M. Jean-Pierre Sueur. C’était un mensonge !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’était effectivement un pur mensonge, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Et ceux qui ont voté le texte savent très bien que, en réalité, une majorité des trois cinquièmes des parlementaires est requise pour s’opposer à la nomination du président de France Télévisions, ce qui suppose un accord entre l’opposition et la majorité. C’est donc exactement l’inverse !

Ce débat sur le droit d’amendement, que tout le monde se plaît à sanctifier en le qualifiant d’« imprescriptible », d’« inaliénable », voire de « sacré » – voilà le sacré qui entre au Parlement ! –, c’est véritablement le triomphe des faux-semblants !

Le Gouvernement, et la majorité avec, est assez mal à l’aise, car, plus il répète que le droit d’amendement doit être respecté, plus on s’aperçoit qu’il ne veut pas le respecter tout à fait.

La Constitution, même après la révision de juillet dernier, prévoit que le droit d’amendement est un droit inaliénable. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il faut, pour que ce droit soit respecté, que l’amendement soit discuté. Une limitation éventuelle du temps de parole serait donc en contradiction avec cette appréciation : les amendements seraient en quelque sorte « mort-nés », inexistants, puisqu’ils pourraient être déposés mais ne seraient pas défendus. Avec ces propositions sans vie, la démocratie serait atone : l’indépendance et la liberté des parlementaires ne seraient qu’un faux-semblant.

La majorité sénatoriale annonce qu’elle n’usera pas de cette possibilité offerte par la loi organique. Elle veut bien voter la disposition, mais elle ne veut pas l’appliquer. Elle considère donc, de fait, que l’article 13 ne respecte pas le droit d’amendement !

L’article 13, qui vise à instaurer le fameux crédit-temps qu’on peut qualifier de « 49-3 » parlementaire, viole à mon avis la Constitution. C’est une injure à l’histoire démocratique française et à ceux qui se sont battus pour que le pluralisme vive et que le pays échappe à toute dérive autocratique, dérive connue par le passé, mais aussi plus récemment, hélas !

À l’issue de ce débat sur cet article-clé pour l’avenir de nos institutions, nous appelons la majorité à aller jusqu’au bout de sa logique – l’inaliénabilité du droit d’amendement – et à avoir le courage de ne pas voter cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre de l’article 13 du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, mais surtout pour défendre le Parlement.

Cet article porte atteinte de façon inacceptable à notre Constitution et à l’esprit de notre démocratie. Il bafoue notre légitimité, car le droit d’amendement est une liberté fondamentale du Parlement.

Il est grave de vouloir amoindrir le droit d’amendement dans le but de limiter les travaux de l’opposition, car cela revient à affaiblir le travail parlementaire.

La démocratie implique l’existence d’institutions représentatives, notamment d’un Parlement doté des pouvoirs et des moyens nécessaires pour exprimer la volonté du peuple, c'est-à-dire en légiférant et en contrôlant l’action du Gouvernement

Une opposition parlementaire est un rouage indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. L’une de ses fonctions principales est de constituer une alternative politique crédible à la majorité en place en proposant d’autres options politiques au débat public. Elle participe également à la surveillance, à la vérification et au contrôle de l’action et de la politique gouvernementales, contribuant ainsi à défendre l’intérêt public et à prévenir des dysfonctionnements éventuels.

Monsieur le secrétaire d’État, il est abusif de vouloir légiférer sur un tel article qui n’a pour but que de menotter l’opposition. Vous voulez réglementer l’« obstruction », alors que l’exécutif possède un arsenal constitutionnel pour exiger la clarté et la sincérité des débats : les articles 40, 41 et 45 de la Constitution, mais surtout l’article 44, troisième alinéa – le vote bloqué constitue en effet une arme confortable puisqu’elle est à la disposition du membre du Gouvernement présent en séance –, sans oublier l’article 49, troisième alinéa, qui subsiste.

Citez-moi un seul cas où l’obstruction aurait empêché l’adoption d’un texte sous la Ve République !

M. Jean-Pierre Sueur. Il n’y en a pas !

M. Roger Madec. Mais puisque l’on évoque les souvenirs, n’oubliez pas les valeurs transmises par nos pairs dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, notamment à l’article VI en vertu duquel « la loi est l’expression de la volonté générale ».

