M. le président. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, messieurs les ministres, un mois après l’adoption de la loi de finances pour 2009, nous sommes amenés à examiner un collectif précoce pour la saison afin d’y inscrire les mesures du plan de relance présenté par le Président de la République le 4 décembre dernier.

Je tiens à dire d’emblée que nous n’avons pas l’intention de nous livrer ici à une bataille de chiffres à coups de milliards, ni avec le Gouvernement, ni avec sa majorité. Je regrette que Mme la ministre soit partie, mais vous lui répéterez, messieurs les ministres, parce je lui aurais recommandé d’écouter ce que nous avons, nous, sénateurs socialistes, à lui dire ici plutôt que de répondre par anticipation à des dépêches de presse.

Pourquoi ne voulons-nous pas nous engager dans cette bataille de chiffres ? D’abord, parce que comme vous tous, mes chers collègues, nous visitons beaucoup de communes et nous rencontrons, à l’occasion des vœux, beaucoup d’élus et d’administrés, et nous pouvons constater que la multiplication des annonces et des milliards d’euros engagés, loin de les rassurer et de ramener la confiance, a plutôt un effet anxiogène.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors, il ne faut rien faire ?

Mme Nicole Bricq. Ensuite, parce que les Français vivent la crise, mais certains la jugent au regard de leur feuille de paye, d’autres de leurs minima sociaux, tous de leurs revenus disponibles, et quand il s’agit de chefs d’entreprise –  nous en rencontrons nous aussi – de leur carnet de commandes.

En revanche, nous contestons à ce plan le label de « relance ». À bien y regarder, tout compte fait, seuls 4 milliards d’euros de dotations budgétaires sont inscrits dans ce plan.

Pour ce qui est des mesures temporaires, la plupart n’auront d’effet qu’en 2011 et certaines sont des anticipations de dépenses déjà programmées, qui ne seront plus effectuées en 2011-2012. Ce plan n’est donc pas, comme vous l’indiquez dans votre rapport, monsieur le rapporteur général, « d’une ampleur considérable ».

Voilà pour les mesures quantitatives, voyons maintenant les mesures qualitatives.

Sur quels éléments est fondée notre contestation ? D’abord, sur le diagnostic que nous faisons de la crise, qui diffère de celui du Gouvernement.

Nous estimons que la crise est profonde et durable. La question de la récession ne se pose plus, nous y sommes, et c’est désormais la dépression qui nous guette. La remontée massive du chômage, la chute de la production industrielle, les pressions déflationnistes, sont autant de signes alarmants qui, cumulés, sont porteurs de blocages de l’économie.

Aussi pensons-nous que le Président de la République et le Gouvernement commettent l’erreur grave – la deuxième en dix-huit mois, après celle de la loi TEPA – d’avoir misé sur une crise brutale mais courte et, par voie de conséquence, les remèdes apportés ne sont pas adaptés.

Nos voisins allemands, après avoir longuement hésité, ont amplifié et rectifié leur plan en rééquilibrant les mesures en faveur des ménages. J’observe d’ailleurs que le Conseil européen de décembre, sous présidence française, a procédé à un tri drastique parmi les recommandations formulées par la Commission le 26 novembre. J’en citerai deux qui ont été oubliées dans les plans nationaux, notamment dans le plan français présenté par le Président de la République : agir de façon significative par des dépenses publiques ciblées afin de procéder à des transferts en faveur des ménages à faibles revenus et procéder à des incitations financières fortes pour répondre aux défis à long terme comme le changement climatique.

Je rappelle que seuls 760 millions d’euros sont consacrés au premier objectif au travers de la prime de solidarité active, qui sera versée le 1er avril aux futurs bénéficiaires du RSA, dispositif dont le financement n’est pas encore bouclé et dont vous n’avez pas voulu avancer la date de la généralisation.

Quant à la « relance verte », nous avons bien compris que ni le projet de loi « Grenelle I » ni le projet de loi « Grenelle II » ne seront l’occasion d’inscrire des moyens à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit pourtant bien de dépenses d’avenir capables de redonner une avance compétitive à notre pays.

Notre contestation est fondée ensuite sur la manière dont on juge l’état de notre économie lorsqu’elle est entrée dans la crise. Nous estimons, quant à nous – vous pouvez difficilement le contester – qu’elle n’était pas au mieux de sa forme.

Lestée par une croissance faible et des déficits plus importants que les autres économies européennes, la France dispose de capacités de rebond plus limitées compte tenu d’un investissement productif insuffisant depuis plusieurs années et d’un retard de compétitivité expliquant l’affaiblissement de nos industries.

