M. Martial Bourquin. Sans un tel contrôle, des scandales défrayeront régulièrement la chronique.

La commission parlementaire dont nous souhaitons la création aurait pour mission non pas d’examiner a posteriori l’action du Gouvernement, mais de travailler avec lui pour aider l’industrie automobile à sortir de la crise.

Nous sommes à la croisée des chemins. Dans les mois qui viennent, l’industrie automobile traversera sans doute de graves difficultés ; des milliers d’emplois seront peut-être perdus. Cependant, si nous nous mobilisons pour mener une action massive et concertée, nous pourrons en sauver une grande partie et rassurer des salariés plongés aujourd’hui dans la plus profonde incertitude.

Dans cette perspective, nous devrons aussi anticiper la fin du système du bonus-malus, afin de définir un autre moyen de doper notre industrie automobile.

Enfin, nous devrons faire en sorte que la recherche sur la voiture propre et, plus généralement, sur l’automobile de demain fasse l’objet d’une attention accrue de la part du Gouvernement. Les constructeurs européens ont évalué à 40 milliards d’euros le coût de la recherche sur les moteurs « décarbonisés ». Nous devons aider l’industrie automobile à la fois à sortir de la crise avec le moins de dommages possibles et à se projeter dans l’avenir. Cela signifie que la recherche doit tendre à améliorer sa compétitivité : constructeurs, équipementiers et chercheurs doivent sceller un nouveau pacte pour préparer notre industrie automobile de demain, sauver des emplois et, surtout, faire en sorte que la France reste une grande nation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Mme Jacqueline Gourault applaudit.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord M. Jean-Pierre Sueur d’avoir pris l’initiative de poser cette question. Compte tenu de l’importance du sujet, je regrette que les rangs de la majorité sénatoriale soient si peu fournis, bien qu’elle soit excellemment représentée…

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellentes paroles !

Mme Nathalie Goulet. Avec plus de 34 000 emplois directs, la Basse-Normandie est l’une des régions où la filière automobile est le plus présente.

De façon générale, les observateurs, même les plus critiques, ne doutent pas de la volonté du Gouvernement de protéger et de soutenir le secteur automobile français.

Cela étant, peut-on considérer qu’il existe réellement une filière automobile ? En fait, il existe une filière des constructeurs et une filière des équipementiers, les deux ayant parfois des difficultés à travailler ensemble. La crise sera-t-elle l’occasion de revoir en profondeur et en totalité l’organisation du secteur ? Pour l’heure, nous avons l’impression qu’il y a, d’un côté, les sous-traitants et les équipementiers, et, de l’autre, les constructeurs.

En Basse-Normandie, notre remarquable préfet de région, M. Christian Leyrit, a pris l’heureuse initiative de réunir, dès le 26 janvier, une table ronde rassemblant les représentants de la filière et les élus.

Il est apparu que la situation des quatre cercles de sous-traitants de la filière automobile peut être comparée à celle des victimes d’un grave accident de la route : on réconforte les plus valides, on soigne les blessés, on donne l’extrême-onction aux plus gravement atteints… De même, la politique menée par le Gouvernement renforcera les entreprises les moins touchées, mais laissera de côté les plus fragiles. Il conviendrait, à mon sens, de revoir cette stratégie !

La région Basse-Normandie a pris la mesure de la crise en accordant 44 millions d’euros à la recherche et à l’innovation, ainsi que 11 millions d’euros d’aides supplémentaires à la filière, dont 4 millions d’euros d’aides à la trésorerie.

Le département de l’Orne compte de nombreux sous-traitants importants : je citerai notamment Wagon Automotive, qui emploie 180 personnes à Sainte-Gauburge-Sainte-Colombe et a été placé en redressement judiciaire, Faurecia à Flers, Valéo à Athis-de-l’Orne, ThyssenKrupp au Theil-sur-Huisne, ou Key Plastics à Bellême, cette dernière société, où travaillent 168 salariés, étant soumise à une procédure collective… Je pourrais énumérer de nombreuses autres entreprises en difficulté, des centaines d’emplois étant menacés !

Le conseil général de l’Orne a mis en place un plan doté de 10 millions d’euros, pompeusement baptisé « plan de relance » : sur ce montant, 9 millions d’euros seront savamment saupoudrés pour financer des travaux routiers – le saupoudrage et le clientélisme du goudron s’inscrivent dans la grande tradition des départements ruraux ! –, mais pas un euro ne sera accordé aux sous-traitants ornais…

J’évoquerai, à cet instant, le site Faurecia de Flers.

La société Faurecia, qui fabrique des sièges, des échappements, des équipements acoustiques, des intérieurs de véhicule et des blocs avant, emploie 1 400 salariés et travaille avec cinquante sous-traitants, ce qui représente plus de 400 emplois induits. Alors que 1 215 suppressions d’emploi étaient annoncées par le groupe en France, 271 licenciements étaient prévus sur le site de Flers.

Les élus et les représentants du personnel se sont battus pour se faire entendre d’une direction parfois trop éloignée de l’exploitation – cela peut arriver dans d’autres cas –, et ils sont parvenus à sauver de très nombreux emplois menacés par des délocalisations. Ainsi, ils ont pu démontrer que l’activité comptabilité devait être maintenue sur le site de Flers, au lieu d’être délocalisée au Portugal.

D’ailleurs, au sujet des délocalisations, il y aurait beaucoup à dire.

Par exemple, l’activité de fabrication de glissières emploie environ 700 salariés. Si cette activité est transférée en Pologne alors que l’usine polonaise de Faurecia fabrique déjà des glissières, on parlera non pas de « délocalisation », mais de « relocalisation », ce qui permet d’échapper aux contraintes, aux promesses et aux incantations.

Faurecia est le deuxième fabricant de sièges automobiles au monde. N’y aurait-il pas un avenir, pour cette société, dans un rapprochement avec l’industrie aéronautique afin de fabriquer des sièges d’avion, même si, évidemment, les volumes et les chaînes de production ne sont pas les mêmes ? Il faut envisager des possibilités de diversification, au-delà de la seule voiture « verte ».

En ce qui concerne maintenant la solidarité des banques, thème qui a été abordé tout à l’heure, la société Faurecia a besoin de 150 000 euros pour financer les chèques-vacances de ses salariés. Or la banque, pour l’instant, lui refuse cette somme, alors que la situation de trésorerie de l’entreprise devrait permettre de satisfaire cette demande de concours. Pouvons-nous trouver des solutions pour résoudre ce type de problème ?

Par ailleurs, dans toutes ces entreprises, les salariés sont poussés à prendre des RTT et des jours de congés dès maintenant, mais qu’adviendra-t-il de leur vie familiale et de l’organisation du travail s’il ne leur reste que dix ou douze jours de congés à prendre pendant l’été ?

Comment, monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous coordonner les multiples initiatives, rétablir la confiance du marché ?

Enfin, et surtout, quel suivi allez-vous proposer aux différents sites concernés ? J’approuve la suggestion de M. Martial Bourquin d’instaurer un suivi parlementaire : ce serait évidemment une très bonne solution.

La situation est anxiogène pour les salariés, le bassin d’emploi tout entier, ainsi que pour les élus.

Les Restos du cœur de Flers – la communauté d’agglomération compte environ 30 000 habitants – ont vu passer, depuis le début de leur campagne, de 160 à 370 le nombre de familles bénéficiaires de leur aide. Ils ont servi, depuis le mois de décembre, plus de 51 000 repas. Nous parlons ici non pas de chiffres, mais d’hommes, de femmes et d’enfants qui attendent de ce débat sinon des solutions, du moins quelques pistes susceptibles de leur redonner un peu d’espoir. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Gérard Longuet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à saluer l’excellente initiative de M. Jean-Pierre Sueur. Elle me donne l’occasion d’évoquer la situation dans ma région, la Franche-Comté, où bat le cœur industriel de Peugeot.

Le marché des voitures particulières en France a marqué une baisse de 13 % en février, comme Mme Gourault l’a rappelé, mais les ventes de PSA chutent plus violemment encore, de 20 %. Les contrats à durée déterminée ne sont plus renouvelés, les intérimaires se retrouvent au chômage. L’usine de Sochaux a connu un chômage technique prolongé, elle a supprimé, pour l’essentiel, la troisième équipe. Les équipementiers tournent au ralenti. Certains sont en liquidation judiciaire, comme Rencast, filiale du groupe de fonderie italien Zen, à Delle, ou attendent un problématique repreneur, comme Sonas Automotive à Beaucourt, Wagon Automotive à Fontaine – ce fut aussi le cas de Key Plastics à Voujeaucourt, mais M. Bourquin vient d’en parler.

Il résulte de cette situation une immense inquiétude et des difficultés sociales grandissantes.

En général, les États ont réagi avec vigueur. Je n’évoquerai pas le plan américain de relance du secteur automobile. En France, le 9 février dernier, le Président de la République a annoncé l’octroi d’un prêt de 6 milliards d’euros à un taux de 6 % sur une durée de cinq ans aux deux constructeurs automobiles PSA et Renault, afin de leur permettre de financer des projets stratégiques en France et de soutenir, notamment à travers les pôles de compétitivité, des programmes de véhicules propres. L’offre de véhicules –chacun le comprend – doit anticiper sur la nécessité de produire des voitures plus économiques ou équipées de moteurs électriques.

En contrepartie de ces aides qui, pour l’essentiel, répondent à l’urgence, les constructeurs auraient dû prendre un engagement sur l’emploi et sur la pérennité des sites d’assemblage en France.

Ces aides considérables ne peuvent en effet être accordées sans contreparties précises, comme plusieurs intervenants l’ont déjà dit, notamment en ce qui concerne le maintien de l’emploi. Mme Anne-Marie Escoffier a posé des questions tout à fait pertinentes à cet égard ; je n’y reviens pas.

Un fonds d’aide aux équipementiers en difficulté a été mis en place : 600 millions d’euros ont été débloqués, dont 200 millions d’euros ont été fournis par l’État par le biais du fonds stratégique d’investissement. C’est une bonne initiative, mais elle est peut-être insuffisante.

En effet, il est absolument nécessaire d’assurer la reprise, au moins provisoire, de ces entreprises menacées et de leurs savoir-faire au travers d’une holding semi-publique où les constructeurs auront évidemment toute leur place. Des équipementiers aujourd’hui en déshérence comme Sonas Automotive, Wagon Automotive ou Rencast ne doivent pas disparaître. Il en va de même pour beaucoup d’autres sites évoqués par les précédents orateurs, par exemple Continental à Amiens ou Heuliez en Poitou-Charentes, qui devrait mettre sur le marché, en 2010, de nouveaux modèles pourvus de moteurs hybrides ou électriques.

Nous prenons aujourd’hui la mesure de l’immense erreur qu’a commise la France, voilà plus de dix ans, quand elle a accepté la perspective de la délocalisation de son industrie automobile dans le cadre d’une mondialisation n’imposant aucune règle à des pays où les coûts salariaux sont dix fois inférieurs aux nôtres ou au travers d’un élargissement non réellement négocié de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale.

En délocalisant leur production et leurs sous-traitants, les constructeurs ont créé eux-mêmes les conditions du naufrage actuel. À Vesoul, le 15 janvier dernier, le Président de la République s’étonnait de ce que notre industrie automobile, qui représentait, il y a peu encore, le premier poste excédentaire dans notre balance commerciale, fût devenue déficitaire. Sa réaction, toute spontanée, témoignait en fait de la cécité collective de nos dirigeants politiques, du moins de la plupart d’entre eux, au cours des années quatre-vingt-dix.

Le 27 novembre dernier, j’ai posé à Mme Lagarde une question relative à la protection de notre industrie automobile. Elle m’a renvoyé au communiqué du G 20 rejetant tout « protectionnisme » ! La seule évocation de ce mot tabou est un moyen de clore par avance toute discussion. Mais n’est-il pas évident qu’entre des pays présentant des conditions salariales et sociales complètement hétérogènes, il n’y a pas de concurrence bénéfique possible, comme l’avait démontré il y a longtemps Maurice Allais ? La concurrence est alors destructrice !

À la suite de la déclaration du Président de la République, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes, avait déjà mis en garde le Gouvernement français contre « un risque de retour au protectionnisme ». Force est de constater que ce dernier ne tient pas le même langage selon qu’il s’exprime à Paris ou à Bruxelles !

La véritable dictature de la pensée libérale qui s’est instaurée est devenue intolérable. Les institutions de Bruxelles ne peuvent pas défendre un libre-échangisme dévoyé alors que croulent des pans entiers de notre industrie. Ce faisant, elles s’exposent à la colère de notre peuple. Osons parler vrai : la logique industrielle libre-échangiste, en l’absence d’une raisonnable protection, conduit à la disparition potentielle de tous les sites de production français. L’ensemble de la production française peut en effet être réalisé dans des pays à très bas coûts salariaux, faute de protection de notre marché.

Il convient de distinguer, d’une part, les pays d’Europe centrale et orientale, les PECO, dont la plupart ont été admis, en 1999, au sein de l’Union européenne à compter de 2004, et, d’autre part, les pays extra-européens à très bas coûts salariaux.

Pour ces derniers, l’instauration d’une taxe anti-dumping social et d’une écotaxe pour égaliser les conditions de concurrence devrait figurer à l’ordre du jour des sommets européens et mondiaux. Face à l’hypocrisie générale, le courage devrait conduire la France à défendre au G 20 la thèse non pas d’un protectionnisme aveugle, bien évidemment, mais d’une protection raisonnable et négociée. Cela permettrait une concurrence équitable entre les différentes régions du monde, en tenant compte des différences de coûts salariaux, mais aussi, j’y insiste, de la nécessité du développement des pays émergents, à condition que leur croissance soit fondée non pas seulement sur les exportations, comme c’est trop souvent le cas, mais aussi sur le développement de leur marché intérieur. Je me réjouis d’ailleurs de constater que la Chine vient de mettre en œuvre un plan de relance de 450 milliards d’euros. En ces domaines, je le répète, tout se négocie.

Au sein de l’Union européenne, les grandes marques automobiles pourraient être associées à un contingentement de la production par pays en fonction des flux enregistrés depuis 1999. Le contingentement, je le rappelle, c’était l’essence de la Communauté européenne du charbon et de l’acier : revenons aux sources !

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. L’Europe ne saurait être l’autel sur lequel la France sacrifierait son industrie automobile. Un tel accord de contingentement ne peut, bien sûr, intervenir que dans le cadre d’un plan d’ensemble d’aide aux PECO, dont nous connaissons la situation économique et financière particulièrement difficile.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux redire à cette tribune que l’industrie automobile française ne doit pas disparaître ni devenir la variable d’ajustement au regard des difficultés des PECO. Il est temps de remettre en cause les postulats libre-échangistes et les dogmes d’une autre époque. N’immolons pas notre industrie automobile sur l’autel d’un libre-échangisme dévoyé ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi une remarque préalable sur le déroulement de cette séance d’initiative sénatoriale : je compatis avec notre collègue Gérard Cornu, président du groupe d’études sénatorial sur l’automobile, seul participant du groupe UMP à un débat portant sur un sujet essentiel, qui concerne la quasi-totalité de nos départements…

M. Guy Fischer. Voilà tout l’intérêt que porte l’UMP à notre industrie automobile !

M. Jean-Pierre Bel. Nous avons vraiment beaucoup d’efforts à faire si nous voulons que cette formule des séances d’initiative sénatoriale fonctionne réellement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. René-Pierre Signé. C’est un coup de semonce !

M. Jean-Pierre Bel. La question que nous abordons aujourd’hui est à l’évidence essentielle pour l’économie française et européenne.

L’Europe, il faut le rappeler, est le premier constructeur automobile mondial, avec plus d’un tiers du marché. C’est un secteur primordial pour l’emploi, puisque, en comptant les 7 000 sous-traitants qui produisent les composants automobiles, ce sont 12 millions d’emplois en Europe et 10 % des emplois en France qui en relèvent.

Cela a été dit, l’automobile est l’un des secteurs les plus touchés par la crise. Le nombre des nouvelles immatriculations s’est ainsi effondré de 20 % au dernier trimestre de 2008. Comme pour les autres secteurs industriels, il est impératif que le Gouvernement réagisse selon trois axes, en soutenant la demande, les entreprises fragilisées pour éviter les défaillances en chaîne et, bien sûr, les salariés concernés.

Le Gouvernement a présenté un certain nombre de mesures en faveur du secteur automobile, inscrites dans le collectif budgétaire que nous examinerons la semaine prochaine.

Dès à présent, on peut regretter une certaine lenteur à réagir.

À l’échelon européen, si la Commission a présenté un plan d’action dès le mois de novembre dernier, il ne s’agissait que d’une validation des plans nationaux. C’est seulement le 25 février dernier que la Commission européenne a publié une communication spécifique intitulée Réagir face à la crise de l’industrie automobile européenne, dans laquelle elle reconnaît notamment l’importance du problème de l’accès au financement pour les équipementiers : ceux-ci, situés souvent au bout de la chaîne d’approvisionnement, sont moins diversifiés et moins capitalisés que les constructeurs.

Attendre le mois de février dernier pour réagir témoigne, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une impréparation devant la crise économique et sociale et d’une absence de vision stratégique réelle.

On nous a d’abord expliqué que la France échapperait à la crise, avant de nous affirmer qu’elle s’en sortirait mieux que les autres.

Ce flou dans la gestion prévisionnelle, cet aveuglement, volontaire ou involontaire, qui contraignent à réviser chaque mois à la baisse les prévisions de croissance, ont malheureusement des conséquences pour nos concitoyens : le Gouvernement n’a toujours pas pris la véritable mesure de ce qui se passe, ni lancé un plan de relance à la hauteur de la situation, c’est-à-dire un plan combinant encouragement à l’investissement et soutien à la consommation des ménages.

Tout le monde en est convaincu, il faut sortir d’un débat qui pourrait apparaître comme idéologique, pour trouver les chemins de l’efficacité et de l’intérêt général.

Cela ne nous empêche pas de nous interroger sur les contreparties des mesures d’aide. En théorie, les constructeurs devront respecter des engagements en matière d’emploi et d’investissement pendant une durée de cinq ans. Ils sont tenus de ne pas fermer de sites sur le territoire français pendant la durée du prêt qui leur a été accordé. De plus, ils ne pourront procéder à des licenciements en 2009, les éventuelles suppressions d’emplois étant liées à des départs volontaires. Enfin, ils s’engagent à ne pas délocaliser à l’étranger la production de voitures vendues en France.

Néanmoins, on a tout de même le droit d’être sceptique.

Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur les délocalisations, annonçant notamment, vendredi dernier, la création de 400 emplois à Flins, grâce au « rapatriement » de Slovénie de l’assemblage de la Clio II. Toutefois, à y regarder de plus près, ce transfert ne durera que de juin à octobre et résulte plus d’un besoin industriel transitoire que d’une véritable relocalisation pérenne, avec maintien des emplois.

M. René-Pierre Signé. C’est exact !

M. Jean-Pierre Bel. Renault souhaite en effet, tout simplement, soulager son site de production slovène. Il ne s’agit donc, hélas, que d’un simple transfert pour une durée très limitée.

Quant aux engagements en matière d’emploi, le scepticisme est tout autant de mise, puisque Renault a annoncé un plan de départs volontaires en juillet, qui concernera 6 000 personnes. Il s’agit d’une véritable saignée infligée aux effectifs.

Quant à PSA, le plan annoncé le 4 décembre dernier prévoit 850 départs volontaires et 900 « redéploiements » d’ouvriers de production vers d’autres sites du groupe, soit, en définitive, la suppression de 1 750 postes.

En regard, les contreparties sociales prévues soulèvent de grandes interrogations, notamment lorsque l’actualité vient démentir certains couplets enflammés sur l’éthique du capitalisme.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous le dis à mon tour, et beaucoup, dans les rangs de la majorité, sont prêts à tenir les mêmes propos : arrêtons les discours et les vœux pieux, légiférons sur les stock-options et les somptueuses rémunérations que s’accordent les patrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Bel. Dans ce domaine, les Français veulent des actes. Mes collègues, notamment Martial Bourquin, l’ont rappelé à plusieurs reprises ce matin.

Par ailleurs, nous ne pouvons que vivement regretter le manque d’intérêt pour les équipementiers automobiles dont témoigne ce plan. Leur survie est pourtant indispensable au maintien de l’industrie automobile, filière vitale pour l’avenir économique de notre pays. Elle est aussi essentielle pour les très nombreuses régions où ces équipementiers, tels que Key Plastics, Heuliez, Goodyear, Continental, Lear, Faurecia ou Schaeffler, sont fortement présents.

Le Gouvernement a créé le fonds de modernisation des équipementiers automobiles, dont la dotation, financée à hauteur des deux tiers par Renault et PSA, atteindra 600 millions d’euros.

Au vu de l’ampleur de la crise, un tel montant est largement insuffisant : tous les intervenants et l'ensemble des observateurs l’ont souligné.

Il est indispensable que la création de ce fonds soit accompagnée d’autres mesures spécifiques d’accès au financement et d’un véritable plan d’aide. Aux États-Unis, l’État fédéral a annoncé, le 19 mars dernier, une aide de 5 milliards de dollars aux équipementiers américains pour traverser la crise. Où est le plan, français ou européen, qui pourrait soutenir la comparaison ?

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur la situation particulière de l’entreprise Michel Thierry, située dans mon département. Elle est le leader mondial dans le domaine du textile et du cuir destiné à l’industrie automobile et emploie directement plus de 500 salariés.

Depuis plusieurs mois, cette société subit elle aussi l’effondrement du marché automobile et connaît, en conséquence, de graves problèmes de trésorerie. Les CDD et les contrats d’intérim n’ont pas été reconduits, et un plan de 130 départs est prévu. C’est beaucoup pour une petite région comme la nôtre, qui compte 20 000 habitants. Voilà une quinzaine d’années, l’industrie textile comptait 5 500 emplois ; aujourd’hui, il en reste moins de 2 000, et le fleuron de ce secteur, l’entreprise Michel Thierry, est donc confronté à de lourdes difficultés.

Certes, cette entreprise sera éligible au fonds souverain industriel, mais elle devra patienter avant de percevoir des aides et, entre-temps, elle a besoin d’être soutenue par les banques au travers de l’octroi de prêts-relais. Or, aujourd’hui, nous sommes dans l’expectative, ne sachant pas si Michel Thierry, qui, chez nous, représente près de 1 000 emplois directs ou indirects, pourra survivre, tout simplement parce que les banques ne jouent pas le jeu.

Mme Lagarde a déclaré : « Société générale doit rimer avec intérêt général. » (M. Jean Desessard s’esclaffe.)

M. Jean-Pierre Bel. Elle a raison. Je sais que vous avez déjà été alerté sur les difficultés de l’entreprise Michel Thierry, monsieur le secrétaire d’État. Je forme le vœu que, ensemble, nous réussissions à la sauver, car cela est absolument indispensable pour notre région.

Je regrette qu’aucune contrepartie aux sommes accordées aux constructeurs automobiles n’ait été demandée en ce qui concerne les rapports entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, rapports qui posent beaucoup de problèmes.

Les constructeurs automobiles poussent, au final, leurs sous-traitants à la délocalisation, en leur imposant, chaque jour un peu plus, de diminuer leurs coûts, jusqu’au seuil de l’impossible. Cela a inévitablement de lourdes conséquences, en termes d’emploi et de conditions de travail, dans des bassins d’emploi aujourd’hui sinistrés.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si nous devons profiter de la crise pour repenser l’économie automobile, en imaginant d’autres modes de production et d’autres modèles à construire, il n’en reste pas moins qu’il y a urgence.

Les mesures à prendre face à la crise doivent intégrer un principe salvateur, celui de l’immédiateté et de l’efficacité. De ce point de vue, il est clair que si nous n’agissons pas avec beaucoup plus de volontarisme, les inquiétudes ne feront que croître. J’espère au moins que notre débat de ce matin aura contribué à faire prendre conscience qu’il n’y a vraiment plus de temps à perdre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier M. Sueur d’avoir posé cette question sur la crise actuellement traversée par l’industrie automobile, qui est un sujet de préoccupation sur toutes les travées de votre assemblée. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)