M. le président. La parole est à M. Yves Dauge, rapporteur pour avis.

M. Yves Dauge, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».

Cette position n’allait pas de soi ! La commission revient de loin, monsieur le ministre, car elle souhaitait s’élever fortement contre la situation actuelle, que vous connaissez.

Je ne reprendrai pas les chiffres que notre collègue Adrien Gouteyron a excellemment présentés. Je me contenterai d’évoquer d’entrée de jeu, en concordance d'ailleurs avec les innombrables déclarations des autorités les plus respectées et les plus respectables, le problème politique que pose ce budget.

Dans le contexte mondial actuel, le rayonnement culturel de la France n’a jamais été aussi nécessaire. Le monde est en quête de sens ! Or, sans prétendre que notre pays a des révélations à faire aux autres nations, notre histoire et notre position nous permettent de jouer un rôle essentiel.

Monsieur le ministre, je ne cherche pas à vous convaincre, car vous connaissez déjà parfaitement cette réalité. Il faut y insister avec force, notre pays doit assumer pleinement sa mission dans le contexte mondial actuel !

La France a apporté une contribution décisive à l’adoption de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Mais exploite-t-elle, comme il conviendrait, dans l’organisation de ses services et dans les moyens qu’elle leur consacre, l’extraordinaire avancée que représente la reconnaissance de la diversité culturelle comme un droit, face aux forces qui s’en seraient bien passées ? Il s'agit là d’une question politique essentielle.

Or, malgré ce constat, s'agissant des moyens de notre action extérieure, « on touche à l’os », pour reprendre l’expression utilisée par notre collègue Adrien Gouteyron.

Monsieur le ministre, la commission tient à vous alerter sur cette situation, qui devient extrêmement grave, car elle suscite la démobilisation des personnels, qui ne savent pas où ils vont et s’interrogent donc sur leur propre avenir.

Notre réseau à l’étranger, qui reste un atout considérable, est en train de perdre de sa dynamique et de sa force. Il faut absolument arrêter cette dégradation !

La commission souhaite d'ailleurs travailler avec vous en cours d’année, monsieur le ministre, pour que, ensemble, nous tâchions d’améliorer ce budget. Il est évident que nous n’allons pas le modifier tout de suite, mais nous estimons qu’il reste des marges de manœuvre, afin de mobiliser de nouveau le réseau de la France à l’étranger et de lui rendre des moyens.

La question des crédits de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, est posée. Nous avons rencontré les personnels de cette agence, qui se trouve en grande difficulté en raison du transfert de charges qu’on lui impose.

Alors que d’autres institutions ont bénéficié d’une compensation à l’euro près, il n’en va pas de même de l’AEFE : il manque au budget de cette agence quelque six millions d’euros, qui deviendront d'ailleurs vingt ou trente millions d'euros demain, tant la charge augmentera de façon spectaculaire !

Je ne reviendrai pas sur le problème posé par les frais de scolarité des enfants français à l’étranger. J’indiquerai simplement que la commission soutiendra expressément les amendements déposés sur ce sujet par MM. Adrien Gouteyron et André Trillard.

Enfin, la commission est favorable – à titre personnel, je le suis également – à la création d’une grande agence destinée à regrouper les moyens de l’action culturelle de la France à l’étranger, qui disposerait d’un statut d’établissement public et pourrait gérer son personnel.

La future organisation de cette agence reste pour le moment assez floue. Certains évoquent les risques d’externalisation ou de dépossession, mais je ne crois pas que ceux-ci soient fondés : l’établissement public restera dans la main du ministre, qui nommera son directeur ou sa directrice. Ne jouons pas à nous faire peur !

Honnêtement, je crois qu’il est nécessaire d’aller au bout de cette démarche. D'ailleurs, tous les acteurs y sont prêts, leurs vives réticences initiales ayant été surmontées. Il faut agir, vite, avant que la situation ne se dégrade encore plus !

Sous réserve de ces observations, qui visent à vous alerter, monsieur le ministre, et à susciter un sursaut, la commission, je le répète, a approuvé les crédits de cette mission. (Applaudissements sur diverses travées.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle qu’en application des décisions de la Conférence des Présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quarante minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État » est l’occasion de nous interroger sur la capacité de notre pays à exister en dehors de ses frontières, c’est-à-dire pour les autres, mais aussi pour lui-même, tant il est vrai qu’on ne peut séparer les affaires étrangères de la politique intérieure.

