J’ai déjà souligné l’importance qui s’attache à l’information des consommateurs. Celle-ci devrait reposer sur des principes simples, mais il semble qu’ils n’aient pas été véritablement pris en compte.

Selon moi, il faudrait revoir le modèle dominant de la société de consommation. Plutôt que de faire la part belle à toutes ces publicités vantant les mérites de tel ou tel produit, mieux vaudrait se fixer pour objectif de faire apprendre à mieux consommer et à mieux choisir. Par exemple, pourquoi n’inciterions-nous pas nos concitoyens à consommer plutôt les fruits et légumes de saison, qui sont à la fois de meilleure qualité et moins chers ? Ainsi, nous soutiendrions les producteurs locaux tout en contribuant à la sauvegarde du goût, bien malmené au moment où la primauté est accordée aux saveurs standardisées.

Or c’est tout le contraire qui en train de se passer. Il est donc urgent de mettre en place des mesures de protection en faveur non seulement des consommateurs, mais aussi des producteurs.

L’information des consommateurs passe aussi par la traçabilité des produits, qui, quoi qu’on en dise, n’est pas toujours transparente.

Serait-il donc si déraisonnable de préciser sur les étals, chaque fois que cela est possible, le prix qui a été payé aux producteurs ? Certes, madame la ministre, vous allez me rétorquer : mais comment donner une telle information à ceux qui mangent une boîte de cassoulet ou de choucroute ? (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. En boîte ? (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Il n’est évidemment pas possible de faire apparaître, d’un côté, le prix des haricots et, de l’autre, celui du confit !

Mme Christine Lagarde, ministre. N’oubliez pas la saucisse ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Cela va de soi, madame la ministre !

Mme Nicole Bricq. Ça dépend du cassoulet ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. En revanche, pour les fruits, les légumes et la viande, si l’on m’affirme qu’un tel étiquetage n’est pas possible, c’est que, véritablement, on n’a pas envie de le faire !

Serait-il déraisonnable de prévoir également l’inscription des dates de cueillette ? Cela permettrait de savoir si un fruit a été cueilli après avoir mûri au soleil ou s’il a passé trois semaines ou un mois dans je ne sais quel entrepôt avant d’arriver sur la table du consommateur.

De même, par quel artifice est-on parvenu à ne pas indiquer les dates d’abattage des animaux sur les emballages de viande ? D’aucuns présentent comme de la viande fraîche un animal qui a été abattu trois mois auparavant ! Cela est impensable, sauf à considérer qu’on a recouru à certains « adjuvants ». Mais je n’ai jamais pu le savoir !

Mme Nathalie Goulet. En tout cas, de telles pratiques n’existent pas en Normandie !

M. François Fortassin. Je pensais notamment à toutes ces carcasses d’agneau en provenance de Nouvelle-Zélande.

M. François Fortassin. Tout cela ne doit pas être très naturel, car, si je laisse une entrecôte au réfrigérateur pendant quinze jours, elle n’aura pas, à la sortie, un aspect très engageant !

Or, telle est la triste réalité : entre la date d’abattage et la date de vente, il peut s’écouler jusqu’à trois mois. Le consommateur est donc en droit de savoir à quelle date l’animal a été abattu : c’est à la fois une information légitime et un problème de santé.

Par ailleurs, il importe de rappeler cette évidence : l’ouverture effrénée à la concurrence n’entraîne pas forcément une baisse des prix.

Madame la ministre, vous affirmez que ce projet de loi est à la fois ambitieux et courageux. Je veux bien vous croire, mais est-il assez audacieux pour prendre en compte les aspirations des consommateurs et des petits producteurs ? Je n’en suis pas tout à fait certain !

À cet égard, le nouveau statut de l’auto-entrepreneur est un élément intéressant, surtout du point de vue… conceptuel. (M. Jean Desessard s’esclaffe.) En réalité, on va plutôt illustrer le vieil adage selon lequel il faut autoriser ce que l’on ne peut empêcher.

M. Jean Desessard. C’est exactement cela !

M. François Fortassin. En d’autres termes, comme vous avez beaucoup de mal à enrayer le travail au noir, vous le légalisez !

M. François Fortassin. Bien entendu, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, telle n’est pas votre intention, mais je crains que ce ne soit le résultat de ces mesures.

M. Jean Desessard. C’est ce qu’ils appellent « libérer les énergies » !

M. François Fortassin. Le travail au noir, il faut bien le dire, est un véritable fléau, auquel tous les gouvernements se sont heurtés. Or, avec le type de déréglementation que vous nous proposez, avec la méthode que vous employez, vous aurez un mal fou à éviter qu’il ne se développe encore plus.

J’en viens maintenant au relèvement de 300 mètres carrés à 1000 mètres carrés du seuil d’autorisation spécifique.

Il s’agit d’une disposition qui pourrait recueillir notre accord, à condition qu’elle soit encadrée. En effet, rien n’empêcherait un commerçant qui a été autorisé à s’installer sur 1000 mètres carrés de demander, immédiatement après, une nouvelle autorisation pour s’agrandir. Par conséquent, je crains que le remède ne soit pire que le mal.

Il conviendrait que le commerçant concerné soit tenu d’attendre un certain temps avant d’obtenir une deuxième autorisation. Je pense qu’il faudrait assortir le dispositif d’une clause excluant, pendant une période de six ou huit ans, toute possibilité d’agrandissement.

Cela a été souligné sur toutes les travées de cette assemblée, les commerces de centre-ville doivent être protégés, car ils sont doublement indispensables. D'une part, ils sont accessibles aux personnes qui éprouvent des difficultés pour se déplacer, telles les personnes âgées, lesquelles, compte tenu du vieillissement de la population, seront de plus en plus nombreuses.

M. Jean Desessard. Bien sûr !

M. François Fortassin. D'autre part, ils jouent un rôle très important dans l’animation des bourgs-centres et des petites villes.

La protection et l’information du consommateur passent aussi par l’introduction de l’action de groupe dans notre droit. À ce titre, je ne résiste pas au plaisir de citer ce qu’écrivait en 2003 M. Luc Chatel, devenu depuis membre du Gouvernement : « L’institution du recours collectif apparaît désormais comme la seule façon de garantir l’effectivité des droits des consommateurs dans certains types de litiges. »

M. François Fortassin. Bien entendu, il convient d’encadrer un tel recours, parce qu’il peut effectivement y avoir des abus. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire en la matière ! Qu’on ne vienne pas nous dire que l’action de groupe est une excellente chose et, en même temps, qu’il vaut mieux en remettre la création à plus tard !

À l’évidence, l’introduction en droit français d’une forme d’action de groupe serait de nature à moderniser les relations commerciales, en favorisant l’émergence d’une concurrence plus transparente et en responsabilisant les acteurs économiques. En effet, parmi ces derniers, il en est qui développent des comportements prédateurs vis-à-vis de leurs concurrents tout en flouant les consommateurs. Pour ma part, contrairement à certains, je n’ai aucune gêne à utiliser le mot « prédateurs », dans la mesure où, aujourd'hui, c’est bien ainsi que se comportent les acteurs de la grande distribution.

D’une manière ou d’une autre, il faudra bien mettre un terme à cette situation. On ne peut pas prôner la défense des consommateurs, des petits producteurs, soutenir une certaine conception de l’aménagement du territoire et, en même temps, laisser se développer la concurrence la plus sauvage. Il faut tout de même, à un moment, juguler la puissance des grands groupes de distribution et avoir le courage de leur dire : ça suffit !

Bien sûr, comme on dit, le soleil se lève pour tout le monde : chacun est en droit, dans ce pays, de gagner de l’argent, car l’argent, ce n’est pas honteux. Mais évitons les systèmes favorisant un peu trop ceux qui se sont constitué dans les quinze ou vingt dernières années les plus grosses fortunes françaises. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean Boyer applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, je voudrais, en tout premier lieu, féliciter et remercier le Gouvernement d’avoir pris l’initiative de déposer ce projet de loi, car c’est un texte important qui va sans doute permettre à notre pays d’engager une réforme d’une très grande ampleur de son économie.

M. Daniel Raoul. Ça commence mal !

M. Claude Biwer. Ça dépend pour qui, mon cher collègue ! (Sourires.)

Ce projet de loi est très ambitieux. Mais, lorsqu’on se préoccupe du devenir économique de son pays et de son peuple, on a le droit et même le devoir d’être ambitieux. Il ne vise ni plus ni moins qu’à favoriser l’esprit d’initiative, à dynamiser la concurrence au service des consommateurs et de leur pouvoir d’achat, à favoriser les investissements étrangers en France et à moderniser les instruments de financement de notre économie.

Je voudrais, en second lieu, remercier notre collègue Gérard Larcher d’avoir présidé avec brio le groupe de travail qui a préfiguré l’actuelle commission spéciale, et auquel j’ai eu l’honneur de participer. Nous avons procédé à plus de quatre-vingt-dix auditions de personnalités du monde économique, social et associatif, qui nous ont permis d’aller vraiment au fond des choses et d’être parfaitement éclairés sur les avantages et éventuels inconvénients des mesures aujourd'hui proposées à notre vote.

J’espère que ce texte permettra de changer profondément le visage économique de notre pays et qu’il le fera entrer par la grande porte dans l’économie du xxie siècle, en comblant les retards que nous avons accumulés, lesquels ont, à certains égards, altéré notre compétitivité.

Mon intervention portera plus particulièrement sur les relations commerciales, mais je souhaite tout de même rappeler, dans la mesure où le projet de loi est également consacré aux entreprises, une évidence qui a été particulièrement mise en lumière par les auditions des représentants de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie et du ministère allemand chargé des PME.

Les premiers ont ainsi jugé regrettable que la France, depuis 1945, ait privilégié le développement des TPE et des grands groupes au détriment de celui des PME.

Comme pour leur faire écho, les seconds ont rappelé les points suivants : les PME allemandes sont au nombre de 4 millions ; les facteurs essentiels du succès économique sont la technologie, le financement des entreprises et la motivation des entrepreneurs, l’absence de seuils décourageant ces derniers de faire croître leurs affaires ; les PME ont besoin non pas d’un soutien permanent des pouvoirs publics, mais plutôt d’un cadre favorable à l’exercice de la liberté d’entreprendre, que la présence dans une société d’un grand nombre d’administratifs est souvent un facteur de passivité, comme l’a indiqué tout à l’heure en d’autres termes notre collègue Nathalie Goulet.

Je crois que l’Allemagne a pleinement profité de l’abandon des principes selon lesquels on peut faire mieux en travaillant moins, selon l’expression qu’ont employée les personnalités que nous avons entendues.

J’ajouterai que le système d’apprentissage industriel est, en Allemagne, un modèle du genre que nous n’arrivons toujours pas à égaler. Habitant d’une commune très proche de la frontière allemande, j’ai souvent l’occasion de faire des comparaisons. Or je trouve parfois décevantes les méthodes que nous avons retenues pour avancer, en particulier dans ce domaine.

Le titre II du projet de loi a pour ambition de mobiliser la concurrence comme nouveau levier de croissance. À cette fin, le Gouvernement propose une nouvelle étape dans la réforme des relations commerciales, souhaite développer la concurrence dans le secteur du commerce et crée une Autorité de la concurrence aux pouvoirs renforcés.

En l’espace de trois ans, nous avons voté deux lois modifiant les relations commerciales : la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises et la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel. À présent, nous nous apprêtons à adopter de nouvelles mesures visant à introduire davantage de concurrence dans les relations commerciales.

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, j’approuve pleinement votre démarche, et je ne manquerai pas de voter les diverses dispositions de votre projet de loi. Je crains toutefois que, nonobstant la sophistication des mesures que nous allons adopter et la mise en place d’une véritable Autorité de la concurrence, le profond déséquilibre qui prévaut entre la grande distribution et ses cinq surpuissantes centrales d’achat, d’une part, les PME, les coopératives agricoles et les petits producteurs, d’autre part, ne perdure.

Disons-le franchement, malgré la loi Royer de 1975, censée protéger le petit commerce pour répondre au mécontentement relayé à l’époque par le CID-UNATI, nous avons en France la plus grande concentration de grandes surfaces de toute l’Europe.

La loi dite Raffarin, qui rendait plus difficile les implantations commerciales a, contrairement au souhait de son auteur, je n’en doute pas, à peine ralenti les implantations commerciales. Ainsi, en Lorraine, pour la seule année 2007, les commissions départementales d’équipement commercial, CDEC, ont autorisé la création de 1 553 533 mètres carrés supplémentaires de surfaces commerciales. Elle a, surtout, figé la situation au profit des enseignes déjà installées, gêné l’implantation du hard discount sans pour autant ralentir la désertification commerciale des centres-villes, spécialement en ce qui concerne les commerces de bouche.

Au cours de l’une de nos auditions, nous avons eu confirmation de ce que nous constatons tous les jours dans nos régions : de plus en plus, les commerces de centre-ville sont remplacés par des agences bancaires, des cabinets d’assurance, des agences immobilières, voire des salons de coiffure. Comment voulez-vous maintenir une animation et une attractivité commerciale en centre-ville ou en centre-bourg avec ce type d’offre commerciale ?

Par ailleurs, reconnaissons que, malgré toutes les lois que nous avons votées depuis plus de trente ans, malgré toutes les réglementations successives, les relations commerciales entre producteurs et grande distribution ne se sont pas équilibrées.

Il faut évidemment faire la différence entre les grands groupes industriels et les PME.

En effet, quelle que soit la puissance d’une centrale d’achat, elle ne peut pas, en réalité, se passer de certains produits de marque, sauf à voir sa clientèle fuir vers la concurrence, lorsqu’elle existe.

En revanche, malheur aux responsables d’une PME qui doivent passer sous les fourches caudines du représentant d’une centrale d’achat ! L’entreprise devra, tout d’abord, payer pour être référencée. Autrement dit, avant de livrer la moindre marchandise, elle devra payer un ticket d’entrée. Elle devra, ensuite, consentir un rabais maximal, figurant ou non sur la facture. Et, si elle ne s’exécute pas, elle ne sera pas ou plus référencée, ce qui est souvent catastrophique pour ce genre d’entreprise. Puis, on lui demandera de payer pour figurer correctement dans les linéaires ; à défaut, ses produits se retrouveront hors de la vue immédiate des consommateurs. Évidemment, on lui demandera aussi de payer encore plus cher pour figurer en tête de gondole. On lui demandera, surtout, de payer pour la mise en place et le réassort de ses produits, opérations qui relèvent pourtant de la responsabilité du distributeur. Enfin, on lui demandera de financer des opérations promotionnelles du style « trois produits pour le prix de deux », voire l’anniversaire de l’ouverture de l’hypermarché ou du supermarché:

Je crois pouvoir dire, sans exagérer, qu’en certaines circonstances, pour un produit considéré, il arrive que le coût de la « coopération commerciale » soit supérieur à celui dudit produit !

Cet état de choses m’avait conduit à déposer sur le bureau du Sénat une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le rôle des centrales d’achat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations d’entreprises. Je regrette qu’elle ne soit pas venue en discussion, tout en reconnaissant que le texte que nous examinons aujourd’hui nous permet d’aborder très largement ce sujet.

Ces mauvaises pratiques ont, en effet, eu une autre conséquence : pressurées de toutes parts par les centrales d’achat, les entreprises françaises ont de plus en plus délocalisé leur production afin de demeurer compétitives. C’est ainsi que près de la totalité du textile vendu en grande surface provient, soit des pays d’Europe de l’Est, soit d’Asie.

Si toutes ces mauvaises pratiques avaient eu pour conséquence de faire véritablement baisser les prix et de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, elles seraient partiellement excusables. Malheureusement, il n’en est rien, et nos compatriotes constatent tous les jours la hausse des prix des produits de grande consommation dans les grandes surfaces. Ils subissent aussi la hausse des prix des fruits et légumes, à peine plus compétitifs que ceux qui sont pratiqués sur les marchés.

Si les producteurs souffrent des pratiques commerciales agressives des centrales d’achat et si les consommateurs ne bénéficient pas de prix bas, cela veut bien dire que la grande distribution empoche la différence. Et l’on comprend mieux, alors, les fortunes accumulées par les groupes qui sont à la tête de ces enseignes !

Je crois donc que le Gouvernement a raison de vouloir développer une « saine » concurrence et de ne pas laisser perdurer la « fausse » concurrence qui prévaut actuellement. Lorsqu’un consommateur se rend dans des magasins Champion, Ed, Dia, Proxi, 8 à 8, Shopi, il ne sait sans doute pas qu’ils relèvent tous du groupe Carrefour ! Et il en va de même pour les autres grands de la distribution.

Le texte pose le principe de la négociabilité des tarifs entre producteurs et distributeurs, en mettant cependant en place des garde-fous : interdiction de la revente à perte, négociation commerciale qui s’établit sur la base des conditions générales de vente du fournisseur et qui s’appuie sur la réalité économique du prix de revient, renforcement des garanties et des sanctions avec l’institution d’une Autorité de la concurrence.

Tout en partageant la volonté du Gouvernement de mettre fin à la fausse coopération commerciale qui a fait tant de mal, je tiens cependant à attirer l’attention de chacun sur le fait qu’il existe une vraie coopération commerciale sous la forme de prestations de service réellement exécutées : je pense, par exemple, aux différents secteurs de la distribution professionnelle ou des commerces de gros qui, en vue de la vente de produits, et non à l’occasion de cette vente, mettent en place des animations commerciales destinées à améliorer les ventes et à informer la clientèle professionnelle sur l’innovation des produits.

Je souhaite que, au cours de l’examen des articles, il nous soit possible de bien faire la part des choses entre la fausse et la vraie coopération commerciale. Il me semble utile de communiquer sur les qualités des quelques produits qui pourront, par la suite, être proposés à la vente aux professionnels. Je défendrai sur ce thème des amendements.

En tout état de cause, je souhaite de tout cœur que de ce nouveau dispositif se dégage un peu plus de transparence dans les relations entre producteurs et grande distribution. J’espère, surtout, que les consommateurs en sortiront gagnants.

S’agissant de la nouvelle Autorité de la concurrence, j’ai bien compris que le Gouvernement souhaitait lui octroyer de très larges pouvoirs. Encore faudra-t-il la doter de moyens humains et matériels suffisants afin qu’elle puisse jouer pleinement son rôle.

Vous avez déclaré qu’elle disposerait d’un pouvoir d’injonction en matière notamment de concentration. Je souhaite ardemment que tel soit le cas, car nos auditions nous ont montré que, dans de très nombreuses zones géographiques, il n’y avait pas de véritable concurrence entre distributeurs. Les prix payés par les consommateurs sont alors automatiquement plus élevés qu’ailleurs.

J’ajoute que l’Autorité de la concurrence pourrait aussi très utilement se pencher de manière approfondie sur les éventuelles ententes entre entreprises du BTP qui, lorsqu’elles sont avérées, coûtent cher, non pas au consommateur mais, cette fois-ci, au contribuable local !

Le raccourcissement des périodes normales de soldes, portées de six à cinq semaines, est une bonne chose, car elles étaient sans doute trop longues. Je crains, en revanche, qu’il ne soit très difficile de contrôler les périodes de soldes flottants dans la mesure où leurs dates seront laissées à la discrétion des commerçants. En tout état de cause, les périodes promotionnelles et les fins de série constituent déjà des entorses à la législation sur les soldes.

En ce qui concerne la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat, la TACA, l’Assemblée nationale a modifié le dispositif initialement proposé afin d’alléger cette taxe pour 24 000 petites et moyennes surfaces commerciales et de l’accroître pour les 1 000 plus grandes surfaces. Je souscris pleinement à cette nouvelle répartition, tout en continuant à regretter que le produit de cette taxe n’alimente pas directement le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, mais soit versé dans le budget général.

Je remercie d’ailleurs la commission spéciale de proposer de modifier la dénomination de cette taxe, qui s’appellerait désormais « taxe sur les surfaces commerciales » et d’affecter 100 millions d’euros au FISAC, même si je crains que cela ne soit pas tout à fait suffisant.

En effet, même s’il est utile de contrôler que les fonds du FISAC ne permettent pas aux bénéficiaires de venir concurrencer aux commerces en place de longue date, qui, eux, ne peuvent bénéficier de sa manne, je m’interroge : pourra-t-il répondre à toutes sortes de sollicitations, concernant les opérations de rénovation de commerces en milieu rural, dans les halles et marchés et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? D’autant que, à cette liste déjà longue, on a ajouté, à l’Assemblée nationale, le soutien des commerces de proximité en cas de travaux publics réduisant l’accès des centres-villes à la clientèle et la prise en charge d’une partie des intérêts d’emprunt contractés par les communes qui exercent leur droit de préemption ; ce sont autant d’éléments qui méritent d’être revus.

M. le président. Il vous faudrait tout de même songer à conclure, mon cher collègue : vous avez atteint le double votre temps de parole !

M. Claude Biwer. S’agissant, enfin, de l’article 27 relatif à l’urbanisme commercial, il a fait l’objet d’importantes modifications à l’Assemblée nationale. Cela sera-t-il suffisant ? Les élus auront-ils les moyens de répondre à tous ceux qu’inquiète le relèvement du seuil de saisine des CDAC de 300 à 1000 mètres carrés ?

Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur ce texte très important pour l’avenir de notre pays. J’ose espérer que les amendements que notre groupe va proposer seront pris en considération et que nous pourrons apporter notre contribution à cette entreprise empreinte d’un réalisme auquel nous sommes tous très attachés. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un texte fort « joufflu » qui nous arrive de l’Assemblée nationale, joufflu, mais pas forcément assez musclé pour répondre aux objectifs que le Gouvernement lui assigne.

C’est précisément, madame la ministre, sur les objectifs, les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre et la philosophie politique qui les sous-tend que j’ai placé mon intervention.

Premier objectif, la croissance et le pouvoir d’achat. Madame la ministre, votre texte ne peut pas être « hors sol » : il intervient dans un contexte macro-économique qu’il faut quand même rappeler.

