M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le ministre, permettez-moi à mon tour de vous souhaiter la bienvenue au Sénat et de former le vœu d’une collaboration fructueuse avec la Haute Assemblée.

Depuis vingt ans déjà, la Nouvelle-Zélande réclame le retour au pays de ses têtes maories. Cette démarche est plus que légitime puisqu’elle est inspirée par le souhait de récupérer des restes humains considérés comme sacrés, pour leur accorder une sépulture digne et respectueuse des coutumes du peuple maori.

Jusqu’à la fin du xixe siècle, ces têtes momifiées et tatouées ont fait l’objet de trafics commerciaux par des collectionneurs européens et américains. En France, nous en possédons une quinzaine dans les collections publiques, outre celle de Rouen, qui a suscité l’initiative de Mme Morin-Desailly.

Ces têtes, qui ne sont plus exposées, n’ont jamais fait l’objet d’études scientifiques particulières par les musées qui les conservent dans les réserves de leurs collections.

À travers le monde, plusieurs États et institutions ont déjà restitué des têtes maories. Aujourd’hui, notre démarche est aussi guidée par leur geste moral et éthique exemplaire.

Cependant, ce débat en ouvre un autre, plus large et inquiétant. Certes, on ne peut s’empêcher de reconnaître les erreurs passées, souvent perpétrées au nom de la science, mais certains redoutent que la restitution des têtes maories ne crée un précédent qui ouvre éventuellement la voie à un dépouillement progressif et inexorable des collections nationales.

Qu’en sera-t-il, par exemple, des momies précieusement conservées et exposées au musée du Louvre ou des nombreuses reliques de saints que nous possédons à travers l’Hexagone ?

Ce geste éthique, respectueux de la dignité de l’homme comme de la culture et des croyances d’un peuple vivant, inspiré sans doute aussi par le poids de la culpabilité de l’histoire coloniale, ne doit absolument pas remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections nationales. La règle intangible doit rester celle du caractère inaliénable des œuvres d’art.

M. le rapporteur – au travail duquel j’ai plaisir à rendre hommage – nous propose aujourd’hui de compléter cette proposition de loi par des dispositions de nature à éviter de nouveaux recours à la loi pour ce type de problème. Nous avons en effet déjà dû légiférer en 2002 sur un cas similaire, qui concernait la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, généralement appelée la « Vénus hottentote », qui a été restituée à l’Afrique du Sud.

Dans les faits, la dérive redoutée à l’époque ne s’est pas vérifiée. Mais le fait que nous devions de nouveau légiférer prouve bien que la procédure administrative instaurée en 2002 dans le code du patrimoine pour le déclassement des biens constituant les collections des musées de France manque totalement d’efficacité.

Pour y remédier, on nous propose d’élargir la composition de la Commission nationale scientifique des collections à des personnalités qualifiées dans le domaine de l’éthique, des élus et des scientifiques, et d’étendre son champ de compétence à l’ensemble des collectivités publiques, voire privées, pour dépasser le cadre des seules collections des musées de France.

Par ailleurs, et c’est là l’essentiel, le texte vise à définir clairement les missions de cette commission. Jusqu’à ce jour, en effet, elle n’a nullement fait avancer la réflexion sur les cas de déclassement et, donc, sur les exceptions que nous pourrons tolérer au principe d’inaliénabilité des œuvres d’art. Or ce travail est fondamental si l’on souhaite pouvoir concilier les objectifs, d’une part, de protection de notre patrimoine culturel et, d’autre part, de respect de la dignité humaine et de toutes les cultures. La France accuse donc un net retard dans la réflexion à engager sur la gestion éthique des collections des musées.

C’est pourquoi, si la proposition de loi est adoptée, la Commission nationale scientifique des collections devra établir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession.

Elle devra également rendre compte de ses conclusions au Parlement en lui remettant un rapport dans un an.

Puisque cette proposition de loi a clairement pour objectif de faire le point sur la politique de gestion éthique des collections d’œuvres d’art françaises, tout en protégeant ce qui doit rester la règle intangible, à savoir le caractère inaliénable des œuvres d’art, je me réjouis de voter en sa faveur avec l’ensemble du groupe RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly a une portée bien plus large que la seule résolution du conflit juridique entre le tribunal administratif de Rouen et la municipalité de cette ville.

