M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame le garde des sceaux, le budget qui nous est présenté est à la hauteur des ambitions et des objectifs que vous vous êtes assignée depuis votre arrivée au Gouvernement.

Alors que nous sommes, et c’est peu de le dire, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, le budget de la justice augmente de 2,6 % en crédits de paiement. J’y vois le signe que la justice constitue bien l’une des priorités du Gouvernement, ce dont le groupe UMP se félicite.

Ce budget est l’un des seuls, si ce n’est le seul, à enregistrer des créations d’emplois alors que le budget de l’État prévoit plus de 30 000 suppressions d’emplois sur l’ensemble des missions. Ce sont, au total, 952 emplois supplémentaires qui permettront, notamment, de faire face à l’ouverture des 5 130 nouvelles places de prison prévues dans le cadre du programme dit des « 13 200 » issu de la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, présentée à l’époque par Dominique Perben.

Ce budget est volontaire et particulièrement cohérent avec les grandes réformes que vous avez récemment entreprises, madame le garde des sceaux, ainsi qu’avec celles qui vont être prochainement mises en œuvre afin de moderniser notre justice.

Il permet, tout d’abord, de renforcer la lutte contre la récidive, conformément à la loi du 10 août 2007. Nous savons que, sur le fondement de cette loi, 14 000 récidivistes ont déjà été condamnés, dont 50 % à des peines planchers.

Toutefois, la lutte contre la récidive ne consiste pas uniquement en une politique pénale plus ferme ; elle passe aussi par une politique pénitentiaire plus ambitieuse, en termes non seulement de nombre de places disponibles, mais aussi de conditions de détention et d’actions de réinsertion à l’égard des détenus, ces dernières devant être renforcées à travers une politique d’aménagement de peine dynamique.

Une politique pénale n’est en effet légitime que si elle repose sur le strict respect de la personne humaine en détention. Cela a déjà été dit, à juste titre.

Nous sommes nombreux dans cette assemblée à dénoncer depuis longtemps la situation dans les prisons françaises. Une telle situation ne date pas d’hier. En 2002, le Gouvernement avait décidé de s’y attaquer au travers de la loi de programmation dont je parlais à l’instant et qui commence, aujourd’hui, à porter ses fruits. Nous savons que les conditions de détention en France ne sont pas acceptables, que le taux de surpopulation carcérale, qui a atteint 126,5 % au 1er juillet 2008 et peut aller jusqu’à 200 % dans certains établissements, n’est pas admissible.

Pour autant, votre projet de budget répond à cette préoccupation majeure puisqu’il tend à permettre la poursuite du programme immobilier lancé en 2002 et que sept établissements pénitentiaires nouveaux ouvriront leurs portes en 2009, ce qui représentera 5 130 places nouvelles. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Toutefois, on observe trop souvent que les investissements publics sont livrés avec retard. Aussi, je souhaiterais, madame le garde des sceaux, que vous puissiez nous rassurer quant à la réalisation effective de ces nouveaux établissements pénitentiaires en 2009.

Le groupe UMP est également satisfait de l’augmentation de plus de 4 % des crédits de paiement du programme « Administration pénitentiaire », laquelle mérite d’être soulignée et permettra de poursuivre les efforts engagés pour rendre les prisons françaises plus dignes et les mettre en conformité avec les normes européennes, ce qui constitue l’une des préoccupations du Gouvernement.

À cet égard, nous appelons de nos vœux, comme l’a indiqué Jean-René Lecerf tout à l’heure, l’inscription rapide à l’ordre du jour du Parlement du projet de loi pénitentiaire, qui doit apporter un certain nombre d’améliorations s’agissant notamment de la réinsertion des détenus.

Il est grand temps effectivement d’accorder toute leur place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison, afin d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

Madame le garde des sceaux, vous pouvez d’ores et déjà compter sur notre soutien pour mener à bien cette réforme nécessaire et urgente, que nous souhaitons ambitieuse.