Vous pensez que la longueur des débats nuit aux réformes. Mais nombre de ces dernières ont été menées grâce aux débats engagés en amont. Penser le contraire est grave ! En commission ou en séance, le débat est une étude, une confrontation d’idées, que les amendements viennent enrichir.

Retournons dans le passé : je ne contredirai pas Michel Debré lorsqu’il affirmait qu’« aucun retard ne doit être toléré à l’examen d’un texte gouvernemental, si ce n’est celui qui résulte de son étude ». Mais que deviendrait cette étude si le droit d’amendement était limité ?

Nous travaillons à améliorer la loi pour qu’elle soit la plus juste pour nos concitoyens, et c’est ce droit à l’amélioration de la loi que vous souhaitez nous ôter. Pourtant, je rappelle qu’il a fallu deux ans de travail en commission et neuf mois de débats à la Chambre des députés et au Sénat pour que, en 1905, une loi fondamentale de la République soit adoptée : la loi concernant la séparation des Églises et de l’État. En aurait-il été de même si le Parlement avait été muselé par le crédit-temps ? Celui-ci n’est en effet assorti d’aucune garantie assurant à l’opposition qu’elle pourra mener des débats constructifs. Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre ses amendements, qui seront alors simplement soumis au vote sans aucune discussion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la majorité nous dit que le temps global ne sera pas appliqué au Sénat. Je vous invite donc à rejeter l’article 13. Ne dites pas que cette disposition n’est qu’une faculté donnée aux assemblées et que son application n’est pas obligatoire, car ce serait déshonorer le Parlement : comment s’assurer que le temps programmé qui nous est proposé ne deviendra pas obligatoire si c’est le bon vouloir du prince ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, je me réjouis que la conférence des présidents ait organisé le débat sur cet article à un moment opportun afin qu’il se déroule dans de bonnes conditions.

L’article 13 du projet de loi organique crée la possibilité de recourir à un crédit-temps global et de mettre aux voix un amendement sans qu’il ait été présenté, et donc discuté.

La loi organique dont nous discutons, comme toutes les lois organiques, sera transmise au Conseil constitutionnel. Je suppose que, dans ce cadre, tous nos débats feront l’objet d’une lecture attentive. Or j’ai la profonde conviction que l’exercice du droit d’amendement exige, pour qu’il soit considéré dans sa plénitude, que la présentation de l’amendement en séance publique soit effectuée. Cette présentation n’est à mon avis pas détachable du droit d’amendement.

Peut-on accepter que, lors d’un débat, les parlementaires voient leur activité limitée à la lecture d’amendements non défendus par leurs auteurs, auxquels on aurait retiré toute possibilité de convaincre leurs collègues, et au vote sans discussion ? Ce serait une atteinte profonde au droit d’amendement.

La présentation est-elle détachable du droit d’amendement ou en est-elle une partie constitutive ? Je serais heureux que le Conseil constitutionnel réponde à cette question.

Ma deuxième question a trait au crédit-temps global.

En effet, une telle disposition limitera par nature le nombre d’amendements qu’un parlementaire pourra défendre. Quelle que soit la « générosité » avec laquelle sera attribué ce crédit-temps, les groupes dont l’effectif est faible, même si on les favorise, disposeront d’un temps de parole nettement moins important que les autres groupes. Par conséquent, pour pouvoir défendre tous leurs amendements, devront-ils en déposer moins ?

Les parlementaires, pour exercer la plénitude de leur mandat, doivent avoir le temps de défendre tous leurs amendements. Or, compte tenu du crédit-temps, ils n’auront pas cette faculté. En fait, le projet de loi organique prévoit, sous une forme déguisée, une limitation du nombre d’amendements pouvant être présentés par un parlementaire ! Cela aussi est anticonstitutionnel, à mes yeux.

J’en viens à ma troisième question : le droit d’amendement étant individuel, au nom de quoi pourrait-on enfermer un parlementaire dans le temps imparti à son groupe, d’autant que personne n’est obligé d’appartenir à un groupe politique ?

Le Sénat a la sagesse d’accorder à chaque parlementaire un temps de parole de cinq minutes pour une explication de vote et de cinq minutes pour la présentation d’un amendement. Avec l’instauration d’un temps global, comment le droit individuel de chaque parlementaire sera-t-il respecté ? La loi organique va donc le bafouer. Cette disposition est également susceptible, à mon avis, d’encourir la censure du Conseil constitutionnel.

