M. Guy Fischer. Il est au-dessus des lois !

Mme Annie David. Il est vrai que s’il regroupe la majorité, pour ne pas dire la totalité, des employeurs du CAC 40 – ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à délocaliser pour plus de profits, sans se soucier des salariés ainsi jetés à la rue, et qui réclament toujours plus de flexibilité pour eux et moins de droits pour les salariés ! –, le MEDEF ne représente pas la grande majorité de ceux qui font l’emploi dans notre pays.

M. Guy Fischer. Tout à fait !

Mme Annie David. Aussi peut-on se demander quelle est sa légitimité pour négocier certains accords qui, finalement, ne concernent qu’un petit nombre de ses adhérents.

C’est pour cette raison que le principe de validation d’un accord par une ou plusieurs organisations syndicales représentant au moins 30 % des suffrages constitue en soi une avancée sociale, bien qu’il ne s’agisse pas encore de la reconnaissance du principe majoritaire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il le faut bien : la CGT ne signe jamais !

M. Alain Gournac, rapporteur. Ou si rarement ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

Mme Annie David. C’est pour cette raison que nous vous proposerons quelques amendements qui visent cet objectif, à l’article 6 du projet de loi.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé que ce texte permettrait sans doute l’apparition de syndicats « réformistes », afin, bien évidemment, de lutter contre l’émiettement syndical… Les partenaires sociaux ont sans doute apprécié vos propos ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

Aussi est-il proposé de fixer un seuil minimal d’audience de 10 % dans les entreprises et de 8 % dans les branches pour permettre à un syndicat de s’asseoir à la table des négociations. Pour ma part, je pense qu’il faut distinguer la représentativité, c’est-à-dire le pouvoir de négocier avec le principe de l’accord majoritaire, tel qu’il est ici proposé, et le pluralisme syndical. Toutefois, vous voyez sans doute dans ce dernier l’origine de l’émiettement syndical !

De même, le nouveau statut du délégué syndical m’interpelle : jusqu’à présent, celui-ci était « désigné » par un syndicat, dans la mesure où il est censé représenter cette organisation dans sa totalité, et non la seule section syndicale, ou encore moins les électeurs.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Encore faut-il qu’il possède la légitimité nécessaire !

Mme Annie David. De plus, les dispositions de la seconde partie de votre texte lui promettent des négociations difficiles, pour lesquelles il aura bien besoin de tout son temps. S’il doit cumuler la participation à ces discussions avec ses fonctions d’élu, il ne sera plus guère disponible pour le travail en entreprise…

Néanmoins, je comprends tout à fait la volonté des partenaires sociaux d’éviter qu’un délégué ne représente que lui-même : cet argument, avancé par les signataires de la position commune, se vérifie, malheureusement, dans certaines entreprises.

A contrario, la création d’un représentant de section syndicale apparaît comme un nouveau droit accordé aux organisations syndicales. Ce nouvel acteur, distinct du délégué syndical, bénéficierait du statut de salarié protégé et de quatre heures de délégation chaque mois, afin, notamment, de préparer les élections professionnelles. Toutefois, son statut est des plus précaires et le temps qui lui est accordé est bien limité pour qu’il puisse atteindre véritablement ces objectifs. Nous présenterons donc quelques amendements pour remédier à cette difficulté.

Quant au financement du dialogue social, qui fait l’objet de l’article 8 du projet de loi, j’approuve la volonté de le clarifier, mais la rédaction de cette disposition ne nous semble pas tout à fait claire.

Monsieur le ministre, ce texte, qui vise à rénover la démocratie sociale, passe néanmoins sous silence la question du statut, de la formation, de la fin du mandat et du déroulement de carrière de l’élu syndical ; aucune de ses dispositions ne porte sur l’information syndicale des salariés, par exemple en cas de conflit, et il n’ouvre aucun droit nouveau pour l’activité syndicale dans les petites entreprises.

Au final, alors que, selon vos propres termes, ce projet de loi serait « ambitieux » et « historique », sa première partie nous laisse un goût d’inachevé !

