6

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

7

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Frimat. Madame la présidente, vous venez d’annoncer la constitution d’une commission mixte paritaire.

Nous demandons que les commissions mixtes paritaires représentent le Sénat dans sa composition actuelle. Il me semble de bon sens de ne pas en rester aux pondérations passées, mais de tenir compte de la configuration présente de notre assemblée.

La prise en compte de cette demande élémentaire ne devrait pas poser de problème, mais si tel devait être le cas, le débat ne pourrait se dérouler dans le climat serein que nous appelons tous de nos vœux.

Ce n’est nullement exiger un privilège que de demander l’application de la règle de la représentation proportionnelle au plus fort reste pour la désignation des membres d’une commission mixte paritaire, qui comprendrait ainsi trois membres du groupe de l’UMP, le plus nombreux de notre assemblée,…

M. Henri de Raincourt. Mais minoritaire !

M. Bernard Frimat. Nous sommes tous minoritaires, mon cher collègue, mais certains le sont plus que d’autres !

… deux membres du groupe socialiste, un membre du groupe de l’Union centriste et un membre du groupe CRC-SPG. Une telle composition reflèterait fidèlement celle du Sénat aujourd’hui.

Puisque notre débat porte sur l’organisation des travaux parlementaires, voici l’occasion de passer à la pratique ; cela ne dépend que de nous !

Je vous remercie, madame la présidente, de bien vouloir transmettre mes propos à M. le président du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Monsieur Frimat, cette demande de constitution d’une commission mixte paritaire émane du Premier ministre. Je vous propose de débattre de ce sujet demain en conférence des présidents.

Vous avez la parole, mon cher collègue.

M. Bernard Frimat. La demande émane du Premier ministre, car c’est à lui qu’il appartient de convoquer les commissions mixtes paritaires.

Je suis tout à fait d’accord pour que nous discutions demain de ce sujet, à condition que le processus de désignation ne soit pas engagé avant la conférence des présidents. Dans le cas contraire, en revanche, votre proposition ne serait plus recevable.

Mme la présidente. C’est entendu, monsieur Frimat : nous en discuterons demain au cours de la conférence des présidents.

Acte vous est donné de ce rappel au règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

Suite de la discussion d'un projet de loi organique

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Exception d'irrecevabilité

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements au banc de la commission.)

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la révision de la Constitution votée le 21 juillet 2008 par le Parlement réuni en Congrès a marqué un tournant dans l’histoire de nos institutions.

Après un demi-siècle de subordination, le Parlement a reconquis une influence déterminante, et ce grâce à trois dispositions essentielles : la maîtrise retrouvée de l’ordre du jour, la réhabilitation des commissions, puisque le texte adopté par ces dernières sera celui qui sera débattu en séance publique, la restauration du rôle des règlements des assemblées pour l’organisation des travaux parlementaires.

Grâce à l’initiative de son président, la Haute Assemblée a pu conduire une réflexion sur la refonte de son règlement avant d’être saisie de l’examen de ce projet de loi organique. Elle est sur la voie d’un consensus sur ce sujet, ce qui ne peut que nous réjouir.

En effet, c’est au règlement de chaque assemblée qu’il incombe, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de mettre en œuvre les nouvelles dispositions de la Constitution.

Dans ce cadre, quel est le rôle de la loi organique ?

La loi organique constitue le lien obligatoire entre Constitution et règlement, mais elle ne peut se substituer ni à l’une ni à l’autre. Pour autant, elle ne peut être un texte de circonstance, destiné à régler des préoccupations à court terme. Comme la Constitution, comme les règlements des assemblées, elle doit pouvoir s’appliquer dans tous les cas de figure, quelle que soit la majorité dans l’une ou l’autre des assemblées.

Le texte voté par l'Assemblée nationale se caractérise par deux dimensions.

D’une part, il comprend certaines dispositions qui relèvent normalement du règlement et non de la loi organique.

