M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je saisis l’occasion de la lecture des conclusions de la conférence des présidents pour vous demander si cette dernière a été saisie de la question de la déclaration d’urgence sur le projet de loi pénitentiaire, que nous examinons actuellement.

En effet, vous savez que M. le président de l’Assemblée nationale a souhaité que cette urgence soit abolie et que M. Jean-Pierre Bel, au nom du groupe socialiste, a formulé avec beaucoup d’instance une demande identique.

Nous sommes très nombreux à considérer que, pour la première mise en œuvre des nouvelles dispositions, il serait vraiment souhaitable que nous puissions prendre le temps nécessaire, le temps fixé par la Constitution, pour débattre au fond, au cours des différentes lectures et navettes prévues, du projet de loi pénitentiaire.

Je vous remercie, madame la présidente, des réponses que vous pourrez m’apporter.

Mme la présidente. Monsieur Sueur, la conférence des présidents a bien été saisie de cette question.

À la suite des interventions de M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG, M. le président du Sénat a adressé un courrier à M. François Fillon, Premier ministre, qui lui a répondu par une lettre datée de ce jour.

M. le Premier ministre a confirmé la décision du Gouvernement de déclarer l’urgence sur le projet de loi pénitentiaire en se fondant sur une interprétation des règles de procédure parlementaire différente de celle qui a été exprimée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et par M. Jean-Pierre Bel. Il considère que l’urgence ayant été déclarée sur le présent projet de loi avant le 1er mars, date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions constitutionnelles, la règle antérieure s’applique.

Au demeurant, la réponse négative à la demande de revenir sur l’urgence me semble pouvoir évoluer – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat pourra le confirmer – en fonction de l’état du texte après son passage dans chacune des deux assemblées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Si M. le Premier ministre maintient sa position, nous en prenons acte, mais j’ai cru comprendre, à la lecture du nouveau texte constitutionnel, que les deux conférences des présidents, dès lors qu’elles avaient la même position, pouvaient lever la procédure d’urgence ou d’accélération. Ai-je mal compris, madame la présidente ?

Mme la présidente. Je répète que, selon M. le Premier ministre, le texte sur lequel s’applique la déclaration d’urgence est celui qui a été déposé avant la mise en application de la révision constitutionnelle.

Par ailleurs, nous avons été informés du fait que la conférence des présidents de l’Assemblée nationale n’avait pas pris position. Une demande a simplement été présentée par le président de l’Assemblée nationale, demande à laquelle le Gouvernement a répondu négativement comme à la demande du président du Sénat.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien entendu, les explications du Gouvernement ne nous ont pas convaincus. Il est assez surprenant que deux règles constitutionnelles cohabitent pour l’examen d’un même texte, et ce d’autant plus que le mot « urgence » n’existe plus dans la Constitution révisée en juillet.

Nous avons protesté et M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui siégeait à la conférence des présidents, nous a dit que l’on pourrait revoir les choses ultérieurement, en précisant que le texte ne serait peut-être pas soumis à l’Assemblée nationale avant le mois de mai, ce qui est évidemment en totale contradiction avec l’urgence.

J’ai du mal à croire que l’on pourrait appliquer dans les établissements pénitentiaires, dès le 1er juillet, les fruits du travail du Parlement…

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. J’éprouve un sentiment de malaise.

Nous avons exprimé notre interrogation sur l’application de la procédure d’urgence au texte dont nous débattons aujourd’hui, mais, compte tenu des éléments que vous venez de nous donner de la part de M. le Premier ministre, nous sommes maintenant perplexes devant la porte qui reste ouverte.

Cela signifie-t-il que, si le texte convient au Gouvernement, nous aurons droit à une navette, c’est-à-dire à la levée de l’urgence ? Dans ce cas, il s’agira d’une récompense. Au contraire, serons-nous punis si le texte n’est pas conforme aux souhaits du Gouvernement, auquel cas l’urgence s’appliquera ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Richard Yung. Je me perds en conjectures.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas clair !

Mme la présidente. Seul le Gouvernement peut répondre à cette question.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je demande une suspension de séance de dix minutes pour que nous puissions examiner la situation extrêmement complexe dans laquelle nous nous trouvons.

Mme la présidente. Je veux bien accéder à votre demande, mais pour cinq minutes.

Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures cinquante, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, je voudrais dire avec gravité, au nom du groupe socialiste, qui vient de se réunir, qu’il est tout à fait indigne du Parlement de se trouver dans cette situation de totale confusion tant sur le fond que sur la procédure.