Lancée sur la fausse piste que vous avez choisie en juillet 2007, la France est donc mal préparée au choc de la crise. En réalité, nous ne participons pas de l’enchaînement descriptif que vous faites de la crise. Vous nous dites et vous nous rabâchez que la crise financière aurait généré la crise économique, celle-ci débouchant sur des difficultés sociales.

Nous l’avons affirmé dès le mois d’octobre dernier, c’est parce qu’il y a un différentiel trop important entre la rémunération du travail et la rémunération du capital et parce que le mode de production des vingt dernières années a développé à outrance externalisation et précarisation que des déséquilibres profonds sont nés. La crise financière en est l’expression brutale, le révélateur.

C’est donc à partir de notre analyse de la crise que nous défendrons nos amendements.

Oui, il faut soutenir la consommation des ménages les plus modestes, car c’est un facteur décisif dans la bonne marche de l’économie au moment où nous sommes. Plusieurs économistes ont été cités à cette tribune, je ne saurais mieux dire que Joseph Stiglitz : « Les inégalités ne sont pas seulement un problème social mais aussi un problème de flux économiques : ceux qui pourraient dépenser de l’argent n’en ont pas et ceux qui en ont ne le dépensent pas. »

M. Patrick Devedjian, ministre. C’est peut-être pour cela qu’ils en ont, d’ailleurs !

Mme Nicole Bricq. Non, contrairement à ce que répète en boucle le Gouvernement, ni les stabilisateurs automatiques – M. le ministre du budget et des comptes publics nous en a encore fait l’éloge – ni les augmentations programmées des prestations sociales ne suffiront à soutenir la consommation quand l’anticipation de la baisse des prix la retient et quand 7 millions de pauvres en sont privés, et l’on sait que ces derniers n’épargnent pas.

J’ai entendu tout à l’heure M. le ministre du budget et des comptes publics faire l’apologie de notre modèle social qui, selon lui, nous protège. Nous sommes heureux de l’avoir entendu, mais on nous disait en 2007 que ce modèle social était un handicap.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Faute avouée est à moitié pardonnée !

Oui, il est nécessaire de rééquilibrer la part des ménages les plus modestes dans les mesures de soutien et nous disposons pour cela d’outils : la prime pour l’emploi, dont vous avez bloqué toute évolution dans la loi de finances pour 2009, et le RSA, nous y reviendrons ultérieurement.

Oui, il est urgent d’allouer de nouveau aux chômeurs les montants des exonérations actuellement consacrées aux heures supplémentaires au titre de la loi TEPA, dispositif absurde quand le chômage atteint cette ampleur. Nous vous l’avons dit et nous vous le répétons : ce n’est pas se déjuger que de reconnaître que ce mécanisme infernal tue l’emploi.

Oui, il est légitime de conditionner toute réduction de charges de l’entreprise à la conclusion d’un accord salarial.

Il est par ailleurs un peu simpliste d’opposer consommation et investissements au motif que la première serait importatrice…

Mme Nicole Bricq. … comme si, compte tenu de notre appareil productif, les seconds ne l’étaient pas. Je prendrai un seul exemple : nous voulons tous investir dans des constructions en haute qualité environnementale, mais nous savons tous aussi que les matériaux de base sont fabriqués à l’étranger. Donc, arrêtons cette idiotie de prétendre que les uns sont importateurs et que les autres ne le sont pas.

Quant à l’épargne – vous savez qu’aujourd’hui nous avons trop d’épargne privée – notre collègue Jean-Pierre Fourcade a formulé en commission des finances, il n’y a guère, une proposition singulière et originale en disant qu’il faudrait la mettre au service de la production et non pas la cantonner en épargne improductive. C’est ce que nous avions dit dès le mois d’octobre. Notre collègue renouvellera certainement cette proposition quand il interviendra dans la discussion générale.

Oui, il faut encourager l’investissement, mais les mesures de trésorerie n’y suffiront pas. Si vous vouliez muscler nos entreprises, il fallait le faire en 2007 ! Or vous avez choisi de multiplier les cadeaux fiscaux, ce qui vous prive aujourd'hui de marges de manœuvre. Si vous vouliez encourager les collectivités locales, il ne fallait pas les accuser, voilà à peine un mois, d’être dispendieuses et, surtout, ne pas inclure le FCTVA, le Fonds de compensation pour la TVA, dans l’enveloppe fermée des dotations.

