M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d’accord !

Mme Éliane Assassi. Par conséquent, je suis fermement opposée à ce que, demain, la discussion en séance publique porte sur le texte tel qu’élaboré en commission, et non plus sur le texte tel que déposé par le Gouvernement.

Cette disposition ne constitue pas une avancée démocratique. Bien au contraire, elle tend même à renforcer le bipartisme et le fait majoritaire, puisque les petits groupes pèsent peu en commission par rapport aux groupes importants qui peuvent assurer une présence importante et constante dans ces réunions. Le pluralisme ne sera donc plus garanti.

De plus, la transparence du débat parlementaire sera quant à elle mise en cause, puisque les débats en commission ne sont pas publics : point de journalistes, point de citoyens à l’écoute. C’est la porte grande ouverte au lobbying, à l’instar de ce qui se passe dans les commissions au Parlement européen.

Enfin, c’est une atteinte au droit d’amendement, car le fait majoritaire sera de mise dès la commission. Cette attaque en règle contre le droit d’amendement ne s’arrête pas là ! On la retrouve également à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle qui dispose : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission ». Une telle rédaction vous permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnelle qui date de 1990 et qui garantit à chaque parlementaire le droit d’amender un texte en séance publique.

Pour être claire, vous voulez ériger la procédure simplifiée qui s’applique actuellement, notamment aux conventions internationales, en règle générale applicable à tous les textes, supprimant de fait le droit d’amendement des parlementaires en séance publique.

L’article 19, que les députés ont souhaité rétablir en deuxième lecture, constitue, lui aussi, une remise en cause du droit d’amendement des parlementaires. En effet, en inscrivant directement dans la Constitution les conditions de recevabilité des amendements en première lecture, cette disposition va au-delà de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui exige actuellement que les amendements ne soient « pas dépourvus de tout lien » avec l’objet du texte.

Le droit d’amendement est par ailleurs également malmené avec l’instauration d’un véritable « 49-3 parlementaire ». En effet, il est prévu – cela a été détaillé par le Comité Balladur et confirmé par le Gouvernement et sa majorité parlementaire – que la conférence des présidents, donc la majorité soumise au chef de l’État, fixera une durée maximale pour les débats comprenant et la discussion générale et l’examen des articles.

Ce dispositif va agir comme un couperet sur le mode de l’article 49-3 tel que nous le connaissons : dès que la durée globale du débat qui aura été décidée par la conférence des présidents aura été atteinte, la discussion s’arrêtera, et ce quel que soit l’état d’avancement de l’examen des articles, donc des amendements. Cela revient, de fait, à limiter l’exercice par les parlementaires de leur droit d’amendement.

En deuxième lieu, comment pouvez-vous dire que votre réforme va rehausser les droits du Parlement alors que les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour prévoient de placer la conférence des présidents à la botte du pouvoir exécutif ? Là encore, il s’agit de réduire la séance publique réservée au travail législatif, toujours dans l’optique de favoriser le travail en commission.

Alors que faire la loi constitue la prérogative essentielle des parlementaires, on assiste aujourd’hui, avec votre projet de loi, à la mise à mort de ce principe qui existe depuis la Révolution française. Votre texte prévoit ainsi que quinze jours seraient dédiés à l’examen des projets de loi et à des débats thématiques. Une semaine serait consacrée au contrôle. L’opposition disposerait d’une journée de séance par mois pour s’exprimer.

Nous considérons, pour notre part, que le Parlement doit être complètement maître de son ordre du jour et qu’il doit pouvoir décider du nombre de séances qu’il souhaite consacrer au travail législatif.

En dernier lieu, comment pouvez-vous prétendre que les droits du Parlement vont être renforcés alors que l’usage du 49-3, contrairement à ce que vous prétendez, ne sera pas limité ?