Pourtant, le renforcement de la démocratie sociale passe nécessairement par la dévolution aux salariés et à leurs organisations syndicales de nouveaux droits et pouvoirs, qui devraient s’étendre à toutes les décisions essentielles concernant la gestion, le niveau et la qualité de l’emploi, les conditions de travail, les choix industriels et les décisions d’investissement, les opérations stratégiques de rachat, de fusion, de délocalisation ou de cession d’activités. Voilà qui aurait été « ambitieux » et « historique » !

Malheureusement, vous avez pris la rénovation par le petit bout de la lorgnette, en évitant soigneusement tout ce qui pouvait apparaître comme une introduction de la démocratie participative dans l’entreprise, en privant les salariés de leur droit à la parole et à la contestation, en ne permettant pas à leurs représentants de peser véritablement sur les choix stratégiques des entreprises. Alors que, dans de nombreux conflits, ces femmes et ces hommes sont porteurs de projets de substitution, rien dans votre texte ne les renforcera.

Bien sûr, vous vous abritez derrière la position commune adoptée par les syndicats et les organisations patronales, tout en soutenant que celle-ci n’a pas vocation à être transposée dans la loi et en mettant d’ailleurs vos paroles en musique, puisque vous la foulez aux pieds, dans le mépris le plus total des partenaires sociaux.

En effet, la seconde partie de ce texte n’est que l’illustration d’une profonde contradiction entre votre volonté affichée de rendre tout son sens au dialogue social et vos actes qui consistent, au contraire, à museler les partenaires sociaux et à imposer votre idéologie du travail !

Monsieur le ministre, la réduction du temps de travail est un processus historique émancipateur, objet d’un long combat du mouvement ouvrier, et bien que les résultats du passage aux 35 heures soient contrastés, elle n’en reste pas moins un instrument important de la lutte contre le chômage et de l’amélioration des conditions de vie.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’INSEE ou du MEDEF, chacun reconnaît que « le processus de RTT a conduit […] à un rapide enrichissement de la croissance en emplois […] et ceci, sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises ».

En outre, selon une étude de la DARES, la direction des études du ministère de l’emploi, qui date de 2005, quelque 60 % des parents de jeunes enfants déclarent que la réduction du temps de travail leur a permis de mieux concilier vie familiale et activité professionnelle.

Je vous rappelle, monsieur le ministre, qu’à l’instar de la productivité du travail le dynamisme démographique est un facteur de la croissance économique potentielle ! Or, pour relancer celle-ci, qui se trouve au plus bas après la mise en œuvre, ces dernières années, d’une politique de relance par l’offre, vous persistez dans cette voie, arguant que nos concitoyens seraient moins productifs que leurs homologues d’autres pays dits « développés » et qu’il faudrait donc « réhabiliter le travail » ! Où est la réhabilitation du travail lorsque n’importe quel emploi précaire ou saisonnier va devenir une offre raisonnable d’emploi, que l’on devra accepter sous peine de subir une réduction considérable de ses allocations de chômage ?

Contrairement à l’idée que vous souhaitez véhiculer, selon laquelle les salariés français seraient moins productifs que ceux des autres pays, le rapport du Bureau international du travail de septembre 2007 indique que la France affiche l’un des taux de productivité du travail les plus élevés au monde, puisqu’elle arrive juste derrière les États-Unis et la Norvège, qui se trouve en tête dans ce domaine.

Aussi, pourquoi vouloir rendre plus facile le recours aux heures supplémentaires, en supprimant au passage l’autorisation de l’inspecteur du travail, alors que, aujourd’hui, malgré un plafond qui s’établit à 220 heures, seules 54 % des entreprises y ont recours, ce qui représente, en moyenne et par salarié, 5,9 heures supplémentaires dans le mois ? Vous le voyez, monsieur le ministre, une nouvelle augmentation du contingent d’heures supplémentaires, pour le porter jusqu’à 405 heures par an, n’est pas à ce point « vitale » pour nos entreprises, tant s’en faut !

Pourtant, vous allez encore plus loin dans la déréglementation du temps de travail en portant atteinte au repos compensateur, inscrit dans le marbre de la loi en 1976 et qui était jusque-là obligatoire car il protège la santé et la sécurité des travailleurs. Monsieur le ministre, vous qui affirmez vous soucier de la santé des salariés, vous devriez être plus attentif au repos compensateur !

M. Guy Fischer. C’est le dernier de ses soucis !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il préfère chasser les « feignants » !

