M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Elles sont banques et populaires à la fois ! (Sourires.)

M. Thierry Foucaud. Les deux réseaux partagent également certaines activités. Ceux qui suivent d’assez près l’actualité économique et financière connaissent notamment le panel d’activités couvert par Natixis, filiale commune aux deux ensembles, et dont la santé précaire semble bien avoir été à l’origine de la rédaction du présent projet de loi.

Natixis est, faut-il le rappeler, une référence dans le domaine des activités de refinancement et de gestion d’actifs – ce qui n’a pas été sans lui poser quelques problèmes ces derniers temps –, ainsi que dans le champ du crédit à l’export, dont on connaît la dimension stratégique pour nos entreprises, notre économie, et donc pour l’emploi.

Et nous ne saurions oublier d’autres métiers et d’autres fonctions, les activités de gestion et de promotion immobilières étant particulièrement présentes dans les deux réseaux, notamment avec des entités comme Nexity ou Foncia.

À la vérité, l’examen de ces données suffirait à justifier que nous ne puissions nous contenter d’une adoption à la va-vite de ce projet de loi. Mais il existe d’autres motifs plus impérieux encore.

Le moindre est que ni les caisses d’épargne ni les banques populaires ne sont des établissements financiers tout à fait comme les autres.

En effet, la Caisse nationale des caisses d’épargne est une structure organique dont la propriété est conjointement détenue par les caisses régionales, elles-mêmes étant gérées par les sociétaires.

De même, les banques populaires régionales, propriétaires de la banque fédérale, sont placées sous le régime de la coopération, c’est-à-dire qu’elles ont, non pas des actionnaires, mais des sociétaires, détenteurs de parts sociales de leurs banques régionales et de droits de vote, souvent limités par les statuts.

Quelques différences d’organisation existent entre les deux réseaux, mais, dans les deux cas, l’organe central n’est pas le chef d’orchestre – la société holding en quelque sorte –, c’est simplement le lieu où se définit la stratégie globale de chaque groupe et, surtout, où s’accomplissent, dans un souci d’économies d’échelle parfaitement louable, un certain nombre de missions transversales.

Le réseau des caisses régionales d’épargne, comme celui des banques populaires régionales, est donc avant tout fondé sur un fonctionnement de démocratie de proximité, aux limites réelles mais aux caractères très originaux.

Or ce projet de loi procède à une mutation essentielle : il fait en sorte que l’organe central, plutôt que de rendre service aux établissements du réseau, devienne le chef de file qui impose toute règle et tout mode de fonctionnement.

Cette rupture évidente avec les principes de la coopération qui présidaient jusqu’ici au devenir tant des caisses d’épargne que des banques populaires ne peut être acceptée. Cette mise en forme d’un autoritarisme renforcé de l’organe central…

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est le centralisme démocratique ! (M. Hervé Novelli, secrétaire d'État, s’esclaffe.)

Mme Nicole Bricq. Tout le monde sait qu’à l’UMP, c’est la base qui décide !

M. Thierry Foucaud. …constitue, clairement, une véritable spoliation du pouvoir des sociétaires et, bien sûr, des coopérateurs, pourtant consacré par la loi et le code monétaire et financier.

Un autre motif qui nous conduit à rejeter ce projet de loi tient aux enjeux financiers qui ont présidé à son élaboration.

Nous avons souligné précédemment la place toute particulière qu’occupaient les réseaux des caisses d’épargne et des banques populaires dans le paysage du crédit bancaire. Proximité et accessibilité bancaire, notamment en direction des plus démunis, des territoires délaissés par les banques commerciales « banalisées », des très petites entreprises ou encore des associations : voilà ce qui caractérise, avant tout, l’action de ces deux réseaux.

Mais on pourrait citer également le fait que les caisses d’épargne participent au développement local, non seulement en apportant aide et soutien à des projets économiques et sociaux menés à l’échelon local – cela fait partie de leurs obligations législatives –, mais aussi en apportant leur concours à l’effort d’investissement des collectivités territoriales, singulièrement des plus petites, qui ne font que plus rarement appel aux produits sophistiqués de la Caisse des dépôts ou de Dexia.

Ce qui est donc en cause, dans cette affaire, c’est la persistance d’une source de financement accessible pour les collectivités locales, au moment même où elles sont particulièrement sollicitées pour contribuer à la reprise de l’activité économique.