Ce projet de budget est animé par une véritable volonté de modernisation que nous saluons avec force. Pierre Fauchon et d’autres orateurs avant lui ont évoqué la carte judiciaire. Elle constitue, me semble-t-il, la première étape de cette modernisation. Elle se met actuellement en place et permettra à la justice de gagner en cohérence, en qualité, en efficacité et en crédibilité, tout en restant proche des citoyens. Rappelons qu’il s’agit d’un engagement qu’avait pris le Président de la République, avec la réforme de l’organisation judiciaire.

Comme certains, je considère qu’un certain nombre de juridictions spécialisées doivent effectivement voir le jour. Nous l’avions d’ailleurs dit à l’occasion de l’examen dans cet hémicycle du projet de loi de lutte contre la contrefaçon, dont j’étais rapporteur.

Maintes fois reportée, cette réforme de la carte judiciaire a été lancée par votre ministère avec courage et détermination, madame le garde des sceaux. C’est une réforme de bon sens et de responsabilité, qui est dans l’intérêt même du justiciable.

Avec la nouvelle carte, un tiers des juridictions seront regroupées. Les moyens nécessaires sont au rendez-vous, puisque près de 427 millions d’euros sont prévus pour financer cette importante réforme.

Une justice qui se modernise, c’est aussi une justice qui se met à l’heure du numérique, surtout en matière civile, tant il est vrai qu’en matière pénale il faut savoir rester quelque peu prudent.

À l’heure des nouvelles technologies, la justice doit être capable de dématérialiser et de fluidifier la transmission des pièces. L’informatisation des juridictions a longtemps été lacunaire. Aussi, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous indiquiez le calendrier de mise en service des principaux projets informatiques de la Chancellerie et que vous nous précisiez quelles améliorations ils apporteront au fonctionnement de la justice.

Enfin, je voudrais saluer la priorité que vous accordez à la prise en charge des mineurs délinquants.

À ce sujet, madame la ministre, vous avez créé, à titre expérimental, des centres éducatifs fermés « psychiatriques » pour les mineurs. Pouvez-vous nous dresser un bilan de l’expérimentation de ces centres et nous dire si vous entendez la poursuivre ?

Sous réserve de ces observations, et pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera les crédits de cette mission, qui porte la marque de votre détermination à œuvrer pour une justice ferme, humaine, ouverte à tous et modernisée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Justice » constitue un moment fort de la discussion du projet de loi de finances dans la mesure où ce ministère, sans doute plus que d’autres, revêt une dimension symbolique, dont la connotation est double : d’un côté, la justice incarne une des missions les plus régaliennes de l’État ; de l’autre, elle est le rempart protecteur dont chaque citoyen peut et doit bénéficier, y compris le plus modeste.

En conséquence, l’examen des crédits de la mission « Justice » ne saurait se résumer à un simple alignement de chiffres ou à un froid commentaire de texte sur les dépenses de fonctionnement ou sur ses actions, mais doit être bel et bien une confrontation d’idées, dans le respect des règles d’éthique qui sont celles de la nature même de la République, ce ministère gérant non pas des productions, mais des destins humains.

C’est pourquoi je voudrais aborder, ce matin, la question de l’incarcération, qui, depuis un certain nombre d’années, est, ici ou là, au centre de toutes les discussions relatives à la justice.

En ce début du xxie siècle, cette question atteint son paroxysme en raison de la surpopulation carcérale, indigne d’une démocratie moderne. Comment accepter que, dans certaines maisons d’arrêt – je pense à celle de Rodez, que je connais bien –, les condamnés se retrouvent à sept ou à huit dans une cellule prévue pour cinq personnes, avec, pour résultat, une promiscuité insoutenable entre les personnes en détention provisoire et celles qui purgent de courtes peines ?