Étrangères, ces affaires le sont si peu qu’elles se répercutent souvent très vite sur les équilibres de la société française et sur nos choix politiques : crises au Moyen-Orient, crise financière, montée irréversible de la Chine, élections américaines qui rebattent les cartes en maints domaines, la multipolarité du monde est d’ores et déjà un fait.

Encore peut-on se demander si elle n’est pas elle-même dépassée par un mouvement brownien de nations qui, à côté de pays continents, aspirent à s’affirmer, hier le Vietnam, aujourd’hui l’Iran, le Venezuela, la Bolivie, la Serbie, demain sans doute la Corée.

Bref, le monde reste fait de nations et la France, puissance ancienne mais encore respectable, membre permanent du Conseil de sécurité, disposant d’une capacité nucléaire dissuasive, tête de la francophonie, qui rassemble, à travers une langue partagée, de très nombreux peuples sur tous les continents, peut encore être influente.

Monsieur le ministre, j’évoquerai tout d’abord votre budget, puis votre politique.

Si votre budget est modeste, votre mission est importante. Si vous ne disposez que de 15 866 emplois, chacun sait que le personnel du Quai d’Orsay est de très grande qualité. Son professionnalisme, sa motivation, son dévouement au service de notre pays en font un corps d’élite et, pour tout dire, une des grandes institutions de la France.

Vous avez hérité, monsieur le ministre, du deuxième réseau diplomatique du monde. C’est un grand atout pour notre pays. Mais que lisons-nous dans ce projet de budget ? À structures constantes, il baisse de 1,53 %, selon les chiffres mêmes que vous avez fournis.

On vous « colle sur le dos » les pensions des enseignants à l’étranger, soit 120 millions d'euros, au risque d’étouffer l’AEFE.

La prise en charge passablement démagogique des frais de scolarité des enfants français – 20 millions d'euros de plus cette année, mais 94 millions d'euros à terme – ne peut manquer d’entraîner un effet d’éviction sur les enfants des élites du pays d’accueil ou de pays tiers. C’est un précieux moyen de rayonnement que nous gaspillons ainsi.

La croissance optique des crédits de votre ministère provient du « rebasage » toujours trop tardif – 41,2 millions d'euros cette année – destiné à financer les opérations de maintien de la paix, les OMP, de l’ONU, comme l’opération Darfour, dont le coût pour la France est estimé à plus de 90 millions d'euros.

Croyez-vous vraiment que des problèmes humanitaires puissent être traités à travers le prisme militaire ? N’existe-t-il pas une approche politique, moins coûteuse, plus efficace et en définitive plus humaine ?

Les contributions de la France hors OMP aux institutions internationales, soit 405 millions d'euros en 2008, représentent plus que le coût de nos ambassades, qui s’élève à 160 millions d'euros, ou que celui de nos consulats, qui atteint 97 millions d'euros.

J’ajouterai un mot, monsieur le ministre, sur la francophonie. Son centre de gravité se trouve de plus en plus en Afrique. N’ayons donc pas peur d’affirmer la nécessité de notre présence, y compris militaire, sur ce continent, pour aider à la construction de jeunes États. Sans sécurité, il n’y a ni développement ni démocratie possibles.

J’observerai également que l’avenir de la francophonie passe par le multilinguisme. Il faut augmenter les moyens accordés au corps des interprètes et traducteurs, non seulement à l’ONU, mais dans toutes les organisations dont nous sommes membres.

Je suggère une surcharge très légère sur les transactions internationales pour préserver la diversité culturelle et linguistique du monde. Voilà une cause qui vaut la peine d’être défendue !

Une contradiction frappe ainsi le budget de votre ministère. La France réduit ses moyens d’action propres et augmente sa participation aux organisations multilatérales. Tout se passe comme si nous avions peur d’agir par nous-mêmes, comme si nous devions dissimuler notre action dans des interventions multilatérales où la France n’apparaît guère.

C’est dans ces conditions que votre ministère se voit appliquer, au nom de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, un plan de rigueur d’une exceptionnelle sévérité.

Vous devez ainsi supprimer 700 emplois en équivalent temps plein, soit 4 % de vos effectifs. Plus d’un départ à la retraite sur deux n’est pas compensé, alors que certains ministères sont beaucoup moins lourdement affectés. Ce sont des économies de bout de chandelle !