Si, comme nous le pensons, l’une des priorités de la fusion est de dégager des moyens pour prendre en charge les pertes découlant, d’une part, des erreurs de M. Charles Milhaud, ancien patron de la CNCE, d’autre part, des placements hasardeux de Natixis, structure portée sur les fonts baptismaux par M. François Pérol, installé par l’Élysée à la tête du nouvel ensemble créé par le projet de loi, que va-t-il rester pour financer l’initiative locale, le développement des territoires, l’action publique des collectivités ?

Ce texte nous oblige donc clairement à nous poser certaines questions de fond sur le devenir du paysage bancaire et financier de notre pays.

Devons-nous voter un projet de loi dont la finalité est non pas l’intérêt général – c’est pourtant, en vertu de la Constitution, l’objet de la loi –, mais la défense et l’illustration d’intérêts privés ?

Les dérives financières de quelques-uns doivent-elles se traduire par une confiscation des pouvoirs de décision, par un autoritarisme renforcé – et assumé –, par des opérations et des mouvements financiers faisant payer à d’autres la facture desdites dérives ?

Ce projet de loi étant profondément injuste et déséquilibré, nous ne pouvons évidemment que le rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne m’appesantirai pas sur le détail de l’opération qui sous-tend le dispositif soumis ce soir au Sénat, tant me paraissent suffisants les éléments excellemment développés par M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ainsi que par Philippe Marini, dans son intervention comme dans son rapport.

Je tiens simplement à souligner trois caractères du rapprochement des organes centraux des caisses d’épargne et des banques populaires : son importance, son urgence et son originalité.

Son importance, tout d’abord : il s’agit, avec cette révision du code monétaire et financier, de permettre à deux réseaux bancaires d’organiser une véritable synergie de leurs activités en associant un groupe d’établissements plutôt spécialisé dans le crédit aux entreprises à un autre groupe plutôt spécialisé dans le crédit aux particuliers.

Certains se plaisent à dire que ce regroupement fera du nouveau groupe la deuxième institution bancaire française par la taille, mais là n’est pas ce qui importe : l’important, c’est la complémentarité qui existe entre les deux réseaux, c’est le fait que l’emboîtement de l’un dans l’autre n’entraînera pas de redondance et permettra à chacun, certes, de mettre en œuvre sa compétence, mais aussi de profiter de celle de l’autre. C’est cette complémentarité qui devrait permettre aux deux réseaux liés de dégager des marges de productivité se traduisant par de meilleurs coefficients d’intégration, mesurant une efficience accrue.

Le pari de ce regroupement, c’est bien cela : un accroissement de l’efficience des deux réseaux.

Incidemment, et je dirai même essentiellement, ce rapprochement devrait améliorer la qualité de la gouvernance de Natixis puisque, à l’issue de la fusion des organes centraux des deux réseaux, c’est une seule et même entité qui détiendra une large majorité dans le conseil d’administration de Natixis. Cette solution permet de sortir de la gouvernance bicéphale du schéma actuel. Sans nul doute, pour le marché boursier, une gouvernance contrôlée par un bloc homogène de près de 70 %, c’est nettement mieux qu’une gouvernance contrôlée par deux blocs, fussent-ils unis par un pacte d’actionnaires, de deux fois 34 % !

Pour ce qui est, maintenant, de l’urgence de ce rapprochement, c’est précisément l’évolution du dossier Natixis qui la justifie, même si, de manière réactive, les deux réseaux ont déjà pris des mesures pour affirmer l’unité de commandement de cette entité. Il est temps de donner un signe aux détenteurs du titre Natixis et de prouver, par un geste fort, que cet établissement est au cœur des préoccupations des deux groupes. Et c’est dans cet esprit que l’État apporte sa garantie en engageant des fonds dans la nouvelle structure.

L’urgence se justifie, en outre, eu égard aux modalités d’évaluation des apports de chaque organe central, fondées sur les valeurs comptables de décembre 2008, et qui devraient, si la fusion tardait, être estimées sur les valeurs comptables de la fin de juin 2009.

Un savant équilibre des valeurs des engagements et des actifs des deux groupes centraux a été réalisé et a fait l’objet d’un accord. Si l’on devait redémarrer un nouveau processus d’évaluation comptable et une nouvelle négociation, on perdrait de longs mois, et le signe positif que le marché attend se transformerait peut-être en signe négatif.

