M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais non !

M. Bernard Frimat. Qui peut croire de telles fariboles ?

Il est encore temps de réagir, de refuser ce texte d’abaissement du Parlement. Ce serait l’honneur du Sénat de mettre un coup d’arrêt à la dérive monocratique qui gangrène nos institutions. C’est à cette tâche, mes chers collègues, que je vous invite tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

(Mme Monique Papon remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la très grande majorité des sénateurs du groupe de l’Union centriste ont voté la révision de la Constitution, le 21 juillet dernier, considérant qu’il s’agissait d’une bonne réforme, dans la mesure où elle allait conduire à un rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

Le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis a précisément pour objet d’organiser le travail du Parlement, de réactualiser les droits de ses membres et de donner corps, en quelque sorte, aux objectifs visés par cette réforme constitutionnelle.

Il est toujours difficile de parler du droit parlementaire, dans la mesure où, pour reprendre la définition du professeur Marcel Prélot, qui siégea sur ces travées, « c’est autour du droit parlementaire que gravite toute l’activité politique ».

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est tout à fait vrai !

M. Michel Mercier. Il est donc normal que nous ayons une discussion politique sur ce texte, qui organise le retour du politique.

Si le groupe de travail, présidé par M. Larcher et chargé d’élaborer les règles fondamentales appelées à devenir, demain, le règlement du Sénat, a plutôt donné de bons résultats, c’est justement parce qu’il a affirmé le retour du politique dans le fonctionnement du Sénat, au travers du rôle reconnu à la conférence des présidents renouvelée, représentant désormais l'ensemble des membres du Sénat.

Ce retour en force du politique marqué par le projet de réforme de notre règlement nous permet d’aborder le projet de loi organique selon une approche différente de celle des députés.

Néanmoins, ce texte pose un certain nombre de questions. Les trois articles de la Constitution visés ont trait respectivement aux résolutions, à l’organisation de la discussion législative et au droit d’amendement.

J’évoquerai tout d’abord les dispositions relatives à la discussion législative et aux études d’impact.

À cet égard, disons-le honnêtement, le texte qui nous est soumis n’est pas d’une grande clarté !

Si le Gouvernement considère que les fonctions exécutives et législatives ont été rééquilibrées, nous ne lui demandons rien d’autre que de nous communiquer les documents qui l’ont conduit à présenter un projet de loi plutôt qu’une autre mesure. Nous souhaitons qu’il nous explique pourquoi nous allons légiférer, pourquoi il est nécessaire de voter une loi, à quelle situation il s’agit de répondre et en quoi seule la loi permettra d’atteindre l’objectif visé. Ce n’est pas la longueur de l’énumération qui donnera son poids à l’étude d’impact, mais les véritables raisons qui sous-tendent les choix du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Mercier. J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d’État, qu’il nous manquerait un de ces documents, que je considère pour ma part comme important, voire essentiel. Nous y reviendrons.

Foin donc d’une longue énumération si elle ne nous permet pas de comprendre ce qui a conduit le Gouvernement à présenter un projet de loi !

J’évoquerai maintenant le droit de résolution et le droit d’amendement.

Ce sont des droits individuels, attachés à chaque parlementaire, ainsi que cela ressort, pour le droit de résolution, de l’article 1er du projet de loi organique.

Avant d’entrer dans le détail du texte, je souhaite poser la question suivante : pourquoi les droits individuels des parlementaires apparaissent-ils aussi importants quand il s’agit de revaloriser le rôle du Parlement ?

Il existe sans doute plusieurs réponses, mais je n’en retiendrai qu’une seule : aujourd’hui, l’origine des lois est essentiellement gouvernementale. Certes, l’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement, mais 99 % des lois ont une origine gouvernementale.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non !

M. Michel Mercier. Disons 98 %, monsieur Gélard ! (Sourires.) Je vous fais grâce de 1 % !

Les lois sont donc, pour l’essentiel, d’origine gouvernementale. La raison en est toute simple : les parlementaires ne disposent pas des moyens techniques et intellectuels de faire la loi.