D’autre part, il est très marqué par la logique majoritaire de l'Assemblée nationale, dont la majorité et le Gouvernement forment un ensemble politique indissociable.

Est-il applicable tel quel au Sénat ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non !

M. Hugues Portelli. Les dispositions de la loi organique relatives aux résolutions n’appellent pas de réserves de la part de notre groupe, notamment dans la version améliorée qu’en propose le rapporteur. Si ce dispositif permet d’éviter le vote de projets de loi dépourvus de toute portée normative, il ne faut pas non plus que les résolutions deviennent le cheval de Troie dans lequel se glisseraient des remises en cause parallèles – et inconstitutionnelles – du Gouvernement. Le texte, tel qu’il est proposé, répond à ces objectifs et évite ces dérives.

Les dispositions relatives aux conditions de dépôt des projets de loi, notamment à la présentation des études d’impact, correspondent à un objectif louable, celui d’une évaluation a priori des textes. Mais ces études d’impact doivent se concentrer sur l’essentiel, à savoir permettre de situer le texte proposé par rapport aux lois qui sont déjà en vigueur, et non devenir des dossiers technocratiques que personne ne lirait et dont nul ne serait en mesure de contrôler la véracité. La version allégée qu’en propose M. le rapporteur nous semble plus conforme à l’esprit de l’article 39 de la Constitution que celle, pléthorique, qui a été retenue par l'Assemblée nationale.

Quant aux dispositions relatives au droit d’amendement, qui ont mobilisé les énergies de nos collègues députés, elles nous inspirent les considérations suivantes.

En ne changeant pas les dispositions de l’article 31 de la Constitution, qui prévoient que les membres du Gouvernement sont entendus lorsqu’ils le demandent, notamment en commission, les constituants de 2008 n’ont pas entendu modifier les règles coutumières, consolidées par les règlements des assemblées, aux termes desquelles les membres du Gouvernement ne peuvent être présents lors du vote en commission, y compris dans le cadre nouveau où c’est le texte de la commission qui est examiné en séance publique.

Ce silence du constituant, qui n’ôte pas au Gouvernement la maîtrise de l’arsenal puissant du parlementarisme rationalisé afin qu’il puisse défendre son point de vue, doit être respecté. Nous soutenons donc la position du président de la commission des lois, qui renvoie aux règlements des assemblées le soin de fixer les modalités de ce droit.

J’en viens au droit d’amendement proprement dit. À l’instar du rapporteur, nous considérons que le maintien intégral du droit d’amendement, qui n’a pris en France, depuis 1958, une forme proliférante qu’en réaction à la suppression du droit d’initiative législative – heureusement partiellement rétabli depuis 2008 –, n’implique pas l’usage abusif du temps de parole lié à la présentation desdits amendements et aux explications de vote. L’Assemblée nationale a cru devoir voter un dispositif – celui des articles 13 et suivants – dont la lecture attentive montre que les articles 13 bis et 13 ter disent le contraire de l’article 13 et le vident en grande partie de sa substance.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pas tout à fait ! Ils l’atténuent considérablement !

M. Hugues Portelli. Dès lors que cet article ne s’appliquera pas au Sénat, nous ne formulons pour notre part aucune objection à ce qu’il demeure comme vestige d’une bataille inutile entre députés.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 et le futur règlement du Sénat marqueront, si nous le voulons, le réveil de l’institution parlementaire. À nous d’en faire le meilleur usage, sans nous attarder outre mesure sur une loi organique qui n’est que le point de passage obligé de la renaissance parlementaire et que nous appliquerons, après l’avoir votée, dans l’esprit qui est et qui demeurera le nôtre. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Président de la République avait donné comme objectif à la révision de la Constitution votée le 21 juillet dernier le rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

Mais, quelques mois plus tard, nous assistons à une entreprise de réduction des pouvoirs du Parlement. Je me bornerai à mettre mes pas dans ceux de M. Bernard Frimat, pour enfoncer si nécessaire quelques clous après son magistral exposé.