Votre texte, en inscrivant dans la Constitution que le 49-3 ne sera jamais utilisé plus de trois fois dans l’année, n’a rien d’innovant ni de révolutionnaire : il ne fait qu’entériner ce qui se passe déjà dans la pratique, c’est-à-dire une fois pour le projet de loi de finances, une fois pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale et une fois sur un autre texte. Le 49-3 est donc toujours là !

Les critiques que je viens de formuler ne sont bien évidemment pas exhaustives ; elles ont pour objet de démontrer que ce que vous prétendez être des avancées ne le sont pas, en réalité.

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce texte, mais le temps me manque. En tout état de cause, ce qui est sûr, c’est que les conséquences de cette réforme seront catastrophiques à bien des égards : bipartisme renforcé, démocratie bafouée, hyper présidentialisation du régime...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au contraire, nous avons évité ces périls !

Mme Éliane Assassi. Cette réforme a été faite – et cela a été dit dans l’hémicycle par un membre non pas de l’opposition, mais de la majorité – sur mesure pour un seul homme, le Président de la République, qui ne se contente pas d’être omniprésent dans les médias : il veut absolument pouvoir prendre la parole devant les parlementaires.

On se dirige tout droit vers un régime présidentialiste à la française. Cette évolution de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel a été renforcée avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

La présente réforme tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire qui lui est toute dévouée.

On comprend mieux ici pourquoi le pouvoir en place s’obstine à refuser tout changement du mode d’élection des sénateurs : cela lui permet de conserver la maîtrise du Sénat, quelle que soit la réalité politique du pays, pour faire passer ses réformes les plus antisociales, notamment. On comprend aussi pourquoi vous avez refusé d’introduire une dose de proportionnelle dans le mode d’élection des députés.

L’objectif est d’aller vite, très vite, en abrégeant les débats parlementaires, en réduisant le droit d’amendement, en bafouant le rôle des parlementaires, en s’asseyant sur la démocratie, en quelque sorte. Comment, dans ces conditions, espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? La démocratie participative est au point mort !

La procédure d’urgence, que vous déclarez quasiment sur tous les textes, ne vous suffit plus : vous voulez maintenant, outre diminuer le nombre de lectures dans les assemblées, réduire également la durée des débats parlementaires en séance publique. Ce faisant, c’est surtout la minorité qui est ainsi réduite au silence.

Faut-il rappeler que le bâillon que vous voulez imposer aux parlementaires avec cette réforme se surajoute aux procédures existantes comme, notamment, l’article 38 sur les ordonnances, le fameux article 40, ou encore le vote bloqué, procédures qui contribuent déjà à faire taire les parlementaires ?

Car vous avez conscience que le temps du débat parlementaire, en séance publique et lors des différentes lectures, peut être mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les méfaits de tel ou tel projet de loi, opinion publique qui peut alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfaste.

M. Patrice Gélard. Qui suit encore les débats parlementaires ?

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si depuis 2002 tous les mauvais coups que vous portez sont inscrits à l’ordre du jour du Parlement en session extraordinaire, au cœur de l’été, au moment où les Français sont en congés.

La démocratie, qui aurait dû être au centre de la modernisation de nos institutions, n’a rien à gagner avec cette réforme ; elle ne sort pas renforcée de nos débats. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous avez soumis le texte non pas au référendum, mais au Parlement réuni en Congrès.

Vous l’aurez compris, nous nous opposons fermement à votre réforme et voterons contre, ici et à Versailles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici donc en présence du projet de loi constitutionnelle tel qu’il a été amendé par l’Assemblée nationale. Comme l’a dit notre excellent rapporteur, il nous appartient maintenant de savoir si nous souhaitons continuer le dialogue avec l’Assemblée nationale ou si nous considérons que ce texte peut être soumis en l’état au Parlement réuni en Congrès, afin que celui-ci exerce son pouvoir constituant délégué.

Les positions du Sénat ont été confirmées sur un certain nombre de points. Je m’attacherai, pour ma part, aux dispositions qui vont dans le sens du rééquilibrage des institutions, c’est-à-dire à celles qui confèrent davantage de droits et de pouvoirs au Parlement et, surtout, à celles qui donnent plus de droits aux citoyens ; c’est en effet à cet égard que je me pose les principales questions.