Pour reprendre l’expression d’un précédent intervenant, « on touche à l’os ». Plus de la moitié des suppressions de postes concerneront des personnels titulaires, et nous n’améliorerons pas l’image de la France en créant trois catégories d’ambassades. Certains pays se sentiront méprisés par cette différenciation, ce qui sera fortement préjudiciable à notre rayonnement.

Outre les restrictions infligées à l’AEFE, j’observe que les crédits consacrés à l’action culturelle baissent de 13 %, alors qu’on voit l’Allemagne créer des Goethe Instituts, le Royaume-Uni des British Councils, l’Espagne des Instituts Cervantès. Tout se passe comme si la coopération culturelle servait de variable d’ajustement.

D'ailleurs, soyons moins restrictifs à l’accueil des étudiants étrangers, dont l’effectif baisse pour la première fois en 2008.

Comment ne pas comparer la modestie de nos moyens propres au poids des opérations extérieures – 850 millions d’euros dans le budget de la défense, ce qui n’est pas rien, d’autant que les frais réels seraient encore supérieurs – ou au coût du tribunal pénal international pour la Yougoslavie, soit plus de 300 millions d’euros pour plus de 1000 emplois ! Je laisse ces chiffres à votre réflexion, monsieur le ministre, et à celle du Sénat.

Je pourrais également comparer ces crédits à la contribution de la France au budget de l’Union européenne, qui atteindra 17,4 milliards d’euros. En solde net, nous paierons 4 milliards d’euros, ce qui fera de nous le deuxième contributeur net de l’Union européenne, juste derrière l’Allemagne. Où est la cohérence de notre action extérieure ? Voilà une question qui mériterait d’être posée !

Monsieur le ministre, j’en viens à votre politique.

Le XXIe siècle comporte pour la France un grave risque d’effacement, soit que nous nous laissions absorber dans un Empire, soit que notre nation se fracture entre différents communautarismes. Ces deux dangers peuvent d’ailleurs aller de pair.

L’OTAN serait la colonne vertébrale des futurs États-Unis d’Occident, sur lesquels M. Balladur théorise dans un livre récent intitulé Pour une Union occidentale. Je ne crois pas que ce soit là ni l’intérêt ni la vocation de la France : la planète est plurielle, au Sud comme au Nord, et la France a encore un beau rôle à jouer dans un monde de nations.

À quoi sert l’OTAN, monsieur le ministre, quand l’URSS a disparu et dans un monde dont les équilibres se déplacent à grande vitesse vers l’Asie ? Dans deux décennies, le PIB de la Chine aura vraisemblablement rejoint celui des États-Unis.

S’agit-il de nous mettre à la remorque de l’OTAN devenu bras armé de l’Occident, avec les conséquences que l’on observe au Kosovo ou en Afghanistan ?

L’Institut John Hopkins réfléchit, nous dit-on, à un « nouveau concept stratégique de l’OTAN ». Nous aimerions être associés à cette réflexion. Pouvez-vous nous en dire plus ?

S’agit-il de contenir la Russie ? Il est regrettable que le Président de la République ait approuvé le déploiement par l’OTAN de systèmes antimissiles en République tchèque et en Pologne.

M. Bernard Kouchner, ministre. On ne l’a pas demandé !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le principe de l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie a été acté, même si sa concrétisation a été renvoyée à un avenir indéfini.

C’est préoccupant, car nous n’avons pas envie de nous laisser entraîner dans les conflits du Caucase ou dans une nouvelle affaire de Crimée dont Sébastopol serait l’enjeu.

Je passe sur le comportement irresponsable de certains leaders politiques qui peuvent mettre en danger la sécurité collective, comme on l’a vu en Géorgie.

On nous dit qu’il existe des critères pour l’admission dans l’OTAN. Je crains qu’en réalité nous n’ayons mis le doigt dans un engrenage.

Le Président de la République nous a expliqué que la réintégration de la France dans l’organisation militaire de l’OTAN était subordonnée dans son esprit à des progrès décisifs en matière de défense européenne. J’avoue ne pas voir ces avancées : on nous parle d’action maritime commune contre la piraterie sous l’autorité d’un amiral britannique ! Monsieur le ministre, ne nous payons pas de mots.

