M. Christian Poncelet, président du Sénat. Comme pour le cumul !

M. Arnaud Montebourg. C’est là toute la différence entre les mots et les actes. Car les mots du pouvoir sont aussi doux et enjôleurs que ses actes sont parfois brutaux.

Beaucoup de nos compatriotes ont mesuré au baromètre de la confiance ce que valent les engagements du Président de la République, surtout lorsqu’ils sont verbaux.

M. Jean-Pierre Brard. Rien du tout !

M. Arnaud Montebourg. Pourquoi voudriez-vous que nous nous y laissions prendre à notre tour ? Les Français se sont laissé entreprendre par les promesses du candidat Sarkozy. La gauche ne peut pas se laisser circonvenir par les promesses du candidat devenu Président.

En vérité, incapable de construire sérieusement la confiance à laquelle la gauche était disposée à se laisser convaincre (Murmures sur plusieurs bancs), incapable de bâtir le consensus, préférant jouer à la loterie une réforme aussi importante, le pouvoir en est venu à user d’expédients déshonorants contre les députés de sa propre majorité. Une élue de la majorité s’est exprimée hier publiquement pour réprouver les méthodes employées, tantôt en la menaçant de la faire battre, tantôt en lui proposant une mission parlementaire rémunérée.

M. Jean-François Copé. C’est inacceptable de dire cela !

M. Arnaud Montebourg. Un autre élu de la majorité a déclaré hier : « Je suis choqué par des méthodes qui relèvent de la menace, du chantage et de la tentative d’achat. »

M. Benoist Apparu. Tout le monde sait qu’il n’y a jamais aucune pression au parti socialiste !

M. Arnaud Montebourg. Faire passer une réforme à coups de règle sur les doigts, n’est-ce pas la preuve de son caractère contestable ? (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

En vérité, le pouvoir s’est replié sur ses forteresses conservatrices. Là où le pays demandait, monsieur le Premier ministre, de grandes avancées démocratiques, vous vous êtes enfermé avec les plus antiréformateurs pour faire cette réforme, la faisant rétrécir au lavage de chaque lecture, la réduisant à quelques avancées, certes positives – que vous avez énumérées sous les rires du Congrès – mais perdues au milieu d’un programme d’accroissement général de la concentration des pouvoirs.

Cette réforme est, à mes yeux, une scandaleuse et triste occasion manquée devant l’histoire de notre pays. (« Faux ! » sur plusieurs bancs.) Elle aurait pu être la démonstration que les partis politiques qui s’affrontent sur de nombreux terrains sont capables, comme des adultes, de se concilier pour redéfinir les règles du jeu dans l’intérêt des citoyens et de la République.

Cette réforme aurait pu s’inspirer, dans son dénouement, de ce qu’il advint lorsque Simone Veil, ministre de la santé, défendit courageusement la réforme légalisant l’avortement en 1974. La droite ne voulait pas la voter. La gauche sauva la réforme.

M. Jean-Pierre Balligand. Eh oui ! C’est cela le sens de l’histoire !

M. Arnaud Montebourg. C’est ce que nous étions prêts à faire (Exclamations sur plusieurs bancs) si cette réforme avait contenu les quelques projets démocratiques que nous avions mis sur la table avec constance et fidélité.

Finalement, les refus obstinés, provocants, parfois infantiles, de nous donner sérieusement satisfaction et de prendre en considération de façon approfondie nos demandes auront assuré la conjugaison de tous les conservatismes au détriment de la République et des Français.

Les Français ont soif de démocratie. Elle est l’outil dont ils ont besoin pour exprimer leurs graves problèmes et peser sur les solutions. Pour leur donner toute leur place, il faudra ouvrir les portes et les fenêtres de la République en construisant un nouveau système politique, plus représentatif des Français, plus délibératif, plus participatif, mieux équilibré, moins dangereux, et, au total, plus constructif pour l’avenir de la France.

Ce nouveau système politique, c’est celui que nous désirons ardemment. Nous le nommons VIe République. Nul doute, quel que soit le résultat de ce soir, que les Français finiront par l’imposer. C’est donc avec les regrets d’une occasion tristement manquée, et armés de ces meilleurs espoirs, que, malheureusement, monsieur le Premier ministre, nous voterons contre votre projet. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Huées sur quelques bancs.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Nouveau Centre de l’Assemblée nationale.