Nous sommes heureux de constater que les députés ont réintroduit, à la demande du Sénat, le droit de résolution. Le Gouvernement a fait adopter un amendement qui, très honnêtement, n’apporte pas grand-chose, les résolutions n’ayant jamais été, dans notre droit constitutionnel, un moyen de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Mais le Parlement est depuis si longtemps muselé dans notre pays que l’on a confondu le droit d’interpellation et le droit de résolution.

Il est normal qu’un Parlement majeur puisse s’exprimer sur tous les thèmes. Le droit de résolution le lui permettra, sans pour autant le conduire à adresser des injonctions au Gouvernement ou à mettre en cause la responsabilité de celui-ci, cette dernière possibilité étant déjà prévue dans la Constitution selon une procédure connue de tous. Cette mise au point nous apparaît essentielle.

Nous sommes également sensibles à la rationalisation de l’article 49-3, même si cela ne correspond pas à la position initiale du Sénat. Il est normal que son utilisation soit réservée aux textes essentiels présentés par la majorité. En revanche, si l’on veut rééquilibrer les institutions s’agissant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, cet article ne doit absolument pas être utilisé comme un moyen de régler les relations entre le Parlement et le Gouvernement.

Nous sommes satisfaits que les droits des groupes parlementaires aient été confirmés dans le projet de loi constitutionnelle. L’inscription, dans la Constitution, de la notion même de groupe parlementaire constitue en effet une avancée importante, d’autant qu’elle est assortie de droits spécifiques pour les groupes qui n’appartiennent pas à la majorité ou qui sont minoritaires.

Nous nous félicitons aussi de la suppression de l’obligation de se déclarer membre de la majorité ou de l’opposition, qui existait dans le texte initial du Gouvernement.

Nous apprécions également, au regard de la situation budgétaire de notre pays, les dispositions relatives à la discipline budgétaire et financière : elles permettront de donner plus de lisibilité et plus de rigueur aux mesures prises en la matière

En revanche, nous regrettons que la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour les groupes politiques n’ait pas été acceptée par l’Assemblée nationale. J’avoue ne pas trouver de fondement à la suppression, par les députés, de cette mesure adoptée par le Sénat à l’unanimité en première lecture, sur l’initiative de notre collègue Mme Borvo Cohen-Seat. Si le texte est adopté en l’état, tout le monde, dans ce pays, va pouvoir saisir le Conseil constitutionnel, sauf les groupes parlementaires ! La voie de l’action est toujours préférable à celle de l’exception : ne pas donner tout son champ à la voie de l’action, c’est se priver d’un élément de bon ordre juridique.

Nous sommes toutefois très satisfaits sur deux points.

Tout d’abord, nous nous réjouissons de voir que l’exception d’inconstitutionnalité figure désormais dans notre droit constitutionnel. Le Congrès peut refuser au Parlement le droit de fixer lui-même son ordre du jour ; il peut également lui refuser le droit de discuter sur un texte émanant d’une commission ; il peut encore refuser un rééquilibrage des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais il y a une chose, mes chers collègues, que le Congrès ne peut pas faire, c’est priver les citoyens français du recours en exception d’inconstitutionnalité. C’est ce qui manque dans notre système juridique pour assurer la primauté du droit. Nous sommes le seul pays démocratique où les citoyens ne peuvent pas invoquer l’inconstitutionnalité d’un texte devant une juridiction. Désormais, si cette réforme est votée, les citoyens français seront traités comme tous les autres citoyens des pays démocratiques.

L’unique question que j’ai envie de me poser pour lundi prochain est la suivante : allons-nous priver nos concitoyens de ce droit ? Je réponds non ! Nous attendons depuis si longtemps que chaque Français puisse invoquer l’inconstitutionnalité d’un texte devant le juge, que cette disposition est pour moi, et probablement pour les membres de mon groupe, la mesure essentielle de la réforme constitutionnelle.