M. Daniel Raoul. Intellectuels ? Il se fait du mal !

M. Michel Mercier. Les parlementaires ne disposent, pour jouer leur rôle, que de deux droits individuels : le droit d’amendement et le droit de résolution.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Et le droit de contrôle !

M. Michel Mercier. Le droit de contrôle n’a jamais permis de faire la loi !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Cela compte aussi !

M. Michel Mercier. À condition que le Parlement ait vraiment la possibilité de contrôler !

Les parlementaires disposent donc de deux droits individuels, le droit de résolution et le droit d’amendement.

Le droit de résolution est très ancien, mais il semble faire un peu peur. Il faut donc en revenir à sa définition classique depuis 1875, que l’on peut énoncer ainsi en conjuguant les formulations de Léon Duguit et de Marcel Prélot : la résolution est une décision qui résulte d’un vote d’une seule assemblée et qui n’est pas promulguée. Comme l’indique Léon Duguit, la résolution a valeur non pas de loi, mais de vœu adressé à l’exécutif.

M. Henri de Raincourt. Un vœu pieux ?

M. Michel Mercier. Probablement, quand il s’agit de mon groupe ! (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. Du mien aussi !

M. Michel Mercier. En tout état de cause, j’ai bien peur que nos vœux ne soient que très tardivement exaucés ! (Nouveaux sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Lorsque nous serons au Paradis !

M. Michel Mercier. Les parlementaires n’ont pas d’autre moyen que la résolution pour faire connaître leur sentiment et leur point de vue au pouvoir exécutif.

En ce qui concerne le droit d’amendement, c’est un peu la même chose. Parce qu’on ne peut pas faire la loi, on dépose beaucoup d’amendements, car c’est techniquement plus facile que d’élaborer une proposition de loi lorsque les moyens d’expertise font largement défaut. Le seul recours qui reste alors est le droit d’amendement.

Dès lors, le droit d’amendement devient fondamental pour les parlementaires et l’on ne peut le limiter. En tout cas, la possibilité pour chaque parlementaire de déposer des amendements puis de les défendre doit être respectée : tel est d’ailleurs l’objet du chapitre III du projet de loi organique, sur lequel je tiens à dire maintenant quelques mots.

Je comprends parfaitement que l’on ait pu parler, à propos du temps global, d’une brimade pour le Parlement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non !

M. Michel Mercier. J’en parlerai, pour ma part, très sereinement. En effet, je n’aurais jamais approuvé l’article 13 s’il avait institué un temps global dans le règlement du Sénat.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourtant ce qui est dit !

M. Michel Mercier. Mon cher collègue, je vous invite à simplement lire l’article !

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’y arrive pas !

M. Michel Mercier. Si vous n’y parvenez pas, tant pis ! Que voulez-vous que je vous dise ? Nous le lirons ensemble ! (Rires.)

Pour ma part, je l’ai lu : l’article 13 n’instaure pas le temps global. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître !

M. Jean-Pierre Sueur. Il donne la possibilité de le créer !

M. Michel Mercier. Il laisse au règlement de chacune des deux assemblées la possibilité de créer, ou non, ce temps global. Il appartient à l’Assemblée nationale et au Sénat d’en décider. J’ai dit quelle était ma position en la matière : je suis opposé au temps global.

M. Louis Mermaz. Ce n’est pas de la piété, c’est de la casuistique ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. Quand on a écrit d’aussi belles pages que vous sur Stendhal, monsieur Mermaz, on connaît tout en matière de casuistique ! (Nouveaux sourires.)

M. Louis Mermaz. Je vous remercie !

M. Michel Mercier. On peut tout à fait être hostile au temps global, mais pas se prononcer contre l’article 13 pour cette raison, car il ne le crée pas. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Il prévoit simplement que si une assemblée crée ce temps global, elle doit préciser dans quelles conditions seront examinés les amendements restant en discussion après qu’il aura été épuisé. L’article 13 ne dit rien d’autre !

MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Pierre Bel. À quoi cela sert-il ?

M. Michel Mercier. Nous voulons, pour notre part, que tous les amendements soient étudiés et présentés.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes donc contre l’article 13 !

M. Michel Mercier. Il faut, certes, organiser le débat, mais tous les amendements doivent être discutés.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous allez voter contre l’article 13 ?

M. Michel Mercier. Nous veillerons donc, tout au long de ce débat, à ce que les droits individuels des parlementaires, c’est-à-dire le droit de résolution et le droit d’amendement, soient préservés, maintenus et organisés.

Nous demanderons en outre que les groupes politiques soient dotés des moyens d’élaborer des textes de loi. Comme Pierre Fauchon l’a fort bien rappelé hier dans Le Figaro, le Parlement est fait pour voter la loi : nous devons aussi disposer des moyens techniques et matériels de préparer certaines des lois que nous votons, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. J’espère que nous les aurons demain, grâce à ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’indiquer que nous comprenons parfaitement l’absence de M. le Premier ministre, compte tenu des mouvements sociaux qui se multiplient dans notre pays, dans les usines, dans les universités, dans les rues de Paris, de Pointe-à-Pitre ou de Fort-de-France !

Les préoccupations de nos concitoyens sont graves et importantes. Mais sont-elles si éloignées du sujet des libertés parlementaires ? Je ne le pense pas ! J’estime, pour ma part, que nous devons défendre ces libertés.

Ce projet de loi organique a déjà suscité nombre de discours et fait couler beaucoup d’encre, essentiellement son chapitre III, relatif au droit d’amendement et à sa possible limitation. Est-ce une simple « tempête dans un verre d’eau », comme a tenté de le démontrer notre collègue Michel Mercier ? Je ne le crois pas, et les contorsions du Gouvernement et de la majorité pour accréditer cette thèse me confortent dans cette opinion.

Cette question du droit d’amendement suffit, à elle seule, à motiver notre opposition totale à ce projet de loi organique.

Ce débat prend sa source dans l’évolution ultra-présidentialiste – on peut aussi parler de monarchie présidentielle ou de présidentialisme monarchique ! – de nos institutions. Certes voulue depuis la période 1958-1962, cette évolution a été consacrée par la révision constitutionnelle votée, à une voix près, en juillet 2008 et mise en œuvre par le Président de la République, qui n’a cure du Parlement, non plus d’ailleurs que du Gouvernement. En effet, il annonce tous les jours de nouvelles dispositions législatives et les applique avant même que le Parlement en ait discuté ou somme celui-ci de les voter sans délai. La dérive s’inscrit donc à la fois dans le droit et dans la pratique.

Notre groupe a dénoncé l’imposture de cette révision constitutionnelle, présentée comme un rééquilibrage des rapports entre exécutif et législatif par un renforcement des droits du Parlement.

« Révolution », annonciez-vous en juillet, monsieur le secrétaire d’État – mot rare dans la bouche d’un membre du Gouvernement !  « Révolution du temps parlementaire », écrivait encore, fin janvier, le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, au moment même où le projet de loi organique dévoilait le véritable sens de cette révolution.

Nous disions, en juillet, que l’objectif de la révision était de réduire le débat en séance publique et de remettre en cause le droit d’amendement en instaurant un véritable « 49-3 parlementaire », aux mains de la majorité présidentielle.

Le projet de loi organique confirme la volonté de réduire le débat en séance publique par l’extension du travail en commission et le recours à la procédure simplifiée. Je ne suis pas certaine que la fabrication de la loi au sein des commissions rende les rapports entre les parlementaires et les citoyens plus transparents !

