M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.

Mme Bernadette Dupont. Je vous remercie, madame Létard. En règle générale, ce sont les familles qui sont déterminées à faire bouger les choses en matière de handicap, mais, en l’occurrence, elles ont réussi à faire prendre conscience du problème à la ministre.

Malheureusement, les progrès sont lents et difficiles, et, selon moi, certains dossiers pourraient avancer plus rapidement.

Ainsi, la requalification des places existantes pourrait avoir lieu dans les plus brefs délais. Vous avez évoqué les instructions qui seront données aux DDASS pour adapter les établissements aux besoins des personnes autistes. Il existe déjà des formations sur l’autisme, dispensées notamment par l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés, l’UNAPEI. Mais il faut surtout motiver les personnels, en leur démontrant que la formation est une nécessité. Je n’aime pas le mot « maltraitance », car je pense que cette dernière n’est pas volontaire. Ce qu’il faut, c’est promouvoir la « bien-traitance ». Dès la prochaine rentrée, un module spécifique sur l’autisme pourrait être créé dans les écoles d’éducateurs spécialisés. Certes, on apprend à ces derniers à gérer le quotidien et on leur inculque quelques méthodes, mais on ne leur parle jamais de l’autisme de manière spécifique.

La création de places prendra certes plus de temps, car il faut ouvrir des établissements. Je pense également qu’il faut inciter ceux qui ont des places existantes et qui accueillent déjà des personnes autistes à engager une véritable coopération avec les familles, lorsque celles-ci sont présentes et demandeuses.

Vous avez, à juste titre, souligné la nécessité d’un suivi extérieur médical ou universitaire. Mais, le plus souvent, les enfants présentant des troubles envahissants du développement sont envoyés dans des structures psychiatriques. Ainsi, dans les Yvelines, on les adresse à l’hôpital Charcot à Plaisir, où il n’y a aucune référence universitaire. On devrait pouvoir créer très vite des commissions paritaires, avec des regards complémentaires sur la personne autiste.

Pour finir, je parlerai de l’intégration. Vous avez avancé le chiffre de 170 000 enfants handicapés scolarisés, soit plus de 10 000 par an depuis 2005. C’est bien, mais les prises en charge sont souvent très aléatoires, certains enfants n’étant présents que quelques heures par semaine : une ou deux heures par jour tout au plus.

Il convient de sensibiliser l’éducation nationale à ce problème. Il faudrait responsabiliser les professeurs des écoles, qui sont souvent plus contraints que volontaires. Cette formation devrait être mise en place assez rapidement et concerner, au-delà du problème spécifique de l’autisme, l’accueil des enfants handicapés en général.

En ce qui concerne les auxiliaires de vie scolaire – AVS – et les auxiliaires de vie scolaire individualisée – AVSI, vous prétendez qu’il sera difficile de modifier leurs contrats avant la rentrée 2010. Pourquoi un si long délai ?

À l’occasion de la mise en place du RSA, j’avais proposé que les contrats puissent être modifiés et prolongés pour les personnes concernées accompagnant des enfants en difficulté. La législation doit évoluer, conformément au souhait des intéressés. En effet, hormis les personnes formées par les associations qui s’occupent spécifiquement d’autisme – j’espère au passage que l’éducation nationale leur proposera de vrais contrats, qui pourront être conjugués avec ceux conclus avec les familles –, les AVS qui accompagnent ces enfants dans les écoles sont le plus souvent des femmes âgées de 45 à 50 ans, à qui l’on explique que leur contrat ne pourra pas être prolongé s’il a été conclu avant leurs 50 ans, ce qui serait possible dans le cas contraire… Ce n’est pas sérieux, car c’est la situation de l’enfant autiste qui est en jeu et c’est lui qui doit être au cœur de notre réflexion. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)

M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

6

Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.

Je rappelle que le débat sera organisé autour des deux thèmes suivants :

- Profils nutritionnels (nos 265, 336, 337 et résolution du Sénat n° 83) ;

- Vin rosé (nos 324, 392, 393 et résolution du Sénat n° 82).

Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, pour chacun des deux sujets, interviendront :

- le représentant de la commission compétente ou de la commission des affaires européennes, pour dix minutes ;

- le Gouvernement, pour dix minutes.