Un an après la funeste loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, les espoirs de croissance se sont envolés avec la crise financière et ses effets systémiques. Dans un contexte de tension du pouvoir d’achat, les salariés et les entreprises ne se sont pas rués sur les solutions que vous leur aviez proposées à ce moment-là. Cette première cartouche a fait long feu !

Avec la loi LME, votre ambition est plus modeste : 0,5 point de pouvoir d’achat par an pendant trois ans et 0,3 point de croissance.

Malheureusement, la chute du pouvoir d’achat au premier trimestre 2008, au moment où l’inflation dépasse les 3 %, glace cette modeste ambition.

Comment attendre de la concurrence qu’elle compense la hausse structurelle des matières premières et des énergies compte tenu de la demande des pays émergents, qui ne faiblit pas, et de la spéculation, qui pèse sur les prix alimentaires, les marchés ne faisant qu’anticiper une hausse structurelle et durable ?

Parallèlement, les emplois que vous vous réjouissiez d’avoir créé sont essentiellement des emplois à temps partiel et en contrats à durée déterminée, ce qui crée des pauvres en puissance dans la mesure où ces emplois sont peu rémunérés.

L’équation sur laquelle reposait le modèle de croissance molle en Europe supposait, pour être soutenable, que les consommateurs paient moins cher les produits importés. La hausse des produits de base vient durablement bloquer ce type de croissance. Des temps très durs pour la France et les Français s’annoncent, surtout si l’on ajoute à ce panorama la contraction de l’offre de crédit et son renchérissement.

Nous serons aux alentours de 1,6 point de croissance, cette année sans que l’horizon se dégage pour 2009.

Je sais, madame la ministre, que vous n’aimez les statistiques que lorsqu’elles sont bonnes. Sans doute est-ce la raison pour laquelle vous souhaitez introduire une Autorité de la statistique ! Il vous serait plus commode de suivre l’exemple du gouvernement italien, qui a fait voter une loi enjoignant aux médias de donner 50 % de bonnes nouvelles et 50 % de moins bonnes ! Pourquoi n’emprunteriez-vous pas cette voie en matière de statistiques ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

La croissance de la France reposait sur l’unique moteur de la consommation. Or celle-ci flanche. Peut-elle rebondir ? Non, car ce gouvernement, comme les deux précédents, n’a pas pris la mesure de la mondialisation ni de la montée en puissance de nouveaux acteurs. Nous vous l’avions déjà dit dès juillet 2007 : vous avez préféré accroître la demande de ceux qui ont trop – ou beaucoup – plutôt que d’engager tout de suite des mesures destinées à muscler le tissu productif, c'est-à-dire celles qui sont – vous ne pouvez l’ignorer – les plus longues à produire leurs effets. Vous dites que vous le faites maintenant avec ce projet de loi. Mais cette deuxième cartouche, avant même d’être tirée, est mouillée, car vous persistez dans l’erreur.

Cette fois-ci, vous faites reposer votre action sur la stimulation de la concurrence. Or faire de la concurrence un principe général d’organisation de l’économie, c’est limiter l’individu au strict rôle d’agent marchand, c’est faire fi de sa situation de salarié – et les salariés ne reçoivent par leur part de la création de richesses à laquelle ils participent –, c’est faire fi de sa qualité de citoyen qui, surtout s’il est pauvre, a besoin de disposer d’un capital public important.

Implicitement, vous développez une vision de la société qui consiste à découper l’individu en tranches : aujourd’hui, nous nous occupons de la tranche « consommateur ». Nous ne partageons pas votre vision des choses, celle d’individus isolés, rendus arbitres de leur propre sort sans capacité d’agir collectivement sur le destin du monde, la vision de la « concurrence de tous contre tous » !

Si vous aviez voulu agir pour traiter ensemble le citoyen et le consommateur, vous lui auriez conféré le droit d’exercice collectif de l’action de groupe, absent de ce texte. On nous dit qu’il viendra plus tard, dans une curieuse cohabitation avec les dispositions relatives à la dépénalisation du droit des affaires. Très étonnante proximité !

La troisième cartouche viendra à l’automne, avec le bouleversement annoncé par le Président de la République des règles de la participation et de l’intéressement. Je vous mets en garde contre les conséquences néfastes du déblocage massif de la participation sur l’épargne de long terme, si nécessaire au développement des entreprises ou à la constitution de l’épargne retraite.

Et que dire de l’encouragement à l’intéressement, développé à coups de crédit d’impôt ? Voilà nouvelle niche fiscale, alors que vous prétendez en limiter le nombre ! Cette troisième salve sera tout aussi inefficace que les deux premières parce que votre raisonnement de base est faux.

Le deuxième objectif de ce projet de loi est la modernisation de l’économie.

Le tissu de nos entreprises ne prédispose pas la France à la globalisation : notre pays compte beaucoup de petites ou très petites entreprises – plus que dans les pays anglo-saxons – et un nombre important de grands leaders mondiaux. Il abrite, en revanche, très peu de grosses PME innovantes et exportatrices.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Le diagnostic est connu et, je le crois, partagé, mais les remèdes apportés par le Gouvernement se cantonnent à des mesures d’assouplissement administratif ou fiscal visant à « libérer les énergies », euphémisme convenu pour masquer le fait que vous dérégulez, sans structurer pour autant.

M. Daniel Raoul. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Le président Larcher a rappelé tout à l’heure qu’il avait été favorablement impressionné par les vertus du modèle allemand. Il a raison ! Mais le lien de proximité qu’entretient le système bancaire allemand avec le tissu des PME est historique et n’existe pas en France.

M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Il n’existera pas davantage après le vote de ce projet de loi.

M. Gérard Longuet. C’est vraisemblable !

Mme Nicole Bricq. Quant à la création du statut d’auto-entrepreneur, elle reprend finalement une vieille idée de Raymond Barre, émise il y a plus de trente ans, lorsqu’il était Premier ministre et qu’il conseillait aux chômeurs de créer leur entreprise. En fait de nouveauté, vous faites porter le risque sur l’individu, sans lui accorder le filet de sécurité qui le mobiliserait durablement et positivement.

L’attractivité du territoire est votre troisième objectif. Les dispositions du projet de loi relatives à ce sujet, que j’ai examinées particulièrement, sont essentiellement tournées vers la place financière de Paris, laquelle, après la suppression de l’impôt de bourse en loi de finances rectificative pour 2008, obtient à peu près ce qu’avait demandé le Haut comité de place. Vous accordez des avantages fiscaux aux « impatriés haut de gamme », mais nous ne savons rien du nombre d’entre eux que vous espérez voir s’intéresser à ce dispositif. Si nous adoptions, en plus, les amendements du rapporteur Philippe Marini, nous arriverions au régime fiscal britannique de remittance basis, qui était très favorable aux non-résidents jusqu’à ce que Gordon Brown le remette sérieusement en cause.

S’il s’agissait de donner un avantage compétitif à la place financière de Paris – et j’ai cru comprendre en écoutant votre intervention, madame la ministre, que tel était votre objectif avoué –, il vaudrait mieux le dire sans habiller l’opération d’une appellation infondée, particulièrement inopportune dans un contexte de chasse aux sans-papiers, ceux-là mêmes qui font tourner notre économie, qui assurent les services à la personne en s’occupant de nos vieux parents et de nos très jeunes enfants !

M. Thierry Repentin. Ils font aussi tourner les restaurants connus de Neuilly !

Mme Bariza Khiari. Il faut le dire à M. Hortefeux !

Mme Nicole Bricq. Il ne restera plus qu’à abolir la taxe sur les salaires dans une prochaine loi de finances. La satisfaction des financiers serait alors complète !

Mais il ne m’a pas échappé – car j’ai, malgré tout, eu le temps, hier, de lire les rapports écrits – que le rapporteur Philippe Marini trouvait que vous n’en faisiez pas assez, madame la ministre, concernant les exonérations des droits de mutation à titre onéreux aux articles 15 et 16 du projet de loi.

Les fuites sur la énième réforme de la taxe professionnelle que vous préparez inquiètent sérieusement, une fois encore, les élus. On croyait le dispositif stabilisé, il n’en est rien : il faut que cette taxe meure petit à petit !

Je voudrais également rappeler qu’au « top 50 » des centres de décision des grands groupes, Paris est en troisième place derrière New York et Londres, notamment pour la gestion d’actifs. C’est bien la preuve que le mal français n’est pas là. Il est à noter, du reste, que l’industrie française est une grande absente de ce projet de loi…

Mon collègue Daniel Raoul a évoqué avant moi le grand nombre d’habilitations que comporte ce projet de loi. Je voudrais notamment vous mettre en garde contre une habilitation que vous demandez au Parlement pour moderniser la place financière de Paris. Vous allez réformer par ordonnance l’appel public à l’épargne, singularité française dans le contexte mondial : vous la mettez en danger, sans conférer pour autant des avantages aux petits porteurs ni aux petits actionnaires.

J’en viens à l’épargne réglementée, que vous bouleversez avec la libéralisation du livret A. Vous prétendez répondre à la demande de la Commission européenne, à la suite du recours intenté par les banques, mais le projet de loi va bien au-delà. Il remet en cause la centralisation auprès de la Caisse des dépôts et consignations et prend le risque insensé – j’avais pourtant cru comprendre que le logement social était une des priorités de ce gouvernement – de mettre en péril, à terme, le financement du logement social. Le taux de centralisation ne figure pas dans la loi et le coefficient plancher de 1,25 – nous vous le démontrerons – ne correspond pas aux besoins.

Ce bouleversement de l’épargne réglementée est profondément déséquilibré, pour le plus grand profit des banques. Elles sont gagnantes sur tous les tableaux. Je vais me contenter de les énumérer, mais, croyez-moi, nous y reviendrons !

Les banques n’auront pas à satisfaire au principe de l’accessibilité bancaire puisque le service d’intérêt économique général reposera uniquement sur la Banque postale.

M. Thierry Repentin. La banque des pauvres !

Mme Nicole Bricq. Vous avez présenté la fixation du taux de rémunération forfaitaire des banques à 0,6 % comme le fruit d’un compromis « laborieux », je vous cite, mais nous vous démontrerons qu’il s’agit en réalité d’une surcompensation.

Les banques auront accès à un surcroît de liquidités, bienvenu en cette période de crise financière où elles doivent éponger des pertes dans leur bilan. Évidemment, ce sont les gros livrets qui les intéressent, ceux qui n’induisent pas de frais de gestion importants. Pour ceux-là, le taux de rémunération de 0,6 % est excessif : de l’avis même d’un banquier de la place, un taux de 0,1 % eût été suffisant.

Les banques ont échappé à l’exigence de comptabilité séparée.

Enfin, la suppression du service d’intérêt économique général de collecte et de centralisation transforme en une simple prestation commerciale la relation État-banques. L’exemple des CODEVI, rebaptisés livrets de développement durable ou LDD, aurait pu vous amener à vous interroger : les aides aux entreprises, qui étaient l’objectif du LDD, se sont limitées à 50 % des encours collectés. Les députés l’ont constaté et ont adopté un amendement pertinent.

Vous mettez le doigt dans un engrenage fatal, qui conduira inexorablement les banques à demander, dans un avenir plus ou moins proche, la suppression de la centralisation auprès des fonds d’épargne gérés actuellement par la Caisse des dépôts et consignations, déjà considérée par les esprits les plus libéraux comme une « étrange survivance ».

Pour ce qui est de la Caisse des dépôts et consignations, le Gouvernement s’est révélé finalement plus prudent que certaines déclarations ou l’avant-projet pouvaient le laisser craindre. Car la « vieille dame » agace dans les plus hautes sphères de l’État, nous l’avons remarqué depuis quelques mois !

Les modifications apportées dans sa gouvernance sont finalement limitées. L’instauration d’un comité des investissements avait lui-même été proposé par les instances de la Caisse. Les fonds d’épargne sont bien identifiables sans qu’il soit utile de les isoler dans un établissement public, comme l’idée en avait été émise. Enfin, le contrôle de la Commission bancaire doit être interprété comme un appui aux missions de la Caisse des dépôts et consignations.

Toutefois, pour l’avenir, nous ne sommes pas tout à fait rassurés. Toutes ces mesures sont, dans l’esprit de certains, un prélude à la banalisation de la Caisse des dépôts et consignations. Nous voulons, une fois encore, vous mettre en garde de manière solennelle : la Caisse est placée depuis sa naissance sous la surveillance du Parlement ; elle le restera ! Quant à lui faire jouer le rôle d’un fonds souverain ou de « chevalier blanc » du CAC 40, il ne faudrait pas oublier l’essentiel, à savoir que les fonds dont elle dispose ne lui sont pas propres : elle les gère pour compte de tiers. Elle sécurise l’épargne des Français.

Nous voulons donc vous donner un avis sans frais concernant l’avenir, car notre inquiétude n’est pas dissipée. La pratique des gouvernements depuis 2002 nous a instruits : ce qui ne peut être fait immédiatement en raison de trop grands risques politiques, est finalement réalisé par grignotages successifs. On dessine ainsi un paysage de la société française dans lequel les Français ne se reconnaissent plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, moderniser l’économie en relançant la concurrence pour agir sur la baisse des prix et stimuler la croissance, telle est l’ambition du projet de loi qui nous est soumis, dans le but de créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois par an.

De nombreuses dispositions sont particulièrement bienvenues, qu’elles concernent l’auto-entrepreneur, les travailleurs indépendants, les artisans, les professions libérales et les conjoints collaborateurs, tout comme les différentes catégories de sociétés.

À ce stade, je voudrais saluer la contribution de premier plan apportée par le groupe de travail sur la modernisation de l’économie que le Sénat avait pris soin de constituer, au cours du premier trimestre 2008, ainsi que de toutes les équipes qui ont travaillé autour de son président.

De nombreuses mesures de ce projet de loi qui visent à favoriser le développement des PME et à simplifier leur fonctionnement vont dans le bon sens. J’en citerai quelques-unes.

Permettre un accès privilégié des PME innovantes à la commande publique est une mesure indirecte de soutien aux PME qui, bien que juridiquement contrainte, mérite d’être expérimentée.

Je crois également à une économie au service de l’homme et, partant, à une législation qui répond à ses besoins. C’est ce que fait ce projet de loi en prévoyant les conditions dans lesquelles pourra être créé un tarif social pour la téléphonie mobile. Nous savons tous, mes chers collègues, ce que représente, dans le budget des foyers les plus modestes, le coût de la téléphonie mobile et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

S’il est, en revanche, un volet de ce projet de loi sur lequel je me permettrai d’émettre des réserves, c’est sans conteste celui qui concerne la réforme du régime juridique de l’urbanisme commercial.

Certes, une réforme de l’équipement commercial est depuis longtemps nécessaire : il y a effectivement urgence à se mettre au diapason du droit communautaire et, surtout, à répondre aux nécessités du terrain.

Mais quelle est la situation actuelle ? Malgré la loi du 29 janvier 1993 et celle du 5 juillet 1996, plus restrictive, les grandes surfaces n’ont cessé de croître et le grand commerce, de se développer. Il occupe désormais les niches autrefois réservées aux petits commerçants ou aux moyennes surfaces situées dans les centres-villes ; je pense, par exemple, à l’équipement de la personne. Tout cela contribue à détruire l’animation des centres-villes, et nos territoires ruraux sont les premiers touchés.

Le hard discount se développe déjà sur des surfaces ne dépassant pas les 299 mètres carrés. Il n’est donc pas nécessaire de le favoriser à outrance, comme le texte le permet implicitement. Imaginez ce qu’il adviendrait demain des boulangers indépendants, qui sont le poumon économique et social de nos communes rurales, si le hard discount alimentaire se généralisait avec une baguette vendue au prix d’appel de 29 centimes d’euro, comme cela s’est déjà vu dans ce type d’enseigne !

C’est parce qu’il avait conscience de cette évolution de la situation que, dès le printemps 2004, le Premier ministre de l’époque m’avait confié la mission d’évaluer le dispositif législatif et réglementaire garantissant l’équilibre entre les différentes formes de commerce. J’avais, par la suite, déposé une proposition de loi, cosignée par une soixantaine de sénateurs, qui a été adoptée en première lecture en juin 2005.

Le dispositif que notre assemblée avait ainsi voté était le résultat d’une concertation approfondie avec tous les acteurs concernés. Il répondait très largement aux attentes exprimées par tous, aussi bien au sujet des principes directeurs de l’équipement commercial – promouvoir un aménagement urbain équilibré, protéger l’environnement, satisfaire les besoins des consommateurs et participer au développement de l’emploi – que des critères sur lesquels doivent se fonder les décisions des commissions d’équipement commercial – considérations architecturales et esthétiques et cohérence urbaine du projet, notamment.

Cela étant, le 5 juillet 2005, soit quelques jours après l’adoption de ce texte par le Sénat, la Commission européenne adressait une lettre de mise en demeure à la France, la sommant de mettre sa législation en conformité avec la directive « services ». C’est la raison pour laquelle le ministre qui était à l’époque en charge des PME, du commerce, de l’artisanat avait pris l’initiative de constituer un groupe de travail sur la réforme de la législation de l’urbanisme commercial. Mais la décision effective date seulement de la fin de l’année 2006, soit un an et demi plus tard ! Et la commission a rendu ses conclusions en février 2007.

Il est vivement regrettable que nous ayons perdu autant de temps ; la réforme aurait permis de mieux limiter le nombre de mètres carrés autorisés, qui, pendant cette période, se sont accumulés : 3,5 millions en 2005, 3,8 millions en 2006 et 3,575 millions en 2007. Soit plus de 10 millions de mètres carrés supplémentaires en trois ans ! Qu’en aurait-il été sans la loi Raffarin ? En fixant un seuil de blocage à 300 mètres carrés, elle a permis d’éviter un trop grand développement de ce type de surfaces.

Le Sénat, quant à lui, avait pressenti et anticipé cette urgence dès le mois de juin 2005. J’observe d’ailleurs que le groupe de travail ministériel a permis de valider les orientations qui avaient été retenues.

Tous s’accordaient sur le nécessaire maintien d’une législation spécifique, suivant ainsi le chemin emprunté par l’ensemble des pays de l’Union européenne qui se sont dotés progressivement d’une réglementation applicable à la création et à l’extension des grandes et moyennes surfaces de commerce de détail, comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède.

Le maintien d’une commission départementale, fût-elle rebaptisée commission d’aménagement commercial, était également approuvé, avec des modifications. Les CDEC méritaient d’être modifiées, de même que la commission nationale d’équipement commercial. La composition des CDEC a facilité l’extension d’un certain nombre de magasins. L’existence du schéma de développement commercial comme celle des seuils à partir desquels est déclenchée la procédure étaient confortées. Mais, à aucun moment, il ne fut question de relever le seuil au-delà duquel l’autorisation est requise.

Madame la ministre, retenir 1 000 mètres carrés, comme vous le proposez aujourd’hui, ce serait revenir trente-cinq ans en arrière ! En effet, c’était le seuil fixé par la loi Royer du 27 décembre 1973 ; il a été abaissé à 300 mètres carrés par la loi de 1996.

On peut, certes, considérer que la structuration de l’offre commerciale a évolué et que la modernité, pour satisfaire à l’intitulé du projet de loi, conduirait peut-être à retenir un seuil intermédiaire de 500 mètres carrés, comme un certain nombre de sénateurs le souhaitent.

J’y mettrai, personnellement, une double condition. D’une part, il faut maintenir la possibilité, pour les maires des communes de moins de 20 000 habitants, ainsi que de celles qui ne sont pas directement concernées mais qui font partie de l’intercommunalité, de saisir la CDAC des projets compris entre 300 et 500 mètres carrés, chiffres qui, loin des 1 000 mètres carrés annoncés, correspondent mieux à la réalité du terrain. D’autre part, il est indispensable de prendre en compte l’impact que peut avoir sur un autre département ou sur une autre région un projet situé à leurs confins, par exemple, la création d’un hypermarché de 20 000, 30 000 ou 50 000 mètres carrés, de même que celle d’un magasin de marques ou d’un magasin d’usine.

La commission spéciale n’a donné sur ce point que quelques pistes. Selon moi, il faut mettre en place une commission interdépartementale, qui doit fonctionner avec souplesse sans devenir une usine à gaz. Convoquée par le préfet du département d’implantation, cette commission pourrait répondre efficacement aux besoins, car nous savons tous que les bassins de vie ne respectent pas la logique du découpage administratif !

Madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, je comprends la logique du Gouvernement, mais permettez-moi de ne pas la partager sur ce point précis. Dans votre optique de concurrence totale, on peut d’ailleurs se demander pourquoi vous maintenez encore un seuil, et même une législation spécifique.

À mes yeux, la concurrence, ce n’est pas la loi de la jungle, qui consacre celle du plus fort. L’aménagement du territoire, ce n’est pas une incantation, c’est une ardente obligation. Mon idéal, ce n’est pas l’appauvrissement des territoires à l’écart desquels fleuriraient, autour des grandes villes, des hard discounters. Vous le savez, ces enseignes, qui sont pour la plupart liées à la grande distribution, se frottent déjà les mains – regardez tous les encarts publicitaires qui fleurissent dans la presse ! –, alors que certaines d’entre elles n’ont de cesse de pressurer leurs fournisseurs et créent, en fait, moins d’emplois qu’elles n’en font disparaître. Sans parler des conditions salariales qui sont faites à un certain nombre de leurs employés !

L’équilibre entre les différentes formes de commerce doit être l’objectif prioritaire de la réforme en cours. Nous devons lutter contre la désertification commerciale, préserver et développer les commerces de proximité dans les centres des villes, qu’elles soient petites ou grandes, et dans les territoires ruraux.