M. François Sauvadet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le rendez-vous que nous avons aujourd'hui, à Versailles, n’est pas un jeu de rôles ; c’est un rendez-vous important pour l’avenir de la démocratie française. Les débats ont été passionnés parce qu'ils touchent le cœur même de nos institutions.

Au Nouveau Centre, nous nous sommes engagés pleinement car nous attendions depuis longtemps une telle occasion de repenser nos institutions.

La modernisation de nos institutions aurait dû, sans nul doute, être conduite dès 2000 en même temps que la réforme du quinquennat, car l'inversion du calendrier électoral, présidentiel puis législatif a complètement changé l'équilibre et la nature de nos institutions,

Mais aujourd'hui, la question qui nous est directement posée, c'est de savoir si, oui ou non, nous allons saisir les opportunités d'évolution, de rééquilibrage au profit du Parlement, offertes par ce texte, ou si, au contraire, nous allons en rester au statu quo, au seul motif que nous ne serions pas allés assez loin.

Je vous le dis comme je le pense, monsieur le Premier ministre : le mieux ne doit pas devenir l'ennemi du bien : il n'y aura pas demain de plan B pour la réforme institutionnelle ! (Applaudissements sur quelques bancs.)

M. François Rochebloine. Très juste !

M. François Sauvadet. Je ne comprends pas la logique de ceux qui, jour après jour, critiquent l'hyperprésidentialisation du régime et se refusent aujourd'hui à voter un rééquilibrage de nos institutions en faveur du Parlement.

La question de la présidentialisation du régime s'est posée au moment du quinquennat en 2000. Elle a fait du Président l'acteur et le meneur de jeu. Les Français veulent un Président qui agit, qui assume, mais un Président dont les pouvoirs sont encadrés et contrôlés par un Parlement qui, lui aussi, doit être en capacité d'agir et d'assumer ses fonctions. Tous les candidats aux élections présidentielles ont évoqué cette nécessité parce qu’il s’agit avant tout d’un enjeu démocratique. Force est de constater, aujourd'hui, que Nicolas Sarkozy est le premier Président de la République à proposer un tel rééquilibrage. Combien de Présidents, ayant successivement critiqué les dérives présidentialistes du régime, ont fini par endosser le costume institutionnel et embrasser le rôle du monarque républicain ?

M. Jean-Pierre Brard. Du monarque tout court !

M. François Sauvadet. Et je le redis à nos collègues socialistes : je ne comprends pas leur attitude. Ils devront s'expliquer devant les Français sur ce refus, avec tous ceux qui auraient la tentation de voter « non ».

M. Jean Mallot. Ne vous inquiétez pas pour nous !

M. François Sauvadet. Car si nous n'adoptons pas ce projet de loi, nous resterons avec un Parlement corseté. Je tiens à saluer, comme le Premier ministre, le travail du comité présidé par Édouard Balladur, auquel ont participé des personnalités de toutes sensibilités.

M. François Sauvadet. Dans ses recommandations, ce comité a rappelé l’impérieuse nécessité démocratique d'adapter nos institutions. Il a pointé leurs dysfonctionnements et les errements provoqués par les révisions constitutionnelles successives, adoptées sans que l'équilibre global de nos institutions ait pu être repensé. Nous en avons connu neuf en quinze ans ! Le projet de loi de révision constitutionnelle qui nous est soumis aujourd'hui est le premier depuis cinquante ans à nous proposer une vision globale. C'est conscient de cet enjeu que le groupe Nouveau Centre est entré avec beaucoup de conviction dans ce débat,…

M. Jean-Pierre Brard. Conviction ! Qu’est-ce que ça veut dire au Nouveau Centre ?

M. François Sauvadet. … avec l'ensemble des parlementaires, au premier rang desquels Jean-Christophe Lagarde, que je tiens personnellement à saluer pour son engagement.

Nous avons apporté à ce débat ce que nous pensons être juste et utile au pays. Nous nous sommes battus, au Nouveau Centre, avec nos amis du groupe Union centriste du Sénat, contre l'instauration d'un bipartisme réducteur. Reconnaître le pluralisme dans la Constitution, la diversité politique comme étant une chance pour la vie démocratique, c'est donner de la vitalité à nos institutions et c'est aussi une conception moderne de notre démocratie.