La seule réalisation concrète significative serait la constitution permanente d’un état-major de forces, auquel s’oppose toujours la Grande-Bretagne.

Le retour dans l’organisation militaire intégrée n’aurait pour la France que des inconvénients. Il porterait un coup à l’originalité de notre posture de défense et de politique extérieure aux yeux des peuples du Sud et des puissances émergentes.

Il renforcerait encore la propension de certains de nos officiers généraux à s’évaluer à l’aune du regard américain plutôt qu’à l’aune de l’intérêt national.

En tout cas, le Parlement a un impérieux besoin de débattre de cette question, notamment du « nouveau concept stratégique de l’OTAN », avant toute décision, et avant même le conseil de l’OTAN prévu en avril prochain à Strasbourg. Il ne serait pas admissible que celui-ci soit l’occasion d’une piteuse mise en scène du retour au bercail du fils prodigue.

Certes, il y a quelques aspects positifs dans votre politique. Le succès du lancement de « l’Union pour la Méditerranée » en est un. (M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, acquiesce.) Mais il est obéré par le fait qu’on n’a pas vu se constituer en 2008 un état palestinien viable, contrairement à ce qu’annonçaient des propos imprudents.

Il y a eu surtout le succès de la présidence française de l’Union européenne, d’abord dans la médiation russo-géorgienne, qui préserve la possibilité d’un partenariat indispensable entre la Russie et l’Union européenne et, ensuite, face à la crise financière quand, grâce à une certaine réactivité, le Président Sarkozy a su mettre en congé – mais pour combien de temps ? – les règles européennes qui eussent pu faire obstacle à une stratégie de consolidation bancaire et, je l’espère aussi, de relance économique coordonnée à l’échelle européenne et mondiale.

Leçon de choses pour ouvrir les yeux de ceux qui ne veulent pas voir, on a assisté au retour de la puissance publique, mais aussi des États-nations Le Président Sarkozy a eu la sagesse de le comprendre et d’agir en pratiquant la géométrie variable en matière européenne. C’est par cercles concentriques successifs – G4, Eurogroupe à quinze auquel s’est jointe la Grande-Bretagne, puis Union européenne à vingt-sept – qu’a été dessiné un cadre de cohérence, dans lequel se sont emboîtés des plans qui restent nationaux.

J’observe que le président de la Commission européenne, M. Barroso, ressassant de vieilles patenôtres, voudrait faire valoir à nouveau les règles de concurrence opportunément suspendues, alors qu’il faudrait faire valoir l’idée de politiques industrielles coordonnées.

Opportune également a été la décision de réunir le G20 à Washington, même si l’application tarde et se heurte en Europe aux réticences de Mme Merkel, dont on ne sait si c’est le dogme libéral ou une vision à courte vue des intérêts de l’Allemagne qui les inspirent. Je crois que le rôle de locomotive de la relance correspond à l’intérêt européen et, par conséquent, à l’intérêt national bien compris de l’Allemagne.

La France ne doit pas avoir peur de son ombre, monsieur le ministre. Les retrouvailles avec M. Bush étaient peut-être un peu trop ostensibles, puisque nous allons devoir finalement travailler avec M. Obama, dont M. Védrine a rappelé qu’il n’était pas un Européen de gauche porté à la présidence des États-Unis. L’un de ses premiers discours, à Chicago, évoquait « un nouveau leadership américain ». La vérité est que M. Obama devra réviser à la baisse les objectifs de la politique extérieure de son pays. Il aura aussi besoin de la coopération internationale pour relancer l’économie et instaurer aux États-Unis une société moins inégalitaire.

M. Obama a souhaité nouer un rapport diplomatique avec Téhéran. Il faut résister à la tentation de frapper et donner du temps au temps. L’Iran est la puissance dominante de la région depuis l’écrasement de l’Irak. Les États-Unis peuvent faire comprendre aux dirigeants iraniens que leur intérêt n’est pas dans la prolifération nucléaire dans une région instable du monde. Il serait intelligent de la part de la France de se placer dans la perspective de ce rapprochement irano-américain probable.

M. Jean-Pierre Chevènement. J’ajouterai un mot concernant le Kosovo. Quel intérêt y a-t-il à prolonger notre présence militaire dans un micro-état non viable ? Il ne sert à rien de faire miroiter à une demi-douzaine d’Etats de l’ancienne Fédération yougoslave la perspective d’une adhésion à l’Union européenne, sans leur avoir demandé de procéder à une intégration régionale préalable.