C’est bien connu, time is money ; le temps qui passe coûte cher. C’est vrai pour les banques et le marché boursier, comme pour les autres.

Dans une conjoncture difficile, les deux réseaux sont d’accord sur l’essentiel ; enregistrons, dès maintenant, cette belle perspective.

Je veux, enfin, insister sur l’originalité de ce rapprochement.

Nous avons affaire à deux réseaux coopératifs rassemblant des millions de porteurs de parts et partageant une même philosophie mutualiste, dans laquelle les principes participatifs occupent une place centrale et donnent lieu, sur tout le territoire national, à une multitude d’assemblées locales, des réseaux qui, en outre, ne négligent pas leurs objectifs sociaux.

Nous avons affaire à deux réseaux dont le capital appartient totalement à des épargnants français et peu perméables aux influences extérieures, tout au moins directement. Car, indirectement, via ce véhicule coté qu’est Natixis, il n’en va pas de même, pour le moment. C’est là, pourtant, que le bât blesse. Et c’est sans doute parce qu’il sait pouvoir compter sur un réseau bancaire complètement français que l’État vient au secours des deux réseaux, en apportant une solide garantie qui devrait permettre le retour à des perspectives plus encourageantes.

En apportant clairement son soutien à ces deux réseaux français, l’État, entend signifier que, même si la politique monétaire est européenne, via la Banque centrale européenne, la politique bancaire doit pouvoir compter sur des établissements nationaux.

Le groupe UMP du Sénat, très sensible à ces évolutions, à cette opportunité et à ce pragmatisme, apporte son soutien au texte voté par la commission des finances et soumis à l’approbation de l’ensemble des sénateurs. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi constitue le support législatif nécessaire au rapprochement de deux très grandes banques françaises, deux banques mutualistes auxquelles de très nombreuses familles françaises sont attachées : les caisses d’épargne et les banques populaires. Les unes et les autres font, en quelque sorte, partie de notre patrimoine commun.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement cherche à provoquer ce type de rapprochement puisqu’il y a déjà eu trois précédents : en 1996, en 2003 et en 2006, année de la création de la filiale commune Natixis.

Il semble bien que ce soit la crise financière apparue à l’automne dernier qui ait accéléré la procédure de fusion, notamment au vu des pertes colossales subies par Natixis : 6,3 milliards d’euros depuis 2007, dont 2,8 milliards d’euros pour la seule année 2008 et près de 1,9 milliard d’euros au cours du seul premier trimestre 2009 !

La crise que nous traversons actuellement a servi de catalyseur ; elle a accéléré ce qui se dessinait depuis la constitution de Natixis.

La première question que l’on pourrait se poser est celle de l’opportunité, pour deux banques à vocation populaire, d’organiser, via leur filiale, des placements spéculatifs aussi risqués. Depuis plusieurs mois, ce sont les petits actionnaires qui subissent de plein fouet les risques hasardeux pris par Natixis, notamment les petits épargnants à qui l’on a vendu des actions Natixis à 14 ou 15 euros en leur assurant qu’il s’agissait d’un placement de père de famille.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est bien vrai !

Mme Anne-Marie Escoffier. Or, à ce jour, l’action ne vaut plus que 1,46 euro à peine.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est scandaleux !

Mme Anne-Marie Escoffier. Il est donc primordial de redéfinir le caractère mutualiste du nouvel organe qui résultera bientôt de la fusion entre ces deux établissements. C’est pourquoi ce projet de fusion, tel qu’il est actuellement souhaité par le Gouvernement, ne va pas sans soulever un certain nombre de questions, et donc de problèmes.

Que constate-t-on ?

D’une part, aucune disposition ne permet de satisfaire pleinement l’équilibre nécessaire entre l’organe central et les caisses régionales. Le nouvel organe central concentre des pouvoirs qui sont plus étendus que ceux de chacun des deux organes centraux actuels pris séparément. On risque fort d’aller vers un système de centralisation excessive, qui nuirait à l’efficacité, sur le terrain, des établissements décentralisés.

D’autre part, le texte n’aborde pas clairement la question de la répartition des sièges du conseil de surveillance entre présidents de directoires et présidents des conseils de surveillance des banques régionales.