Certes, nous n’en sommes pas revenus au temps du bagne de Cayenne, dont la France –  je ne l’oublie pas – doit la suppression à une éminente figure du groupe auquel j’appartiens, Gaston Monnerville, à l’époque où, peu avant la guerre, celui-ci exerçait les fonctions de sous-secrétaire d’État aux colonies, avant de devenir plus tard le charismatique président de la Haute Assemblée.

Du reste, comment oublier, madame la ministre, que ce fut dans ce même hémicycle, à quelques mètres de nous, qu’un pair de France, sous la Monarchie de Juillet, un jour qu’il se rendait au palais du Luxembourg, fut si frappé par le spectacle d’un forçat enchaîné conduit par les gendarmes qu’il imagina aussitôt en séance son personnage de Jean Valjean, des Misérables ? Vous l’avez reconnu, je fais référence à Victor Hugo, qui fut sénateur de la Seine et grand militant de l’abolition de la peine de mort.

Partageant une idée chère au grand public et à un certain nombre de juristes, les rédacteurs du code pénal napoléonien ont vu dans la peine privative de liberté une panacée contre la délinquance, avec pour double objectif l’élimination des condamnés mis à l’écart de la société, et, de ce fait, ne pouvant plus lui faire courir de risques, et la dissuasion pour ceux qui voudraient imiter leur exemple.

Mais cette idée était bien antérieure au xixe siècle, conforme à toute une tradition répressive qui faisait de la justice un instrument punitif et non éducatif.

Les choses ont aujourd’hui évolué, et force est de constater que l’emprisonnement n’a pas rempli ces deux rôles qu’on espérait lui voir jouer, et ce pour deux raisons essentiellement : le contexte de surpopulation carcérale et le caractère criminogène avéré de la prison.

La prison n’a donc pas empêché la délinquance de progresser et n’a nullement guéri les condamnés libérés, puisque les récidivistes sont nombreux, et même trop nombreux. Cela nous conduit naturellement à chercher, au moins pour les petits délinquants, toutes les solutions possibles pour favoriser les peines substitutives à l’incarcération.

Pour parvenir à cet objectif, certes sans verser dans l’angélisme mais en demeurant fidèle aux valeurs humanistes, il ne suffit pas d’élargir les possibilités de recours à des mesures de substitution, mais aussi de renforcer leur efficacité.

Tout d’abord, il serait bon d’améliorer la prise en charge des condamnés, afin d’inciter les magistrats à prononcer, dans des délais utiles, c’est-à-dire avant que le prévenu n’arrive en fin de peine, des peines autres que l’incarcération, au sens large du terme : peines de substitution à l’emprisonnement, conversions de peine, placements sous le régime de la semi-liberté.

Les peines de substitution ne trouvent leur pleine crédibilité que par une meilleure prise en charge des condamnés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ou par l’intensification des liens entre les services du milieu ouvert et ceux du milieu fermé.

Dans le même esprit, on peut encore tenter de relancer un certain nombre de mesures insuffisamment prononcées, comme l’ajournement du prononcé de la peine avec mise à l’épreuve, qui paraît adapté à la petite délinquance, ou la peine de jour-amende, qui est trop peu utilisée. Ne pourrait-on envisager, enfin, de donner à cette peine son plein caractère de solution de remplacement à l’emprisonnement en prévoyant que le condamné devra procéder spontanément au paiement de la somme fixée ?

C’est l’une des pistes qu’il convient d’explorer, en conservant à l’esprit que la semi-liberté est toujours préférable à l’incarcération totale, puisqu’elle évite la rupture des liens sociaux, professionnels et familiaux, et qu’elle constitue ainsi un réel outil de préparation à la sortie.

L’élargissement du champ d’application des solutions de remplacement à l’incarcération englobe donc l’ensemble des peines et des mesures s’exécutant en milieu dit « ouvert ». Il concerne de ce fait non seulement les peines de substitution à l’emprisonnement, mais encore les mesures susceptibles d’être prises par le juge de l’application des peines, qu’il s’agisse des conversions de peine ou de l’exécution de celle-ci en milieu ouvert : suppression du consentement du condamné, remplacement de la contrainte par corps par un travail d’intérêt général, ou TIG, autorisation de prononcé d’un TIG pour les mineurs de treize à seize ans, création de la possibilité d’une libération conditionnelle avec TIG.