Aujourd'hui, avec, temporairement, le remboursement accéléré de la TVA, vous reconnaissez implicitement votre erreur.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez donc satisfaction !

Mme Nicole Bricq. Mais nous doutons que, par une mesure de trésorerie provisoire – vous avez bien insisté sur son caractère provisoire, monsieur le rapporteur général, et M. le ministre a parlé de « mesures réversibles » ! – …

M. Philippe Marini, rapporteur général. Prenons-la !

Mme Nicole Bricq. … vous puissiez lever la contradiction de fond à laquelle les élus sont confrontés : vous sommez les collectivités locales d’augmenter leurs investissements au moment même où leurs recettes diminuent et que nombre d’entre elles rencontrent des problèmes de financement.

À notre avis, les collectivités locales ont besoin de prévisibilité. C’est pourquoi nous proposons non pas de leur rembourser les sommes que l’État leur doit de toute façon, mais de leur donner un « coup de pouce » par le biais d’une dotation spéciale. Une telle solution serait plus lisible et plus efficace. Comme nous l’avons souligné en commission des finances, il n’est peut-être pas utile de monter une usine à gaz.

M. Daniel Raoul. Très bien !

Mme Nicole Bricq. J’aborderai maintenant un sujet qui nous tient à cœur, celui des contreparties, que nous avons évoqué à deux reprises : tout d’abord lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2008 visant à mettre en place un plan d’urgence pour le système bancaire, puis le 4 novembre dernier, lorsque nous avons défendu notre proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, notamment la part variable, dont le gonflement excessif et irresponsable n’est pas pour rien dans la crise financière que nous vivons.

Or vous n’avez rien voulu entendre. La promesse de bonne conduite des acteurs bancaires vous suffisait ! J’observe d’ailleurs, trois mois après, qu’elle vous suffit encore !

Au demeurant, je salue la séquence de communication du Président de la République, qui est, je le reconnais, vraiment formidable !

Première séquence : à Vesoul, le Président de la République fustige la distribution des dividendes. Deuxième séquence : pas plus tard qu’hier, il convoque les banquiers en les sommant de renoncer à leur bonus. Troisième séquence : aux 21 milliards d’euros que la Commission européenne nous a autorisés à accorder aux banques pour les soutenir, il ajoute 10 milliards d’euros supplémentaires. Pour la communication, je lui tire mon chapeau !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce sont 10 milliards d’euros avec un taux d’intérêt de 10 %, vous le savez bien !

Mme Nicole Bricq. Comme nous l’avions dit dès le mois d’octobre, l’État s’est privé d’être décideur …

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n’est pas de l’argent gratuit !

Mme Nicole Bricq. … et de réformer la gouvernance de ces entreprises. Nous n’avons donc plus maintenant l’ambition d’un État réformateur : voilà l’État sermonneur et impuissant !

Mais cette agitation et ces admonestations tonitruantes n’ont d’autre objectif que de préparer l’opinion publique à la deuxième salve de milliards que vous allez accorder aux banques, …

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je le répète, ce n’est pas de l’argent gratuit !

Mme Nicole Bricq. … alors que vous n’avez pas encore eu connaissance, monsieur le rapporteur général, du bilan des trois premiers mois. Vous avez indiqué que vous en disposeriez le 27 janvier prochain. Nous attendons des parlementaires qui nous représentent au comité de suivi organisé par Mme Lagarde qu’ils demandent non plus des promesses et des engagements, mais des résultats, notamment en termes de crédits, et qu’ils nous les communiquent.

Pour conclure, je dirai un mot de nos finances publiques.

Le Gouvernement ne cesse de refaire ses calculs au fil des rentrées fiscales défavorables et des plans successifs. M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique nous avait promis un réajustement lorsqu’il était venu s’exprimer devant la commission des finances voilà une quinzaine de jours. C’est ce qu’il a fait hier à l'Assemblée nationale, en annonçant un déficit budgétaire à hauteur de 86 milliards d’euros. Nous ne sommes pas loin des 100 milliards d’euros que nous avions prévus ; nous allons même bientôt les atteindre !

Or, dans le même temps, le ministre n’a pas révisé l’hypothèse de croissance sur laquelle est bâti le budget de 2009 ; ce sera chose faite au mois de février prochain, selon les déclarations faites tout à l'heure par Mme Lagarde. Toutefois, nous contestons d’ores et déjà la révision de croissance de la Commission européenne, qui estime que la France connaîtra une croissance négative de moins 1,9 % et avance, pour nous consoler, que l’Allemagne aura, pour sa part, une croissance négative de moins 2,5 %.