Ce sera le cas avec l’article 2, cher Michel Mercier, qui prévoit que la loi garantit l’expression pluraliste des opinions. La bataille du pluralisme, nous l’avons également menée pour que les droits des groupes minoritaires soient reconnus, et pas seulement les droits de l'opposition. Des droits reconnus à tous les groupes politiques qui participent à la vie démocratique, c'est cela aussi le respect du pluralisme. Nous souhaitons que chaque courant de pensée soit reconnu comme tel et puisse se retrouver au Parlement. La reconnaissance du pluralisme est pour nous, vous le savez bien, monsieur le Premier ministre, un point essentiel, parce que c’est permettre aux Français de choisir.

Le groupe Nouveau Centre a aussi mené la bataille de la responsabilité en matière financière, pour que soit inscrit dans la loi fondamentale l'objectif d'équilibre budgétaire. C'est, pour nous, une exigence morale vis-à-vis des générations futures.

Pour la première fois dans la Constitution est affirmée la nécessité de concilier deux exigences : la pluri-annualité budgétaire et l'objectif d'équilibre des comptes publics.

Nous aurions aimé aller plus loin, mais c'est un premier pas qui ouvre la possibilité au juge constitutionnel d'apprécier les futures lois de finances.

Nous avons également mené bataille au Nouveau Centre pour accorder davantage de droits aux citoyens : le référendum d'initiative populaire, proposé par notre collègue Jean-Christophe Lagarde, ou l'exception d'inconstitutionnalité qui vient corriger un retard démocratique – les citoyens se verront davantage impliqués et protégés – en sont l’illustration.

Ce texte est aussi celui du respect des engagements pris à l'égard de nos compatriotes pour ce qui concerne la question de l'élargissement de l'Union européenne. Ainsi, le peuple aura son mot à dire dans la définition des frontières de l'Union.

L'impartialité de l'État est un combat que nous menons depuis de nombreuses années. Créer les conditions pour que les nominations du Président de la République soient encadrées et soumises à l’avis du Parlement et des commissions, voilà une avancée réelle, comme, du reste, le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ne soit plus présidé par le chef de l'État.

J’évoquerai encore le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et l’évaluation de nos politiques publiques. Une semaine sur quatre sera désormais réservée au contrôle de l’action du Gouvernement dans l’ordre du jour des assemblées. Ces avancées importantes contribuent à assurer une démocratie plus vivante. Qui peut le nier ?

En outre, le recours au fameux article 49-3 sera encadré et des possibilités nouvelles seront données en matière de contrôle des interventions militaires.

Monsieur le Premier ministre, fidèles aux idées institutionnelles que le Centre a toujours portées, les députés du Nouveau Centre voteront ce projet de loi car il contient de véritables avancées en matière d’impartialité de l’État, de pluralisme politique, de démocratie et de renforcement du rôle du Parlement. Bien sûr, je l’ai dit, nous aurions souhaité aller plus loin, mais rejeter ce projet aujourd’hui reviendrait à s’en tenir au statu quo. Ce serait condamner la Ve République à rester dans les errements institutionnels qu’on lui connaît et continuer sur la voie d’une démocratie déséquilibrée.

Chacun d’entre nous va être placé devant sa responsabilité. Pour nous, ce ne sera pas le Président de la République qui sortira vainqueur ou perdant du vote de cette réforme. Le seul perdant ou le seul vainqueur à l’issue de ce Congrès sera la démocratie française et la conception que nous devons en partager ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour le groupe Union Centriste-UDF du Sénat.

M. Michel Mercier. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe des sénateurs centristes a tenté tout au long des débats de faire vivre les idées du Centre en matière constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Brard. Ah bon ! Il en a ?

M. Michel Mercier. Autant que votre groupe, monsieur Brard, et en général on se tait quand les autres ont la parole.

M. le président. Monsieur Mercier, veuillez poursuivre.

M. Michel Mercier. Mes idées sont des idées simples.

M. Jean-Pierre Brard. 0n l’avait remarqué ! (Rires.)

M. Michel Mercier. Il s’agit de chercher à instaurer le gouvernement de la liberté par un certain agencement des institutions. C’est cette idée que nous avons essayé de défendre à travers les amendements que nous avons soutenus au cours des débats devant le Sénat.

Le Gouvernement doit pouvoir gouverner, cela est évident. Mais nous savons que certaines règles issues du parlementarisme rationalisé ont conduit à un parlementarisme bridé. Nos institutions ne fonctionnent pas comme il le faudrait car nos citoyens n’y ont pas toute leur place.