Voilà les trois points de droit sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans le débat, débat dont je souhaite qu’il continue à se dérouler dans la sérénité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand tant de questions nous assaillent – la crise, le chômage, la situation qui se détériore aux Antilles, l’indépendance de la France à l’égard de l’OTAN, la justice, les prisons, le sort fait aux libertés publiques (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.) –, certains pourraient se demander ce que nous faisons là. On pourrait croire que ce débat est de pur juridisme, mais il n’en est rien !

Pour le démontrer, je remonterai non pas à la cour des pharaons, mais seulement à la Révolution française. À l’époque où celle-ci commence à s’essouffler, après Thermidor, démarrent les combats autour du droit d’amendement. C’est dire comme la défense des droits du Parlement – sujet universel – est vieille comme la République, même si elle concerne aussi parfois les régimes qui ont renversé la République.

À la fin du XVIIIe siècle, le Directoire voulut restreindre les pouvoirs très importants du Corps législatif, composé de deux assemblées, et s’introduire dans le domaine législatif. Cela a certainement préparé, après des coups d’État secondaires, le coup d’État décisif du 18 brumaire et l’instauration du Consulat.

À cette époque, le Conseil d’État, qui n’a rien à voir avec notre actuelle haute juridiction, prépare les projets de loi et les présente devant le Corps législatif. Le Tribunat, composé de cent députés, discute les projets de loi du Gouvernement, mais n’a surtout pas le droit de les amender. Le Corps législatif, composé de trois cents membres, vote les lois sans pouvoir les discuter. Le Sénat conservateur surveille de près le fonctionnement des assemblées.

La constitution de l’An X, qui instaure le Consulat à vie, abaisse un peu plus les assemblées et confirme le pouvoir de contrôle du Sénat, dont les membres sont très largement nommés par Bonaparte lui-même.

Avec la proclamation de l’Empire, en 1804, et la constitution de l’An XII, les choses deviennent encore plus simples : le Tribunat est supprimé par le Sénat, et le Corps législatif obtient un droit de parole, mais à huis clos.

Sous la Restauration, seul le roi a l’initiative des lois et peut s’opposer à leur promulgation. Il peut refuser tout amendement qui ne lui convient pas. Cependant, l’évolution du droit d’amendement commence à cette époque, où l’on a même parfois le droit de contrôler, de critiquer le gouvernement, ce que ne permettent pas les fameuses résolutions dont nous avons débattu récemment …

Sous la Monarchie de Juillet, après d’âpres batailles parlementaires, les Chambres arrachent un droit d’amendement dont elles usent à nouveau pour critiquer le Gouvernement, pour faire de la politique en somme. C’est probablement pourquoi les résolutions parlementaires inquiètent autant le Gouvernement aujourd’hui …

Après l’intermède de la IIe République, la constitution du 14 janvier 1852, au lendemain du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, reprend largement les termes de la constitution de l’An VIII. Le Conseil d’État examine les amendements du Corps législatif, celui-ci n’ayant guère le droit de se mêler des affaires politiques. Sa faculté d’amendement est ainsi réduite. La tribune est même supprimée, monsieur le président, afin d’éviter les « éloquences » jugées superfétatoires par le pouvoir d’alors.

Quant au Sénat, plus que jamais, il contrôle les autres chambres et la législation. D’ailleurs, tenez-vous bien, mes chers collègues, on parlait à l’époque non pas des « dignitaires » du Sénat, mais des « illustrations ». (Sourires.) Nous en connaissons une survivance : les membres du Gouvernement ne nous qualifient-ils pas régulièrement de « Haute Assemblée » ? C’est flatteur …

Le décret du 24 novembre 1860 créé les premiers ministres chargés des relations avec les Chambres. Voilà que votre ancêtre apparaît, monsieur Karoutchi. (Sourires.) Le droit d’amendement est alors élargi.

Pour conclure, je dirai qu’il faudrait expliquer aux nombreux élèves qui se pressent dans la salle des Conférences du Sénat que le trône de Napoléon, gloire française, n’est pas celui d’un fondateur de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur. M. Mermaz est un grand historien !

Mme Éliane Assassi. C’est un grand homme !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en remportant les élections sénatoriales dans l’Aisne, en septembre dernier, j’ai cru gagner le droit de participer de manière effective à l’élaboration des lois et de m’exprimer personnellement à cette fin dans cette enceinte nationale. J’imaginais bien que, à l’instar de nos assemblées locales, ma liberté d’expression s’exercerait dans le cadre des seules limites nécessaires à la tenue d’un débat démocratique.