Par ailleurs, je souhaite dire un mot du pluralisme et des modifications apportées par l’Assemblée nationale. Je veux notamment expliquer pourquoi l’amendement qui a été adopté à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle nous semble important. Il s’agit d’un texte que j’ai moi-même rédigé un soir, un peu tard, sur la vitrine qui expose la loi constitutionnelle de 1958.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est un heureux présage ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. Je n’en suis pas sûr, mais l’anecdote est véridique !

Quoi qu’il en soit, la formulation proposée pourrait parfois nécessiter des éclaircissements. Machiavel ne me semble pas avoir raison lorsqu’il dit que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens. Je crois qu’il faut sortir de l’ambiguïté s’agissant de cet amendement.

Je reconnais que sa rédaction aurait pu être meilleure ; c’était le cas de la première version. J’ai cherché à exprimer exactement la même idée, mais en utilisant une formulation différente, puisque l’art du compromis est de trouver un accord.

Je vous rappelle la phrase figurant dans l’amendement qui a été retenu par l’Assemblée nationale : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Dans un premier temps, on peut se demander s’il ne s’agit pas simplement d’une pétition de principe. La réponse est non ! Il faut retenir dans ce domaine les principes habituels d’interprétation des textes juridiques, notamment des textes constitutionnels, qui ont été rappelés par François Luchaire dans un article connu de tous les juristes, notamment de M. secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. (M. .le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) Cela viendra quand vous serez en formation permanente à la région d’Île-de-France, ce qui ne manquera pas de vous arriver ! (Sourires.)

Il faut toujours interpréter les textes juridiques potius ut valeant quam ut pereant, c'est-à-dire de telle façon qu’ils aient un sens plutôt qu’ils n’en aient point. C’est la règle de l’effet utile des textes juridiques.

Si le pluriel « les expressions » est utilisé dans la phrase « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions », c’est simplement parce que, au singulier, « l’expression » peut signifier monter sur une chaise et parler dans le jardin du Luxembourg. Le pluriel implique nécessairement un vote : c’est la façon de s’exprimer en démocratie ; sinon, cela ne fonctionne pas.

Voilà pourquoi j’ai insisté pour que l’on inscrive dans le texte « les expressions ». Le Gouvernement a refusé mon amendement au Sénat. Mais le Président de la République a bien voulu l’accepter par la suite.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas cet amendement, monsieur Mercier !

M. Michel Mercier. C’est exactement celui que j’avais proposé, et je suis heureux qu’on l’ait en fin de compte accepté !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un amendement présidentiel !

M. David Assouline. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Peu importe, messieurs Sueur et Assouline ! Une fois que la réforme de la Constitution est votée, …

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas le Président de la République qui décide, c’est le Parlement, qui vote !

M. Michel Mercier. … que ce soit celle-ci ou une autre, elle n’appartient pas à ses auteurs : elle appartient à celles et ceux qui la mettent en œuvre ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder la Constitution de 1958, qui a été admirablement mise en œuvre par François Mitterrand et les gouvernements qu’il a nommés. Personne n’a jamais dit le contraire, et heureusement !

En tout état de cause, la première partie de la phrase « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions » signifie, tout simplement, que nous restons fidèles à la tradition française de ne pas inscrire dans la Constitution de régime électoral.

Il est très important d’écrire que la loi « garantit » et non pas « favorise », …

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je crois que M. Mercier va être remercié !

M. Michel Mercier. … car cela veut dire qu’il ne peut pas y avoir désormais de loi électorale qui ne mette pas en œuvre l’expression du pluralisme des opinions. Je le répète, nous sommes favorables non pas à la proportionnelle intégrale, mais à une dose de proportionnelle dans toutes les élections.

Plusieurs sénateurs socialistes. Il n’y en a pas !