C’est pourquoi nous défendons une idée toute simple, celle du pluralisme. Je vais m’expliquer sur le sens que nous lui donnons.

L’ambition affichée par le comité Balladur était d’aboutir à une Ve République plus démocratique – c’est d’ailleurs le titre de son rapport – en accordant de nouveaux pouvoirs au Parlement et de nouveaux droits aux citoyens.

Je dois dire que l’inscription dans la Constitution de l’exception d’inconstitutionnalité constitue pour certains de mes collègues et moi-même un acquis fondamental. J’y tiens personnellement car je considère qu’il manquait dans notre système juridique une possibilité pour les citoyens de s’appuyer sur la règle fondamentale. Nous sommes le seul pays où l’on ne peut pas aller devant le juge et se réclamer d’une exception d’inconstitutionnalité. Désormais, le Conseil constitutionnel pourra se prononcer sur des textes dont il n’a pas été saisi – soit qu’on n’ait pas pensé à le faire, soit qu’il y ait eu accord pour de ne pas le faire –, après renvoi d’une exception par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Le citoyen retrouve ainsi ses droits.

S’agissant du Parlement, je retiens particulièrement la possibilité de discuter du texte directement issu des travaux de la commission. Mais les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement ne valent que s’il y a un véritable rééquilibrage des pouvoirs. Y est-on parvenu ? C’est une question fondamentale.

D’un certain point de vue, des limitations ont été apportées aux pouvoirs du Président, notamment en matière de nomination, pour aboutir à une sorte d’exécutif tempéré. Le Parlement a des droits nouveaux comme le droit de résolution – nous aurions aimé qu’il soit plus clairement défini mais c’est un premier pas. En outre, les ordonnances devront être ratifiées de façon expresse.

Mais là n’est pas l’essentiel. Un Parlement fort est un Parlement plus représentatif, comme cela a été très clairement indiqué dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle. Au terme de longues discussions, nous avons fait adopter un amendement qui prévoit que la loi garantit l’expression du pluralisme.

M. Jean Arthuis. Très bien !

M. Michel Mercier. C’est une vraie question et je voudrais affirmer ici que cela ne signifie pas que nous demandons – nous ne l’avons jamais fait et nous ne le ferons jamais – un scrutin proportionnel intégral, qui est le scrutin des causes perdues. Nous l’avons bien vu la dernière fois que notre pays y a eu recours. Nous demandons un scrutin mixte, qui permette au fait majoritaire de s’exprimer et qui corrige les effets du scrutin majoritaire par une dose de proportionnelle. C’est la condition même pour avoir un Parlement qui soit suffisamment représentatif et fort pour que les pouvoirs de l’exécutif et ceux du législatif s’équilibrent.

Nous estimons que ce texte comporte des garanties. Elles demandent à être affinées et je suis sensible au fait qu’un grand nombre des membres de notre groupe acceptent d’apporter leur concours à cette réforme fondamentale de notre Constitution. Nous considérons qu’une fois la révision constitutionnelle votée, elle n’appartient plus à ceux qui en ont décidé mais à ceux qui la font vivre, aux Françaises et aux Français : parlementaires et citoyens auront des occasions de rendre leur République plus démocratique.

Certains membres de notre groupe, davantage sensibles au contexte qu’au texte lui-même, ont décidé de ne pas voter en faveur de ce projet de loi constitutionnelle. Nous avons respecté leur choix, car c’est aussi notre philosophie. Pour notre part, nous souhaitons que ce texte, en devenant une partie de notre Constitution, permette une République plus démocratique. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat.

M. Guy Fischer. Mesdames, messieurs les parlementaires, si vous votez cette révision constitutionnelle, vous vous retrouverez ici même, dès le premier jour de la session, pour écouter le discours du Président de la République vous indiquant, sous le feu des caméras, votre feuille de route.

La venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès est hautement symbolique de la dérive de nos institutions depuis l’instauration de la Ve République, et plus particulièrement depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962. Sous prétexte de mettre un terme à l’instabilité politique de la IVe République, notre République en est venue à avoir un pouvoir exécutif à la tête hypertrophiée. Or, bien loin d’apporter un remède à cette hypertrophie présidentielle, ce projet de loi l’aggrave. Il est d’ailleurs intéressant de constater que vous minimisez cette nouveauté, qui constitue pourtant la raison majeure de la réforme aux dires mêmes de M. Pasqua. C’est bien simple, vous n’en parlez plus.

