M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Guy Fischer. Alors là, il vaut mieux se boucher les oreilles !

M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon discours sera quelque peu différent ! (Sourires.)

M. Xavier Bertrand, ministre. Tant mieux !

Mme Christiane Demontès. Le contraire m’aurait étonnée !

M. Serge Dassault. Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous sur tous les points que vous avez abordés, qu’il s’agisse de la représentation syndicale, dont vous assouplissez les modalités, ou des 35 heures, dont vous supprimez certains effets néfastes. Votre idéologie libérale est excellente, et nous sommes loin du xixe siècle !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au moins, c’est clair !

M. Serge Dassault. Permettez-moi de vous féliciter de votre heureuse initiative et de votre persévérance.

Je me bornerai à revenir sur les effets des 35 heures sur notre économie et sur le budget de l’État, dont vous ne parlez pas.

Je voudrais rappeler que les 35 heures ont été mises en place pour favoriser les loisirs et, prétendument, pour réduire le chômage.

Certes, il est agréable de travailler moins et de gagner autant, de partir en vacances et d’avoir plus de temps de libre pour s’occuper de ses enfants, mais il faut en mesurer les conséquences, or elles sont très graves pour notre économie et pour l’État. On ne peut pas faire n’importe quoi ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ces conséquences auraient été moins lourdes si tous les pays industriels appliquaient les mêmes horaires de travail et les mêmes charges salariales que nous, mais c’est loin d’être le cas !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne parlez pas des pays où les salariés travaillent plus et gagnent moins !

M. Serge Dassault. Nous sommes seuls à appliquer les 35 heures, qui plongent à la fois notre économie et le budget de l’État dans une situation très difficile.

En ce qui concerne d’abord notre économie, on s’étonne parfois que notre croissance soit plus faible que celle des pays voisins, mais on oublie que l’on y travaille 40 heures ou 45 heures, voire plus, par semaine, et que les charges salariales y sont moitié moindres que chez nous.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La durée du travail est comparable dans les différents pays d’Europe !

M. Jean-Luc Mélenchon. La productivité y est moindre !

M. Serge Dassault. Cela se traduit, pour notre pays, par des coûts de production et des prix de vente plus élevés. Telle est la réalité, et les discours n’y peuvent rien !

Il en résulte une baisse de nos ventes et de la croissance, ainsi que la nécessité de délocaliser, ce qui induit une aggravation du chômage.

Sur ce dernier point, ce fut une erreur de diagnostic total que de croire que le travail est un gâteau et qu’en en diminuant les parts, on augmenterait le nombre des consommateurs.

M. Robert Bret. Vous préférez garder tout le gâteau pour vous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de la propagande !

M. Serge Dassault. Pour développer l’emploi, il faut un gâteau plus grand, car on fait progresser les embauches en accroissant le travail et les commandes et en réduisant les charges. Or tel n’est pas le cas actuellement. Les entreprises ne peuvent embaucher que si elles peuvent offrir du travail, or ce ne sont évidemment pas les 35 heures qui leur permettront d’y parvenir !

Dans l’administration, certes, des embauches ont été nécessaires, mais elles ont aggravé les dépenses de l’État ; le nombre de fonctionnaires doit maintenant diminuer.

Regardons ce qui s’est passé dans les hôpitaux, par exemple, où la mise en place des 35 heures a été une catastrophe. Elle a imposé de procéder à des embauches pour assurer les soins aux malades vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais c’est précisément l’une des causes des déficits de gestion que connaissent tous les hôpitaux, et j’en sais quelque chose !

Bien entendu, les conséquences de la mise en place des 35 heures ont été très graves pour notre économie et, surtout, pour le budget de l’État. Nous avons perdu en compétitivité et nos exportations ont diminué, et ce n’est certainement pas grâce aux 35 heures, mais malgré elles, que nous avons connu un regain de croissance à partir de 1998. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne pouvez pas le démontrer !

M. Serge Dassault. Compte tenu des charges qui pèsent sur les salaires, le coût du travail handicape notre économie. Il est trois fois plus élevé en France que dans certains autres pays de l’Union européenne, tels que la Roumanie ou la Pologne, qui fabriquent dans une mesure croissante des produits d’une qualité identique, mais moins chers.