M. Michel Mercier. Sachant que j’ai raison, il faut bien que vous m’interrompiez !

Quant à l’autre partie de la phrase, à savoir « et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation », ce qui est important c’est, bien sûr, le mot « équitable ».

Il s’agit de faire en sorte que tous les partis puissent participer à la vie politique de la nation en fonction non pas de leur importance numérique, mais des idées qu’ils représentent. Tous doivent être traités de façon équitable. Cela vaut pour le Sénat, bien sûr, mais avant tout pour les membres du Conseil constitutionnel, …

M. Michel Mercier. … qui auront naturellement à connaître dans l’avenir de textes qui pourront contrevenir aux dispositions que je vous présente.

Je sais bien que, s’agissant de l’interprétation des textes constitutionnels, le juge constitutionnel se reconnaît très peu de pouvoir lorsque la réforme est soumise à un référendum et un peu plus de pouvoir lorsqu’elle est adoptée par le Congrès. Mais en aucun cas le juge constitutionnel ne se reconnaît une plénitude de compétence : il le dit dans chacune de ses décisions ; il n’a pas la même compétence que le Parlement.

Il nous appartient, à nous, parlementaires, de préciser le contenu des amendements que nous déposons et à vous de le confirmer – ce que nous vous demandons aujourd’hui – afin que les choses soient claires entre nous et dans le pays.

Parce que cet amendement représente la quintessence de notre philosophie politique, parce que désormais les citoyens pourront exciper devant tout juge du caractère inconstitutionnel du texte qui leur est opposé, il me semble que nous devons suivre la recommandation du président de la commission des lois et voter le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.- Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La recommandation de la commission !

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lundi prochain, nous connaîtrons à Versailles l’épilogue du feuilleton de la révision constitutionnelle commencée il y a un an par le discours d’Épinal. Quelle qu’en soit l’issue, ce Congrès sera celui d’une occasion gâchée.

Si le Gouvernement en avait eu la volonté, il aurait pu en être autrement, mais il a refusé le dialogue constructif avec toute l’opposition pour privilégier un monologue interne à l’UMP et la quête inlassable, par tous les moyens dont le pouvoir dispose, des voix qui lui sont nécessaires.

Depuis la nuit du mardi 24 au mercredi 25 juin où le Sénat a achevé sa première lecture jusqu’à notre séance plénière d’aujourd’hui, que s’est-il passé ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Des tas de choses !

M. Bernard Frimat. Si l’on tente de le reconstituer, le film de ces trois semaines apparaît assez édifiant pour illustrer votre conception de la modernisation des institutions.

Tout d’abord, pour régler les problèmes en suspens à l’issue de la première lecture, vous inventez une nouvelle forme de commission mixte paritaire …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ça a toujours existé !

M. Bernard Frimat. … qui réunit l’UMP de l’Assemblée nationale et l’UMP du Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas seulement !

M. Bernard Frimat. Il s’agit d’élaborer, sous la houlette du Premier ministre et sous le regard vigilant de l’Élysée et de ses conseillers, un compromis interne à l’UMP, dès lors forcément historique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est de la science-fiction !

M. Bernard Frimat. Les députés et les sénateurs de l’UMP seront invités fermement à lui manifester, à défaut de leur enthousiasme, au moins leur accord.

Il vous faudra un peu plus de temps et plusieurs tentatives pour enlever le caillou « adhésion de la Turquie » des godillots de la majorité et trouver un habillage compliqué qui, sous une apparence de neutralité géographique, reste, mais sans le dire, uniquement dirigé contre la Turquie.

Cette première étape franchie, il reviendra au président de la commission des lois de l’Assemblée nationale d’amender le texte issu du Sénat et de le rendre conforme à l’accord inter-UMP.

C’est, à quelques détails près, l’état dans lequel nous revient le projet de loi constitutionnelle après son adoption en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, et nous sommes invités par le président de la commission des lois du Sénat, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au nom de la commission !