L’article 8 du projet de loi qui organise l’intervention présidentielle devant le Congrès du Parlement est d’application immédiate. Point de loi organique, point de modification du règlement à prévoir comme pour la plupart des autres dispositions du projet. La raison d’être du texte, son moteur, s’impose à nous.

Pourtant, l’introduction dans notre Constitution de ce discours digne de celui d’un monarque, assénant la parole présidentielle aux parlementaires, sans que ceux-ci puissent s’adresser ensuite directement à lui ni même exprimer leur opinion par un vote, modifie profondément l’équilibre des pouvoirs.

Le Président devient une sorte de Premier ministre, mais sans avoir à en endosser la responsabilité politique. Il est à la fois le chef de la majorité et du parti de la majorité. Son droit de dissolution n’est pas remis en cause, pas plus que l’attribution des pleins pouvoirs en vertu de l’article 16 de la Constitution.

Ce présidentialisme à la française consacre un exécutif à une tête, doté d’une majorité présidentielle captive, ainsi qu’une confusion des pouvoirs comme il n’en existe dans aucune démocratie. De fait, c’est la disparition de la fonction d’arbitrage que conférait, en tout cas juridiquement, la Constitution de 1958 au Président de la République.

Depuis des mois, vous agitez un leurre. Cette réforme constituerait, selon vous, un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient bien ingrats de refuser ! Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ». Vous avez du mal à convaincre, malgré des sondages manipulés de dernière minute et une désinformation systématique sur le contenu du texte. (Exclamations sur divers bancs.)

L’ordre du jour ? En guise de partage, deux semaines par mois pour le Gouvernement, une pour le Parlement, et un jour pour l’opposition. Est-ce cela le statut de l’opposition ?

Pour l’organisation du travail en commission, est-ce le Parlement européen qui vous inspire ? La bureaucratie et le lobbying qui le caractérisent n’en font pourtant pas un modèle. Mais l’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause un droit élémentaire des parlementaires, celui d’amender. Le droit d’amendement y est corseté comme jamais ! Les deux principales conséquences de ce projet que nous nous apprêtons à valider ou à refuser organisent donc la mise à mort du droit d’amendement et la réduction de la séance publique.

Le projet instaure un véritable 49-3 aux mains de la majorité présidentielle.

Le droit de résolution ? Il n’ajoute aucun pouvoir au Parlement – on voit ce qu’il en est en matière européenne –, pas plus que les débats thématiques, dont on peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement.

L’intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? Les trois cinquièmes exigés pour les refuser la rendent inopérante.

En réalité, le projet ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958. Il l’aggrave.

En revanche, votre réforme tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : instauration du scrutin proportionnel ; limitation du cumul des mandats ; vote des immigrés aux élections locales ; initiative citoyenne. D’évolution démocratique au Sénat, il n’est pas question. Celui-ci restera aux mains de la droite.

Pourtant, le respect du pluralisme et donc la représentativité du Parlement sont constitutifs d’une démocratie « irréprochable » que le candidat Nicolas Sarkozy se plaisait à évoquer. En fait, dans ce texte, on ne trouve aucune garantie du pluralisme, mais bien au contraire un renforcement systématique du fait majoritaire.

Les tractations de dernière minute pour faire voter le texte coûte que coûte, l’intervention du Président de la République par voie de presse, faisant mine d’octroyer ce que sa majorité refuse, en disent long sur vos conceptions d’une démocratie irréprochable.

Le mépris est en harmonie avec la tromperie de ce projet de loi et met en lumière sa vraie nature : 1’hyper-présidentialisme.

Ces méthodes sont choquantes. Et elles le sont d’autant plus que les citoyens ont été écartés des débats. Comment pouvez-vous justifier que vous entendez réformer les institutions de façon très importante – la plus importante depuis 1958 dites-vous –, sans que le peuple soit consulté ?

Le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat est convaincu que le régime parlementaire n’est peut-être pas parfait, mais qu’il est le plus démocratique.

Nous sommes convaincus aussi qu’une réforme de la Constitution doit tendre avant tout à donner plus de pouvoirs aux citoyens et à leurs représentants, dans le respect du pluralisme des opinions.

Nous avions voté contre votre révision en première et deuxième lectures. Nous votons solennellement contre aujourd’hui.