Mme Annie David. Ce texte intègre désormais le repos compensateur dans la négociation, alors que ce droit, d’utilité publique, se trouve reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

Quant aux forfaits jours, qui concernent surtout les cadres, ils seront étendus aux salariés dits « autonomes », une notion qui reste à définir et qui recouvre nombre de personnes, dont la durée de travail ne peut être prédéterminée.

Alors que le texte initial ne prévoyait pas de plafond, instituant, de fait, une durée travaillée annuelle de 282 jours, l’Assemblée nationale a dû en fixer un par défaut de 235 jours, hors accord collectif, tout en laissant à la négociation la possibilité d’aller au-delà. Il s'agit d’une régression sociale majeure, car cette disposition revient à ôter des journées travaillées les samedis et les dimanches, le 1er mai et les seules cinq semaines de congés, en supprimant les journées de réduction du temps de travail.

M. Xavier Bertrand, ministre. Le plafond est à 282 jours !

Mme Annie David. Monsieur le ministre, cessez d’affirmer qu’il n’existe pas actuellement de limite à la durée annuelle du travail : l’article L. 3121-45 du code du travail, dont j’ai le texte sous les yeux, prévoit explicitement que le nombre de journées travaillées « ne peut dépasser le plafond de 218 jours » !

M. Xavier Bertrand, ministre. Et qu’est-ce qui vient après ? Lisez l’article jusqu’au bout !

Mme Annie David. Dans le même esprit, le forfait heures n’est rien d’autre que l’unification par le bas des dispositifs d’aménagement du temps de travail, tels que la modulation, l’annualisation, le temps partiel modulé ou le travail par cycle ou posté, avec un pouvoir de décision unilatéral de l’employeur en matière d’organisation de l’activité.

Cette évolution s’accomplira, notamment, au travers de l’article L. 3122-3 du code du travail et de la possibilité laissée aux employeurs de retenir la limite haute de 48 heures de travail au cours de certaines semaines, auquel cas les salariés concernés n’auront plus droit à aucune heure supplémentaire. Certes, dans votre texte, la durée légale du travail reste fixée à 35 heures, mais cette disposition est vide de sens.

Enfin, en posant la supériorité des accords d’entreprise sur les accords de branche, vous mettez à mal le principe de faveur ou de la hiérarchie des normes, qui assurait un socle d’égalité des droits des salariés.

Outre ses conséquences sur les conditions de vie et de travail, sur la santé et la sécurité, sur le pouvoir d’achat, cette seconde partie du projet de loi, en instaurant un principe de défaveur, introduit un nouvel élément dans la course à la compétitivité au sein d’une même branche. Elle favorise du même coup le dumping social par le chantage sur le temps de travail et l’intensification de l’activité, puisque la négociation d’entreprise s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables !

En outre, vous institutionnalisez l’individualisation des relations sociales, le « gré à gré », au détriment de la loi, pourtant protectrice.

Force est de le constater, l’objectif visé ici est la recherche du seul intérêt de l’entreprise, censé correspondre à l’intérêt général. On retrouve, dans ce raisonnement, le modèle économique de la « main invisible » d’Adam Smith, fondé sur l’idée que la poursuite de l’intérêt individuel conduit à la réalisation de l’intérêt général.

Toutefois, l’histoire, depuis plus de deux siècles, nous a enseigné que c’était le contraire qui était vrai : ce sont les progrès sociaux, acquis à travers les luttes, qui créent une société viable, parce qu’ils sont partagés par une grande partie de la population ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Annie David. Monsieur le ministre, cette idéologie d’un autre temps, d’un autre âge, n’a plus de sens aujourd’hui !

Pour relancer véritablement la croissance économique, remplir les carnets de commandes de nos entreprises et augmenter le revenu réel par habitant, donc le pouvoir d’achat, la panacée n’est donc pas, comme chacun peut le mesurer quotidiennement, de « travailler plus », mais plutôt d’élever le taux d’emploi, tout en réalisant des gains supplémentaires de productivité.

Dans cette perspective, les leviers à actionner sont la promotion de l’emploi des jeunes et des femmes, ainsi que l’investissement dans l’innovation et dans la formation des salariés, qui constituent les principaux facteurs d’augmentation de la productivité. Il s’agit aussi d’augmenter les minima sociaux et de revaloriser les bas salaires, dont les bénéficiaires concourent, par leur propension à consommer plus élevée, à soutenir la croissance !