Un mot encore sur l’Afghanistan : c’est une guerre sans issue. La solution n’est pas à Kaboul, elle est à Islamabad, où la jeune démocratie pakistanaise doit s’affranchir de la tutelle de son armée.

Enfin, une question sur la Chine monsieur le ministre : comment expliquez-vous la vivacité regrettable de la réaction chinoise aux propos du Président de la République ? Est-il bien heureux, monsieur le ministre, qu’après avoir échoué à trouver une solution politique viable au conflit israélo-palestinien, ou aux conflits balkaniques, nous allions nous immiscer dans les conflits immémoriaux de l’Hindou-Kouch, du Caucase, des vallées himalayennes ?

Il y a pour la France une manière raisonnable et honnête d’exister, loin de l’hubris de postures que nous ne pouvons soutenir dans la durée, mais tout simplement en nous tenant à la légalité internationale telle que la définit le Conseil de Sécurité, dont nous sommes membre permanent.

Un dernier mot pour dire qu’il suffirait de modifier une simple disposition à la charte de l’ONU, celle qui permet la réélection des membres élus pour deux ans, pour créer des membres semi permanents, ou quasi permanents, et asseoir encore mieux la légitimité déjà grande du Conseil de Sécurité. Ce serait une bonne idée pour la France.

Voilà, monsieur le ministre ! Au XVIe siècle déjà, Montaigne écrivait qu’il se sentait homme en général et Français par accident. J’aimerais que vous ne vous placiez pas dans cette lignée, mais que vous vous rappeliez que l’on peut défendre les intérêts de la France sans trahir ceux de l’humanité. (Applaudissements sur diverses travées.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient au nom du groupe socialiste de me livrer à l’examen critique de la politique internationale de notre pays.

Qu’il me soit permis de rappeler à quel point le budget que nous avons examiné contraint et oriente la politique internationale effectivement menée. Année du Livre blanc et de la révision générale des politiques publiques, 2008 a été de notre point de vue l’occasion manquée d’un vrai choix, celui qu’a fait avec succès voilà quelques années la Grande Bretagne : donner la priorité budgétaire aux capacités d’intervention, d’analyse et d’influence dans des pays clés et mettre fin à la chimère du réseau diplomatique universel. Au lieu de faire de vrais choix, on a fait des demi-choix, des tiers de choix, qu’on n’a pas fini de payer.

Le résultat est que votre ministère perd de sa capacité à agir d’une façon ordonnée et sur le long terme, parce qu’il sacrifie ses hommes, leur intelligence, leur énergie et leur dévouement, au profit des apparences de la puissance et des coups médiatiques.

En réalité, on brade l’action culturelle, on asphyxie l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et l’on triche sur les chiffres de l’aide publique au développement. L’écart s’accroît entre les discours de la France sur la scène internationale et sa capacité à agir conformément aux engagements pris. Face à la mondialisation, la France a besoin d’une diplomatie solide, mise en œuvre par un ministère des affaires étrangères fort de toutes ses richesses humaines, celles de ses diplomates dont on peut louer le professionnalisme, et fort de moyens financiers dignes d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.

Or, après dix ans d’hémorragie, en hommes et en moyens, vos capacités d’action seront encore plus faibles en 2009 qu’en 2008. Il est vrai que, du fait de la centralisation du pouvoir entre les mains de l’hyper président, le Quai d’Orsay pilote de moins en moins la politique étrangère.

De ce fait, plus que les ruptures annoncées par le candidat pendant sa campagne, nous assistons à des renoncements. Le premier est celui de notre politique en Afrique. Je cite ce que proclamait M. Sarkozy le 7 février 2007 : « L’Amérique et la Chine ont déjà commencé la conquête de l’Afrique. Jusqu’à quand l’Europe attendra-t-elle pour construire l’Afrique de demain ?»

La politique africaine de la France est un bon révélateur de la valse-hésitation et des volte-face du Président de la République depuis son élection. Il avait parlé de « rupture » avec les pratiques d’autrefois, avec les réseaux, les amitiés douteuses, en bref avec la Françafrique. L’Afrique allait voir ce qu’elle allait voir !