Enfin, l’avenir de Natixis demeure préoccupant. Après un apport, par l’État, d’environ 7 milliards d’euros au profit des deux groupes, aucune garantie n’a pu être donnée à ce jour pour pallier les pertes de cet établissement, qui présente, dès le début de la fusion, un handicap important, notamment pour les actionnaires les plus modestes et les salariés qui ont cru de bonne foi dans les perspectives prometteuses de leurs placements.

Au-delà de ces observations, je voudrais rappeler l’importance du système des banques coopératives. Ce système, motivé par l’intérêt général, a pour vocation d’offrir à tous un moyen de constituer une épargne.

Il est utile de rappeler que ce modèle est très différent de celui d’une banque traditionnelle, d’une banque « capitaliste ». Une banque coopérative est détenue non par des actionnaires, mais par des sociétaires. Ce sont les déposants qui sont propriétaires de leur banque. Cette spécificité statutaire a deux conséquences : d’abord, la recherche de profits absolus n’est pas un impératif.

M. Jean Desessard. Absolument !

Mme Anne-Marie Escoffier. En priorité compte l’objectif de participer à des missions financières et économiques fondées sur la solidarité nationale, l’accès au crédit pour des très petites entreprises, la lutte contre l’exclusion bancaire et le financement du logement social.

Ensuite, contrairement aux banques traditionnelles, dans le système mutualiste, les banques ou caisses régionales ne sont pas les filiales de l’organe central qui coordonne leurs actions. C’est l’organe central qui est détenu par les structures régionales, dont les conseils de surveillance sont pour une grande part constitués des représentants des sociétaires. Une banque coopérative possède, par définition et par tradition, une structure décentralisée et démocratique.

Il est souhaitable que le Sénat veille à sauvegarder cette caractéristique. Les sénateurs du groupe du RDSE y tiennent tout particulièrement et seront particulièrement vigilants sur ce point.

S’agissant par ailleurs de l’aide apportée par l’État à la mise en place de ce nouveau groupe, jusqu’à présent, il était prévu qu’elle intervienne sous une forme intermédiaire, en partie par l’apport d’un capital, mais aussi par l’octroi de titres subordonnés. L’aide de l’État prendrait en effet la forme de titres subordonnés et d’actions préférentielles transformables, s’il le souhaite, en actions ordinaires, dans la limite de 20 % du capital.

Le Gouvernement prévoit que ce système sera provisoire. Alors, pourquoi transformer des actions préférentielles en actions ordinaires ? Cette incohérence ne manque pas de nous interpeller.

Monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais, en outre, que vous nous apportiez un peu plus d’éléments s’agissant de la responsabilité du futur président du nouveau groupe.

Ma question part d’un constat simple, qui est celui de la contrepartie des efforts publics consentis par la nation en faveur des dirigeants bancaires. Il est difficile de défendre le modèle de la liberté économique sans prévoir sa contrepartie : la responsabilité des décideurs. Quand des fautes sont commises, des sanctions doivent être prises. Les Français ne peuvent plus accepter que des dirigeants, après avoir fait perdre des centaines de millions d’euros à leur société, puissent partir avec des « parachutes dorés » particulièrement choquants.

Mme Anne-Marie Escoffier. Même si la rémunération du nouveau responsable de l’ensemble Écureuil-Banques populaires semble devoir être moins élevée que celle de la plupart des mandataires sociaux des grandes banques françaises, il convient de veiller à ce qu’elle soit à l’avenir strictement encadrée et qu’aucun dérapage ne puisse survenir.

Enfin, comment ne pas relever toutes les questions encore en suspens à cette heure et qui ont fait la une de la presse économique : processus de consultation des représentants du personnel compromis ; projet stratégique, avec ses déclinaisons concrètes et complètes jusqu’en 2012, à peine ébauché ; menaces pesant sur l’emploi au niveau central comme à l’échelon local, puisque l’emploi est, dans le plan de sauvetage de Natixis, la principale variable d’ajustement.

En ce qui concerne la nomination même de François Pérol à la tête du nouveau géant bancaire, chacun attend que la Commission de déontologie se prononce et fasse connaître son appréciation. Comment ne pas regretter ce malheureux procédé, qui a jeté, à tout le moins, la suspicion sur la nomination d’un homme dont ni le talent ni la compétence ne sauraient être mis en doute ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ah, tout de même !

Mme Anne-Marie Escoffier. Compte tenu de ces interrogations et observations, notre groupe a déposé trois amendements visent à améliorer le dispositif prévu à l’article 1er.