Rejeter cette révision, ce sera rendre un grand service à notre pays, à la République. Nous vous y appelons solennellement. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

M. le président. La parole est à Jean-François Copé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire de l’Assemblée nationale.

M. Jean-François Copé. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous y sommes : le moment décisif est arrivé !

M. Jean-Pierre Brard. Vous voilà soulagé !

M. Jean-François Copé. Et puisque je parle le dernier, puisque vous avez tout entendu sur ce projet de réforme, j’ai envie d’aller à l’essentiel...

M. Jean-Pierre Brard. Modestement !

M. Jean-François Copé. ...et de vous livrer ma part de vérité (« Ah ! » sur plusieurs bancs), non pas simplement en tant que président d’un groupe de la majorité, mais aussi comme parlementaire parmi 906 parlementaires.

Aujourd’hui, je ne veux pas m’adresser à des membres de groupes politiques, à une majorité ou à une opposition, mais à des hommes et à des femmes qui ont entre leurs mains le pouvoir, aujourd’hui et aujourd’hui seulement, de moderniser notre règle commune, dans des proportions inédites.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les constituants que nous sommes sont installés dans ces travées par ordre alphabétique plutôt que par appartenance partisane. C’est bien pour signifier que le sujet qui nous concerne, pour une fois, n’est pas une question de droite, de centre ou de gauche. Ce n’est pas une question de calcul partisan. Aujourd’hui, nous venons tous à Versailles pour honorer le même rendez-vous, un rendez-vous de vérité devant les Français.

J’ai relu ces derniers jours les plates-formes de nos différents partis politiques. Sur le temps de travail, sur l’immigration, sur la fiscalité, il y a bien des différences. Mais sur la question institutionnelle, que de points communs !

Bien sûr, nous n’avons pas toujours la même conception de ce que doit être le meilleur régime pour notre pays, même si nous sommes, les uns et les autres, majoritairement attachés à notre Ve République. Mais, paradoxalement, dans nos différences, nous avons des convergences très fortes, notamment sur deux points majeurs.

Nous plaidons tous pour un meilleur équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif et pour une transformation profonde du travail parlementaire, qui est aujourd’hui totalement obsolète.

Voilà pourquoi nous sommes si nombreux – et je parle sous le contrôle de Jean-Luc Warsmann – à avoir demandé le partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et l’Assemblée, si nombreux à nous être battus pour que le texte examiné en séance publique soit la version amendée par la commission et non plus celle du Gouvernement, si nombreux à avoir plaidé en faveur de l’exception d’inconstitutionnalité, si nombreux à avoir réclamé un meilleur encadrement du pouvoir de nomination du Président. Et voilà qu’un projet de loi prend en compte tous ces aspects.

Regardons ce projet comme il est. Regardons-le sincèrement, en mettant de côté les lunettes déformantes du microcosme politique qui nous anime à longueur d’année. Regardons-le en repoussant les œillères partisanes. Regardons-le comme nous avons regardé la LOLF en 2001, cette constitution budgétaire proposée par la gauche et que la droite a votée majoritairement en ayant en tête une seule chose : l’intérêt supérieur de notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui correspond à toute une série d’engagements que nous avons pris, à droite comme à gauche, lors des dernières élections présidentielle et législatives.

Une fois n’est pas coutume, commençons par la gauche.

Depuis un an, lorsqu’on évoque les institutions de notre pays, un mot revient sans cesse à gauche, prononcé dans tous les colloques, entendu dans les émissions de radio, de télévision, et lu sur Internet, celui d’hyper-présidentialisation.

Que les choses soient claires : je ne crois pas un instant que la volonté du Président de la République de s’engager avec force sur tous les chantiers majeurs pour notre pays pose un problème. Bien au contraire, les Français le demandent.

Ce qui pose problème lorsqu’on parle d’hyper-présidentialisation, ce n’est pas le Président de la République, c’est le Parlement, la position mineure du Parlement, en particulier depuis l’instauration du quinquennat conjuguée avec l’inversion du calendrier électoral. Nous étions majoritairement favorables à ces deux éléments. Seulement, nous n’avons pas fini le travail, nous nous sommes arrêtés en cours de route, nous n’avons pas tiré toutes les conclusions de ce changement. Voilà ce qui risque, à terme, de rendre notre démocratie bancale et déséquilibrée.

Garant de nos institutions, le Président de la République a proposé d’y remédier à travers cette réforme. Il pourrait se contenter de la situation actuelle. Après tout, elle lui profite plutôt ! Pourtant, il a lancé ce chantier de rééquilibrage.