Nos entreprises de main-d’œuvre sont donc largement défavorisées. Tout cela entraîne des délocalisations, que ce soit en Roumanie, en Pologne ou dans des pays plus lointains comme la Chine ou l’Inde.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Compte tenu du prix du pétrole, ces entreprises vont revenir !

M. Serge Dassault. Si l’on produit en France, on ne vend plus rien, parce que le coût du travail est trop élevé, en partie à cause des 35 heures. Seules les entreprises fortement automatisées s’en sortent, car elles emploient peu de personnel, mais ce n’est pas ainsi que le chômage diminuera !

Une autre erreur est de maintenir la rigidité du droit du travail, mes chers collègues. Il est faux de croire qu’elle préserve de la précarité. Au contraire, la flexibilité de l’emploi rendrait le marché du travail plus fluide et permettrait une réduction du chômage. Il n’est qu’à voir comment cela se passe dans d’autres pays européens, où, grâce à la flexibilité, le taux de chômage est descendu à 5 %.

M. Guy Fischer. Mais la précarité augmente !

M. Serge Dassault. Quant au coût, pour les finances de l’État, de l’indemnisation versée aux entreprises au titre du passage de 39 heures à 35 heures, il représente en moyenne quelque 10 milliards d’euros par an. Ce cadeau, renouvelé chaque année depuis dix ans, aura coûté 100 milliards d’euros à l’État, donc au contribuable ! Et cela va continuer, il n’est nullement question de stopper cette hémorragie ! Il aurait mieux valu utiliser cet argent pour réduire notre endettement !

Monsieur le ministre, je suis très heureux que vous ayez entrepris votre combat pour nous libérer progressivement des 35 heures, mais il faut aussi mettre fin au paiement par l’État de ces 10 milliards d’euros par an ! Quand cela va-t-il s’arrêter ?

Je sais que la décision ne vous appartient pas, qu’elle relève du ministre chargé des finances, mais notre déficit budgétaire et notre dette publique ne cessent de s’accroître ! Comment revenir à l’équilibre budgétaire en supportant une telle charge ? C’est une question de bon sens ! Et si nos entreprises s’y opposent, eh bien tant pis ! Il faudra qu’elles s’en accommodent ! Il faut choisir entre l’aggravation sans limite de notre dette et, peut-être, l’augmentation du chômage. Ce sera évidemment au Gouvernement de décider, mais contracter des emprunts pour financer des dépenses de fonctionnement qui ne rapportent rien à l’État est suicidaire !

C’est pour cette raison, monsieur le ministre, que je défendrai un amendement visant, à tout le moins, à fixer une limite dans le temps à ces versements, en les diminuant progressivement sur une période de trois ou quatre ans. Il y va de la santé financière de l’État et de l’évolution de notre déficit budgétaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dix minutes me suffiront, puisque beaucoup de choses ont déjà été dites, non par M. Dassault, bien entendu, mais par mes collègues de l’opposition.

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais si ! Par M. Dassault, aussi !

M. Jean Desessard. Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd’hui, monsieur le ministre, vise prétendument à réformer la démocratie sociale. Tous les acteurs concernés conviennent que la question de la représentativité syndicale est cruciale. Il était donc nécessaire de réformer l’arrêté de 1966, de mettre fin au monopole de la représentativité des cinq grandes centrales que sont la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC, et de rendre une légitimité pleine et entière à la représentation syndicale par les élections.

En cela, l’initiative de présenter un tel projet de loi était louable. Mais le résultat est très loin de nos espérances, et la réforme de la représentativité syndicale qui nous est soumise est affectée de dysfonctionnements.

D’une part, vous n’abordez pas le cas des organisations patronales, par exemple au travers de la représentation du secteur associatif ou du secteur mutualiste, ni la question de leur financement, lequel présente bien des défaillances, comme l’a prouvé spectaculairement, l’hiver dernier, l’affaire Gautier-Sauvagnac !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Waldeck-Rousseau n’avait pas prévu leur financement !

M. Jean Desessard. D’autre part, vous profitez de cette occasion pour « dynamiter » encore une fois les 35 heures, en urgence, au mois de juillet. Après vous être acharné à culpabiliser les demandeurs d’emploi, vous vous attaquez à la structure syndicale et à l’ensemble des travailleurs !

En un an, le Gouvernement a « détricoté » soigneusement, méthodiquement et rigoureusement notre droit social,…

M. Alain Gournac, rapporteur. Non ! Les 35 heures !

M. Jean Desessard. … que les travailleurs français avaient mis plus d’un siècle à façonner et à négocier. En une année, vous balayez un siècle d’avancées sociales ! (M. le rapporteur s’exclame.)