Toutefois, la grande différence entre la France et l’Allemagne, c’est que nos gouvernants font ces révisions au fil de l’eau, ce qui ne procède pas, à mon sens, d’une bonne méthode, alors que Mme Merkel a joué cartes sur table, en annonçant elle-même cette croissance négative. Voilà qui est bien mieux en termes de crédibilité. Le Gouvernement français devrait imiter son homologue allemand, y compris pour ce qui concerne l’emprunt que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur général, car aucun d’entre nous ne sait plus où nous en sommes.

Quant à l’impact du plan de relance sur la croissance, il sera au mieux – j’ai bien noté votre prudence, monsieur le rapporteur général – de 0,3 point.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n’ai pas dit cela !

Mme Nicole Bricq. Vous avez écrit dans votre rapport qu’il se situerait entre 0,3 point et 0,6 point, retenant une estimation médiane de 0,5 point.

Nous allons encore aggraver notre endettement. Qui plus est, il vaudrait mieux présenter un calendrier des remboursements, élément constitutif de la crédibilité de tout plan de relance digne de ce nom.

À plus long terme, dans un environnement mondial dans lequel tous les États émettent des titres obligataires, un nouveau péril nous guette, que certains qualifient de « nouvelle bulle ». Celle-ci éclatera lorsque les marchés n’absorberont plus la quantité pléthorique de dettes publiques. Il ne faut pas minimiser ce risque, qui est réel, pas plus qu’il ne faut s’en servir de prétexte pour ne rien faire.

La crise actuelle ne ressemble, il est vrai, à aucune autre et certains paramètres nous échappent. Ainsi, la Chine continuera-t-elle à acheter des bons du Trésor américain ? Le nouveau président des États-Unis arrivera-t-il avec son administration à stopper la chute de l’immobilier et à relancer l’économie ? L’Union européenne saura-t-elle engager une relance massive et concertée avec des politiques coopératives qui font jusqu’à maintenant défaut, …

M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis. Ce ne sont pas des questions anodines !

Mme Nicole Bricq. … car la présidence française a été impuissante à l’engager dans cette voie ? L’Union européenne saura-t-elle trouver la force nécessaire maintenant que la crise s’aggrave et saura-t-elle s’en donner les moyens ?

Quant au plan de relance proposé par le Président de la République, il n’est pas, dans son principe comme dans son contenu, mobilisateur, pas plus qu’il n’est de nature à restaurer la confiance. Déséquilibré et injuste, il laisse les Français seuls face à la crise, et nous ne pouvons l’accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.- M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la crise financière qui a éclaté aux États-Unis avant de se répandre dans le reste du monde a plongé l’ensemble des économies dans une situation telle qu’il était urgent et nécessaire pour les États de proposer des mesures de relance.

L’objet de notre débat est facile à formuler : le plan de relance qui nous est proposé est-il suffisant et approprié ?

Avant d’apporter une réponse à cette question, j’évoquerai l’origine de la crise actuelle, qui se trouve dans la conjonction de trois phénomènes.

Tout d’abord, la crise financière née l’été dernier aux États-Unis résulte du développement totalement fou des produits structurés, d’une économie virtuelle. Même si d’aucuns prétendent aujourd'hui que l’on pouvait s’y attendre et que d’autres considéraient que les arbres ne monteraient pas jusqu’au ciel, tout le monde a été surpris, et il a fallu prendre des dispositions urgentes.

Ensuite, la récession a été provoquée juste avant la fin de l’année 2008 par des hausses vertigineuses de prix, dans un premier temps, du pétrole, puis des matières premières et, enfin, presque accessoirement, du blé et du lait.

Enfin, il faut citer la très lente évolution de notre système capitaliste marqué, depuis 1972, par une série de crises et la fin du plein-emploi.

Il apparaît aujourd’hui de plus en plus évident que l’ensemble de nos économies paient la conséquence de ce qu’il faut bien appeler une certaine immoralité dans les pratiques bancaires, immobilières, voire assurantielles.

Les États-Unis ont souhaité renforcer le capitalisme, en incitant chacun, sans limite et sans encadrement, à devenir propriétaire. Les banques ont accordé des prêts équivalents à 100 %, voire 120 % de la valeur des biens acquis, persuadées de la hausse permanente de l’immobilier, et surtout en convaincant les acquéreurs de la pertinence de leurs prévisions. Au final, en 2007, 1,7 million de familles ont été expropriées de leur maison aux États-Unis !