De gros efforts ont été entrepris, ces dernières années, en matière de partenariat entre les créateurs de commerces de proximité, les collectivités locales et l’État, par l’intermédiaire du FISAC. Veillons à ne pas détruire ce qui a été mis en place progressivement. Il y va de la vitalité de nos territoires. C’est à nous, représentants des collectivités locales, mais aussi à l’État, qu’il revient de les soutenir. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Mes chers collègues, je vais, dans quelques instants, suspendre la séance, mais je donne au préalable la parole est à Mme Odette Terrade, qui souhaite intervenir une nouvelle fois sur l’organisation de ce débat.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, nous l’avons tous souligné, le projet de loi de modernisation de l’économie a été sensiblement « alourdi » par l'Assemblée nationale puisqu’il comporte désormais plus de cent vingt articles. La première lecture à l'Assemblée nationale a en outre montré que, sur bien des points du texte, une seconde lecture ne serait nullement superflue.

En raison de la technicité des dispositions de ce texte et du recours prévu aux ordonnances, nous pensons donc qu’il est indispensable de lever l’urgence qui a été décrétée par le Gouvernement.

Par ailleurs, compte tenu de la multitude des sujets abordés, de l’importance du projet de loi et du nombre élevé d’amendements, nous souhaiterions savoir précisément comment vont se dérouler nos travaux. En effet, un examen non seulement précipité mais encore entrecoupé des articles ne pourrait que nuire à la qualité et à la sérénité de nos débats.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Madame Terrade, je ne peux vous répondre sur la question de l’urgence : cela ne relève pas des compétences du président de la commission spéciale que je suis.

Sur le second point, je propose de réunir, lorsque la séance sera suspendue, la commission spéciale pour que nous puissions ensemble examiner le déroulement de nos travaux. Nous devrons tenir compte d’un certain nombre d’impératifs et décider d’une organisation qui soit aussi harmonieuse que possible, pour permettre à chacun de faire les prévisions qui lui sont utiles. Croyez bien, ma chère collègue, que je suis, comme vous, soucieux de faire en sorte que nos débats se passent dans les meilleures conditions.

Monsieur le président, si vous le voulez bien, j’exposerai, aussitôt après la reprise de la séance, à l’ensemble des membres de notre assemblée le déroulement des travaux que proposera la commission spéciale, sous réserve naturellement de votre accord et de celui du Gouvernement.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente,

est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie.

Organisation des débats

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Discussion générale (début)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Gérard Larcher, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conformément à ce que j’avais annoncé, notre commission spéciale s’est réunie pendant la suspension de séance.

Pour faciliter nos débats au cours de cette semaine, et après en être convenu avec nos collègues de la commission spéciale, je vous propose d’organiser nos travaux de la manière suivante.

Tout d’abord, afin de tenir compte des obligations communautaires de Mme la ministre, je demande l’appel en priorité, le jeudi 3, à la reprise de l’après-midi, des articles 31 à 31 ter, assortis des amendements nos 321 rectifié et 322, portant articles additionnels après l’article 31 ter, puis des articles 36 à 42 octies et de l’amendement n° 338, portant article additionnel après l’article 42 octies.

La discussion se poursuivrait ensuite le vendredi. Après l’achèvement de l’examen du titre IV, le Sénat reprendrait la discussion du projet de loi là où elle se serait interrompue le jeudi en fin de matinée.

Par ailleurs, je souhaite la disjonction des amendements de suppression ou de rédaction globale qui provoquent, sur quatre articles, la discussion commune d’importantes séries d’amendements. Il s’agit : à l’article 3, de l’examen séparé des amendements identiques de suppression nos 299, 326 et 458 ; à l’article 21, de l’examen séparé des amendements identiques de suppression nos 413 et 526 et des amendements de rédaction globale nos 509 et 527 ; à l’article 27, de l’examen séparé de l’amendement de suppression globale n° 494, des amendements identiques nos 798 rectifié et 968 de suppression d’une division et de l’amendement n° 802 de rédaction globale d’une division ; et, à l’article 39, de l’examen séparé des amendements identiques de suppression globale nos 371 et 979 et de l’amendement n° 377 de rédaction globale d’un article de code.

Afin que nul ne l’ignore et qu’aucune crainte ne subsiste, je précise que tous ces amendements sont des amendements « extérieurs ». Les rares amendements de suppression ou de rédaction globale déposés par la commission spéciale – je crois qu’il y en a deux – portent sur des sections des articles les plus longs, en l’occurrence les articles 27 et 39. Ils sont maintenus en discussion commune.

Ainsi, je tiens à le souligner, ces propositions de la commission spéciale sont exclusivement destinées à rendre nos travaux intelligibles, et non pas à les abréger par quelque artifice réglementaire.

M. le président. Nul n’en doutait, mon cher collègue !

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette proposition ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Favorable.

M. Daniel Raoul. Il serait malvenu qu’il en soit autrement ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Organisation des débats
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le pouvoir d’achat est aujourd’hui la préoccupation majeure de nos concitoyens, confrontés à la reprise de l’inflation, à la flambée des prix du pétrole et à des prix de l’immobilier durablement élevés.

Le projet de loi de modernisation de l’économie vise à relancer le pouvoir d’achat en simplifiant la vie des entrepreneurs, en renforçant la concurrence afin de faire baisser les prix, en restaurant l’attractivité financière de notre pays, qui souffre d’une image très négative par rapport à nos voisins européens, et en mobilisant des financements au service de notre économie.

Je ne peux qu’approuver de tels objectifs et espérer qu’ils seront atteints le plus rapidement possible.

Toutefois, je regrette le manque de cohérence et de hiérarchisation des priorités de ce texte. Les thématiques abordées sont multiples et n’ont pas toujours de lien entre elles. Pour leur très grande majorité, elles ont été occultées par la réforme de l’urbanisme commercial. On nous propose un seul projet de loi là où il en aurait fallu plusieurs pour traiter les sujets de manière exhaustive et permettre ainsi à cette future loi d’être effectivement le texte fondateur de la rénovation de notre économie.

Je regrette également le recours excessif aux ordonnances, qui revient à confisquer le pouvoir législatif du Parlement. Je remarque d’ailleurs que le Gouvernement propose des articles d’habilitation dans plusieurs projets de loi récents. Les sénateurs centristes réprouvent vigoureusement cette pratique.

Avant d’aborder ce qui constitue, à mon sens, les principales mesures de ce projet de loi, je tiens à saluer le travail considérable des trois rapporteurs, mené sous l’égide du président de la commission spéciale, M. Gérard Larcher.

Leur proposition centrale, c'est-à-dire la reconnaissance – enfin ! – de la notion d’entreprise de taille moyenne, me semble absolument déterminante. On ne peut pas traiter de manière identique une entreprise de 500 ou 1 000 salariés et un grand groupe international. Tous les pays d’Europe reposant sur un capitalisme familial fort ont encouragé le développement d’entreprises de taille moyenne. Les sénateurs du groupe UC-UDF sont donc très favorables à cette disposition, qui devrait permettre de revitaliser et de développer de nombreuses entreprises, de créer de l’activité et de contrer ainsi les délocalisations. Il est important d’ouvrir ce chantier et de l’inscrire rapidement à l’agenda européen.

J’en viens maintenant aux dispositions du projet de loi.

Le titre Ier vise notamment à créer un statut de l’auto-entrepreneur, caractérisé en particulier par des régimes fiscal et social simplifiés et allégés sur la période d’amorçage de l’activité. Cette mesure est innovante. Elle permettra d’accompagner et, tout simplement, d’aider les personnes qui souhaitent créer leur propre emploi.

À ce titre, je voudrais mentionner quelques chiffres. En 2007, dans mon département, la Réunion, plus de 4 000 personnes se sont mises à leur compte. Ce dispositif est donc loin d’être accessoire et pourra susciter de nombreuses vocations, d’autant qu’il sera possible de coupler l’activité salariée ou une pension de retraite avec un tel statut. Toutefois, il est nécessaire de prévoir quelques garde-fous, afin que les artisans et autres petites entreprises n’aient pas à souffrir de concurrence déloyale.

Nous proposons donc que l’immatriculation aux registres professionnels reste obligatoire pour les auto-entrepreneurs, mais qu’elle soit gratuite. Nous souhaitons également circonscrire le cadre de leur activité en interdisant à un salarié de créer son entreprise dans le même secteur d’activité que la société qui l’emploie. Il s’agit là d’une mesure de bon sens.

Le projet de loi permet également de mieux protéger le capital de l’auto-entrepreneur. Les députés ont considérablement renforcé cette protection, ce dont je me réjouis. Je souhaite cependant qu’elle soit également étendue aux logements sociaux, d’autant que le nombre des logements sociaux en accession à la propriété est de plus en plus élevé.

D’autres dispositions vont également dans le bon sens pour aider les entrepreneurs. Je pense notamment à la neutralisation des conséquences financières du franchissement des seuils de dix et vingt salariés par les entreprises, à la possibilité d’utiliser un logement situé en rez-de-chaussée pour développer son activité professionnelle, sans avoir à accomplir des démarches administratives lourdes, mais également à la simplification du fonctionnement des sociétés à responsabilité limitée, avec la diffusion de statuts types ou l’instauration d’un nouvel indice de révision des loyers des baux commerciaux, basé sur l’indice des prix à la consommation.

Toutes ces mesures réduiront les tracasseries administratives auxquelles les entrepreneurs sont confrontés. Elles diversifieront et augmenteront les sources de financements disponibles, notamment grâce à l’assouplissement des contraintes fiscales sur le capital-risque.

Je regrette que le très haut débit soit seulement abordé sous un aspect extrêmement réducteur, alors qu’il aurait mérité un texte à lui seul. Si nous nous en tenions à la version issue de l’Assemblée nationale, nous ne légiférerions quasiment que pour la ville de Paris intra-muros.

Heureusement, Mme le rapporteur Élisabeth Lamure a déposé un amendement tendant à partager l’utilisation des infrastructures publiques des réseaux câblés, ce qui permettra d’accélérer le développement du très haut débit sur les communes déjà équipées. Mais cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi le groupe de l’UC-UDF propose la création d’un fonds pour l’équipement du territoire en très haut débit, qui serait alimenté par une taxe sur les opérateurs. En effet, en raison de l’étroitesse de leur marché et de leur enclavement des territoires, des territoires comme la Réunion ne sont pas rentables pour les opérateurs privés. Si l’État n’impose pas à ceux-ci des obligations en termes de couverture du territoire, je crains que nous n’approfondissions encore la fracture numérique et qu’il ne soit de plus en plus difficile pour les territoires ruraux et enclavés de maintenir leur attractivité. C’est pourquoi notre amendement revêt à nos yeux une importance primordiale.

Nous avons également quelques inquiétudes sur le financement du logement social. La généralisation du livret A nous est imposée par une décision de la Commission européenne du 10 mai 2007.

Les sommes collectées sur ce produit d’épargne sont tout à fait considérables. Les encours centralisés à la Caisse des dépôts et consignations s’élèvent à 140,5 milliards d’euros, dont 120 milliards pour le livret A, 19,7 milliards pour le livret bleu et 7,7 milliards pour le livret de développement durable. Quant aux prêts, ils représentent un encours de 96,7 milliards d’euros, dont 88,2 milliards d’euros sont consacrés au financement du logement social et à la politique de la ville. Ainsi, en 2007, la Caisse des dépôts et consignations a accordé 4,4 milliards d’euros de prêts à la construction pour les 54 000 logements sociaux bâtis cette année. Ces prêts couvriraient les trois quarts de la construction d’un logement social. C’est pourquoi il est très important de sécuriser cette ressource en fixant dans la loi le taux de centralisation des encours des livrets A auprès de la Caisse des dépôts.

Nous vivons actuellement une véritable crise financière, qui commence déjà à avoir des retombées sur les encours de crédit. Les banques sont en train de modifier leur politique de crédit non seulement auprès des particuliers, mais également auprès des entreprises.

Dans le contexte de crise des liquidités que connaissent les banques, il nous semble primordial de pérenniser l’utilisation des dépôts collectés au titre du livret A pour le financement du logement social et de garantir que la Caisse des dépôts gardera les moyens de continuer à bonifier les prêts pour le logement très social, afin de permettre de pratiquer des loyers bas.

M. Jean Desessard. Nous vous rejoignons !

Mme Anne-Marie Payet. C’est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens.

J’en viens, enfin, aux particularismes des économies ultramarines, qui, à l’heure actuelle, doivent clairement entrer dans une nouvelle phase de leur développement.

Contrairement à la métropole, elles sont en phase directe avec la concurrence des pays moyennement avancés, où les prix de production sont extraordinairement inférieurs à ceux des DOM – le rapport est de un à dix entre la Réunion et l’île Maurice, et même de un à cinquante avec Madagascar – et les normes inexistantes faussent totalement la concurrence. À cela s’ajoute la distance par rapport à la métropole et aux marchés importants. Cependant, malgré tous ces handicaps, l’activité reste vigoureuse.

Pour toutes ces raisons, il est important d’adapter ce projet de loi aux spécificités des DOM. En ce qui concerne les délais de paiements, les députés ont déjà adopté un amendement qui permet de faire courir le délai à partir de la réception des marchandises.

Les principales lacunes restantes sont les suivantes. Pour la plupart, j’ai déposé des amendements tentant de les combler.

Le champ du Small Business Act tel qu’il est proposé doit être élargi pour être pleinement applicable dans les DOM.

Plus encore qu’en métropole, la grande distribution exerce dans les DOM une forte pression à l’égard des petits fournisseurs ; le rapport de force est donc très déséquilibré et les dispositions sur la négociabilité des conditions générales de vente ne vont pas améliorer la situation.

L’Autorité de la concurrence, si elle fonctionne comme le Conseil de la concurrence, sera inopérante dans les DOM ; il est indispensable de prévoir une antenne locale pour favoriser le recours des opérateurs.

Le FISAC ne fonctionne pas bien dans les DOM : il serait donc nécessaire de déconcentrer sa gestion. Le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer a pris des engagements en ce sens, mais je pense que des précisions doivent figurer dans ce texte.

La réforme de l’équipement commercial est très sensible dans les DOM, car la grande distribution a un poids absolument prédominant ; il s’agit du premier secteur économique. Il est donc essentiel de prévoir des mesures d’adaptation au seuil de 1000 mètres carrés pour ne pas déstructurer les marchés et l’appareil de production local.

Le rescrit fiscal sur le crédit d’impôt recherche attribué à OSÉO doit faire l’objet d’une adaptation propre aux DOM, où c’est l’Agence française de développement qui exerce la mission confiée à OSÉO en métropole.

La création d’une Haute Autorité de la statistique doit s’accompagner de l’ouverture d’agences locales dans chaque DOM et d’une refonte des modèles statistiques qui ne sont plus en phase avec la réalité économique locale.

Enfin, puisqu’il s’agit de moderniser l’économie, c’est l’occasion d’en finir avec les pratiques rétrogrades en matière de vente du tabac outre-mer. J’ai déposé plusieurs amendements en ce sens, dont certains avaient déjà été adoptés par le Sénat lors de l’examen d’autres projets de loi, puis supprimés par la commission mixte paritaire ou par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et sur plusieurs travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après la loi TEPA de juillet 2007, après la loi pour le développement de la concurrence de l’automne 2007 et la loi pour le pouvoir d’achat de janvier dernier, nous sommes aujourd’hui réunis afin d’examiner un projet de loi qui a l’ambition de moderniser notre économie.

C’est tout à fait légitime et nécessaire. La baisse d’activité qui vient d’être annoncée par l’INSEE souligne l’impérieuse nécessité de réformer notre économie.

Cette année, le taux de croissance devrait demeurer à un niveau très faible : 1,5 % ou 1,6 %. Les carnets de commandes des chefs d’entreprise commencent à se dégarnir. La balance commerciale, qui pendant plusieurs années avait été largement excédentaire, devrait de nouveau présenter un solde négatif, de l’ordre de 43 milliards d’euros pour cette année. Si l’on y ajoute l’inflation la plus forte observée depuis 1991, on peut en déduire que le pouvoir d’achat va diminuer. Dans ces conditions, la consommation des ménages, principal moteur de la croissance, va progresser lentement.

J’appelle de mes vœux l’augmentation de la croissance de 0,3 %, les 6 milliards d’euros de PIB supplémentaires et les 50 000 emplois que vous avez évoqués tout à l'heure, mais ces données me laissent sceptique.

En d’autres termes, les Français vont continuer à subir les effets de la crise financière, du ralentissement mondial, de l’appréciation de l’euro et de l’envolée des prix. Ils vont également continuer à payer l’absence de réformes économiques efficaces et justes.

Je me permets de rappeler que le pays porte un jugement critique sur cette politique économique. En effet, selon un sondage paru le 24 juin dans Les Échos, 63 % de nos concitoyens considèrent qu’elle est mauvaise.

Sur la forme, le projet de loi appelle plusieurs remarques.

Tout d’abord, je ne comprends pas pourquoi nous devons travailler selon la procédure d’urgence. Il me semble pour le moins paradoxal et surprenant de permettre trois lectures pour examiner le projet de loi sur les chiens dangereux et de déclarer l’urgence, soit une seule lecture, sur un texte aussi important, qui vise à moderniser notre économie ! Notre collègue Gérard Longuet a dit tout à l'heure que c’était dans l’urgence que l’on faisait les meilleurs textes ; j’en accepte l’augure, mais je demeure sceptique. (M. Jean Desessard rit.) C’est le rôle de l’opposition.

En outre, je constate à regret que vous éludez le débat sur plusieurs points importants en sollicitant des habilitations pour légiférer par voie d’ordonnance. Si une telle procédure peut se comprendre dans certains domaines comme celui de la propriété industrielle, les autres habilitations me paraissent excessives.

Enfin, le projet de loi a un aspect « fourre-tout » ; quelqu’un a parlé d’inventaire à la Prévert, mais on pourrait aussi évoquer le pointillisme. Il est en effet question d’urbanisme commercial, de la réforme de Radio France international, des poursuites commerciales, de la propriété industrielle…

M. Jean Desessard. C’est une loi « râteau » !

M. Richard Yung. Bref, il est question de tout, mais rien n’est traité complètement.

Sur le fond, le texte comprend bien sûr un certain nombre de dispositions intéressantes, comme la réduction des délais de paiement, le début d’une réflexion sur un Small Business Act à la française – puisqu’on parle anglais à présent –, les mesures visant à encourager la création des PME et à faciliter leur vie quotidienne, ou encore celles qui tendent à faciliter les reprises de SAS et de SARL, à moderniser le système de brevets.

Néanmoins, globalement, ce projet de loi manque de souffle, d’énergie mobilisatrice, de vision claire proposée au pays qui permette de mobiliser toutes les énergies pour relancer la consommation et la machine économique.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Richard Yung. Je ne passerai pas en revue les différents titres, je formulerai simplement quelques remarques sur des points particuliers.

Vous proposez de mieux utiliser l’agence Ubifrance et de clarifier les relations avec les missions économiques : vous êtes dans la bonne voie. Il est bien que les missions économiques se recentrent sur leurs fonctions régaliennes et ne s’occupent pas d’aider à la vie des entreprises. Cependant, vous vous arrêtez au milieu du gué. Il faudrait aller plus loin et réfléchir à la nécessité de confier aux chambres de commerce franco-étrangères le soin d’assurer le travail de soutien aux entreprises. Ce sont en effet les personnes du secteur industriel et compétitif qui connaissent le mieux les marchés sur lesquels ces entreprises sont implantées. Il y a donc encore un effort à faire.

Vous proposez la détention par l’État du capital de RFI. Cette réforme nous fait craindre le pire, et beaucoup de Français de l’étranger ne l’accueillent pas favorablement.

Nous avons une chaîne de télévision, TV5, reçue partout dans le monde, qui est le vecteur de la culture et de l’information françaises. Il fallait renforcer les moyens de cette chaîne, en particulier dans le domaine de l’information. On a préféré créer une autre chaîne de télévision, France 24, qui n’est reçue nulle part ! Je voyage beaucoup et je n’ai pourtant jamais pu regarder France 24 dans un hôtel… Or cette chaîne nous coûte entre 60 millions et 80 millions d’euros par an.

M. Richard Yung. Il aurait fallu rapprocher RFI de TV5, créant un bloc efficace représentant la France internationalement.

Vous comprenez donc que nous ne soyons pas enthousiastes à l’égard de cette proposition concernant RFI. De surcroît, nous nous demandons pourquoi elle figure dans une loi de modernisation de l’économie.

Vous proposez de favoriser le développement des PME en facilitant les prises de risques. Il s’agit de permettre aux sociétés – SARL, SA et SAS – d’opter, durant les cinq premières années de leur existence, pour un régime fiscal de société de personnes, afin que les associés puissent déduire de leurs revenus personnels une partie des pertes constatées.

Cette disposition aurait certes pour effet de réduire le risque pour l’épargne familiale investie dans de nouvelles sociétés, mais, à mes yeux, elle ne constitue pas une réponse à la question fondamentale du financement des PME, qui est l’une des principales difficultés économiques et structurelles françaises.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Richard Yung. Plusieurs de mes collègues ont évoqué l’exemple de l’Allemagne. La grande force de l’économie allemande, c’est que ses PME – on les trouve partout dans le monde – disposent d’un système de financement très décentralisé, car né de la base.

M. Richard Yung. En France, comme vous le savez, la moindre demande de crédits doit remonter au chef-lieu de département ou à Paris.

Vous proposez également d’alléger les peines des chefs d’entreprise et de ceux qui sont engagés dans l’activité économique lorsqu’ils ont été condamnés pour des actes graves. C’est pour le moins surprenant dans le contexte de la politique que conduit votre gouvernement, où Mme le garde des sceaux nous présente tous les trois mois une nouvelle loi alourdissant les peines, doublant les délais ou créant des peines planchers. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Il y a deux poids deux mesures !

M. Jean Desessard. Deux classes deux mesures !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Allons !

M. Richard Yung. Nous avons déjà évoqué la question de la suppression du rôle des commissaires aux comptes. Je pense que nous en débattrons sur le fond.

MM. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Oui !