Fonder la représentativité syndicale sur les élections constitue, nous l’avons dit, une avancée pour notre modèle social. Encore aurait-il fallu s’entendre sur le type d’élections retenu. Deux voies s’offraient à nous : les élections en entreprise ou les élections prud’homales.

En optant exclusivement pour les élections en entreprise, le projet de loi permettra certes de mesurer les résultats par branche et par entreprise, mais ce mode d’élections présente de sévères inconvénients.

Tout d’abord, il exclut les salariés d’une grande partie des PME et les salariés des TPE, soit 50 % des salariés ; il exclut également les demandeurs d’emploi, qui ont été travailleurs ou qui le redeviendront, et qui sont tout aussi concernés par les négociations collectives que l’ensemble de nos concitoyens !

Les élections prud’homales, qui se jouent à l’échelle nationale, présentaient quant à elles l’avantage d’une représentation de l’ensemble des travailleurs, y compris les demandeurs d’emploi. Le contre-argument du fort taux d’abstention qui les caractérise est insuffisant. Malgré cela, c’est à l’occasion des élections prud’homales que s’exprime l’opinion du plus grand nombre de salariés.

De plus, si elles étaient consacrées comme la base de la représentativité syndicale, elles seraient bien plus attractives. Si l’on souhaite réellement revitaliser la démocratie sociale, rien n’empêche de lancer une campagne de communication institutionnelle sur l’enjeu que représentent ces élections.

Parce que les syndicats sont et doivent rester une force de représentation, de protection et d’accompagnement des travailleurs au quotidien, il aurait été préférable que la représentativité syndicale puisse être mesurée à l’occasion d’une élection générale, organisée nationalement à une date unique pour l’ensemble des salariés, et dont les résultats peuvent également être détaillés par branche et par entreprise. Un tel procédé fonderait les bases d’une véritable démocratie sociale !

M. Jean Desessard. Bien au contraire, avec ce projet de loi, vous provoquez un véritable renversement de la négociation sociale. En effet, vous permettez aux accords d’entreprise de prévaloir sur les accords de branche, même pour une disposition moins favorable. Ce faisant, vous isolez les entreprises, atomisez le salariat et ruinez la négociation collective, qui faisait la force du salariat face à la toute-puissance patronale.

Non seulement les accords d’entreprise primeront, mais ils ne seront même pas conclus selon le principe majoritaire. Ce projet de loi aurait pu, là encore, être une belle occasion de renforcer la démocratie sociale. Vous auriez pu imposer le principe majoritaire pour la conclusion des accords. Au lieu de cela, vous avez consacré une simple « non-opposition ». Dorénavant, toute organisation qui obtient 30 % des voix pourra conclure seule un accord s’il ne rencontre pas l’opposition de syndicats représentatifs ayant obtenu au moins la moitié des voix.

Enfin, vous mettez en danger le pluralisme et l’indépendance des syndicats, notamment parce que les petits syndicats professionnels seront contraints de s’affilier à des syndicats catégoriels nationaux pour continuer d’exister. Tel est le cas du Syndicat national des journalistes, dont nous reparlerons plus tard. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements pour remédier à cette situation.

Ce projet de loi n’est donc que le reflet de la considération que porte le Gouvernement aux partenaires sociaux. Vous affichez votre volonté de promouvoir la négociation et de consulter les partenaires sociaux, mais dans les faits c’est à marche forcée que vous conduisez ce que vous nommez la négociation !

Ainsi, vous avez indiqué consulter les syndicats sur le projet de réforme des 35 heures, mais vous ne leur avez pas laissé le temps de la concertation ! Au bout de trois mois à peine, vous décidez de légiférer, parce que tout cela ne va pas assez vite ! Votre consultation n’était qu’une mascarade.

Vous avez décidé, quoi qu’il arrive, d’attaquer les 35 heures et d’anéantir toute idée de réduction et de partage du temps de travail ! M. Dassault a dit tout le mal qu’il pense des 35 heures, des salariés qui prennent des vacances, qui ont des loisirs ou qui s’occupent de leur famille !

Vous allez à rebours de l’histoire des avancées sociales et ne faites que propulser la France dans le jeu du dumping social !