Tout d’abord, nous souhaitons étendre aux banques populaires les missions prioritairement sociétales qui sont actuellement dédiées aux seules caisses d’épargne, notamment pour satisfaire les besoins collectifs et familiaux.

Ensuite, nous entendons permettre une représentation avec voix délibérative des salariés des deux établissements au conseil de surveillance du nouvel organe central.

Enfin, nous voulons que soit laissée à chacun des deux groupes l’autonomie nécessaire pour définir sa propre politique et sa propre orientation stratégique.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, le vote final des membres du groupe du RDSE dépendra largement des réponses que vous apporterez à nos questions et du sort qui sera réservé à nos amendements. Il serait pour le moins préjudiciable à la qualité de notre débat que l’on veuille à tout prix obtenir un vote conforme de la Haute Assemblée. Ce n’est pas au calendrier de dicter le contenu de la loi.

Je veux néanmoins rester confiante sur la sagesse du Gouvernement et je ne doute pas que celui-ci saura entendre les observations qui sont formulées dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me demande, comme Mme Bricq, pourquoi le Gouvernement nous demande de siéger un lundi soir, lendemain d’élections, (Exclamations sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Gérard Longuet. Pour vous consoler !

M. Jean Desessard. … alors que nous avons à analyser, réfléchir, interpréter le message qui a été envoyé !

Pourquoi le Gouvernement nous demande-t-il de siéger un lundi soir,…

M. Philippe Marini, rapporteur. Il est trop tôt pour aller se coucher ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. … comme s’il fallait faire adopter ce projet de loi politiquement explosif à la sauvette. Mais aussi, il faut agir dans l’urgence car le calendrier est très serré.

Ce texte prévoit des mesures dites techniques, pour moi elles sont plutôt politiques…

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est un texte technique minimaliste !

M. Jean Desessard. D’’une technique très politique…

Ces mesures techniques politiques doivent être adoptées avant le 30 juin, date limite pour la réalisation de la fusion. En effet, au-delà de cette date, la revalorisation comptable obligerait à prendre en compte de nouvelles pertes que la direction du groupe préférerait dissimuler.

M. Philippe Marini, rapporteur. Elle ne le pourra pas !

M. Jean Desessard. Alors pourquoi cette urgence ?

Natixis a été créé en 2006 par la fusion d’Ixis, racheté à la Caisse des dépôts par le groupe Caisses d’épargne – du fait de la volonté de son directeur de l’époque, M. Charles Milhaud – avec Natexis, filiale du groupe Banque populaire. Sa valeur en bourse a été divisée par vingt en un peu plus de deux ans.

M. Gérard Longuet. On ne parle plus de ceux qui s’enrichissent en dormant !

M. Jean Desessard. En effet, à travers sa filiale Natixis, le groupe Caisse d’épargne-Banque populaire s’est lancé dans une dérive spéculative sur le marché des subprimes américaines, prenant des risques contraires aux valeurs fondatrices du modèle coopératif.

M. Philippe Marini, rapporteur. C’était pourtant un groupe coopératif !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et il y avait des salariés au conseil d’administration.

M. Jean Desessard. C’est bien le problème !

Pour couvrir ses pertes, le nouveau groupe, placé sous la responsabilité de M. Pérol, devrait recevoir une aide publique de 5 milliards d’euros qu’il devra rembourser dans un délai de cinq ans, avec un taux d’intérêt de 8%.

Pour cela, il devra dégager des marges de manœuvre importantes. Voyons quelles sont les solutions envisagées par ses dirigeants.

La première, c’est la « cession d’actifs », autrement dit la vente à la découpe des filiales du groupe les plus rentables, comme le Crédit foncier ou les services de banque en ligne.

La deuxième, c’est « l’accroissement de la rentabilité opérationnelle du réseau ». Traduction : suppressions d’emplois, fermetures d’agences et de succursales, remise en cause de l’accès des plus défavorisés aux services bancaires !

La troisième solution, c’est de mettre à contribution « de manière exceptionnelle » les caisses et les banques régionales, bref, de piller l’épargne des Français pour éponger les pertes d’une gestion hasardeuse.