J’ajoute que le vote des parlementaires en commission sous l’œil du Gouvernement, comme le prévoit le texte initial, rend la liberté de chaque parlementaire de la majorité, quelle qu’elle soit, plus que douteuse. Notre rapporteur a eu la sagesse de refuser cette aimable surveillance. Nous sommes bien entendu d’accord avec lui.

La procédure simplifiée, si elle est créée, sera appliquée de manière extensive, du moins peut-on le craindre en observant la multiplication, à tort et à travers, des déclarations d’urgence.

Mais ce qui aggrave nos préoccupations, c’est que la loi organique va plus loin que l’article 44 de la Constitution, en rendant possible une limitation de la durée du débat parlementaire en séance publique, qui aurait pour conséquence de priver les parlementaires du droit de s’exprimer à un moment ou à un autre.

Comment ne pas comprendre cette « rationalisation » du pouvoir législatif, dans un système institutionnel où prédominent l’élection présidentielle et le fait majoritaire, comme une atteinte aux libertés du Parlement dans un contexte de reprise en main affirmée du pouvoir judiciaire et des médias, notamment ?

Quand Mme Dati se croit autorisée à dire devant les élèves de l’École nationale de la magistrature que l’indépendance des magistrats se mérite, nous pouvons légitimement nous demander, mes chers collègues, si nos libertés ne vont pas, elles aussi, devoir se mériter et si l’article 44 de la Constitution n’est pas, comme l’article 64, modulable selon les cas !

Le président de notre assemblée se plaît à dire que le droit d’amendement du parlementaire est « imprescriptible », « inaliénable » ou encore « consubstantiel » des libertés parlementaires. C’était effectivement la position du Conseil constitutionnel en 1990, quand il précisait que les règlements des assemblées ne pouvaient interdire aux parlementaires de défendre leurs amendements en séance publique.

La révision constitutionnelle de 2008, conjuguée à la loi organique, va-t-elle permettre de revenir sur ce droit, d’une façon ou d’une autre ? En effet, le dispositif de l’article 13, s’il est appliqué, offrira cette faculté par la mise en œuvre du crédit-temps, qui pourra priver un ou des parlementaires du droit de défendre leurs amendements.

Ce serait là un recul des droits du Parlement, et l’histoire nous rappelle qu’un tel recul a toujours été « consubstantiel » de reculs démocratiques.

Faut-il rappeler les débuts de la République ? C’était une autre époque, direz-vous, mais quand même ! Les restrictions du droit d’amendement furent toujours le fait de régimes autoritaires.

Jusqu’à la Constitution de l’An VIII, le droit d’amendement s’exerce librement dans les assemblées. Avec le Consulat, à l’inverse, « le Corps législatif fait la loi sans aucune discussion de la part de ses membres ». Sous la Restauration, « aucun amendement ne peut être fait à une loi s’il n’a été proposé ou consenti par le roi et s’il n’a été renvoyé par les bureaux ». Si 1848 amène le retour du droit d’amendement, la proclamation impériale du 14 janvier 1852 décide, en revanche, que le Corps législatif « n’introduit pas à l’improviste de ces amendements qui dérangent souvent toute l’économie d’un système et l’ensemble d’un projet primitif ». Ce droit d’amendement, il fallut bien se résoudre à le réintroduire en 1866, tant le mécontentement était grand !

Certes, vous évoquez le fait que, entre 1935 et 1969, le règlement de l’Assemblée nationale prévoyait la possibilité de limiter au préalable la durée des débats – le fameux « crédit-temps ». Toutefois, c’était une autre époque, celle de la République parlementaire – comme l’a rappelé plaisamment M. Collin – et cette disposition n’était pas contenue dans une loi organique !

Vous oubliez, ou feignez d’oublier, que la Constitution de 1958 – la révision de juillet 2008 n’a rien changé en la matière – donne à l’exécutif d’importants moyens de limiter le débat parlementaire : urgence, procédure accélérée rebaptisée « simplifiée » et étendue, ordonnances, article 49-3, article 40, procédures « exceptionnelles » pour la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale ! Vous oubliez les prérogatives du Président de la République ! Vous oubliez le fait majoritaire !