Ce texte non seulement autorise la restitution par la France à la Nouvelle-Zélande de la totalité des têtes maories conservées par l’ensemble des musées de France, mais il permet également aux législateurs que nous sommes de régler un « conflit de principes ».

Il nous appartient, ainsi, de concilier le principe fondamental, parce que garant de notre patrimoine historique, scientifique et artistique, de l’inaliénabilité des collections publiques, tout en adoptant une démarche éthique, fondée sur le principe de dignité de l’homme et du respect des cultures et des croyances d’un peuple vivant.

Le programme néo-zélandais de rapatriement des dépouilles maories mis en œuvre depuis 1992 auprès de l’ensemble de la communauté internationale traduit l’importance que revêt pour le peuple maori le retour de ses ancêtres sur leur terre d’origine.

Pour les Maoris, l’ensemble des parties du corps présentent, en effet, un caractère sacré, car elles portent en elles l’essence de la personne.

La tête des Maoris d’élite, et par la suite de certains esclaves, totalement tatouée, est considérée comme la partie la plus sacrée du corps.

Avant qu’elles ne fassent l’objet d’une convoitise insupportable et d’un commerce barbare de la part des colons européens, ces têtes étaient conservées par les familles des défunts maoris en témoignage de respect.

Permettre la restitution par la France des têtes maories est donc un impératif éthique, et le groupe socialiste du Sénat souscrit pleinement aux objectifs visés au travers de la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.

Pour autant, comme pour la « Vénus hottentote », il nous faut concilier cet impératif éthique avec la règle juridique de l’inaliénabilité des collections publiques et, autant que faire se peut, régler définitivement ce conflit de principes.

Si la question se posait une nouvelle fois, un État serait demain fondé à demander la restitution d’une œuvre ou d’un objet originaire de son territoire, acquis de façon contestable par la France, mais faisant partie des collections publiques depuis souvent plusieurs siècles.

Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas d’adopter une attitude protectionniste de repli sur soi, voire de méfiance en défendant les acquis de conquêtes aujourd’hui, certes, contestables, mais qui sont l’histoire. Il s’agit, au contraire, de conforter nos musées nationaux dans leur mission d’exposition, bien entendu, mais également de conservation et de recherche.

Il nous faut créer les conditions juridiques permettant à nos musées de s’ouvrir sur l’extérieur en suivant les évolutions sociologiques du monde, tout en les confortant dans leur mission de gardiens du patrimoine culturel national.

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France avait posé les bases d’une règle permettant de faire le lien entre les deux principes que nous devons aujourd’hui concilier, d’un côté, le principe, éthique, du respect de la dignité humaine et, de l’autre, le principe, juridique, de l’inaliénabilité des collections publiques.

Malheureusement, bien qu’elle ait été intégrée à la loi relative aux musées de France, cette possibilité d’extraire un bien du domaine public pour envisager, notamment, une cession est restée virtuelle.

La Commission scientifique nationale des collections des musées de France, instituée par décret le 25 avril 2002 et mise en place en 2003, a depuis tenu chaque année des réunions, mais elle n’a jamais eu à statuer sur un problème de déclassement. Elle n’a pas davantage engagé de réflexion en vue de définir des critères pour d’éventuels déclassements.

Quelle que soit la possible inertie des institutions muséales, d’ailleurs dénoncée par M. Philippe Richert dans son rapport, il était nécessaire de réactiver cette procédure de déclassement tout en l’encadrant de précautions.

C’est donc de manière fort opportune que M. Philippe Richert, dans le cadre des conclusions de la commission des affaires culturelles que nous examinons aujourd’hui, a souhaité compléter la proposition de loi de Mme Morin-Desailly.

Renommée « Commission scientifique nationale des collections » aux articles 2 et 3 nouveaux, la Commission voit désormais ses missions précisées et clarifiées, et son champ de compétence élargi.

Concernant la proposition d’ouvrir de nouvelles possibilités de transfert de propriété d’œuvres inscrites sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain et mises en dépôt auprès de collectivités territoriales, M. le rapporteur, du fait de nos réticences sur cet amendement, a accepté de le retirer, faisant preuve d’un esprit d’ouverture et de consensus qu’il convient de souligner.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat estime que l’ensemble des conditions requises pour voter en faveur de ce texte sont réunies.