Une discussion spontanée et interactive s’ouvrira ensuite sous la forme de questions-réponses de deux minutes maximum par intervention.

I. - Profils nutritionnels

M. le président. Dans le débat sur les profils nutritionnels, la parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté une proposition de résolution concernant les profils nutritionnels pour les denrées alimentaires.

Un règlement communautaire de décembre 2006 a établi un cadre, harmonisé pour le marché intérieur, destiné à garantir la loyauté des « allégations nutritionnelles », c’est-à-dire la communication commerciale sur les caractéristiques nutritionnelles des produits alimentaires. Il s’agissait d’assurer la bonne information du consommateur en interdisant, par exemple pour des produits très sucrés ou très gras, des mentions publicitaires ou valorisées sur les emballages du type « riche en fer », « apport en vitamines », « allégé en sel », etc.

L’idée était d’éviter que les industriels de l’agroalimentaire n’induisent en erreur les consommateurs sur les caractéristiques nutritionnelles réelles des aliments en insistant sur un point positif et en restant très discrets sur les aspects plus négatifs des produits, au sens sanitaire.

Pour rendre applicable cette réglementation de 2006, encore faut-il définir le « profil nutritionnel » de ces aliments, c’est-à-dire leurs proportions en nutriments que l’on juge acceptables. Il ne suffit pas d’affirmer qu’un produit est trop gras ou trop salé pour qu’on puisse faire de la publicité sur ses apports en calcium ; il faut également définir exactement en quoi il est trop gras ou trop salé. C’est pourquoi il est nécessaire, par catégorie de produits, d’établir des profils fixant les proportions maximales de sucre, de sel – sodium –, d’acides gras saturés ou d’acides gras trans à respecter pour pouvoir avancer des allégations nutritionnelles.

Cette définition des profils nutritionnels doit faire l’objet d’un règlement communautaire d’exécution qui, en raison de son caractère essentiellement technique, est adopté par la Commission européenne, sous le contrôle du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen, dans le cadre d’une procédure dite de « comitologie ». Sous l’égide de la direction générale de la santé et des consommateurs, la DGSANCO, un comité d’experts représentant les vingt-sept États membres, qu’on appelle le CPCASA – Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale –, s’est ainsi réuni au cours de l’année 2008 pour fixer, par catégories de produits alimentaires, les seuils de nutriments définissant leurs profils spécifiques.

Or, au sein de ce CPCASA, se sont affrontées deux philosophies, correspondant à deux modèles alimentaires. Pour schématiser, on trouve, d’un côté, les Britanniques et les pays nordiques, pour lesquels la bonne santé de la population, et en particulier la lutte contre le surpoids et l’obésité, est essentiellement assurée par le contenu nutritionnel des aliments et, de l’autre, un groupe de pays continentaux – la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas – qui estiment que c’est l’équilibre alimentaire global qui est déterminant, et que celui-ci est assuré par le respect de bonnes habitudes – par exemple manger à heures fixes, varier la nourriture, avoir des apports quotidiens en fruits et légumes frais.

Comme la DGSANCO est plus perméable au premier modèle, ses travaux ont abouti à un projet de règlement fixant des normes assez strictes pour les profils, tellement strictes pour certains qu’elles privaient la quasi-totalité de quelques catégories de produits de tout droit à allégation nutritionnelle : c’était en particulier le cas de la biscuiterie, des fromages et du pain.

Cette situation était absurde pour deux types de raisons.

Premièrement, s’agissant des fromages, il convient de distinguer ceux qui sont produits de manière traditionnelle et ceux qui résultent de processus industrialisés. Les premiers étant issus de la première transformation du lait, leur contenu nutritionnel ne peut pas être modifié. Dès lors, leur imposer des seuils très stricts en matière grasse et en sel leur interdirait de communiquer sur leurs apports en calcium, alors que n’importe quel soda ou jus de fruit enrichi en calcium pourrait, de son côté, vanter cet apport nutritionnel.

Deuxièmement, en ce qui concerne la biscuiterie, le problème est différent : l’industrie agro-alimentaire peut naturellement réduire les teneurs en sel, en sucre ou en matière grasse, mais si l’on fixe des seuils trop stricts, elle n’aura aucun intérêt économique à investir dans la recherche-développement, le retour sur investissement étant beaucoup trop lointain et aléatoire si elle ne peut pas rapidement communiquer sur ses efforts en la matière.