Parallèlement, les autorités de contrôle, singulièrement les agences de notation, qui étaient à la fois juge et partie, puisqu’elles sont souvent financées par ceux-là mêmes qu’elles notent, ont été largement défaillantes. On peut donc s’interroger sur la possibilité d’avoir un capitalisme véritablement éthique.

L’ultralibéralisme, on s’en est aperçu, c’est le refus des règles. Or la crise actuelle et les solutions qui y sont apportées nous le prouvent, il était nécessaire que l’État joue un rôle de régulateur. Moralisation et responsabilisation apparaissent comme les seuls mots d’ordre à défendre pour sortir de la crise et, surtout, pour ne pas y retourner.

Or, monsieur le ministre, sauf à avoir raté un épisode, je n’ai pas le sentiment que nous avons remédié aux dysfonctionnements liés aux produits spécifiques et aux produits « pourris », et les banques n’ont pas fini de nous communiquer la situation réelle de leurs comptes.

Venons-en maintenant plus directement au plan de relance proposé, qui présente à mes yeux deux atouts essentiels : il s’inscrit – c’est important – dans un cadre européen et s’appuie sur une politique d’investissement.

Chiffré à 26 milliards d’euros, le plan de relance représente 1,3 point de PIB, ce qui est légèrement supérieur au 1,2 point demandé par l’Union européenne à ses États membres. Je me réjouis qu’une véritable concertation ait été menée au sein de l’Union européenne, même si elle n’est pas totale et peut être encore perfectible, car elle démontre, s’il en était besoin, la réalité politique et économique de l’Europe. Surtout, elle nous encourage à défendre une intégration toujours plus forte entre les États. D’ailleurs, comme l’a affirmé tout à l'heure Mme Lagarde, si nous ne connaissons pas de crise monétaire, c’est bien grâce à l’euro. Il faut donc rendre à l’euro ce qui lui revient !

En outre, la volonté d’axer le plan de relance sur l’investissement est une très bonne chose. Cette solution à long terme permet à notre pays de se préparer à l’avenir, tout en tentant de sortir de la crise.

Pour ma part, le développement, ou plutôt le « redéveloppement » – vous y serez sensible, monsieur le ministre – du système productif français est primordial si l’on veut assurer un avenir quelconque à l’économie de notre pays. Dans tous les domaines, nous nous en sommes sortis, quelquefois de manière curieuse, avec, par exemple, la machine-outil. Pour ce faire, les investissements dans la recherche et l’innovation, qu’ils soient publics ou privés, sont nécessaires, car notre pays n’est aujourd’hui plus capable de créer des richesses, et là est tout le problème.

Malheureusement, étant donné l’ampleur de la tâche à accomplir, je crains que ce plan ne soit trop modeste.

Comme l’a demandé M. le rapporteur général, pouvait-on être plus ambitieux ? Ce dernier a répondu par la négative. Des dossiers sont pourtant prêts au fond des tiroirs, pour des grands travaux qui ne feront, j’en suis conscient, monsieur le ministre, qu’accroître votre tâche…

Je prendrai un exemple qui ne vous surprendra pas, monsieur le ministre, …

M. Patrick Devedjian, ministre. Je vous vois venir…

M. Jean-Jacques Jégou. … eu égard aux discussions qui se sont tenues ces derniers jours entre le président de la SNCF et celui de la région d’Île-de-France. Vous n’y serez pas insensible, considérant les conditions dans lesquelles nos compatriotes d’Île-de-France voyagent actuellement. (M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance approuve.)

M. Laurent Béteille, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Jégou. Au titre des grands travaux, quelque 18 milliards d’euros seraient nécessaires pour remettre à niveau les infrastructures de transport. Nous aurions dû investir dans ces domaines. Que faisions-nous au temps chaud ?

M. Jean-Jacques Jégou. Tout à l'heure, on a cité La Bruyère ! On peut maintenant citer La Fontaine !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Un excellent économiste ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou. En outre, j’ai cru comprendre que Christian Blanc avait un projet de métro périphérique, dont le coût n’a pas été estimé. Mais ce sont encore des dizaines de milliards d’euros qui seront nécessaires, monsieur le ministre !

On va immanquablement au « collapsus » ! Élu de l’est parisien, je viens travailler, comme beaucoup de mes compatriotes aujourd’hui, à l’ouest de Paris. Les heures passées sur la route ou dans les transports en commun sont un véritable problème !