Nous pensons, cependant, qu’une réflexion reste à conduire sur la gestion éthique des collections des musées, notamment sur le statut des restes humains qui y sont présents. Ces sujets sont, bien entendu, sensibles et complexes, et la France est très en retard sur ces questions.

L’interdiction de l’exposition Our Body à Paris nous a montré la nécessité d’accompagner les professionnels des musées, conservateurs et restaurateurs.

Puissent ce texte et les nouvelles missions confiées à la Commission scientifique nationale des collections constituer une première étape de cette réflexion ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le ministre, je vous souhaite à mon tour la bienvenue dans cet hémicycle.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Morin-Desailly auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, sept ans après le vote de la loi relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, nous voici réunis de nouveau : rien n’a changé !

Nous sommes confrontés aux mêmes interrogations, aux mêmes incompréhensions et, j’allais dire, aux mêmes résistances que celles que nous avions alors rencontrées.

Il y a sept ans, il avait fallu en passer par le vote d’une loi pour régler un litige que l’administration française n’avait pas su ou pas voulu résoudre dignement, alors que la France n’avait pas honoré sa promesse de restitution faite oralement dix ans plus tôt par le Président de la République François Mitterrand à M. Nelson Mandela.

Le refus de la France de rendre Saartjie Baartman aux siens, qui la réclamaient, ne faisait que réveiller un peu plus les blessures d’un peuple trop longtemps écrasé sous le joug des humiliations, de l’exploitation et de l’asservissement, aux pires heures du colonialisme.

Très rapidement, lors des débats qui eurent lieu au Sénat, tout le monde, y compris le ministre, avait fini par admettre l’inutilité juridique du recours à la loi.

Alors que certains affirmaient le caractère inaliénable des biens appartenant aux collections publiques des musées, faisant de la France la « propriétaire » des restes de Saartjie Baartman, le ministre de la recherche de l’époque, M. Schwartzenberg, avait confirmé ce que j’avançais, à savoir qu’en vertu des lois de bioéthique de 1994 nul ne pouvait se déclarer propriétaire d’un élément du corps humain. La France n’était, en réalité, que la « gardienne » de la dépouille de Saartjie Baartman, bien mauvaise gardienne, au demeurant, puisque le squelette et les organes, comme l’a rappelé M. le rapporteur, pourrissaient au fond de la remise du musée de l’Homme à Paris !

Depuis 1974, ce musée avait, du reste, prudemment retiré de ses vitrines les restes de la « Vénus hottentote », conscient, sans doute, de l’inadéquation ou de l’indécence qu’il y avait à exhiber aux yeux du grand public, tel un phénomène de cirque, le corps d’une femme noire à la physionomie hors du commun.

Il faut dire que de telles expositions de spécimens humains étaient fréquentes au XIXe siècle et traduisaient une idéologie scientifique, fondée sur une classification de l’être humain selon de supposés critères raciaux qui, fort heureusement, n’ont plus cours aujourd’hui.

Dans les musées comme dans les exhibitions publiques qualifiées du nom terrible de « zoos humains », lesquelles avaient lieu lors des expositions universelles, l’existence même d’une vitrine de musée ou d’une simple grille trahit une idéologie qu’il nous faut désormais absolument rejeter.

Ces grilles ou vitrines tracent, en effet, une frontière invisible, mais tangible, entre « eux » et « nous » ; eux, c’est-à-dire les peuples dits « primitifs », dont les dépouilles ou les restes humains sont exhibés comme des trophées, et nous, peuple occidental, peuple de découvreurs, peuple se disant supérieur, peuple de conquérants.

Il nous faut comprendre ce que ressentent les descendants de ces peuples lorsqu’ils apprennent la survivance de restes de leurs proches ancêtres dans les musées français.

Transposons un instant la situation. Que ressentirions-nous si nous apprenions que, quelque part dans le monde, des têtes de soldats français étaient exposées derrière les vitrines de musées ? Avouons-le, cette vision d’horreur aurait pour nous un caractère insupportable. Pourtant, quelle différence existe-t-il vraiment ?