Mais on a vite vu qu’il n’en était rien. Dès le soir de son élection, parmi les amis du Président de la République invités au Fouquet’s, on trouvait de puissants financiers bien implantés en Afrique, et qui ne sont pas forcément connus pour leur souci du développement. On a vu ensuite une politique dite « d’identité nationale » et plus certainement d’anti-immigration, notamment envers les populations venant d’Afrique.

Ainsi, après avoir lancé aux Africains « un appel fraternel pour leur dire que nous voulons les aider à vaincre la maladie, la famine et la pauvreté », le Gouvernement est revenu bien vite à une politique « d’immigration maîtrisée », réduisant sa politique de soutien au développement. Et, de plus en plus, la politique française en Afrique relève désormais du ministre de l’identité nationale.

Je ne parlerai pas de Jean-Marie Bockel et de ses propos imprudents, qui lui ont valu d’être renvoyé à la demande des autocrates africains.

J’en viens maintenant au second renoncement grave du Président de la République que nous dénonçons et qui concerne notre rôle dans l’OTAN. Le candidat à la présidence avait affirmé : « L’OTAN n’a pas vocation à devenir une organisation concurrente de l’ONU. L’Europe a des intérêts de sécurité qui lui sont propres. Le renforcement de la défense européenne doit donc rester une priorité. ». Là aussi la rupture avec la promesse est pratiquement consommée. Si nos informations sont justes, la France s’apprête à revenir rapidement dans le commandement intégré de l’OTAN.

Qu’y gagnera la France ? Qu’adviendra-il de la politique européenne de sécurité et de défense, que nous sommes pratiquement les seuls à défendre dans l’Union européenne ? Plus grave encore, la France s’est-elle assurée que les perspectives, les contours et les modalités de fonctionnement de l’OTAN seront redéfinis conformément aux intérêts de la France et de l’Union européenne ?

J’en viens à l’Afghanistan, où nous sommes engagés avec force dans le cadre de l’OTAN. Deux opérations coexistent : Enduring freedom et International security assistance force, ISAF Cette coexistence entraîne des incohérences dont nos soldats sont les premiers à pâtir. Je souhaiterais savoir si notre pays œuvre concrètement pour aboutir à un commandement commun, ou au moins à une véritable coordination des actions.

Nous devrions aussi peser fortement sur le commandement américain pour que cessent les bombardements dont sont victimes en majorité les civils. Il n’y a rien de tel pour renforcer une guérilla, comme le montrent les expériences du Vietnam et de l’Algérie. Enfin, je regrette que le montant de notre aide bilatérale en Afghanistan n’ait été que de deux millions d’euros en 2007, quand celle de la Grande-Bretagne s’élevait à 171 millions d’euros. Nous avons le même PIB et l’engagement militaire britannique est aussi important que le nôtre. La disproportion de l’engagement civil est donc frappante.

M. Bernard Kouchner, ministre. C’est vrai.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Depuis 2001, l’aide internationale à l’Afghanistan a été trop faible et mal distribuée. Nous avons de ce fait perdu la confiance de la population. Le combat qui n’a pas été gagné par la solidarité le sera-t-il avec plus de soldats ? Personnellement, j’en doute.

J’en viens maintenant à notre politique face au conflit entre l’état d’Israël et le peuple palestinien. Le Président Sarkozy avait fait un très beau discours à la Knesset. Après le discours, nous attendions les actes. Mais nous avons eu l’approfondissement du partenariat Union Européenne – Israël, qui a failli être voté hier au Parlement européen, sous présidence française.

Monsieur le ministre, il ne me semble pas acceptable de conférer à Israël un statut de quasi-membre de l’Union, au moment où il construit plus de colonies que jamais, c’est-à-dire qu’il conquiert la Cisjordanie par l’installation de populations civiles, ce qui est formellement proscrit par le droit international ; au moment où les entraves à la circulation se multiplient pour les Palestiniens et dépassent les 600 obstacles à la circulation sur 5000 km², c'est-à-dire moins que les deux tiers d’un département français.

Le blocus de Gaza depuis dix-huit mois provoque la faim, la maladie et la mort parmi 1 700 000 civils sans défense, alors que les hôpitaux n’ont plus de matériel et qu’on ne peut plus les entretenir, comme, avec notre collègue Mme Dupont, nous avons pu le voir en juillet dernier.

Monsieur le ministre, vous qui êtes médecin, allez à l’hôpital de Chifa !