Pour aller à l’essentiel, je dirai que nous sommes arrivés à cette situation au détour d’une modification de l’article 44 de la Constitution, complété par le Congrès.

Dans sa rédaction initiale, cet article indiquait en son premier alinéa : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. » Les choses sont claires. D’ailleurs, jadis, on rédigeait les textes constitutionnels dans un style infiniment plus sobre qu’aujourd'hui.

Or la majorité du Congrès a ajouté la précision suivante : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. » Dès l’été dernier, le piège était donc en place, puisqu’il était expressément prévu que l’exercice du droit d’amendement serait à l’avenir encadré par une loi organique, d’où découlerait le nouveau règlement de chaque assemblée – le tout, est-il nécessaire de le rappeler, à la discrétion de la majorité actuelle, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Le présent débat ne soulève pas une simple question de technique parlementaire, qui serait totalement éloignée des intérêts du pays à l’heure où les Français voient le chômage, la précarité, la pauvreté s’accroître tragiquement. La politique forme un tout : lorsque les droits du Parlement sont mis en cause, ce sont aussi les libertés et les droits sociaux qui sont atteints.

Le Gouvernement s’attaque de deux façons aux droits du Parlement.

D’une part, il déclare l’urgence pour presque tous les projets de loi. Le recours à cette procédure est quasiment devenu la règle depuis le début de la législature, ce qui nuit à la qualité du travail législatif, lequel requiert du temps et de la réflexion.

D’autre part, le Gouvernement déclenche, au détriment du contrôle de l’exécutif, réduit à presque rien, une avalanche de projets de loi. Parmi ces textes, il fait un tri : il distingue, d’un côté, ceux qui relèvent d’un effet d’annonce et qui, une fois votés, n’entreront pas en application, faute de la parution des décrets, et, de l’autre, ceux qui sont d’inspiration répressive ou rétrograde et dont les décrets d’application seront, eux, publiés.

De ce point de vue, la discussion actuelle s’inscrit dans un contexte où les libertés sont de plus en plus souvent mises à mal, par le durcissement constant du code pénal et du code de procédure pénale, par le recours de plus en plus fréquent à toutes les formes d’enfermement – la prison et l’extrême surpopulation carcérale, l’augmentation effrayante des gardes à vue dans les commissariats, la chasse aux sans-papiers, les hospitalisations sans consentement dans les services psychiatriques, le fichage des citoyens.

M. Louis Mermaz. Les libertés sont encore mises à mal par les pressions de toutes sortes sur la presse, par la mise au pas des responsables des administrations, par la réduction des moyens dont disposent les services publics, de l’école à l’hôpital.

Alors que la situation économique et sociale empire, le Président de la République, au demeurant maître de l’UMP, ce qui constitue une situation insolite dans notre pays, tourne le dos à la réalité, s’enferme dans un monologue incantatoire, tranche de tout par-dessus les corps intermédiaires et, voulant confiner le Parlement dans un rôle d’enregistrement, annonce un jour la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision – il la met d’ailleurs immédiatement en œuvre par décret – et la nomination par lui, avec quelques habillages, du président de France Télévisions ; un autre jour, il proclame la suppression des juges d’instruction ; un autre jour encore, celle de la taxe professionnelle ou le retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, ce qui rompt avec une posture militaire de plusieurs décennies et aura des conséquences considérables sur l’avenir de notre diplomatie et sur notre indépendance.

Je demande donc au Gouvernement ce que devient en droit et en fait le prétendu rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement. Ne voulant pas me livrer à des comparaisons anachroniques et superficielles, je rappellerai seulement que Bonaparte disposait, au sein d’un maquis d’institutions parlementaires, d’un Corps législatif qui votait les lois sans avoir le droit d’en discuter.