Le don des têtes maories à la France ne date que de 1875. Or, précisément, ce sont des crânes de guerriers, de chefs de village, de personnages de haut rang. Eh bien, pour le peuple maori, il est insupportable de savoir que les restes de leurs ancêtres illustres sont exposés ainsi dans les musées français !

Il faut dire que ces exhibitions réactivent des blessures anciennes.

Alors que les tribus maories constituent les premières populations natives des îles de Nouvelle-Zélande et leurs principaux occupants pendant près de dix siècles, elles ont été littéralement décimées au XIXe siècle par l’arrivée des colons européens.

L’introduction d’armes à feu sur le territoire néo-zélandais conduisit, en effet, à des guerres intertribales sanglantes.

Il en résulta une véritable extermination de certaines tribus et des déportations, auxquelles s’ajoutèrent les épidémies apportées par les Européens.

Enfin, la Couronne britannique prit prétexte des rébellions provoquées par l’achat contesté de terres pour confisquer de vastes parcelles aux tribus maories, à titre de représailles.

Après la perte de leurs terres, les maoris sont alors entrés dans une période de déclin, si bien qu’on crut à leur disparition complète.

Les têtes maories qui ont été découvertes au sein des villages décimés, et qui constituaient pour ces peuples des objets sacrés comme des trophées de guerre, firent alors l’objet d’un trafic sordide.

Notre excellente collègue Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi, nous rapporte même que des esclaves, qui n’étaient donc pas des chefs guerriers, ont été tatoués à seules fins d’être ensuite décapités pour faire l’objet d’échanges. Ces traitements barbares font frémir.

Nous ne sommes pas directement responsables des malheurs du peuple maori, tout comme nous ne l’étions pas de ceux du peuple khoisan auquel appartenait la Vénus hottentote. Mais nous serions coupables si nous continuions à conserver des reliques maories, sans plus aucun intérêt scientifique, dans les remises de nos musées. Il est du moindre de nos devoirs d’aider ces peuples à tourner la page d’une histoire récente et douloureuse.

Bien entendu, une telle restitution doit être entourée d’un certain nombre de précautions. Loin de moi l’idée d’ouvrir la boîte de pandore de tous les musées de France ! Il ne s’agit pas, ici, de créer une jurisprudence qui conduirait à rendre à de supposés descendants tous les ossements de la préhistoire ou toutes les momies de l’Égypte ancienne, même si nous nous devons de conserver et de présenter ces restes humains dans des conditions respectueuses, décentes et dignes.

Nous parlons, ici, d’une histoire quasi contemporaine, de peuples en pleine reconstruction identitaire, qui cherchent à sauvegarder leur culture, à préserver leurs rites, à rendre leur dignité à leurs ancêtres.

Il s’agit, ici, d’entendre la demande de gens qui ont souffert dans leur histoire récente et qui s’identifient à ces reliques.

En leur restituant leurs ancêtres, nous devons les aider à tirer un trait sur les querelles et les tensions qui ont pu les opposer, par le passé, à ceux qu’ils considéraient comme des occupants.

Je tiens à signaler, enfin, que par expérience j’ai pu mesurer à quel point la restitution d’une dépouille mortelle, qui a fait l’objet d’une demande officielle par le gouvernement de son pays d’origine, avait permis de réchauffer de manière très significative les relations diplomatiques entre notre pays et le pays demandeur. C’est ce que m’ont confirmé de nombreux diplomates français et sud-africains à l’issue de l’affaire de la Vénus hottentote.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que de nombreux pays, tels les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, le Danemark ou l’Argentine, ont déjà enclenché un vaste mouvement de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Il serait incompréhensible que la France restât à l’écart de cette dynamique.

C’est également la raison pour laquelle je m’inscris totalement dans la démarche qui consiste à choisir comme critère principal, pour faire droit à la demande de restitution, le fait que cette demande émane bien des autorités gouvernementales du pays d’origine et non de l’une ou l’autre des tribus qui revendiquent la filiation.

Il convient effectivement d’éviter, en attribuant sans discernement ces restes humains, de réactiver les conflits ethniques ou revendicatifs au sein d’une nation.