Dans la même logique, il conviendrait d’accroître les compétences du juge d’application des peines, qui est le magistrat le plus souvent au contact des condamnés, et de lui confier de nouveaux pouvoirs d’exécution des peines, tout en renforçant ses prérogatives en la matière.

Alors, et alors seulement, l’amélioration de l’efficacité d’une peine pourrait constituer un instrument de réinsertion sociale.

Nous sommes sans doute nombreux ici à considérer que la prévention vaut mieux que la répression, et qu’une bonne politique judiciaire n’a pas seulement pour but d’éviter la surpopulation carcérale. Le renforcement de l’aspect pédagogique de la peine doit être toujours recherché en priorité, tout autant que l’amélioration de la prise en charge des délinquants.

Si, tous, nous nous donnions les moyens d’y réfléchir, le Gouvernement comme le Parlement, l’administration comme le monde associatif, les magistrats comme les avocats, cela constituerait sans nul doute un réel progrès dans la prévention de la récidive.

Repensons les procédures, revisitons la réglementation, laissons les parties concernées s’exprimer, et nous pourrons dépoussiérer l’attirail des peines et les rendre plus efficaces.

À titre d’exemple, les projets individualisés d’exécution de la peine devraient associer davantage les détenus ; c’est une des voies, parmi d’autres, qui permettraient l’amélioration de l’individualisation administrative et judiciaire des peines.

Sous l’impulsion de son président de l’époque, Guy Cabanel, le groupe RDSE, en digne garant des traditions humanistes de la République radicale, s’est longtemps consacré à la recherche de solutions novatrices pour répondre aux diverses questions que je viens d’évoquer.

L’inexorable augmentation de la population carcérale impose non seulement de conduire une réflexion approfondie sur les améliorations susceptibles d’être apportées, mais encore de rechercher des solutions trop timidement envisagées jusqu’ici. En un mot, il nous faut innover.

À cet égard, la surveillance électronique demeure probablement la solution d’avenir. Les progrès techniques, en effet, permettent d’envisager un nouveau mode de contrôle des délinquants en milieu ouvert, de nature à améliorer leurs chances de réinsertion. C’est là une solution de substitution fiable qui, du reste, a fait ses preuves là où les expérimentations ont été mises en œuvre et qui inverse de façon constructive le « tout-prison », que l’administration pénitentiaire ne parvient guère à gérer.

J’ai noté avec intérêt les souhaits que vous avez exprimés, madame le garde des sceaux, en matière de mesures d’aménagement des peines d’emprisonnement : le placement sous surveillance électronique mobile, la semi-liberté, le placement extérieur, le recours à la libération conditionnelle ou aux suspensions de peine, autant de mesures que je ne puis qu’approuver si elles deviennent effectives.

Mais il faudra sans doute bien davantage que des formules pour changer les mentalités, et seule une réelle volonté politique, comme celle qu’avait naguère manifestée notre très estimé collègue Robert Badinter dans son combat pour l’abolition de la peine de mort, pourra venir à bout d’un système dont on mesure aujourd’hui les limites et dont les conséquences pour la réinsertion des détenus sont désastreuses.

Au terme de mon intervention, je mesure l’effort budgétaire particulier programmé par votre ministère. Je ne peux y être insensible, mais, je le répète, l’enjeu est bien plus vaste. Il est d’abord celui du devenir de destins humains ; il est ensuite celui de la dignité d’hommes et de femmes, parfois d’enfants, que nous devons remettre debout, même si la tâche n’est pas facile, j’en conviens ; il est enfin celui d’un équilibre à trouver entre la répression des crimes et l’éducation des peines, c’est-à-dire la définition même de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, avant de parler des crédits de la mission « Justice », permettez-moi de revenir sur le contexte particulier de cette matinée.