Sur ce sujet grave, essentiel pour notre société, sur lequel des rapports parlementaires importants ont été écrits, qui a donné lieu à un travail intense, en particulier de la part de M. le rapporteur, nous assistons à une véritable palinodie.

Nous attendons ce projet de loi depuis des années. Il a été longuement préparé, chacun peut en convenir. Et voilà qu’on nous dit tout d’un coup qu’il doit être examiné en urgence alors que les navettes parlementaires sont parfaitement justifiées, tout le monde le sait !

S’il y a urgence, comment expliquer – Mme Borvo Cohen-Seat vient de poser la question – que M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement nous annonce qu’il ne sera peut-être soumis à l’Assemblée nationale qu’au mois de mai ? Est-ce une urgence de convenance ? Dans ce cas, qu’on nous le dise ! Moi, je dis les choses clairement, madame la garde des sceaux : pourquoi le Gouvernement a-t-il cette attitude ?

Nous avons du mal à comprendre. Le sujet est urgent, certes, parce que les prisons vont mal, mais tout le monde sait bien, y compris dans le monde pénitentiaire, qu’il est parfaitement possible que nous consacrions quelques semaines ou quelques mois de plus pour que la procédure parlementaire aille à son terme. Nous sommes contre les urgences de convenance, je le dis avec force au nom du groupe socialiste.

Pour ce qui est de la procédure, on le sait, la déclaration d’urgence n’existe plus : elle a été remplacée par la « procédure accélérée » ; ainsi en a décidé la nouvelle Constitution. C’est donc bien dans ce cadre que nous nous trouvons. Or la nouvelle Constitution offre au Parlement la possibilité de refuser l’application de cette procédure s’il la juge abusive.

Précisément, en l’espèce, M. le président de l’Assemblée nationale s’est dit opposé à l’application de cette procédure d’urgence devenue procédure accélérée. La conférence des présidents de l’Assemblée nationale, s’il la réunit, le suivra.

Nous réitérons donc la demande de notre groupe, déjà formulée par Jean-Pierre Bel : la conférence des présidents du Sénat doit se réunir pour refuser, elle aussi, l’application de la procédure accélérée sur ce texte.

Ce sera un symbole fort : les deux assemblées du Parlement de la République s’opposant ensemble à une procédure accélérée pour permettre à ce débat serein, même s’il est animé, et positif, car nous avons abordé des questions de fond, d’aller normalement jusqu’à son terme.

Nous protestons contre l’état de confusion dans lequel nous nous trouvons, tant sur le fond que sur la procédure.

10

Article 10 bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pénitentiaire
Article 10 bis (début)

Loi pénitentiaire

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (Texte de la commission)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi pénitentiaire, déclaré d’urgence.

Dans la discussion des articles, nous avons entamé l’examen de l’article 10 bis.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pénitentiaire
Article 10 bis (interruption de la discussion)

Article 10 bis (suite)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Mermaz, pour un rappel au règlement.

M. Louis Mermaz. Avant la suspension du dîner, nous avions débattu, sur l’initiative du groupe socialiste, de la possibilité de disposer d’interprètes de manière que, lors de leur arrivée dans un établissement pénitentiaire, les détenus étrangers puissent être informés dans une langue qu’ils comprennent et pour qu’ils puissent également se faire entendre des autorités s’ils ne parlent pas le français.

M. du Luart, qui présidait alors la séance, a lui-même bien voulu reconnaître l’importance de ce sujet. Le président Hyest et le rapporteur s’en sont également préoccupés, si bien qu’on a fait venir le président de la commission des finances, car on nous oppose, une fois de plus, l’article 40.

Nous aimerions savoir ce qu’il en est résulté et quelle procédure le président Hyest et le rapporteur souhaitent utiliser.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’article 40 a effectivement été opposé à une proposition de modification de la commission. Cela étant, monsieur Mermaz, il n’a jamais été question d’interprètes : il s’agissait de la traduction de documents fournis aux détenus, ce qui n’est pas la même chose.

M. Louis Mermaz. En effet ! Une traduction gratuite !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission des finances a confirmé que l’article 40 s’appliquait. Nous essaierons de trouver une solution d’ici à la fin des débats, car cette question est en effet importante. Mais, pour l’instant, nous ne pouvons que voter l’article tel qu’il est.

M. Louis Mermaz. Demandez donc au doyen Gélard de traduire ces documents en anglais ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous n’allons pas reprendre le débat sur la valeur relative des langues en matière juridique !