Personnellement, je serais assez favorable à la création d’une instance internationale chargée de se prononcer sur le bien-fondé des demandes de restitution des dépouilles humaines conservées dans les musées, indépendamment des avis des États. Cette instance indépendante serait composée de hautes personnalités, d’experts reconnus, d’anthropologues, d’ethnologues, de généticiens et d’historiens. Elle pourrait être rattachée à l’ONU ou à l’UNESCO, car il ne s’agit plus de défendre un bien ou une œuvre d’art relevant du droit patrimonial d’un État, mais d’assurer le respect et la dignité qui sont universellement reconnus à l’ensemble de l’humanité.

Puisqu’il s’agit de respect et de dignité, je tiens à faire ici le point sur les questions juridiques que soulèvent, de manière récurrente, les demandes de restitution. En effet, certains chercheurs, anthropologues en particulier, ont pu écrire ici ou là que les lois de bioéthique ne concernaient en réalité que l’être humain vivant et ne seraient pas, de ce fait, applicables au cas des restes humains, donc morts, traités par les musées. Il est vrai que seule la personne vivante est considérée comme sujet de droit : selon ces auteurs, les lois de bioéthique de 1994 protégeraient avant tout la personne vivante dans son intégrité physique et morale, par exemple contre les expérimentations ou le trafic d’organes. De même, les articles 16 à 16-9 du code civil relatifs au respect du corps humain ne concerneraient que la personne vivante jusqu’à son décès, en posant le principe de l’inviolabilité et l’indisponibilité de son corps en tant que personne pour le commerce et le droit patrimonial.

Aux personnes qui agitent de tels arguments juridiques, je veux, après l’auteur de la proposition de loi, rappeler une jurisprudence récente. Mes chers collègues, vous vous souvenez de l’exposition organisée au printemps dernier à l’Espace 12 Madeleine, à Paris : celle-ci présentait l’anatomie de dix-sept cadavres d’origine chinoise. Or cette exposition a été interdite par une ordonnance de référé, rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris, puis confirmée par la cour d’appel de Paris. Dans son ordonnance, le juge a en effet estimé que cette exposition représentait « une atteinte illicite au corps humain » et que les mises en scènes déréalisantes de ces corps manquaient de « décence ». « L’espace assigné par la loi au cadavre, rappelle le juge, est celui du cimetière ».

En réalité, cette interdiction a été prononcée en application des dispositions de l’article 16-1-1 du code civil, introduites par la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, en vertu desquelles « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». En conséquence, « les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Au vu de la législation, confirmée par la jurisprudence, on ne peut donc plus dire que les restes humains peuvent constituer des « objets » de musée, comme les autres. En tant qu’éléments du corps humain, ils méritent respect, dignité et décence, et leur place n’est plus derrière une vitrine de musée, mais bien dans un cimetière. Les têtes maories n’échappent pas à cette règle.

Compte tenu des dimensions identitaire, symbolique, diplomatique et juridique de cette affaire, il faut donc faire droit, mes chers collègues, à la demande de restitution des têtes maories, exprimée par la Nouvelle-Zélande. Laissons ces têtes repartir et reposer en paix dans leur terre natale qui les attend, inhumées dignement, c’est-à-dire par leur peuple et selon ses rites ancestraux.

Puissions-nous un instant, mes chers collègues, faire résonner en nous la voix du peuple maori qui nous rappelle, dans l’un de ses proverbes anciens, que « la terre est une mère qui ne meurt jamais ». (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Odette Terrade et M. Richard Tuheiava applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est au nom de mon collègue Ivan Renar, avec lequel j’ai cosigné la proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly, que j’interviens aujourd’hui.

J’ai pu constater que, dans le cadre des débats relatifs aux lois de bioéthique, par exemple, les citoyens se montrent particulièrement sensibles au respect de la dignité de la personne humaine et rétifs à tout ce qui s’apparente à sa marchandisation. On ne peut valablement s’interroger sur la vie sans réfléchir également au rapport des vivants à la mort. C’est pourquoi notre assemblée s’honore en permettant la restitution à la Nouvelle-Zélande, qui les réclame, des têtes maories conservées par les musées de France, d’autant que, comme certains de nos collègues l’ont rappelé, ces têtes sont parvenues dans notre pays dans un contexte colonialiste et raciste où les peuples non occidentaux étaient considérés comme inférieurs, justifiant ainsi massacres et trafics sordides.