Madame le garde des sceaux, je ne peux me satisfaire des éléments de réponse que vous avez apportés tout à l’heure à la suite de la grave affaire mettant en cause les libertés publiques et le droit de la presse, qui vient de survenir.

Je formulerai cinq observations.

Première observation : l’adresse et les coordonnées précises du journaliste, de son journal et de son avocat figuraient au dossier. Par conséquent, était-il bien nécessaire de l’interpeller à six heures quarante du matin, de le menotter, de lui interdire d’appeler son avocat et de lui infliger les traitements qui ont été décrits dans la presse ?

Deuxième observation : un fonctionnaire a-t-il réellement déclaré que ce journaliste est « pire que la racaille » ? Si les faits sont avérés, une enquête s’impose ; s’ils ne le sont pas, que le Gouvernement défende alors ce fonctionnaire !

Troisième observation : le porte-parole de l’UMP, le député Frédéric Lefebvre, a déclaré que le traitement réservé à ce journaliste est « surréaliste ». Il a ajouté que la « méthode utilisée dans une simple affaire de diffamation semble tellement disproportionnée qu’elle nous paraît devoir donner lieu à une enquête ». Le porte-parole de l’UMP viole-t-il l’indépendance des magistrats ?

Quatrième observation : votre collègue Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, a fait part de son souhait « que toute la lumière soit faite sur les circonstances dans lesquelles ce journaliste a été présenté devant la justice ». Mme Albanel demande donc une enquête. Viole-t-elle le principe de l’indépendance des magistrats ?

Cinquième et dernière observation : ce qui est en cause dans cette affaire, c’est la liberté de la presse. Certes, chaque juge d’instruction est libre de recourir aux moyens qui sont à sa disposition ; pour autant, il doit rester dans le cadre de la loi et des principes de la Constitution.

Permettez-moi de rappeler les termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Il n’y a jamais eu de mandat d’amener pour une affaire de diffamation. Une affaire de diffamation ne peut en aucun cas entraîner l’emprisonnement d’une personne en vertu de la loi. Par conséquent, il s’agit d’une grave menace aux principes de la liberté de la presse et aux principes fondamentaux qui fondent notre droit.

Madame la ministre, je ne comprendrais pas qu’en votre qualité de garde des sceaux vous ne demandiez pas une enquête précise sur ces faits.

Je reviendrai brièvement sur d’autres éléments du contexte judiciaire qui ont déjà été évoqués par de précédents intervenants.

On constate une perte de confiance de nombre de magistrats et de fonctionnaires dans leur ministre. Elle résulte des incohérences de votre politique pénale, madame le garde des sceaux. Ainsi, par exemple, vous réclamez plus de sévérité pour les mineurs et, dans le même temps, vous fustigez les magistrats ayant décidé l’incarcération d’un mineur qui s’est suicidé durant sa détention.

Je ne reviendrai pas sur les positions prises par le Conseil supérieur de la magistrature le 27 novembre dernier. Il y a eu la forte mobilisation du 23 octobre. Il y a eu le texte signé par 534 magistrats pour dénoncer l’« incohérence des politiques pénales », « les injonctions paradoxales », une politique qui développe les peines planchers tout en demandant des aménagements de peines. Il y a la tutelle sur les procureurs, les mutations de procureurs contre leur gré et contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, lorsque ces procureurs, voire des procureurs généraux, ne sont pas priés de solliciter leur mutation ! Je pense ne pas inventer.

Dans sa décision du 13 juillet 2008, la Cour européenne des droits de l’homme écrit que, en France, « le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion ».

Eu égard à ce contexte, ma question est très simple, madame le garde des sceaux : le temps presse, le malaise existe, que comptez-vous faire pour rétablir tout simplement la confiance ?

J’en viens au projet de budget proprement dit.