M. Richard Yung. Je suis de ceux qui pensent que la fonction de commissaire aux comptes est essentielle pour la confiance et la clarté des relations économiques et financières.

M. Richard Yung. Nous verrons dans le débat ce qu’il en est.

En outre, la création d’une carte de résident de dix ans attribuée aux étrangers qui « apportent une contribution économique exceptionnelle à la France » participe d’une vision utilitariste de l’immigration. Pis, elle établit une hiérarchie entre des étrangers selon que leur « apport » est d’ordre intellectuel ou pécuniaire.

Enfin, je regrette que le projet de loi n’instaure pas l’action de groupe. Vous aviez pourtant annoncé en décembre la création de cette procédure dans le cadre d’un projet de loi en faveur des consommateurs, mais elle est remise à plus tard, avec le projet de loi de dépénalisation du droit des affaires, ce qui n’est pas probablement pas le meilleur service à rendre à l’action de groupe.

Je pourrais citer d’autres exemples, mais, vous l’aurez compris au vu de ces remarques et de celles que les collègues de mon groupe ont déjà formulées, nous sommes pour le moins réservés sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.

M. Philippe Leroy. Madame le ministre, votre loi va dans le bon sens. Moderniser, libérer l’économie relève non pas d’une grande loi, d’un seul concept, mais d’une foule d’actions convergentes, qui s’additionnent et créent un climat de progrès.

M. Jean Desessard. De qui l’économie était-elle prisonnière ?

M. Philippe Leroy. Comme vous le savez, libérer revient à agir dans de multiples domaines. Madame le ministre, ne vous laissez pas impressionner par ceux qui souhaitent de grandes lois conceptuelles qui ne seraient que des textes idéologiques. La pratique, en économie, exige d’agir dans le détail.

M. Daniel Raoul. Preuve que non !

M. Philippe Leroy. D’ailleurs, le Bon Dieu et le diable sont dans les détails.

M. Philippe Leroy. Je voudrais, dans un premier temps, m’en tenir à un seul point : la modernisation de l’économie passe par la qualification de nos territoires. Selon moi, les réseaux d’initiatives publiques en matière de télécommunications ou de communications électroniques appartiennent aux infrastructures indispensables à la qualification d’un territoire, au même titre que les routes, l’eau et l’électricité.

En tant qu’ancien aménageur du territoire, je sais combien les collectivités locales ont permis l’égalité de tous les Français face aux aménagements en eau, électricité et téléphone. Cela a été possible grâce à l’engagement des collectivités locales, de l’État et, peu à peu, de partenaires privés.

Au cours des dernières années, nous avons constaté, en France, un progrès significatif en matière d’accès au haut débit ou au moyen débit, de deux à quatre mégabits. Ce progrès, à la fois par le nombre d’abonnés et par la qualité de la concurrence qui a permis une baisse des prix, est le fruit de l’action conjuguée d’opérateurs privés, d’opérateurs traditionnels, dénommés opérateurs historiques, et des collectivités locales.

Dans ce domaine, le Sénat a joué un grand rôle, en votant, en 2004, l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales…

M. Philippe Leroy. …qui permettait aux collectivités locales de s’inscrire en partenaires dans des projets, presque à égalité avec les opérateurs privés. C’est la conjonction des deux secteurs, privé et public, qui permettra d’aboutir rapidement à la couverture nationale souhaitée en haut débit et en très haut débit.

Je voudrais prendre la défense de ces réseaux d’initiatives publiques, car, souvent, on pense que la libre concurrence et l’initiative privée peuvent suffire à équiper le pays. C’est impossible, mes chers collègues ! Nous attendons depuis des années que la totalité du territoire soit pourvue en réseau de téléphonie mobile de deuxième génération. Certes, il reste seulement quelques centaines de communes à équiper. Cependant, l’initiative privée ne peut pas systématiquement satisfaire l’égalité des Français devant certains services actuels.

Aujourd’hui, les services des collectivités locales ont permis de lancer quatre-vingt-cinq projets dont cinquante-six sont déjà opérationnels. Ces dispositifs couvrent deux milliards à trois milliards d’euros d’investissement. Aucun acteur du secteur privé n’aurait pu engager une telle somme afin de déployer vingt mille kilomètres de fibre optique. Aucun n’en avait les moyens. (M. Daniel Raoul acquiesce.)

Nous nous interrogeons actuellement sur la nécessité de pourvoir les entreprises françaises et les particuliers du très haut débit. Dans ce cadre, il ne faut pas répéter les erreurs du passé. Nous devons permettre, dans le domaine du très haut débit, la même réussite que celle que nous avons connue dans le domaine du haut débit : l’égalité entre les partenaires publics et privés, l’établissement d’une saine concurrence entre eux afin que personne ne bénéficie d’une rente de situation, d’un monopole ou d’une position privilégiée. (M. Daniel Raoul sourit.)

J’ai dit voilà un instant que le diable est dans les détails. Un simple brin de paille, une petite disposition législative à laquelle personne ne comprend rien tant le domaine est technique,…

M. Philippe Leroy. …suffit à créer des situations de freinage ou de disjonction des concurrences, et il faut, parfois, plusieurs années pour y remédier.

C’est pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements auprès de notre commission spéciale, qui réalise un excellent travail. D’ailleurs, certains d’entre eux ont été imaginés, en parallèle, par la commission. Nos points de convergence sont donc nombreux.

Les amendements que j’ai présentés sont hélas ! nombreux, car le sujet est très technique. Ils ont pour objet d’éviter que certains opérateurs ne bénéficient de rentes de situation et que la concurrence ne soit freinée, ce qui pourrait bloquer le développement du très haut débit. En effet, nous avons connu des phénomènes de cette nature avec le haut débit et il faut faire en sorte qu’ils ne se reproduisent pas.

Par ailleurs, il faut prendre en compte les réseaux d’initiatives publiques, afin qu’ils soient reconnus à égalité avec les autres réseaux et de façon à rappeler le caractère de propriété publique de la plupart des réseaux réalisés ou à réaliser dans le cadre des différentes procédures en cours. Il faut améliorer le pouvoir de résolution des conflits par l’ARCEP. Un technicien juge de paix, ayant l’autorité de régler les conflits, est indispensable.

Enfin, il faut permettre aux collectivités publiques de récupérer l’utilisation des réseaux câblés et des fourreaux en cas de désaccord. Il est parfois amusant de constater que certains opérateurs de télécommunications « squattent » des installations publiques et gênent le libre développement. Dans ce domaine également, certains points doivent être réexaminés.

J’en viens à deux points liés à des combats anciens.

En matière de haut débit, c’est-à-dire une information transmise par fils de cuivre, un accès libre à la « sous-boucle locale » est nécessaire pour offrir le dégroupage et une efficacité en haut débit à tous les abonnés situés trop loin des NRA, les nœuds de raccordement d’abonnés.

Nous sommes en train de dégrouper la plupart des NRA de France. Nous devons désormais débloquer les sous-boucles locales pour permettre aux abonnés les plus éloignés des centraux téléphoniques d’obtenir le haut débit. Ce combat vise bien à réparer des situations antérieures et, sur ce sujet, nous devons aussi exiger des opérateurs historiques une certaine honnêteté commerciale.

D’autre part, et là encore pour réparer des injustices, il faut réaliser les installations de téléphonie mobile des quelque trois cents à quatre cents communes qui ne sont pas encore équipées. Il faut en finir, indépendamment des querelles techniques. Car, vous le savez bien, sous des termes techniques – itinérance, partages d’antennes –, on dissimule le refus de certains opérateurs d’investir là où les clients sont peu nombreux.

Les quelques idées que je développe, ici, sont reprises dans des amendements de bon sens que je crois partager avec un certain nombre d’entre vous.

Je souhaite évoquer un tout autre sujet, madame le ministre, pour vous aérer un peu. Je préside, au Sénat, le groupe d'études forêt et filière bois. Les secteurs de la forêt et du bois peuvent réveiller une partie de l’économie. Ils offrent des ressources extraordinaires.

Je voudrais présenter trois amendements qui nous permettraient d’exploiter plus de bois en France. J’ai présidé le comité opérationnel « forêt » du Grenelle de l’environnement. En France, nous devons couper dix millions à quinze millions de mètres cubes supplémentaires de bois, tout en améliorant la forêt. Outre cet aspect lié au développement durable, il s’agit surtout de dégager des ressources économiques et financières importantes.

Par ces trois amendements, il s’agit de libérer la forêt. Le premier a pour objet de libérer, sur le secteur des forêts privées, les tout petits propriétaires qui, faute de moyens et de connaissances, ne peuvent pas mettre leurs produits sur le marché. Il faut donc fournir une plus grande puissance d’action aux groupements des petits propriétaires.

Le second amendement tend à permettre à l’Office national des forêts de mobiliser plus facilement des petites forêts communales. Les maires, dont la commune détient des petites forêts communales, présentent des lots de faible quantité sur le marché, ce qui engendre peu, voire aucun, intérêt. Il faut donc autoriser l’Office, qui gère ces forêts communales, à regrouper ces ensembles afin de pouvoir accéder à des marchés plus importants.

Enfin, le troisième amendement vise à permettre, par la loi, la poursuite des actions engagées en matière de transport de bois. Le prix du transport, dans le secteur, est redoutable. Il représente, parfois, 30 % à 40 % de la valeur du produit en entrée d’usine. Afin de faciliter les choses, les industries du bois et les exploitations forestières peuvent actuellement faire circuler des camions chargés de plus de quarante tonnes. Un chargement plus important de bois permet de diminuer le prix du transport. Ce dispositif, mis en place sur un certain nombre d’itinéraires, fonctionne correctement.

Madame le ministre, nous demandons simplement que cette solution, qui est bonne, soit pérennisée afin de permettre à l’économie du bois de s’épanouir. C’était le quart d’heure forestier ! (Sourires.) Je tiens, avec autant de passion, à ce sujet qu’à celui des télécommunications. Je vous remercie de votre patience. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, imaginons une route de campagne où quelques véhicules passent quotidiennement. Cette route conduit à un village et croise une autre route de campagne. Quelques règles de conduite élémentaires permettent aux usagers de circuler sans se gêner. Chacun connaît les dangers. L’accident est improbable. Les conflits d’usage sont restreints et peuvent être anticipés.

Imaginons maintenant que le village, sur l’initiative de ses élus, se développe. C’est la réalité que nous connaissons dans nos campagnes, monsieur le secrétaire d’état chargé des relations avec le Parlement. D’ailleurs, vous devriez peut-être nous rendre visite plus souvent pour mieux connaître la France profonde.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je ne fais que ça !

M. Thierry Repentin. Par conséquent, les deux routes doivent accueillir des automobilistes en plus grand nombre. Elles mènent désormais à une ville et croisent de nouveaux axes de circulation. Si aucun feu tricolore n’a été installé, il est fort à parier qu’un important embouteillage apparaîtra et que plus personne n’avancera, qu’il y ait thrombose ou conflits d’usage.

En revanche, si des règles de priorité sont édictées, si des itinéraires de contournement sont imaginés, si les automobilistes sont orientés vers ceux-ci, le trafic sera fluidifié.

Entre la route de campagne et le carrefour d’entrée des villes, il a donc fallu moderniser la gestion des flux pour permettre leur accroissement sans accident. La modernisation est immanquablement passée par une régulation accrue, intelligente, permettant à chacun d’atteindre la destination qu’il a choisie.

Madame la ministre, j’ai souhaité entamer mon intervention par ce chemin buissonnier pour pointer le raccourci établi par le texte qui nous est présenté. Il n’y a guère que dans le vocabulaire gouvernemental que les mots « modernisation » et « dérégulation » sont synonymes !

Hélas ! pour les Français, le projet de loi de modernisation de l’économie s’avère être une entreprise de dérégulation aux conséquences non évaluées. Par conséquent, on ne peut exclure que celles-ci soient périlleuses.

J’en donnerai deux exemples : l’urbanisme commercial et le livret A.

Après un pouvoir d’achat à peine maintenu en 2007 et alors que l’énergie et le logement poursuivent leur flambée, les Français sont confrontés à la vie chère, au quotidien. Leurs dépenses contraintes s’alourdissent, les salaires ne décollent pas : leur reste à vivre se tarit !

Pis, la défiscalisation des heures supplémentaires, symbole du « travailler plus pour gagner plus », se révèle être un gouffre pour l’État et un leurre pour les salariés. Il n’est donc que temps, après la pluie de cadeaux fiscaux distribués l’été dernier par loi TEPA, de s’employer à améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens, par exemple en modérant les prix des biens de consommation courante.

Vous me rétorquerez que l’on est en plein dans le sujet. Je vous répondrai à mon tour que nous sommes d’accord sur l’objectif. Toutefois, le raisonnement employé pour justifier les mesures qui en découlent est spécieux. On le résume souvent à tort par l’idée que « plus de concurrence égale baisse des prix ». Parlez-en aux gros consommateurs d’électricité ! Ce n’est pourtant pas le fondement de l’article 27, qui a été rédigé autour de l’idée selon laquelle « plus d’opérateurs égalent baisse des prix ». Or cela ne se vérifie pas.

Premier élément : le marché français serait, selon vous, particulièrement fermé aux distributeurs étrangers, notamment au hard discount, d’où des prix élevés. Or s’il est un point commun à tous les marchés développés, c’est la faible internationalisation de la distribution. Quelle que soit la nationalité de l’entreprise, les grands distributeurs réalisent en moyenne 80 % de leur chiffre d’affaires dans leur zone domestique.

Deuxième élément : seule la France entraverait la liberté d’installation des enseignes commerciales. Là encore, il n’y a nulle spécificité française. En Grande-Bretagne, en Italie, ou encore aux Etats-Unis que vous aimez souvent citer en exemple, l’urbanisme commercial est réglementé et l’on ne peut s’installer n’importe où. Les servitudes varient souvent d’un pays à l’autre, mais elles existent toujours.

Troisième élément : davantage de grandes et moyennes surfaces entraîneraient une baisse mécanique des prix.

Depuis la première loi Dutreil, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de vouloir libéraliser les implantations. Mais alors pourquoi les prix ont-ils continué à augmenter durant toute cette période ? Peut-être parce que le jeu des acteurs, dans lequel, hélas ! tout le monde ne gagne pas, permet de faire vivre plusieurs distributeurs sans pour autant qu’il y ait entente explicite, simplement par observation économique et similarité de comportements rationnels. D’autres secteurs que la distribution en font régulièrement l’illustration, telle la téléphonie mobile.

Ainsi, le risque est grand de voir, à l’article 27 du projet de loi, sacrifier les territoires à la chimère d’une concurrence qui deviendrait vertueuse.

Je le dis avec la conviction de l’élu local, si décrié par certains grands distributeurs : l’aménagement commercial doit être cohérent avec l’aménagement du territoire.

Le risque d’incohérence est double dans le texte que vous nous proposez.

Incohérence sociétale d’abord : les usages commerciaux changent. Le temps passé dans les centres commerciaux pour les courses alimentaires ne cesse de diminuer depuis trente ans. Le désamour des grandes surfaces se traduit aussi par la baisse du nombre de visites annuelles : on s’y rendait quarante-trois fois par an en 1999, contre trente-sept fois en 2004. Or on ne construit pas des supermarchés, des hypermarchés et autres enseignes spécialisées pour cinq ou six ans seulement. Il est indispensable de s’interroger sur le devenir des implantations nouvelles en regard de l’évolution des pratiques commerciales et des modes de vie.

Incohérence urbaine ensuite : grâce aux documents de programmation que sont les schémas de cohérence territoriale, de nombreux territoires ont veillé à garantir une certaine mixité des fonctions urbaines. Habitat, commerce, activité, transports, loisirs sont étroitement liés. Plus leurs interconnexions sont nombreuses, plus la qualité de vie ressentie par les habitants est grande.

Alors qu’il est indispensable de calibrer certaines infrastructures en fonction des équipements, notamment commerciaux, je m’inquiète de voir surgir du paysage des surfaces commerciales sans desserte de transports en commun, d’assister à l’aggravation de l’étalement urbain ou encore au mitage des périphéries. Qu’est-ce qui justifie cette défiance à l’égard de l’action régulatrice des élus territoriaux ?

D’ailleurs, là encore, la question de la durabilité de l’implantation commerciale est posée : le nombre de défaillances de magasins a augmenté de 36 % en 2007 et avoisine la barre des 100 défaillances pour les hypermarchés et les supermarchés, lesquels, particulièrement concernés par le relèvement du seuil à 1 000 mètres carrés, ont vu leur sinistralité augmenter de 51 % en 2007.

En tout état de cause, le seuil de 1 000 mètres carrés est à ces titres trop élevé. Une régulation intelligente doit pouvoir être imaginée à un seuil plus acceptable, permettant à la fois aux élus de faire valoir une vision pluriannuelle du devenir des territoires et aux investisseurs de mieux adapter leurs projets aux attentes des autorités locales et des consommateurs. Et ce n’est pas le droit de préemption des maires que vous créez dans le même texte qui nous rassure, car ce droit sera inopérant faute de moyens financiers.

De même, dans la rédaction actuelle du projet de loi, de graves incertitudes demeurent sur la doctrine grâce à laquelle les CDAC pourront statuer. C’est pourquoi le groupe socialiste proposera de renforcer le caractère à la fois partenarial, programmatique et prescripteur des schémas de cohérence territoriale en matière commerciale, notamment en rendant obligatoire ce volet lors de l’élaboration du SCOT.

Les SCOT, étroitement liés aux bassins de vie, représentent à nos yeux l’échelon pertinent pour déterminer, y compris, si les élus le souhaitent, secteur par secteur, le type de commerce autorisé ainsi que les surfaces visées en fonction des besoins repérés et de la logique d’aménagement du territoire.

Bien entendu, l’articulation devra être assurée à l’échelon communal avec les plans locaux d’urbanisme. Le maire, appelé à délivrer in fine le permis de construire, et le président du SCOT doivent veiller conjointement, en liaison avec l’EPCI compétent en matière économique, à rapprocher l’offre des consommateurs tout en garantissant les équilibres fonctionnels, la qualité environnementale des équipements et la durabilité des aménagements.

Je ne peux clore le sujet de l’urbanisme commercial sans vous faire part de mon interrogation sur le fait que le Parlement est invité à légiférer sur des dispositions en matière commerciale dont le Gouvernement n’a pas estimé nécessaire d’évaluer l’impact, au point de nous annoncer il y a quelques jours qu’un autre projet de loi suivra, dans quelques mois, pour apporter les ajustements nécessaires. Comprenne qui pourra !

Il eût été de bonne politique d’approfondir la prospective, de prendre le temps de réfléchir et de travailler ensemble sur les dispositifs, plutôt que de s’y reprendre à deux fois dans un délai si rapproché, au risque de multiplier les contentieux.

Une précipitation similaire s’observe sur un autre sujet qui tient à cœur au groupe socialiste, je veux parler de la réforme du livret A.

Madame la ministre, le livret A, créé en 1818, a été « modernisé » à chacune des étapes de l’évolution du mode de vie des Français et de l’économie de notre pays. Pourtant, le texte que vous nous proposez aujourd’hui s’inscrit en fondamentale rupture avec la philosophie politique et la tradition qui font du livret A le premier livret d’épargne populaire accessible à tous.

Accessible, il le fut tout d’abord aux travailleurs afin qu’ils puissent mettre quelque argent de côté tout en participant au rétablissement de l’économie. Puis, il fut le premier compte bancaire accessible aux femmes sans la tutelle de leurs maris.

Tout cela perdure jusqu’à aujourd’hui pour qui veut préparer l’avenir de ses petits-enfants, pour qui veut placer son épargne tout en contribuant – sans le savoir – au logement pour tous, ou pour qui a besoin d’un compte alors qu’il est interdit bancaire.

Alors, vous nous direz, comme vous n’avez eu de cesse de le répéter à l’Assemblée nationale, que la banalisation nous est imposée par la Commission européenne au titre de la libre concurrence et que nous n’avons pas d’autre choix que de l’appliquer, ou encore que le livret A « s’essouffle » et qu’il faut le réformer.

De grâce, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, ne faites pas porter à la Commission des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Il faut cesser de vous cacher derrière les exigences de l’Union européenne, car en réalité vous allez bien au-delà de ce qui nous est demandé par Bruxelles.

Tout d’abord, vous n’attendez même pas la décision concernant le recours que vous avez vous-mêmes déposé et dans lequel – dois-je vous le rappeler ? – vous expliquiez les dangers que représenterait la banalisation pour l’encours de la collecte et donc pour le financement du logement social. Ce recours a pourtant toutes les chances d’aboutir en raison du service d’intérêt général qui justifie la mise en place du duopole dont disposent aujourd’hui La Poste et la Caisse d’épargne, seuls établissements habilités à proposer un livret A.

Mais non ! Vous préférez non seulement anticiper la décision et annoncer d’ores et déjà l’abandon de votre recours, mais en plus banaliser le livret A à votre manière en faisant des cadeaux au lobby des banques.

Ensuite, vous ouvrez la possibilité à toutes les banques d’ouvrir des livrets sans leur imposer les mêmes obligations de service que celles qui s’imposent aujourd’hui à La Banque postale. Les banques ne seront donc pas contraintes d’ouvrir un livret à toute personne en faisant la demande, et les détenteurs de livrets ne seront pas assurés de la gratuité de leurs transactions.

Cette interprétation bien subjective de ce que nous demande l’Union européenne aura pour résultat de creuser encore un peu plus le fossé entre les détenteurs de livrets les plus aisés et les plus modestes. Car celui qui se verra refuser l’ouverture d’un livret devra s’adresser, comme le prévoit le texte que vous nous présentez, à la Banque de France pour se faire indiquer l’endroit où l’on voudra bien de lui. Quel parcours ! Quelle simplification ! Quelle libération d’énergie !