Ces têtes pourront ainsi être inhumées dignement et dans le respect des rites funéraires du peuple maori. On ne peut ignorer que le respect des dépouilles mortelles, dans la diversité des coutumes ancestrales, a profondément contribué à humaniser les sociétés mais aussi à civiliser les hommes. La mythologie grecque, par exemple, évoque les croyances et les lois parfois non écrites qu’il est essentiel de ne pas transgresser. Ainsi d’Antigone qui décide, au péril de sa vie, de rendre les honneurs funèbres à son frère malgré l’interdiction du roi Créon. Antigone n’est-elle pas un beau symbole de la nécessité ontologique d’offrir une sépulture digne aux défunts ?

Le fait que la décision prise par le conseil municipal de Rouen de restituer une tête maorie ait suscité un tel débat, à la fois éthique et juridique, témoigne des lacunes et du retard de notre réflexion sur ces questions. Aussi, notre groupe sera particulièrement vigilant quant à la « réactivation » indispensable de la procédure de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, introduite dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, mais malheureusement demeurée virtuelle ! Nous avons perdu beaucoup de temps : il est essentiel, tout en confortant la portée du principe d’inaliénabilité, auquel nous sommes très attachés, de disposer de critères clairs en la matière.

Nous partageons également la préoccupation de ne pas limiter la composition de la commission spécifique chargée du déclassement aux seuls professionnels de la conservation. On ne peut réduire les restes humains à de simples objets de collection et l’approche éthique dépasse les seules considérations patrimoniales ou scientifiques. C’est pourquoi il est tout à fait pertinent d’ouvrir cette commission à des personnalités qualifiées en particulier, tout comme aux représentants de l’État et des collectivités territoriales ainsi qu’à un parlementaire de chacune des assemblées.

Notre groupe sera donc particulièrement attentif à l’application de l’article 4 de la proposition de loi, qui donne en quelque sorte rendez-vous au Parlement dans un an, afin de s’assurer de l’avancée concrète des travaux de la Commission scientifique nationale des collections en matière de déclassement ou de cession. Alors que de nombreux musées américains, australiens et européens ont déjà donné leur feu vert à cette demande des plus légitimes de la Nouvelle-Zélande, il est urgent que notre pays clarifie sa position sur le statut des biens issus des corps humains. Après le précédent de la « Vénus hottentote » il y a sept ans, le débat sur les têtes maories aujourd’hui, il est important que les musées français puissent, à l’avenir, répondre sereinement aux nouvelles demandes de restitution, sans qu’il soit nécessaire de légiférer si de nouvelles situations équivalentes se présentent.

Permettre que les morts reposent en paix n’est-il pas une condition pour que les vivants eux-mêmes vivent en paix ? Cette question est d’autant plus universelle que, si nous remontons aux origines de l’humanité, nous avons tous les mêmes ancêtres !

Si nous avons cosignés seuls, Ivan Renar et moi-même, cette proposition de loi, l’ensemble du groupe CRC-SPG est bien sûr favorable à la restitution des têtes maories, d’autant plus que cette restitution participe pleinement du dialogue et des échanges interculturels que nous avons toujours encouragés. Je me réjouis donc pour le peuple maori, qui pourra ainsi donner enfin à ses ancêtres une sépulture conforme à sa culture et à ses traditions.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, mon groupe votera avec conviction cette proposition de loi, qui nous donne des responsabilités nouvelles à l’égard des morts comme des vivants. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Robert Laufoaulu applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.

M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ensemble, cet après-midi, une proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe de l’Union centriste, ayant pour objet d’autoriser la restitution à la Nouvelle-Zélande de têtes maories conservées en France.

Il s’agit, vous en conviendrez tous, en dépit du très court texte qui nous est soumis, d’un thème législatif d’une importance cruciale pour le patrimoine national, en particulier devant les nouveaux enjeux internationaux qui se présentent.