Nous retrouvons, toutes proportions gardées bien sûr, une certaine similitude dans la démarche actuelle de l’exécutif. L’article 13 de la loi organique invite en effet les assemblées à se doter d’un règlement qui permettrait à la conférence des présidents de limiter la durée des débats et le temps de parole des parlementaires. Ainsi, lorsque des délais auront été impartis, selon la formule du « temps global », pour l’examen d’un texte en séance, des amendements d’origine parlementaire pourront être mis aux voix sans discussion préalable, comme jadis sous le Corps législatif.

Devant la colère légitime de l’opposition à l’Assemblée nationale, la majorité a dissimulé sous quelques parures l’article incriminé sans rien changer au fond, comme on le verra lors de la discussion des articles.

Le président-rapporteur de la commission des lois du Sénat défendra quelques amendements à certains articles, qu’il maintiendra ou non au cours des débats, selon le bon vouloir du Gouvernement. Nous verrons !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous me connaissez mal !

M. Louis Mermaz. De toute façon, il s’est bien gardé de toucher à l’article essentiel du projet, l’article 13, qui demeure donc paré des fioritures et des déguisements dont l’Assemblée l’a pourvu.

D’ailleurs, vous avez inventé une formule extraordinaire : il ne fallait surtout pas empêcher l’Assemblée nationale de se doter d’un règlement qui lui permettrait précisément de priver l’opposition de la parole ! La boucle est bouclée !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai pas dit ça !

M. Louis Mermaz. Le Gouvernement – ô la bonne âme ! – nous explique qu’il veut améliorer le fonctionnement et l’image du Parlement. Devant un tel aplomb, on serait presque tenté de lui demander de quoi il se mêle, au nom de la séparation des pouvoirs !

J’en viens à la problématique de l’obstruction.

Ce type de manifestation n’a jamais empêché aucun gouvernement, sous la VRépublique ou avant, de se doter de l’arsenal législatif qu’il souhaitait, sauf à y renoncer lui-même par la suite quand le prolongement des débats avait traduit une inquiétude réelle dans le pays et lui avait ainsi donné le temps de comprendre qu’il risquait de se fourvoyer, ou de « se planter », comme dirait le Président Obama.

On sait comment la loi sur le CPE, le contrat première embauche, a terminé sa carrière.

Un sénateur du groupe socialiste Et la loi Devaquet !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y en a eu d’autres !

M. Louis Mermaz. Tous les groupes de l’Assemblée, tous, à des époques diverses, ont eu recours à de telles manœuvres de retardement, comme dans toutes les grandes démocraties. Cela est intervenu à certains moments – rares, en réalité – lorsque les sujets abordés avaient un écho important, au moins dans une large fraction de la population. Je pense ici aux débats consacrés au projet de loi « sécurité et liberté » en 1980, aux nationalisations et à la décentralisation en  1981 et en 1982, plus tard à la remise en cause de la loi Falloux, ensuite au PACS, récemment à l’avenir des retraites, aux OGM, à l’audiovisuel, enfin au présent projet de loi organique, qui aurait été voté dans l’indifférence sans les réactions de l’opposition à l’Assemblée nationale.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Quel rapport avec la loi organique ?

M. Louis Mermaz. En conclusion, vous observerez, mes chers collègues, que jamais la gauche, lorsqu’elle a été majoritaire à l’Assemblée nationale, n’a porté atteinte au droit d’amendement, d’autant plus important, on l’a dit cet après-midi, qu’il offre aux parlementaires de tous les groupes – s’ils veulent bien en user – la possibilité de peser sur la confection des lois, issues presque en totalité des projets déposés par le Gouvernement.