Avec ce texte, vous dites encore un peu plus aux pauvres et à ceux qui sont déjà exclus de toutes parts : « allez là où l’on vous accepte, allez à La Banque postale ; vous n’êtes pas forcément les bienvenus ailleurs ! ». Ainsi, vous mettez fin à un livret solidaire fondé sur la péréquation entre la minorité des livrets dits « confortables » et la majorité des très petits livrets. Dès lors, vous réinsérez plus de stigmatisation.

Je sais que La Poste ne peut refuser d’ouvrir un livret A. Mais lorsqu’on a l’ambition d’une véritable réforme, on ne peut se replier sur ce type d’argument. Si vous vouliez être fidèles à une véritable idée de la concurrence libre et non faussée, vous procéderiez à une banalisation dans les mêmes conditions pour toutes les banques. Vous chercheriez par la même occasion à donner un signal fort à nos compatriotes qui nous regardent en disant qu’il n’y aura pas une banque pour les pauvres et des banques pour les autres.

C’est contre cette interprétation de la banalisation que nous présenterons quelques amendements, afin de respecter les conditions d’une concurrence, certes, mais d’une concurrence juste pour tous et non fondée sur le principe de l’exclusion sociale.

La deuxième initiative que vous avez prise de votre propre chef est de mettre fin à la centralisation totale de la collecte. Pourquoi, alors que ce système présente nombre d’intérêts ?

Il est autonome. La collecte du livret A permet de financer le logement social sans faire appel au budget de l’État.

Il évite de recourir à l’endettement public et présente un coût inférieur à celui de la dette publique.

Il ne dépend pas des arbitrages budgétaires et des aléas du marché.

Il permet de transformer l’épargne liquide de court terme de nos concitoyens en prêts de très long terme au profit de nos territoires.

Il dégage chaque année un excédent de gestion d’environ 2 milliards d’euros prélevé au titre de la garantie de l’État. Cet excédent encaissé par l’État dépasse chaque année très largement le coût fiscal de la non-imposition des intérêts. Ainsi, depuis 1982, cette part d’excédent a permis à l’État de ponctionner, grâce au livret A, 70 milliards d’euros. Franchement, des niches fiscales aussi lucratives pour l’État, vous auriez tout intérêt à les multiplier !

Alors, pourquoi toucher à l’équilibre de ce mode de financement en réduisant la centralisation des fonds à 70 %, comme vous nous le dites oralement sans pourtant le garantir par la loi ? Les banques, soit dit en passant, seront mieux rémunérées demain que ne le sont les opérateurs historiques. Voilà un point qui devrait intéresser l’Europe !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Repentin !

M. Thierry Repentin. S’il y avait une limitation du financement du logement social, les collectivités locales, qui sont en première ligne, se verraient contraintes de prendre le relais de l’effort public en faveur du logement.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous n’acceptons pas vos explications fondées sur des interprétations très particulières de la décision européenne concernant la banalisation du livret A. Nous acceptons encore moins celle que vous faites de la « modernité », sacrifiant l’un des rares systèmes financiers vertueux et avantageux pour tous dont nous disposons aujourd’hui.

J’ajoute un dernier mot…

M. le président. Non, monsieur Repentin !

M. Thierry Repentin. …sur les seuils.

Madame la ministre, vous nous trouverez vigilants et combattifs afin que, une fois encore, les collectivités locales ne soient pas sacrifiées en raison du versement transport ou du fonds national d’aide au logement, car ce qui manquera à ces deux fonds ne pourra être trouvé qu’au sein des budgets des communes et de leurs groupements. Cela n’est pas acceptable ! Par le passé, lorsque l’État a souhaité relever des seuils, il a concomitamment compensé les pertes de recettes.

M. le président. Monsieur Repentin, n’épuisez pas tout le temps de parole de votre groupe !

M. Thierry Repentin. Madame la ministre, vous nous disiez « France is on the move ». Du point de vue de la boulimie législative, je suis d’accord. Du point de vue de l’état des collectivités locales sur le territoire desquelles s’enchaîneraient les réformes, on a plutôt le sentiment d’être souvent on the road again.

J’en reviens donc – la boucle sera bouclée – aux nécessaires régulations qui font grandement défaut aux routes sur lesquelles vous proposez à notre pays de s’engager. Nous serons là à chaque intersection pour vous rappeler que nul ne doit rester au bord de la route, ni les petites surfaces commerciales, ni les élus qui souhaitent être maîtres du développement des territoires, ni les autorités organisatrices de transport, ni le monde HLM, pour ne m’en tenir qu’aux sujets que j’ai développés en complément de mes collègues Daniel Raoul, Nicole Bricq et Richard Yung.

M. le président. Mon cher collègue, vous n’avez pas fait de cadeau à M. Desessard.

M. Thierry Repentin. J’ai respecté mon temps de parole : je disposais de seize minutes, et j’ai parlé pendant quinze minutes et quarante-huit secondes !

M. le président. Certes, mais il ne reste plus beaucoup de temps de parole à M. Desessard. Il lui faut donc se préparer à être bref.

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame le ministre, vous nous avez demandé de continuer à travailler dans la bonne humeur. Vous pouvez compter sur nous ! Il n’y a en effet aucune raison de travailler dans la mauvaise humeur, surtout que ce texte répond à de multiples attentes des forces vives de la nation. Les réactions multiples montrent à l’évidence qu’il était nécessaire, même s’il bouscule les habitudes.

Auparavant, permettez-moi de réagir vivement à un sujet d’actualité qui pourrait paraître éloigné du texte, mais qui, en réalité, est l’un des facteurs de réussite du projet de loi et de la mise en application des nombreuses mesures qu’il contient.

Le Gouvernement doit arrêter de souffler le chaud et le froid et être clair sur l’avenir que l’on réserve aux collectivités locales.

Puis-je me permettre d’insister sur la nécessité qui est la vôtre d’avoir les collectivités à vos côtés ?

La démagogie ambiante sur ce sujet, probablement organisée par une administration d’État « mal dans sa peau », n’est pas productive. Elle est contre-productive.

Il ne faudrait également pas laisser perdurer l’idée que les collectivités locales seraient les grandes responsables des déficits publics.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Éric Doligé. Par rapport à votre projet de loi, permettez-moi de vous donner à réfléchir, au moins en ce qui concerne les conseils généraux, qui sont clairement fléchés.

Xavier Bertrand a laissé entendre qu’il faudrait peut-être prendre en compte les éléments portés par Jacques Attali. Aussitôt, Alain Marleix a rattrapé la déclaration en précisant qu’il n’était aucunement question d’une suppression du département. J’aimerais que le Gouvernement soit clair sur ce point.

Je vous laisse le soin de mettre en perspective votre texte sans ce niveau de collectivité.

L’attractivité économique du pays est un élément essentiel pour attirer des entreprises et aider à en créer. Tous les élus ici présents savent fort bien que les entreprises ne viennent s’implanter sur nos territoires que si ceux-ci sont attractifs.

Qui rend attractif le territoire ? À l’heure actuelle, certainement pas l’État, avec ses multiples contraintes ! Qui rend plus fluide les communications ? Qui modernise le territoire ? Qui installe le haut débit, voire le très haut débit ?

M. Jean-Pierre Bel. Le département !

M. Éric Doligé. Notre collègue Philippe Leroy a expliqué longuement tout cela il y a quelques instants. Qui est en pointe sur les pôles de compétitivité ? Qui est le partenaire naturel des chambres consulaires ?

Si j’avais eu le temps, j’aurais établi un tableau comparatif : dans une colonne, j’aurais mis votre texte et ses mesures, et dans l’autre, j’aurais inscrit le rôle des collectivités.

M. Thierry Repentin. Ne soyez pas cruel !

M. Éric Doligé. Je pense que vous seriez surprise, madame la ministre, de constater qu’elles sont présentes partout.

Alors ne laissez pas condamner un niveau particulier, tout simplement peut-être parce qu’il est probablement votre meilleur allié. Je peux vous certifier qu’il vaut mieux que l’on soit avec vous que contre vous, en ce domaine comme dans bien d’autres.

Gérard Larcher disait voilà quelques heures qu’une meilleure couverture des territoires en haut débit est nécessaire et qu’il faut donner aux élus du territoire les moyens d’aménager. Je peux vous dire que si nous avions attendu dans les départements, en général, et dans le mien, en particulier, que l’État mette en place le haut débit, nous serions dans un désert de communication. (Mme Muguette Dini applaudit.)

M. Bruno Retailleau. C’est clair !

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. Éric Doligé. Vous savez pour être venue à plusieurs reprises visiter des entreprises, que le département est à l’origine de leur grand développement.

Je vous prie, madame la ministre, de bien vouloir m’excuser d’avoir passé sur vous une partie de la mauvaise humeur des 102 présidents de conseils généraux fatigués de ce harcèlement gouvernemental. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. On apprécie !

M. Éric Doligé. Attendez, je vais me rattraper ! (M. Jean Desessard s’exclame.) Mais il fallait que ce soit dit : il convient de faire passer certains messages de temps en temps !

J’en arrive maintenant à l’expression de la bonne humeur.

Projetons-nous vers le futur et arrachons les boulets que traînent nos entreprises et qui empêchent les citoyens de se réaliser économiquement.

Dans votre texte, vous brisez heureusement de très nombreuses chaînes.

La première est celle qui empêchait le citoyen de créer facilement son entreprise. Avec le statut de l’auto-entrepreneur individuel, vous allégez, fiscalement grâce au prélèvement fiscal libératoire, mais aussi socialement, avec le rescrit social pour le régime des indépendants et avec son extension, ainsi qu’administrativement, avec les dispenses d’immatriculation à divers registres, sans pour autant mettre en difficulté les chambres de métiers, qui, à juste titre, peuvent s’inquiéter.

Il faut veiller à ce qu’ainsi nous ne déséquilibrions pas nos chambres Peut-être faudrait-il, à terme, réfléchir à leur financement et à la juste répartition de la taxe d’apprentissage.

Une autre chaîne brisée est l’assouplissement dans le changement d’usage des locaux. Il sera nécessaire d’améliorer un peu le texte lors de nos débats.

Il faut également inscrire à l’avantage des petites entreprises l’élargissement du champ des biens insaisissables.

Depuis des années, nous souhaitons tous revoir les effets de seuil. Personne n’a osé le faire. Heureusement, ce texte le prévoit dans certains domaines. Comme mon collègue Bruno Retailleau l’a souligné, nous aurions pu réfléchir au seuil des cinquante salariés qui est destructeur.

Bien sûr, je ne passerai pas en revue toutes les améliorations de ce texte, car elles sont nombreuses.

J’aimerais insister encore sur quelques points qui ont déjà été repris par certains de mes collègues.

Mme Goulet a justement insisté sur les blocages concernant les droits de séjour pour les étrangers. Une amélioration est proposée pour les droits de séjour de ceux qui peuvent apporter à la France une contribution économique.

À Shanghai, j’ai rencontré des investisseurs chinois qui n’arrivaient à venir en France qu’après un mois de tracasseries. Il est plus facile d’aller en Chine pour un Français que pour un Chinois de venir en France.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Tout à fait !

M. Éric Doligé. En Inde, j’ai fait des pieds et des mains pour permettre à un Indien d’investir dans mon département et d’y créer une entreprise certainement prometteuse.

Pour que des dirigeants japonais viennent deux ans dans notre pays pour diriger d’importantes entreprises, nous leur imposons de faire des heures de file d’attente, avec des personnes en situation délicate.

Les Tunisiens que j’ai pu rencontrer à Tunis, qui sont francophones et francophiles, et qui ont fait leurs études en France il y a trente ans, préfèrent envoyer leurs enfants suivre leurs études en Roumanie, où se trouvent des écoles françaises parallèles, ou aux États-Unis. C’est un vrai gâchis. Il faut remédier à cette situation. Le texte ne va pas assez loin. Il faudrait aller plus au fond sur ces sujets.

Un autre point que je souhaite aborder concerne les commissaires aux comptes. Ils ont été très inquiets, pour ne pas dire plus, à la suite de la proposition du texte d’origine qui prévoyait de retirer du champ de leurs compétences une partie des petites entreprises. Des compensations fort intéressantes leur ont été proposées. Elles sont d’ailleurs très positives.

La TACA a été maintes fois évoquée. Un peu comme la vignette du temps de Ramadier, cette taxe avait été créée dans un but précis. Peu à peu, elle a été confisquée et une part seulement est allée véritablement à l’aide au commerce par le biais du FISAC.

Des amendements intéressants permettront de sanctuariser une somme qui, probablement, avoisinera 100 millions d’euros. Pour moi, il devrait s’agir non pas d’un plafond, mais d’un plancher.

Nous savons tous qu’il existe de vrais projets au niveau du commerce et de l’artisanat, et que les collectivités locales ont su mettre en œuvre le FISAC dans l’intérêt du commerce local. Il faut faire tomber certains verrous.

Pour ne pas allonger mon propos, je conclurai en évoquant deux points : la négociabilité et les conditions de paiement.

Je me réjouis que la négociabilité ait enfin été reconnue comme nécessaire. En 2007, je vous l’avais ici même demandée. Il m’avait été répondu que c’était trop tôt et que cela allait venir. Vous avez tenu votre promesse. Je vous en remercie.

La France ne peut pas, dans de trop nombreux domaines, toujours se singulariser en allant à contre-courant. Il y a encore trop de secteurs où nous n’avons pas eu le courage de faire le saut. J’en citerai trois : l’ISF, la négociabilité et les conditions de paiement. Nous en réglons deux. C’est un progrès. Vous vous doutez néanmoins que j’aimerais que l’on arrive à régler également le troisième !

En ce qui concerne la négociabilité, je pense que nous avons su imaginer quelques garde-fous. Il faudra en ce domaine accepter d’organiser un débat parlementaire sur l’Autorité de la concurrence.

Pour ce qui est des conditions de paiement, Philippe Marini nous a dit il y a quelques instants que, jeune débutant auprès du gouvernement, il avait reçu une mission sur le crédit fournisseurs. Après trente ans, nous faisons enfin un grand pas en avant. Il ne faudra pas en rester là.

Madame la ministre, j’espère que vous vous souviendrez du début de mon propos et de mon agacement. J’espère que vous vous souviendrez également de ma satisfaction devant une véritable avancée qui devrait permettre d’améliorer le pouvoir d’achat et les conditions de la compétitivité. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas sûr !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, vous pourriez faire respecter le temps de parole de chacun au lieu de restreindre le mien !

M. le président. Je fais respecter le temps de parole des groupes !

M. Jean Desessard. Au-delà ou en dépit des couacs médiatiques et des déclarations contradictoires entre les ministres, il faut reconnaître à ce gouvernement une continuité dans sa politique, qui repose sur deux axes centraux : adapter à marche forcée la société française à la mondialisation, et pour ce faire déréglementer au niveau social et économique ; orienter le système politique français vers un régime présidentiel.

Il faut également reconnaître à ce gouvernement un talent de communication, puisque cette politique de dérégulation porte le nom de « modernisation ».

Tout d’abord, nous avons eu l’été dernier la « modernisation » fiscale illustrée par le paquet de la loi TEPA, soit un vrai cadeau de 15 milliards d’euros aux plus riches.

Puis nous avons eu la « modernisation » de la Constitution, ou plutôt la « présidentialisation » du régime.

Ensuite, nous avons eu la « modernisation sociale », c'est-à-dire la suppression des différents régimes de protection sociale.

Aujourd'hui, le Président de la République et le Gouvernement s’attaquent à une prétendue modernisation économique, qui n’est en fait qu’une adaptation aux règles, ou plutôt à l’absence de règles, de la mondialisation économique.

Demain, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, vous nous proposerez la modernisation de l’audiovisuel, ou « comment l’Élysée pourra contrôler l’ensemble des médias français », suivant l’exemple de Berlusconi en Italie.

M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !

M. Jean Desessard. Madame la ministre nous précise que ce projet de loi de « modernisation » de l’économie a trois objectifs : débrider la croissance, créer de l’emploi et baisser les prix.

Le Gouvernement cherche à atteindre 0,3 point de croissance. Madame la ministre, il y a un an, vous étiez plus optimiste et vous nous aviez annoncé plus de gain de croissance !

Le Gouvernement cherche également à créer 50 000 emplois supplémentaires. Par quels moyens y arrivera-t-il, sinon par le travail précaire et sous-payé, qui remplace les postes en CDI ?

Le Gouvernement cherche enfin à redonner plus de pouvoir d’achat aux Français.

Ce qui est bien avec ce gouvernement et cette majorité, c’est leur maîtrise de la communication. Après avoir dit aux Français dans une campagne de publicité qu’ils se trompaient, qu’ils ne savaient pas compter et qu’ils avaient plus de pouvoir d’achat qu’hier, vous lancez aujourd’hui la publicité permanente devant le Parlement !

Au-delà des déclarations louangeuses, voire lyriques, des rapporteurs, si nous grattons le vernis de ce texte fourre-tout, c’est la dérégulation de notre économie qui apparaît !

Du petit commerce au hard discount en passant par le statut de l’auto-entrepreneur ou par le livret A, ce texte touche à tout.

Certains points clés, comme les questions relatives à la Caisse des dépôts et consignations, auraient mérité d’être traités dans des textes spécifiques !

La Caisse des dépôts et consignations est un outil formidable pour l’action publique qu’il ne faut surtout pas banaliser. Au contraire, c’est une exception française qu’il faut préserver, voire étendre à l’Union européenne.

M. Thierry Repentin. Très bien ! C’est une bonne suggestion !

M. Jean Desessard. Au-delà du mélange des genres, ce texte est injuste.

Toutes ces mesures disparates sont, en effet, profondément déséquilibrées et ne favorisent que les intérêts de quelques minorités.

Ainsi, en favorisant leur installation, vous donnez la possibilité aux grandes surfaces de dominer encore plus le petit commerce, au mépris des règles d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de protection de notre environnement.

Votre volonté proclamée de défense des petits commerces ou des petits producteurs sera sans effet puisque l’idéologie de ce texte consiste en fait en une adaptation à la mondialisation économique et à la concurrence sans entraves.

Cette dérégulation à tout-va de l’économie ne s’accompagne d’aucun garde-fou ou de mesures de protections. Comme c’est le cas au fil de chacune de vos mesures, ce seront les plus faibles et les plus pauvres qui seront les premiers touchés.

Dans ce texte, ce sont les PME et le commerce local qui souffriront, alors que les grandes surfaces et les banques seront les grands bénéficiaires de la réforme.

Le consommateur-citoyen est également le parent pauvre de cette loi, et ce n’est pas en facilitant l’implantation de nouvelles surfaces commerciales qu’il verra son pouvoir d’achat augmenter.

Contraindre, par exemple, les petits producteurs de légumes du sud de la France à baisser leurs prix, ce n’est pas augmenter le pouvoir d’achat. Importer des produits de pays à faible protection sociale et écologique pour faire baisser les prix, ce n’est pas augmenter la production française. Cela revient donc à baisser le pouvoir d’achat des salariés, des citoyens français.

Il y a bien des solutions pour augmenter le pouvoir d’achat. Mais ce ne sont certainement pas celles qui sont préconisées dans le texte.

Si l’on veut vraiment s’attaquer à ce problème, il faut soit augmenter les salaires, soit diminuer les dépenses contraintes, comme le coût du logement ou des transports.

Cela ne pourra se faire que grâce à la mise en place de mesures structurelles telles que la construction rapide et à grande échelle de logements sociaux, ainsi que le développement de l’offre de transport.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est ni la réforme du livret A, appelée « modernisation du livret A » – il fallait y penser ! – ni la diminution des ressources allouées aux transports publics, comme le prévoit le projet de loi, qui soulageront nos concitoyens les plus démunis devant la flambée actuelle des prix des denrées alimentaires et de l’énergie.

Les conséquences de la mise en œuvre des mesures du présent projet de loi seront également catastrophiques en termes environnementaux.

Mon temps de parole ayant été écourté, monsieur le président, je reviendrai plus précisément sur tous ces points au cours de l’examen des articles.

En conclusion, ce texte s’inscrit dans un modèle de croissance extensive, sans fin. Il ne prend nullement en compte la finitude de notre planète et ne se soucie pas de notre qualité de vie !

Aujourd’hui, le progrès ou la modernisation, ce n’est pas courir après une croissance illusoire ; ce n’est pas se positionner sans réflexion dans la compétition économique mondiale au détriment des droits sociaux et environnementaux. Au contraire, l’anticipation du monde de demain, c’est la préservation des ressources, la planification des besoins énergétiques, l’échange et le partage à l’échelle de la planète pour la préserver. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Billout applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, favoriser l’emploi par le développement des petites et moyennes entreprises, offrir un tremplin aux entrepreneurs et à ceux qui se cherchent éventuellement une vocation d’entrepreneurs, améliorer la transmission des entreprises, réduire certaines formalités administratives, dynamiser la concurrence, consolider la place financière de Paris, développer le haut débit, ce sont autant de mesures auxquelles un libéral comme moi ne peut que souscrire.

M. Jean Desessard. Vous l’avez dit !

M. Philippe Dominati. Absolument ! Après la méfiance qui vient de s’exprimer à l’égard de la modernisation, je souhaite quelque peu équilibrer le propos.

S’agissant de la méthode, on peut effectivement comprendre les interrogations que notre collègue Daniel Raoul a exprimées cet après-midi sur la notion d’urgence, sur le délai de quelques jours dont nous avons disposé pour prendre connaissance du rapport établi par les trois rapporteurs.

Mais il faut se rappeler qu’il s’agit d’un travail de fond, engagé depuis plusieurs mois, d’abord par un groupe intercommissions, devenu une commission spéciale. Présidée par M. Gérard Larcher, cette dernière a procédé à quatre-vingt-treize auditions lors de multiples séances de travail, notamment, lorsque nous le souhaitions, avec vous-même, madame la ministre, et avec les secrétaires d’État rattachés à votre ministère, le programme d’auditions ayant été établi de manière thématique.