Mes collègues évoqueront tout à l’heure la politique pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Je m’en tiendrai à quelques réflexions sur les actions relevant de la justice.

Comme l’ont souligné les rapporteurs, le nombre de magistrats diminue de 22 cette année par rapport à l’année dernière, et il y aura 217 départs à la retraite en 2009.

Le nombre de recrutements à l’École nationale de la magistrature passera de 250 en 2009, à 140 en 2011 et à 40 en 2012.

En ce qui concerne les fonctionnaires de justice, le déficit est flagrant.

Madame le garde des sceaux, vous annoncez la promotion de 150 agents de catégorie C en greffiers de catégorie B. En fait, et vous le savez parfaitement, il s’agit d’un tour de passe-passe, car ces postes sont non pas créés mais déplacés, 150 fonctionnaires de catégorie C devenant des agents administratifs.

Les effectifs des fonctionnaires de catégorie B subiront cette année une perte sèche de huit postes et 280 départs à la retraite.

Le nombre de greffiers de catégorie B et de secrétaires administratifs sera également en baisse.

M. Vincent Lamanda a rédigé, à la demande de M. Nicolas Sarkozy, un rapport intitulé Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux. Il préconise, dans sa recommandation n° 15, de renforcer les secrétariats des services de l’application des peines des juridictions : « Chaque cabinet de juge de l’application des peines devrait comprendre un greffier et un agent administratif. » Nous en sommes très loin.

Ma seconde question, après celles qui concernent l’affaire du journaliste de Libération, est simple : comment faire une meilleure justice avec moins de personnels, moins de magistrats, comment réduire les délais de jugement qui sont, encore aujourd’hui, très importants ? Et je ne dis pas cela dans cet hémicycle par hasard.

J’en viens à la carte judiciaire. Les crédits alloués aux opérations immobilières du fait de la réforme de la carte judiciaire n’apparaissent pas très clairement dans votre projet de budget.

Il est indiqué que 14 millions d’euros seront alloués à la carte judiciaire sans que l’on sache s’il s’agit de crédits destinés à indemniser les personnels des juridictions ou de crédits alloués aux aménagements immobiliers. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, madame la ministre ?

Dans le titre « Dépenses d’investissements », il est indiqué que 15 millions d’euros seront alloués en crédits de paiement au titre des dépenses d’investissement liés à la carte judiciaire pour réaliser les travaux immobiliers. Les autorisations d’engagement s’élèveront à 80 millions d’euros. Or, ces sommes sont largement insuffisantes au regard des investissements qu’impose cette réforme.

Madame le garde des sceaux, en septembre 2007, la direction des services judiciaires a considéré que la seule suppression des tribunaux de grande instance nécessitait 247 millions d’euros pendant une durée de six ans.

Dans mon département, deux tribunaux d’instance – Pithiviers et Gien – seront supprimés à compter du 1er janvier 2010. Selon vos représentants, cette décision n’aura pas de conséquences dommageables puisque des maisons de justice et du droit seront créées. Mais pour que les maisons de justice et du droit aient de la crédibilité, il faut qu’au moins un greffier, membre de l’administration du ministère de la justice y soit affecté. Comment pouvez-vous, après avoir supprimé des tribunaux d’instance, créer des maisons de justice et du droit alors que les postes qui seraient nécessaires à leur fonctionnement sont en diminution ? C’est impossible, sauf à demander aux collectivités locales de payer, mais je crains que ce ne soit difficile pour elles. Par ailleurs, cela ne relève pas de leurs compétences. J’ajoute que la justice est par excellence une prérogative régalienne.

Enfin, les crédits de l’aide judiciaire sont en baisse de 14,45 millions d’euros en crédits de paiement. Le plafond de ressources reste de 884 euros, ce qui est bien bas pour de nombreux justiciables.

J’aurais souhaité aborder d’autres sujets, mais je ne peux le faire faute de temps.

Madame le garde des sceaux, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Justice » pour des raisons qui tiennent à trois mots simples.