J’en veux pour preuve les articles 16 et 17 du projet de loi, qui tendent à rendre caduques l’idée même de temps de travail, celle de repos compensateur, et à instaurer une société du « travailler toujours plus pour gagner, à terme, de moins en moins » !

En prévoyant de fixer par accord d’entreprise le contingent annuel des heures supplémentaires et la contrepartie en repos, l’article 16 du projet de loi soumet les salariés à l’arbitraire des patrons. Il ne restera plus, comme limite légale, que les 48 heures hebdomadaires fixées par la législation européenne ou les 44 heures prévues par le droit français sur une moyenne de douze semaines.

Avec l’article 17, vous flexibilisez à outrance le temps de travail. Vous étendez sur la semaine les conventions de forfait en heures, jusqu’alors applicables aux seuls cadres, pour des questions évidentes d’autonomie dans l’organisation de leur travail et de leur emploi du temps.

Ensuite, vous rendez applicables à tous les salariés des conventions de forfait sur l’année. Une fois encore, ces négociations ne feront l’objet que d’un accord d’entreprise !

Voilà comment, en deux articles, vous inversez le rapport de force social. Là où le caractère collectif de notre droit permettait de protéger les salariés, vous accentuez encore l’inégalité du rapport de force avec l’employeur ! Vous renvoyez la question du temps de travail et du repos des travailleurs à une discussion individuelle entre salarié et travailleur.

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

M. Jean Desessard. Vous banalisez les heures supplémentaires !

En enterrant définitivement l’idée qu’un projet de société puisse être fondé sur la réduction et sur le partage du temps de travail, vous encensez l’individu producteur, vous réduisez l’être humain à cette seule dimension. Vous faites fausse route !

Vous niez le sens du progrès social et du développement durable, qui devraient permettre aux salariés de travailler moins.

Vous niez le sens de l’émancipation humaine, qui suppose que les travailleurs puissent construire leur vie à la fois dans le travail, en famille, durant leurs temps de repos et de loisirs.

Vous niez tout ce qu’ont apporté les 35 heures et les RTT, ne serait-ce qu’en termes de confort de vie. Vous oubliez que les Français y sont attachés.

Enfin, vous oubliez la pénurie de travail, la pénurie de ressources naturelles et la nécessité de partager davantage et de préserver la planète.

Ce n’est pas en détériorant les conditions de vie des travailleurs et en augmentant leur temps de travail que nous produirons mieux. Parce qu’il s’agit bien de cela : il ne faut pas « travailler plus », il faut « travailler mieux » ; il faut que tous puissent travailler, et travailler dans des conditions décentes ! (M. Jean-Luc Mélenchon approuve.)

Avec méthode et constance, vous détruisez l’ensemble des acquis sociaux, pour limiter la négociation sociale à un face-à-face entre un travailleur isolé et un patron tout-puissant.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le renard libre dans le poulailler libre !

M. Jean Desessard. Vous étendez au champ social l’individualisme dominant dans la société civile et de consommation. Ce faisant, vous favorisez la désagrégation sociale.

Monsieur le ministre, avec ce projet de loi, c’est donc à rebours du progrès social, de la prise en compte des enjeux environnementaux, donc de l’histoire, que vous vous inscrivez. Vous comprendrez, dès lors, que les sénatrices et les sénateurs Verts s’opposent à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Ils sont verts de rage ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis comporte deux volets différents.

Le premier d’entre eux répond à une nécessité. En effet, depuis des années, il est question de la représentativité des organisations syndicales. Monsieur le ministre, vous êtes parvenu à un accord, assorti de modalités raisonnables. Par conséquent, je pense que tout le monde, dans cet hémicycle, approuvera la première partie de ce projet de loi.

M. Jean Desessard. Pas tout le monde !

M. Alain Gournac, rapporteur. Presque tout le monde !

M. Jean-Pierre Fourcade. Sur le second volet, qui concerne les heures supplémentaires et les 35 heures, la différence est plus importante.

M. Jean Desessard. Là, il y a un fossé !

M. Jean-Luc Mélenchon. Il y a même un abîme !

M. Jean-Pierre Fourcade. Mon ami Serge Dassault a évoqué tout à l’heure les difficultés que nous devons surmonter dans la compétition internationale du fait d’une certaine théorie du partage du travail, théorie que, précisément, ne partagent nullement nos concurrents, qu’il s’agisse des Européens ou des pays émergents, l’Inde, la Chine et d’une manière générale, tous les pays asiatiques.