Après son examen par l'Assemblée nationale, le texte est passé d’une quarantaine d’articles à plus de cent vingt, et fait aujourd'hui l’objet de près de 1 040 amendements. Cela prouve l’attente, la demande, le succès qu’engendre nécessairement la modernisation de l’économie. Le Gouvernement, en l’occurrence, a eu raison de recourir à la procédure d’urgence, car il y a urgence.

S’agissant des trente propositions, très concrètes – vous en avez fait la démonstration –, qui ont été formulées, je reviendrai sur trois thèmes.

Au titre Ier, la notion de l’auto-entrepreneur, qui a suscité un certain nombre de réflexions lors des auditions en commission, est essentielle. En effet, il s’agit d’accompagner la démarche de la personne qui souhaite créer son entreprise. Mais, quel que soit l’entrepreneur, il faut l’inciter à prendre goût à l’économie, pour essayer de développer des produits, des projets. Tout ce qui peut favoriser le développement des initiatives va dans le bon sens.

Il faut donc réduire au maximum les formalités, rendre le projet le plus souple possible ; c’est une nécessité.

Je suis, pour ma part, favorable à la dynamisation de la concurrence. Il faudra donc atteindre le seuil des 1 000 mètres carrés le plus rapidement possible. Sur ce sujet, la commission fera quelques propositions. Mais le temps n’est plus vraiment aux évaluations.

Les évaluations, c’est ce qu’on nous renvoie à la figure chaque fois que l’on veut ralentir un projet, ne pas répondre à une nécessité. Il faut véritablement améliorer les choses.

Plusieurs projets de loi se sont succédé, mais il faut aller beaucoup plus loin. Nous sommes à l’ère du commerce électronique et les réserves qui sont formulées me font penser à celles qui étaient émises à propos des centres commerciaux en centre-ville il y a vingt ou trente ans.

Les sept marches de progrès qu’a définies M. Philippe Marini, rapporteur de la commission spéciale, sont évidemment essentielles pour la place financière de Paris et pour l’élue de la capitale que vous êtes, madame la ministre. Nous vous ferons des propositions qui permettront, éventuellement, d’aller plus loin dans ce domaine.

Ce texte est courageux. Pour reprendre l’expression d’un nouveau libéral, le maire de Paris,…

M. Jean Desessard. Il est social-libéral !

M. Philippe Dominati. …que nous avons en commun, et qui prône l’audace, je dirai que ce texte est audacieux.

Je ferai néanmoins deux réserves.

La première concerne les délais de paiement.

Voilà quelques années, j’ai eu l’occasion de sauver une entreprise simplement parce que, dans la relation étroite que peut avoir le chef d’entreprise avec un fournisseur, nous avions pu assurer de la trésorerie sur les délais de paiement. Les remarques qui ont été faites ici ou là sur les aménagements à apporter dans la réduction des délais de paiement sont fondées. Il ne faut pas mettre en péril un certain nombre d’activités ou d’entreprises. Ce n’est qu’en fonction du contrat existant éventuellement entre le fournisseur et le chef d’entreprise, en aménageant des délais de paiement, que l’on peut inciter le banquier à apporter de la trésorerie afin de permettre la poursuite de l’activité.

La seconde réserve que je formulerai concerne l’absence de toute suppression d’organismes, alors que plusieurs sont créés. J’aurais apprécié que le Gouvernement nous suggère quelques pistes à cet égard et chiffre les économies que nous pourrions réaliser auprès d’un certain nombre d’administrations.

Cela m’amène, en conclusion, à évoquer une proposition qui me paraît faire défaut dans ce projet de loi de modernisation de l’économie. Mais peut-être n’est-il pas nécessaire de l’inscrire dans le texte dans la mesure où elle risque d’être hors de son champ d’application. Cette proposition est toutefois le socle d’une économie moderne.

Vous avez évoqué un coût de 450 millions d’euros pour financer ce projet de loi. Or les recettes supplémentaires attendues au titre de l’impôt sur les sociétés représentent entre 2,5 milliards et 5 milliards d’euros, selon ce que l’on y inclut. Pourquoi rapprocher ces chiffres ? Parce que nous sommes le pays d’Europe où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, avec, peut-être, la Suède.

Ces prélèvements sont en effet de 4 % supérieurs à la moyenne européenne. Nos dépenses publiques représentent 52,6 % du PIB, c’est-à-dire neuf points de plus que l’Allemagne de M. Schröder, quinze points de plus que l’Espagne de M. Zapatero. Telle est la réalité.

Alors, si l’on peut faire un rêve, madame la ministre, ce serait, dans une trente et unième proposition, de baisser de 1 % par an pendant quatre ans les prélèvements obligatoires afin de rejoindre la moyenne européenne et de moderniser enfin notre économie ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean Desessard. Et le Danemark ? Au moins, vous ne vous cachez pas d’être libéral !

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est la voie de la vertu !

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame le ministre, messieurs les secrétaires d’État, madame et messieurs les rapporteurs de la commission spéciale, mes chers collègues, en nous soumettant ce projet de loi en urgence, le Gouvernement nous a présenté d’excellentes mesures, facteurs de progrès, et nous a annoncé quelques bonnes nouvelles dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Le constat de la situation économique de la France demeure cependant très préoccupant. Sans vouloir afficher un alarmisme de mauvais aloi, force est de constater que les indicateurs sont à l’orange et que nous continuons à perdre des parts de marché.

Certes l’environnement conjoncturel international est difficile, marqué par une certaine volatilité des marchés, les secousses des subprimes, la flambée des prix du pétrole et des matières premières agricoles.

Nous ne pouvons plus continuer ainsi, et il nous faut absolument, en relançant la croissance, réduire la dette publique, mettre fin à ces vingt-cinq ans de déficit budgétaire.

M. Jean Desessard. Avec 15 milliards de cadeaux fiscaux !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. D’autres pays ont réussi à réduire, voire à supprimer leurs déficits ; rien ne nous empêche d’y arriver aussi, car nous avons tous les talents indispensables à cette fin.

Nous avons un immense besoin de réformes et celles qui sont prônées à travers ce projet de loi de modernisation de l’économie, même si elles sont les bienvenues, ne vont sans doute pas encore assez loin. (M. Jean Desessard s’esclaffe.)

Nous avons, certes, déjà beaucoup progressé ces derniers mois et le Forum économique mondial, qui nous avait, en 2006, classés au vingt-huitième rang en termes de compétitivité, nous a fait gagner dix places en un an.

Les circonstances font que nous avons actuellement une « fenêtre d’opportunité » et il ne faut pas que nous manquions ce tournant.

Bravo, madame le ministre, pour cet excellent texte et pour les dispositions particulièrement novatrices et opportunes qu’il contient. Je citerai tout particulièrement les dispositions relatives à la fin des contrats, car elles me semblent essentielles.

Nous avons, en effet, la nécessité absolue d’apporter plus de flexibilité à notre droit du travail, quelque peu archaïque et suranné par certains de ses aspects.

M. Jean-Pierre Bel. Oh là là !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Comment ne pas être interpellés par le fait que, toujours selon le Forum économique mondial, nous sommes dans ce domaine cent vingt-neuvième sur cent trente et un pays ?

Il nous faut donc impérativement réformer notre code du travail en facilitant l’embauche mais aussi le licenciement (Exclamations sur les travées du groupe socialiste),…

M. Jean Desessard. Surtout le licenciement ! Cela créera des emplois ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. …car c’est la garantie d’une économie plus vivante et plus dynamique.

Nous avons déjà relativement peu de petites et moyennes entreprises alors, de grâce, laissons-leur un peu plus de liberté ! Les exemples britannique et nordique nous prouvent que la flexibilité en matière de recrutement et de licenciement est une condition essentielle à la création même d’emplois.

M. Thierry Repentin. C’est ce qu’ils disent à Gandrange chez Mittal-Arcelor !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous sommes sans doute un peu trop laxistes ou permissifs,…

Mme Nicole Bricq. C’est la faute de mai 68 !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. …mais il nous faut aussi avoir le courage de voir la réalité en face. On peut s’interroger sur le fait que notre pays soit, de tous les États européens, celui où l’on travaille le moins, avec une semaine à 35 heures ; c’est aussi chez nous, hélas ! que sont battus tous les records en matière d’absentéisme au travail !

M. Jean-Pierre Bel. Et de productivité !

M. Jean Desessard. Et l’absentéisme des sénateurs UMP !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je voudrais également attirer votre attention, madame le ministre, sur la réduction à soixante jours des délais de paiement prévue à l’article 6. Une telle mesure était indispensable alors même que, dans la plupart des autres pays, les clients paient dès la réception ou à trente jours maximum.

Il conviendrait toutefois de réfléchir au maintien d’un délai de quarante-cinq jours pour les libraires indépendants, profession, qui vous le savez, est particulièrement menacée, qui a besoin d’être protégée et de pouvoir garder plus longtemps en référence un certain nombre d’ouvrages essentiels.

Cette mesure était vitale pour les PME.

Sans doute pourrions-nous également aller au-delà de cette mesure en impliquant davantage les banques. Une PME dont la facture n’est pas honorée se voit compter des agios si elle est à découvert. Il faudrait sans doute permettre une communication du bordereau à la banque afin que cette dernière puisse engager une procédure de recouvrement auprès de la banque du client. Ainsi, la PME serait garantie et pourrait, par conséquent, se projeter dans l’avenir, et donc investir, changer de statut, mieux exporter ou créer davantage d’emplois.

Mais au-delà des domaines précis abordés dans ce projet de loi, c’est toute une culture qu’il faut changer et un vrai esprit d’entreprise et d’engagement qu’il nous faut créer en France pour faire revenir la croissance. Nous devons remettre le travail au cœur de notre société, afin qu’il en redevienne une valeur intrinsèque.

La réalité de certains sondages comparatifs est, à cet égard, insupportable : interrogés sur le parcours idéal à leurs yeux, l’immense majorité des élèves des classes d’affaires en Grande-Bretagne ou aux États-Unis se voient réussir à la tête d’une entreprise qu’ils auraient eux-mêmes créée, alors que les élèves français rêvent plutôt, eux, d’intégrer un grand groupe, avec tout ce que cela peut représenter de sécurité. (Mme Nicole Bricq hoche la tête.)

Audaces fortuna juvat est un proverbe latin que je cite souvent et qu’il me semble important de répéter. Il nous faut, en effet, donner à nos jeunes compatriotes le sens du risque, le goût de la création d’entreprise et de la mobilité, la notion du devoir avant celle des droits, car c’est seulement à ce prix que nous accroîtrons notre rayonnement économique. Cela, me semble-t-il, passe aussi par un enseignement ciblé, dès la sixième peut-être, sur ce que sont les enjeux économiques et ceux du monde de l’entreprise.

Mme Nathalie Goulet. Par l’enseignement des langues étrangères !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le volet « attractivité du territoire » de ce projet de loi me paraît fondamental, mais vous ne vous étonnerez pas qu’en tant que sénateur des Français de l’étranger je veuille également évoquer son indispensable corollaire, le dynamisme de notre pays au-delà des frontières extérieures et la conquête de nouveaux marchés.

Mais revenons-en au volet « attractivité du territoire ». Le baromètre de l’attractivité du site France que publie un grand cabinet international place notre pays en 2007 à la deuxième place européenne en nombre d’implantations internationales et à la cinquième place en nombre d’emplois. L’attractivité existe donc déjà.

M. Jean Desessard. Alors, à quoi sert ce texte !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il suffit d’évoquer l’expression allemande du bonheur « wie Gott in Frankreich » pour savoir que la France est encore souvent considérée comme un pays de cocagne où la qualité de vie est l’une des meilleures du monde.

M. Jean Desessard. Tant mieux !

M. Thierry Repentin. On a du mal à suivre !

M. Philippe Marini, rapporteur. Réjouissons-nous, mes chers collègues, cela est très positif ! Je ne vois pas ce qui vous gêne !

M. Jean-Pierre Bel. Cela nous interpelle !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Certains de mes collègues devraient davantage aller voir dans d’autres pays ce qui s’y passe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Laissez s’exprimer l’oratrice !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, nous, les membres de la majorité, nous avons l’habitude de ces interruptions permanentes de nos collègues de l’opposition, qui n’ont d’autre objet que de couvrir la voix des orateurs. (M. Thierry Repentin s’exclame.)

Pourquoi ne réussissons-nous pas mieux ? Si nous interrogeons nos amis étrangers, la réponse à cette question est simple : trop d’impôts, trop de bureaucratie, une réglementation excessive et abusive du travail, pas assez de souplesse ou de mesures d’incitation ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

En France, la création ou l’installation d’une entreprise est considérée comme un parcours du combattant. Il nous faut absolument simplifier et rationaliser nos procédures, faciliter les démarches des investisseurs, développer dans notre pays la notion d’accueil et de service.

Certes, les mesures incitatives relatives à l’obtention d’une carte de séjour ou de résident constituent des éléments extrêmement intéressants. Toutefois, c’est à l’étranger, dans nos consulats, que devrait toujours commencer la démarche d’intensification de l’attractivité de notre pays. Notre collègue Adrien Gouteyron, par ailleurs vice-président du Sénat, ne s’y est pas trompé dans l’excellent rapport qu’il a consacré aux ambassades et consulats français à l’étranger.

C’est pour cette raison que j’ai proposé un amendement visant à accorder une certaine priorité dans l’obtention des visas aux responsables et acteurs économiques, connus de nos autorités diplomatiques ou consulaires ou de nos responsables locaux – chambres de commerce, conseillers du commerce extérieur ou Assemblée des Français de l’étranger –, pouvant se porter, dans une certaine mesure, garants de leur légitimité. Une liste de ces acteurs serait actualisée à l’ambassade et pourrait donc servir également d’outil de travail.

En effet, combien de marchés ou d’affaires n’avons-nous pas ratés parce que ces acteurs économiques n’arrivaient pas à obtenir un visa dans des délais raisonnables ou se le voyait refuser sans la moindre explication ?

J’ai d'ailleurs eu l’occasion d’intervenir sur cette question tout récemment, lors de notre débat relatif à la politique étrangère de la France, et de souligner la nécessité d’une meilleure appréhension de notre présence diplomatique et consulaire, notamment en ce qui concerne la formation, la compétence et la durée du séjour de nos agents à l’étranger. Je n’y insisterai donc pas.

En tout cas, notre présence culturelle et audiovisuelle doit absolument être soutenue – j’y reviendrai dans le cadre de la discussion des amendements.

Toutefois, à l’heure où notre déficit commercial bat tous les records, à près de 40 milliards d’euros en 2007, je voudrais simplement souligner combien nous devons veiller à l’image de la France, telle qu’elle se trouve véhiculée à l’étranger par les médias, mais aussi au respect des principes de souveraineté.

Combien d’États ne se sont-ils pas offusqués que des journalistes français prennent fait et cause pour un parti politique donné, sans rechercher l’impartialité ou même sans le moindre souci de la sécurité de nos compatriotes expatriés ?

Néanmoins, cette attractivité passe aussi par l’accueil dans nos aéroports. Si le nouveau terminal de Roissy constitue une magnifique réussite architecturale, qu’il convient de saluer, le processus d’entrée sur notre territoire mérite d’être largement réexaminé, et il serait utile, me semble-t-il, de procéder à un audit sur cette question.

Mme Nicole Bricq. Dites-le à M. Brice Hortefeux !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quelle image la France donne-t-elle, lorsque, à l’arrivée très matinale de vols internationaux, des centaines de passagers doivent faire des queues interminables parce que le nombre des guichets de contrôle se limite à un ou deux ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est la vérité !

M. Jean Desessard. Cela ne va pas ! C’est le bazar et pourtant cela a été privatisé !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Combien de passagers étrangers se sont-ils jurés, en quittant notre pays, de ne plus y revenir, excédés eux aussi par les attentes interminables au contrôle des passeports ?

Mme Nicole Bricq. Et à l’entrée aux États-Unis, il n’y a pas de queues interminables ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame Bricq, j’ai connu des files d’attente bien moins longues aux États-Unis qu’en France à cinq heures du matin !

En fait, c’est tout un état d’esprit qui doit être transformé, et nous ferions bien de nous inspirer de certains États partenaires pour inculquer à tous ceux qui se trouvent en contact avec des étrangers, qu’ils soient policiers, douaniers ou chauffeurs de taxi, la notion d’accueil et de service.

Ne pourrait-on, par exemple, prévoir l’impression d’une petite fiche « Bienvenue en France » (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste),…

M. Thierry Repentin. C’est mignon !

Mme Odette Terrade. Bienvenue aux sans-papiers ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. …qui pourrait donner quelques indications de base aux touristes,…

M. Michel Billout. L’emplacement des centres de rétention !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. …que ceux-ci viennent en France pour leur agrément ou pour affaires ? Cette fiche comporterait, par exemple, les numéros de téléphone essentiels, ou expliquerait qu’il y a, au-delà du chiffre affiché au compteur des taxis, des suppléments liés au nombre de bagages.

Il s'agirait d’une mesure toute simple, qui éviterait peut-être ces réactions très dommageables que vous pourriez lire dans la presse internationale, mes chers collègues de l’opposition,…

Mme Nicole Bricq. On la lit ! Pas de leçons !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. …selon lesquelles il faut éviter la France parce qu’il y a des fraudeurs dans ce pays ! (Marques de lassitude sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Thierry Repentin. Et des gens qui ne respectent pas leur temps de parole !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Vos amis n’ont pas respecté les leurs ! (M. Thierry Repentin martèle son pupitre.)

M. le président. Monsieur Repentin, je vous en prie !

Poursuivez, ma chère collègue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ne pourrait-on apprendre à nos administrations que la culture de nombreux pays implique que l’on réponde toujours à une lettre dans les jours qui suivent sa réception ? Nous aurions d’autant plus intérêt à appliquer cette méthode, qui participe d’un élémentaire respect, lorsque nous traitons avec des étrangers. C’est avec de petits gestes comme ceux-ci que l’on perd ou gagne du crédit et des possibilités d’influence.

Nous avons besoin d’une véritable stratégie, avec un plan d’action à moyen et à long terme. La semaine dernière, nous auditionnions dans le cadre de la commission des affaires étrangères et de la défense l’auteur d’un rapport sur l’expertise internationale, qui dénonçait l’affaiblissement considérable de notre présence dans les instances internationales.

J’ajouterai une simple question, qui ne figurait pas dans ce rapport : comment se fait-il que les pays d’Europe centrale ou orientale aient sollicité l’expertise des États-Unis, avec un financement de la Banque mondiale, pour créer des écoles nationales de la magistrature, alors même qu’il n’existe pas d’établissements de ce type aux États-Unis et que, vous le savez, les magistrats y sont élus ? Nous, pourtant, nous disposons d’écoles de ce genre, reconnues pour leur excellence, et notre tradition juridique s’apparente davantage à celle de ces pays. Une réflexion sur cet échec nous permettrait sans doute de progresser quant au comportement à adopter en ce domaine…

Nous avons besoin de coordonner nos efforts en matière d’économie internationale, de coopération et de développement. Nous avons besoin de sélectionner les meilleurs talents, les meilleurs chercheurs, ce qui passe non seulement par une redynamisation de nos réseaux, comme Campus France, mais aussi par un soutien accru à nos lycées français à l’étranger. Toutefois, encore faut-il pouvoir accorder des visas et des bourses et accueillir dans de bonnes conditions d’encadrement ces étudiants !

Pour créer de nouveau un cercle vertueux, où le respect – si important, comme notre débat d’aujourd'hui l’a montré ! – figurerait au centre de notre politique, nous avons besoin d’un grand sursaut national et de plus d’audace dans les réformes, même et surtout si celles-ci sont difficiles.

Madame le ministre, vous avez parlé fort justement de courage. Ce projet de loi s’inscrit dans cette logique, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.

M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, à ce stade de notre débat tout a sans doute été dit. Cependant, je voudrais saluer l’engagement difficile, mais nécessaire, du Gouvernement, qui doit s’inscrire, me semble-t-il, dans la perspective du développement durable.

Certes, les chiffres du chômage sont encourageants, mais la confiance des Français dans l’avenir se trouve entamée. Si l’inflation est annoncée à un niveau élevé mais, somme toute, encore raisonnable, la hausse du coût des denrées alimentaires et, bien entendu, de l’énergie, atteint des sommets.

Ces augmentations de prix pèsent sur le budget des ménages. Pour ce qui est de l’alimentaire, nous devons bien évidemment nous poser des questions. Il faut agir pour contenir les prix aussi équitablement que possible. Tel est l’objectif que vise le présent projet de loi, à travers le renouveau de la libre concurrence au profit des consommateurs. Je le répète, il s'agit d’une évolution tout à fait positive.

Je voudrais féliciter nos collègues Laurent Béteille, Élisabeth Lamure et Philippe Marini, pour la qualité du travail de la commission spéciale chargée de l’examen de ce texte, sous la houlette compétente de notre collègue Gérard Larcher. Pourtant, d’une manière sans doute un peu provocatrice, je veux commencer par me réjouir de ce qui est absent de ce texte – je veux parler de l’urbanisme.

Je me félicite que l’on s’éloigne de ce concept illusoire d’« urbanisme commercial », qui ne traite en général que de commerce et méconnaît les préoccupations d’aménagement du territoire. J’en demande pardon à MM. Gérard Longuet et Thierry Repentin, mais nous pourrions nous retrouver, me semble-t-il, sur l’idée que c’est le mode de vie qui affecte l’urbanisme,…

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. Ambroise Dupont. …même si on peut aussi affirmer que c’est l’inverse !

Les quelques dispositions du projet de loi qui tendent à se raccrocher au code de l’urbanisme ne me paraissent pas suffisantes pour que l’on ait le sentiment d’avoir abordé le problème de la ville et les évolutions préoccupantes de celle-ci, c’est-à-dire l’étalement urbain et la diminution, voire la disparition, de l’activité commerciale des centres-villes.

Pour autant, le texte présenté aujourd’hui est naturellement dense et il couvre un spectre de sujets très large. Il va des mesures d’encouragements aux entrepreneurs, qui sont indispensables et bienvenues, à la relance de la concurrence, au renforcement de l’attractivité du territoire et à l’amélioration du financement de l’économie.