Il y avait donc dans ce dossier un problème de proportionnalité par rapport aux objectifs poursuivis par le règlement de 2006.

Cette situation a ému les professionnels, notamment ceux du secteur laitier, qui m’ont alerté au début de l’année. C’est ce qui a conduit à l’adoption, par la commission des affaires européennes d’abord, par celle des affaires économiques ensuite, de la résolution n° 83 qui vous a été distribuée.

Cette résolution, telle qu’adoptée par la commission des affaires économiques, demande essentiellement deux choses au Gouvernement.

D’abord, une méthode : vous savez que, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, les assemblées françaises peuvent adopter des résolutions européennes sur tout document émanant d’une institution européenne, et non plus uniquement sur les seuls projets formalisés de directives ou de règlements transmis au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen. Cette extension constitue une anticipation du traité de Lisbonne, et c’est sur elle que je me suis appuyé pour faire intervenir le Sénat, le texte en cause n’étant qu’un document de travail de la Commission européenne, et non un véritable projet de règlement.

Le problème, c’est que la Commission produit quotidiennement des dizaines de ces documents, et qu’il est matériellement impossible au Parlement français d’avoir connaissance de l’intégralité de cette production. Si la plupart d’entre eux sont essentiellement techniques et ne justifient pas d’intervention, certains, cependant – l’exemple qui nous préoccupe en témoigne –, ont également un caractère politique affirmé.

Il est donc nécessaire que le Gouvernement transmette aux assemblées les projets de mesures portant sur des sujets présentant un intérêt politique. C’est notre premier souhait.

Ensuite, la résolution demande au Gouvernement de s’opposer à l’adoption de seuils de nutriments qui seraient inadaptés pour certains produits. Dans cette perspective, la résolution formule trois recommandations.

En premier lieu, pour ce qui concerne les profils nutritionnels, elle s’oppose à la fixation de seuils de nutriments inadaptés pour certaines denrées ou qui favoriseraient la communication des produits standardisés issus de l’industrie agroalimentaire : il vaut mieux manger un peu de fromage, un peu de légumes et des fruits que d’assurer ses apports quotidiens en calcium, en fer et en vitamines par la consommation de sodas enrichis par ces nutriments…

En second lieu, de façon plus générale, il convient que les représentants français à Bruxelles fassent systématiquement valoir la nécessité d’examiner les problématiques alimentaires dans une perspective globale et de respecter la diversité des traditions alimentaires propres à chaque État membre.

Ce point est très important, car il ne doit pas être question que la Commission, sous couvert de préoccupations sanitaires, en vienne à imposer un modèle alimentaire unique, qui plus est si ce modèle est anglo-saxon. Du reste, j’ai consacré une partie de mon rapport à faire état d’études scientifiques qui tendent à démontrer que ce modèle est en réalité probablement beaucoup moins efficace pour lutter contre le surpoids et l’obésité que le modèle latin, représenté en particulier par les habitudes françaises.

Aussi, notre opposition n’est pas seulement culturelle ; elle est aussi sanitaire, ainsi que le relèvent plusieurs des considérants de la proposition.

Enfin, la dernière demande est de principe : les pouvoirs d’exécution conférés à la Commission européenne, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause puisqu’ils sont indispensables, doivent cependant toujours respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, principes auxquels la commission des affaires européennes du Sénat est tout particulièrement attentive, ainsi que, évidemment, les objectifs des textes communautaires, qu’il s’agit de rendre applicables.

Dans le cas qui nous préoccupe, les profils sont non pas un instrument de santé publique, mais simplement un outil technique destiné à garantir que l’information commerciale destinée aux consommateurs en matière nutritionnelle est loyale. C’est uniquement cet objectif que le règlement d’application doit s’attacher à satisfaire, et pas un autre.

Cependant, depuis l’adoption de cette proposition de résolution par la commission des affaires économiques, il semble que les choses ont considérablement évolué, apparemment dans le bon sens, ce qui est heureux.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais que vous puissiez, en quelques mots, faire le point sur l’état de ce dossier, d’abord en nous informant précisément sur les démarches du Gouvernement français avant et après l’adoption de la résolution du Sénat, ensuite, et surtout, en nous indiquant quel est aujourd’hui l’état d’esprit de la Commission et ce que l’on doit attendre de ses décisions à venir.