En tant que polynésien intimement lié à la cause maorie – il est de coutume, dans nos contrées insulaires, de dire que les Maoris sont nos « cousins » culturels –, je suis profondément sensible au sujet qui nous réunit cet après-midi. Il est ici question d’éthique, de dignité humaine post mortem, de diversité culturelle et de respect d’un système de croyances propre au peuple maori du « pays du long nuage blanc » ou Aotearoa, plus connu sous l’appellation Nouvelle-Zélande. Il est aussi question de la « sacralité » partagée par tous les peuples océaniens, dont certains font partie, je vous le rappelle, de la République française : Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, dont je suis le représentant aujourd’hui. Pour ne vous citer que deux exemples, le terme maori n’est que la forme locale du terme ma’ohi, qui désigne l’autochtone en Polynésie française ; je m’attache également à obtenir l’inscription sur la liste du patrimoine mondial d’un site polynésien qui représente, pour les Maoris, le dernier lieu de repos des âmes de tous les ancêtres maoris, quel que soit leur lieu de sépulture.

En tant que parlementaire, je ne peux que m’inscrire dans cette dynamique législative novatrice et ouverte vers l’Autre, dont l’éthique prend le dessus sur les clivages politiques nationaux et régionaux. À l’annonce de l’examen en séance publique de cette proposition de loi, je n’ai pu résister à l’impérieux réflexe protocolaire de prendre l’attache de nos cousins maoris d’Aotearoa, afin de veiller, à mon modeste niveau, à ce que l’objet de la loi soit toujours conforme à leurs souhaits. Tel est le cas, mais j’imagine que mes collègues de l’Union centriste qui sont à l’origine de la proposition de loi en étaient déjà persuadés.

Je n’ai pas non plus résisté au désir de prendre la température « sur le terrain » en visitant, avant-hier, le musée d’histoire naturelle de Rouen et la réserve où se trouve la tête maorie momifiée, en présence des autorités municipales et de la direction du musée, afin de comprendre les enjeux locaux, nationaux et internationaux de cette problématique. Il m’a aussi été donné, à cette occasion, de rendre visite à Mme la député-maire de Rouen qui m’a assuré de sa détermination et de celle de son conseil municipal – où siège également notre collègue Catherine Morin-Desailly – à voir aboutir la démarche de restitution de la tête maorie momifiée aux autorités néo-zélandaises.

Je souhaiterais au passage saluer officiellement le courage et l’audace dont a fait preuve la municipalité de Rouen, aussi bien l’actuelle que la précédente, en choisissant de faire droit à la demande des autorités néo-zélandaises. Elle a provoqué le débat qui nous occupe aujourd’hui, en prenant sa décision contra legem, c’est-à-dire en s’opposant sciemment à l’état du droit positif français qui classe encore les restes du corps humain comme « objets de collection » des musées de France ; en définitive, elle a relancé le pavé dans la mare ! Ce courage méritait d’être salué.

Notre collègue Catherine Morin-Desailly a rappelé très justement les deux normes internationales qui trouvent à s’appliquer, en la matière, en France : la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par la France en 2007, mais aussi le code de déontologie de l’ICOM.

Par solidarité envers nos cousins culturels du Pacifique, par conviction traditionnelle profonde, mais également par souci d’éthique, je voterai donc « pour » le principe de la proposition de loi qui sera examinée par la Haute Assemblée, et proposerai quelques modestes amendements qui me paraissent nécessaires.

Mais, au-delà de ce vote d’une proposition de loi nominative de circonstance relative aux têtes maories encore entreposées en France, il s’agit de poser publiquement la question plus générale de l’état du droit positif français concernant le respect dû aux restes du corps humain. Nous ne pourrons plus traiter éternellement, au cas par cas, ce type de sollicitations internationales au moyen de lois nominatives de circonstance, sans mettre la France en réelle difficulté face à la prise de conscience croissante par les pays environnants de l’existence des outils internationaux que je viens de citer. C’est d’ailleurs ce vide juridique qui a conduit le comité de pilotage de la ville de Rouen, pour ne citer que cet exemple, à engager la démarche de restitution de la tête maorie momifiée que son musée d’histoire naturelle conservait en réserve depuis 1875.

Il nous faudra donc repenser, dans un avenir prochain, notre législation et notre réglementation inadaptées à ce type de situation, en tranchant clairement ce débat juridico-culturel émergent, tout en instituant des garanties légales innovantes qui ne laissent plus transparaître, en filigrane, un passé colonial dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il était peu glorieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)