Je m’arrête là, mais cet exemple est important, surtout au moment où l’ancien Premier ministre M. Édouard Balladur prépare des réformes spécifiques pour l’Île-de-France.

En comparaison à d’autres plans de relance, le nôtre, s’il est dans la moyenne, n’atteint pas le niveau de ceux de l’Allemagne ou de l’Espagne. Dans ces pays, ils atteignent respectivement 2 points et 2,2 points de PIB. Quant aux États-Unis, Barack Obama prévoit un plan à 2,7 points de PIB. Par conséquent, nous pouvons redouter que notre plan ne nous laisse quelque peu à la traîne...

À l’échelon européen, à l’exception du Royaume-Uni, l’ensemble des pays a choisi une politique de relance par l’investissement. C’est au moins pour l’Union une garantie d’avancer « dans le même sens » ! En tout cas, c’est rassurant pour ceux qui sont convaincus de l’efficacité de l’Union européenne.

Notons que la situation de nos finances publiques ne nous permettait guère d’être plus généreux, comparée à l’Allemagne, par exemple. J’ai toujours défendu, avec mes collègues centristes, une certaine vertu concernant nos finances publiques et l’équilibre de nos comptes. Cette volonté, nous l’avons non par dogmatisme, mais par réalisme, afin d’anticiper le type de situation que nous connaissons aujourd’hui.

Une situation plus saine nous garantirait des marges d’intervention plus grandes, et donc plus efficaces. Monsieur le ministre, même s’il paraît quelque peu ringard de parler de rétablissement des comptes, je me demande si nous ne devrions pas nous rapprocher de cette idée malgré la nécessité d’investir.

Monsieur le ministre, votre collègue nous a annoncé tout à l’heure un déficit public corrigé à 4,4% du PIB pour 2009, soit encore 0,5% du plus par rapport à la dernière prévision. La Commission européenne va même au-delà des 5% – le Gouvernement conteste ses conclusions -, avec des recettes fiscales en large baisse, principalement pour la TVA et l’impôt sur les sociétés.

Cela montre combien les entreprises sont touchées dans notre pays et peut-être n’avons-nous pas encore tout vu ce trimestre !

Les prévisions de croissance laissent à penser qu’une inflation va perdurer pendant les mois à venir. Tout cela est accompagné d’une hausse inéluctable du chômage.

Permettez-moi, au nom de la commission des finances et en tant que rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’être inquiet et de m’interroger au passage sur l’avenir des finances sociales face à cette contraction brutale de la masse salariale. Avec l’augmentation inéluctable du déficit de nos dépenses de santé, nous devrons, pour contenir la dette, prendre des mesures qui ne seront sans doute pas faciles.

Mais revenons au plan de relance.

Les mesures proposées ont pour objectif non seulement d’accélérer et de soutenir l’investissement, mais aussi de simplifier certaines procédures.

Sur ce dernier point, les simplifications concernant les marchés publics ainsi que l’assouplissement des procédures d’urbanisme sont des mesures bienvenues pour les collectivités locales. Bien qu’en matière d’urbanisme la marche en avant soit plutôt difficile, j’espère qu’elles seront suffisantes et contribueront à la relance.

Sur les 26 milliards d’euros, l’essentiel réside dans l’amélioration de la trésorerie des entreprises. Les remboursements anticipés de TVA et de crédit impôt recherche, les restitutions plus rapides des excédents d’impôt sur les sociétés et le paiement plus rapide des fournisseurs de l’administration sont également des mesures bienvenues cette fois pour les entreprises, et singulièrement pour les PME. L’État règle ainsi ses dettes vis-à-vis des entreprises.

On pourrait souhaiter qu’il fasse de même à l’égard des collectivités locales. C’est sans doute l’objet de l’article 1er du collectif pour 2009 qui concerne l’anticipation du remboursement du FCTVA et qui nous a bien occupés ce matin en commission des finances !

Cette mesure est juste, mais elle mérite d’être clarifiée. Monsieur le ministre, un certain nombre de mes collègues se demandent tout comme moi si le FCTVA doit réellement être inclus dans l’enveloppe dite « fermée », et nous nous interrogeons sur l’exception faite en 2009. Il ne faudrait pas en effet que les communes qui jouent le jeu se trouvent dans une situation difficile en 2010 et risque même une « année blanche » pour cause de non-éligibilité. (M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance s’étonne.)