Je me limiterai à certaines dispositions du titre II du projet de loi, intitulé « Mobiliser la concurrence comme nouveau levier de croissance », en particulier à deux axes du texte. En premier lieu, la mise en place de saines conditions de concurrence permettra une revitalisation du commerce en centre-ville. En second lieu, il faut espérer que celle-ci participera à l’amélioration des rapports entre producteurs et distributeurs.

Le développement de la grande distribution a consisté en l’implantation d’installations commerciales de plus en plus loin du centre-ville et des lieux de résidence. Cette extension constante des périphéries de nos agglomérations s’est souvent réalisée au détriment à la fois de la qualité des entrées de villes et de l’activité en centre-ville.

Les commerces centraux ont été étouffés par la concurrence des grandes surfaces. Les boutiques de détail se sont raréfiées en centre-ville, alors qu’elles constituent le principal facteur d’animation de nos quartiers et que, au-delà du service rendu au public par le commerce de proximité, elles créent aussi, et peut-être avant tout, du lien social.

Il ne s’agit pas seulement ici d’une question de commerce, mais bien d’un problème de société. Les petits commerces constituent l’âme des centres-villes, un lieu de vie, de rencontres et de convivialité, un facteur essentiel de notre qualité de vie menacée. C'est pourquoi je pense que l’attention que leur porte Jean-Pierre Raffarin est plus qu’utile : elle est indispensable.

Comment alors restaurer des lieux de vie, d’échange et de convivialité en centre-ville ? Je pense que les mesures mises en place par l’article 27 du présent projet de loi peuvent contribuer, sous certaines réserves, à restaurer l’attractivité des centres-villes pour les commerces. Elles devraient permettre de rendre au commerce un pouvoir et même un devoir d’imagination en centre-ville.

Tout d’abord, en ce qui concerne les autorisations d’équipements commerciaux, je me félicite du maintien d’une procédure collégiale et du renforcement du rôle des élus au sein des nouvelles commissions départementales d’aménagement commercial. En effet, ce sont eux qui connaissent le mieux leur territoire et ses équilibres et qui assument régulièrement la responsabilité de leurs choix. Il me paraît donc juste qu’ils détiennent la majorité des sièges au sein des nouvelles commissions.

En revanche, les quelques dispositions de l’article 27 qui concernent les SCOT, les schémas de cohérence territoriale, et les PLU, les plans locaux d’urbanisme, me paraissent difficiles à mettre en œuvre, compte tenu de la diversité des SCOT, voire de leur absence dans certaines zones.

En outre, si les documents d’urbanisme ont fait leurs preuves au service de l’organisation harmonieuse du territoire, ils ne peuvent équilibrer la concurrence. Et si l’on objecte que la définition de zones d’aménagement commercial inciterait à la conclusion de SCOT dans les régions où ceux-ci sont absents, cet argument ne me semble pas très convaincant, car alors il faudrait prendre en compte le temps d’élaboration de ces schémas, soit quatre à cinq ans au minimum.

Le projet de loi porte ensuite une réforme des seuils d’autorisation. En tant que membre de la commission des affaires culturelles, je tiens à souligner l’importance de l’article 28, qui dispose que la création de cinémas de plus de 300 places nécessite une autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial. Il faut préserver la richesse de l’offre culturelle sur nos territoires et prendre en compte l’effet sur la diversité cinématographique dans la zone concernée ainsi que l’impact sur l’aménagement culturel du territoire et sur l’environnement.

L’implantation sans limites de multiplex serait tout à fait dommageable pour cette diversité. Certains de nos voisins européens ont vu disparaître totalement les salles indépendantes et les petits cinémas de quartier. Mes chers collègues, ne suivons pas leur exemple !

Enfin, le relèvement du seuil d’autorisation des projets d’équipement commerciaux de 300 mètres carrés à 1 000 mètres carrés devrait favoriser le développement de nouvelles surfaces en centre-ville et redynamiser ainsi une concurrence qui n’existe plus dans de trop nombreuses zones. Toutefois, madame la ministre, soyez attentive aux producteurs et à la production française.

Le relèvement du seuil d’autorisation pour les projets d’équipement commerciaux vise à restaurer les conditions d’une meilleure concurrence entre distributeurs, afin de favoriser la baisse des prix.

C’est en effet entre les distributeurs qu’il convient de recréer une concurrence qui, trop souvent, n’existe plus. Les producteurs et les transformateurs, comme les industriels, ne sont pas responsables de la hausse des prix alimentaires. Leurs coûts de production, en particulier l’énergie, ont considérablement augmenté et, finalement, leurs marges se sont réduites. Je souhaite me faire ici l’écho de leurs vives préoccupations.

Face à une multitude de producteurs, qui disposent d’un savoir-faire unique, comme l’attestent les marques et les AOC, les appellations d’origine contrôlées, une poignée de centrales d’achat se trouvent en position de force pour tirer les prix vers le bas. Toutefois, ces pressions à la baisse ne profitent pas aux consommateurs. Il convient donc de relancer la concurrence entre distributeurs.

C'est pourquoi le seuil d’autorisation fixé à 1 000 mètres carrés constitue une disposition importante. L’ancien seuil de 300 mètres carrés n’avait pas permis de préserver les petits commerces auxquels nous tenons. Il faut ouvrir les centres-villes aux moyennes surfaces ; c’est la contrepartie de la négociabilité des conditions de vente. Avant tout, c’est entre distributeurs que la concurrence doit jouer si nous voulons contenir les prix sans déstructurer notre tissu productif.

Or c’est dans le domaine de la grande distribution que la concurrence est faussée. En effet, certaines enseignes disposent de quasi monopoles locaux. Et ce n’est pas un hasard si, dans les zones où un plus grand nombre d’enseignes sont présentes, les prix sont moins élevés que dans des zones où la concurrence ne joue pas. Les marges de la distribution sont souvent confortables, alors qu’à chaque bout de la chaîne les producteurs et les consommateurs sont vulnérables.

Pourtant, si j’approuve les dispositions prévues dans le projet de loi, je souhaite vous faire part de mes espoirs et de mes doutes quant à leur résultat.

En effet, les questions de relations commerciales, de concurrence et d’équilibre des prix sont complexes, chacun le sait. Pour ma part, je les aborde avec humilité et empirisme. Nous savons que certaines lois visant à la modération des prix et à l’équilibre des rapports entre producteurs, distributeurs et consommateurs ne sont pas parvenues aux résultats escomptés.

Je souhaite aussi vous faire part de l’inquiétude des élus sur la réforme du seuil du versement transport qui, en vertu de l’article 12 du projet de loi, passera de neuf à dix salariés. Je me félicite de la volonté du Gouvernement d’alléger les charges des PME, particulièrement lorsqu’elles pèsent directement sur l’emploi. Cette mesure aura pourtant un effet négatif sur le développement des transports publics, alors que le Grenelle de l’environnement tendait à favoriser les transports en commun. En outre, il appartiendra aux collectivités locales de prendre à leur charge le déficit des syndicats de transport urbain. Est-ce opportun ?

En définitive, le titre II comporte des dispositions intéressantes tant en matière d’autorisation d’équipements commerciaux qu’en ce qui concerne les rapports commerciaux entre distributeurs et producteurs. Nous sommes d’accord : la modernisation doit se faire au profit des consommateurs, sans pour autant écraser les producteurs de produits agricoles et ceux qui les transforment. Il faudra être vigilant. C’est pourquoi je compte sur vous, madame la ministre. D’une manière générale, la réussite de ces mesures dépendra de l’action de l’Autorité de la concurrence. Je me réjouis des véritables pouvoirs de sanction dont elle est dotée. Souhaitons qu’elle soit à la hauteur de sa tâche.

Je ne reprendrai pas le sujet évoqué par notre collègue Philippe Leroy sur le haut débit et le numérique. Je me contenterai de préciser que j’y attache autant d’importance que lui : c’est une nécessité pour l’égalité des territoires et leur aménagement.

En conclusion, je reviendrai sur la notion d’urbanisme commercial contre laquelle je me suis insurgé au début de mon intervention. Pour moi, l’urbanisme est le cadre de l’organisation de notre vie, de l’aménagement du territoire, du développement durable ; le commerce est une force attractive si puissante qu’elle fait exploser, en la soumettant, toute volonté de qualité urbaine. Il faudra bien, me semble-t-il, grâce à la volonté des élus, la faire un jour entrer dans le cadre général du code de l’urbanisme. Mais c’est, à juste titre, un autre sujet. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le président de la commission spéciale, vous avez eu raison de situer ce débat dans le contexte qui est le sien, à savoir la défense de l’économie française et sa modernisation dans le cadre d’une mondialisation où la France doit pleinement jouer son rôle.

Monsieur Béteille, vous avez évoqué, à juste titre, l’assoupissement de la France, auquel nous répondons par certaines mesures d’assouplissement, grâce au vent de liberté que nous souhaitons faire souffler sur l’économie française. Et c’est bien dans la perspective de poursuivre le programme ambitieux de réformes qu’il a mis en œuvre que le Gouvernement propose aujourd'hui des dispositions au service d’objectifs fondamentaux : davantage de croissance, davantage d’emplois, davantage d’entrepreneurs, davantage de concurrence et davantage de pouvoir d'achat.

M. Jean Desessard. C’est simpliste !

Mme Christine Lagarde, ministre. Je sais qu’il s’agit d’une logique qui paraît un peu simpliste, mais je m’en expliquerai dans un instant, et vous aurez alors tout loisir d’en juger.

Les grandes caractéristiques de ce projet de loi ont été parfaitement résumées par Mme le rapporteur, Élisabeth Lamure : équilibre, réalisme, prospective. Le travail considérable mené par les rapporteurs et l’ensemble de la commission spéciale nous a fait progresser dans cette voie.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, le Gouvernement a une feuille de route. Monsieur Marini, pour vous, le grand escalier de la compétitivité compte sept marches, les plus importantes. Pour ma part, même si le chiffre sept est magique, je considère qu’il y en a plus encore : chaque article de ce texte dense représente une marche.

Oui, des inquiétudes peuvent survenir au gré de tel ou tel article. Oui, il faut parfois aller à l’encontre d’un certain nombre d’intérêts bien établis, de petites forteresses, de petites niches, de petites rentes. Ce sera tout à l’honneur de la Haute Assemblée que de savoir tout à la fois en tenir compte et parfois y résister. Le Sénat trouvera sa légitimité en préservant l’intérêt général plutôt que les intérêts particuliers, surtout lorsque ce sera l’ensemble de nos concitoyens qui en tirera profit.

Pour cela, le Gouvernement a choisi un axe clair, je l’ai rappelé : plus d’entreprises pour plus de concurrence. Je comprends bien que la politique qui consiste à choisir de faire souffler un vent de liberté et non à maintenir un mécanisme d’administration de notre économie ne plaise pas à tout le monde. À écouter certains d’entre vous, j’avais l’impression d’être face à des doctrinaires en quête de principes d’un autre temps,...

Mme Nicole Bricq. Vous ne faites pas d’idéologie, vous !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...dans un cadre totalement dépassé où je me demande quelle place a l’Europe, dont nous verrons tout à l’heure briller les étoiles sur une Tour Eiffel soudain nimbée de bleu. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)

Il est vrai que l’on me cherche souvent querelle en matière de politique économique, en me demandant s’il s’agit d’une politique de l’offre ou d’une politique de la demande, d’une politique macroéconomique ou d’une politique microéconomique, d’une politique monétaire, budgétaire, fiscale ou d’une politique de la concurrence.

Mme Nicole Bricq. On ne vous l’a pas demandé !

Mme Christine Lagarde, ministre. Eh bien ! sachez que c’est un peu tout cela à la fois, dans une Europe qui reste fermement attachée aux objectifs de l’agenda de Lisbonne, qui souhaite promouvoir l’Europe de la connaissance et permettre à la France de jouer pleinement son rôle.

Mme Nicole Bricq. En économie, il y a des fondamentaux !

Mme Christine Lagarde, ministre. Pour atteindre les trois objectifs fondamentaux que j’ai rappelés à de multiples reprises, mais que je suis heureuse de mentionner à nouveau, à savoir la compétitivité des entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, l’employabilité des acteurs de l’économie, qu’il s’agisse des salariés ou des fonctionnaires, l’attractivité du site « France », notamment pour faire en sorte que les entreprises y prospèrent et que les investissements directs étrangers viennent s’y implanter, nous serons ravis d’utiliser tous les leviers disponibles dans le cadre de politiques le plus souvent définies à l’échelon européen.

Certains d’entre vous ont parlé de « jungle », de « zoo ». Lacordaire a même été cité, certes avec beaucoup de talent, mais de façon un peu tronquée, puisqu’il me semble qu’il a déclaré plus précisément : « Entre le pauvre et le riche, entre le maître et l’esclave, entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère. » C’est bien l’honneur de votre assemblée que de forger cette loi et de permettre la régulation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez certains que nous utiliserons tous ces mécanismes.

D’aucuns ont évoqué la loi TEPA adoptée l’été dernier : loi scélérate, loi fatale !

Mme Nicole Bricq. Loi funeste !

Mme Christine Lagarde, ministre. Permettez-moi de m’arrêter un instant sur le paquet fiscal, qui bénéficie à près de 90 % de nos concitoyens, notamment à ceux qui effectuent des heures supplémentaires. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Je souhaiterais que vous vous adressiez aux millions de salariés profitant aujourd'hui des dispositions relatives aux heures supplémentaires, qui leur permettent d’accroître leur pouvoir d'achat de trois manières : d’abord par l’augmentation du taux horaire, ensuite par l’exonération des charges sociales, enfin par l’exonération fiscale. Je ne pense pas qu’ils seraient d’accord avec vous pour considérer qu’il s’agit d’une « loi fatale », d’autant que l’on observe, mois après mois, depuis son entrée en vigueur le 1er octobre dernier, que le nombre d’entreprises y ayant recours augmente régulièrement...

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas ce que disent les statistiques ! Demandez à Xavier Bertrand !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...et que 55 % des entreprises mensualisent aujourd'hui leurs cotisations. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur. Très juste ! Très utile rappel !

Mme Christine Lagarde, ministre. La loi TEPA a permis de réhabiliter la valeur travail au sein de notre économie.

Mme Nicole Bricq. Il faut que cela profite à ceux qui la créent !

Mme Christine Lagarde, ministre. Créer de la valeur travail dans notre économie est indispensable à tous les échelons, en particulier pour ceux qui effectuent un travail salarié.

La loi TEPA a également permis de conduire une politique de la demande parfaitement légitime et tout à fait opportune en termes de calendrier. Le Gouvernement injecte de l’argent dans l’économie et met en place les moyens d’augmenter le pouvoir d'achat. Cela représente 15 milliards d'euros en année pleine, 90 % au bénéfice de l’intégralité des Français, notamment par le biais des heures supplémentaires.

Certes, c’est un peu tôt, c’est même un peu plus tôt que les États-Unis, qui ont mis en place exactement le même plan de relance à un niveau un peu plus élevé. Dans un cadre identique, M. Zapatero a engagé en Espagne une politique de relance de l’offre, parce que les circonstances internationales le requerraient.

Tout cela est passé sous silence, car la politique de l’offre n’arrange pas tout le monde. J’en veux pour preuve le crédit d’impôt recherche, que l’on oublie souvent de mentionner, ...

Mme Nicole Bricq. On va y venir ! On ne peut pas tout dire !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...alors qu’il a pour effet de renforcer non seulement l’attractivité de la France, mais aussi la capacité d’innovation de nos entreprises, notamment en recherche-développement.

Ce sont donc deux mesures importantes en termes d’amélioration tant de la politique de la demande que de la politique de l’offre.

En outre, nous souhaitons renforcer considérablement la politique de la concurrence, au travers du titre II de ce projet de loi.

Tels sont les éléments que je souhaitais rapidement rappeler à ceux d’entre vous qui ne parviennent pas à lire une politique économique un peu moderne,...

Mme Nicole Bricq. Il n’y en a pas !

M. Jean Desessard. Vous avez annoncé 3 % de croissance cette année !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...qui s’inscrit dans une logique où la politique monétaire est déterminée de manière collective au sein de l’Union européenne et où la politique budgétaire est convenue par accord avec nos partenaires européens.

En utilisant à la fois l’outil fiscal et l’instrument de la concurrence, nous mettons en œuvre une politique économique fondée, premièrement, sur la compétitivité, deuxièmement, sur l’employabilité, troisièmement, sur l’attractivité.

M. Jean Desessard. Quatrièmement, sur le discours !

Mme Christine Lagarde, ministre. Je veux également mentionner un certain nombre de chiffres concernant l’emploi, car je suis moi aussi un peu lasse d’entendre à gauche de certains hémicycles que les progrès réalisés en matière d’emploi – le taux de chômage atteint aujourd'hui 7,2 %, ce qui est inégalé depuis vingt-cinq ans – ne recouvriraient finalement que des emplois au rabais, des petits emplois précaires.

Mme Nicole Bricq. Ce sont les services de votre collègue Xavier Bertrand qui le disent !

Mme Christine Lagarde, ministre. Madame Bricq, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention, ayez la gentillesse d’en faire autant !

Mme Nicole Bricq. C’est faux, vous n’avez pas arrêté de parler durant mon intervention !

Mme Christine Lagarde, ministre. Les chiffres publiés par la DARES sont très précis ! En 2007, l’emploi précaire – CDD ou temps partiel –, n’a pas du tout augmenté. Donc, cessons d’énoncer des contre-vérités en matière d’emploi : ont été créés 352 000 emplois en 2007 et 70 000 emplois dans le secteur marchand et non-marchand au premier trimestre 2008. Ce sont des emplois en plus, des salaires en plus et du pouvoir d'achat en plus pour l’ensemble de nos concitoyens qui en bénéficient.

J’en viens maintenant aux aspects plus techniques de ce débat.

Vous avez été nombreux – je pense à l’ensemble des rapporteurs, ainsi qu’à Richard Yung – à vous émouvoir ou à commenter le recours aux ordonnances, auquel, je le sais, toute assemblée est rétive, voire parfois hostile.

Ce texte inclut en effet un certain nombre d’habilitations à légiférer par ordonnances. Il s’agit non pas d’une négation des droits du Parlement, mais d’une nécessité au vu du caractère technique de certaines dispositions – vous l’avez relevé les uns et les autres –, surtout dans le contexte international que nous connaissons et qui nous oblige à légiférer dans l’urgence.

Monsieur Marini, vous avez rappelé que cela n’empêchait pas le Sénat de préciser le champ d’application de ces ordonnances, le cas échéant. En outre, les travaux préparatoires menés par la commission spéciale ont montré que, sur certaines mesures essentielles, il était possible de mettre à profit le débat parlementaire pour les intégrer à la loi. Ainsi, monsieur Béteille, vous nous proposez d’introduire dans le texte les dispositions relatives à l’extension de la fiducie aux personnes physique...

M. Philippe Marini, rapporteur. Excellente initiative !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...et à la réforme du régime d’incapacité commerciale.

M. Philippe Marini, rapporteur. Non moins excellente idée !

Mme Christine Lagarde, ministre. Madame Lamure, la création de la nouvelle Autorité de la concurrence est une évolution majeure du cadre juridique français ; vous souhaitez l’intégrer à la loi, avec les mesures portant sur le contrôle des concentrations. J’y suis bien évidemment favorable.

Enfin, cela a été souligné à plusieurs reprises, je n’oublie pas l’urgence et les délais très brefs dans lesquels vous avez été amenés à travailler. L’ampleur et la qualité des travaux de la commission spéciale montrent que ses conditions de travail n’ont pas nui à sa réflexion.

Gérard Larcher, Gérard Longuet, Odette Terrade et Daniel Raoul se sont prononcés sur le statut de l’auto-entrepreneur, instauré au titre IER du projet de loi. En créant un statut de l’entrepreneur individuel, nous souhaitons non pas légaliser ce qui serait illégal, mais libérer les initiatives.

Lorsqu’ils sont interrogés, 64 % des Français disent vouloir se mettre à leur compte et démarrer une petite entreprise. Pourquoi ne pas les y encourager grâce à un mécanisme simple qui prévoirait des formalités réduites et une taxe forfaitaire prélevée seulement lorsque le chiffre d’affaires est réalisé ?

Il est question, bien entendu, non pas de favoriser une concurrence déloyale, mais de mettre le pied à l’étrier à ceux qui ont envie d’entreprendre.

Ce régime est simple, lisible, prévisible. J’espère que vous serez nombreux à le soutenir et à vous en faire les premiers communicants.

Monsieur Retailleau, je partage votre diagnostic pertinent sur le décrochage de la France – Mme la sénatrice représentant les Français établis hors de France s’en est également fait l’écho –, diagnostic qui n’est pas particulièrement réjouissant, même si la France demeure régulièrement le troisième pays pour les investissements directs étrangers. Nous devons renforcer impérativement nos gains de productivité et poursuivre la politique économique visant à restaurer la productivité, l’employabilité, l’attractivité du territoire.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons mis en place ce crédit d’impôt recherche dont bénéficie l’investissement dans l’innovation de notre pays, grâce au triplement et à la simplification de celui-ci.

J’en viens au patrimoine des entrepreneurs. Monsieur Béteille, vous avez évoqué leur crainte de tout perdre. Ce projet de loi a pour objet de faire face à cette préoccupation.

Pour aller plus loin, l’Assemblée nationale a étendu le dispositif de protection pour les entrepreneurs en habilitant le Gouvernement à élargir la fiducie aux personnes physiques. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que la commission spéciale propose de procéder à cette extension aux personnes physiques directement dans la loi, par voie d’amendement. Comme je l’ai indiqué, j’y suis favorable.

M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. Pour aller au-delà, nous allons confier une mission à Xavier de Roux sur les enjeux de la création d’un patrimoine d’affectation pour les entreprises individuelles, dont les conclusions seront remises d’ici à la fin du mois de septembre.