Monsieur le ministre, les solutions que vous proposez pour remédier à cette situation feront bien entendu l’objet de débats approfondis.

Je remercie M. Gournac de son excellent rapport, qui montre bien la démarche délicate des rédacteurs du projet de loi s’agissant notamment de la primauté qui est donnée aux accords d’entreprise. Dans tous les pays où nous tentons d’exporter nos produits, il y a des accords d’entreprise.

M. Alain Gournac, rapporteur. Oui, partout !

M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà déjà vingt ans que nous discutons de la fameuse hiérarchie des accords interprofessionnels, de branche et d’entreprise. Il est temps d’aboutir.

Sur le second volet de ce projet de loi, je suivrai la commission.

Cependant, monsieur le ministre, permettez-moi de vous en faire l’amical reproche, je considère qu’il manque deux parties dans votre projet de loi.

Il aurait dû d’abord comporter un troisième volet consacré aux six millions de salariés des trois fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière. Nous attendons une modification des méthodes de calcul du contingent d’heures supplémentaires …

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. … et une modification des possibilités de récupération des jours de RTT.

Il convient de traiter ces sujets, sauf à vouloir aggraver les conditions de travail dans la fonction publique par rapport au secteur privé, ou vice-versa, car on peut se poser la question de savoir où est la productivité et où sont les meilleures conditions de travail…

Il serait donc souhaitable que le ministre chargé de la fonction publique vous emboîte le pas. Ce volet, absent de votre texte, pourrait faire l’objet d’un projet de loi dans quelques mois. Nous aurions alors une vision complète du monde du travail.

Les problèmes liés au sous-emploi des personnes de plus de cinquante ans sont moins importants dans la fonction publique que dans le secteur privé. C’est un avantage de la fonction publique. Il reste à traiter la question des heures supplémentaires et celle de la réglementation des conditions de travail.

Enfin, votre projet de loi aurait dû comporter un quatrième volet consacré au désengagement financier de l’État du dispositif des 35 heures, qui a été évoqué par M. Serge Dassault.

Lors de la discussion, dans cet hémicycle, de la proposition de loi que M. de Robien avait fait adopter à l’Assemblée nationale, j’avais pensé, je le reconnais –  je n’étais pas le seul – que les évolutions technologiques, notamment dans certains secteurs industriels, permettraient de réduire la durée du travail sans conséquence dramatique pour l’économie. Il m’avait semblé que l’on pouvait soutenir cette expérimentation en participant au financement du passage de 40 heures ou 39 heures à 35 heures.

Le coût de cette opération fut très élevé. Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, de la « brioche vendéenne », élément essentiel de cette opération. (Sourires.) Cependant, l’allégement de charges sociales que nous avions alors consenti était limité dans le temps, puisque le dispositif était prévu pour ne durer que sept ans.

De la même façon, lorsque Mme Aubry a fait voter ses textes, les allégements de charges sociales étaient limités dans le temps, à cinq ans.

Or, lorsque ces expérimentations ont été engagées, entre 1992 et 1993, le taux de chômage était de 12 %, et, du fait de l’impatience de certains, mais aussi au nom d’une idéologie qui faisait reposer les chances d’une baisse de ce taux de chômage sur une réduction de la durée du travail, on a en quelque sorte « fongibilisé », « sédimentarisé » l’ensemble de ces éléments. Voilà comment nous en sommes arrivés à la situation présente.

Les deux rapports les plus récents, au demeurant excellents, sur l’engagement de l’État dans le financement des 35 heures ont été publiés l’un par M. Alain Vasselle et l’autre par M. Philippe Marini. Tous deux montrent que l’engagement de l’État est important. Il était, en 2007, de 25 milliards d’euros selon M. Vasselle - de 20 milliards d’euros selon M. Marini - et il atteindra 29 milliards d’euros en 2008. En d’autres termes, nous finançons des allégements de charges dont nous ne connaissons pas les résultats, mais qui représentent aujourd’hui plus de la moitié du déficit budgétaire !

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est très important !

M. Jean Desessard. Je suis contre les exonérations de charges.

M. Jean-Pierre Fourcade. Le rapport que M. Marini a présenté à la commission des finances voilà quelques jours montre que 72 % des allégements de charges –  25 milliards d’euros, je le rappelle – sont concentrés dans le secteur tertiaire alors qu’ils étaient destinés, à l’origine, à permettre au secteur industriel de faire face à la concurrence internationale et d’éviter les délocalisations.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Fourcade. On le voit, monsieur le ministre, les enjeux sont d’importance. Aussi, plutôt que de vouloir tout arrêter, il me semble préférable d’agir avec méthode ; celle que je vous propose tient en trois points.