M. Louis Mermaz. Pour en revenir à un sujet plus sérieux, j’attends une réponse.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je vous l’ai donnée !

M. Louis Mermaz. Je veux dire, une réponse positive ! (Exclamations sur le banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Je prolongerai l’intervention, justifiée, de mon collègue Mermaz.

L’utilisation de l’article 40 me semble excessive, en particulier sur le texte que nous examinons aujourd’hui. Mais, indépendamment de cela, si nous voulons avoir une chance de voir le Conseil constitutionnel s’interroger sur les conditions d’utilisation de l’article 40 à l’occasion de l’examen d’un texte, il faut que, en séance, ces conditions soient contestées par les uns ou par les autres.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mon cher collègue, je vous rappelle que c’est le Conseil constitutionnel lui-même qui nous a contraints à appliquer l’article 40 comme nous le faisons aujourd'hui, alors que nous procédions auparavant tout à fait différemment.

Ne revenez pas sur un débat qui a été assez douloureux pour le Sénat !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Je reprends ce que je disais juste avant la suspension de séance : tout cela est absurde !

Tout à l’heure, j’avais cru percevoir une certaine effervescence sur les travées, d’où le bon sens semblait pouvoir surgir. Je pensais que la raison était près de l’emporter : on n’allait pas transmettre une information à quelqu’un qui n’est pas en mesure de la comprendre !

Madame le garde des sceaux, vous qui en avez le pouvoir, acceptez-vous enfin que votre article soit un article utile, c’est-à-dire un article prévoyant la transmission d’une information compréhensible par le détenu ? Si ce n’est pas le cas, à quoi sert cet article ? À rien !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !

M. Alain Anziani. Ne votons pas des articles qui ne servent à rien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde a l’air d’accord sur le fond.

Mais, madame la ministre, vous n’avez pas répondu à la question concernant l’information des détenus lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire. Il ne peut pas y avoir un interprète derrière chaque détenu, avez-vous dit. Nous le comprenons très bien. Mais vous n’avez pas répondu sur le problème de fond que soulève cet article.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’imposer un principe qui ne serait pas réaliste, mais le Gouvernement peut résoudre simplement le problème en se déclarant favorable à la transmission des informations dans une langue que le détenu peut comprendre.

Sinon, il faut réserver cet article jusqu’à ce que la commission des finances réexamine la question. Malheureusement, il n’y a pas parmi nous de représentant de la commission des finances. En effet, la procédure que le Conseil constitutionnel nous impose, à savoir le fait de statuer en amont sur l’applicabilité de l’article 40, ne peut pas être arbitraire ! Il doit y avoir un recours possible contre la décision de la commission des finances.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas arbitraire ! Il en a toujours été ainsi !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Je me joins à la demande de Mme  Borvo Cohen-Seat : je souhaite que Mme le garde des sceaux réserve cet article pour apporter une réponse positive.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Mais j’ai donné ma réponse !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un texte a été proposé par la commission – après qu’elle eut été amenée à modifier sa proposition initiale, compte tenu des problèmes qui se posaient – et il a reçu l’assentiment du Gouvernement. Nous avons entendu de très nombreuses interventions et je pense qu’il est maintenant temps de passer à l’examen des amendements, puis de voter sur l’article.

Nous ne pouvons pas reprendre éternellement le même débat ! Si l’article 40 doit s’appliquer, il s’applique, point à la ligne ! Nous n’avons jamais discuté cette décision. Lorsque la commission des finances déclare que l’article 40 s’applique, si vous trouvez cela absurde, adressez-vous à elle !

Cela étant, peut-être devra-t-on mener une réflexion globale, comme nous l’avons demandé, sur la mise en œuvre de l’article 40.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Nous l’avons déjà eue !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans le cadre de la révision du règlement, une telle réflexion est encore nécessaire.

En tout cas, pour l’heure, madame la présidente, je pense que nous avons épuisé le sujet et qu’il nous faut poursuivre l’examen de cet article.

Mme la présidente. L'amendement n° 211 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Alfonsi et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Dans la première phrase de cet article, après les mots :

le détenu est informé

insérer les mots :

oralement et par la remise d'un document écrit

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Nous nous attendions à ce débat sur l’article 10 bis. Cet amendement vise d’ailleurs à essayer de contourner, partiellement et de manière un peu radicale, l’application de l’article 40, qui nous avait profondément choqués. Il nous a en effet été indiqué que c’était en vertu de l’article 40 qu’il fallait renoncer à la nécessité d’informer le détenu « dans la langue qu’il comprend ».