Nouvel élu, j’ai découvert, lors des premiers textes dont notre assemblée a été saisie au début de la session, que la quantité impressionnante de projets inscrits à l’ordre du jour ainsi que l’urgence déclarée sur presque tous ces textes réduisaient nécessairement les temps de réflexion et de débat parlementaires. Les ministres agitent frénétiquement les réformes au rythme où défile l’actualité, soumettant nos assemblées à un tempo effréné et ininterrompu. Cette fébrilité, ce prurit législatif relèvent-ils d’une méthode stroboscopique destinée à aveugler et à tétaniser le législateur ?

Il serait peut-être de meilleure politique que le Gouvernement, qui maîtrise notre ordre du jour, modère ce staccato au profit de textes plus réfléchis sur le long terme, mieux préparés, mieux rédigés et, par là même, plus utiles, étant entendu en outre que le rythme de publication des décrets nécessaires à l’application de ces lois est loin de suivre celui de leur adoption. Quel baptême en tout cas !

J’ai aussi découvert que le Gouvernement disposait, dans nos enceintes parlementaires, d’un arsenal impressionnant pour contraindre le droit d’amendement et le droit d’expression en séance publique : irrecevabilité financière de l’article 40, irrecevabilité matérielle de l’article 41, vote bloqué de l’article 44, troisième alinéa, auquel s’ajoute l’article 49, troisième alinéa – il subsiste, même si c’est de manière limitée –, utilisation positive de la question préalable, demande de seconde délibération, et j’en passe.

Le Gouvernement n’est donc empêché de rien. L’exécutif dispose de tous les moyens pour passer outre l’opposition parlementaire et pour faire adopter ses projets, sans compter les propositions de loi ou les amendements téléguidés. Et il utilise effectivement ces moyens ! Preuve en est le nombre exponentiel de textes de loi publiés. Preuve en est encore, de manière caricaturale avec cet article 13 qui prétend nous faire taire, le vote bloqué imposé à l’Assemblée nationale.

La révision constitutionnelle du 21 juillet 2008 tendait à rééquilibrer les droits du Parlement. Or je découvre, abasourdi, que ce deuxième projet de loi organique autorise la présentation et le vote de résolutions qui ne sont pas normatives, qui ne peuvent être amendées, qui ne peuvent mettre en cause le Gouvernement ou lui adresser une injonction, et dont la recevabilité dépend du Premier ministre. Il prévoit également d’assortir les projets du Gouvernement d’études d’impact apparemment univoques. Il permettrait surtout de voter les projets de loi sans les discuter. Voila ce que je n’imaginais pas !

Si l’on en croit le discours officiel, cet article 13 se justifierait « parce que l’obstruction est devenue un instrument trop systématique et que cette pratique contribue à distendre le lien entre les citoyens et leurs représentants ».

Le débat d’amendement est en réalité la seule arme dont disposent les parlementaires pour alerter nos concitoyens. Le contrat première embauche, ou CPE, en est un magnifique exemple. Voilà une « obstruction » constructive, un usage du débat parlementaire qui a œuvré dans l’intérêt général et qui a prouvé la force de nos liens avec nos concitoyens face à un pouvoir qui n’a de cesse d’abolir tout ce qui pourrait constituer un contre-pouvoir. Alors, ne venez pas m’expliquer que vous voulez faire taire le législateur en séance publique pour le faire mieux entendre à l’extérieur !

Nous avons pris bonne note des engagements de M. le président du Sénat et de M. le président de la commission des lois de ne pas faire application de l’article 13 ici. Cependant, permettez-moi de ne pas être rassuré : qu’en sera-t-il demain ?

Personne ne conteste le fait que le droit d’amendement est individuel et imprescriptible, et qu’il ne faut pas y toucher. Il est donc pour le moins paradoxal d’appeler à voter conforme une disposition qui y porte atteinte et de dire dans le même temps qu’on ne l’appliquera pas. Ce principe constitutionnel ne vaudrait-il donc que pour le Sénat ? Ce qui serait contraire aux droits du Parlement le serait ici et pas là-bas ?