Un certain nombre d’industriels ont engagé des actions de recherche et de développement et ils doivent savoir quelles orientations donner à leur politique industrielle.

Monsieur le secrétaire d'État, le Sénat peut-il avoir le légitime espoir d’être aussi bien entendu sur ce dossier qu’il l’a été sur celui du vin rosé ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Roland Courteau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Bizet, votre question traduit une préoccupation majeure et permet de démontrer à ceux qui en doutaient encore que les choix européens ont un impact direct sur la vie quotidienne des consommateurs.

La réglementation européenne sur les profils nutritionnels, actuellement en discussion, est sous-tendue par des objectifs de santé publique et de protection des consommateurs, que chacun peut a priori faire siens.

La réglementation part d’ailleurs de constats de bon sens. Il est vrai qu’il peut paraître choquant que des produits se flattent d’être « riches en calcium », avec des formulations telles que « le calcium contribue à la croissance osseuse », alors qu’ils contiennent une forte proportion de substances grasses, sucrées ou salées.

Pour le dire simplement, la réglementation vise à éviter que l’on puisse apposer sur n’importe quel produit la mention : « je suis bon pour la santé ».

Outre ces enjeux de nutrition, la Commission souhaite défendre un autre objectif que nous partageons tous, à savoir la loyauté de l’information. C’est une condition du bon exercice de la concurrence. Pour que celle-ci ne soit pas faussée, il faut éviter que des producteurs ne puissent faire valoir aux yeux des consommateurs un avantage compétitif qui n’a pas lieu d’être.

Une fois ces principes posés, monsieur Bizet, reste la question de leur déclinaison concrète dans la législation. C’est là que le bât blesse. Nous savons que l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions, et il ne faudrait pas que la défense d’objectifs qui nous sont chers entre en totale contradiction avec d’autres principes tout aussi importants, à savoir la diversification de l’alimentation du consommateur, la protection de nos produits traditionnels, comme le fromage ou les produits céréaliers, et la compétitivité de notre filière agricole et agroalimentaire.

C’est pour cette raison que la France s’est opposée à la première mouture de ce projet de réglementation européenne.

Nous sommes encore dans une première phase de consultation des pays membres. Beaucoup partagent les positions de la France et je vous rassure tout de suite, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous garantissant que le nouveau projet de la commission sera très éloigné du premier et qu’il tiendra compte des positions que vous et nous avons défendues.

Pourquoi la France a-t-elle manifesté son désaccord ?

L’objectif affiché par le projet de réglementation européenne est de restreindre le nombre d’aliments pouvant porter des allégations nutritionnelles en fonction de leur composition et de leurs caractéristiques nutritionnelles globales. Mais le premier projet de la Commission paraissait extrêmement sévère, puisqu’il conduisait à une éligibilité moyenne aux allégations de 41 % de produits seulement, avec des écarts allant de 2 % à 81 % selon les catégories de produits.

Par ailleurs la démarche de la commission soulève un certain nombre de questions.

D’abord, l’établissement de critères objectifs de sélection peut relever de la gageure. Cela reviendrait à faire un tri entre les bons et les mauvais aliments, travail difficile, voire vain, quand on sait que les autorités scientifiques martèlent qu’il y a non pas des bons ou des mauvais aliments, mais seulement des combinaisons d’aliments permettant de créer ou non un équilibre alimentaire.

Une autre limite évidente réside dans le fait que, pour certains produits agricoles traditionnels peu ou pas transformés, les marges de manœuvre en matière de reformulation s’avèrent très réduites, alors même que ces produits constituent la base de notre alimentation.

Ces limites évidentes doivent nous amener à être extrêmement vigilants quant à la sévérité du dispositif que nous devons adopter. Cela est d’ailleurs reconnu dans les exposés du projet de règlement, qui rappelle que « les profils devraient prendre en compte les habitudes et les traditions alimentaires, ainsi que le fait que des produits, considérés individuellement, peuvent jouer un rôle important dans le cadre d’un régime alimentaire global ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez eu raison de souligner les risques que ferait courir une transposition trop rigoureuse ou trop restrictive du texte européen. Les points et les critiques que vous avez relevés, monsieur Bizet, rejoignent parfaitement la position défendue, au nom de la France, par Michel Barnier. Je profite de l’occasion pour excuser celui-ci ; retenu à Bruxelles, il m’a chargé de le représenter auprès de la Haute Assemblée.