Premièrement, il faut analyser l’impact de ces allégements – 29 milliards d’euros en 2008 – sur la trésorerie des entreprises, sur leur capacité d’investissement et sur l’emploi.

Le taux de chômage est aujourd’hui de 7,5 %, contre 12 % en 1992 et 1993.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, vous avez la responsabilité de la DARES, la fameuse direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques, elle qui a affirmé que les 35 heures ont permis de créer ou de protéger 400 000 emplois.

M. Alain Gournac, rapporteur. Ce point a été traité par une commission d’enquête !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il me semble souhaitable de demander à la DARES de réaliser une étude d’impact sérieuse sur le triple plan de la trésorerie des entreprises, de leur niveau d’investissement et de l’emploi. On ne peut pas avancer sur cette question sans connaître ces différents paramètres.

Deuxièmement, dans le cadre du dialogue social que vous préconisez, les partenaires sociaux doivent être informés sur l’utilisation des allégements de charges accordés à des entreprises pour effectuer certains recrutements.

Il est certes légitime de réduire le coût du travail pour faciliter l’embauche de jeunes sans qualification, de personnes en difficultés ou handicapées, mais les partenaires sociaux doivent savoir comment sont utilisées les sommes rendues disponibles par les allégements de charge et, partant, doivent connaître l’efficacité des mesures ainsi financées. De ce point de vue, l’efficacité est un critère essentiel.

Troisièmement, enfin, il faudra adopter un calendrier pluriannuel – sur trois ans ou sur cinq ans – de désengagement de l’État. L’objectif est de parvenir, en 2012, à une réduction importante. C’est selon moi, monsieur le ministre, la seule manière de rétablir l’équilibre de nos finances publiques d’ici à 2012.

Un simple regard sur le tableau qui retrace, dans le rapport de M. Marini, l’augmentation des allégements fiscaux suffit pour comprendre que, si nous ne faisons rien, si nous nous contentons de discours, il sera impossible de rétablir l’équilibre des finances publiques en 2012. (L’orateur montre à l’assemblée ledit tableau.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Fourcade. Donc, après avoir mesuré l’impact des allégements de charges et assuré la bonne information des partenaires sociaux sur l’utilisation des fonds représentatifs de ces allégements, nous pourrons, dès 2009, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, envisager le désengagement de l’État, car, ne l’oublions pas, les allégements de charges sociales sont remboursés par le budget de l’État.

Ce désengagement, qui s’étalera sur plusieurs années, devrait nous procurer un double bénéfice : d’une part, retrouver l’égalité de traitement avec l’ensemble de nos partenaires, de l’Eurogroupe d’abord, de l’Union européenne ensuite, qui ne supportent pas cette charge d’un poids extraordinaire ; d’autre part, réaliser enfin le retour à l’équilibre que nous avons promis, un temps envisagé pour 2010 et reporté à 2012.

Monsieur le ministre, je sais bien que vous n’êtes pas directement responsable de l’ensemble de ces dossiers, mais il s’agit de sujets essentiels et vous êtes membre du Gouvernement. Or, c’est le Gouvernement qui envisage, pour 2009, de soumettre l’évolution du Fonds de compensation pour la TVA à la progression normée de 1 % des concours publics de l’État aux collectivités territoriales, ce qui réduira les capacités de développement de ces collectivités. Et c’est le même gouvernement qui se désintéresse de la répartition et de l’utilisation d’une masse de 20 milliards d’allégements de charges, dont 72 % pour le secteur tertiaire ?

Je m’insurge contre cette situation, monsieur le ministre. Il convient de faire réaliser, pendant les vacances parlementaires, une étude interministérielle, sous la responsabilité du Premier ministre, afin que nous soyons éclairés lors de la discussion du projet de loi de finances.

Il serait vain d’assouplir la durée réelle du travail, de sortir des 35 heures, comme vous le proposez, si nous continuions de laisser peser sur nos finances publiques le coût excessif de ce dispositif. Cela nous interdirait de faire jeu égal avec nos partenaires dans la mondialisation en cours. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)