Aucune de ces trois solutions n’est acceptable. Près de 15 000 emplois seraient menacés à terme, et aucun projet social clair n’accompagne cette fusion. Le Gouvernement refuse d’envisager l’harmonisation des statuts des salariés, qui est pourtant la conséquence logique de la fusion, car il souhaite éviter un nivellement par le haut des garanties qui leur sont accordées.

Dans les départements d’outre-mer, le rapprochement des réseaux des caisses d’épargne et des banques populaires risque de conduire à une situation de quasi-monopole, puisque le futur groupe détiendra 80 % des parts de marché. De ce fait, l’Autorité de la concurrence pourrait être amenée à exiger la vente de certaines filiales, ce qui laisserait la place libre aux banques commerciales qui pratiquent des tarifs abusifs, quatre à cinq fois supérieurs à ceux de la métropole.

Aussi, je m’interroge sur les raisons qui ont incité ces deux grands groupes coopératifs à une telle dérive. En effet, les valeurs des banques coopératives, c’est-à-dire la proximité, avec une participation active au développement du tissu économique local, et la démocratie, avec un contrôle par les clients-sociétaires de leurs choix stratégiques, ont été bafouées par l’équipe dirigeante, dont la majorité des membres est restée en place.

Faisant fi de ces idéaux, le Gouvernement et les grands patrons de la finance, dans leur logique libérale, encouragent la constitution de supergéants bancaires.

Doit-on se réjouir de la naissance du deuxième groupe bancaire français, un géant sur le plan européen, avec ses 33 millions de clients et ses 110 000 salariés ? Je pense que nous devrions plutôt nous demander s’il est opportun d’accélérer la concentration dans le domaine bancaire.

Prenons l’exemple des États-Unis. En janvier 2008, les trois premières banques nord-américaines contrôlaient déjà 20 % des dépôts. Douze mois plus tard, elles en contrôlent plus du tiers. Dans le même temps, elles ont perçu des pouvoirs publics pas moins de 95 milliards de dollars d’aides.

Rappelons l’analyse de MM. Stern et Feldman, qui, en 2004, avaient alerté les autorités américaines. Ils considéraient alors que les géants bancaires étaient too big to fail, trop importants pour qu’on les laisse tomber et fragiliser l’économie américaine.

Au cœur de la crise, fidèle au dogme libéral, l’administration Bush a refusé de venir au secours de Lehman Brothers. Conséquence : l’onde de choc a été telle que l’État américain a dû prendre une participation à hauteur de 80 % du capital du premier assureur mondial, AIG, pour un montant atteignant 100 milliards de dollars.

Les nouveaux supergéants bancaires sont donc devenus too big to fail. La concentration bancaire a désormais tellement d’implications sur l’économie qu’aucun État ne peut plus laisser faire, et les contribuables seront obligés d’éponger les pertes.

Pour réaliser cette tâche, Nicolas Sarkozy a fait le choix de placer son proche conseiller, ami des financiers, M. François Pérol, à la tête de ce nouvel ensemble. Cette nomination, qui relève du fait du prince, ne va pas sans poser de sérieux problèmes éthiques, car elle témoigne d’une confusion entre le monde de la finance et la sphère politique.

En effet, M. Pérol a organisé cette fusion lui-même, directement depuis son bureau de l’Elysée. Il a négocié un apport de l’État de 5 milliards d’euros pour tenter de sauver Natixis, et le voilà maintenant à la tête du deuxième groupe bancaire français.

Les sénatrices et sénateurs Verts voteront contre ce projet de loi qui est un cadeau de plus aux dirigeants de la finance et une remise en cause des valeurs du modèle coopératif.

Pour sortir de la crise, nous aurions souhaité voir émerger un modèle différent, qui serve non pas à dissimuler les pertes, mais à assainir la situation et à faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas, ne se reproduisent plus !

Nous aurions souhaité des contrôles qui mettent fin à la spéculation, à la recherche du profit à tout prix, ainsi que des sanctions à l’encontre des dirigeants qui prennent des risques insensés pour augmenter leurs primes et font payer les pertes de ces opérations douteuses par les petits épargnants et les contribuables.

Nous aurions souhaité des mesures qui garantissent les droits des petits épargnants et des salariés, des dispositions qui rétablissent les valeurs mutualistes et mettent ces établissements, non pas au service de quelques-uns, mais véritablement au service de la collectivité.

Au vu de tous ces éléments, je le répète, les sénatrices et sénateurs Verts voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)