Cette assertion qui relève de l’oxymoron devient décidément une spécialité. C’est une autre conception du rôle des assemblées que je défends et que vous devriez également soutenir, mes chers collègues, sauf à marquer l’histoire parlementaire d’un lamentable sabordement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, soyons clairs : le projet de loi organique qui nous est soumis, en particulier son article 13, a fait couler beaucoup d’encre. C’est à juste titre, car il touche aux libertés publiques. Il serait donc souhaitable que notre discussion soit franche et fasse fi de toute hypocrisie ou tentative de dissimulation des réelles intentions des uns ou des autres.

Aux termes de l’article 13, « les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ». Le projet est donc sans équivoque : il offre la possibilité à une assemblée de n’autoriser que le dépôt des amendements et de refuser leur présentation.

Ce constat peut paraître simple, mais il mérite d’être précisé et entendu, car, du dépôt du rapport du comité présidé par M. Balladur aux débats de Versailles jusqu’à ce jour, le Gouvernement, notamment par votre entremise, monsieur le secrétaire d’État, a toujours tenté de faire croire que le simple fait de pouvoir déposer un amendement suffisait au respect de l’article 44 de la Constitution, qui, aujourd’hui encore, affirme le droit d’amendement comme un droit individuel et imprescriptible des parlementaires si, conformément à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il est effectivement assuré.

Monsieur le secrétaire d’État, le 28 mai 2008, vous répondiez ainsi à l’un de nos collègues de l’Assemblée nationale : « Sincèrement, je ne sais plus dans quelle langue m’exprimer pour vous faire comprendre que vous aurez non seulement la possibilité de déposer et de discuter – puisque c’est le mot que vous vouliez entendre – des amendements […]. »

Saviez-vous alors que vous défendriez quelques mois plus tard avec passion, conviction, voire acharnement, un projet de loi organique ouvrant la voie à l’adoption d’amendements « sans discussion » ?

L’alternative est simple : soit, vous avez manipulé le Parlement à l’occasion de la révision constitutionnelle (Protestations sur les travées de lUMP), soit vous vous êtes fait manipuler au printemps dernier ! (Mêmes mouvements.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. C’est lamentable !

Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez d’ailleurs pas le seul à dissimuler les véritables intentions du Gouvernement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Restez dans votre rôle, je resterai dans le mien !

Mme Éliane Assassi. Le même jour, Mme Rachida Dati affirmait ceci : « Je tiens à vous rassurer, le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause le droit d’amendement. Non seulement les amendements pourront être librement déposés, mais ils pourront être réexaminés en séance. »

M. Warsmann lui-même, qui fait pourtant de son combat contre ce qu’il appelle « l’obstruction » une question prioritaire, indiquait : « On ne touche pas au droit de déposer des amendements et ceux-ci viendront en séance et y seront discutés ».

Ces citations ne sont pas superflues. Elles éclaircissent notre débat et doivent éclairer le Conseil constitutionnel. Si le constituant a autorisé à légiférer sur une telle base, le droit d’amendement sera intégralement respecté ; cela signifie tout simplement que l’article 13 n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Constitution et de nos institutions.

M. Warsmann, toujours, écrivait à la page 25 de son rapport sur la révision constitutionnelle : « il faut s’interroger sur le principe constitutionnel réservant au parlementaire le droit personnel de déposer des amendements et de les défendre ». Cette interrogation du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est un aveu : le droit d’amendement, c’est le droit d’en débattre.

Il poursuivait d’ailleurs, à la page 26 de son rapport : « on peut légitimement se demander si la protection de l’exercice effectif du droit d’amendement ne s’étend pas également à sa présentation. »

L’article 13 est donc contraire aux principes fondamentaux de notre droit. Le droit d’amender, le droit de multiplier les amendements pour alerter l’opinion et pour résister à une mesure estimée dangereuse, le droit d’opposition puisent leur source dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui prône le droit à l’insurrection. (M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois, manifeste son étonnement.)

Je conclurai sur une remarque plus politique : qui peut reprocher aujourd’hui aux parlementaires communistes d’avoir mené à l’Assemblée nationale et au Sénat une bataille parlementaire pour préserver notre système de retraite par répartition ? Cette bataille, avec la mobilisation des acteurs sociaux, a permis de freiner l’ambition de M. Fillon – il ne se prévaut guère de cet épisode aujourd’hui – visant à soumettre les retraites à la loi du marché et des fonds de pension. Ce reproche, ce ne sont certainement pas les retraités ou les futurs retraités qui constatent avec inquiétude le sort de leurs homologues américains ou anglais qui le feront ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 13 de ce projet de loi organique constitue un pas significatif vers la présidentialisation du régime, avec cette particularité que cette dernière se fonde non pas sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs, mais sur une soumission croissante du pouvoir législatif aux objectifs de l’exécutif.