M. Bernard Frimat. … à l’adopter conforme.

Le refus de tous les amendements que nous pourrons proposer, quel qu’en soit le contenu, illustrera à la perfection ce que signifie pour vous revaloriser les travaux du Parlement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) À ce prix, la route de Versailles sera ouverte.

Deux détails ont attiré notre attention.

Il s’agit, d’abord, de la nouvelle rédaction de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, rédaction a priori sympathique puisque, nous disent les dépêches, elle a rendu notre excellent collègue Michel Mercier heureux à sa sortie de l’Élysée. Malgré vos explications un peu compliquées, mon cher collègue, j’attends toujours de découvrir les progrès que cette nouvelle rédaction apporte sur le plan de la démocratie pour juger si nous sommes en présence d’un bonheur individuel ou collectif ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Il s’agit, ensuite, de la constitutionnalisation des commissions d’enquête. Il semblerait que ce point précis soit, pour la réussite de la révision, d’une importance capitale, qu’il constitue l’un des apports décisifs de votre vision de la modernisation des institutions. Nous ne doutons pas que vous aurez à cœur, lors du débat, de nous expliquer tous les tenants et aboutissants de cette évolution récente et radicale.

En prévision du Congrès, les joueurs de tambour médiatiques de l’UMP pourront donc continuer leur ritournelle : comment les socialistes peuvent-ils voter non à ce monument constitutionnel sarkozien édifié avec une telle ouverture d’esprit ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est une bonne question !

M. Bernard Frimat. C’est pourtant, mes chers collègues, ce que les députés et les sénateurs socialistes feront lundi prochain.

Les raisons qui nous conduisent à refuser votre projet de loi constitutionnelle sont nombreuses. Quelques avancées secondaires ne peuvent servir à recueillir notre accord alors que, dans le même temps, il y a recul, j’y insiste, sur des points essentiels.

Le recul le plus symbolique que le Gouvernement a avalisé concerne le Sénat.

Lors de notre entrevue à Matignon, nous avions clairement indiqué au Premier ministre l’importance que les parlementaires socialistes attachaient à la nécessité démocratique de supprimer le verrou qui bloquait toute évolution du collège électoral du Sénat.

Les conclusions du comité Balladur étaient sur ce point sans équivoque et se résumaient en une proposition simple libellée ainsi : « Le Sénat […] assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population », ce pour mettre fin à une situation qui « favorise à l’excès la représentation des zones faiblement peuplées, au détriment des zones urbaines ».

Même en préférant la formulation plus simple « en tenant compte », le Gouvernement acceptait néanmoins cet impératif démocratique et expliquait dans l’exposé des motifs sa volonté de surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui « a eu pour effet d’interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».

Vous aviez même tenu – vous devez vous en souvenir, monsieur Karoutchi - à attirer particulièrement notre attention sur l’article 34 qui obligeait à mettre en place un nouveau collège électoral dès 2011.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est faux !

M. Bernard Frimat. Toutes ces bonnes intentions gouvernementales qu’au demeurant l’Assemblée nationale avait adoptées se sont envolées. Toute référence à une prise en compte de la population dans la composition du collège électoral sénatorial a disparu.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’est nullement besoin de le préciser puisque tel est déjà le cas !

M. Bernard Frimat. Les verrous sont plus que jamais en place et leur bon fonctionnement a été soigneusement vérifié. Peu importe que les citoyens accordent, dans toutes les catégories de collectivités locales, une large majorité aux formations politiques de gauche, l’assemblée qui est censée les représenter doit, en tout état de cause, rester de droite même au mépris du suffrage universel.

Il faut beaucoup d’aveuglement pour voir une avancée démocratique là où il n’y a qu’un déni de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC.)

Le Gouvernement a renoncé à renforcer la légitimité et la représentativité du Sénat, il a cédé aux injonctions des sénateurs UMP. On comprend que, dans ces conditions, monsieur le rapporteur, vous estimiez que « le Sénat a eu satisfaction sur les sujets auxquels il attachait une particulière importance ».