C’est, en somme, toute la question de la redistribution des richesses créées dans notre pays qui se trouve aujourd'hui posée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est des étapes majeures dans notre histoire législative qui rendent confiance en la capacité d’une société à s’inscrire dans le mouvement de la justice et du progrès.

Il en a été ainsi des grandes lois de 1936, de celles qui furent issues du programme du Conseil national de la Résistance, de celle légalisant l’interruption volontaire de grossesse, des lois Auroux et, bien évidemment, de l’abolition de la peine de mort. Monsieur le ministre, il en est d’autres, comme celle-ci, qui consacrent la faute, l’injustice et la régression sociale !

M. Guy Fischer. Voilà !

Mme Christiane Demontès. Aujourd’hui, vous présentez un texte qui comprend deux volets, dont chacun aurait mérité un examen spécifique. Vous les couplez pour que le premier, qui porte sur la démocratie sociale, joue un rôle de levier et permette de faire voter le second, qui concerne le temps de travail. Cette façon de procéder n’est cohérente ni avec vos discours sur le dialogue social ni avec le respect des partenaires sociaux.

Il est devenu indispensable de légiférer sur la démocratie sociale et, plus précisément, sur la représentativité syndicale ; chacun en convient, y compris les partenaires sociaux. Si le texte que vous nous proposez s’en était tenu à cette dimension, sans doute aurions-nous pu arriver à un consensus.

Hélas, monsieur le ministre, la tentation était trop forte ! Afin de justifier l’injustifiable, vous prétextez que les partenaires sociaux n’étaient parvenus à aucun accord sur le temps de travail alors qu’ils négociaient depuis trois mois.

Il est vrai qu’il y avait urgence. À l’Assemblée nationale, un député UMP affirmait même qu’il était impossible « d’attendre pour libérer la croissance, le travail et l’emploi ». Mais vous avez déjà commis six textes de régression sociale sur le temps de travail, et vous êtes au pouvoir depuis six ans !

Or la situation de notre pays va de mal en pis.

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Christiane Demontès. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Pourquoi n’avez-vous pas mis en application l’accord conclu entre des syndicats et des employeurs représentant 800 000 entreprises artisanales, relatif au financement du dialogue social ? Sept ans plus tard, vous n’avez toujours pas pris les décrets nécessaires ! Le respect du dialogue social à la carte, selon les desiderata de l’UMP, est visiblement votre modus operandi, et nous le condamnons.

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Christiane Demontès. Dans les faits, dès le départ, le Gouvernement a vicié les négociations.

Conscient du fait que les organisations syndicales avaient des désaccords sur les critères de représentativité, vous avez pris ce prétexte pour ajouter un texte visant à modifier les conditions de travail, lequel, présenté seul, aurait sans doute provoqué un tollé social.

Ainsi, en appelant les partenaires sociaux à négocier sur le temps de travail et sur la représentativité des syndicats, vous avez perverti l’objet même des négociations. Les partenaires sociaux ont eu beau faire remarquer que les deux sujets n’avaient rien en commun, l’UMP et le Gouvernement, tout à leur entreprise idéologique et à leur stratégie interne, sont demeurés sourds.

Faisant preuve de responsabilité, les syndicats signataires – la CGT, la CFDT, mais aussi le MEDEF et la CGPME – ont accepté de faire figurer, au sein de l’article 17 de la position commune, la possibilité de déroger à titre expérimental – j’insiste sur ce point – par accord d’entreprise majoritaire au contingent annuel d’heures supplémentaires.

Mais, une fois de plus, sans respect pour le travail des partenaires sociaux, vous avez décidé de passer outre et de radicaliser la position commune. Cette attitude est d’autant plus choquante que nous étions plutôt disposés à transposer cet accord, comme l’a déjà affirmé Jean-Pierre Godefroy.

M. Xavier Bertrand, ministre. Comme celui du 11 janvier !

Mme Christiane Demontès. Agir de la sorte est inconséquent : demain, après cette trahison, pensez-vous que les partenaires sociaux vous feront de nouveau confiance ? Lorsque nous avons auditionné, sur l’initiative de M. le rapporteur, les partenaires sociaux, tous ont évoqué un « coup de couteau dans le dos ».