En outre, le Gouvernement pourra bien entendu défendre tous ses amendements, quel que soit le moment. Aussi la comparaison avec le parlementarisme organisé de nombreux pays européens n’est-elle pas probante.

Qui plus est, même si on semble l’oublier, les règlements actuels des assemblées encadrent le débat parlementaire, notamment par la limitation du temps de parole et la possibilité de demander la clôture de la discussion.

À l’évidence, l’image négative renvoyée par ce projet de loi organique ne vous a pas échappé. Il s’ensuit une confusion croissante dans le débat : tandis qu’à l’Assemblée nationale on a ajouté, après l’article 13 du texte initial, des articles 13 bis et 13 ter dont les dispositions tendent à le contredire, le Sénat, avant même le vote de la loi organique, élabore un nouveau règlement ne prévoyant pas, semble-t-il, l’instauration du crédit-temps permise par l’article 13 du présent texte.

Mes chers collègues, la question est simple  : le droit de défendre un amendement est-il, oui ou non, « imprescriptible » ou « inaliénable », voire sacré, encore que ce terme ne fasse pas partie du vocabulaire parlementaire ?

Si oui, l’article 13 du texte qui nous est soumis n’a pas lieu d’être !

En effet, la nouvelle rédaction de l’article 44 de la Constitution vise, sans aucun doute, à contourner la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990, puisqu’elle prévoit que le droit d’amendement s’exerce en séance plénière ou en commission. Toutefois, l’article 44 ne remet pas en cause le droit de chaque parlementaire de présenter un amendement et de le défendre, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1990.

Aussi, Gouvernement et majorité, qui ne cessent de répéter la main sur le cœur, depuis des mois, qu’il ne saurait être question de toucher au droit d’amendement, devraient-ils entériner la seule conclusion possible : supprimer l’article 13 du projet de loi !

Mes chers collègues, ne cédez pas à la pression en votant la restriction de vos propres libertés !

L’obstruction parlementaire a bon dos ! Il est, en revanche, évident que la frénésie législative du Gouvernement, auteur de quantité de textes d’affichage, entraîne une forte détérioration de la qualité de la loi, de son application, et engendre une lassitude à l’égard du débat parlementaire. Ma collègue Éliane Assassi y reviendra tout à l’heure en défendant une motion tendant à opposer la question préalable.

Le droit d’expression des parlementaires leur permet de remplir leur rôle : être les porte-parole des citoyens qui les ont élus et relayer en permanence ce qui se passe dans le pays. Il est le garant d’un vrai débat démocratique, qui ne saurait se réduire à un vote tous les cinq ans, suivi de l’application mécanique du programme du Président de la République. La période actuelle, comme d’autres qui l’ont précédée, en fait foi.

Le propre de la démocratie représentative, c’est le débat parlementaire public entre groupes et parlementaires de sensibilités différentes, qui permet de dégager des majorités, voire d’aboutir à des compromis.

Si l’essentiel de la tâche des parlementaires était de voter les projets du Gouvernement – devrais-je dire du Président ? –, ils pourraient le faire de chez eux, par le vote électronique. Pourquoi s’embarrasser d’un Parlement ? Les techniques actuelles permettent au Président de la République de consulter directement les citoyens-téléspectateurs.

D’ailleurs, quand la durée du débat en séance publique enfle, ce n’est pas sur des questions techniques « ennuyeuses », mais sur de profonds enjeux de société, en lien direct avec les préoccupations de la population, qu’il est du devoir des parlementaires de relayer dans les assemblées.

Les autres dispositions du projet de loi organique méritent aussi de faire l’objet d’un débat. Puisque nous y reviendrons lors de la discussion des articles, je n’en dirai que quelques mots.

L’article 34 nouveau de la Constitution, qui instaure le droit de résolution, délimite déjà strictement ce dernier.