De 1981 à 1986, l’opposition s’est manifestée avec vigueur, voire acharnement, à l’Assemblée nationale. Nous avons eu de rudes batailles parlementaires ! La faiblesse, pour nous, eût consisté à vouloir brider cette opposition en tentant de modifier le règlement. Même si nous avions entrevu la possibilité d’obtenir l’indispensable consensus de tous les groupes, nous y aurions regardé à deux fois, je vous l’assure.

Le Sénat serait bien inspiré aujourd’hui de prendre en compte – mais le voudra-t-il ? – les droits et les prérogatives du Parlement dans son ensemble. La question n’est pas de savoir si au palais du Luxembourg, dans une atmosphère feutrée, à l’abri des grands emportements, l’on pourra continuer à s’exprimer à satiété, comme par le passé. La défense des droits du Parlement, des droits des députés et des sénateurs, doit être l’affaire de tous, car il s’agit aussi de la préservation des libertés dans le pays tout entier.

Sans recourir à des formules emphatiques, sans invoquer la postérité, sans me faire trop d’illusions non plus sur l’issue de nos travaux, j’invite cependant notre assemblée, qui aime à revendiquer sa sagesse et sa mesure, à ne pas consentir à l’abaissement du Parlement. Ne soyez pas, mes chers collègues, ceux qui se seront inclinés, même si nous savons qu’un jour d’autres majorités rendront justice au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agissant d’un sujet aussi important pour la République que les prérogatives du Parlement, et par conséquent l’exercice de la démocratie, je suis consterné par les arguments que j’ai entendus ici même.

On nous a dit que l’article 13 du projet de loi organique ne servirait à rien.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je n’ai pas dit ça !

M. Jean-Pierre Sueur. En ce cas, il faut voter contre !

On nous a dit : « Ce n’est pas grave, parce qu’au Sénat, on s’arrangera ! » Mes chers collègues, je suis en colère quand je constate que l’on privilégie les petits arrangements alors qu’il s’agit de voter une loi de la République !

La question n’est pas de savoir comment on s’arrangera ici ou ailleurs ; elle est de savoir si ce texte est fondé ou non. Or cet article 13 est un danger pour la démocratie !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Je donne lecture de son premier paragraphe : « Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion. »

Cela veut dire ce que cela veut dire ! La loi permet que le règlement prévoie une limitation du droit d’amendement et, de surcroît, du droit à la parole !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non, pas du droit d’amendement !

M. Jean-Pierre Sueur. En effet, pas du droit d’amendement, monsieur Gélard, mais du droit à la parole.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !

M. Jean-Pierre Sueur. Il est scandaleux que l’on puisse affirmer benoîtement qu’il est sans grande importance d’empêcher des parlementaires de défendre des amendements ou d’expliquer leur vote !

Ce paragraphe signifie qu’il pourrait y avoir un moment où, une fois le temps de parole imparti écoulé, on voterait tout ce qui resterait à voter, non seulement les amendements mais aussi les articles, dans un silence sépulcral. En effet, si je comprends bien votre texte, monsieur le secrétaire d’État, une fois la limite franchie, il n’y a plus de débat : on vote en silence dix, vingt, trente amendements, dix, vingt, trente articles. Cela deviendra possible dès lors que l’on aura voté ce texte. Mes chers collègues, je vous en conjure, ne le votez pas ! Devant l’histoire de la République, il constitue une atteinte aux droits du Parlement !

Dans cette affaire, le plus important est finalement l’idée que l’on se fait du Parlement. Certains ont estimé que les débats ne sont pas intéressants, d’autres s’ennuient profondément. Ce n’est pas mon cas !

Le Parlement ne doit pas être victime de ces petits arrangements, de ces temps couperets. Le débat doit pouvoir s’instaurer et aller jusqu’à son terme.

Qu’est-ce qui caractérise le Parlement tel que l’ont voulu les fondateurs de notre République ? Le Parlement a pour mission d’élaborer des lois, donc des textes normatifs. Mais il a été décidé qu’il fallait que ces textes normatifs fussent élaborés dans le débat, dans la contradiction, dans la confrontation des positions, des convictions, des arguments que chacun porte en lui, dans son cœur et dans son esprit !