Vous arguez du fait que votre décision procède de l’inadéquation entre les résultats de la négociation et vos attentes. Dès lors, pourquoi ouvrir des négociations ? Sous votre autorité, elles ne sont, dans le meilleur des cas, qu’un triste paravent servant à légitimer a posteriori les prises de position idéologiques de l’UMP.

Cette brutalité n’a d’égale que l’inconvenance des propos du Président de la République selon lesquels quand il y a des grèves, plus personne ne s’en aperçoit !

M. Guy Fischer. Scandaleux !

Mme Christiane Demontès. Tout cela est emblématique du mépris dans lequel vous tenez des millions de nos concitoyens qui souffrent de la déréglementation, de l’individualisation des relations sociales que vous leur imposez, de la mise à l’index du droit du travail et de l’institutionnalisation de la loi du plus fort. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Vous vous dites modernes, mais vous êtes des archaïques, des adeptes des vieilles idéologies libérales. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)

Parce que nous sommes opposés à cette manière de procéder, parce que le respect des partenaires sociaux est le fondement de la démocratie et du dialogue social, nous déposerons des amendements tendant à la suppression des articles 16 à 19 du projet de loi. S’ils sont adoptés, l’objectif et le résultat de la négociation ne seront pas falsifiés.

Réformer le dialogue social est un impératif d’ordre économique et social ; nous l’avons dit et nous le réaffirmons. Pour autant, une telle réforme doit concerner l’ensemble des partenaires sociaux. Or votre texte est muet sur les critères permettant d’apprécier la représentativité patronale. Comme l’ensemble des syndicats, nous déplorons vivement ce fait.

M. Xavier Bertrand, ministre. Respectez-vous la position commune ?

Mme Christiane Demontès. Nous rappelons que la liberté de candidature au premier tour des élections dans l’entreprise doit être instituée, puisque les résultats de ces élections serviront à apprécier la représentativité.

À ce titre, nous souhaitons que des réponses soient rapidement trouvées à la problématique essentielle que constitue la représentation des 4 millions de salariés des PME. Annie David vient d’y faire allusion.

Il en va de même pour l’accord majoritaire, auquel nous sommes attachés et qui demeure notre objectif. Pour autant, nous acceptons que la validation d’accords puisse s’effectuer sur une base de représentation syndicale de 30 % des salariés.

Une question demeure : elle tient à l’existence, parfois très ancienne et qui paraît directement menacée, de représentations syndicales de type professionnel, concernant notamment les journalistes, les conducteurs de la RATP ou les pilotes de ligne.

J’en viens maintenant à la priorité accordée à l’accord d’entreprise. Elle constitue une rupture essentielle avec notre histoire sociale. Vous enterrez le principe de faveur, qui a conditionné et fait progresser vers plus de justice et d’équité les relations entre employeurs et salariés. Vous renversez la hiérarchie des normes. Dans les faits, les salariés qui pouvaient bénéficier de dispositions plus favorables contenues dans l’accord de branche n’auront plus comme seule possibilité que de s’en remettre à l’accord d’entreprise, et ce même si ce dernier est défavorable en termes d’heures supplémentaires, de repos compensateur ou de modalités d’organisation du temps de travail. L’accord de branche est ravalé au rang de simple supplétif entrant en application uniquement faute d’accord d’entreprise.

Le Gouvernement consacre donc la suprématie du contrat sur la loi, celle de l’accord d’entreprise sur la négociation de branche. Le prétexte de permettre une gestion plus proche du terrain ou celui de la contractualisation, valeurs qui seraient parées de toutes les vertus économiques, ne tiennent pas.

En réalité, la majorité fait de la durée du travail l’un des facteurs de la concurrence entre entreprises. Et que l’on ne nous dise pas que les salariés pourront s’opposer à ce mouvement de fond ! Vous rendez-vous bien compte des conséquences qui découleront directement de cette évolution ?

Alors qu’une certaine unité prévalait jusqu’à présent au sein des branches, vous allez atomiser les règles d’organisation du temps de travail. Ce dernier deviendra source de dumping entre entreprises. Qui plus est, les salariés français, pour le moment protégés dans une certaine mesure du dumping sur les conditions de travail éventuellement pratiqué par des entreprises étrangères, ne disposeront même plus de ce bouclier social.