Mme le garde des sceaux nous a expliqué pourquoi l’article 40 était applicable. On peut comprendre ce point de vue, mais ne point le partager, et c’est notre cas. En effet, nous ne pouvons appréhender ce que le M. Badinter a qualifié de « grande loi » par le petit bout de la lorgnette !

Dans une loi pénitentiaire, l’information du détenu est évidemment un élément très important. Madame le garde des sceaux nous l’a indiqué, dans les maisons d’arrêt, lors de l’arrivée d’un détenu, cette information se réalise souvent de manière pragmatique, grâce à des traductions données par les codétenus ; mais celles-ci ne sont pas toujours très exactes, c’est le moins que l’on puisse dire.

Il est donc nécessaire d’essayer au moins de préciser cet article 10 bis. C’est pourquoi nous proposons d’insérer les mots « oralement et par la remise d’un document écrit ». Ainsi, le Gouvernement pourra garantir la traduction du document écrit et de toutes les informations visées dans cet article : régime de détention du détenu, ses droits et obligations, recours et requêtes qu’il peut former, règles applicables à l’établissement.

En contournant au moins partiellement l’obstacle qui a été dressé, cet amendement est aussi une forme de protestation contre l’application de l’article 40 sur un tel sujet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Dans le contexte créé par les difficultés sur lesquelles nous avons passé quelque temps, la précision semble utile.

En conséquence, la commission a émis un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet le même avis. D’ailleurs, 100 000 livrets d’accueil seront édités à cette fin. Cet amendement sera donc ainsi satisfait.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 211 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

L'amendement n° 11 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard, Muller et Anziani, est ainsi libellé :

Compléter la seconde phrase de cet article par les mots :

et lui sont rendues accessibles pendant la durée de sa détention.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Les parlementaires n’ont toujours pas prévu comment on allait informer le détenu de ses droits. Cela est regrettable. Heureusement, le Sénat a la possibilité d’adopter cet amendement ! (Sourires.)

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté sur cette question, le 21 juin 1984, une recommandation aux termes de laquelle « les détenus étrangers devraient être informés à bref délai après leur admission dans un établissement pénitentiaire, dans une langue qu’ils comprennent, des principaux aspects du régime de l’établissement ».

Cet amendement prévoit que les règles applicables dans l’établissement sont portées à la connaissance du détenu non seulement au moment de son incarcération, mais également tout au long de sa détention.

En effet, le jour de son incarcération, le détenu vit nécessairement un moment difficile, son esprit est évidemment perturbé et il n’est pas forcément en mesure de bien saisir toutes les informations qu’on lui donne. C’est pourquoi il me semble important qu’il puisse en prendre également connaissance plus tard.

En vertu de la règle pénitentiaire européenne 30.1, « lors de son admission et ensuite aussi souvent que nécessaire, chaque détenu doit être informé par écrit et oralement – dans une langue qu’il comprend – de la réglementation relative à la discipline, ainsi que de ses droits et obligations en prison ».

Je le rappelle, 20 % des détenus sont étrangers ; ils ne maîtrisent donc pas la langue française et ne savent parfois même pas lire. J’espère que les livrets qu’a évoqués tout à l'heure Mme le garde des sceaux seront rédigés en différentes langues ; le détenu aura ainsi une chance de comprendre l’une d’entre elles.

Par ailleurs, je souhaite interroger Mme le garde des sceaux sur les modalités de communication existantes, non seulement en termes de langue, mais aussi au regard des possibilités de médiation vis-à-vis des personnels de l’administration pénitentiaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est bien tout au long de la détention que la commission entendait l’exercice du droit à l’information, mais il est peut-être opportun de le préciser expressément.

En conséquence, la commission a émis un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement.

Concernant les modalités ou les moyens d’information, les détenus disposent dès leur arrivée de documents, avec notamment ce que l’on appelle le « kit de l’arrivant », qui contient un grand nombre d’informations. Ils peuvent en outre s’adresser aux associations, aux conseillers d’insertion et de probation, aux enseignants, qui sont éventuellement en mesure de les aider à connaître leurs droits, ou encore aux délégués du Médiateur de la République, qui ont beaucoup œuvré en faveur de l’amélioration des droits des détenus. Les voies d’information sont donc nombreuses et diverses, mais le présent amendement contribuera à améliorer encore cette information.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 95, présenté par MM. Yung, Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Lors de leur admission, les détenus ressortissants d'un pays étranger sont informés sans délai de leur droit de prendre contact avec leurs représentants diplomatiques ou consulaires. Ils sont informés de la possibilité de solliciter leur transfert vers un autre pays en vue de l'exécution de leur peine.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. C’est avec le cœur rempli d’espoir que je défends cet amendement puisque deux amendements déposés par des membres de l’opposition viennent d’être acceptés et adoptés.