Cela a été maintes fois rappelé, l’objectif est l’efficacité, la modernité, l’adaptation au monde qui nous entoure. Cette pensée dogmatique de l’efficacité et de la modernité devrait pourtant être maniée avec précaution, car c’est elle qui nous a menés au bord du gouffre.

M. Balladur présentait ses réflexions dans un chapitre intitulé « Moderniser le droit d’amendement ». Moderniser, c’est sans doute, pour la première fois depuis le Consulat, la Restauration, le second Empire ou Vichy, s’attaquer au fondement de la démocratie parlementaire, à savoir le droit d’expression même des parlementaires.

Selon M. Balladur, la procédure dite du « crédit temps » permettrait de limiter l’obstruction parlementaire.

Avant d’examiner les dispositions de l’article 13, il convient de s’arrêter quelques instants sur cette question de l’obstruction. Qui dénature l’activité des assemblées ? Qui pénalise le travail législatif ? Les parlementaires qui exercent leur droit constitutionnel d’amendement ou le Gouvernement qui multiplie les projets de loi aboutissant à une inflation législative incontrôlable, pour ne pas dire incontrôlée ?

Monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous parler d’obstruction alors que vous vous êtes vanté devant les députés d’avoir fait adopter par le Parlement cinquante-quatre projets de loi en un an, soit un par semaine, vacances comprises ?

Mme Josiane Mathon-Poinat. Pourtant, pour l’année 2006-2007, seuls 10 % des décrets nécessaires à l’application des lois votées ont été pris. (M. le secrétaire d'État proteste.)

L’inflation législative est l’une des principales raisons de l’affaiblissement du rôle du Parlement, inflation législative alimentée, pour une bonne part, par la transposition massive des normes européennes.

L’affaiblissement du rôle du Parlement, n’en déplaise aux présidents de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, c’est aussi la réduction des pouvoirs en matière budgétaire, qui aboutit à transformer les assemblées en chambres d’enregistrement.

L’utilisation du droit d’amendement a symbolisé, en 1980, le retour de l’initiative parlementaire. Dans une constitution privant les assemblées d’un réel pouvoir d’initiative, l’amendement est devenu un outil d’expression majeur du Parlement, à gauche comme à droite, selon l’étiquette politique du Gouvernement : il permet de présenter une proposition, de la soumettre au vote, mais également de manifester une vive opposition.

Monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez souvent avec nostalgie la période, antérieure à 1969, où le temps global s’appliquait à l’Assemblée nationale. Faut-il vous rappeler que c’est à cette époque qu’est née la fameuse expression « parlementaires godillots » ?

L’obstruction, que vous dénoncez tant, a surtout été développée par la droite parlementaire, précurseur en la matière. La loi de nationalisation, la loi sur l’enseignement supérieur ou la loi sur la presse furent l’objet de milliers d’amendements déposés par l’opposition d’alors, devenue aujourd’hui majoritaire.

L’amendement n’était d’ailleurs pas le seul moyen. En 1981, sur les nationalisations, la droite fut la première à utiliser de manière massive le rappel au règlement en en présentant cent huit.

Faut-il donc s’inquiéter des longs débats parlementaires ? Les grands textes qui régissent encore aujourd’hui notre société, comme les lois relatives à l’école ou à la liberté de la presse, ont nécessité plus d’un an de débat.

Aujourd’hui, un débat qui dure une semaine paraît excessif ; s’il dépasse quinze jours, il devient presque intolérable et s’apparente à une déstabilisation de l’exécutif !

Vous avancez des chiffres importants : 11 853 amendements sur le projet de loi portant sur les retraites, 137 665 amendements pour le projet de loi sur la privatisation de Gaz de France, 14 888 amendements sur le projet de loi relatif à La Poste. Or les débats n’ont jamais dépassé un mois, les outils de restriction du droit d’amendement étant déjà très nombreux, de l’irrecevabilité à la clôture des débats, en passant par l’ajout inopiné de séances.

Sur le contrat première embauche, le CPE, nous avions même siégé à l’heure de la messe, le dimanche matin ! Sur ce texte comme sur d’autres, n’aurait-il pas mieux valu prendre le temps du débat ?

Nous réfutons donc cet argument démagogique qui confine à l’antiparlementarisme.