Madame Lamure, monsieur Longuet, notre action sur les délais de paiement est forte. Nous proposons de les limiter à 45 jours fin de mois ou à 60 jours. Ces délais sont parfaitement légitimes ; ils n’ont rien d’excessifs.

Pour beaucoup de secteurs, la loi va incontestablement entraîner un effort important d’adaptation. À ceux d’entre vous qui, au cours du débat, ont soutenu que les PME seraient les victimes de ce texte, je rappelle que 60 % des créances clients correspondent à des créances relatives aux PME et aux TPE ; celles-ci bénéficieront donc de cette mesure.

Si l’intervention du législateur est justifiée dans son principe, l’ampleur de la réforme et son rythme font encore débat, comme le montrent certains amendements qui tendent à élargir les possibilités de dérogation à la future règle du plafonnement à 60 jours.

Faut-il aller plus vite et plus loin, ou, au contraire, plus lentement et plus prudemment, en facilitant et, surtout, en prolongeant les décisions de dérogation sectorielle, ainsi que l’a notamment souhaité Mme Lamure ?

Le Gouvernement vous propose, pour sa part, un mécanisme dérogatoire temporaire et encadré, fondé sur des justifications économiques précises. Ces dérogations doivent demeurer l’exception et conserver un horizon temporel limité. Comme l’a souligné M. Longuet, il y va de la crédibilité même de la loi, qui doit s’appliquer au plus grand nombre, faute de quoi elle risquerait d’être inopérante.

MM. Boyer et Fouché ont évoqué le Small Business Act. Celles et ceux d’entre vous qui ont suivi mon action et qui sont attachés aux petites et moyennes entreprises et à leur accès à la commande publique savent à quel point le Small Business Act m’est cher.

Comme l’a rappelé M. Fouché, un pas concret est franchi en faveur des PME innovantes. Il constitue un premier pas utile pour aller plus loin au niveau européen. En effet, aller plus loin nécessite de s’inscrire dans un cadre européen. La Commission européenne, répondant à une demande de la France, a adopté, le 25 juin dernier, un Small Business Act européen. Les mesures phares sont nombreuses : le statut de la société privée européenne, l’attribution d’aides aux entreprises, la réduction des délais de paiement à 30 jours, l’incitation faite aux États membres de développer des programmes qui comblent le fossé des financements entre 100 000 et 1 000 000 d’euros.

En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, comptez sur Hervé Novelli et sur moi-même pour améliorer et enrichir ce Small Business Act

M. Jean Desessard. Nous voilà rassurés !

Mme Christine Lagarde, ministre. …dans le cadre des travaux du Conseil « Compétitivité » auxquels participera Hervé Novelli au titre de la présidence française.

M. Daniel Raoul. C’est de bonne guerre !

Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur Larcher, pour ce qui concerne le rôle de la France à l’étranger, en particulier Ubifrance, vous avez rappelé à quel point il était important d’aider nos entreprises à l’export. C’est un thème qui m’est cher ! Vous nous appelez au pragmatisme, et vous avez raison. C’est précisément pourquoi nous souhaitons rapprocher Ubifrance et les missions économiques, en tout cas pour les activités non régaliennes.

Le réseau international du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi est engagé depuis plusieurs années dans une logique de modernisation. La réforme que nous proposons permettra de renforcer l’efficacité d’Ubifrance au service du développement des entreprises.

Par ailleurs, nous souhaitons simplifier le fonctionnement des SAS. Pour cela, le projet de loi prévoit, pour les plus petites de ces sociétés, la dispense de l’obligation de désigner un commissaire aux comptes.

La réforme que nous vous proposons ne remet pas en cause notre volonté d’assurer, par le recours à la certification des comptes, la transparence de notre économie, à laquelle vous nous invitez, monsieur Longuet. C’est particulièrement justifié dans un contexte où nous recommandons le fléchage de l’ISF vers les petites et moyennes entreprises ; il est parfaitement légitime pour un contribuable s’acquittant de l’ISF de s’assurer de la qualité des comptes de la société dans laquelle il investit.

Pour autant, le recours aux commissaires aux comptes n’est pas toujours indispensable. Il appartient à l’entrepreneur d’apprécier, au cas par cas, s’il doit ou non y faire appel.

Il nous faut toutefois trouver un juste compromis entre la nécessaire simplification de l’environnement réglementaire des PME et le maintien d’une certification obligatoire des comptes pour les sociétés par actions simplifiées de taille suffisante. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre des débats, mais je suis favorable à la proposition faite par la commission spéciale dans son rapport de fixer, par décret, ces seuils à 20 salariés, 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, et 1 million d’euros de bilan.

Dans le titre II sont évoqués un concept fondamental, le système absurde des marges arrière, sur lequel Bruno Retailleau, Gérard Longuet, François Fortassin et Daniel Raoul sont revenus, et l’important principe de la négociabilité des contrats, dont Gérard Longuet a rappelé, à juste titre, qu’il constituait un instrument librement négocié, ou, comme il l’a qualifié, une « promesse sur l’avenir ».

Mais pour que le marché fonctionne correctement, il est aussi important – certains ont évoqué « la jungle », d’autres « le zoo » ; j’opterai pour le parc, intermédiaire entre les deux –, par une bonne régulation, de lutter contre les abus nocifs, de les traquer, de les sanctionner, dans un contexte de bonne concurrence. Les ententes illicites « laminant » les petits producteurs ne sont en effet pas acceptables. Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit des dispositions complémentaires utiles et définit plus précisément les pratiques commerciales déloyales et trompeuses.

Certains d’entre vous ont ironisé sur le titre de cette loi. Je ne revendique aucune appellation sous mon patronyme et je crois qu’il est un peu sot de parler de loi MEL, M et L, ou autres abréviations. Il s’agit de la loi de modernisation de l’économie, et de rien d’autre ! Elle n’est au service de personne, sinon de l’intérêt général. Elle n’a certainement pas pour objet de privilégier l’hyper-puissance de telle ou telle centrale d’achats.

M. Jean Desessard. Vous êtes obligée de le dire !

Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur Fortassin, vous nous avez interpellés sur la question du double affichage pour les fruits et légumes. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème technique d’affichage. Une telle mesure soulèverait, en effet, des difficultés au regard du secret des affaires à chacune des étapes de la chaîne commerciale.

Par ailleurs, lors de l’examen récent de la filière « poissons », mené par Michel Barnier, Luc Chatel et moi-même, nous nous sommes aperçus que, nulle part, des marges abusives n’étaient appliquées. Simplement, le nombre des intervenants successifs est peut-être excessif.

Le débat sur l’urbanisme commercial a fait couler beaucoup d’encre et a suscité des inquiétudes sur l’équilibre concurrentiel dans le secteur de la distribution. Pour y répondre, le Conseil de la concurrence, aujourd’hui, et l’Autorité de la concurrence, demain, disposeront de moyens étendus d’action.

En effet, l’Assemblée nationale a adopté des dispositions permettant la prise d’injonctions structurelles pour mettre fin à des abus de position dominante. Outre les sanctions prévues par l’article L 464-2 du code de commerce, - sanctions pécuniaires, astreintes dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires journalier –, il a été prévu que ladite instance puisse aller jusqu’à enjoindre la cession des surfaces commerciales si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective dans la zone de chalandise considérée.

J’aborderai maintenant les relations entre la TACA et le FISAC. J’accueille avec grand plaisir le remplacement de la dénomination TACA par TASCOM proposé par le Sénat ; cette appellation est bien plus appropriée à la réalité de cette taxe, dont le champ d’application évolue. Elle s’appliquera de manière beaucoup plus large aux grandes surfaces, de façon plus réduite aux petites surfaces. Elle doit être dissociée du FISAC. Mais cela ne nous empêchera en rien de relever les moyens de ce fonds.

Gérard Larcher et Claude Biwer ont évoqué l’utilisation du FISAC. Nous croyons, bien sûr, à l’utilité de ce fonds. Nous souhaitons d’ailleurs le renforcer. L’Assemblée nationale en a déjà étendu le champ, notamment en rendant possible son utilisation pour la prise en charge des intérêts contractés pour l’achat de terrains dans le cadre d’une préemption.

Certains orateurs ont fait des propositions pour une meilleure utilisation et une gouvernance améliorée du FISAC. Je suis tout à fait prête à donner suite à celles qui iraient en ce sens.

J’en viens à la question du seuil. Je ne vise pas les seuils de 10 ou  20 salariés, relatifs aux sociétés. Le seul de 50 salariés n’emportant pas de conséquences financières, il n’est pas question de le remettre en cause. Nous souhaitons assouplir le passage des seuils uniquement pour ce qui concerne les conséquences financières, et non sociales, de ceux-ci.

J’entends les inquiétudes soulevées par notre suggestion de relever les seuils d’autorisation pour les surfaces commerciales. Il faut cependant remarquer, comme MM. Retailleau ou Biwer, que les règles en place n’ont pas empêché une diminution du nombre de petits commerces alimentaires, même s’il convient de relativiser cette difficulté : nombre de charcuteries ont disparu, mais de multiples boulangeries ont été créées.

Par ailleurs, selon l’INSEE, sur la période 1992-2004, le chiffre d’affaires du commerce de proximité et le nombre de ses salariés ont progressé respectivement de 38 % et de 8 %.

Luc Chatel aura l’occasion de vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelle mesure les propositions que nous vous soumettons permettront non pas de faciliter l’implantation des hard discounters à tous les coins de rues, mais de mettre en place, notamment, dans les centres-villes, où l’on constate de nouvelles habitudes d’approvisionnement de nos concitoyens, des surfaces commerciales avoisinant les 600 ou 700 mètres carrés. Ces commerces seront de nature à attirer les chalands vers les centres-villes et à développer le commerce de proximité.

Il ne s’agit pas de faire œuvre novatrice. D’ailleurs, en l’espèce, la plupart de nos voisins européens ont adopté des mesures de nature similaire, permettant tout simplement un peu plus de liberté. Le seuil retenu par ces pays, en deçà duquel aucune autorisation particulière n’est nécessaire, est parfois bien supérieur, puisqu’il s’établit à 2 000 mètres carrés en Finlande ou en Espagne, à 1 200 mètres carrés en Allemagne ; nous reviendrons longuement sur ce point.

Je me réjouis que nous puissions éclairer nos concitoyens sur les mérites d’une plus grande liberté en matière de diversité des modes de commercialisation. Il ne s’agit certainement pas d’éliminer quelque secteur que ce soit, en particulier la filière des petits commerces de détail, auxquels nous sommes tous extrêmement attachés, que nous soyons issus d’un milieu rural ou urbain.

J’évoquerai maintenant rapidement les questions liées à la fracture numérique, abordées par MM Boyer, Retailleau et Leroy. Messieurs les sénateurs, vous avez mentionné, notamment, la question de la couverture du territoire par la téléphonie mobile et le haut débit, avant d’envisager le très haut débit. C’est un sujet sur lequel nous avons beaucoup progressé ces dernières années, puisque plus de 98 % de la population a accès au haut débit. Mais nous n’avons pas l’intention de nous arrêter là : à l’échéance 2012, nous souhaitons que 100 % du territoire soit couvert.

Les vingt-sept pistes de travail ouvertes à la concertation pour préparer le plan de développement de l’économie numérique, publiées à la fin du mois de mai, comportent plusieurs propositions précises sur ce point.

L’Assemblée nationale a adopté diverses mesures pour améliorer la couverture du territoire. Le Gouvernement y souscrit, pour peu que la concurrence et l’incitation à investir pour les opérateurs soient préservées, et il accueillera favorablement certains amendements en ce sens proposés par la commission spéciale.

Messieurs Longuet et Leroy, vous avez fort justement souligné le rôle clé des collectivités territoriales et des réseaux d’initiative publique dans le développement du haut débit et du très haut débit en France.

L’un des objectifs du projet de loi en matière de très haut débit est précisément de faciliter l’action de l’ensemble des acteurs, notamment les collectivités territoriales. La disposition du projet de loi qui impose aux opérateurs de communiquer aux collectivités les informations sur les infrastructures et les réseaux qu’ils ont déployés s’inscrit dans cet objectif.

À ce point de mon intervention, je souhaite répondre à M. Doligé, qui m’a interrogée sur le rôle des collectivités territoriales. On le voit, au fil des articles de ce projet de loi, les collectivités territoriales, et notamment les départements, trouvent toute leur place dans le dispositif et constituent un échelon fondamental pour la mise en œuvre de ce texte très important.

Je tiens à le souligner, en valeur absolue, les collectivités territoriales contribuent pour une part très faible à la constitution du déficit public actuel.

Mme Nicole Bricq. Pas plus de 11% !

Mme Christine Lagarde, ministre. En revanche, elles participent de manière importante à son augmentation. Les commentaires relatifs aux collectivités locales ont donc été marqués par une certaine confusion. J’espère avoir rendu hommage au rôle que jouent les collectivités territoriales, et notamment les départements, dans notre beau pays.

M. Daniel Raoul. Dites-le à Karoutchi !

Mme Christine Lagarde, ministre. Philippe Marini, Nicole Bricq, Nathalie Goulet et Joëlle Garriaud-Maylam ont évoqué l’attractivité de notre territoire, sujet qui m’est particulièrement cher, pour lequel je me bats et continuerai de me battre, dans un contexte de mondialisation où Paris doit tenir son rang.

Vous avez raison, monsieur Dominati, la place financière de Paris doit jouer son rôle et nous permettre de concurrencer d’autres places, telles que Londres, Amsterdam ou Francfort. Je pense que nous serons nombreux à nous rallier à ce beau projet.

Avec ce projet de loi, nous renforçons l’attractivité de la France pour lui donner tout simplement la place qu’elle mérite sur la scène mondiale.

M. Jean Desessard. Tous les pays le méritent !

Mme Christine Lagarde, ministre. À cet égard, Je tiens à évoquer la marque « Rendez-vous en France », que nous venons de lancer sur l’initiative conjointe de Luc Chatel, puis d’Hervé Novelli, dorénavant responsable du tourisme au sein du Gouvernement. Cette marque est destinée à relancer l’activité de tous les acteurs liés au tourisme et concernés par l’attractivité de la France, et à leur permettre, dans le cadre d’une concertation orchestrée et réfléchie, de travailler ensemble pour mieux accueillir les touristes étrangers et leur donner envie de rester plus longtemps chez nous.

Je suis heureuse de constater que la société Aéroports de Paris participe à cette initiative, ainsi que le ministère de l’intérieur et le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Je me réjouis également que vous vous montriez sensibles, mesdames, messieurs les sénateurs, à ces actions. Nous ne sommes plus, en effet, dans le temps de la prospective : nous sommes maintenant dans celui de l’action.

Vous avez raison, monsieur Marini, la mise en place des fonds de dotation devrait contribuer, comme je l’espère vivement, à renforcer l’attractivité d’un certain nombre de missions d’intérêt général pour lesquelles il n’est pas illégitime de demander la contribution d’initiatives privées, qui trouvent ainsi un véhicule leur permettant de réaliser leurs ambitions pour notre pays. 

La compétition mondiale porte aussi sur l’attraction des talents et je ne me résoudrai pas à laisser ceux-ci hors de France. Nous sommes nombreux à souhaiter qu’ils rejoignent le territoire français lorsqu’ils l’ont quitté ou qu’ils y restent lorsqu’ils sont susceptibles de contribuer à notre politique de recherche et de développement.

M. Jean Desessard. Surtout ceux qui gagnent beaucoup d’argent et qui ne paient pas d’impôts !

Mme Christine Lagarde, ministre. Grâce à l’Agence française pour les investissements internationaux, madame Goulet, nous veillons à aider les investisseurs qui veulent venir en France et à les y attirer dans toute la mesure du possible. J’ai été sensible à vos commentaires sur la juste appréciation des qualités et des compétences des fonctionnaires et sur la nécessité de les affecter au mieux en France.

Dans le titre III, monsieur Larcher, nous proposons de faciliter l’accès au crédit d’impôt recherche. Il faut faire le pari de l’innovation, comme vous nous y engagez. Cela s’inscrit dans une politique globale où figurent, notamment, la réforme des universités, les pôles de compétitivité et les programmes de soutien à l’innovation mis en œuvre par OSEO.

Grâce à l’innovation, madame Bricq, nous pourrons aider nos entreprises non seulement à devenir des petites et moyennes entreprises, mais aussi à constituer un Mittelstand, ce socle d’entreprises que nous envions à nos amis allemands, dans lequel elles deviendront des « moyennes et fortes » entreprises susceptibles d’exporter, d’innover, de rechercher et d’employer.

Sur le livret A et le financement du logement social (Ah ! sur les travées du groupe socialiste), sujets sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir longuement, que de contre-vérités ai-je entendues !

M. Éric Doligé. Merci de le dire !

M. Philippe Marini, rapporteur. Que de langue de bois !

Mme Christine Lagarde, ministre. Pour la première fois, nous inscrivons dans la loi le principe du financement du logement social. Il s’agit très clairement d’une avancée ! Si vous voulez bien vous donner la peine d’effectuer quelques calculs,...

Mme Nicole Bricq. Nous les avons faits !

Mme Christine Lagarde, ministre. ... vous comprendrez qu’en organisant la centralisation de 70 % de la somme totale de la collecte, d’une part, du livret A, d’autre part, du livret de développement durable, nous parviendrons au moins à garantir le financement actuel.

M. Thierry Repentin. Ce sera dans la loi ?

M. Philippe Marini, rapporteur. Ce sera dans la réalité !

Mme Christine Lagarde, ministre. Exactement !

Par ailleurs, le coefficient de 1,25 % permettra d’aller au-delà de ce qui est nécessaire pour financer le logement social.

Je ne m’appesantirai pas sur quelques contre-vérités, mais j’espère que nous serons tous de bonne foi ...

M. Thierry Repentin. Certains plus que d’autres !

Mme Christine Lagarde, ministre. ... pour, d’une part, confronter nos calculs respectifs et, d’autre part, reconnaître les avancées profondes contenues dans ce texte en matière de financement du logement social et de fléchage vers les petites et moyennes entreprises de la partie qui n’est pas centralisée, étant entendu que nous n’augmentons pas les liquidités dont disposeront les banques. Les sommes sont les mêmes !

Mme Nicole Bricq. Non, ce ne sera pas la même chose !

Mme Christine Lagarde, ministre. Je m’élève donc contre certains commentaires que j’ai entendus : il ne s’agit pas de pallier les insuffisances de liquidités du système bancaire.

Je rappelle que, grâce à notre système de supervision et de coordination des superviseurs de qualité, nous ne nous sommes pas trouvés en situation de manque de liquidités, comme certains pays situés de l’autre côté de la Manche ou de fleuves bien connus.

Je tiens à vous rassurer, madame Bricq, mon objectif n’est pas de dégrader la stabilité financière ou la sécurité de notre place financière. Bien au contraire ! Nous avons vu, lors des turbulences financières récentes, que la sécurité et la stabilité figuraient parmi les avantages comparatifs de la place de Paris. Pour autant, ces avantages ne suffiront pas dans la compétition internationale. C’est pourquoi le Gouvernement propose de moderniser notre droit financier pour le rapprocher des standards en vigueur. Ce que nous proposons, ce n’est pas de faire moins bien qu’aujourd’hui, c’est de faire autrement, avec des moyens plus proches des attentes des investisseurs.

Monsieur Marini, vous avez formulé un certain nombre de propositions sur les autorités de supervision. J’ai bien entendu votre appel. Notre système de supervision a bien fonctionné lors des difficultés de l’été dernier. Pour autant, je reste ouverte à l’ensemble de vos suggestions en la matière, afin que nous puissions faire mentir l’adage selon lequel le mieux est l’ennemi du bien.

Certains d’entre vous ont regretté l’absence de dispositions sur l’action de groupe. Il est clair que ce mécanisme présente un certain intérêt.

Je vous rappelle que le Gouvernement, par la voix de Luc Chatel, lors de la discussion à l’Assemblée nationale du titre II du projet de loi, s’est engagé à mettre en place un système d’action de groupe à la française dans le cadre du projet de loi de dépénalisation de la vie des affaires, qui sera discuté à l’automne. À titre personnel, je souhaite vivement cette réforme, pour en avoir moi-même fait l’expérience dans un autre système de droit.

Nous saurons nous garder d’un certain nombre de dérives redoutables pour les entreprises, la recherche, le développement et la prise de risque par les entreprises, et favorables à quelques professions particulières, comme les assureurs et certaines catégories d’avocats, qui se nourrissent de la bête « action de groupe » lorsqu’elle n’est pas suffisamment disciplinée. J’ai confiance en la Haute Assemblée et dans la sagesse du législateur français pour éviter ces écueils.

Je veux rappeler, en conclusion, qu’il n’est pas question que les PME fassent les frais de ce projet de loi.

M. Daniel Raoul. Ben voyons !

Mme Christine Lagarde, ministre. Bien au contraire, elles en seront les premiers bénéficiaires.

Il n’est pas question non plus que les salariés en soient les victimes. Les créations d’emploi, dans un certain nombre de secteurs, bénéficieront en priorité à ceux qui recherchent actuellement un emploi.

Enfin, le consommateur sera le grand gagnant de ce projet de loi. Car à chaque fois que l’on pèse sur les prix en favorisant la concurrence, ...

M. Jean Desessard. Dogmatisme !

Mme Christine Lagarde, ministre. ... on permet à tous les consommateurs de gagner un peu, voire beaucoup, en termes de pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Discussion générale (suite)

6

Dépôt de rapports d'information

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Jacques Jégou un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la taxation de l’industrie du médicament.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 427 et distribué.

J’ai reçu de M. Adrien Gouteyron un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur l’action culturelle de la France à l’étranger.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 428 et distribué.

7

Clôture de la session ordinaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que, aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».

En conséquence, je constate que la session ordinaire de 2007-2008 est close.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à minuit.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD