PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune et tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 16 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 52 est présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 80 duodecies du code général des impôts est ainsi modifié :

1° La seconde phrase du 2 est ainsi rédigée : « Il en est de même pour leurs indemnités de départ de l'entreprise, lorsqu'elles sont composées de primes et/ou d'actions gratuites. » ;

2° Le 2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les rémunérations variables et les indemnités de départ sont taxées à hauteur de 100 % pour les dirigeants dont la société a bénéficié de l'aide de l'État au sens de la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie, de l'article 5 de la loi n° 2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 et de l'article ... de la loi n°     du     de finances rectificative pour 2009.

3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 3. Les sociétés qui envisagent d'augmenter le salaire de leurs dirigeants dans un délai inférieur à six mois avant leur départ de l'entreprise seront soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. »

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l'amendement n° 16.

Mme Marie-France Beaufils. Cet amendement porte sur la question de l’attribution d’éléments accessoires de rémunération – l’accessoire tend malheureusement souvent à devenir le principal ! – des principaux chefs d’entreprise de notre pays.

À nos yeux, rien ne justifie qu’un dirigeant, quels que soient son talent ou ses compétences, puisse percevoir 300 ou 400 fois la rémunération d’un salarié de sa propre entreprise.

Les mesures arrêtées par le Gouvernement en la matière sont loin de ce qu’il conviendrait de faire. Selon nous, le décret qui a été publié ne répond pas à la situation puisqu’il ne concerne que les entreprises aidées par l’État, alors que le problème se pose aujourd'hui pour tous les secteurs d’activité. En tant que législateur, il est de notre devoir d’encadrer par la loi ces rémunérations, pour faire en sorte qu’elles soient plus en rapport avec la réalité de l’activité économique.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l'amendement n° 52.

Mme Nicole Bricq. Nous l’avons constaté, et nous ne sommes pas les seuls, il arrive souvent que les entreprises accroissent le salaire de leurs dirigeants peu de temps avant qu’ils les quittent et sans que cela soit justifié par leurs performances.

L'amendement prévoit de taxer les augmentations de salaires qui sont attribuées à la fin de la période d'activité des dirigeants de sociétés. Si ces augmentations interviennent dans un délai inférieur à six mois avant le départ, les entreprises seront soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable.

L’amendement prévoit en outre la fiscalisation des indemnités de départ attribuées aux dirigeants de sociétés sous la forme d'un capital, comme des primes ou des actions gratuites.

Enfin, pour le cas où une société a bénéficié de l’aide de l’État, telle que prévue par la loi du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l’économie, l’amendement vise à supprimer les rémunérations variables et les indemnités de départ, celles-ci étant taxées à hauteur de 100 % pour les dirigeants desdites sociétés.

Mes chers collègues, alors que le Gouvernement vient de brandir un décret qui ne répond pas à la question posée, car son périmètre et sa durée sont limités, je vous invite à aider le Président de la République à accorder réellement ses actes à ses paroles. Si vous votez cet amendement, vous serez dans le droit-fil des déclarations qu’il a faites à Toulon en septembre 2008 !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous nous prenez par les sentiments ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. C’est tout ce qu’il me reste !

M. le président. L'amendement n° 50, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 80 duodecies du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 3. Les sociétés dont le salaire des dirigeants est supérieur à vingt fois le salaire de base versé aux salariés de l'entreprise sont soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. »

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Cet amendement relève de la même philosophie que le précédent : il nous permet de nous inscrire dans le droit-fil des déclarations du Président de la République, qui avait lancé un ultimatum aux dirigeants d’entreprise. Ils devaient lui répondre avant le 31 mars ; or le délai est échu, et de nombreux dirigeants ne sont pas revenus à la raison !

Aussi, nous vous proposons, mes chers collègues, un amendement qui vise à plafonner les salaires versés aux dirigeants des entreprises, d’une manière simple qui n’est pas forcément coercitive. Si les entreprises font le choix de donner à leurs dirigeants un salaire supérieur à vingt fois le salaire de base versé aux salariés, elles acquitteront une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. L’amendement n° 16 ne nous paraît pas utile. En effet, les indemnités de départ sont déjà soumises aux prélèvements fiscaux et sociaux, de même que les stock-options – entre 44,6 % et 54,6 % selon le montant et le moment de réalisation de la plus-value – et les actions gratuites – à hauteur de 44,6 % –, à la suite d’aménagements législatifs successifs.

Par ailleurs, plutôt que d’imposer à 100 % les indemnités de départ, actions gratuites et options de souscription d’actions, mieux vaut les interdire pour les dirigeants et les mandataires sociaux – ou tout du moins au minimum pour ces derniers – des entreprises aidées par l’État dans le cadre de la lutte contre la crise. Nous aurons l’occasion de reprendre ce débat dans la suite de la discussion de ce projet de loi de finances rectificative.

Enfin, cet amendement ne prévoit aucun terme à un dispositif qui, pour la commission, est lié à la lutte contre la crise.

Aussi, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 16.

Madame Bricq, en ce qui concerne votre amendement n° 52, nous n’avons peut-être pas la même lecture des déclarations très importantes du Président de la République sur le sujet.

Mme Nicole Bricq. Mais encore ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le décret dont il a été souvent question et le sujet traité seront abordés dans la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative.

Sur les autres points que vous évoquez, il est souhaitable que les positions des professionnels évoluent et que notre législation ne « plaque » pas sur les entreprises un dispositif trop administratif, ce qui irait à l’encontre de la compétitivité de notre économie et de l’attractivité du site France. La commission est donc défavorable à l'amendement n° 52.

S’agissant de l'amendement n° 50, il vise à créer un nouveau dispositif d’imposition à l’égard des dirigeants d’entreprise, alors même que l’article 21 de la loi de finances pour 2009 – texte qui a été adopté très récemment ! – a déjà instauré un plafonnement de la déductibilité des indemnités de départ du bénéfice des entreprises pour la part supérieure à environ 200 000 euros, soit six fois le plafond annuel de la sécurité sociale.

De plus, nous retrouvons dans le dispositif proposé la tentation d’établir un système administré de rémunération au sein des entreprises, qui est à l’opposé des conceptions de la majorité de la commission. La commission ne peut donc qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements qui ont été présentés. Je souscris bien sûr aux explications apportées par M. le rapporteur général.

Au fond, la suppression de l’exonération d’impôt sur le revenu des indemnités de départ des dirigeants est une idée curieuse : il s’agit d’indemnités de départ, au même titre que les indemnités de départs des salariés. Elles sont imposées de la même manière.

Mme Annie David. Pour des montants totalement différents !

M. Éric Woerth, ministre. M. le rapporteur général l’a rappelé, les indemnités sont soumises au taux normal de l’impôt sur le revenu au-delà de six fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit 205 848 euros ; en dessous de ce plafond, elles en sont exonérées, au même titre que toutes les indemnités de licenciement en cas de départ forcé. La suppression de l’exonération reviendrait à modifier le régime des indemnités de licenciement pour les dirigeants comme pour les salariés puisque les deux catégories sont soumises exactement à la même règle. J’estime qu’une telle mesure n’est pas souhaitable.

En ce qui concerne les rémunérations variables, le décret publié ce matin répond à l’ensemble de cette question de manière très claire, en fixant des règles très précises, qui répondent bien, me semble-t-il, à vos préoccupations, que nous partageons tous. Même si les réponses apportées peuvent bien évidemment être différentes, nous poursuivons tous le même objectif : éviter le versement aux dirigeants d’indemnités ou d’avantages supplémentaires en termes de rémunération variable excessifs si leurs performances ne le justifient pas, en tenant compte de la nature de la société : société aidée, entreprise publique, entreprise qui bénéficie de l’aide du Fonds stratégique d’investissement ou entreprise purement privée ne bénéficiant d’aucun avantage public.

S’agissant des stock-options, je ne reviendrai pas sur ce point car le rapporteur général et moi-même avons déjà expliqué qu’elles sont soumises à la fois à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales de la même manière que dans l’ensemble des pays européens, voire même plus. La fiscalité tant sur la levée de l’option que sur les plus-values de cession est modulée en fonction des délais de conservation. La participation de ces revenus au financement de la protection sociale a été décidée par la majorité.

Pour ces raisons, le Gouvernement ne peut être favorable à ces trois amendements.

M. François Rebsamen. Cela viendra !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16 et 52.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 50.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 53, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 225-185 du code de commerce, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il ne peut être consenti au président du conseil d'administration et au directeur général des options donnant droit à la souscription ou à l'achat d'actions représentant, au jour de leur attribution, un montant supérieur à la rémunération fixe du président du conseil d'administration et du directeur général. »

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Cet amendement prévoit que ne peuvent être consenties au président du conseil d'administration et au directeur général des options donnant droit à la souscription ou à l'achat d'actions représentant, au jour de leur attribution, un montant supérieur à la rémunération fixe du président du conseil d'administration et du directeur général. Autrement dit, la part variable de la rémunération d’un dirigeant de société ne doit pas excéder la part fixe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ma chère collègue, votre amendement tend à uniformiser le modèle de rémunération de la performance. En contrepartie, les organes sociaux pourraient être incités à relever le montant de la part fixe de la rémunération des dirigeants visés.

De plus, le champ d’application de cette disposition se limite au président et au directeur général. Il n’inclut pas les autres mandataires sociaux ni les éventuels directeurs généraux délégués, ce qui est probablement contraire à votre objectif.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Les stock-options ne sont pas une mauvaise formule en soi. En revanche, un usage excédant toute raison peut poser problème. C’est ce contre quoi le Gouvernement veut lutter. Tel est le sens du décret qu’il vient de prendre.

En dehors d’une mauvaise utilisation, il n’y a pas de raison d’en limiter l’usage de façon artificielle. Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur général, sachez que nos amendements s’inscrivent dans une suite logique. Avec ceux que vous avez rejetés précédemment, les autres mandataires sociaux auraient été « servis », si je puis m’exprimer de manière un peu triviale. Il n’y a donc pas lieu d’en rajouter ! M. le ministre l’a bien compris : notre amendement vise à ce que la part variable de la rémunération n’excède pas la part fixe.

Cela étant, je voudrais faire une mise au point de nature historique, sur laquelle j’espère ne plus avoir à revenir.

Tout à l’heure, Mme la ministre, comme je le lui ai fait remarquer en aparté, a employé un argument, déjà utilisé par le Premier ministre au mois de novembre de l’année dernière et répété en boucle comme un leitmotiv par tous les ministres – je l’ai même lu aujourd’hui dans un journal économique pourtant sérieux sous la plume d’un éditorialiste auquel, je l’espère, on le répétera – selon lequel M. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’économie et des finances du gouvernement Jospin, aurait abaissé la fiscalité des stock-options. C’est faux !

En réalité, M. Strauss-Kahn, avec l’appui de M. Allègre, a créé un mécanisme dont nous connaissons tous le nom un peu barbare, je veux parler des BSPCE, à savoir les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, afin de financer les entreprises innovantes. Pour notre part, nous avons toujours défendu le principe de la distribution d’options dans les jeunes entreprises innovantes, car elles n’ont pas de capital et c’est un moyen pour elles d’en acquérir et de garder leur indépendance.

Il a souhaité étendre ce mécanisme à l’ensemble des stock-options, qui, il faut bien le dire, étaient déjà dévoyées par rapport à l’esprit originel des années soixante-dix. C’est à ce moment-là, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mes chers collègues, que se produit l’affaire Jaffré. Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale a alors refusé toute extension du dispositif des BSPCE. Une réflexion s’est donc engagée. Elle a abouti à la loi relative aux nouvelles régulations économiques, qui a taxé les plus-values réalisées sur les stock-options, au-delà de 150 000 euros, avec un barème progressif. Pour la première fois dans notre législation, on assistait à un renchérissement fiscal des stock-options.

À l’époque, l’opposition de droite au Sénat a dénoncé, par la voix de M. Marini, une nouvelle législation visant à alourdir la fiscalité. À l’Assemblée nationale, M. Auberger a repris l’argument pour stigmatiser un alourdissement de la fiscalité constituant, après l’IRPP et l’ISF, un troisième impôt progressif, cette fois sur les stock-options.

J’espère que nous n’aurons plus cette discussion un peu absurde, puisqu’elle ne repose sur aucun fondement historique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 53.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 60, présenté par M. Marc, Mmes Bricq et M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article 81 quater du code général des impôts est abrogé.

II. - Les articles L. 241-17 et L. 241-18 du code de la sécurité sociale sont abrogés.

La parole est à M. François Rebsamen.

M. François Rebsamen. Cet amendement vise à supprimer le dispositif relatif aux heures supplémentaires instauré par la loi TEPA.

Alors que les destructions d’emplois se multiplient et que le chômage repart fortement à la hausse – c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’on bat des records historiques : après le mois de janvier, près de 80 000 chômeurs supplémentaires au mois de février ! –, notre pays est le seul au monde à avoir institué un système contribuant à la destruction d’emplois financé par des fonds publics.

M. Gérard César. Les 35 heures !

M. François Rebsamen. Comme nous ne cessons de le dénoncer, le dispositif relatif aux heures supplémentaires, instauré par la loi TEPA, conduit à rendre l’embauche plus chère pour l’entreprise que le recours aux heures supplémentaires. Si l’on peut comprendre l’intérêt d’un tel dispositif en période de forte activité, on s’aperçoit qu’il freine l’embauche en période de faible activité économique et qu’il s’agit d’une véritable arme à créer des chômeurs en période de récession. Vous devez entendre ces arguments ! En outre, il y a un effet pervers : les entreprises se sont souvent arrangées pour moins embaucher et faire davantage travailler leurs salariés, sous le régime des heures supplémentaires, privant ainsi le système de cotisations sociales substantielles.

D’une façon générale, ce dispositif a des effets contradictoires. C’est un frein à l’embauche, et il s’agit d’une évidence. Quel employeur, fut-il le plus vertueux et le mieux disposé à soutenir les efforts du Gouvernement, hésiterait une seconde à faire effectuer des heures supplémentaires défiscalisées, et sans cotisations sociales, permettant d’éviter des embauches ?

Pis, ce système ouvre la porte à des effets d’aubaine. Il est ainsi plus avantageux de ne pas payer de primes au salarié et de les convertir en heures supplémentaires. Pour les salariés à temps partiel, il est encore préférable de leur payer des heures complémentaires plutôt que d’augmenter la durée de leur temps de travail prévue au contrat. Il est même plus profitable de diminuer la durée du temps de travail prévue au contrat et de transformer une partie des heures en heures complémentaires.

Ce système, tout le monde l’aura compris, va à l’encontre du besoin des salariés à temps partiel de travailler de manière durable et sûre, et je ne parle même pas de travailler plus. Il accentue la précarité ! La fraude et le bricolage qui ont résulté de ce texte ont fait surgir du néant des quantités d’heures supplémentaires, dont certaines sont purement fictives. Mais il y a eu aussi les heures supplémentaires réalisées avant de manière clandestine, que les employeurs ont eu intérêt à déclarer, tout au moins pour les bas salaires.

La majorité a manifestement compté sur le cumul de ces effets pour annoncer une hausse spectaculaire, ce qui était attendu, du temps travaillé. Mais c’était une autre époque et cela est maintenant hors de saison !

De plus, ce système a démontré son inefficacité totale non seulement en termes d’emploi, mais également en matière d’augmentation du pouvoir d’achat. Dans la période de crise que nous traversons, ce sont d’abord les Français les plus modestes, parmi eux les intérimaires et les personnes en CDD, qui sont les premiers à en faire les frais : donc, les plus précaires !

Faut-il rappeler le coût considérable que représente ce système intenable et dangereux ? Près de 4 milliards d’euros par an ! Ces milliards sont autant de moyens qui pourraient être utilisés pour soutenir l’emploi et, comme nous le pensons, le pouvoir d’achat ou, comme vous le soutenez, l’investissement. En outre, cette ingérable usine à gaz a un coût terrible pour les finances publiques et représente un manque à gagner pour la trésorerie de la sécurité sociale.

En matière de pouvoir d’achat, l’employeur a intérêt à recourir aux heures supplémentaires pour les salariés mal payés plutôt que d’augmenter les salaires. Pour les salariés mieux payés, il a intérêt à maintenir la pression, dans le flou d’un temps de travail extensible et le plus possible forfaitisé.

Ce dispositif prend donc place dans la longue liste des mesures conçues, peut-être dans une bonne intention, pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. L’employeur a tout intérêt à ce que des heures supplémentaires, réelles ou fictives, remplacent des augmentations de salaires. Et ce sont les salariés les plus faibles qui en sont les premières victimes ! Aujourd’hui, si l’on a un travail et qu’on fait des heures supplémentaires, c’est, contrairement à ce qui est dit, pour gagner moins !

L’amendement que nous présentons ici vise donc à supprimer ce dispositif inique et inefficace, qui, quand la croissance réapparaîtra, appauvrira même la croissance en nombre d’emplois. Écoutez-nous : en cette période de crise, vous ne pouvez pas faire autrement. Pourtant, bien que nous vous le disions tous les jours, vous ne nous entendez pas. Vous attendez sans doute que le Président de la République vous l’annonce. À ce moment-là, nous serons là pour vous le rappeler !

M. le président. L'amendement n° 71, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat est abrogé.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Je partage les propos de M. Rebsamen et ceux qui ont été prononcés à l’Assemblée nationale en ce qui concerne les trois griefs que l’on peut faire aux heures supplémentaires.

Nous l’avons déjà indiqué, le nombre d’heures supplémentaires déclarées en 2008 est inférieur aux prévisions. Le nombre de 725 millions d’heures est notamment à rapprocher des 660 millions d’heures évaluées par la DARES, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, pour l’année 2006.

Pour autant, 725 millions d’heures supplémentaires déclarées, c’est l’équivalent de 450 000 emplois à temps plein sur la période concernée, notamment dans le champ des contrats à durée déterminée ou des missions d’intérim. Il n’est donc pas étonnant que, nous l’avions d’ailleurs dénoncé au moment de l’examen du projet de loi de finances et lors de la discussion du collectif budgétaire du mois de janvier, les décisions qui ont été prises dans la loi TEPA et par la suite aient abouti à comptabiliser 50 000 chômeurs de plus – d’ailleurs, essentiellement des travailleurs intérimaires – en novembre ou en décembre.

Il conviendrait donc de s’interroger sur les motifs d’inscription au chômage depuis l’adoption de la loi TEPA, pour vérifier la réalité de cet effet que l’on peut qualifier d’ « effet d’éviction ».

Nous pouvons penser qu’en sus des effets de la crise économique internationale, l’existence du dispositif des heures supplémentaires a conduit à supprimer plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Il suffit de regarder les chiffres : notre pays crée actuellement 3 000 chômeurs supplémentaires par jour !

À dire vrai, et nous en sommes convaincus, les salariés qui effectuaient des heures supplémentaires en 2008 les échangeraient bien volontiers contre une revalorisation du SMIC ou de leur salaire direct, surtout en période de chômage technique. Ils l’ont d’ailleurs confirmé au cours des récentes manifestations, dont nous avons rappelé le nombre.

Il faut donc mettre un terme à ce dispositif qui, si l’on en croit l’état de l’économie française, n’a permis ni de créer des emplois ni d’éviter la récession.

Telles sont les observations que nous voulions formuler en présentant cet amendement n° 71.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement a déjà été examiné à plusieurs reprises au cours des récents débats budgétaires.

Il est clair que les exonérations de charges sociales compensées par le budget de l’État représentent une charge majeure pour celui-ci et que la question de la soutenabilité sur le long terme de l’ensemble du bloc d’exonérations se posera inévitablement dans l’avenir.

Cela étant dit, quelle serait concrètement la conséquence de l’adoption des dispositions que vous préconisez ? Je crois pouvoir dire qu’elles auraient mécaniquement pour effet de diminuer le pouvoir d’achat des salariés qui effectuent des heures supplémentaires (Mme Nicole Bricq s’exclame), puisque ces derniers réaliseraient moins d’heures supplémentaires. Je ne pense pas que c’est ce que vous vouliez (Mme Nicole Bricq s’exclame de nouveau), surtout à l’heure où le pouvoir d’achat des salariés modestes peut poser problème !

Mme Annie David. Alors augmentez les salaires !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il me semble donc que les effets des dispositions que vous préconisez se retourneraient très exactement contre les objectifs que vous défendez.

Comme nous le suggère très souvent notre excellent rapporteur spécial Serge Dassault, il faudra, pour l’avenir, réexaminer le volume total des sommes que l’État consacre dans son budget à la compensation des exonérations de charges sociales. Cette question devra nécessairement être traitée, si nous voulons retrouver un niveau de déficit public acceptable à la sortie de la crise. Mais, bien entendu, il n’est pas question de le faire dans le climat actuel et avec les mesures qui nous sont de nouveau proposées ici.

La commission est donc tout à fait défavorable à ces amendements.