Nous avons tous travaillé d’arrache-pied pour aboutir à un texte qui, bien sûr, n’est pas parfait – d’ailleurs, comment pourrait-il l’être ? – mais qui, dans les faits, réunit les conditions pour un consensus républicain.

Les préoccupations de la majorité et de l’opposition, quoi qu’on en dise, ont été largement prises en compte, et cela fait honneur à notre démocratie.

Pour l’UMP comme pour les centristes, nous avons particulièrement insisté sur la nécessité d’un renforcement du contrôle et de l’évaluation du Gouvernement par le Parlement. Nous avons rappelé l’importance de rester fidèles à nos engagements sur la question du référendum pour les adhésions à l’Union européenne.

Pour le parti socialiste, il ne faut pas avoir la mémoire courte : plus de vingt de vos propositions figurent dans le projet de loi. Au-delà du nombre, je veux souligner que ces amendements sont substantiels.

C’est le cas pour l’institution d’un référendum d’initiative populaire issu d’un amendement d’Arnaud Montebourg et des députés du groupe socialiste. D’ailleurs, je veux rendre hommage à Arnaud Montebourg pour son joli discours. Il faut être très talentueux pour aller aussi loin dans la caricature et faire ainsi oublier qu’on rêverait dans un monde idéal quand on appartient à une nouvelle génération ambitieuse de voter une si belle réforme ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Le Président de la République vient encore de vous donner de nouvelles garanties en matière de temps de parole dans les médias, de refonte de la carte électorale, de droit d’amendement. Malgré cela, à gauche, on cherche encore et encore des raisons de dire non.

D’abord, on nous dit que c’est trop tard. Mes chers collègues, qu’est-ce qui est trop tard ? Le vote ? Il aura lieu dans quinze minutes. Nous avions les uns et les autres tout le loisir de nous poser les questions essentielles.

Ensuite, on nous dit que cette réforme n’intéresse pas les Français. Mais regardons les choses lucidement. Ce n’est pas cette réforme qui n’intéresse pas les Français, mais le Parlement. Et pour cause : ils connaissent bien la politique, ils connaissent bien le fonctionnement de nos institutions, ils savent que c’est le Président de la République qui détient les vraies clés du changement, ils savent qu’au Parlement, c’est beaucoup trop rarement l’essentiel qui est en jeu. Voilà pourquoi ils finissent par considérer l’Assemblée nationale et le Sénat comme deux théâtres où, depuis cinquante ans, dans les mêmes décors, majorité et opposition jouent la même pièce, en échangeant parfois les rôles quand il y a alternance.

Disons-le clairement : cette pièce commence à ennuyer tout le monde. Elle lasse les acteurs comme les spectateurs, avec une mise en scène qui a sérieusement vieilli. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Les textes changent un peu mais, à la fin de chaque acte, c’est la même histoire : la majorité vote oui et l’opposition vote non. Et les rebondissements sont rares ; seuls quelques coups de théâtre artificiels sont parfois servis par de bons vieux couacs qui permettent pendant quarante-huit heures de se désennuyer. Mais quand les lumières se rallument à la fin, on voit bien que la salle et la scène sont désertées.

Ce n’est donc pas un hasard si les Français, comme le montre le sondage paru hier, que tout le monde à gauche feint d’oublier, approuvent massivement cette réforme constitutionnelle. Ils ne comprendraient pas qu’à gauche on la refuse.

Depuis un an, nous, députés UMP, avons commencé à renouveler le genre, à travers la coproduction législative. C’est déjà une immense avancée qui porte des fruits. Imaginez ce qui se passera, demain, si nous n’avons plus simplement à voter des textes tout ficelés et que nous pouvons y travailler en amont. C’est une avancée considérable. Nous devons aller beaucoup plus loin encore.

Seule cette réforme soumise aujourd’hui à notre vote permettra que les parlementaires de la majorité comme de l’opposition reviennent au cœur du jeu institutionnel.

Certes, c’est plus la majorité que l’opposition qui sera en première ligne, mais chacun sait que l’alternance arrivera un jour. (« Pas au Sénat ! » sur quelques bancs.)

M. Hollande dit que, de toute façon, la réforme va passer sans le vote des socialistes. Eh bien non, il faut que chacun prenne sa part à l’effort de modernisation de nos institutions. Et puis, on ne peut pas, quand on aspire à conduire le pays, se prononcer sur une telle réforme seulement par calcul arithmétique.