Vous demandez au Gouvernement, dans le cadre des discussions communautaires sur les profils, de s’opposer à de nouvelles propositions de seuils de nutriments qui seraient inadaptés pour certaines denrées ou qui tendraient à promouvoir la consommation des seuls produits standardisés issus de l’industrie agroalimentaire. C’est ce que nous faisons.

Vous nous avez également invités à examiner la question des profils dans une perspective d’équilibre alimentaire global. Là encore, vous êtes parfaitement en ligne avec la position que le Gouvernement fait valoir auprès de la commission.

La position française repose sur quatre considérations importantes.

Première considération : la prise en compte des caractéristiques nutritionnelles globales de l’aliment, et pas seulement ses aspects négatifs.

La direction générale de la santé et de la protection des consommateurs de la Commission européenne a proposé un système de contrôle reposant sur trois nutriments : acides gras saturés, sucres et sel. Les autorités françaises ont accepté ce choix, qui a le mérite de la simplicité. En revanche, la France a soutenu la mise en perspective de l’aliment dans le régime alimentaire global : il s’agit de distinguer, pour chaque produit, les apports en nutriments « négatifs » mais aussi « positifs » dans le cadre d’un régime alimentaire global.

Ainsi, il est vrai que les fromages sont riches en acides gras saturés, mais force est de constater que la majorité des consommateurs ne mangent pas du fromage à chaque repas ni même tous les jours. Avec une consommation de trente grammes par jour en moyenne, le fromage n’est donc pas un contributeur majeur à l’apport total d’acide gras saturé. En revanche, il contribue fortement à l’apport calcique : plus de 50 % du calcium consommé quotidiennement est apporté par les produits laitiers, dont plus de 20 % par les fromages.

Ce qui est vrai pour le fromage ne l’est pas pour tous les produits. Ainsi, la demande des chocolatiers de créer une catégorie pour leurs produits avec des seuils adaptés a été rejetée, ces produits n’étant pas des contributeurs majeurs en nutriments essentiels.

Deuxième considération portée par la France : une plus grande proportionnalité.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments a identifié les catégories d’aliments tenant une place importante dans le régime alimentaire. Des seuils adaptés ont été proposés pour ces catégories, mais la définition de celles-ci est parfois contestable. Ainsi, les biscuits et les produits de panification ont été associés aux féculents, comme les pâtes ou le riz. Cela les a fortement pénalisés dans les différentes propositions de la Commission : 7 % et 14 % d’éligibilité pour les biscuits et le pain, contre 80 % pour le riz et 92 % pour les pâtes. La France a souhaité garantir une meilleure proportionnalité, de manière à améliorer la définition des catégories et à rehausser certains seuils particulièrement pénalisants.

Il faut aussi tenir compte de la situation de produits diététiques, dont la composition vise à répondre à des besoins nutritionnels particuliers, par exemple pour les nourrissons ou les sportifs. S’agissant de ces produits spécifiques, le Gouvernement a soutenu l’idée qu’ils soient exonérés des profils dès lors que le besoin nutritionnel particulier impose un dépassement des profils.

Ainsi, un produit pour sportifs ne serait pas soumis aux teneurs maximales en sucres ou en sodium dès lors que les teneurs apportées sont justifiées par les besoins nutritionnels des sportifs. En revanche, des apports importants en acides gras saturés élevés n’étant pas justifiés chez les sportifs, les produits seraient soumis aux profils pour ce nutriment.

Troisième considération : l’incitation à la reformulation

Dans le cadre du programme national nutrition santé, par le biais des chartes d’engagement, a été engagée une démarche partenariale entre l’État et les opérateurs afin d’inciter ceux-ci à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits. Il paraissait dès lors inconcevable de défendre des seuils interdisant l’accès à toute forme de communication sur la qualité nutritionnelle des produits, quels que soient les efforts et progrès réalisés, et de supprimer ainsi toute incitation à la reformulation.

Dernière considération qui sous-tend notre position : la cohérence avec la politique nutritionnelle et la culture alimentaire française.