Les résolutions ne sont pas normatives, puisqu’elles ne sont pas de nature législative, mais il est précisé qu’elles ne peuvent ni mettre en cause le Gouvernement ni contenir des injonctions à son égard.

Je voudrais faire observer, à ce propos, que, contrairement aux députés, les sénateurs ne peuvent pas déposer de motion de censure. Par conséquent, la question de l’application de cet article ne se pose pas pour notre assemblée.

Le projet de loi organique tend à restreindre encore l’utilisation de ce droit de résolution, par le veto a priori du Premier ministre, l’interdiction d’amender et les délais impartis, qui feront obstacle à la rapidité et à la réactivité que devraient permettre les propositions de résolution, dont le formalisme est bien moindre que celui des projets de loi.

Le Premier ministre ne devrait pas pouvoir s’opposer a priori à une proposition de résolution, dont la logique du débat parlementaire voudrait qu’elle puisse être amendée. Je crains fort que ces propositions de résolution ne se réduisent à des vœux, comme l’a dit lui-même M. Gélard, sans portée effective.

En ce qui concerne l’évaluation préalable au dépôt des projets de loi prévue à l’article 39 nouveau de la loi constitutionnelle, nous ne contestons nullement l’intérêt d’une telle disposition. D’ailleurs, l’évaluation de la législation existante et du bien-fondé de nouvelles dispositions législatives est réclamée depuis longtemps par nombre de parlementaires, toutes sensibilités confondues. Elle aurait, à nos yeux, deux avantages : améliorer la transparence, peut-être, et limiter la frénésie législative des gouvernements, sans aucun doute.

Les dispositions de la loi organique suscitent un certain nombre d’autres remarques.

Tout d’abord, une série de projets de loi échappent à l’obligation d’évaluation préalable ou sont soumis à des obligations de présentation spécifiques : je veux parler des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, des projets de loi de programmation, des projets de loi portant ratification d’ordonnance ou des projets de loi relatifs aux états de crise. De surcroît, il était prévu que l’évaluation soit modulée, notamment en fonction de l’urgence.

Si l’Assemblée nationale a quelque peu tempéré ces restrictions, ce que propose aussi notre rapporteur, le caractère limitatif de la disposition prévue demeure.

Qui plus est, la description détaillée des éléments devant figurer dans l’étude d’impact risque de rendre ces dispositions difficilement applicables. Comme le souligne le rapporteur, la circulaire du Premier ministre de 1995 qui prévoyait une étude d’impact n’a pas été suivie d’effet.

De plus, les délais d’examen des projets de loi rendent impossible l’expertise contradictoire du Parlement, notamment de l’opposition.

Nous souhaitons donc que tout projet de loi fasse l’objet d’une évaluation réaliste et efficace par le Parlement, tant a priori qu’a posteriori.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce projet de loi organique.

Le Gouvernement et la majorité ne ménagent pas leur peine pour nous convaincre que dans la mesure où la loi organique se bornera à ouvrir la possibilité de limiter le droit d’amendement, il appartiendra aux règlements des assemblées de « mettre en musique » le dispositif : cela laissera l’Assemblée nationale et le Sénat libres de décider d’appliquer ou non celui-ci. Autrement dit, les règlements des deux chambres pourraient différer en la matière, comme semble en témoigner le projet de règlement du Sénat en son état actuel.

Or, mes chers collègues, s’il existe une certaine autonomie des deux assemblées, dont les compétences ne sont pas identiques, il ne me paraît pas sérieux de prétendre qu’une différence pourra exister en matière de droit d’amendement. Ce point de vue est d’ailleurs soutenu par des constitutionnalistes, notamment le professeur Gicquel, que nous avons entendu.

La sagesse, s’il est encore permis de l’invoquer, devrait donc l’emporter, et l’article 13 devrait être purement et simplement supprimé. Sinon, nous voterons contre ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

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Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
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