Dire que le débat ne doit pas trop durer, qu’il doit être mis dans une boîte, contrôlé, maîtrisé, reflète une certaine idée du Parlement, celle d’un Parlement encadré, quelque peu aseptisé… Mais l’important dans une assemblée législative, vous le savez, monsieur Karoutchi, vous qui êtes un parlementaire, c’est précisément le débat !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Certes !

M. Jean-Pierre Sueur. Si les dispositions de cet article avaient été inscrites dans le règlement de l’Assemblée nationale, aucun des grands débats qui ont marqué les trente dernières années – je ne remonterai pas plus loin – n’aurait pu avoir lieu : les débats sur les nationalisations, sur les privatisations, sur l’audiovisuel, sur l’université, sur l’école, sur la laïcité ou sur la loi Falloux ne se seraient pas tenus. Il existe une quantité d’exemples !

M. Frimat l’a dit, jamais l’obstruction n’a empêché une loi d’être votée, dès lors qu’un exécutif et une majorité le souhaitaient. Dès lors, pourquoi agissez-vous ainsi ? Je le vois bien, vous êtes mal à l’aise !

MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais si, je le vois et je l’entends !

Si ce dispositif est destiné à ne servir à rien, pourquoi l’inscrire dans la loi de la République ?

S’il s’agit de « s’arranger », le texte ne devant pas s’appliquer au Sénat, je réponds que les petits arrangements ne sont pas à la mesure du problème posé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas d’arrangements !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous faisons une loi pour la République et pour le Parlement tout entier, nous ne faisons pas une loi pour le Sénat ! Pour nous sénateurs, la mise en place d’un couperet à l’Assemblée nationale est inacceptable ! Nous sommes un certain nombre à avoir siégé dans les deux assemblées.

Vous voulez encadrer et contrôler le fonctionnement du Parlement. C’est une idée.

Pour notre part, nous en avons une autre : ce qui est intéressant, au Parlement, c’est la passion. Le Parlement doit pouvoir se faire l’écho des conflits, des luttes sociales, des contradictions de la société, des aspirations et des convictions des uns et des autres, des souffrances qui existent dans ce pays, des débats éthiques… Il faut pouvoir consacrer le temps nécessaire à débattre de tout cela !

Dans cette conception du Parlement, la passion démocratique et républicaine est au cœur du débat, et on aime le débat !

Et puis il y a donc l’idée selon laquelle il faut contrôler, aseptiser et limiter. À cet égard, il serait très intéressant d’étudier le vocabulaire employé par un certain nombre d’orateurs. On en conclurait aisément que, pour eux, le débat est quelque chose qui déborde, qui prolifère, qui présente un caractère presque malsain, un peu maladif. Ils veulent faire rentrer le flot de l’éloquence, de la parole et de l’argumentation dans des cases, des boîtes, des canaux. Pourtant, ne l’oubliez pas, Victor Hugo siégeait ici il y a quelque temps !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’était une autre époque ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Sueur. Sans doute, mais les ricanements qui accompagnaient ses discours sur des sujets tels que la peine de mort, l’esclavage, le droit de vote des femmes ou l’Europe sont restés dans l’histoire parce que l’on en a gardé la trace, grâce au débat !

La Constitution, même rénovée, donne au Gouvernement des moyens importants pour mettre en œuvre ses choix politiques. On nous parle de « parlementarisme rationalisé » ; c’est une formule parfaitement creuse. L’essence de notre démocratie tient pour partie au fait que les lois sont le fruit du débat contradictoire, passionné, ardent qui porte en lui le cœur battant de la démocratie et de la société françaises.

Vous voulez brider, encadrer, normaliser, mais c’est une faute contre la démocratie, c’est une faute contre la République, et nous nous y opposerons avec la dernière énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)