Dans le droit fil de sa politique nutritionnelle et alimentaire, la France a mis en valeur la nécessaire diversification des aliments au sein du régime. L’exemple type est la communication que fait notre pays sur la nécessité de consommer chaque jour trois produits laitiers différents, y compris les fromages, quand la Commission prônait une satisfaction des besoins en calcium par le seul lait ou les yaourts.

En outre, la position française a été fixée au regard de considérations plus culturelles, telles que la défense des produits traditionnels et des produits agricoles. Ceux-ci constituent la base de notre alimentation et restent des repères structurant dans le régime et les habitudes alimentaires. Leur marge de manœuvre en matière de reformulation est évidemment faible. Le Gouvernement a donc considéré qu’il était plus pertinent de valoriser le calcium apporté par les fromages que celui qui est ajouté artificiellement aux sodas.

De la même façon, les autorités françaises ont défendu ardemment que les produits bruts non transformés, comme les viandes ou les poissons, soient exonérés de l’application des profils.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, le Gouvernement a adopté une position à la fois proportionnée, respectueuse de la tradition culinaire française, et soucieuse des intérêts des consommateurs en matière de nutrition. Cette position rejoint donc très clairement les positions exprimées par le Sénat dans sa proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite savoir ce qu’envisage de faire le Gouvernement afin de contrecarrer la tendance actuelle à la standardisation des aliments et à la « diétiétisation » de l’alimentation, lesquelles ne correspondent pas à la culture française.

Afin de lutter, entre autres, contre l’obésité, qui frappe davantage les pays qui soutiennent de telles directives, le Gouvernement pourrait lancer un plan sans précédent en direction des jeunes, des familles, de toutes les structures d’éducation et des filières de transformation et de communication, plan destiné à allier qualité, connaissance, hygiène de vie, sport et plaisirs de la table, car l’esprit de Rabelais n’est pas mort, fort heureusement !

Nous ne partons certes pas de rien, mais nous pourrions faire beaucoup plus, notamment dans le cadre de la lutte contre l’obésité et du surpoids, fléaux qui nous menacent à terme comme les autres pays.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Ce débat illustre, une fois de plus, la nécessité pour l’Union européenne de faire de la politique. On le constate dans la manière dont elle traite certains sujets, comme les profils nutritionnels ou le vin rosé. Mais faire de la politique, c’est peut-être avant tout avoir du bon sens, afin de mesurer la dimension politique de toute décision.

Le projet de réglementation des profils nutritionnels part d’une bonne idée, mais les seuils sont fixés à un niveau tel qu’en réalité la majorité des fromages français sera, en quelque sorte, disqualifiée. C’est un comble pour nos fromages au lait cru et nos AOC, qu’il s’agisse du Saint-Nectaire, du comté, du Neufchâtel, de la fourme d’Ambert, du Sainte-Maure de Touraine, du brie de Meaux, sans oublier le brie de Melun, auquel je suis particulièrement attachée en tant qu’élue de cette région.

Tous ces produits de terroirs appartiennent au patrimoine gastronomique de notre pays. Non seulement ils n’ont jamais tué personne, mais grâce à leur richesse en calcium et en ferments lactiques, ils ont permis, au fil des siècles, à des millions d’enfants de se développer et de fortifier leur masse osseuse, bref de se constituer un capital santé.

Sans la vigilance de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques du Sénat, et sans le sérieux de notre collègue Jean Bizet, ce projet aurait été adopté en catimini par un comité d’experts et par la Commission européenne. Or ce texte pénalise les productions traditionnelles françaises et va à l’encontre du modèle français d’alimentation et de notre gastronomie.

Nous savons tous que la santé repose d’abord sur une alimentation équilibrée et non sur des seuils arbitraires et des produits calibrés. Gardons-nous de tout ce qui uniformise et aseptise notre alimentation. Protégeons et encourageons au contraire la diversité et la qualité de nos produits, dont nos fromages de terroir sont le meilleur exemple.

Monsieur le secrétaire d’État, il est impératif que le Gouvernement soit beaucoup plus vigilant et plus réactif sur ce gendre de dossier. On peut en effet se demander légitimement pourquoi le Parlement, le Sénat en particulier, n’a pas été informé plus en amont.

Désormais, ce débat concerne tous les Français, et ils sont en droit de nous demander des comptes. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)