J’ai conscience qu’à gauche la situation est délicate pour ceux qui constatent toutes les avancées de la réforme et qui aimeraient peut-être voter oui. Je pense aux dix-sept députés socialistes qui ont eu le courage de l’écrire il y a quelques semaines. La donne politique n’a pas tellement changé. Mais ils ne veulent pas donner l’impression qu’ils offrent une victoire à la majorité, parce que Versailles comme Reims sont deux villes sacrées, et je les respecte pour ce qu’elles sont.

Sincèrement, il faut que chacun comprenne que tout le monde sortira gagnant d’une telle réforme. Regardez la LOLF que j’évoquais à l’instant. Personne n’a jamais pensé que c’était la victoire de la gauche contre la droite. C’est un succès républicain, qui perdure encore aujourd’hui. Et nous sommes fiers, les uns et les autres, de mettre Didier Migaud comme Alain Lambert en haut du podium, pour rendre hommage à ceux qui ont porté une constitution budgétaire qui honore notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

Je veux enfin m’adresser à ceux de mes amis parlementaires qui, à droite ou au centre, hésitent à voter oui, ou s’apprêtent à voter non.

Au nom de tout ce qui nous unit, vous et moi, depuis un an, je vous dis les choses en conscience et avec gravité : j’ai besoin de vous. Du bulletin que vous glisserez tout à l’heure dans l’urne dépendra…

M. Jean-Pierre Brard. Votre avenir !

M. Jean-François Copé. …ce que sera le Parlement dans les années et sans doute les décennies à venir, puisque, vous l’avez compris, la gauche se prépare, hélas ! à dire non.

De votre bulletin dépendra notre capacité à prendre toute notre part dans les grandes réformes. L’enjeu est considérable. Il s’agit d’une transformation profonde du mandat de parlementaire.

Depuis des décennies, les réformes sont préparées dans les ministères, décidées dans les ministères, appliquées depuis les ministères. Et les parlementaires se sentent trop souvent peu entendus, voire incompris et marginalisés. Et ils le disent.

Voilà qu’avec la modernisation de nos institutions, ceux qui sont en prise directe avec les Français, ceux qui sont en permanence à leur écoute sur le terrain, vont être associés dès le début à la préparation des réformes.

Aucune loi ne pourra plus être mise à l’ordre du jour et votée sans une véritable coproduction en amont entre le Gouvernement et le Parlement, avec à la clé des études d’impact. Aucune politique publique ne sera plus à l’abri d’un contrôle rigoureux et transparent.

Pour conclure, avant de voter, posons-nous une question, une seule question, la dernière : si le non devait l’emporter, on en resterait au statu quo. En conscience, demandons-nous si nous préférons le statu quo avec ses immenses faiblesses aux avancées indéniables de cette réforme.

J’ai l’intime conviction que cette réforme donnera à chacun de nous les moyens de mieux remplir sa mission au service des Français. Tout dépend maintenant de nous. L’histoire ne repassera pas les plats une seconde fois. Chacune et chacun de nous est placé devant ses responsabilités et devant son destin. C’est maintenant ou jamais ! (De nombreux parlementaires se lèvent et applaudissent.)

M. le président. Nous avons terminé les explications de vote.

Vote par scrutin public

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Le scrutin aura lieu dans les huit bureaux de vote installés dans les salles situées à proximité de l’hémicycle.

Le scrutin va être ouvert durant quarante-cinq minutes. Je prononcerai à dix-huit heures quinze sa clôture, qui sera annoncée par une sonnerie dans chacun des bureaux de vote.

Le scrutin est ouvert.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Le scrutin est clos.

Je rappelle que le Bureau du Congrès a décidé que le résultat du vote serait vérifié par un comptage manuel des bulletins, sous le contrôle des secrétaires du Congrès.

En conséquence, la séance sera reprise, pour la proclamation du résultat, vers dix-huit heures quarante-cinq.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, à nouveau suspendue, est reprise à dix-huit heures trente-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre de votants 905
Nombre de suffrages exprimés 896
Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle, soit les trois cinquièmes des suffrages exprimés  538
Pour l’adoption 539
Contre 357

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. (Vifs applaudissements sur de très nombreux bancs. – Protestations sur divers bancs.)

Le texte sera transmis à M. le Président de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,

Claude Azéma