Quel choix restera-t-il aux salariés, qui, dans les faits, se retrouveront dans la même position que celles et ceux que l’on menace de délocalisation en cas de refus de remettre en cause les acquis sociaux, voire d’accepter une baisse drastique des salaires ?

Que deviendront les conditions de travail des chauffeurs routiers, par exemple, soumis à une concurrence extrême venue de l’Europe de l’Est ? Vont-ils devoir travailler plus de 60 heures, au mépris de leur propre santé et de la sécurité ?

Mme Christiane Demontès. Que pensez-vous qu’il adviendra du repos compensateur ? Il s’agissait jusqu’alors d’une obligation instaurée par une loi de 1970, relative notamment aux heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent. S’il devient une simple disposition optionnelle, soumise à l’existence d’une convention ou d’un accord la prévoyant expressément, pensez-vous sérieusement que, d’ici à trois ou quatre ans, les salariés en bénéficieront encore ?

Mesurez-vous bien les incidences de cette politique de régression sociale sur la santé publique et, par conséquent, sur les finances sociales, qui ne sont guère brillantes, comme nous l’avons vu hier ? Il est clair que non ! Cela explique certainement que vous ayez accepté la directive européenne sur le temps de travail.

La parole de M. Larcher, qui avait déclaré que jamais la France n’accepterait pareille directive car la crédibilité du modèle social européen et la protection de la santé des travailleurs étaient en jeu, a été balayée.

Votre vision de l’être humain est archaïque et brutale. (Protestations sur les travées de lUMP.) Elle nous renvoie aux heures sombres de l’ère industrielle, quand le salarié était corvéable à merci,…

Mme Christiane Demontès. … quand l’employeur le considérait comme un coût, comme une variable d’ajustement économique parmi d’autres.

M. Alain Gournac, rapporteur. Cosette, où es-tu ?

Mme Annie David. C’est ce dont vous rêvez !

Mme Christiane Demontès. À cette conception, nous opposons le mouvement de l’histoire, celui du progrès social, de la dignité et de la loi, qui est pensée non pour asservir, mais pour libérer.

Mme Christiane Demontès. C’est pourquoi nous considérons comme essentiel de conserver à l’accord de branche une primauté sur l’accord d’entreprise.

M. Alain Gournac, rapporteur. Pas nous !

Mme Christiane Demontès. Après six années de gouvernement de droite, les caisses sont vides, le pouvoir d’achat recule, la précarité s’étend. Au lieu de remettre en cause votre obsolète vision idéologique de notre société, vous la radicalisez encore.

Non content d’avoir imposé une recodification régressive du code du travail, en étendant le champ du domaine réglementaire aux dépens du domaine législatif afin de pouvoir supprimer certaines dispositions favorables aux salariés par un simple décret, non content d’avoir favorisé le développement des conventions de gré à gré entre salariés et employeur tout en abrogeant des normes en matière de protection de la santé des travailleurs, voilà que vous faites sauter les maigres protections qui restaient aux salariés, lesquels, rappelons-le, n’ont jamais autant travaillé et produit qu’actuellement.

Mme Christiane Demontès. En définitive, cette entreprise idéologique, tout droit issue d’un thatchérisme de triste mémoire, n’a d’autre objet que d’en finir avec le code du travail et de plonger notre pays dans une brutale déréglementation.

Vous dites vouloir mettre fin au carcan des 35 heures ; mais c’est l’organisation même des conditions de travail que vous jetez à bas. Les conséquences sur les conditions de vie, sur la santé, mais aussi sur l’équilibre de la vie sociale de toutes les familles, seront lourdes.

Monsieur le ministre, votre action est guidée non par le pragmatisme, mais par l’idéologie la plus libérale, celle qui laisse tant d’individus sur le bord du chemin.

En définitive, le moins-disant social est votre objectif premier. Le gouvernement auquel vous appartenez, qui sert une idéologie de régression sociale, restera dans l’histoire comme celui du retour au xixe siècle, cela a déjà été dit. Nous nous opposerons donc avec détermination à vos projets. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)