Après avoir évoqué le délicat sujet de la langue, nous abordons ici certains droits particuliers des ressortissants étrangers incarcérés.

Comme cela a été souligné, 20 % des détenus sont d’origine étrangère. Il nous semble donc utile de rappeler, suivant les règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, d’une part, et la convention de Vienne sur les relations consulaires, d’autre part, que les détenus étrangers peuvent avoir besoin d’une aide particulière lorsqu’ils sont incarcérés dans notre pays.

Nous considérons qu’ils doivent être informés de leur droit de prendre contact avec leurs représentants diplomatiques ou consulaires. Certes, cela semble sans doute évident à beaucoup d’entre vous, mais un certain nombre d’entre eux ne sont pas familiers des arcanes du droit international et ne le savent peut-être pas.

Dans le même esprit, il serait souhaitable de porter à leur connaissance le fait qu’ils sont susceptibles de bénéficier d’un transfert vers un autre pays en vertu de la convention sur le transfert des personnes condamnées ou en application d’accords bilatéraux. Il importe de les informer de cette possibilité, même si elle n’est pas systématique. Si elle existe, ils n’y auront peut-être pas recours, mais ils doivent être mis en mesure de l’étudier.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je tiens tout d’abord à indiquer à mon collègue qu’il est relativement logique que la commission des lois émette peu d’avis favorables en séance publique puisqu’elle a intégré dans le texte qu’elle propose à la discussion les amendements qu’elle avait accueillis favorablement lors de l’examen préalable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Chacun d’entre nous va devoir s’habituer à ce nouvel état de fait.

S’agissant maintenant des dispositions prévues dans l’amendement n° 95, elles me semblent être englobées dans le droit plus général à l’information des détenus visé par l’article 10 bis.

Par ailleurs, je doute de la possibilité prévue de manière générale de solliciter le transfert vers un autre pays en vue de l’exécution de la peine dans la mesure où celle-ci, qui dépend des conventions internationales signées par notre pays, n’est pas envisageable pour toutes les nationalités.

C'est la raison pour laquelle la commission vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement vise à transposer la convention de Vienne et celle de Strasbourg.

Toutefois, ces textes sont déjà d’application directe. Mentionner cette possibilité reviendrait à alourdir le texte et n’apporterait rien de plus.

En conséquence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.

M. Louis Mermaz. Nous nageons en plein surréalisme, madame la présidente !

L’article 10 bis est une absurdité si le ressortissant étranger n’a pas la possibilité de bénéficier d’un interprète, mais l’article 40 de la Constitution nous a été opposé… D’ailleurs, en tant que président de la commission des finances, notre collègue Jean Arthuis doit suivre nos débats avec beaucoup d’intérêt.

On demande à un étranger incarcéré non seulement d’être polyglotte, mais encore d’avoir une connaissance complète de l’ensemble des conventions internationales ! À l’évidence, il doit pouvoir se renseigner pour savoir s’il a la faculté de solliciter son transfert dans un autre pays pour y purger sa peine. Il revient à l’administration de lui dire si la France a signé ou non une convention avec le pays vers lequel il souhaiterait être extradé. En ce moment même, on connaît la situation dramatique de cette jeune Française qui a subi une condamnation inique au Mexique.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je souhaite répondre à Mme le garde des sceaux.

L’amendement n° 95 vise tout simplement à porter à la connaissance des détenus le fait qu’ils ont la possibilité de solliciter leur transfert vers un autre pays. Nous avons retenu une formulation prudente puisque nous n’indiquons pas qu’il y a obligatoirement transfert. Dans certains cas, en fonction des conventions bilatérales ou multilatérales, le transfert s’appliquera, dans d’autres, il ne sera pas possible.

Néanmoins, il est important qu’une personne étrangère incarcérée en France, qui a parfois une peine assez longue à purger, ait connaissance de cette possibilité. Il ne me semble pas exorbitant de faire cette demande, d’autant que cela existe déjà en partie aujourd'hui. Il en est de même pour l’aide consulaire qui peut lui être apportée.