Tout d’abord, les moyens : on ne peut pas faire une meilleure justice sans moyens complémentaires.

Ensuite, la cohérence : elle manque à votre politique pénale.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, la confiance, qui fait malheureusement défaut. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, et je m’efforcerai donc de ne pas les répéter.

J’évoquerai les crédits de l’administration pénitentiaire avec la gravité qu’imposent les événements survenus ces derniers mois dans les prisons françaises.

Madame le garde des sceaux, une politique pénitentiaire est nécessairement une politique de sanction à l’égard des personnes qui n’ont pas respecté les règles sociales et qui ont causé un préjudice, parfois irréversible, à leurs victimes.

Une fois ce principe est posé, le débat est ouvert. Il s’agit de déterminer quel sort nous devons réserver aux détenus. Je répondrai par une formule : un juste sort.

Or, aujourd’hui, ce juste sort n’est pas acquis. Trop souvent, les détenus subissent une double peine. Une peine publique prononcée par le juge, conformément à la loi, à laquelle s’ajoute une peine secrète, peut-être plus difficile, qui est l’humiliation, l’abaissement de la personne, l’abandon à la violence et à la loi du plus fort, au fond, une peine de négation de l’homme dans le prisonnier.

Les suicides, notamment les suicides de mineurs, fournissent un exemple dramatique de cette réalité qui a valu à la France diverses condamnations de la part d’instances internationales, ce dont nous ne pouvons pas être fiers. Nous avons notamment été condamnés par le Comité européen de prévention de la torture en 2004 et en 2007, par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies cet été, ou encore dans le récent rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Dans ce dernier rapport, Thomas Hammarberg dénonce « les conditions de vie inacceptables de nombreux détenus, qui doivent faire face à une surpopulation, une absence de vie privée, des locaux vétustes, et une hygiène pauvre » ou encore « le haut niveau de suicides dans les prisons françaises [...] symptôme des défaillances structurelles du système pénitentiaire ».

Tout est dit ! Face à ce constat, que faire ?

Nous pourrions d’abord poser un principe simple, inspiré du même Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « Le plein respect des droits de l’homme ne doit pas souffrir des considérations sécuritaires ».

Malheureusement, les choix qui ont été faits dans ce projet de budget sont très éloignés de cette préoccupation.

Bien sûr, nous saluons la hausse des crédits de l’administration pénitentiaire, même si elle reste insuffisante. Nous savons combien elle est nécessaire pour les personnels comme pour les détenus, et, finalement, pour améliorer les conditions d’une réinsertion réussie à laquelle nous devons toujours penser.

Pour les personnels de l’administration pénitentiaire, il s’agit d’un budget en trompe-l’œil. Vous avez certes prévu des effectifs supplémentaires pour les prochaines années, mais, parallèlement, le parc pénitentiaire sera agrandi et de nouvelles missions seront confiées à cette administration. Nous pouvons donc craindre que les conditions de travail ne continuent à se dégrader.

Et surtout, madame le garde des sceaux, comment ne pas relever une incohérence qui prive votre effort budgétaire de son efficacité ? Vous refusez en effet de lier votre politique criminelle et ses conséquences pénitentiaires.

Votre politique répressive, notamment l’instauration des peines planchers, a provoqué une augmentation du nombre de détenus, comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, notamment Mmes Escoffier et Borvo Cohen-Seat. Au 1er octobre 2008, cette augmentation était de 2 122 en un an, et même un peu plus à en croire certains propos. Au total, 63 185 personnes étaient emprisonnées en France au 1er octobre 2008, pour 51 000 places disponibles.

La misère pénitentiaire de notre pays trouve certainement là une de ces causes.

M. le rapporteur spécial a rappelé tout à l’heure que le taux d’occupation de nos prisons atteint en moyenne 126 % et que dans certains établissements, réputés pour leur vétusté, ce pourcentage, qui est déjà inadmissible, était dépassé.